aperçu général de la science comparative des langues

165

Upload: jorgos

Post on 31-Oct-2015

155 views

Category:

Documents


6 download

TRANSCRIPT

Page 1: Aperçu général de la science comparative des langues
Page 2: Aperçu général de la science comparative des langues

LinguisticsFrom the earliest surviving glossaries and translations to nineteenth-century academic philology and the growth of linguistics during the twentieth century, language has been the subject both of scholarly investigation and of practical handbooks produced for the upwardly mobile, as well as for travellers, traders, soldiers, missionaries and explorers. This collection will reissue a wide range of texts pertaining to language, including the work of Latin grammarians, groundbreaking early publications in Indo-European studies, accounts of indigenous languages, many of them now extinct, and texts by pioneering figures such as Jacob Grimm, Wilhelm von Humboldt and Ferdinand de Saussure.

Aperçu général de la science comparative des languesThe German-born philologist Louis Benloew (1818–1900) studied at Berlin, Leipzig and Göttingen before settling in France. Aperçu général de la science comparative des langues (first published in 1858) is his best-known work. In this second edition of 1872, which includes his own further research on the Celtic languages, he uses the comparative study of grammar and vocabulary to identify relationships between languages and to classify them into families. Not all of his conclusions – especially those connecting the so-called Japhetic (i.e. Indo-European) family to the Semitic languages – are still accepted, but the ambitious scope of his work and the range of his world-wide comparisons provide a useful insight into the state of linguistic research in the mid nineteenth century.

C a m b r i d g e L i b r a r y C o L L e C t i o nBooks of enduring scholarly value

Page 3: Aperçu général de la science comparative des langues

Cambridge University Press has long been a pioneer in the reissuing of out-of-print titles from its own backlist, producing digital reprints of books that are still sought after by scholars and students but could not be reprinted economically using traditional technology. The Cambridge Library Collection extends this activity to a wider range of books which are still of importance to researchers and professionals, either for the source material they contain, or as landmarks in the history of their academic discipline.

Drawing from the world-renowned collections in the Cambridge University Library, and guided by the advice of experts in each subject area, Cambridge University Press is using state-of-the-art scanning machines in its own Printing House to capture the content of each book selected for inclusion. The files are processed to give a consistently clear, crisp image, and the books finished to the high quality standard for which the Press is recognised around the world. The latest print-on-demand technology ensures that the books will remain available indefinitely, and that orders for single or multiple copies can quickly be supplied.

The Cambridge Library Collection will bring back to life books of enduring scholarly value (including out-of-copyright works originally issued by other publishers) across a wide range of disciplines in the humanities and social sciences and in science and technology.

Page 4: Aperçu général de la science comparative des langues

Aperçu général de la science comparative

des langues

Louis Benloew

Page 5: Aperçu général de la science comparative des langues

CAmBrID GE UNIvErSIt y PrESS

Cambridge, New york, melbourne, madrid, Cape town, Singapore, São Paolo, Delhi, Dubai, tokyo

Published in the United States of America by Cambridge University Press, New york

www.cambridge.orgInformation on this title: www.cambridge.org/9781108006699

© in this compilation Cambridge University Press 2009

This edition first published 1872This digitally printed version 2009

ISBN 978-1-108-00669-9 Paperback

This book reproduces the text of the original edition. The content and language reflect the beliefs, practices and terminology of their time, and have not been updated.

Cambridge University Press wishes to make clear that the book, unless originally published by Cambridge, is not being republished by, in association or collaboration with, or

with the endorsement or approval of, the original publisher or its successors in title.

Page 6: Aperçu général de la science comparative des langues

APERCW GENERAL

DE LA

SCIENCE COMPARATIVEDES LANGDES.

Page 7: Aperçu général de la science comparative des langues

TCSJ'L(>U§E, IM$. \ . CHAUVIN EX FILS, RUE HIl^EPOIX , 3 .

Page 8: Aperçu général de la science comparative des langues

APERCU GfiNfcRALDE LA.

SCIENCE COMPARATIVEDES LANGUES

PAR

Louis BENLOEW

Doyen de la FacuUe des lettres de Dijon.

DEUXIEME EDITION,

Augmented de deux traMs Ins i l'Acade'mie des Inscriptions et Belles-Lettres,

d'une classification des Iangoes et des modes d'e'crilure d'apres le doclenr Steintbal,

d'lin traiU de la formation des langues celliques.

PARISERNEST THORIN, fiDITEUR

7 , RUE DE MED1CIS , 7

1872

Page 9: Aperçu général de la science comparative des langues
Page 10: Aperçu général de la science comparative des langues

PREFACE DE LA SECONDS EDITION,

Depuis qu'une societe de linguistique a ete fondee h.

Paris par le concours des philologues les plus eminents

de notre pays, et que la tradition des fortes etudes a

ete assures dans cette branehe des connaissances hu-

maines, des brochures pareilles a celle que nous faisons

reimprimer aujourd'hui, quelle que soit d'ailleurs leur va-

leur, n'ont plus de quoi surprendre ceux qui se pr6occu-

pent du progres des sciences dans notre enseignement.

Contesterait-on 1'opportunity de cette reimpression ? Mais

nous avons choisiprecisementle momentounotre jeunesse

retourne avec ardeur au travail, ou tout le monde sent

qu'il ne faut laisser a l'Allemagne le privilege d'aucune

science nouvelle. G'est ainsi qu'a Dijon meme, le cours

de Sanscrit et de grammaire comparee, qui avait cesse

d'etre suivi, vient de se reorganises Je n'ai pas voulu

que cette seconde edition de YAperpu fut simplement la

reproduction de la premiere. J'y ai ajoute deux traites

Page 11: Aperçu général de la science comparative des langues

— Vi —

(sur I'Onomatopee et sur I'Infinitif passif), qui ont eu les

honneurs de la lecture a l'Academie des Inscriptions et

Belles-Lettres; jel'ai enrichiede deux tableaux du DrStein-

thal dont Tun contient la classification methodique de

toutes les langues du globe, l'autve celle de tous les modes

d'ecriture. Enfin, on y trouvera Imposition d'une theorie

nouvelle sur l'origine etla formation des langues celtiques,

thSorie fondee sur quelques traits qui leur sont communs

avec des idiomes dravidiens et rnalais. Ainsi augmente ,

YApercu se presente presque avec les apparences d'une

publication nouvelle. G'est comme telle 'que nous osons

la recommander a l'indulgence des juges competents,

indulgence qui, jiisqu'a present, ne lui a nianque ni en

France ni a l'etranger.

Dijon , le 12 avril 1872.

Page 12: Aperçu général de la science comparative des langues

TABLE DES MATIERES.

Page?.PREFACE v

5 1 '. — Definition de la grammaire compare 1g 2. — De l'enchainement naturel des sciences et du rang

qu'y occupe la grammaire comparee 5g 3. — Du but de la grammaire compared et de son utilite. . 9g 4. — Origine du langage. — Monosyllabisme 1J1 5. — Quelques autres caracteres des langues primitives. . 21g 6. — Developpement des langues normales 23

I. Langues indo-europeennes 23II. Langues semitiques 28

III , Marches des idiomes indo-europeens et semi-tiques. — Comparaison 41

jj 7. — Loi supreme des langues civilisees 54g 8. — Classification des langues 67g 9. — Zones du langage humain • . 79g 10. — Observations critiques snr l'affinite' et l'identite' des

langues 81\ 11. — L'identite des racines et du systeme grammatical-dans

plusieurs langues prouve l'origine commune des peu-ples qui les parlent 86

g 12. — Avenir probable des langues modernes 89I. — De l'onomatopee 93

II. — De l'origine de l'infinitif present passif dans les languesclassiques 119

III. — Classification des langues d'apres le D' Steinthal. . . 127IV. —Classification desmodesd'ecritured'apresleD'Steinthal. 132V. — De la formation des langues celtiques 139

Page 13: Aperçu général de la science comparative des langues
Page 14: Aperçu général de la science comparative des langues

APERGU GfiNHERALDE LA

SCIENCE COMPARATIVE DE$ LANGUES

§ 1 « . — DEFINITION DE LA GRAMMAIRE COMPAREE.

La grammaire renferme cet ensemble de regies par le-quel se manifeste l'organisme d'une langue Lorsqu'elles'efforced'indiquer jusqu'aun certain point lesoriginesdeces regies, d'en expliquer les causes etd'en decrire l'en-chainement, on l'appelle grammaire raisonnee, Lorsque,pour donner plus de force a cetle methode, elle a recoursa des exernples et a des regies empruntes a la grammairede plusieurs autres langues, etrangeres ou classiques, elledevient la grammaire compare'e. Mais il faut pourcelaqueces langues soient soeurs, autremenl la comparaison seraitsans fruit. Encore, dans ces limites, elle peut elre plus onmoins complete, car elle peut 6tre faite avec plus ou moinsd'el&nents compares, avec plus ou moins d'intelligenceet en vue de r6sultats plus ou moins eleves.

Lorsque nous comparons le francais a l'italien et a l'es-pagnol, ou a tous les deux a la fois, il est facile de recon-naitre a ces trois idiomes une origine commune, un sys-teme grammatical presque idenlique, et des differencesqui, toutes nombreuses et toutes cnnsiderablos qu," •'l-spuissent paraitre aux contemporains qui parient ces lan-gues, auront aux yeux de la science une signification

1

Page 15: Aperçu général de la science comparative des langues

2 —

peu importante. C'est que la comparaison se sera renfer-me"e dans un champ bien etroit en passant en revue troisidiomes sortis d'un meme idiome et conservant les trailsprincipaux qui trahissent cette origine. Si, pour passerd'un extreme a l'autre, on voulait 6tablir un parallelismeentre le frangais et le sanserif ou entre le francais et leturc, on entreprendrait une oeuvrebien autrement inutileA coup stir, rien ne saurait moins s'accorder ensembleque les regies de la langue tatare que nous venons denommer et celles de l'idiome que nous parlons tous lesjours. Nous ne nous e"tonnons pas de trouver sur les li-mites de l'Europe et de l'Asie une population longtempsbarbare et dont le vocabulaire ne ressemble nulie part aun6tre; mais nous sommes frappe's de la difference de pro-ce"de"s employes par elle pour rendre la pense"e de l'homme.L'unique resultat que nous retirerons de cette e"tude et decette comparaison sera done qu'il y a des idiomes telle-ment divergents entre eux qu'il parait tout d'abord diffi-cile de leur assigner un point de depart commun, d'y re-trouver des principes analogues et d'expliquer par lesmSmes raison leur rroissance et leur de"veloppement.

