aspects philosophiques du droit de i'arbitrage international · «aspects philosophiques du...
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Aspects philosophiques du droitde I'arbitrage international
EMMANUEL GAILLARD
LES LIVRES DE POCHEDE L'ACADEMIE DE DROIT INTERNATIONAL DE LA HAYE
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INTRODUCTION
1. Evoquer les :« aspects philosophiques du droitde l'arbitrage», c'est rendre hommage aHenri Batiffolqui a consacre un ouvrage devenu classique aux«aspects philosophiques du droit international prive» 1.
L'hommage est en n~alite paradoxal dans la mesure ou,s'il faut rechercher une filiation de la pensee, c'est aBerthold Goldman que 1'on songe en premier lieu. Onse,souvient en effet du cours fondamental donne danscette Academie en 1963, dans lequel, a l'occasiond'une etude sur les conflits de 101s dans l' arbitrageinternational, l' auteur a pose les bases d'une reflexionqui devait renouveler la vision de l' arbitrage internationaL C' est tout particulierernent dans ce cours qu' enrupture avec la pensee encore dominante aI' epoque 2 ilernet 1'idee feconde seIon laquelle <des arbitres n' antpas de for» ou que, si l'on devait leur en preter UD, ils' agirait du monde 3. C' etait ouvrjr une interrogation,qui releve de la philosophie de l' arbitrage, sur les relations qu' entretient cettc institution avec les ordres juridiques nationaux. Au titre des hommages, on evoqueraencore I' analyse que Phocion Francescakis a pu
1 H. Batiffol, Aspects philosophiques du droit international prive, Paris, Dalloz, 1956.
2 C'est en 1957 que l'Institut de droit internationaladoptait la resolution d' Amsterdam, au rapport de G.Sauser-Hall, suggerant l'application par les arbitres desregles de conf1it du siege «en tant que lex fori» (AnnuaireID!, 1952, I, p. 469, spec. p. 571). Sur l'evolution de lapensee juridique en la matiere, voir infra nOS 89 ss.
3 B. Goldman, «Les conflits de 10is dans l' arbitrageinternational de droit prive », Recueil des cours, tome 109(1963), p. 347, spec. p. 374. Adde Comite franc;ais de droit
". international prive, seance du 23 novembre 1985, Travauxdu Comite franrais de droit international prive, Journeedu cinquantenaire, 1988, p. 117.
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conduire, en 1960, avec la finesse qu' on lui connaissait, sur les rapports du droit naturel et du droit international prive 4. Comme I-Ienri Batiffol, l'auteur s'attachait a montrer en quoi une discipline aussi techniqueque le droit international prive pouvait trouver as' enrichir, sur des questions telIes que la qualification oul'ordre public international, d' emprunts a des conceptions universalistes qu' il reliait au droit nature!.
2. Le droit de l' arbitrage, plus encore que le droitinternational prive, se prete aune reflexion de philosophie du droit. Les notions, essentiellement philosophiques, de volonte et de liberte sont au cceur de lamatiere. La liberte des parties de preferer aux juridictions etatiques une forme privee de reglement des differends, de choisir leur juge, de forger la procedure quileur para!t la plus appropriee, de determiner les reglesde droit applicables au differend, quitte a ce qu' ils'agisse de normes autres que celles d'un systeme juridique donne, la liberte des arbitres de se prononcer surleur propre competence, de fixer le deroulelnent de laprocedure et, dans le silence des parties, de choisir lesnormes applicables au fond du litige, soulevent autantde questions de legitimite. Plus fondamentalementencore, le fait que l' arbitre rende une decision priveesur le fondement d'une volonte des parties qui l'esttout autant souleve la question de la source de ce pouvoir et de la juridicite de la decision qui en resulte. Laquestion des sources - sinon de la source, «nonnefondamentale» pOUf les uns 5, «regIe de reconnaissance» chez d' autres 6 - etant sans doute l'une des
4 Ph. Francescakis, «Droit naturel et droit internationalprive », Melanges offerts Cl Jacques Maury, t. I, Paris,Dalloz, 1960, p. 113.
