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Journal of Arabic and Islamic Studies • 17 (2017): 311-453 ISSN 0806-198X edited by STEPHAN GUTH ARAB Special Dossier Approaches to the Etymology of Arabic

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  • Journal of Arabic and Islamic Studies 17 (2017): 311-453 ISSN 0806-198X

    edited by

    STEPHAN GUTH

    ARAB Special Dossier

    Approaches to the

    Etymology of Arabic

  • Journal of Arabic and Islamic Studies 17 (2017): 311-453

    Contents

    STEPHAN GUTH ........................................................................................................................................... 313 Introduction

    ZEUS WELLNHOFER ................................................................................................................................. 322 On Some Arabic Roots and Their Etymological Relevance

    SIMONA OLIVIERI ...................................................................................................................................... 332 The ism in the Arabic Grammatical Tradition: Reflections on Its Origin and Meanings

    STEPHAN GUTH ........................................................................................................................................... 345 Biradicalist Mimophonic Triradicalism: Sounds, root nuclei and root complements in M. . . Gabals etymological dictionary of Arabic (2012)

    JEAN-CLAUDE ROLLAND ...................................................................................................................... 377 clats de roche : Une tude dtymologie sur les noms de la pierre en latin, grec et arabe

    LUTZ EDZARD .............................................................................................................................................. 407 Notes on the Emergence of New Semitic Roots in the Light of Compounding

    FRANCESCO GRANDE .............................................................................................................................. 415 The Arabic Lexicographer Ibn Sdah and the Notion of Semantic Field

    GZEM IIK ..................................................................................................................................................... 434 Etymology and Polysemy: A Non-Objectivist Approach to the Domain of Vision in the Semitic Languages

  • Journal of Arabic and Islamic Studies 17 (2017): 377-406

    Jean-Claude Rolland, Meaux / France

    ISSN 0806-198X clats de roche : Une tude dtymologie sur les noms de la pierre en latin, grec et arabe

    JEAN-CLAUDE ROLLAND

    Elles sont du dbut de la plante, parfois venues dune autre toile. Roger Caillois, Pierres

    Abstract Starting from the Latin cases of semantic parallelism, rps || rump and saxum || sec, this study goes through a number of Arabic denominations of the stone to demonstrate that in Arabic too there is a strong relationship between those denominations and many roots that basically express an act of breaking or cutting something. The conclusions are the following:

    the Greek equivalents of stone, the etymology of which is obscure, might have the same relationship with some Greek or Latin words expressing the act of breaking;

    Greek [ptr] might be of Semitic origin. Key words: Arabic, Greek, Latin, lexicology, etymology, stone, fragment, breaking, stroke, Bohas Les associations smantiques en rapport avec la pierre sont connues et banales : la premire caractristique de la pierre est sa duret. Dure, elle est difficile briser, tailler, sculpter. Anctre aussi bien du marteau que du couteau, elle va donc servir elle-mme doutil pour briser et tailler des objets moins durs quelle. Selon son volume elle est obstacle naturel sur la route ou matriau utilis pour construire ces sparateurs que sont les parois, murs et murailles destins empcher les uns dentrer et les autres de sortir. Il ne faut donc pas stonner que le latin rps rocher soit considr1 par la tradition tymologique comme une forme sans infixe nasal issue de la mme racine indo-europenne2 ayant abouti au verbe rump briser, rompre, sans quon sache si cette forme rps est lorigine active ou passive, autrement dit si le rocher latin est brisant ou bris .

    Plutt bris car la pierre, aussi arrondie soit-elle par lrosion, est gnralement per-ue comme ce quelle est, cest dire un fragment, un clat de roche. De taille rduite, elle sert de projectile, darme lance par la main, la fronde ou la catapulte. Tout objet un peu dur lui est compar ou assimil : noyau, dent, fragment dos, corail, coquille duf, coquil-lage et mme testicules. Sous forme de sable, de gravier ou de cailloux, elle est marque de strilit, dabsence de vgtation, de dsert. Dite prcieuse ou semi-prcieuse , elle orne le collier ou la bague. Elle est borne sur la route, statue monumentale, idole, menhir, dolmen, et tombe ou stle au cimetire.

    Cette tude se propose dexaminer brivement dans une premire partie ce quil en estoutre le cas de rps, sur lequel nous ne reviendrons pasdes dnominations de la pierre en grec et en latin, pour la plupart dorigines obscures, et dans une deuxime partie, 1 ERNOUT & MEILLET 1932/2000: 581. 2 *reup- ou *reub-, selon WATKINS 2000: 72.

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    plus longue et plus labore, de faire le mme inventaire pour larabe, en nous appuyant sur les travaux que Georges Bohas a consacrs au lexique du coup en gnral et de la coupure en particulier. Ces travaux nous autoriseront en effet rattacher ces notions primaires tout un rseau3 de notions drives quune approche nave ne permettrait pas forcment de percevoir demble et dune faon aussi nette et rigoureuse. Aussi renverrons-nous ce rseau chaque fois que la relation dune notion drive avec les notions primaires risquerait de ne pas tre vidente. On verra que notre tude des noms arabes de la pierre, initie et claire par le paralllisme morphosmantique relev dans la paire rps // rump, pour-rait bien en retour jeter quelque lumire sur certaines dnominations grecques ou latines aux origines juges jusqu ce jour obscures.

    1. Les dnominations grecques et latines de la pierre

    1.1. latin saxum pierre, grosse pierre, roc, rocher 1.2. latin lapis pierre, pierre prcieuse 1.3. grec [lthos] pierre et [ptr] roche, rocher

    1.1. Latin saxum pierre, grosse pierre, roc, rocher De lorigine de ce motque la langue franaise conserve prcieusement comme compo-sant de quelques termes savants tels saxifrage et saxicolevoici ce que disent Ernout et Meillet dans leur Dictionnaire tymologique de la langue latine (DELL), p. 597 :

    Pour la forme, saxum concorde avec le vieil islandais sax, le vieux haut allemand sahs couteau, pe courte ; mais le mot germanique appartient un groupe de noms indiquant des objets tranchants : vieux haut allemand sega, sego scie , segesna, segansa faux , etc. Les mots germaniques sont donc videmment de la famille du latin secre. Le latin saxum y peut aussi la rigueur tre rattach, mais par un autre procs de sens : le rapport serait de mme ordre que celui du latin rps avec rump, du vieux slavon skala pierre, rocher avec le lituanien skeli je fends , etc.

    Avec rps // rump et saxum // sec, nous voil donc en prsence, pour la seule langue latine, de deux cas dun probable paralllisme smantique pierre // porter un coup que la suite de cette tude aura pour objet de confirmer, dexpliquer, et dtendre dautres langues que le latin. Sous le gnrique pierre, il faut comprendre que nous pourrons en rencontrer toutes les spcificits : rocher, caillou, gravier, sable, etc. ainsi que tout objet dur pouvant lui tre compar : noyau, dent, os, etc. Quant aux diverses et nombreuses sp-cificits reprsentes par le gnrique porter un coup, on les trouvera numres, ordon-nes et explicites dans le rseau ad hoc situ en annexe. Citons-en nanmoins ici quelques-unes : frapper, battre, couper, fendre, percer, briser, tuer, repousser, chasser, etc.

    3 Voir Annexe.

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    1.2. Latin lapis pierre, pierre prcieuse Daprs le DELL (p. 340), le mot lapis, -idisdo viennent les mots franais lapider, lapidaire, etc.dsigne une pierre, ou tout objet en pierre ou qui rappelle la pierre : borne miliaire ou frontire, monument funbre, statue, et galement pierre prcieuse. En bref, par opposition saxum qui nest que la pierre brute, lapis, cest la pierre travaille. En ce qui concerne ltymologie du mot, Ernout et Meillet ne saventurent pas proposer la moindre hypothse. Ils rejettent mme un rapprochement avec le grec lpas rocher nu car ce mot, disent-ils, est loin pour le sens et suspect dappartenir la famille de l-p , verbe auquel Bailly donne les sens de peler, cosser et Chantraine ceux de plucher, enlever lcorce, donner une rcle, manger. Le mme Chantraine aligne sa position sur celle de ses collgues latinistes : Le prsent radical na de correspondant dans au-cune autre langue. [...] Terme de substrat pour Beekes, Orbis 1971, 132. Dans la notice consacre , Chantraine voque cependant la possibilit de rapprocher ce mot soit de lapis, soit de , sans se prononcer clairement pour lune des deux hypothses, ni dailleurs les rejeter.