Lorsque Ton compare le frangais au Sanscrit, en sup-posant qu'on ne connaisse bien que ces deux langues,peut-e'tre Timpression sera-t-elle a peu pres la me"me.Nous serons frappe's surtout par la prodigieuse differencequi se"pare la langue si synthetique, si compliquee, des an-ciens Indous, d'avec l'idiome siclair, si precis, et, pourainsi dire, si algebrique que nous parlons; nous ne re-trouverons dans le Sanscrit ni nos conjugaisons, ni nosde"clinaisons, — si tant esl que nous en ayons encore,ni enfin notre vocabulaire,et pourtant toutcela s'y trouveou en entier, ou en partie. Mais si, au lieu de franchird'un seul bond la distance des lieux et des temps, nous

Page 16: Aperçu général de la science comparative des langues

renouons prudemment, et degre a degre, la chaine del'histoire, si du frangais nous passons au latin, du latinau grec ou plut6t au dialecte eolien, dont I'affinil6 intimeavec le latin est bien connue, et si, par un dernier effort,nous quitlons les bords de l'Eurotas et de l'llissus pourceux du Gange, c'est alors que nous assistons a la lentetransformation du langage et que nous reconnaissons surune terre lointaine et inconnue, sous des d6guisementsetranges et sous une enveloppe qui peut nous parailre bi-zarre d'abord, les traits familiers de notre idiome.

Celui qui voudrait comparer directement la languefrancaise avec la langue allemande courrait le risque dene pas voir ses efforts couronnes d'un plein succes. Mais,si du frangais, par la filiation que nous venons d'indiquer,arrive au Sanscrit et au zend, idiome peu different duSanscrit et presque aussi ancien que lui, il passe au go-thique, il sera frapp6des liens intimes qui rattachent cedialecle, le plus ancien des idiomes teutoniques, a lagrande famille indo-europ6enne. Peut-etre serait-il pres-que aussi difficile de reconnaitre dans la langue d'Ulphilasl'allemand de nos jours que de retrouver seulement unetrace de l'idiome frangais dans le Mahabharata et dans leRamayana des Indous. Heureusement qu'entre le gothi-que et l'allemand moderne se trouvent les anneaux inter-me"diaires du haut allemand ancien et du haut allemaudmoyen, qui nous font d6couvrir 1'identite" radicale de tou-tesces langues, en nous signalant les changements in-sensibles que cet idiome unique subit durant les phasesdiverses de son d6veloppement. La comparaison entre lefrangais et l'allemand de nos jours ne sera done reelle-ment fructueuse que lorsque, apres avoir examine une aune les langues du midi, on aura abord6 les uns apres lesautres les dialectes du nord, et qu'apres avoir ainsi par-

Page 17: Aperçu général de la science comparative des langues

couru lecercle des comparaisons, on sera revenu au pointde depart. Car c'est seuleraent alors que Ton saura que lefrangais etl'allemand, malgreune physionomie apparem-ment si differente, appartiennent a une meme famille, lafamille japhetique.

On en peut dire autant de la comparaison du francaiset du polonais ou du russe; seulement, au lieu de passerdu Sanscrit au gotbique, on doit suivre une aulre route,c'est a-dire aborder l'etude du lithuanien, qui, dans uneautre direction, ouvrira la vaste perspective des languesslaves. Grouper ainsi autour du meme centre tous lesmembres d'une meme famiile, signaler a la fois toutes lesvarietes qu'ils peuvent fournir, leurs points de ressem-blance et les caracteres specifiques que leur ont imprimisdes nationality et des climats differents, c'est la une me"-thode digne de la science, c'est la l'oeuvre d'un vrai lin-guiste. El cependant ce n'est pas encore le point de vuele plus eleve auquel puisse atteindre la grammaire com-paree.

Dans l'6tat actuel de nos connaissances il est impossiblede rattacher toutes les langues a un centre commun, etnous sommes forces de reconnaitre plusieurs families au-tres que la famille japhetique. Au sein de chacune de cesfamilies nous rencontrons le meme genre d'identite" et dediversity qui nous frappe dans les idiomes indo-euro-peens lorsque nous les examinons avec attention, et cha-cune d'entre elles fournit matiere a des recherches lin-guistiques egalement etendues, egalement importantes.Nous pouvons croire que les langues japhetiques, parliespar les peuples les plus civilises du globe, repr6sententd'une maniere plus g6nerale el plus vraie la pens6e hu-maine da-:s toute sa puissance. Mais il sera toujours im-possible de nier qu'elles ne represented pas cette pensee

Page 18: Aperçu général de la science comparative des langues

tout entiere et qu'elles ne sauraienl epuiser tous les mo-des dont les races qui peuplent ce globe peuvent se servirpour la manifester. La grammaire compare doit dones'imposer une derniere lache, qui, sans doute, est la plusdifficile. Eile doit d'abord classer tons les idiomes de laterre, autant qu'ils lui sont connus, d'apres leurs families;montrer ensuite ce qu'il y a de commun entre toutes cesfamilies, les points par oix elles different entre elles, lafacilite plus ou moins grande qu'elles offrent a la pense"ehumaine de se manifester avec force et clarte", et faireconnaitre enfin les varie"t6s de civilisations plus ou moinsavance"es auxquelles elles semblent avoir donne" nais-sance.

§ 2 . — DE L'ENCHAINEMENT NATUREL DES SCIENCES ET DU RANGQU'Y OCCUPE LA GRAMMAIRE COMPARES.

On a dit avec raison que la grammaire ainsi que lagrammaire comparee faisaient partie de la philplogie; ilimporte done avant tout de definir le r61e du philologue.Est-ce celui qui enseigne les principes des grammairesfrangaise, grecque, latine, a la jeunesse des lyce'es? Est-cecelui qui e"tudie a fond les auteurs classiques avec les va-rianles et les lemons nombreuses fournies par les manu-scritsplusanciens ou plusrecents, en apportantdanscetteoeuvre la perspicacite et le gout, fruit de lectures laborieuses et de constantes eludes? Est-ce celui qui s'occupe deslangues teutoniques ou celui qui apprend les languesorientales? Est-ce celui qui dechiffre les cuneiformes ou quidegage de volumes confus et sans nombre les principes etla religion du bouddhisme ? Est-ce celui qui examine et de"-

Page 19: Aperçu général de la science comparative des langues

tout entiere et qu'elles ne sauraienl epuiser tous les mo-des dont les races qui peuplent ce globe peuvent se servirpour la manifester. La grammaire compare doit dones'imposer une derniere lache, qui, sans doute, est la plusdifficile. Eile doit d'abord classer tons les idiomes de laterre, autant qu'ils lui sont connus, d'apres leurs families;montrer ensuite ce qu'il y a de commun entre toutes cesfamilies, les points par oix elles different entre elles, lafacilite plus ou moins grande qu'elles offrent a la pense"ehumaine de se manifester avec force et clarte", et faireconnaitre enfin les varie"t6s de civilisations plus ou moinsavance"es auxquelles elles semblent avoir donne" nais-sance.

§ 2 . — DE L'ENCHAINEMENT NATUREL DES SCIENCES ET DU RANGQU'Y OCCUPE LA GRAMMAIRE COMPARES.

On a dit avec raison que la grammaire ainsi que lagrammaire comparee faisaient partie de la philplogie; ilimporte done avant tout de definir le r61e du philologue.Est-ce celui qui enseigne les principes des grammairesfrangaise, grecque, latine, a la jeunesse des lyce'es? Est-cecelui qui e"tudie a fond les auteurs classiques avec les va-rianles et les lemons nombreuses fournies par les manu-scritsplusanciens ou plusrecents, en apportantdanscetteoeuvre la perspicacite et le gout, fruit de lectures laborieuses et de constantes eludes? Est-ce celui qui s'occupe deslangues teutoniques ou celui qui apprend les languesorientales? Est-ce celui qui dechiffre les cuneiformes ou quidegage de volumes confus et sans nombre les principes etla religion du bouddhisme ? Est-ce celui qui examine et de"-

Page 20: Aperçu général de la science comparative des langues

— 6 —

chifFre les inscriptions trouve"es sur les anciens monumentsde tous les peuples? Est-ce celui qui, a l'aide de ces monu-ments et de toutes les ressources dont dispose ['eruditionmoderne, reconstruit la vie prive"e, publique, politique,religieuse, artistique, des Romains, des Spartiates, desAthe"niens, des Arabes, desJuifs, des Egyptiens, etc.?Est-ce celui qui etudie les anciensme'decins, jurisconsul tes,architectes, dans les textesmemes? Est-ce celui qui, dansles temps plus rapproches de nous, choisit un siecle dansl'histoire de la France ou de tout autre pays pour en de"-crire les eve"nemenls, pour en peindre les moeurs, les ha-bitudes et la socie"te" toute vivante ? Le philologue peuletretout cela. 11 peutreunir, sinon toutes ces spe"cialites descience — car la science est infinie, et il n'est donne a au-cun homme d'en embrasser meme une seule partie com-pletement — au moins quelques unes parmi celles quenous venons de citer. Ses e"tudes peuvent toucher non-seulement a la linguistique , a la literature, a l'hisloire,mais encore aux arts, a la medecine, a la jurisprudence,aux sciences naturelles, etc. Car, en re"alit6, il n'y a quedeux grandes families de sciences, qui s'appellent et secompletent mutuellement: la philosophic qui part des prin-cipes fondamentaux de notre raison, et qui des idees pas-se aux faits, et la philologie, science du passe", science desfaits, qu'elle s'efforce de connaitre el de classer en en de"-gageant les idees gen6rales. Comme la philologie, la philo-sophie louche a bien des sp6cialit6s; elle comprend non-seulement la philosophie proprement dite, la morale, latheodicee, les premieres regies de la politique, le droit na-turel, le droit des gens, mais encore les mathe'matiquespures, qui sont hide"pendantes des faits, les premieres no-tions de la musique, de l'architecture, de presque tous lesarts, et me"me des sciences naturelles. La philosophie veut

Page 21: Aperçu général de la science comparative des langues

connaitre simpleroent,absolument: yivtixmav, la philologieveut reeonnaltre ce qui 6tait connu: dvxyiv&axeiv.

II est clair, d'apres ce qui precede, que toutes les scien-ces auxquelles nous accordons aujourd'hui cenom, the"olo-gie, jurisprudence, meclecine, etc., ont leur c6te" philolo-gique et leur c6f6 philosophique. Elles sont philologiqueslorsque nous suivons et etudions leur de"veloppement atravers les siecles; elles sont philosophiques lorsque nousles faisons deriver des principes immediats de la naturehumaine. C'est ainsi que la philosophie elle-me'me donnela main a la philologie quand elle s'applique a eHudier, acoordonner les differents systemes qui se sont succede"dans tous les temps, chez tous les peuples, et que la philo-logie appelle a son secours la philosophie chaque fois qu'elleporte la lumiere de la raison dans le de"sordre de faits in-cohe"rents.