5 H. Kelsen, Theorie pure du droit, 2e ed., trad. Ch.Eisenmann, Paris~ DalIoz, 1962, pp. 255 ss.
6 H. L. A. Hart, Le concept de droit, Bruxelles,Facultes universitaires Saint-Louis, 1976, spec. p. 120.
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plus difficiles de la philosophie du droit, I' arbitrage devrait etre considere comme un terrain privilegie de cettereflexion. S'il est vrai que «c' est a sa plus all n10insgrande capacite de resoudre la question des sources dudroit positif que l' on juge de ]a fecondite Oll de l'impuissance de tOllte theorie du droit» 7, I' arbilrage nedevrait pas laisser lndlfferents les philosophes du droit.
3. Pourtant, les echanges entre Ies disciplines dudroit de l' arbitrage et de la philosophie du droit sontrestes limites.
AI' exception notable de Bruno Oppetlt, qui a COll
sacre une etude importante a la Theor;e de I'arbitrage 8, et des jeunes auteurs qui semblent manifesterun interet accru pour cette discipline 9, les specialistcsdu droit de l' arbitrage se sont essentielletnent attachesa l'expose et a l' appreciation critique des solutions dudroit positif. Ce n' est guere qu' aI' occasion de la querelle de la lex nzercator;a, qui a occupe une large partie du debat theorique dans ]a seconde mOltie duxxe siecle 10, que certains echanges entre speciahstesde l' arbitrage et philosophes du droit ant. eu lieu. Les
7 G. Gurvitch, L'experience juridique et la philosophiepluraliste du droit, Paris, Pedone, 1935, p. 138. Sur la distinction entre ph i losophie du droit et theorie generale dudroit, voir par exemple F. Rigaux, Introduction a lascience du droit, Bruxelles, Ed. Vie ouvriere, 1974, p. 137.
8 B. Oppetit, Theorie de l'arbitrage, Paris, PlTF, 1998et, du meme auteur, «Philosophic de l' arbitrage commercial international », .IDl, 1993, p. 81l.
9 Voir par exemple S. Bollee, Les Inethode.f) dl{ droitinternational pri've II l'epreuve des sentences arbitrale."l,Paris, Economica, 2004; H. Arfazadeh, Ordre public etarbitrage international a I' epreuve de la 111ondialisation,2e cd., Geneve, Schulthess, 2006.
10 La controverse trouve son origine dans les travauxde B. Goldman de 1964 (<< Frontieres du droit et «lex mercatoria », Archives de philosophic du droit. Le droit subjectif en question, 1964, p. 177) et, dans unc perspectivedifferente, de C. Schmitthoff (~< The Law of International
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fondateurs de la theorie de la lex mercatoria, ayantparu se referer, au moins irnphcitement 11, aux conceptions institutionnelles de l'ordre juridique pOUf justifierl' existence de normes autres que celles appartenant aun ordre juridique etatique detennine, l'un des auteursles plus critiques de cette conception, le professeurPaul Lagarde, a soumis la lex mercatoria a repreuvedes criteres de l'ordre juridique degages parSanti R.omano. A la difference de ceux de MauriceHauriou, dont la theorie de l'institution 12 paraissait,dans la seconde moitie du XXe siecle, passablementvieillie, les travaux de Santi ROlnano, qui dataient de1918 mais qui n'avaient ete traduits en languefran9aise qu'en 1975 13, avaient encore l'attrait du
Trade, Its Growth, Formulation and Operation », TheSources of the LalV of International Trade, Londres,Stevens & Sons, 1964, p. 3). Son point culminant peut etresitue au moment de la publication des Etudes (?f{ertes aBerthold Goldlnan en 1982, voir specialement les contributions de Ph. Kahn, «Droit international economique,droit. du developpement, lex mercatoria: concept uniqueou pluralisme des ordres juridlques ? », p. 97, et M. Virally,«IJn tiers droit? Reflexions theoriques », p. 373, e~ l' analyse critique de P. Lagarde, «Approche critique de lalex mercatoria», p. 125. Elle s'est poursuivie dans Ies annees quatre-vingt-dix, specialement avec les travaux deF Osman, Les principes generaux de la lex mercatoria.Contribution it l'etude d'un ordre juridique anational,Paris, LGDJ, 1992, et F. de Ly, International Business Lali'and Lex Mercatoria, Arnsterdan1, North-Holland, 1992. Ala fin du XXe siecle, on ne compte plus les publications,laudatives ou critiques, consacrees au sujet. Sur r ensemblede la question, voir infra nOS 52 ss.