    Moins savant et plus imprudent sans doute que ces minentes autorits, nous nous per-mettons nanmoins de contester leurs deux arguments :

    le premier car entre une pierre, aussi travaille soit-elle, et un rocher, il ny a tout de mme pas un norme foss smantique. Cest aussi lavis de Michiel De Vaan4 dont voici une copie de la notice quil consacre lapis : 5

    lapis, -dis stone, pebble [m. d] (Naev.+) Derivatives: lapideus of stone, stony (Pl.+), lapidrius of stone-cutting

    (Pl.+), lapidsus stony (Varro+), lapillus small stone (Varro+); lapicda stone-cutter (Varro+), lapicdnae [f.pl.] (Cato+), lapidicnae [f.pl.] (Varro+) stone-quarries.

    PIt. *la/eped-. It. cognates: U. vaper e [loc.sg.], vapefem, uapefe [acc.pl. + -en], uapersus [abl.pl.], uapersusto [abl.pl. + -to] stone seat. Uncertain: SPic. vipet, epetn, vepeten, iepeten, epetin [loc.sg. + -en]* monument? < *-eto-.

    IE cognates: Gr. [n.] bare rock, mountain, , - [f.] limpet, molluses which stick to rocks (Hsch.).

    Probably a Mediterranean loanword of the structure *lVpVd-. Bibl.: WH I: 761, EM 340f., IEW 678, Schrijver 1991: 486, Untermann 2000:

    823f., 838.

    Notons en effet, ce deuxime cognat dune accentuation et dun genre grammatical diff-rents de ceux de son homographe, le nom de ce coquillage, , que le franais appelle tout simplement lpas ou lepas : cest un coquillage univalve qui sattache aux roches et aux bateaux et dont la dure carapace prsente, comme dailleurs celle de tous les coquil-lages, une vidente ressemblance avec la pierre ;

    4 DE VAAN 2008. 5 Le contenu de cette notice est partiellement repris dans celle que Douglas HARPER consacre lapi-

    deous dans son propre site Etymology on Line (ETYMONLINE).

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    et nous contestons aussi le deuxime argument car a une trs bonne raison dtre apparent , savoir le fait quil entretient avec ce mot la mme relation morphos-mantique que nous avons dj rencontre deux fois dans les paires rps // rump et saxum // sec : les divers sens de ce verbe tels que donns par Bailly et Chantraine se trou-vent en effet tre des dclinaisons de la notion porter un coup (voir annexe, A.1.3.3).

    Une fois admise la parent de lapis avec par lintermdiaire de , on peut al-ler plus loin. Il suffit de consulter la longue notice que Chantraine consacre ce verbe et ses drivs o il nest question que dcailles, dcales, de coquilles, de cosses, dclats de mtal, de pelures dognon, etc. Sans surprise, on y trouvera un autre cognat : lpre, maladie caractrise un premier stade par la formation dcailles, de tubercules et de pustules la surface de la peau . (TLF).

    ce stade o il semble acquis que les radicaux *lap- et *lep- nen forment finalement quun seulqu linstar de de Vaan on pourrait dailleurs crire *la/ep- , il est tentant de nous tourner nouveau vers le latin o nous attend lepus, -oris livre, et vers le franais o nous attend lapin, deux mots que ltymologie traditionnelle traite curieusement par des voies diffrentes quand ce nest pas par un expditif Emprunt une langue mditerra-nenne . Quel rapport ces animaux entretiennent-ils donc avec la pierre ? Aucun, a priori, mme si, via le franais lapereau qui se dit laparo en portugais, on a tent de faire remon-ter lapin au thme ibro-roman *lappa- pierre plate qui serait lorigine du portu-gais lapa roche saillante ; caverne, grotte , attest en 907 dans un texte latin,6, au pr-texte que les lapins tablissent leur repaire souvent dans la terre couverte de pierres.

    Sceptique quant cette hypothseon le serait moins ! , Pierre Guiraud7 propose quant lui un croisement du latin lepus avec le verbe franais lapper manger avec avidi-t, tre gourmand . Nous lui donnons raison mais en partie seulement : en observant la forme et le fonctionnement des incisives caractristiques de ces deux espces, nos anctres avaient qualifi plus justement que par notre fautif rongeurs 8 ces animaux qui mor-daient belles dents leur nourriture : le livre, baptis lepus en Sicile, daprs Varron, tient trs probablement son nom du verbe grec ; et le lapin son nom franais tout aussi probablement dune variante latine *lapo disparue mais dont la ralit est atteste par lexistence du substantif lapis, lequel devait tre *lapo ce que est .

    Il est bien possible que ces radicaux ne soient que mditerranens car on ne leur voit pas de cognats dans dautres langues que le grec et le latin, mais il est plus que probable que tous les mots que nous venons de voir appartiennent une petite famille dont linvariant smantique de base est porter un coup, cest dire le mme qui a t relev par Ernout et Meillet dans les paires rps // rump et saxum // sec. Autour de la volcanique Mditerrane, on nutilisait pas le mme vocabulaire mais on avait la mme vision de la pierre : un fragment de roche, une caille de la crote terrestre.

    6 Le Trsor de la langue franaise (TLF). 7 Dictionnaire des tymologies obscures. 8 Les Lporids sont maintenant classs dans lordre des Lagomorphes.

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    1.3. [lthos] pierre et [ptr] roche, rocher Du point de vue du sens, est ce que lapis est saxum, lun dsignant la pierre travaille et lautre la pierre brute.

    Nous devons au premier lun des composants de nos lithographie, mgalithe et autres termes savants, et au deuximevia le latin petra trs tt emprunt au grecla famille de pierre avec ses deux branches de drivs populaires (ex. pierreux) et savants (ex. ptrifier, ptrole).

    Nous nen savons gure plus sur ces deux vocables. Leur origine est inconnue. Chan-traine ne sy attarde pas ; sa notice tymologie du premier se rsume un mot : Igno-re . Pour le deuxime, ce sera une phrase : Parmi les tymologies numres chez Frisk, aucune nest satisfaisante. Notre mconnaissance de la langue allemande nous interdit de consulter louvrage de cet auteur et cest bien dommage car nous aurions souhai-t vrifier si les hypothses que nous nous apprtons proposer sont vraiment nouvelles.

    Nous aurons effectivement, en conclusion de notre tude, des propositions tymo-logiques faire, aussi bien pour que pour . Mais il nous faudra dabord nous pencher assez longuement sur les dnominations arabes de la pierre. Voyons si le dtour en vaut la peine.

    2. Les dnominations arabes de la pierre

    2.1. aar pierre9 2.2. aan (a) pierraille, cailloux 2.3. qa sable et petits cailloux, gravier 2.4. raml sable 2.5. ar roc, rocher 2.6. undul10 ou andal pierre, rocher 2.7. Synthse

    Remarques gnrales prliminaires

    Tels la matire quils dnotent, les six mots vedettes que nous avons choisis ont perdur travers les sicles. Ils restent aussi usuels en arabe moderne quils le furent en arabe classique, sans changement de forme ni de sens. Cest la raison pour laquelle nous avons choisi de les privilgier. Ce nest pas pour autant que, dans les lignes qui suivent, nous passerons sous silence les mots de larabe classique devenus obsoltes, car ils ont une fonction essentielle, celle de rvler des relations smantiques que le seul examen du lexique moderne aurait laisses dans lombre.

    Notre tude porte exclusivement sur les dnominations de la pierre, non sur les racines exprimant la notion de porter un coup en ses diverses dclinaisons, travail dont la plus grosse partie a t faite par Georges Bohas ou par des tudiants sous sa direction. Nous nous sommes efforc de trouver quelle famille morpho-smantique appartenait chacun de

    9 On retrouve ce mot dans le toponyme espagnol Guadalajara, littralement loued des pierres . 10 ne pas confondre avec lemprunt undl gondole .

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    nos mots titres. Ce faisant, nous avons le plus souvent constat la prsence du paralllisme pierre // porter un coup au sein des racines inventories, mais nous navons pas rejet celles qui ne prsentaient quun seul des composants dans la mesure o elles taient dotes des caractristiques morphologiques de la famille considre, renforant par leur seule existence celle de la famille toute entire.

    Dans la thorie de Bohas, une famille morphosmantique arabe se caractrise par la prsence, au sein des racines qui la composent, dun tymon bilitre de type {C1,C2} porteur dune mme charge smantique. La troisime consonne dune racine trilitre a le statut de crmentprfixe, suffixe ou infixeet la place des consonnes nest ni fixe ni ordonne. Les racines quadrilitres ont deux crments ou sont le rsultat du croisement de deux tymons synonymes ou complmentaires, soit {C1,C2} + {C3,C4}. Les racines trilitres elles-mme peuvent tre le rsultat dun croisement dtymons, soit {C1,C2} + {C2,C3}. On verra que nous avons trs souvent pu constituer dans chaque famille de nombreux sous-groupes de racines composes des mmes consonnes permutes, au point que ces racines apparaissent parfois comme de simples variantes les unes des autres.