Les sciences, qui sont comme la fleur intellectuelle del'humanite, se developpentd'elles-memes, d'apres un cer-tain ordre. La premiere, la plus vague, la plus obscure,celle qui renferme les germes de toutes les autres, c'est lamythologie. Lorsque la pense"ed'un peuple arrive aunecer-taine clarte, a unecertaine independance, la mythologiese transforme en philosophie. Gelie-ci, reduite au dernierdegre de I'abstraction, aux notions de quantite etde qua-lite", toucheparla,quantite auxmfl£/?emfl <|M£s, par la qua-lite aux sciences naturelles. G'estdans ces dernieres que lame'decine, la chimie, la botanique, etc., trouvent leur place.De m6me qu'a 1'ordre physique r6pond, dans le mondedes id£es, 1'ordre moral, les sciences ethiques r6pondentaux sciences naturelles, en leur succ6dant. Car l'esprit del'homme apercoit dans lesunes et dans les autres quelquesanalogies et des lois semblables. Ces sciences embrassentla politique, qui a son tour comprend ['education, chez les

Page 22: Aperçu général de la science comparative des langues

— 8 —

anciens du moins; la jurisprudence, la connaissance desantiques et des traditions, par consequent la critique etla rhetorique. C'est ainsi que nous sommes amends a lascience litter air e, qui n'est autre chose que l'histoire desstyles. Elle embrasse corame sciences auxiliaires et se-condaires Yepigraphie et la numismatique.

Mais, de me"me que les connaissances d'un peuple pre"-sentent un systeme de conceptions et d'idees, sa languen'est autre chose que la manifestation de ces conceptionspar le son articule; et de meme que ces conceptions et ceside"es peuvent et doivent changer, la langue se transformeet change aussi. Ce qui est dire en meme temps que lagrammaire et le dictionnaire d'une langue sont mobiles,et que, si Ton peut dire jusqu'a un certain point qu'ils fontnaitreune certaine culture de l'esprit, d'un aulre cot6 cetleculture les accompagne et les transforme a son tour. C'estpourquoi le langage, lui aussi, a son histoire, et Ton com-prendra aisement pourquoi nous avons assigne a cettehistoire du langage ou gramminre comparee le rang lepluseieve parmi les sciences philologiques.

Le langage, sans doute, est aussi ancien que la mytho-logie, que nous avons piacee en tele de la serie entiere;mais ce langage n'est pas encore la langue forme'e, mai-tresse de touies ses ressources et de toute sa puissance.Et de meme que dans la phiiosophie aucune partie ne futtrait6e plus tardivement que celle qui montre la capacite"et les limites de cette raison, a 1'aide de laquelle seule onpouvait philosopher, de meme l'analyse n'aborda qu'endernier lieu le merveilleux instrument a l'aide duquell'homme a dompte' la matiere, institue" la societ6, cree" lesarts et les lettres, et fond6 les sciences. De toutes les re-cherches philologiques, celles qui concernent l'histoire dulangage sont les plus dedicates et les plus subliles. Elles

Page 23: Aperçu général de la science comparative des langues

— 9 —

surprennent la raarche de l'esprit humain dans son travaille plus intime et le plus irre"sistiblementinstinctif. Le Ian-gage humain 6tant done la manifestation la plus directe del'esprit humain, la philologie, de"finie si bien par M. Bceckh« cognitio cogniti « , de"couvre cette fois-ci avec certitude les idees ge"nerales qui se degagent de l'ensemble defaits le phis intellectuel et le plus spirifualisle que Ton con-naisse. L'etude des categories grammaticales , l'etude dela naissance, du de" veloppement et de la decadence des lan-gues, l'6tude de leurs affinites et de leurs divergences adone bien 6t6 appelee Opi-y/.o; (jtaS/^arav (fiXoXoyizwy, e'est-a-dire le sommet et le faite des connaissances philologi-ques.

§ 3 . - DU BUT DE LA GRAMMAIRE COMPAREE ET DE SON UTILITE.

La grammaire comparee n'etant pas ce qu'on appellevulgairement une science appliquee, on ne peut pointparler non plus de son utilite directe, immediate et prati-que. Elle peut neanmoins procurer incidemment desavan(ages assez considerables a ceux qui la cultivent.Lorsqu'on est arrive" a connaitre l'organisme d'une se"ricde langues, on parvient plus aisement a les parler et a lesposseder, et tout le monde connait le mot celebre deCharles-Quint disant « qu'on est autant de fois hommequ'on sait de langues ». Veritable sup6riorite dans unage ou les rapports de l'industrie et du commerce, centu-ples par les chemins de fer et le te16graphe 6lectrique,tendent a rapprocher de plus en plus toutes les nations eta faire de l'humanite une seule famille!

Depuis longtemps la religion nous a apprisque tons les

Page 24: Aperçu général de la science comparative des langues

— 9 —

surprennent la raarche de l'esprit humain dans son travaille plus intime et le plus irre"sistiblementinstinctif. Le Ian-gage humain 6tant done la manifestation la plus directe del'esprit humain, la philologie, de"finie si bien par M. Bceckh« cognitio cogniti « , de"couvre cette fois-ci avec certitude les idees ge"nerales qui se degagent de l'ensemble defaits le phis intellectuel et le plus spirifualisle que Ton con-naisse. L'etude des categories grammaticales , l'etude dela naissance, du de" veloppement et de la decadence des lan-gues, l'6tude de leurs affinites et de leurs divergences adone bien 6t6 appelee Opi-y/.o; (jtaS/^arav (fiXoXoyizwy, e'est-a-dire le sommet et le faite des connaissances philologi-ques.

§ 3 . - DU BUT DE LA GRAMMAIRE COMPAREE ET DE SON UTILITE.

La grammaire comparee n'etant pas ce qu'on appellevulgairement une science appliquee, on ne peut pointparler non plus de son utilite directe, immediate et prati-que. Elle peut neanmoins procurer incidemment desavan(ages assez considerables a ceux qui la cultivent.Lorsqu'on est arrive" a connaitre l'organisme d'une se"ricde langues, on parvient plus aisement a les parler et a lesposseder, et tout le monde connait le mot celebre deCharles-Quint disant « qu'on est autant de fois hommequ'on sait de langues ». Veritable sup6riorite dans unage ou les rapports de l'industrie et du commerce, centu-ples par les chemins de fer et le te16graphe 6lectrique,tendent a rapprocher de plus en plus toutes les nations eta faire de l'humanite une seule famille!

Depuis longtemps la religion nous a apprisque tons les

Page 25: Aperçu général de la science comparative des langues

bien-eHre, et qui ont pour maxime celle de Hobbes :Science is power. Mais il y a puissance et puissance, et lebut le plus eleve" de la science, de l'aveu d'Aristotemfime, n'est-il pas de connaitre?

§ 4 . - ORIGINES DU LANGAGE. - MONOSYLLABISME.

Le moment ou sous l'ceil de Dieu les premiers hommesse communiquerent pour la premiere fois leurs pens6espar le langage a du etre singulierement solennel. II de"cidade l'avenir de la race. On ne peut pas se figurer l'hommeprive" de cette noble et royale faculte qui, en developpantsa raison, l'6leve au-dessus de toutes les autres creaturesqui habitent ce globe. Dieu en voulant l'homme le voulutintelligent. C'est pourquoi nouspensons que l'hommepar-la toutd'abord, ne"cessairement pousse par un instinct na-turel et en s'aidant des organes que la divine Providenceavait mis a son usage. Nous n'admetlons done pas que lalangue ait ete communique'e a l'homme par une r£v61ationnouvelle et particuliere : nous pensons que le miracle desa creation comprend aussi celui de la manifestation de sapensee. Ce n'est pas a nous de chercher ici a e'claircir lemystere qui enveloppe les origines de notre race, et nousdoutons que la science parvienne jamais a le pe"netrer.II est certain que Ton pourra difficilement decider unproces dont il sera de toute impossibilite, mdme dansles ages a venir, de rassembler les titres avec leurs piecesjustificatives. II n'est certes pas deTendu a l'homme d'a-border cette question redoutable, et la re"soudre ne seraitpas, a nos yeux, porter atteinte a la dignite" du Createur.La Divinity n'est pas jalouse des faibles efforts tentes parl'esprit humain, et on dirait qu'elle aime plutot a en

Page 26: Aperçu général de la science comparative des langues

bien-eHre, et qui ont pour maxime celle de Hobbes :Science is power. Mais il y a puissance et puissance, et lebut le plus eleve" de la science, de l'aveu d'Aristotemfime, n'est-il pas de connaitre?

§ 4 . - ORIGINES DU LANGAGE. - MONOSYLLABISME.

Le moment ou sous l'ceil de Dieu les premiers hommesse communiquerent pour la premiere fois leurs pens6espar le langage a du etre singulierement solennel. II de"cidade l'avenir de la race. On ne peut pas se figurer l'hommeprive" de cette noble et royale faculte qui, en developpantsa raison, l'6leve au-dessus de toutes les autres creaturesqui habitent ce globe. Dieu en voulant l'homme le voulutintelligent. C'est pourquoi nouspensons que l'hommepar-la toutd'abord, ne"cessairement pousse par un instinct na-turel et en s'aidant des organes que la divine Providenceavait mis a son usage. Nous n'admetlons done pas que lalangue ait ete communique'e a l'homme par une r£v61ationnouvelle et particuliere : nous pensons que le miracle desa creation comprend aussi celui de la manifestation de sapensee. Ce n'est pas a nous de chercher ici a e'claircir lemystere qui enveloppe les origines de notre race, et nousdoutons que la science parvienne jamais a le pe"netrer.II est certain que Ton pourra difficilement decider unproces dont il sera de toute impossibilite, mdme dansles ages a venir, de rassembler les titres avec leurs piecesjustificatives. II n'est certes pas deTendu a l'homme d'a-border cette question redoutable, et la re"soudre ne seraitpas, a nos yeux, porter atteinte a la dignite" du Createur.La Divinity n'est pas jalouse des faibles efforts tentes parl'esprit humain, et on dirait qu'elle aime plutot a en

Page 27: Aperçu général de la science comparative des langues

— \i —

cherchee et devin6e. Quelque loin que nous reculions l'ho-rizon de noire savoir, il sera necessairement borne", et iln'y a aucun danger que le fini sonde jamais ou mesure lesabimes de l'infini. Aussi, comme a dit Bacon avec ve"-rite: « Si un peu de science eloigne 1'homme de la foi,une science profonde et mure l'y ramene. »

Si nous n'avons pas de donnees sur l'origine de no-tre race, il faut ajouter que nous ne savons rien decertain sur les commencements du langage. Assure"mentil nous sera impossible de les presenter tels qu'ils elaient;mais , grace a des recherches opiniatres et a une analyseperse" verante, on est arrive a decouvrir quelques pointsfixes que Ton peut considerer comme etant d&ormais desfaits acquis a la science. Supposer que nos premiers peresaient conjugue d'inspiration et avec un touchant accord :tutdmi, tutdsi, tutdti, ou decline" Hav, ).EWOC, As'ovn, etc.,c'est a coup stir leur faire un tres grand honneur, et ceserait admettre precisement un miracle la ou nous ne cher-chons a trouver que le jeu nalurel de nos organes et denos facultes. Le langage primilif a du elre a la fois exlre'-mement simple et extremement varie": simple, parce quela langue ne s'etait pas habitude a prononcer ni l'oreille aentendre ces sons et ces mots sansnombrequi constituentl'ensemble d'un idiome; varie, parce que les sensationset les impressions des premiers hommes e"taient extre-mement mobiles, et que les objets qui les causaient n'e"-taientpas necessairement et toujours de"signes de la ine"memaniere. II est tres probable, pour ne pas dire sur, queles premiers sons du langage Gtaient des monosyllabes, di-versifies par l'accent et soutenus par le geste; et, dans cesmonosyllabes, nous reconnaissons precis6ment ces 616-ments rudimentaires du langage que nos grammairiensappellent ses racines. Nous avons trois ordres de preuves

Page 28: Aperçu général de la science comparative des langues

— 15 —

pour d^montrer le fait important que nous avangons :l°preuves tiroes du raisonnemenl a priori, 2°preuves em-prunt6es a l'induction scientifique, et 3" preuves resultantde faits existant encore et et qui n'ont jamais cesse" d'exi-ster depuis la creation.