JIB. Goldman, «Frontieres du droit et «lex mercatoria », prec. note 10, p. 190.
12 M. Hauriou, La theorie de rinstitution et de la fondation, Paris, collection Cahiers de la nouvelle journee,Bloud & Gay, 1925.
13 Voir S. Ronlano, L'ordinam.ento giuridico, Ire 6d.,Pise, Spoerri, 1918, et, en version fran~aise, L'ordre juri-
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neuf 14. L'exercice a ete conduit dans le but de prouverque, meme au regard d'une conception institutionnaliste rejetant 1'identification du droit et de l'Etat, la lexmercatoria ne pouvait en allcun cas acceder ala dignited'ordre juridique 15. Par la suite, qu'il s'agisse dejustifier l'existence de regles transnationales Oll de leur denier toute juridicite hors de celle d'un ordre juridiqueetatique qui en assurerait la reconnaissance, la plupartdes travaux des specialistes du droit de l'arbitrage quise sont prononces sur ce sujet. ont conserve commegrille d' analyse la definition de l'ordre juridiqueretenue par Santi Romano. C' est ainsi que, au moinsdans ce contexte, Santi Romano a connu en France,
.>chez les juristes de droit positif, une notori6t6 tardive.
Contrairement aux sociologues qui ont commence afaire de l' arbitrage un objet d' analyse 16, les philosophes du droit ne se sont pas plus interesses a l'arbitrage que les specialistes de l' arbitrage a la philosophiedu droit. Au m.ieux, certains d' entre eux ont exploit6recemment l'existence du phenonlene de la lex merca-
-----dique, traduction L. Fran~ois et P. Gathot, avec une intro-duction de Ph. Francescakis, Paris, Dalloz, 1975.L'ouvrage a fait l'objet d'une deuxieme edition en languefraniaise en 2002, augmentee d'une preface de P. Mayer.
1 Sur les liens existant entre les deux theolies, voirspecialement G. Fasso, Histoire de la philosophic dll droit.XIXe et xxe siecles, Paris, LGDJ, 1976~ traduit de la troisieme edition, Storia delta ,filosqfia del diritto. Ottocento eNovecento, voL In, Bologne, Il Mulino, 1974.
15 P. Lagarde, 0« Approche critique de la lex mercatoria », prec. note 10, pp. 133-134, et note 31. Voir encore,en 2005, la preface de P. Lagarde a l'ouvrage de A. Kassis,L'autonomic de l'arbitrage commercial international. Ledroit franrais en question, Paris, L'Harmattan, 2005.
16 Les precurseurs dans ce domaine sont Y. Dezalay etB. G. Garth, Dealing in Virtue. International CommercialArbitration and the Construction of a Transnational LegalOrder, Chicago, The University of Chicago Press, 1996(avec un avant-propos de P. Bourdieu).
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toria au soutien d'une theorie qui cherche a substituerala conception pyramidale du droit d'inspiration kelsenienne un lTIodele concurrent fonde sur une notion relative de la juridicite et sur l'idee d'une pluralite d' ordresjuridiques relies entre eux en reseau 17. On observeracependant que, dans cet echange sur la lex n1.ercatoria,l'arbitrage n'est pas apprehende en tant que tel, commemode prive de regleluent des differends, mais pour sacapacite a produire des normes autres que celles d'unordre juridique etatique. Cet aspect du phenomene estpourtant loin d' epuiser les questions d' ordre philosophique que souleve l' arbitrage.
4. Ce n' est pas adire que les specialistes du droitde l'arbitrage se desinteressent des valeurs et qu'ils";n' ont pas de vue d' ensemble de la fac;on dont lamatiere est structuree et de ses relations avec les autresbranches du droit. Les auteurs ne se contentent naturellement pas de decrire les solutions acquises dans teI outel Etat apropos de l' arbitrage ou les solutions retenuespar les arbitres eux-rnemes. Ils prennent volontiersparti sur ce que la solution devrait etre et des controverses, souvent passionnees, se developpent sur la plupart des questions inlportantes du droit de l' arbitrage.La regIe morale et la maniere dont le droit de l'at-bitrage peut s' en inspirer ou en assurer le respect a travel'S des notions telles que la bonne foi contractuelle,l'ordre public ou }'amiable composition ne leur sontpas indifferentes 18. Pour autant, le parti philosophiquequi les anim.e demeure, le plus souvent, implicite.