    Les glides w et y ntant gnralement pas considrs comme des radicales, les racines trilitres qui en comportent rvlent demble leur tymon. Cest aussi le cas des racines dites sourdes de type C1-C2-C2 et des racines quadrilitres couple redoubl de type C1-C2-C1-C2. Ces racines sont dites non ambiges. Toutes les autres sont dites ambiges car elles pourraient tre construites sur nimporte lequel des trois tymons thoriquement possibles : {C1,C2},{C1,C3} ou {C2,C3}. Seul le smantisme de la racine en question permet alors de dcider lequel des trois tymons est privilgier, et par l quelle famille morphosmantique peut tre associe cette racine ou au moins certains de ses drivs, le lexique arabe ntant pas exempt de cas dhomonymie.

    La thorie de Bohas permet doprer des regroupements lexicaux un niveau submorphmique partir des traits phontiques qui caractrisent les diverses consonnes de larabe et de constituer ainsi des matrices phoniques dtymons synonymes. Chaque matrice a donc son propre invariant notionnel et sa propre arborescence de ramifications smantiques. Au moins trois des matrices rvles ce jourdont la matrice n 5ont porter un coup ou des coups comme invariant notionnel, ce qui a permis Bohas dlaborer le document que nous avons mis en annexe pour nous y rfrer en cas de besoin. Cela tant, nous avons pris le parti den rester gnralement au niveau morphmique, laissant dautres, plus savants en phontique et plus hardis, le soin de constituer sur ces bases des familles plus vastes mais en moins grand nombre. On pouvait nanmoins supposer que certains de nos mots titres relveraient dune mme matrice : on vrifiera que trois dentre eux relvent effectivement de la matrice n 5 et un quatrime de la matrice n 1, deux des trois matrices ayant porter un coup ou des coups comme invariant notionnel.

    2.1. aar pierre tout seigneur, tout honneur. Nous nous devions de commencer cette tude par le substantif qui reste le terme le plus usuel pour dsigner la pierre.

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    2.1.1. Morphosmantisme de la racine Sous lentre r du dictionnaire de Kazimirski, on trouvera, entre autres, les items suivants :

    aar pierre aara empcher quelquun dapprocher, lui interdire laccs ura enclos pour les chameaux ; cabinet, cellule, chambre

    On constate demble dans cette racine la prsence du paralllisme smantique pierre // porter un coup. Les sens du verbe et ceux de ura relvent en effet des items A.7.1. pousser, repousser et A.7.2. protger conserver, garder du rseau smantique de porter un coup (voir annexe).

    On pourrait en rester l et passer au mot titre suivant. Mais les plus sceptiques de nos lecteurs risqueraient de critiquer la lgret avec laquelle nous traiterions la premire de nos vedettes en nous appuyant sur le seul fait que les notions de pousser et de protger auraient quelque chose voir avec porter un coup ou couper. Et ils auraient raison. Voyons donc dabord ce quil en est de la morphologie et des liens de parent que la racine r entretient avec dautres racines arabes ou plus gnralement smitiques.

    La premire racine quil vient lesprit de rapprocher est r blesser ( l'arme blanche), faire une coupure dans la chair : daucuns diraient que les deux racines pour-raient effectivement tre apparentes, au moins par le forme, au prix dune simple mta-thse. Nous prfrons dire que ces deux racines ont peut-tre le mme tymon {,r} affect du mme crment , en position initiale ou prfixe dans lun, en position finale ou suf-fixe dans lautre. Il se trouve que, dans la thorie de Bohas, cet tymon, dot de la charge smantique porter un coup, relve de la matrice 5 {[coronal],[dorsal]} porter un coup ou des coups. Voyons donc ce quil en est de la ralisation de cet tymon dans une racine non ambige, la racine rr. Aux formes verbales I et IV de cette racine, on trouve effective-ment les significations suivantes :

    arra I. extraire, arracher, faire sortir ; fendre la langue un petit chameau IV. porter un coup de lance

    Or, sous cette mme entre, dans le dictionnaire de Kazimirski, on trouve galement :

    arr coquillages ou autres petits objets quon attache au cou des animaux en guise dornement arrra terrain dprim, encaiss, couvert de cailloux11

    ara sol dur et rocailleux nest lvidence quune extension du radical r- par redoublement de la premire radicale.

    On peut ajouter le tigr grgr rocher, falaise, trouv dans le DRS, fasc. 3, p. 181, et lamharique gurangur terrain pas trs pierreux... mais quand mme un peu ! (id. p. 189).

    Ce sont des racines quadrilitres obtenue par redoublement du radical GR-, plus un in-fixe nasal pour la deuxime.

    11 Curieusement, ne sont signals dans le DRS sous la racine GRR (fasc. 3: 191-192), ni les sens du verbe

    fendre la langue un petit chameau IV. porter un coup de lance, ni les deux substantifs que nous donnons ici, alors que ces donnes sont pour nous, on le voit, essentielles.

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    Voil donc qu limage de ce que nous avons constat en grec et en latin, nous trou-vons associs sous une mme racine smitique, extensions comprises,

    un verbe exprimant la coupure, un nom dsignant un rocher ou une falaise, plusieurs noms dsignant un sol dur, un terrain pierreux, rocailleux ou caillouteux, et un nom dsignant des coquillages.

    Sil ne sagit que dune concidence, avouons quelle est pour le moins troublante. la lumire de ce qui prcde, nous ne pensons pas quil soit ncessaire de chercher

    dans aar un autre ymon que {,r}. Ne disposant pas dautres racines non ambiges construites sur cet tymon examiner, voyons donc ce quil en est des racines ambiges.

    2.1.2. Racines ambiges probablement apparentes Notre hypothse sera conforte par la prsence du paralllisme pierre // couper dans de nombreuses racines ambiges.12 Certaines sont isoles13 mais la plupart constituent des sous-groupes autour de leurs consonnes communes permutes ; cest par elles que nous commencerons, le crment en italiques permettant de les diffrencier :

    Groupe -r-b

    urb blocs de pierre servant dassise (DRS, fasc. 3, p. 178) arb (terre) frappe de scheresse et de strilit

    sudarabique rb pierre brute (DRS, id.) arab gale14

    hirb grand de taille (homme) Pour la forme, cette racine quadrilitre peut tre considre comme une extension prfixe de rb. Pour le sens, nous rencontrerons plus loin dautre cas o la pierre est non seulement synonyme de duret mais aussi de solidit et par extension de force, de grandeur, de grosseur, dpaisseur.

    syriaque garbedd morceau de rocher (DRS, id., p. 179) amharique gwarbaa ingal (terrain) ; noueux (bois) (DRS, id.)

    Groupe -r-d urda sol uni et nu, o rien ne crot Implicitement, cest un terrain qui sapparente la

    pierre. arada oter, enlever (p. ex. les feuilles des arbres, la peau, etc.) tigr grdd ronger Voir annexe A.1.3.3. Pour la peau qui ple, cf. grec et .

    12 Le Dictionnaire des racines smitiques, fasc. 3: 175 et suivantes, signale bien que de nombreuses

    racines en GR- ont la valeur couper > enlever, arracher, casser, etc. mais il ne fait pas de lien avec plusieurs dsignations de la pierre quon trouve sous ces mmes racines.

    13 Voir plus bas, note 16. 14 Cette maladie de la peau nous rappelle que nous avons plus haut rencontr lpra dont

    lquivalent arabe est bara. On notera la prsence de ltymon {b,r} dans ces deux termes. Autrement dit, arab rsulte probablement du croisement des tymons {,r} et {b,r}.

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    Notons galement que larabe gura dsigne les murids...

    adara faire lever une muraille autour de qqch adr mur, muraille adra enclos fait de pierres pour les bestiaux Mur et muraille sparateurs, et enclos explicitement fait de pierres.

    adara avoir des pustules, sen couvrir ; contracter des callosits Comme nous lavons vu en 1.2., nous retrouvons ici les pustules de la lpre, de la peau malade, qui ple. (Cf. arada ci-dessus). On sait par ailleurs que cal et caillou ont une mme origine celtique.