On a longtemps me" que les premiers homines se soientservis dans leur langage de ces racines que nous ne ren-conlrons plus nulle part a l'etat simple dans les idiomesles plus connus du globe. Et ceux qui placent le synthe--tisme a l'origine des choses semblent avoir raison lors-qu'ils affirment que ces racines n'avaient pas le caracterede fixite" et d'immobilite que nous leur trouvons aujour-d'hui dans nos glossaires. Mais il n'en est pas moins vraique, si ces premiers sons, resultant chacun d'une seuleEmission de la voix, contenaient deja en germe l'orga-nisme d'un langage complique et complet, ici, commepar tout, le simple a du prec^der le compose\ On ne com-prendrait pas que uos premiers peres, peu familiarisesavec l'usage du discours, eussent employe" deux sons oudeux syllabes a designer une impression forte et essentiel-lement une, et il parait certain que, lorsqu'il s'agissaitpour eux de rendre deux impressions, ils eurent recoursa deux sons diff6rents. La nature fait bien ce qu'elle fait,et les premiers homines, e"tant plus rapproche"sde ses pri-mitives inspirations, durent calquer merveilleusementdans les premiers sons qu'ils rendaient I'image vivantedesobjets qui les entouraient et qui exercaient leurs jeunessens. Comme dans la nature, il y avait dans ce langage alafois simpliciteet abondance, etmalgrecetteabondance,nulle superfluity. II ne faut done pas croire que nos pre-miers peres aient beaucoup cherche", hesite, tatonne', carchez eux l'impression provoquait l'expression avec la

Page 29: Aperçu général de la science comparative des langues

— 16 —

ineTne rapidite que le choc de deux nuages eMectriquesproduit l'e"clat de la foudre.

Si done notre raison nous conduit, a priori. au mono-syllabisme comme caractere principal du langage primi-tif, l'e"tude approfondie des langues confirme sur lous lespoints cet apergu de la grammaire generate. Les Indous,qui sont les plus anciens grammairiens du monde, sa-vaient deja que leur magnifique et riche idiome s'etaitforme par la reunion et la combinaison multiples de rudi-ments monosyilabiques, et la philoiogie moderne n'a puque verifier et constater ce fait. Nous savons done au-jourd'hui, de science certaine, que les mots primitifs detoutes les langues indo-europe"ennes etaient monosyilabi-ques. Du reste, un seu! coup d'oeil jete sur une liste deracines sanscrites dissiperait jusqu'aumoindredoute.

II est vrai que la constitution des racines hebraiques etde celles des langues semitiques en general semble con-tredire la doctrine que nous deTendons. Ces racines,comme tout le monde le sait, renferment gene"ralementtrois consonnes et sont formtes de deux, syllabes; mais iln'est pas bien diflicile de prouver qu'une de ces deux syl-labes, quelquefois la premiere, le plus souvent la se-conde, est d'une origine plus recenle, et qu'elle ne faitque spe"cialiser, que nuancer la signification trop vaguede la syllabe radicale. Nous trouvons dans la grandegrammaire de Gesenius trois series de faits qui tendent a6tablir que les racines s6mitiques, comme celles de notrelangue, ont 616 formees, a l'origine, de monosyllabes.Nous les reproduisons ici:

1° Un ires grand nombre de racines contenant appa-remment les trois consonnes exige'es par l'esprit sysl6ma-tique des grammairiens n'en comptent evidemment que

Page 30: Aperçu général de la science comparative des langues

— 17 —

deux d'essentielles, puisque quelquefois la troisieme n'estque la seconde re'pe'te'e, et que d'autres fois on n'a obtenula troisieme lettre qu'en ajoutant un aleph, un yod ou unvav, au milieu ou a la fin de la racine, ou en la faisantpr£ceder de la consonne noun. II en est ainsi dans :3&J (ydtab) et 3iD (tob), qui signifient Stre bon; nfj(ndphahh) et nis (pouahh), souffler; r\yi (ddhhdh), ton(dahha), -tfn (do&hh), '^(dahhdhh), heurter, frapper;r n : (ndddh), T12 (nddad), 1)2 (noud), fuir, qui n'ont enrealite que deux consonnesradicales: 3D(/afe), ~p(dahh),"U (nad), auxquelles on en a ajoute une troisieme dansl'inte"ret d'une uniformite syst^matique.

2°Ilexisteparmilesnomsprimitifsun nombre con sid6ra-ble de ve"ritables monosyllabes, et ce sont eux pre"cisementqui designent les notions les plus simples et les besoins lesplus pressants de la vie : 2N (db), pere; DN (4m), mere;T1N(«M), frere; "in (har), montagne; TJ?.('lr), ville;Qi11 (yom), jour; *T (ydd), la main; DT (dam), le sang;DID (sous), le cheval, etc. Les grammairiens ont imagine",il est vrai, de faire venir JK (db), pere, d'une racine*ON (dbd) ou 23« (dbab); mais ces Etymologies sontabsolument illusoires et inventees seulement pour le be-soin de la circonstance. Du reste, il y a aussi nombre debissyllabes reductibles a une forme monosyllabique, siTon a soin d'en detacher la premiere, qui n'est autrequ'une espece d'aAea upooSeTr/w. Par exemple : Dnx(dddm), qui veut dire l'homme et rouge, est evidemmentforme de Di , le sang. Dans ce mot l'homme a recu sonnom de la couleur de son visage. Comparez ai/9pu7toc, de

semblable a une fleur, et w^, visage (1) .—

(1) Etymologie ingfenieuse fournie par M. Pott.

Page 31: Aperçu général de la science comparative des langues

— 18 —

N (eleph), le boeuf, probablement d'une racine ^ . K£> ,enrouler, recourber (la racine bissyllabique isS {I'aphad)existe encore en hebreu). — 1??")N {arba'), quatre, dontla racine premiere est 3T, beaucoup, e"tre nombreux.

5° Enfin, il y a des series de racines qui n'ont en com-mun que les deux premieres consonnes et dont le sens estpresque le meme, quoiqu'elles different par la troisieme.C'est ainsi que les verbes yyb [la'a'), tyh [la'ab), h(la'at), ayb {Id!am), r\yb (la'aph), yyh (la'ats) ,(la'ak), ont dans les differents dialectes la significationde 16cher et d'avaler; — jn3 {gaba'), ]33 {gaban), ran(gabahh), 323 {gabab), celle de rehausser et de vouter; —pm {dahhak), *\m {dahhaph), nm {dahhahh), nm(dahhah), celle de pousser et de serrer de pres; — y^B(phatsats), ya&(phatsa'), OX£(phatsam), r&£ (phatsahh),niiD {phatsah), celle de briser et de fendre, etc. Nuldoute que ces observations ne soient applicables a tous lesmots primitifs des langues semitiques. On a d^couvertd'autres series de verbes que celles citees par Gesenius,et on s'est essay6 depuis a la tache difficile de reduirele glossaire des bissyllabes a une liste de racines mono-syllabiques; seulement ces tentatives n'ont pas encore etecouronnees d'un plein succes : car, dans de certains cas,c'est presque 6chouer que de trop reussir.

On a cru pareillement pendant longtemps que le ma-lais, le tagal, le tongue et 1'idiome de la Nouvelle-Ze"-lande, avaient pour racines surtout des bissyllabes. M.Guillaume de Humboldt a (1) demontre" par l'analysed'unefoule d'exemples qu'ici encore les bissyllabes pouvaientetre ramen6s a des racines monosyllabiques. Ce m&ne

(1) Introduction a I'itude de la langue kavi, pages 398 et sui-vantes.

Page 32: Aperçu général de la science comparative des langues

— 19 —

monosyllabisme primitif se distingue e"galement dans lecopte el dans une foule d'autres idiomes africains. II nepeut done plus s'elever de doutes que sur les origines deslangues ame'ricaines, appele"es langues polysynthetiques,a cause du systeme d'enchevetrement, dit d'incapsulation,qui y pr&loniine. On sait que ces langues absorbent la phra-se, c'est-adirelesujet, leverbeet tousles regimes, dans unseul mot. II n'en est pas moins probable qu'elles eurenta une 6poque primordiale un caractere monosyllabique.Ce qui parattle prouver, c'est qu'au milieu de quatre centsidiomes dont le systeme grammatical, — mais non pasle vocabulaire, — est identique, et tel que nous l'avonsindique plus haut, se trouvent, a peu pres sans transi-tion , des dialectes isole"s dont la construction rappelle lala simplicitedu chinois. Nous citerons le guarani, lepo-conchi et surtout Vothomi (1). Ce qui parait le prouver en-core, c'est que G. de Humboldt, dans son excellent traitesur la langue basque, dont la structure grammaticalese rapproche, comme Ton sait, extraordinairement decelle des langues americaines, a prouv6 par une fouled'exemples que la plupart des mots les plus longs pou-vaient se decomposer et se reduire a des elements primi-tifs tres simples (2). Ainsi, dans l'Ame'rique, commedans 1'Inde et dans l'Arabie, les premiers debuts du Ian-gage humain pnt du se ressembler. Mais ce qui donne auxre"sultats de ces recherches scientifiques le caracterede l'e-vidence, c'est que nous voyons subsister encore une se"riede langues qui, semblables a des fossiles, ont conserve" atravers les changements du temps l'empreinte du travailprimordial de la pensee humaine. Nous avons d^ja cite

(1) Mithrid,, m, p. 430 ; m b, p. 4 et suiv.(2)Mithrid., iv, p. 308, 313, 314.

Page 33: Aperçu général de la science comparative des langues

- 20 —

quelques dialectes americains, mais c'est le chinois quinous offre le modele le plus frappant et pour ainsi dire leplus parfaitdumonosyllabisme.