17 Voir F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au reseau? Pour une theorie dialectique du droit,Bruxelles, Publications des Facultes universitaires SaintLouis, 2002, par exemple pp. 14 et 11 L
18 Voir speciaIelIlent P. Mayer, «La regIe morale dansI'arbitrage international », Etudes (~ffertes it Pierre Bellet,Paris, Litec, 1991, p. 379; V. Heuze, «.La morale, l'arbitreet le juge », Rev. arb_, 1993, p. 179.
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5. Il est vrai que, meme lorsque les specialistes del'arbitrage evoquent au soutien de leur these la penseede teI ou teI philosophe du droit, la demarche presenteun fort risque de subjectivite. Il est en effet tentant, etmeme conforme a la pente naturelIe de l'esprit, d' allerpuiser dans les ollvrages de philosophie du droit celledes conceptions la mieux a meme de justifier le bienfonde de la these que l'on entend promouvoir. Le benefice attendu, consciemment ou inconsciemment, est dedonner aune solution de droit positif ou aune proposition tendant a la faire evoluer le vernis d'une cautiontheorique solide. Plusieurs exemples viennent aussit6tal'esprit.
Un auteur soucieux de denier a1'« ordre public reeIIement international» toute juridicite en dehors de sareception par le droit d'un Etat se referera plus volontiers aux doctrines de Kelsen ou de Hart qu'a cellesde Santi R.omano ou de F. Ost et M. van de Kerchove. Lademonstration conduite a ce sujet par un auteur ayantconsacre sa t.hese de doctorat aI' arbitre, le juge et lespratiques illicites du commerce international se litcomme suit:
«Selon la doctrine la plus classique representeepar Hart, un systeme de droit complet repose surdeux types de regIes. Il dait exister, en premier lieu,des regles primaires. Ces regles edictent desconduites entre les individus, ce sont des reglesd' obligation entre les sujets de droit. Il doit exister,en second lieu, des regles dites secondaires. Cesnormes ont une fonction triple: elles permettent lacreation, la modification et l' adjudication des reglesprimaires, ce qui comprend I' organisation de lasanction en cas de non respect. Or, la lex 111ercatoriasouffre cruel1ement de ces regles secondaires. Plusexactement, elle est obligee d' emprunter pour cettetriple fonction les regles du systeme de droit inter-
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national inter-etatique et du Systen1e de droit internepropres au droit du COlnmerce internationaL Ainsi,si la regIe de l'ordre public nSellement internationaledicte un illicite, eBe est incapable de le sanctianner. Cette ultime fonction est en effet devalue a laregIe de droit (etatique ou inter-etatique) applicable.» 19
Il s' agissait de demontrer que la regIe de l'ordrepublic reellement international est incapable de sanctionner I' illicite. Presentee COffilue un simple postulat,la proposition aurait suscite toutes sortes d'interrogations. Pan~e de la legitimite d'une construction aussipuissante que celle de Hart, l' affirmation devient uneconclusion dont. i1 sera ensuite possible de tirer desconsequences juridiques. Cela n' en demeure pas mainsun postulat Celui-ci est simplement decale dans le raisonnement. Il tient au choix de la philosophie invoqueeau soutien de l'idee que l'on souhaite promouvoiret non plus a l'idee elle-meme, qui se presente desormais comme une conclusion. L' argunlent demeure unpur argument d' autorite. n suffirait du reste de modifier la premisse philosophique pour parvenir a unresultat rigoureusement inverse. Pour ne prendre qu 'unexemple, en relnplavant, par un hasard soigneusementorchestre, Hart par Holmes, qui presente l' avantaged' etre un autre philosophe du droit americain, on aboutira aisement a la conclusion inverse. Pour Holmes, ledroit n' est rien d' autre que la prevision de ce que lestribunaux feront effectivement 20. Les arbitres du com-
19 A. Court de Fontlnichel, L'arbitre, le juge et les pratiques illicites du com.nzerce international, Paris, EditionsPantheon-Assas, 2004~ p. 102.
20 O. W. Holmes, «The Path of the Law», HarvardLaw Review, 1897, p. 457, spec. p. 461. Sa definition dudroit, restee cel?~bre, se reduit a la formule suivante: «Theprophecies of what the courts will do in fact, and nothingmore pretentious, are what I mean by the law. »
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merce international se referant tres volontiers aux exigences de 1'« ordre public reellement international », ilsdonnent a celui-ci, dans leurs sentences, une juridiciteincontestable.