    Groupe -r-z ariza tre pais et dur araza couper, retrancher hbreu garzen hache, pic roc (DRS, id., p. 185) azra le

    Une le est bien un fragment spar du continent, avec un sommet rocheux ayant rsist lrosion.

    azara gorger, tuer (une pice de btail)

    Groupe -r- hadrawi ara meule bras

    Lhadrawi nous procure le nom manquant, celui de cet antique outil en pierre. araa casser, piler gros, grossirement araa VIII. enlever, emporter, happer

    Tous ces verbes franais sont des dclinaisons de porter un coup. Nous naurons dsormais plus besoin de le rappeler.

    ara source dans un terrain couvert de cailloux ; cailloux Cette racine quadrilitre est une probable extension prfixe de r ci-aprs.

    araa VII. se fendre ; tre gerc, crevass Sans commentaire.

    Groupe -r-f urf, uruf terre que l'eau du torrent ronge et emporte ; berge, bord rong par leau ; pl.

    urf pierre, digue en pierre Notons cette premire apparition de berge, bord. Il y en aura dautres.

    arafa enlever, emporter tout, en balayant, d'un coup de balai ou de pelle Voir plus haut araa. Sans autre commentaire.

    faara faire jaillir leau en fendant un rocher faraa fendre, pourfendre Notre paralllisme nest avr dans aucune de ces deux racines quoique la biblique prsence du rocher dans la signification du premier verbe ne soit certainement pas fortuite. Quant au deuxime verbe, il semble bien ntre quune variante du premier. Quoi quil en soit, nous nous devions de signaler lexistence de ces deux racines au sein du groupe -r-f.

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    Groupe -r-m aram noyau de datte hbreu gerem, syriaque germ os, noyau arama couper, retrancher ; prendre, enlever Sans commentaire.

    ammara jeter des cailloux imr petits cailloux quon jette, pendant les ftes de la Mecque, la valle de Muna, selon les crmonies dusage, comme pour lapider Satan ; pierre spulcrale umra braise allume, charbon ; espce de pustules qui se dclarent sur le corps ; cailloux, petits cailloux dont le lit des torrents est jonch

    ammara couper un palmier Sans commentaire.

    umhr monticule de sable amhara enlever la meilleure partie d'une chose Cette racine quadrilitre est une probable extension de mr par linfixe guttural h. On peut aussi la considrer comme relevant du groupe -r-h avec infixe nasal m. Nous la retrouverons donc plus loin.

    raama lapider raam, ruum, ruma tas de pierres jetes sur un cadavre rim grande pierre ; pierre attache au bout d'une corde pour agiter la vase au fond du puits

    raama loigner, repousser qqn coups de pierres ; couper, arracher, sparer du tout Sans commentaire.

    marn corail maria tre en dsarroi, se dranger, se dsorganiser IV. violer, enfreindre un pacte,

    une alliance Le nom marn a fait lobjet dun article de Michel Masson 15 dans lequel lauteur dmontre lorigine smitique de ce mot et son rattachement la racine mr mais par un autre cheminement que le ntre. Les deux dmonstrations se confortent plus quelles ne sopposent.

    La locution nominale har wa-mar grande confusion, justement cite par Masson, nous fournit la meilleure transition possible vers le groupe suivant.

    Groupe -r-h umhr monticule de sable amhara enlever la meilleure partie d'une chose Racine quadrilitre vue plus haut dans le groupe -r-m.

    Nous navons dans ce groupe pas dautres racines prsentant le paralllisme pierre // cou-per mais nous en avons plusieurs prsentant lun ou lautre de ses composants :

    Deux racines trilitres : har dsordre, troubles et meurtres Signal plus haut en compagnie de mar dans la locution har wa-mar. Pour le lien smantique avec porter un coup, voir annexe, B.2.

    15 MASSON 2013b.

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    haara rompre avec qqn et s'loigner ; abandonner, dlaisser (une chose) hira rupture, sparation, cessation de rapports entre les personnes qui ont t amies ; loignement, dpart ; manire de se sparer, de rompre ses relations avec qqn ; migration d'un pays dans un autre ; Hgire.

    Quatre racines quadrilitres : haris verglas Nous rencontrerons dautre cas o gel, glace et verglas sont assimils la pierre. hirs gros, corpulent Mme composition consonantique que la prcdente. harl grands, longs (hommes) ; gros, normes (chameaux) awhar bijou, pierre prcieuse notre avis, il existe probablement deux awhar homonymes, celui-l, dorigine smitique et apparent aar , et awhar essence, substance, nature, qui est un emprunt au pehlevi ghr, id., do le persan gawhar.

    Racines isoles16 r arua, araa terrain sablonneux, monticule de sable hbreu gra tailler la barbe, raccourcir, ter syriaque gera tondre

    rt rita roc, rocher rataa fermer, barricader une porte

    sudarabique gert dune de sable araa blesser ( l'arme blanche), faire une coupure dans la chair

    Le paralllisme est si vident dans ces paires quelles se passent de commentaire.

    2.1.3. Racines ambiges avec le seul smantisme pierre Pour les deux racines ci-dessousqui nen font peut-tre quunenous avons bien le pre-mier composant du paralllisme, la pierre, mais, sauf erreur, nous navons pas le second :

    arala tre pierreux et dur aral terrain pierreux o il se trouve des arbres aril pierreux et dur (terrain)

    arwal, urawil, urla terrain pierreux ; pierres, rochers Cette racine quadrilitre peut tre considre comme une extension infixe de rl.

    rl aral dur et raboteux, sem de pierres (sol) harl grands, longs (hommes) ; gros, normes (chameaux) Cette racine quadrilitre, dj vue plus haut dans le groupe -r-h, peut aussi tre considre comme une extension prfixe de rl.

    On voit que aral a de fortes chances dtre apparent aril plutt qu la racine rl homonyme dont le smantisme est pied. Ce nest quartificiellement et par tymologie populaire quon le rattache cette dernire en disant, comme on le lit, non sans sourire,

    16 Racines isoles signifie que je nai pas trouv dautres racines avec le mme crment pour pouvoir

    constituer un groupe.

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    chez Kazimirski, ... et qui endommage promptement le pied du piton. Cela dit, cest tout de mme une allusion laspect tranchant de certaines pierres aux artes particulirement aiguises.

    2.1.4. Rcapitulons On trouve en arabe la squence bilitre -r- (plus rarement -r-) dans un nombre relativement important de racines dont un verbe driv a fondamentalement un ou plusieurs des sens suivants : couper, fendre, briser, peler, etc., ou un sens driv : arracher, oter, enlever, loigner, repousser, blesser, tuer, etc. Lune de ces racines est r dont le verbe aara a le sens de empcher quelquun dapprocher.

    Dans un nombre infrieurmais qui reste significatifde ces mmes racines, il se trouve un ou plusieurs substantifs qui dsignent la pierre ou un objet assimilable la pierre. Lune de ces racines est r sous laquelle on trouve le substantif aar, le terme le plus usuel pour dsigner ce minral.

    On peut raisonnablement penser quil en va de la paire aar // aara comme de rps // rump et saxum // sec : cest un mme rapport smantique pierre // couper qui relie, dans chacune de ces paires, un terme lautre. La perception de la pierre est la mme en latin et en arabe : cest un fragment dtach de la roche.

    Voyons ce quil en est de nos autres mots vedettes.

    2.2. aan/a pierraille, cailloux

    2.2.1. Morpho-smantisme de la racine

    aan/a pierraille, cailloux ; calcul, gravelle, pierre dans les reins ou dans la vessie a jeter des cailloux contre qqn

    Cette racine, qui se trouve tre non ambige, relve de ltymon {,}. 17 Et notre paralllisme smantique pierre // porter un coup y est patent.

    Avec plusieurs autres racines non ambiges, et dont certaines prsentent notre parall-lisme, elle est en bonne compagnie :

    u terre, sol // aa raser le poil, les cheveux a i scarter, sloigner de la ligne droite ; viter, fuir qqn a u retenir, empcher qqn dapprocher de qqch ii terre ; pierres wa petits boutons qui viennent sur visage dune jeune et jolie fille Une affection de la peau... a sol nu, strile aw berge, bord dune rivire, bord lev comme un mur // a fendre Notons ce aw berge, bord dune rivire, nous en reparlerons.

    17 Dans la thorie de Bohas, cet tymon est trait mais avec dautres charges smantiques. Voir notam-

    ment BOHAS & BACHMAR 2013: 71 et BOHAS & SAGUER 2014: 279.

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    2.2.2. Racines ambiges probablement apparentes

    On verra que la plupart des items ci-aprs se passent de commentaires.