On comprend bien qu'ily a 6000ansles parties dudis-cours, les distinctions de genre, de nombre, de mode, etc.,n'aient pas existe; mais ce qui peut paraitre le plus 6ton-nant, c'est que, encore aujourd'hui, rien de semblablen'existe dans la langue chinoise. Pour y indiquer le plu-riel, par exemple, on repele le mot ou bien on y ajoute destermes comme beaucowp ou mitre. Ainsi on dira arbrearbre pour dire des arbres, moi outre ou moi beaucowppour dire nous, etc. Le commencement de l'oraisori domi-nicale : Notre pere qui es au ciel, prend en chinois laforme que voici: Eire ciel moi aulre (notre) pere qui (1).Est-ce qu'en Europe un enfant age de trois ans parleraitbien diffeYemmenl? Le meme monosyliabe serf a exprimerune-foule d'idees indiquees uniquement par le changementde l'accent. Ainsi tschoun signifie : maitre, cochon, cui-sine, colonne, liberal, pr6parer, -vieille femme, briser,propice, peu, humecter, esclave, prisonnier (2).

On trouve des faits analogues dans les langues desMantschous, des habitants de Taiti et des iles de la So-ciete. L'etat de toutes ces langues est rudimentaire sousle double rapport du son et de la pens6e. C'est ainsi quele Mantschou ne peut pas prononcer deux consonnes desuite et d'une seule emission de la voix, mais les s6parepar unevoyelle. La meme chose arrive au Chinois, dont tousles mots commencent par uneconsonne simple et se termi-nent par une voyelle ou par une nasale. Le Chinois nepeut pas prononcer le r, il le remplace ordinairement par

(l)Mithrid., i, p. 18.(2) Mithrid., i, p. 42.

Page 34: Aperçu général de la science comparative des langues

— 21 —

un /, et c'est conforme'ment a tous ces principes a la foisque, voulant prononcer a sa facon le mot de Christus, ildira, en articulanl chaque syllabe comme un mot se'pare':Ki li su tu su.

§ 5 . — QUELQUES AUTRES CARACTERES DES LANGUES PRIMITIVES.

A c6te de cetle pauvrete" de sons nous trouvons dansles langues primitives quelquefois une richesse de formeset d'expressions qui ne semble accuser qu'une impuis-sance bien grande de la pense"e. Dans ces memes lies de laSocie'te' on se sert d'un autre terme pour la queue d'uachien, d'un autre pour celle d'un oiseau, et d'un autreencore pour celle d'un poisson. L'id6e « queue » prise engeneral ne s'est pas encore degage"e dans l'esprit de cepeuplede la representation des objets auxquels elle appar-tient. De me'me les Mohicans ne possedent pas de verbequi signifie couper; mais ils en ont, etde fort differentspar leur forme exterieure, pour dire : couper' dubois, cou-per des habits, couper la tite, le bras, etc. (1). Nous ren-controns une variete" d'un autre ordre dans les languesceltiques et indo-europeennes a leur origine. Dans lespremieres il y a un tres grand nombre de verbes qui si-gnifient: germer, verdir, fletirir, se developper; dans lesautres, dans le Sanscrit, par exemple, le nombre de ceuxqui indiqiient le mouvement dans l'espace (aller) et lemouvement dans la pensee (dire, parler) est extremementconsiderable. La langue, dans le progresdes siecles, aabandonne la plupart de ces formes. Les distinguait-elletoutes au commencement par des nuances d'ide"es? Peut-

(i) Mithr id., nib, p. 325.

Page 35: Aperçu général de la science comparative des langues

— 22

que non; mais, dans celles qu'elle conserva, il estimpossible de ne pas reconnaitre qu'elles ont du leur con-servation a une le"gere modification du sens. Ainsi Ipno,en grec, veutdire simplementaWer, etcependant,dans z<%gprmvTa (serpere, serpens), c'est la signification ramperqui a pris le dessus. 2xuyu> se rattache e"vidernment a uneracine qui, dans la famille indo-europe"enne, signifiemarcher, s'avancer; mais, dans l'allemand steigen, elle apris la valeur plus speciale de monter. Toute abondance deformes qui ne sert pas l'idee est retranche"e a la longuecomme superflue par le ge"nie de la langue. Ainsi le nom-bre des racines va toujours en diminuant: il est de 2,000en Sanscrit, il n'atteint plus que le chiffre de 600 en go-thique, 250 suffisent a la langue allemande moderne pourformer ses 80,000 mots. On le voit, les langues primitivesreposent sur une base extremement large; mais il n'y aque des soubassements, l'edifice n'existe pas encore. Plustard la base se retre"cit, et, a l'aide de ce systeme de gene-ration, qui s'appelle en grammaire compositionel derivation,la pyramide s'eUeve rapidement jusqu'aux cieux, ce quirevieat a dire en d'autres termes que pour les premiershommes tous les mots avaient une egale valeur et setrouvaient pour ainsi dire sur le me'me plan. II s'agissaitde sefaire comprendre d'une maniere quelconque; maison ne distinguait pas le substantif du verbe, I'adjectif dupronom; on ne songeait qu'a peindre une image qui avaitsaisi l'esprit, une notion vague ou une impression forte.Ceci nous explique pourquoi les langues primitives, avecdes mate"riaux immenses, ne sont souvent arrives qu'ades productions philosophiques, et me'mes litteraires, m€-diocres, et pourquoi des langues plus mures et de"ja ap-pauvries ont fourni quelquefois des re"sultats elonnants.C'est que dans les premieres les mots n'avaient pas en-

Page 36: Aperçu général de la science comparative des langues

ao

core e"te" suffisamment ranges, classes, subordonne's les unsaux autres, par cette faculte inherente al'espri! humain,la generalisation, faculle" a laquelle il faut rapporter le de"-veloppement de toute langue un peu complete.

5 6. — DEVELOPPEMENT DES LANGUES NORMALES.

I. Langues indo-europeennes.

Pour generaliser les idees, la langue doit naturellementles comparer, les peser mutuellement, et, en premier lieu,les juxtaposer. La juxtaposition est le procede a l'aide du-quel tout le systeme d'une langue se d6veloppe, comme levaste enchainement des sciences mathematique part duprincipe de l'identite et de la non-identite, de l'e'galite' etde I'inegalite". Elle est accompagnee de Vattraction, quire"unit exterieurement, a l'aide de Venclise (1), les motsqui, par leur sens, se rapprochent les uns des autres. Dela juxtaposition il n'y a qu'un pas a la composition. Parexemple: jusjurandum, respublica,prceire. Son signe ex-te"rieur est un accent unique, qui confond les deux motsenun seul. Toutefois, elle ne saurait etre complete quelorsque les elements qui constituent le nouveau mot sesont modifies dans la fusion. Par exemple: parricida, ar-miger, imberbis, etc. Un derive n'est qu'un compose" dontla derniere partie est devenue terminaison, c'est-a-dire a

(1) PhGnomene qui joue un role considerable dans l'accentuationgrecque, a laquelle nous renvoyons pour de plus amples details.

Toutefois, il y a aussi des enclitiques en Sanscrit, en latin, dansl'ancien allemand, etc.

Page 37: Aperçu général de la science comparative des langues

— u —pris un sens tellement abstrait qu'elle ne semble plus riensignifier par elle-me"me et qu'elle sert de"sormais a formerdes series de mots. Par exemple : yepovTwac, (ye'pwv, EWB),oivypoc, (xfivoc, et apt, ept, 6tre le premier), agrestis [ager et$tare">),amasco(ama-re&iesco,ero),candelabrum{candela,et laracinebhri, cpe'poo), etc., etc. Enfin, on ne considere pluscomme de'rive's, maisbien comme mots simples, des sub-stantifs etdes verbes, qui, outre leur theme, ne contien-nent plus que les desinences indiquant le cas, la personne,le nombre, le temps, le mode, e(c., etc. Et pourtant cesdesinences e"taient un jour, a coup sur, des mots indOpen-dants. La philologie moderne a reconnu que conjuguern'etait autre chose que reunir lespronoms personnels a laracine, et que primitivement on avait du dire: dormermoi, donner toi, donner nous, etc. Des formes comme 3s3&>-f«, .8i§a>-c,, §But-u, sont d'une origine relativement plusre"cente. Les temps et les modes etaient le resultat de l'ad-jonction des verbes auxiliaires i, aller; Be (Qw), mettre;bhu, as, etre. Le passif se forma dans plusieurs languespar l'agglutination du pronom rettechi r, se (laudo-r, laudo-se). La declinaison n'etait que la fusion du theme du nomavec des pronoms et des propositions. L's du nominatif estle restedu pronom de"monstratif sa (en scr.); 17 du datif,probablement la mutilation de la proposition iv, sv, etc.Nous sommes bien loinde connaitreavec certitude l'originede toutes les d6sinences qui indiquent la flexion; mais leslangues analytiques peuvent nous guider dans nos recher-ches. Of the father (angl.) signifie proprement eloigne dupere : car of et off (loin de) sont identiques. To the father,tendance le pere : car to est identique a zu (allem.), quivient du verbe allemand ziehen, tirer, tendre. Toutes les ra-cines sont d'origine verbale ou pronominale, quand ellesne sont pas l'un et l'autre a la fois; et les formes souvent

Page 38: Aperçu général de la science comparative des langues

— 25 —

si e'courte'es des particules, propositions et adverbes, quien descendent, s'expliquent par l'effort qu'a fait la languede les adapter au sens plus general qu'elle vient de leurdonner, a la place moins large qu'elles tiennent dans laphrase. Ainsi, vv,. vw, viennent de wv, maintenant, et ce-lui-ci probablement de ve'ov, nouveau (racine vt, venir);p£v et 86, de p>vov et duo, premierement, deuxiemement|;en allemand, ich auch, moi aussi, serait litteralementmoi augmentation : car la racine auch, aug, signifieaugmenter.

Le travail de generalisation que poursuit la langue nes'arrete pas la. Nous le retrouvons dans la phrase me'me,ou les exemples les plus frappants nous sont offerts parl'accusatif avec l'infinitif, et l'ablatif absolu en latin. Engrec, tous les cas, comme on sait, peuvent se construired'une maniere absolue. Les nombreux genres d'attractionque prfeente la syntaxe de cette derniere langue nous four-nissent de nouvelles preuves de cette the"orie. Mais, en yregardant de pres, on se convainc que la me'me regieeclate partout et constamment, dans la phrase la plussimple comme dans la periode : car les mots : caju-s, es-t,stultu-s, ne signifient proprement que caju-M, etre-lui,sot-lui. La desinence, dans tous les cas, est comme le de"-nominaleur; elle re"unit sous elle les Elements qui, ad-ditionne"s les uns aux autres, constituent ce que nous ap-pelons une phrase.