Les consequences qu' ils en tirent, par exemple enecartant une loi de police qu' ils ne considerent pascomme etant d' ardre public international 21 ou en annulant un accord occulte realisant un detoumement depouvoir 22 , attestent de la capacite de la regle de l'ordrepublic reellement international de sanctionner la violation de l'illicite 23. Cette consequence etant parfaiternent previsible, elle est, dans un raisonnement imparable si l' on accepte la premisse posee par I-Iolmes, dudroit.
Un autre exemple peut etre trouve dans la querellede la lex mercatoria. On a deja eu l'occasion de constater le caractere tactique du choix des references philosophiques operees au sOlltien de la delllonstration de lajuridicite de la lex mercatoria 24. Les auteurs favorablesaceUe notion se prevalaient naguere, implicitement, deMaurice Hauriou ou, plus ouvertement, de SantiRomano 25. Aujourd' hui, c' est naturellement vers laconception du droit que retiennent. des auteurs tels queFran~ois Ost et Michel van de Kerchove qu' ils se tour-
21 Voir par exemple la sentence rendue dans ]' affaireCCI nO 6379, citee dans A. Court de Fontmichel, L 'arbilre,le juge et les pratiques illicites du comnlerce international,prec. note 19, par. 314 et n. 94.
22 Voir par exemple la sentence rendue dans l' affaireCCI n° 6248, citee dans A. Court de Fontmichel, ibid.,par. 215 et Il. 100.
23 Sur l'ensemble de la question, voir infra nOS 115 ss.24 Voir supra note 15.25 Pour un exemple de r6flexion approfondie sur la lex
mercatoria fondee sur les conceptions de Santi Romano,voir F. OSD1an, Les principes gbuiraux de la lex mercatoria. Contribution Cl I'etude d'un ordre juridique onational,prec. note 10.
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nent 26. Pour ces philosophes du droit, la validite de lanorme, definie comme son aptitude asortir les effets dedroit que ses auteurs entendaient l11i attribuer, reposesur trois criteres que sont la validite formelle, la validite empirique et la validite axiologique. Il s' agirait detrois dimensions ou de trois poles (ceux de la legaIiteformelle, de l' effectivite et de la legitimite) qui interagissent necessairement, tantot en se confortant tantoten s' opposant 27. Ce modele, inspire de la theorie tridimensionnelle du droit qui avait deja donne lieu a denombreux travaux, specialelnent ceux du grand philosophe du droit bresilien Miguel Reale 28, pennet toutesles combinaisons. Une norme legitime mais non effective ni encore legale n' est qu'une valeur susceptibled'inspirer le Iegislateur ou le juge; une nonne legalemais sans effectivite ni legitimite est une norme appelee a la desuetude; une norme effective qui n' est nilegale ni legitime peut etre celle d'une autorite d' occupation; une norme legitirne et effective correspond alanotion traditionnelle de droit naturel et, pour s' en tenira ce$ exemples, une norme legale et effective mais nonlegitime est une norme injuste. L' apport ,de cetteconception, qui se veut une synthese du courant lega-
26 Voir par exemple J.-B. Racine, «Reflexions sur I' autonomie de l'arbitrage cOlllrnercial intern ational », Rev.arb., 2005, p. 305, spec. p. 341.
27 F. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramideau reseau? Pour une theorie dialectique du droit, prec.note 17, spec. p. 309.
28 M. Reale, Teoria Tridimensional do Direito: preliminares historicas et sistenuiticas, 4e ed., Sao Paulo, Saraiva,1986; en langue franc;aise, voir M. Reale, «La situationactuelle de la theorie tridimensionnelle du droit», A rchivesde philosophie du droit. Le droit international, 1987,p. 369. Pour une bibliographie plus complete, voir F. Ostet M. van de Kerchove, De la pyramide au reseau? Pourune theorie dialectique du droit, prec. note 17, spec.p. 310, n. 2, et p. 364.