    Groupe --b aab cailloux aaba caillou ; rougeole Une autre affection de la peau... aaba joncher, couvrir de petits cailloux ; jeter, lancer des petits cailloux sur qqn ;

    frapper qqn ; abandonner qqn, se sparer de son compagnon

    aaba corcher, dpouiller de sa peau

    Groupe --r ur constipation Duret du ventre. ir enclos Cf. ura enclos pour les chameaux

    ar champ dpourvu de vgtation ; au pl. Sahara ura fente, crevasse dans un rocher ara sol dur

    araa fendre, percer (la peau), casser (la tte)

    Groupe --f af noyau afaa jeter, lancer

    uff tablette mince en pierre (ardoise) af rocher en mer af sabre large lame

    aafa loigner, mettre une grande distance ; aifa tre galeux Une autre affection de la peau...

    Groupe --m am petits cailloux aama casser, briser

    im sol dur et raboteux am dur (sabot) ama fort, brave, hardi

    Racine isole aana tre fort an fort, fortifi ; solide (cuirasse) aina fers, pointes des lances

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    2.3. qa petits cailloux, gravier

    2.3.1. Morpho-smantisme de la racine

    qa sable et petits cailloux, gravier qia grosse pierre informe ; sol jonch de petits caillous

    qaa percer, perforer une perle ; amincir un pieu, le tailler lextrmit

    Cette racine, qui se trouve tre non ambige, relve de ltymon {q,}, 18 ce qui est confirm par sa prsence au sein de la matrice 5 {[coronal],[dorsal]} porter un ou des coups de Bohas.

    Notre paralllisme smantique y est patent. Avec plusieurs autres racines non ambiges qui prsentent toutes notre paralllisme,

    elle est en trs bonne compagnie :

    qaq sol gal et uni qaqaa fracasser, broyer (en parlant du lion et des os de sa proie)

    qa solide (cuirasse) qa i dcider, trancher

    qa fragment, clat dos qa i casser (son uf) qa u dfaire, sparer les parties qui tenaient ensemble

    2.3.2. Racines ambiges probablement apparentes Le contenu de cette sous-partie se passe de tout commentaire.

    Groupe q--b qabaa fermer la main en contractant les doigts ; resserrer le ventre, causer une

    constipation qubba sorte de tortue qubn crocs enfoncs dans le murailles pour y accrocher qqch

    qaaba et qaraba couper

    qaab gros, pais ; robuste, fort qaaba draciner, arracher Cette racine quadrilitre peut aussi figurer dans le groupe suivant selon linfixe considr. Nous ly rptons pour quelle accompagne la seule autre racine qui sy trouve.

    Groupe q-- qu gravier, morceaux qui se dtachent du bas des murs qaaa couper

    qaab gros, pais ; robuste, fort qaaba draciner, arracher

    18 En fait nous aurions pu crire la squence q car, comme on le constatera, le corpus de cette partie

    ne contient aucune racine apparente construite sur la squence q.

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    Groupe q--m qam tout ce qui est sec et craque sous les dents qaima grignoter, croquer du bout des dents

    qarama couper

    Racines isoles qaaf pierres minces qaafa monticule sablonneux ; tertre form par les pierres et

    largile qf VII. tre t de sa place et port ailleurs (se dit des grains de sable)

    naqyi morceaux de coque dun oeuf cass ; fragments, morceaux casss naqaa disjoindre, dtraquer ce qui tait joint ; rompre (un contrat)

    qaryi rognures, coupures qaraa couper, rompre, couper en rongeant

    Nous ne sommes qu mi-chemin et dj cette tude devient monotone et rptitive. Les moins sceptiques de nos lecteurs sont sans doute maintenant convaincus que le lexique arabe de la pierre prsente de fortes similitudes smantiques avec son homologue latin. Mais rappelons que nous avons galement la prtention dclaircir par cette deuxime partie des points rests obscurs dans la premire. Au risque de susciter lennui, il nous faut donc poursuivre pour rduire par le nombre la part du hasard dans les concidences. La prsentation de moins en moins commente des donnessauf ncessit absoluenous permettra davancer plus vite.

    2.4. raml sable

    2.4.1. Morpho-smantisme de la racine raml19 sable ramala enrichir un tissu de perles, de pierres prcieuses armla chicot dune branche qui a t spare du tronc armal veuf, veuve

    Du point de vue de la forme, nous bnficions dun travail de recherche prcdent effectu pour notre tude sur le nom arabe de la pyramide.20 Nous savons donc dj que la racine rml relve de ltymon {r,m} et que lune des charges smantiques de cet tymon est justement pierre.

    On constate dans la racine rml la prsence du paralllisme smantique pierre // couper partir du sens de armla. On notera en passant que le veuvage est peru comme une coupure du couple par larrachement dfinitif dun de ses membres lautre.

    On dispose de trois racines non ambiges construites sur cet tymon :

    raym et rayma colline, tertre ; tombeau rma se sparer de qqn, sloigner (Voir annexe n A.1.S.3.)

    marw silex 19 Do lespagnol rambla. 20 J.C. ROLLAND 2017.

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    mar i donner qqn des coups de fouet O lon voit, incidemment, que les deux glides nen font quun.

    marmar marbre marmara tre en colre (Voir annexe, A.6.4.)

    2.4.2. Racines ambiges probablement apparentes

    Groupe r-m- aram cailloux iram grosse pierre destine indiquer le chemin dans le dsert Pl. urm pierres spulcrales des Adites arama mordre qqch, enfoncer les dents dans qqch

    amara petite pierre qui indique la route Cette racine na pas llment porter un coup > couper, mais on peut penser que le sens premier de amara ordonner tait trancher aux sens propre et figur. (Cf. fr. ciseau, dcider).

    Groupe r-m- Les consonnes r et m taient prsentes dans les racines du groupe -r-m que nous avons rencontres plus haut (2.1.2.) dans le cadre du chapitre consacr aar. Ces racines sont donc le rsultat du croisement des tymons {,r} et {r,m}. Il tait inutile de reproduire ici ce groupe in extenso.

    Groupe r-m- ram rochers crevasss arama couper de manire sparer une chose dune autre

    rum marbre rm II. adoucir la prononciation dun mot en retranchant quelque son dur

    Groupe r-m- ram pierres de btisse (avec lesquelles on btit en les posant les unes sur les autres) raama jeter violemment terre

    ram sol jonch de cailloux, cailloux rama tranchant, tat de tout ce qui est tranchant, aigu

    umruz sol dur amraza pays dont le terrain est raboteux et o l'on vite de voyager la nuit

    Groupe r-m-h hamir grande masse de sable ; gras et gros yahmr masse de sable hamara frapper avec violence le sol avec ses sabots (cheval) III. enlever, emporter tout

    haram pyramide

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    Racines isoles imra en gn., grosse pierre ; de l, grosse pierre qui ferme un rservoir d'eau et

    lempche de s'couler au dehors, et grosse pierre qui masque la retraite du chasseur ; grosse pierre dont on ferme le tombeau

    amara gratter et oter la peau extrieure ; corcher (un mouton) ; raser (la tte)

    rama gros rocher noir raama briser, casser

    smr diamant samara crever lil ; lancer une flche

    ammr diamant amara lancer une flche

    arma monticule de sable arama couper, retrancher en coupant

    kurtum ou kurtm rocher, grosse pierre kirtm hche, cogne pour abattre et couper du bois

    murd monticule de sable marada couper, retrancher en coupant

    2.4.3. Racines ambiges avec le seul smantisme pierre

    Groupe r-m- rm yarma pierres plates, molles et friables

    amar sol dur et raboteux

    irmis pierre

    amra petit bijou que l'on met entre des perles enfiles pour les sparer

    Racine isole mart ou mirt dsert, nu et humide (lieu)

    2.5. ar roc, rocher

    2.5.1. Morpho-smantisme de la racine ar roc, rocher, pierre norme et trs dure Cette racine, qui noffre pas dautre smantisme que celui de la roche, relve trs proba-blement de ltymon {,}.21 Cette hypothse se vrifie par le smantisme des quatre ra-cines ci-dessous dont trois sont non ambiges :

    21 Au sujet de cet tymon, on lira dans BOHAS & BACHMAR 2013: 146: Des ralisations sont attestes

    dans les deux sens [cest--dire : - ou -] mais il est impossible dtablir une relation entre elles. Cette partie de notre tude apporte la preuve que cela est au contraire bel et bien possible.

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    aa frapper un corps dur, cogner

    ayd dur (rocher) ayadn duret dun rocher Ce quadrilitre est naturellement ambigu mais il semble bien ntre quune extension par suffixe dune racine w ou y non ambige sous laquelle on trouve a tumeur sur los cause par un coup ou une morsure

    uya testicule a i couper, chtrer (un cheval entier) aiyy chtr, coup ; castrat, eunuque

    Lexamen de ces trois racines nous permet non seulement de dterminer ltymon de ar avec un fort pourcentage de probablit, mais il confirme aussi la prsence du paralllisme smantique pierre // porter un coup dans une nouvelle famille, celle de ltymon {,}. Ce nest pas une famille trs nombreuse mais on y trouve tout de mme quelques racines ambiges probablement apparentes. Le paralllisme y est si explicite que nous pourrons nous passer de commentaires.