C'est ainsi que le langage humain, compost au debutde sons rudes, in formes, sans rapport mutuel, est arrive,dans les langues indo-europeennes, a ce merveilleux en-chainement de formes, a cette organisation vivante, quicaique la marche rapide de la pensee de ces races si jeunes,et nous offre un systeme d'images et d'idees qui r^pondau systeme social dans les 6tats primitifs 6galement for-

Page 39: Aperçu général de la science comparative des langues

— 26 —

roe's par l'instinct. Ce qui domine assurement dans leslangues dont nous venons de parler, c'est le besoin d'ex-primer chaque nouvelle nuance de la pensee par une formeadequate. Aussi peut-on reconnaltre dans des mots soi-disant simples deux ou trois racines et quelquefois da-vantage. Toutefois, on ne saurait nier quela langue, pourexprimer de certaines modifications de la pense"e, n'aitparfois recours a une me"thode que j'appellerai symbo-liqve ou virfuelle, comme lorsque le genre feminin esthabituellement indique" par un i ou un a longs, ou la de-rivation interne par l'allongement et la modification de lavoyelle radicale (1).

L'allongement se rencontre frequemment en sanserif.II consiste dans l'insertion d'un a bref, guna, ou d'un along, wriddhi. Parexemple: Kimti, nom propre; Kaunteja,descendant de Kunti. II joue un role tres marque dans laconjugaison; parexemple: racine£/m/(flechir), parfait,bubbdj"a= bubh -\-a-\-uj'a; racine bhid (fendre), parfaitbibhMa= bibh-\-a-\-ida. Maiselle ne peutavoirlieu quelorsque les desinences sont faibles (2); des qu'elles sontfortes, legftmadisparaftde nouveau, parexemple, dans lapremiere personne pluriel: bubhuj'ima, bibhidima. Dans leseul cas ouleredoublement est supprime, il seproduit dansla conjugaison sanscrite un phe'nornene analogue a celuide la deflexion allemande (Ablaut). Ainsi, de tan (etendre)vient le parfait tatana (grec xi-wx), seconde personne ta-tantha ou tenitha pour tatanitha; de meme tinima pour ta-tanima, tSnus pour tatanus. Mais ce fait est tenement isole"qu'il est prudent d'attribuer au guna d'abord plulot une

(1) Benloew, Accentuation des langues indo-europeennes, p. 2.(2 ) Voyez Henri Weil et Louis Benloew, Theorie generate de Vac-

centuation latine, p. 365, 366 et suiv.

Page 40: Aperçu général de la science comparative des langues

— 27 —

valeur phone"tique, quoique dans bhodhami (je sais),abhavat (il e"tait),il semble exprimer la dur^e, notion quene renferment pas les formes plus le"geres : abhhudham(je sus), abhut(i\ fut).Nous prouverons ailleurs que lesensintime du guna est celui de l'affirmation, et qu'il sert aappeler l'attention sur la syllabe qu'il renforce.

La modification de la voyelle radicale a de"ja une por-te"e tout autre dans les langues classiques proprement di-tes. Elle s'y e"tend a un grand nombre de formes gram-malicales; nous citons seulement : T^oyoc, de iplxw >man; de TTOW, nopnri de ro'/xrat), okwc, de e'Xxco; lat. pul-sus de pello, fors de fero, toga de tego, mons de mi-neo. Dans ces mots e"videmment il ne saurail etre ques-tion de l'insertion de telle ou telle voyelle determin6e;l'essence me'me, la qualite, et, pour ainsi dire, la cou-leur de la voyelle radicale, est changee completement. Cechangement n'a lieu, bien entendu , que dans les verbesprimitifs; c'est la qu'il acquiert des proportions conside-rables , surtout dans les langues teutpniques. La conju-gaison des verbes forts et le systeme de la d6rivation engrande partie sont domines en allemand par la de-flexion^) : Ich binde (je lie); ich band (je liais); gebun-den (lie"); substant. die binde (fr. la bande); der band(le volume); der bund (1'alliance); — ich helfe (j'aide);ich half (j'aidais); geholfen (aide); subst. hiilfe (le se-cours), etc. La puissance de ce principe a done augmentsconsiderablement du Sanscrit au grec et au latin, et du grecetdu latin a 1'allemand; et, en y regardant de pres, on seconvainc qu'elle a gagne tout le terrain que la flexion a

(1) C'est ainsi que nous appellerons desormais, d'apres le precedentdes Grimm, dans un interet de concision, la modification de lavoyelle radicale: car diflexion est la traduction litterale de TallemandAblaut.

Page 41: Aperçu général de la science comparative des langues

— 28 —

perdu. Eneffet, a mesure que les desinences s'affaiblis-sent et se perdent, le genie de la langue, dans une vuereparatrice, en remplacant l'expansion des formes parune intention virtuelle, donne asile a la flexion dans lecceur meme du mot. Dans la d6clinaison, la langue s'est ser-vie pareillement d'un proce"d6qui a I'origine n'avait qu'uncaractere phon6tique pour remplacer les desinences de laflexion : nous voulons parler de l'adoucissement. Ainsi lepluriel de valer, pere, se disait autrefois vdtere , et \'e dela terminaison seul indiquait le nombre; et c'est cet e,ancien i, qui etait venu troubler le son pur de Va de lapremiere syllabe. Aujourd'hui que Ye de la desinence esttombS, l'adoucissement seul indique le pluriel.

Mais, quelque considerable que soit la place qu'occupedans les langues indo-europeennes le principe que nousvenons de decrire, il ne semble pas leur £tre inherent nidecouler necessairement de leur nature. II y a pris unenaissance tardive, et il semble s'etre developpe parallele-ment aux habitudes de reflexion instinctive et d'analysee"nergique qui caraclerisent les races qui murissent et quiont toujours dislinguS particulierement les races germa-niques. Dans l'organisation des langues japhetiques, lamodification de la voyelle radicale ne tient done que lesecond rang ; le premier est occupe par le principe de lacomposition, amende elle-meme par la puissance attractivequi entrainait les racines-molecules du langage les unesvers les autres pour les combiner et pour les unir.

II. Langues semiiiques.

C'est juste l'inverse de ce que nous venons de voir quise passe dans les langues semitiques. Le principe de lacomposition s'y fait ties faiblement sentir; le principe de

Page 42: Aperçu général de la science comparative des langues

— 29 —

la deflexion est celui de leur vie meme et de leur de"velop-pement. Nous avons deja vu que ces langues, commetoutes les autres, ont du d6buter par le monosyllabisme;mais, au lieu de contracter 1'habitude de re"unir plusieursde ces atomes monosyllabiques, pour creer avec leur aidedes mots organises, les anciens Semites ne sortirent pasdes bornes des racines primitives. Celles-ci, en se diver-sifiant et en se nuangant, s'adjoignirent la froisieme con-sonne dont il a ete~ question plus haut, et eurent ainsi uneespece de croissance organiqueet naturelle, inde"pendantede tout Element stranger. Ces troisiemes consonnes quiservirent a specialiser le sens trop vague des racinesn'eurent certes pas une signification nette et precise. Onne peut cependant pas affirmer que leur adjonction ait6te l'oeuvre du caprice; nous y rencontrons les premierestraces de cetle tendance du genie semitique a exprimerpar des modifications insensibles, et d'une maniere tout afait inadequate, des modifications profondes de la pensee.Comparons les racines :

(para), porter, fitreporte, inciter, pousser, hater.

(p&raK), porter, engendrer.

TIB (p&rad), etendre, reparidre, fuir, separer.

P S (p&rads), separer, decider.

(p&rahh), s'elancer, bourgeonner, fleurir.

(parai), semer, dissiper, repandre.

(parahti), briser, comprimer, separer.

D"1S (pararri), dechirer.

D13 (paras), briser, separer, fendre.

JT1S (para1), affranchir, Iacher, decouvrir.

V~)B (p&rats), abattre, arracher, envahir.

p*13 (ptirak), demolir, abattre, dechirer, affranchir.

Page 43: Aperçu général de la science comparative des langues

— 30 —

"PS (pamr), briser, rendre vain, infructueux; aneantir.

fens (p&ras), briser, morceler, etendre, dissiper.

• tthB (p&racli), separer, discerner, declarer, definir (piquer,

blesser), etc., etc.

La forme commune a toutes ces racines bissyllabiquesest le theme primordial "IS (par), quisigoitie : se mou-voir avec violence. Cette signiBcation, nous la retrouve-rons dans toutes; mais nul -ae pourra dire pourquoi I S(par) augments" de n (hh) veut dire bourgeonner, fleurir;de W (sh), definir, indiquer, declarer; de J? [ajin), af-franchir, lacher, et ainsi de suite. Nous rappelons au sur-plus qu'un fait semblable se produit dansles languesindo-europe"ennes, au chapitre de la derivation, ou des verbestels que lovo, luo, pluo, fteo, itlica, etc., peuvent 6tre con-sid6rescomme des variations d'une seule racine primitive.

La racine h6braique, s'etant ainsi compl6t6e et pre"sen-tant dfeormais deux syllabes, exprime en meme temps latroisieme personne singuliere pr6te>it du genre de verbesle plus simple, kal. Adoptons le verbe kdtal (tuer) pourparadigme en usage, et passons en revue les autres genresdont s'est servi le peuplehebreu. II y en a huit en tout, eny comprenaut le kal, qui r6pond a notre actif (kdtal, il atue) ; ce sont ;

Le niphal, passif (niktal, il a et6 tue);Le piel, iteratif (kittel, il a tue frequemment) ;hepoual, passif du piel (kouttat) ;Le hiphil, factitif (hiktil, il a fait tuer);Le hophal, passif du hiphil (hoktat);Le hithpael, reflechi (hithkatel, il s'est tue) ;Et le holhpaal, passif du hithpael (hothkatat).