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liste (pole de lt~galite), des doctrines realistes auxquelles appartiennent Holmes et Ross 29 notarnment(pole de l'effectivite) et des theories du droit naturel(pole de legitimite), tient moins aux jeux de l'espritauxquels el1e se prete qu' au fait qu'eUe donne du droitune vision dynamique, insistant sur le fait que les«Dormes et systemes juridiques sont des realites vivantes,animees de mouvements specifiques» 30, de sorte quel' on enregistre des glissements permanents d'une position a l' autre entre les trois poles de l' analyse. Danscette grille d' analyse, qui retient une conception essentiellement variable de la juridicite, celle de la lex mercatoria ne fait aucun doute. La conclusion surprendrad' autant mains que ces auteurs invoquent notamment le«phenomene d' auto-regulation que se sont adjuge certains secteurs e.conomiques pllissants (on pense notamment a la lex lnercatoria ...»> au soutien de leur demonstration de la necessite de «passer du paradignlede la pyramide a celui du reseau» 31. Le caracterecirculaire de la demonstration n' aura pas echappe al'observateur: le phe.nomene de la lex mercatoria,pris en tant que realite susceptible d' etre constatee,nourrit une conception du droit et cette conception estelle-meme de nature a justifier la juridicite de la lexlnercatoria.
6. Les developpements qui precedent ne sontqu'une maniere de rappeler que, si 1'on entend sepreoccuper de philosophie du droit, on ne se situe pasdans le domaine de la verite scientifique qui anrait adepartager le vrai du faux, le denlontre de l'hypothese,mais simplement a proposer une reflexion sur la ou les
29 A. Ross, On Law and Jldstice, Londres, Stevens &Sons Ltd., 1958.
30 F. Ost et M. van de Kerehove, De la pyramide aureseau ? Pour une theorie dialectique du droit, pree. note17, p. 354.
3 Ibid., p. 16.
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manieresde conceVOlf l' organisation des rapportsSOClaux.
Si l'on entend souligner le caractere plus ou mainsconscient ou plus ou mains manipulateur des justifications avancees, on aura recours ala notion d'ideologie.C' est ainsi que Bruno Oppetit, citant Jean Baechler,relevait justement que,
«s'il est vrai que l'ideologie «est un discoursoriente par lequel une passion cherche a se realiserdans une valeur» et que passions et valeurs sontarbitraires, car insusceptibles d' etre fondees enraison, une consequence capitale decoule de cetteproposition: une ideologie ne peut etre ni prouveeni refutee; par suite, eUe n' est ni vraie nl fausse,eUe ne peut Stre qu' efficace ou inefficace, coherente ou incoherente» 32.
Dans le vaste combat qu'a suscite la notion de lex rnercatoria, les accusations d'ideologie n' ant pas manque.En 1982, un auteur teI que Wilhem Wengler, profondemerlt hostile a la notion, presentait les principes generaux du droit comme un «caprice pseudo-juridique, dureste pas toujours candide»33. Il s'agissait de suggererque le juge etatique ne devrait pas cautionner une telleden1arche en ordonnant l'execution forcee d'une sentence arbitrale reposant sur une telle illusion 34. Presen-
32 B. Oppetit, «La notion de source du droit et le droitdu COlnmerce international », A rchives de philosophie,du droit. «Sources» du droit, 1982, p. 43, spec. p. 45;J. Baechler, Du'est-ce que l'ideologie?, Paris, collectionIdees, Gallimard-NRF, 1976, p. 60.
33 W. Wengler, «Les principes generaux du droit entant que 10i du contrat », Rev. crit. dr. into p':, 1982, p. 467,spec. p. SOL
34 L' auteur ne manque pas de s' en prendre aux conseilsjuridiques qui auront «insiste sur l'insertion d'une clausearbitrale» et «fait croire aux parties que les principesgeneraux du droit sont un systeme complet de regles juri-
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ter une doctrine en terrnes d'ideologie est souvent unemaniere de denoncer le fait qu' elle poursuivrait desfins autres que celles qui 1ui servent de justificationimmediate. En realite, ce qui compte, ]orsque l'on setrouve dans le domaine des idees, est simplclnent de nepas se laisser abuser par la force d' evocation de certaines formules ou representations mentales, en unmot, de ne pas perdre de vue le sens et le but de latheorisation en cause.