    2.5.2. Racines ambiges probablement apparentes

    Groupe --r

    Aux cts de notre mot vedette, on trouve dans ce groupe, avec radicales permutes :

    ir digue ; chameau grand et robuste ar bord dun fleuve ; le ir lance mince ar lance, fer de lance ar fer de lance

    arba pierre trs petite et luisante quon rencontre dans le sable ; coquillage (conque de Vnus)

    arbaa sparer plusieurs choses les unes des autres

    noter tout particulirement : La prsence dun nouveau coquillage. Une nouvelle apparition du bord ou rivage.

    Groupe --m am sol pierreux amaa blesser qqn la cavit de loreille ; donner un coup de poing sur qqch de creux am terrain pierreux aama VIII. couper (se dit dun sabre qui coupe son fourreau)

    Racine isole aua tre une masse ax dur, dsagrable (parole) IV. effrayer, pouvanter qqn (Cf. annexe, A.1.S.4.) ; manquer le but en lanant une

    flche (Cf. annexe, A.2.6.)

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    2.6. undul ou andal pierre, rocher

    2.6.1. Morpho-smantisme de la racine La racine ndl de notre dernier mot vedette est quadrilitre. Sous cette racine, on trouve galement le verbe andala jeter par terre. Du point de vue morphologique, elle peut tre considre comme une extension par infixe nasal de la racine dl sous laquelle on trouve le verbe adala qui signifie lui aussi jeter par terre. Et jeter quelque chose, cest sen spa-rer, comme nous lavons dj vu plusieurs reprises dans les pages prcdentes. On cons-tate donc dans la racine ndl la prsence du paralllisme smantique pierre // porter un coup. Reste dterminer ltymon de cette racine.

    La premire combinaison thorique, {,d}, est assez fructueuse pour que nous puissions nous passer dexaminer quels rsultats donneraient les deux autres, dautant plus en sachant que dans la thorie de Bohas, cet tymon, dot de la charge smantique porter un coup, relve de la matrice 5 {[coronal],[dorsal]} porter un ou des coups.

    Construites sur cet tymon, on dispose effectivement de deux racines non ambiges : La racine sourde dd adad terrain uni et dur udd, idda, udda bord, rivage dun fleuve ; littoral ;

    Djedda Notons cette troisime apparition du bord ou rivage (cf. 2.1.2. groupe -r-f, p. 385; 2.5.2. groupe --r, p. 394). adda couper, retrancher, tailler La racine quadrilitre redoublement dd adad, adada sol plat et dur udud inflammation de lil, pustule qui nat la naissance de la prunelle Troisime apparition de la pustule, symptme dune maladie de la peau (cf. 2.1.2. groupe -r-d, p. 384 et groupe -r-m, p. 386)

    Dans les deux racines, le paralllisme smantique pierre // porter un coup est patent.

    2.6.2. Racines ambiges probablement apparentes La plupart des items se passent de commentaires.

    Groupe -d-l Aux cts de notre racine vedette, on trouve dabord dans ce groupe la racine dl dont on a vu quelle en est probablement lorigine :

    adl dur ; tombeau adil dur ; fort, robuste adla terre couverte dun sable fin adala jeter, renverser par terre

    Cette racine fertile est aussi probablement lorigine dune autre racine quadrilitre par insertion dun infixe guttural : adal ou udul grand et gros ; fort, robuste adala renverser, jeter par terre

    Avec radicales permutes : alada, alida prouver une forte gele et en souffrir (sol cultiv) aluda tre fort, robuste, dur alad cuir, peau ; duret, endurcissement ; terrain uni et dur ald gele

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    aramen gilda testicule alada frapper sur la peau et lendommager, fouetter qqn ; corcher une pice de btail ;

    renverser, jeter qqn terre

    Quant au nom quadrilitre almad ou almd grosse pierre, rocher, apparemment sans correspondant verbal, il peut tre associ aussi bien ce groupe (ld + infixe m) quau suivant (md + infixe l).

    Groupe -d-m amd gele, glace, solide (non liquide) umd sol lev et dur amad glace, sol lev

    et dur amada couper almad, almd grosse pierre, rocher dim ferme, solide

    Groupe -d-r adara avoir des pustules, sen couvrir ; contracter des callosits adara faire lever une muraille autour de qqch adr mur, muraille adra enclos fait

    de pierres pour les bestiaux

    urda sol uni et nu, o rien ne crot arada oter, enlever (p. ex. les feuilles des arbres, la peau, etc.)

    Nous avons dj rencontr ce groupe en 2.1.2. On peut en dduire que ces deux racines rsultent du croisement des tymons synonymes {,r} et {,d} porter un coup.

    Racines isoles : adaf tombeau adafa couper un membre du corps

    ahd sol dur et strile ihd lutte, combat (Cf. annexe, A.6.1.)

    adb qui souffre de la strilit (lieu, pays, sol) akkadien (a)gadibb- soc thiopien gdb hache

    2.6.3. Racines ambiges avec le seul smantisme pierre

    Groupe -d-s dis dur et ferme ; terrain sec, dur, inculte asad perles ; chameau gros, pais

    Groupe -d-n anad terrain ingal et rocailleux danaa fixer, raffermir solidement

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    Racines isoles : aad solide ada sol dur

    Nous voici enfin arrivs au terme de cette partie de notre tude consacre aux dnominations arabes de la pierre. Avant de faire la synthse de nos observations, il nous a paru utile dajouter quelques racines supplmentaires dans lesquelles on observe le mme paralllisme smantique que nous avons relev dans nos six mots vedettes et leurs apparents :

    barada limer barad grle Les deux mots sont toujours usuels.

    bal pav Mot usuel. Larabe classique a connu balaa frapper qqn loreille avec le bout de lindex

    III. se battre au sabre ou au bton

    awt aa voix rocailleuse Mot usuel. Larabe classique a connu a endroit pierreux, ingal et dur a sol sem

    de caillous // aa briser, casser, broyer

    abal rocher blanc, granit Mot usuel. Larabe classique a connu abala couper, retrancher

    alaba couper, retrancher, abattre ulb sol dur et strile Les deux mots sont obsoltes.

    faa casser, rompre, briser Mot usuel. Larabe classique a connu faa terrain rocailleux

    mahw petites pierres minces, brillantes et transparentes ; perles mah u porter qqn un coup violent Les deux mots sont obsoltes.

    2.7. Synthse de nos observations Ds notre introduction, sans tre gologue ni minralogiste et sans pousser jusqu la lune,22 la simple connaissance du monde nous avait permis dnumrer, du grain de sable au rocher, divers types de pierre en fonction de leurs volumes, de leurs formes ou de leurs usages, depuis la meule du meunier jusqu ldification des digues, routes, ponts, murs, tombes et pyramides. Il semble quavec les six mots arabes que nous avons mis en vedettes et leurs apparents respectifs nous en ayons fait un honnte inventaire. Ces six mots du langage usuel nous ont mme amen rencontrer en route des termes plus spcifiques comme le charbon, le marbre, le silex et le granit. 22 Nous aurions pu : dans lUnivers, la lune nest quun gros grain de sable, une poussire dtoile ; on

    peut considrer le nom qamar comme construit sur ltymon {r,m}. (Voir 2.4.1.). Voir aussi en 3.2. la racine BDR.

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    Nous avions galement numr divers objets pouvant tre assimils ou compars des pierres : noyaux, dents, fragment dos, coraux, coquilles duf, coquillages, testicules... Ils ont tous apparu, plus quelques autres auxquels nous navions pas dabord pens :

    en premier lieu le sol dur, sec, strile, o rien ne pousse ; ce nest pas de la pierre mais cest tout comme ; le dsert, en somme ;

    les surfaces geles, la glace, le verglas ; les perles, la carapace de la tortue ; les callosits de la peau, le poing ferm et mme le ventre constip.