On pourrait y joindre les formes plus rares du poel, du

Page 44: Aperçu général de la science comparative des langues

— 31 —

hithpoel, du pilel, du hithpalel et du pealpal. Le nombrede ces genres de verbes esl surtout considerable dans l'a-rabe classique. En etudiant leur formation, on reste con-vaincu de l'extre'me importance attached par le ge"nie se-mitique a la voyelle et a ses modifications diverses. C'estdans ces dernieres surtout qu'eclate avec une rare 6nergiece vaste symbolisme qui constitue le systeme des gram-maires semitiques. II faut absolument renoncer ici a l'ana-lyse, et se contenter de dire, par esemple, que la voyellemince et retentissante i marque un redoublement d'acti-vit6 (piel, hiphil, hithpael), que les voyelles sombresoetu marquent une action enduree ou soufferte {poual, ho-phal, hothpaal), et que Ya du kal semble marquer l'activite"pure et simple, sans aueune nuance de la pensee. La lan-gue a eu sans doute recours aussi a des consonnes forma-tives, comme aunound&nsniphal, &uhe dans hiphil et ho-phal, a la syllabe hith dans hithpael; mais qui nous don-nera l'explication de ces consonnes? Osera-t-on dire quea et hith ont une certaine parente avec 1'article et un pro-nom demonstratif quelconque; que le noun se rattache aune racine qui veut dire reposer? II n'est pourtant passans vraisemblance que le mem qui precede un grandnombre de participes, par exemple, m'kattel, m'kouttal,etc., soit un abrege du pronom interrogatif et indefini"'D (mi), fr. qui; mais aussi un tres grand nombre departicipes se forment seulement par une certaine modifi-cation des voyelles du preterit. Ainsi kdtal (il a tu6),participe actif: kotel; participe passif: katoul; niktal (il a&e tue), participe : niktal On peut dire la meme chosedes infinitifs et des imperatifs. Ainsi de kdtal, infinitif:Midi (tuer); imperatif: k'tol (tue); de kittel (iteratif), in-finitif et impe'ratif: kattel (tuer ou tue fre"quemment).Mais d'autresfois ces deux modes, pour se former, ont re-

Page 45: Aperçu général de la science comparative des langues

— 32 —

cours a un he place" devant la racine. Leheest remplace"quelqtiefois parle tav{t), enarabe (seconde conjugaison),forme importante parce qu'elle a donne" naissance a unefoule de substantifs qui en deYivent. Cette forme, si elleexistait en he"breu, serait takloul ou taklil. C'est autourde ces participes et de ces infinitifs que se groupe l'im-mense majorite des substantifs et des adjectifs de la lan-gue hebraique, ou, pour vrai dire, ils ne sont que cesparticipes et ces infinitifs eux-me"mes, ou des formes plusrares et le"gerement modifiees de ces participes et de cesinfinitifs (1). A coup sur, la deflexion, quelque impor-tance qu'elle ait eue dans la formation des idiomes germa-niques, n'a pas pe"ne"tre au m6me point toutes les partiesde leurs grammaires; et d'ailleurs elle n'y atteint jamaisqu'une seule syllabe, celle de la racine, tandis qu'elletransforme constamment deux syllabes dans les languesse"mitiques, puisque ce sont toujours deux syllabes quiconstituent les racines de ces langues. Nous pouvonsajouter que depuis une serie de siecles la force de ce prin-cipe a diminue", et que son influence n'est plus guere sen-tie dans les idiomes teutoniques: car, lenombredes verbesfaibles, c'est-a-dire Grangers a la deflexion, augmentanttous les jours, beaucoup de verbes anciennement fortscommencent a se conjuguer comme verbes faibles, ensorte que le systeme de ces idiomes est ramen6 insensible-ment vers son premier principe, celui de la composition.

11 y a sans doute en hebreu une serie de substantifsforme's a l'aide de desinences; mais, si Ton excepte cellesqui designent le fe"minin, et que Ton rencontre dans pres-que toutes les langues anciennes et modernes, le nombrede ces desinences est exlre'mement limite et leur e"tymo-

(1) Voyez G^s^nius, Grande grammairc hebrcCique, p . 481 k 521.

Page 46: Aperçu général de la science comparative des langues

— 33 —

logie est peu aise*e a trouver. Ce sont surtoul dn ou dn,out,i, i , eh, dm, et quelques autres que Ton rencontreIres rarement.

On sait que la de"clinaison se"mitique ne se forme pas al'aide de desinences, comme la de"clinaison des languesindo-europe"ennes. Le pluriel et le duel y sont designespar les suffixes im et aim pour le masculin, et 6th pour lefeminin. Leur e"tymologie n'est nullement claire; on peutsupposer si Ton veut que im se rattache a une racine amou amam (etre nombreux), a im (avec) ou a'm (peuple),ou encore a jam (la mer). Toujours est-il que la formationdu duel aim n'admet pas d'explication directe et precise,car il ne parait e"lre qu'un pluriel nuanc6 et renforce".

La flexion du verbe se fait naturellement a l'aide depronoms dont les formes mutilees et extre'mement varie'esprecedent ou suivent le radical. Lorsqu'elles le suivent,elles constituent le preterit; lorsqu'elles le precedent ouplut6t lorsqu'elles precedent l'innnitif, elles constituentle futur:

Preterit.

k&tal,kaCMh,

k&laV-td,

k&tat-C,

k&taV-ti,

kdCl-ou,

k&Vl-ou,

kHaVlem,

k'taV-ten,

k&tal'rnou,

sing., 3 e pers. m.

» — f.2" — m.

» — f.

1 " — m.f.

plur., 3e — m.

» — f.

2e — m.yy ^

ire _ m - f.

Fotur.

ji-Vtdl;

ti-k'tdl;

ti-Vtdl;

ti-Vtl-i/e-kH6l;

ji-k't'l-OU;

U-kHbin&h;

ti-KCl-ou;

ti-Utol-n&hi

ni-Vtol.

Que Ton compare les suffixes et les pr6fixes des exem-3

Page 47: Aperçu général de la science comparative des langues

pies que nous venons de citer au tableau suivant despronoms personnels:

Sing., 3e pers. hou; lui;3) — hi, elle;2e — attah, att&, toi homme;» — atl\ aCj, loi femme ;l r e — ani, Anbhhi, moi;

Plur., 3e — Mm, hemah, eux, les hommes;» — hen, hennah, elles, les femmes;2e — attem, vous, les hommes;>•> — aMn, atten&h, vous, les femmes;l r e — anou, anahh'nou, nahhnu, nous.

1° Preterit. — II est Evident qu'entre les pronoms suf-fixes du preterit et les pronoms' personnels inde".pendantsil n'y a pas identity absolue. Le suffixe de la Iroisiemepersonne du singulier feminin, ah, ne parait etre autrechose que la d6sinence de substantifs feminins. Cela estd'autant plus sur que la troisieme personne du masculin,absolument comme un substantif du meme genre, n'a pasde desinence. Le suffixe de la troisieme du pluriel ou etoun, si different de Mm, hennah (eux, elles), semblen'e'treautre chose qu'une ancienne desinence plurielle des sub-stantifs, conservee encore dans Y-und de la langue arabe;peut-etre aussi est-ce une forme affaiblie du suffixe de lapremiere personne du pluriel nou, abrege lui-me"me dupronomanoii. Ce pronom, desiguant un certain nombre depersonnes parmi lesquelles l'interlocuteur se comprendlui-me"me, pouvait s'appliquer a la troisieme personne dupluriel, du moment qu'on oubliait de marquer cetle der-niere circonstance (1). L'etymologie des suffixes de la

(1) En effet, supposons que dans une circonstance quelconque je fassepartie d'une reunion de dix, vingt, trente personnes : je dirai nous

Page 48: Aperçu général de la science comparative des langues

— 35 —

seconde personnedusingulieretduplurielnefait pas de dif-ficult , puisqu'ils se rattachent 6videmment aux pronomsattah, att' (toi), attem, attSn (vous). Au surplus, il 6taitnaturel de designer la seconde personne avec plus de pr6-cision et de nettete"; mais on n'a pas pu indiquer jusqu'apresent avec certitude l'origine du suffixe ti de la pre-miere personne, ou Ton s'attendrait a voir ni ou i toutseul pour ani, dnohhi (moi). Gese"nius suppose I'existenced'un ancien pronom at'i qui aurait indique la premierepersonne, comme attah la seconde; la difference du moi etdu toi aurait done e"te marquee par une simple differencede voyelle, supposition qui, a coup sur, ne serait pascontraireau ge"nie des langues se"mitiques. Nous ne pou-vons cependant pas nous empecher de citer un fait ana-logue emprunte a la langue copte, dont les pronoms, onle sait, ont tant de rapport avec les pronoms se"mitiques.Dans cette langue, le pronom personnel inde'pendant sedit anok (moi, he"br. dndhhi), mais le suffixe de lapremiere personne est designe" tant6t par un i, tantot parun t, et dans katalti les deux lettres se trouvent re"unies.

2° Futur. — Si au preterit ce sont les suffixes qui con-stituent la flexion, au futur ce r61e est joue plus parli-culierement par les prefixes, quoique les suffixes n'ensoient pas exclus. Ces prefixes ne sont autre chose queles mfimes pronoms personnels, mais places devantl'in-finitif. Us donnent a ce dernier le sens du futur, ce quin'a rien d' 6tonnant pour ceux qui savent que le pronompersonnel tout seul joint a un adjectif, par exemple, rem-place le verbe substantif elre (ani-adam, moi homme,

lorsque je me considfererai comme faisant partie de cette reunion jedirai eux lorsque je m'en serai retire. Apollonius a deja remarque,comme me le rappelle fort a propos M. Egger, que le pluriel de la pre-miere personne comprend aussi la seconde et la troisieme.

Page 49: Aperçu général de la science comparative des langues

— 36 —

c'est-a-dire je suis un homme). Or, dans un tres grandnombre de langues, et notamment dans les idiomes ja-phetiques, le futur est compost de la racine suivie duverhe Stre, et, dans les langues ne"olatines, de l'infinitifsuivi du verbe avoir (je louer-ai). Le preTixe;» de la troi-sieme personne, singulier masculin , est consider^ commeremplacant le vav, qui lui-merne ne serait que le restedu pronora personnel hou (lui).. On sait que les anciensHebreux evitaient de mettre un vav au commencementdes mots, de peur qu'on ne le confondit avec la conjonc-tion va(fr. et). Peut-etre aussi ce yod est-il le reste de laforme verbale indeclinable jesch (il existe). Mais il nefaut pas nous dissimuler qu'en ayant recours an verbeMre, on peut aussi considerer le yod comme une mutila-tion de hajah, qui a cette signification en hebreu (1). L'ex-plicationdela troisieme personne du singulier el du plurielfeminin presenteegalement de grandes difficulte's. A moinsd'admettre que le pr^fixe ti ait et6 transfere par erreurde la seconde personne a la troisieme, il faudra y voirla desinence ti des substantifs feminins. Quant au suftixendh dans le pluriel tik'tol'-ndh, il rappelle le pronom per-sonnel Mnnah (elles). — Dans les prefixes de la secondepersonne , singulier et pluriel, on reconnait aise"ment letav de atlah7, aW (toi), attem et altin (vous). Le suffixe,dans tik't'l-i (toi femme tueras), s'explique par la circon-stance que i designe fre"quemment le feminin en syriaque;

(1) Ce qui nous fait croire que ce jt est le reste du verbe substantif6tre Qesch ou hajah), et non pas le reste du pronom personnel hou(lui) , c'est la circonstance que ce ji se retrouve a la troisieme per-sonne du pluriel ji-k'Clou. Nous repoussons done Fidee de voir aussibien dans le ji qui precede que dans You qui suit des restes du pro-nom personnel de la troisieme personne du singulier, et nous expli-quons jiMlou par : il y a tuer eux.

Page 50: Aperçu général de la science comparative des langues

— 37 —

dans tik' tl-ou (vous hommes tuerez), le suffixe ou marquesimplement plurality, comme dans jik't'lou. Dans tik'tdl'-ndh, le suffixe ndh rappelle des formes comme le pronompersonnel Mn (elles) et I'aram6en tin — hebr. 6t (plurieldu fem.). Va qui succede au wownserait, d'apres G e -nius, une syllabe paragogique , sans signification parti-culiere, comme dans attindh, Mnntih. L'aleph (e) de lapremiere personne du singulier est abr6g6 de ani, commele nou de la premiere personne du pluriel est abre"ge deanou. Dans la premiere, c'est le noun; dans la seconde,c'est Valeph, qui ont ete sacrifies pour elablir une dis-tinction plus marquee entre les deux formes.