Ceux qui repugnent autiliser un terme dont il a parfois ete fait un usage abusif au cours de la secondemoitie du XXe siecle parleroDt mains d'ideologie' quede mythe. Dans cette perspective, certains auteurs antpu insister sur le fait qu' il n' est pas exact que «toutce qui est non apparent est: inavouable, pervers », lesmythes juridiques etant «des aides indirectes ala COD
naissance ». Il n'y aurait pas ales condamner, le phenomene serait a analyser et a expliquer, «meme si sesdeviations doivent etre soigneuscrnent decelees » 35.
7. Le present cours se propose precisement d' examiner le droit de l' arhitrage sous l' angle des representations mentales dont i1 a fah et continue de faire l' objet. Melue si les etudes de droit positif de l'arbitrageles laissent, comme il est nature], au second plan, cesont ces representations qui structurent la pensee juridique en la Inatiere. Aussi n' est-il pas surprenant quecertains auteurs se retrouvent spontanement en accordentre eux et en desaccord avec d'autres, comme s'ils' agissait d'un phenomene naturel. De tels regroupements ne doivent rien au hasard. Ainsi, sur des questions aussi fondamentales que celles des modes dedetermination du droit applicable par l' arbitre, de I' ac-
diques equivalant a un des systemes nation3UX de droitprive ». (art. prec. note 33, p. 5(0).
35 Ch. Atias, Philosophie du droit, 2e ed., Paris, PUF,2004, pp. 3] 7-318.
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ceptation ou non de la notion de litispendance entrearbitres et juridictions etatiques, ou de la reconnaissance des sentences annulees dans l'Etat du siege del' arbitrage, les solutions retenues par MM. Poudret etBesson dans leur remarquable etude Droit C0l11pare deI'arbitrage internationaZ 36 seront systenlatiquClnentdivergentes de celles presentees dans notre propreTraitede I'arbitrage cOlnrnercial internationaZ 37
. L'esprit scientifique se retrouve - ou devrait se retrouver- sur la description du droit positif de te] ou teI Etatou de la jurisprudence arbitrale mais la systematisationde la matiere et l' appreciation des solutions et de ceque devraient etre les lignes de force de l' evolutiondivergent 38. La divergence ne tient pas a la qualite dela pensee. Elle est exclusivement dependante de larepresentation de la matiere retenue, a titre de postulat
36 I.-F. Poudret et S. Besson, Droit compare de l'arbitrage international, Zurich, Schulthess, 2002, et, pour uneversion en langue anglaise, I.-F. Poudret et S. Besson,Comparative LalV of International Arbitration, Londres,
, Sweet & Maxwell, 2007.37 Ph. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traite de
I'arbitrage commercial international, Paris, Litec, 1996,et, pour une version en Iangue anglaise, E. Gaillard etJ. Savage (dir. publ.), Fouchard Gaillard Goldman onInternational Commercial Arbitration, La Haye, Kluwer,1999. Sur la coherence de ces visions respectives de l' £11'
bitrage, voir specialement O. Sandrock, «To ContinueNationalizing or to De-nationalize? That is Now theQuestion in International Arbitration », The AmericanReview of International Arbitration, 2001, p. 301.
38 Voir par exeluple E. Gaillard, «La reconnaissance,en droit suisse, de la seconde moitie du principe d' effetnegatif de la competence-competence », Global Refle{~tions
on International Law, Commerce and l)ispute Resolution.Liber Amicorum in Honour of Rabert Briner, Paris, ICePublishing, 2005, p. 311, et J.-F. Poudret, «Exceptiond' arbitrage et litispendance en droit suisse. Commentdepartager le juge et l'arbitre ? », Bull. ASA, 2007, p. 230.Sur la question, voir infra nOS 82 ss.
ASpCC'lS philosophiques 31
philosophique, par chaque groupe d'auteurs. Danschaque cas, la pensee se structure autour d'une representation de l' arbitrage.
Tout l' effort de ce cours consistera a mettre enpleine lumiere ces representations, qui, generalement,se developpent a l' arriere-plan Inais dont l'importanceest cruciale, et a en exposer les consequences de droitpositif 39 .
39 Dne premiere analyse de ces representations a faitl'objet d'une communication au VIe Congres du Comitebresilien de I' arbitrage a Salvador de Bahia le 1er noverobre 2006. EBe a ete publiee, dans sa version d' origine, au .TDl, 2007, p. 1182, sous le titre «Souverainete etautonomie: renexions sur les representations de l' arbitrageinternational ».