    Nous savions que la pierre tait symbole de duret, plus encore en arabeelle est om-niprsente dans le monde arabophonequen indo-europen o larbre en gnral et le chne en particulier lui disputent ce rle.23 Nous avons dcouvert que cette caractristique naturelle se dploie en un faisceau de drivations smantiques dordre physique ou moral : solidit, force, robustesse, grosseur, grandeur, paisseur, hauteur ... Les hommes et les chameaux qui en imposent sont dfinis par des mots vocateurs dun nom de la pierre ; on dit bien en franais Cet homme, cest un roc.24

    Quant au rapport smantique de la pierre avec laction de porter un coup, qui parcourt toute cette tude, il faut bien reconnatre quil nest pas trs surprenant : nous avions demble rappel que la pierre taille et surtout quelle est taille. Do, semble-t-il, le peu de cas fait de ce rapport par ltymologie traditionnelle dans la paire rps // rump, sans doute considr comme une vidence ne mritant pas une attention particulire.

    Ce rapport nallait pas forcment de soi pour larabe : sauf avoir lu quelque part et il y a bien longtemps que si le nom arabe de lle est driv dune racine ayant le sens de cou-per, cest parce quune le est ou semble coupe du continent. Mais une le nest pas une pierre, ce nest quune mtaphore de la pierre. Le nombre de fois o nous avons pu vrifier ici la ralit du rapport pierre // porter un coup en arabe confirme son existence la fois en smitiqueo le cas de lle est loin dtre le plus flagrantet en indo-europen pour la paire grco-latine lapis // . Nous savons maintenant que, depuis les origines du langage, la pierre a d tre considre comme le rsultat dune fragmentation : les hommes ont trs vite compris que le destin du rocher tait un tas de sable.

    Mais lintrt de notre tude pour ltymologie indo-europenne ne se limitera pas cette confirmation. Nous avons en effet la hardiesse de penser que nos observations pour-raient aussi apporter quelque lumire sur les origines des mots grecs et sur lesquels, un peu moins dmuni quau dbut de notre recherche, nous allons maintenant revenir.

    23 Le franais dur et langlais tree sont issus de la racine IE *deru- dur . 24 Le docteur [...] se dresse, calme et puissant, au-dessus de cette petite pave; cest un roc , J.-P.

    SARTRE, La Nause, Paris: Gallimard, 1938: 94.

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    3. Retour sur [lthos] et [ptr]

    3.1. grec [lthos] Puisque le grec est sans famille dans sa propre langue, le cas du couple lapis // nous incite aller voir du ct du latin. On y tombe demble sur un mot qui sen rap-proche fort, du moins dans la forme : ltus, -oris rivage de la mer, cte, littoral. Et cest sans grande surprise quon lit son propos dans le DELL : Aucun rappochement sr .

    Et pourtant, rappelons ces paires que nous avons trouves pour larabe :

    urf, uruf berge, bord rong par leau arafa enlever, emporter tout, en balayant, d'un coup de balai ou de pelle

    ar bord dun fleuve ar fer de lance

    udd, idda, udda bord, rivage dun fleuve ; littoral adda couper, retrancher, tailler

    aw berge, bord dune rivire, bord lev comme un mur a fendre

    quoi nous pouvons ajouter le tigr grgr rocher, falaise et au moins une racine arabe associant clairement la pierre au bord :

    ibr ou ubr marge, bord // ubr ou ubur ou abbra terrain couvert de petits caillous abar glace, eau gele ibra ou abra pierres ; clat, morceau de rocher ou de fer ubra pierres dures abr colline rocailleuse

    lvidence, larabe peroit la rive comme une coupure. Tel le vent frappant les pics des sommets, leau des oueds et des ocans, repue dune terre friable promptement engloutie et dissoute, se heurte la roche des rives ou des rivages, la longe, la ronge et lentement la faonne. Le lexique arabe apporte la preuve quil y a bel et bien un lien smantique fort entre les mots qui dsignent la pierre et les signifiants de la rive, entre les noms de la dune ou de la digue et ceux du littoral. Et donc, trs probablement, en indo-europen aussi, entre le grec et le latin ltus.

    Reste savoir do viendrait le couple // ltus. Certainement dun mot unique, seul ou rare vestige dune langue mditerranenne depuis longtemps disparue, moins quil ne soit issu de la branche celtique dune racine indo-europenne en *pl- comme *pl- dchirer ou *pel- peau, peler dont le thme *pel-(i)-s- rocherau vu de ce que nous sa-vons maintenantnest probablement quune extension. Notons avec prudence que lhypothse celtique pourrait convenir pour les mots germaniques dsignant le plomb, tels langlais lead, galement dorigine incertaine. En glosant [plla] par , Hsy-chios nous donnait peut-tre sans sen douter la clef de leur commune origine.

    Notons que lordre *pl- de ces racines est exactement linverse de celui que nous avons retenu plus haut comme tant la source de lapis et des ses apparents grecs et latins. Comme nous lavons constat plusieurs reprises en dautres occasions, on voit une fois de plus que le non ordonnancement des consonnes radicales nest pas propre au domaine s-mitique.

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    3.2. grec [ptr] Le cas de est plus problmatique. Ce mot est non seulement sans famille grecque mais on ne voit pas quel mot latin pourrait lui tre apparent.25 Watkins le pense driv de la racine *per- 2 conduire, passer par-dessus via une forme suffixe *per-tr- mais le lien smantique propos par cet auteur est forc et peu convaincant.26

    Dans ces cas-l, notre raction habituelle est de nous tourner vers le smitique, ne se-rait-ce que pour vrifier sil ny aurait pas quelque possibilit de rapprochement possible, quil soit savant ou naf. Notons que nous avons en cette matire et sur le mme thme dminents modles : Chantraine opte pour une origine smitique du grec [bizakn] petits cailloux

    dont ltymon pourrait tre laramen bizq27 dbris, petite pierre ; Michel Masson28 propose de rapprocher le grec [khliks] caillou, gravier et ses

    variantes [kkhlks], [kkhlaks] petit caillou dans une rivire de lhbreu alluq caillou dans une rivire.

    Nous voil doublement encourag proposer une origine smitique du mot grec . Nous allons dire sur quoi nous fondons cette hypothse.

    1. Phontiquement, nous savons par dautres cas demprunts similaires,

    quun - initial correspond gnralement un p- en akkadien et un f- en arabe ; quen deuxime position, une dentale ou une interdentale peut alterner avec une

    sifflante ; que cette deuxime radicale peut tre sourde, sonore ou emphatique.

    2. Smantiquement, nous savons maintenant quun nom smitique de la pierre a de fortes chances de relever dune racine dont le sens premier est porter un coup.

    la fin de la sous-partie 2.6., nous avions relev une paire correspondant aux critres que nous venons de poser :

    faa terrain rocailleux, lev // faa casser, rompre, briser

    En poursuivant notre cueillette, nous en avons glan dautres :

    fatta craser, broyer qqch entre ses doigts ; fendre (les pierres) fadara II. se casser, tre bris, cass en petits et grands morceaux fdira rocher

    dtach au haut dune montagne fadfad sol uni et dur // fadfada courir en se sauvant devant lennemi fusayfis coquillage ; mosaque // fasfas sabre mouss (sabre) fl mafil monceau oblong de sable ; tas de silex // faala sparer

    25 moins dtre trs audacieux et de reconnatre dans - mais dans un ordre diffrent les mmes

    consonnes que celles du radical latin rupt- de certaines formes drives du verbe rumpo... 26 With possible earlier meaning bed-rock (< what one comes through to). 27 Notons au passage que ce mot prsente toutes les qualits requises pour tre intgr ce que nous

    appellerons plus loin la famille largie de : il a une labiale linitiale suivie dune sifflante et est driv dun verbe bezaq qui a le sens de briser, broyer.

    28 MASSON 2013a: 217-218.

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    faan/fa ppin de raisin sec // fa dtacher, sparer fa noyau // faa sparer, disjoindre fa pelures de dattes, rognures dongles

    Voil donc un ensemble non ngligeable de neuf racinesdont six non ambigeso il est question la fois de pierres (ou dobjets assimils des pierres) et de coupures. Ces racines ne sont pas construites sur le mme tymon mais leurs tymons relvent tous de la matrice phonique n 1 {[labial],[coronal]} porter un coup ou des coups.

    En poussant la recherche, on trouve encore cinq racines non ambiges mais orphelines de llment pierre :

    faa VII. tre cass, bris faa tre tout seul, isol, spar des autres fazza faire dfection et se sparer de qqn fazfaza donner la chasse quelquun et lloigner fa donner une chasse vigoureuse un animal

    ... et une trentaine de racines ambiges, elles aussi orphelines de llment pierre :

    fataa casser fataa ouvrir IV. trancher (dans une

    dispute) fatraa couper fataa fouler avec les pieds au point

    dcraser fataqa fendre, rompre ; sparer, dfaire,

    dcoudre faaa casser, briser fadaa casser, briser, craser avec une

    pierre fadaa casser, briser, craser fadaa casser, briser, craser faduma tre raboteux, avoir la surface

    couverte dasprits faaa V. carter les jambes fazara rosser, donner des coups de bton

    sur le dos ; dchirer un habit fazaa II et IV. effrayer

    fasaa dchirer, lacrer ; donner quel-

    quun des coups de bton sur le dos fasaa II. carter les cuisses fasaa largir fasaa disjoindre, sparer fasaqa sortir de son enveloppe (datte mre) faaa dmettre un membre du corps faada ouvrir une veine faaa presser une datte verte pour la faire

    sortir de son enveloppe faama casser, dchirer qqch faaa casser (un morceau de bois );

    crever un il faaa casser (un morceau de bois ) faaa frapper qqn sur le dos faaa frapper qqn avec un bton faaa loigner qqn faara fendre, pourfendre, couper en deux

    faama sevrer un enfant ; couper en faisant une incision

    Ces racines, on le voit, ne nous offrent pas de driv pierreux mais il serait bien tonnant, au moins pour certaines dentre elles, quun tel vocable napparaisse pas dans une forme dialectale ou dans une autre langue smitique. Notons dj les racines fadara, faara et fatraa ; dans notre recherche dventuels cognats smitiques du grec , ce sont de bons candidats.

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    Venons-en lakkadien. Nos glanures y sont moins nombreuses mais on trouve tout de mme :

    passu effacer, oblitrer ; dtruire, aplatir, raser padu trancher, couper, tailler, entailler patu percer (mur, four, partie du corps), crever, piquer, ouvrir, forer, sonder ; (btail)

    poignarder, enfoncer un couteau, frapper (et tuer) avec un couteau patarru massue, masse d'arme en cuivre ou en bronze patru pe, dague ; couteau de boucher, de tanneur, ... pattu frontire pat dfaire ; (orge) enlever la balle, dcortiquer, enlever les cales ; percer paru dtacher, dfaire ; quitter (un lieu) ; dcouvrir (une partie du corps) ; disperser

    (des troupes) ; rompre (un contrat) ; dissiper ; annuler, interrompre ; dteler ; sparer, dcouper ; carter, enlever, disperser ; dmonter, desserrer, dfaire

    pu frontire, limite

    Nous navons pas de commentaires faire ici autres que ceux que nous avons dj faits pour larabe. Comme bons candidats une ventuelle et plus proche parent avec , notons les noms patarru et patru, et le verbe paru, qui est dailleurs de la mme racine smitique que larabe faara.

    Pour tenter de convaincre les plus sceptiques, nous pourrions aligner des listes simi-laires avec la labiale b- linitiale au lieu du f-. En arabe comme en akkadien, pour cer-taines des racines ci-dessus, il existe en effet des variantes en b-C2-C3. Nous nous conten-terons, pour donner un peu plus de corps ce que nous pensons tre la famille nuclaire de , de signaler quelques racines smitiques en b-C2-r o C2 est une dentale ou une interdentale. Notre rfrence sera le fascicule 2 du Dictionnaire des racines smitiques :

    BDR (p. 46) Pour Dillmann, le sens premier est couper. On y retrouve incidemment la lune, mais ici sous la forme badr. Cf. qamar, 2.7., note de bas de page.

    BR (p. 47) baara disperser, dissminer

    BR (p. 61) baara fendre, ouvrir une plaie, percer un ulcre, etc. al-Bar (nom de la ville de) Ptra On est en droit de se demander si ce toponyme est bien un emprunt au grec, comme le veut la tradition, ou un simple driv de br. bayr27 mdecin-vtrinaire

    27 Pour certains, ce mot serait issu du grec [hippiatrs], littralement mdecin spcialiste des

    chevaux . Pour dautres, du latin veterinarius, relatif aux btes de somme, vtrinaire ; mdecin-vtrinaire . Mais le rapport smantique entre veterinarius et vetus, vieux nest pas vident. Colu-melle, clbre agronome romain du 1er sicle, utilise deux fois le mot veterinarius dans son uvre. Aprs quelques annes passes dans larme, o il occupe le poste de tribun en Syrie en 35, il se con-

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    Probable extension de br par infixation du glide.

    BD R (p. 78) La dentale de cette racine se ralise en sifflante emphatique dans plusieurs langues smitiques, do

    baara couper, retrancher // bur pierres dures et blanches ; marge, bord ; corce bara pierres dures et blanches ; terrain dur, pierreux et dont on tire les pierres al-Bara Basra ou Bassorah. Dans les textes anciens, les noms de Ptra et Basra sont souvent associs, comme sils avaient plus ou moins le mme sens. akkadien baru couper, dchirer hbreu bir couper En sud-arabique, on trouve diverses formes avec dentale et le sens de couper, dchirer.

    NB : Il naura pas chapp aux plus attentifs de nos lecteurs quune racine rencontre plus haut prsente, au prix dune mtathse, de forts signes de parent avec celle-ci. Rappe-lons-la :

    ibr ou ubr marge, bord // ubr ou ubur ou abbra terrain couvert de petits caillous abar glace, eau gele ibra ou abra pierres ; clat, morceau de rocher ou de fer ubra pierres dures abr colline rocailleuse

    En veut-on une autre, proche de cette dernire ?

    zabara loigner, repousser qqn de qqch // zabr pierres dures zubra morceau, fragment ; morceau de fer

    BTR (p. 90) batara couper la queue dun animal, lcourter akkadien butturu mutiler amharique bttr bton aramen betar, bitr morceau

    BR (p. 91) baara tre couvert de pustules, de boutons // bar terrain sablonneux parsem de pierres

    blanches Nous esprons, par ces quelques pages, avoir apport notre pierre la recherche tymolo-gique ; lavenir dira si ce travail sapparente plus au sable quau rocher.

    sacre lagriculture. Cela ne suffit sans doute pas pour prouver que le mot est un emprunt une langue parle aux frontires de la Syrie lpoque de Columelle mais on na pas d'autres attestations. Nous penchons donc plutt pour un emprunt par le latin une langue smitique dun cognat de bayr.

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    Jean-Claude Rolland, Meaux / France

    [email protected]

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    Annexe : Le rseau smantique de porter un coup (extrait de BOHAS & SAGUER 2012: 220 sq.)

    A. Porter un coup ou des coups (sans spcifier lobjet) A.1 Frapper avec un objet tranchant, de l :

    A.1.1 lobjet ou une partie de lobjet (sabre, lame, hache, etc.) A.1.2 spcification : fendre, dchirer, inciser, mordre, ouvrir, etc. A.1.3 rsultat de laction : la partie par rapport au tout :

    A.1.3.1 raccourcir, tronquer A.1.3.2 tuer, massacrer > mourir, achever, terminer, fin, bout... A.1.3.3 raser, peler, racler, corcher, dpouiller, enlever, arracher A.1.3.4 couper, sparer une partie du tout, emmener une partie

    A.1.3.4.1 petite quantit, portion, tranche A.1.3.4.2 tre mis lcart, isol, seul. Cette orientation donne lieu une

    masse de sens qui tournent tous autour de lide sparer, se sparer, (se) disperser que nous appellerons A.1.S., qui se ramifie de la manire suivante : A.1.S.1 (se) disperser, (se) rpandre, semer

    > divulguer un secret > dilapider ses biens

    A.1.S.2 loigner, repousser, dtourner A.1.S.3 rflchi : se sparer, sloigner

    A.1.S.3.1 modalit de la sparation : marcher, fuir, courir > rapidit

    A.1.S.4 causativit : faire partir, chasser, effrayer A.2 Frapper avec un objet pointu

    A.2.1 lobjet ou une partie de lobjet (lance, flche, pointe, etc.) A.2.2 donner un coup de lance, percer, pntrer, ... A.2.3 sortir de, merger, pousser, tre saillant, tre au sommet A.2.4 sonder A.2.5 ficher, planter dans la terre A.2.6 se planter dans lobjectif, atteindre ou manquer le but ; de l : avoir tort ou raison

    A.3 Frapper avec un fouet, un bton, un objet quelconque A.3.1 lobjet

    A.4 Blessures diverses conscutives des coups A.5 Prparation de laction : aiguiser, affiler... A.6 Rciprocit

    A.6.1 se battre, attaquer A.6.3 victoire ou dfaite A.6.2 faire la guerre A.6.4 sirriter, tre violent

    A.7 Frapper avec la main, le pied ou diverses parties du corps A.7.1 pousser, repousser A.7.2 protger, conserver, garder

    B. Consquence immdiate de A B.1 Briser, casser, piler B.2 Dtruire, prir, faire prir, perdre