Les pronoms personnels ind6pendants pouvaient e"treabreges et mutilfe aussi lorsqu'ils se joignaient aux nomsen qualite de pronoms possessifs; par exemple : sous (lecheval), sous-i (mon ctieval, comparez ani), sous-6 (soncheval, comp. hou), sous Snou (notre cheval, comp. noil);ou bien aux verbes en qualite de regime a l'accusatif, parexemple: KtaV-td-ni (tu as tue moi); ou, en dernier lieu,lorsqu'on les re"unissait comme suffixes a certains ad-verbes, conjonctions et interjections, par,exemple: kamd-ni (comme moi), hinn-i (me voici), etc. Dans tous ces cas,le pronom abreg6 differe naturellement, a cause de cetteabreviation m6me, du pronom personnel independant;mais cette difference n'est pas assez considerable pour nouslaisser le moindre doute sur l'identite des deux formes.II y a toutefois une exception pour la seconde personne dasingulier etdu pluriel, qui, dans les cas rite's par nous,remplace le tav par le caph. 11 en est ainsi dans sous~hhd(homme ton cheval) sous-hM (femme ton cheval), sous-hhem (hommes votrecheval), sous-hhen(femmes votre che-val; nous pourrions ajouter le-hhd (a-toi), etc.

Ge"se"nius croit qu'il y a eu un ancien pronom anhhdh

Page 51: Aperçu général de la science comparative des langues

— 38 —

ou akah, d&ignant le singulier; et aken, ahem, designantle pluriel de la seconde personne de ce pronom, aurait e"te"fourni par l'analogie d'dnohhi (1). En effet, dans l'6thio-pien, le caph remplace le tav, m6me dans la conjugaison.C'est ainsi qu'on y dit gabarhha (tu as fait), pour gabarta.La langue h6braique a obtenu, par l'emploi de ces deuxformes differentes, l'avantage de distinguer nettement laforme kdtal-ta (tu as tue) d'avec kdtal-hhd (ton assas-sinat).

RESUME

On voit par Panalyse qui precede qu'on aurait tort deconsiderer la flexion dans la langue hebraique comme uneffet du principe de la composition. Lorsque les pronomsse joignent aux substantifs, ou, comme r6gime, aux ver-bes, ils ne se fondent pas entitlement avec le mot prin-cipal comme des desinences devraient faire. Ils ont plutotle caractere d'enclitiques, tel que dans ro^p p>u, limina-que, ou au moins comme ces terminaisons antiques [de, cp,0ev) qui n'ont pas encore tout a fait de'pouille' leur natured'enclitique : olwvSs, Trruocp, psyapoSev, etc. La preuveque ces pronoms ne font pas ne"cessairement partie desverbes ou des noms auxquels ils sont joints, c'est qu'onpeutles en detacher sans que Intelligence du mot ensouf-fre. Que Ton s6pare les suffixes i, chdh, chem, de sous-isous-hhdh, sous-hhem, il restera toujours le nom sous quiveut dire cheval; mais on n'obtiendrait pas le meme re"-sultat si 1'on de"tachait ainsi les desinences du radical dans•noil-Zen, ex-oust, lup-orum, mun-ibus.

(1) II se pourrait cependant que cette forme du pronom vint dusubstantif ("IN (aftfc), frere.

Page 52: Aperçu général de la science comparative des langues

— 39 —

Quand nous examinons la nature des prefixes et dessuffixes dont l'adjonction au radical donne naissance a laconjugaison se"mitique, nous sommes forces de reconnaitreque la langue, au lieu d'avoir choisi les formes bien con-nues des pronoms personnels., semble souvent avoir taton-ne" et s'6tre Iaiss6 determiner plus d'une fois par un in-stinct vague ou par des souvenirs obscurs, comme dansji-k'tdl (il tuera), kdt'l-ou (ils ou elles ont tu6) etji-k't'l-ou (ils ou elles tueront), ti-k'tdl (elle tuera), et peut-etredans kdtal'-ti (j'ai tue). Ici, 6videmment, ce n'est pas dedeflexion qu'il peut etre question, puisqu'il s'agit de con-sonnes ajoutees plut6t que de voyelles; mais bien duprincipe m6me qui a donne" naissance a la deflexion.En effet, la conjugaison hebraique n'est pas ne'e, commela conjugaison japh&ique, de la combinaison d'elementsbien connus et qu'il a e~te possible a la science de recon-naitre et de fixer; mais par un proc^de" plus rapide, plusmysterieux et plus createur, qui se laisse deviner plutotque d6crire et analyser. Meme dans les cas ou I'identit6des prefixes et suffixes avec les pronoms personnels est apeu pres ^vidente, la langue ne parait pas toujours avoirrecours a la composition proprement dile, comme danskdtal'-td, Ktal'-tem y mais dans les ti-k'tdl, ti-k't'li, ti-k'tl'-ou, ti-k'tdl-ndh, on dirait qu'elle a trouv6 par un ha-sard heureux, plutot que par la voie du raisonnement, laconsonne caract£ristique de la seconde personne.

II est done bien certain que, si les langues indo-euro-peennes doivent la naissance de leurs grammaires et deleurs vocabulaires surtout au principe de la composition,le curieux symbolisme dont nous venons de de"crire la na-ture fait.la force et la vie desidiomes se"mitiques. Aussi,si nous avons pu nous convaincre que l'influence de ladeflexion s'est affaiblie et est pres de s'^teindre dans les

Page 53: Aperçu général de la science comparative des langues

— 40 —

langues groupies autour du Sanscrit, il n'en estpasdeme'rne dans les langues plus modernes de la race de Sem.La deflexion joue un role plus grand dans l'arabe de nosjours que dans l'hebreu du temps de David et de Salomon;elle y a pe'ne'tre' dans la de"clinaison du substanlif, elle y aforme certains adjectifs et certains noms de nombre. L'he-breu ne connaissait pas le pluriel irre"gulier, qui, au lieude marquer le nombre par une desinence preh'xe, l'indi-que par la modification des voyelles radicales. Ainsi:

djebel (montagne), fait au pluriel djebal;qalb (le coeur),choqf (navire),oueled (fils),sour (rempart),sif (sabre),mesken (demeure),djenan (jardin),kitAb (livre),

— qloub;— chqouf;— aouelad;— asuar;— siov.fi— mesaketii— djendirti— Wt&b (suppression de Yi)

C'est par un changement des voyelles que les Arabesindiquent souvent les formes diminutives :

djemil (gentil) , djemeiiel (gentillette) ;cerhir (petit), cerh&er (tout petit);gdder (puissant), gouider (dou6 d'une petite puissance);asouad (noir), souioud (un peu noir).

Et dans les nombres les nume'ratifs ordinaux et lesfractions. Ainsi:

trois se dit: ilata; le troisierae : tdlit,- un tiers: et-toult,-quatre —: arba'a; le quatrieme : r&bi; un quart: er-i-oub,-cinq —: khamsa,- le cinquieme: kh&mis,- un cinquiferae: elrhhoums.

Page 54: Aperçu général de la science comparative des langues

— a —En presence de ces faits, on ne peut pas se dissimuler

que les langues s6mitiques, au lieu de devenir infidelesau symbolisme primitif, qui sert de base a leur constitu-tion, s'y sont fortifiees de plus en plus. Elles lui doivent ala fois leur originalite et un cachet indelebile. 11 y a sansdoute dans l'arabe moderne quelques exemples de formesn6es de la composition de deux elements. Ainsi : Allahpour Al—ilah (la Divinile), et les numeratifs ordinauxetcardinaux, de onze a dix-neuf:

onze se dit ahhd&ch pour ahhad - j - a'cher;douze — etndch — etna -\- a'cher;treize — tlett&ch — tlatd-\-alche7-, etc.

Mais ces faits, rares etisoles dans la langue, ne prou-vent rien pour son caractere synthetique, pas plus que lesquelques composes recents que nous rencontrons dans leslangues neolatines (dans le francais, par exemple, j 'aur-ais, jelouer-ai, des-or-mais, dor-en-avant, ja-mais, etc.)ne nous autorisent a mettre ces langues sur la meme ligneque le grec, le latin et le Sanscrit.

III. Marche des idiomes indo-europeens et semitiques. Comparaison.

Nous nous rappellerons qu'en effet les langues primi-tives de la race japhetique avaient du leur naissance a unsynth^tisme aussi vaste et complique" qu'intelligent etprofond : car, a l'origine des langues, la raison est tou-jours a l'ceuvre, quoique ce ne soit qu'une raison instinc-tive et d'autant plus puissante qu'elle ne se connait pasencore. Le terme de'la p6riode synthetique elait marqu6

Page 55: Aperçu général de la science comparative des langues

— 42 —

au moment ou cette raison , se repliant sur elle-meme,conanaencait a scruter ses propres lois. II est curieux devoir comment la d6generescence atteignit tour a tour,dans l'antiquite" paienne, la soci6te, lafamille, lalittera-ture, et, en dernier lieu, la langue. Les classes supe>ieuressont les premieres a se corrompre; puis viennent les artset la literature. Mais, lorsque la corruption passe dugouvernement et des institutions dans les moeurs priveeset deshonore le foyer domestique, alors les fortes assisesde la langue commencent aussi a se disloquer, et la ruinede la nationality est imminente. La langue est le derniersymbole de l'existence d'un peuple; avec la perte de cesymbole commence non pas une Evolution, mais une ci-vilisation toute differente.

La chute de l'e"dince social des anciens et la chute decet edifice de leur pensee qu'on appelle le systeme d'unelanguedevaient done se suivre de bien pres. Mais, a moinsd'une destruction entiere de la race grecque et latine, leslangues nouvelles devaient, sur le sol jadis occupe parcette race, se former en grande partie avec les debris desidiomes qui les avaient precedees. Cependant, si la con-struction du langage primitif, a la seule exception peut-6tre des racines, avait e"t6 l'oeuvre de la raison instinctive,et rappelaitainsi, parson tissuet son d6veloppement, ceuxdes organismes naturels, la reconstruction des languesfut l'ceuvre a demi reflechie d'une raison qui commence aavoir conscience d'elle-meme, d'une pense"e philosophiquequi, par sa clarte" et sa vigueur, supplee a la richesse eta la f6condit6 des formes, dont abondent lesancienneslangues. Non-seulement toutes les idees, mais encorepresque toutes les nuances d'id6es, devaient etre renduespar des mots se"par6s, independants, et l'enchainementde ces id6es devait desormais , dans la composition de la

Page 56: Aperçu général de la science comparative des langues

— 43 —

phrase, se de"rouler avec la fatalite" d'un th^oreme d'al-gebre. C'est pourquoi les langues modernes sont appeleesparticulierement langues analytiques. Mais les deux quim6ritent ce nom de preference a toutes les autres son'le frangais etl'anglais. Assure"ment, de la mere et we lovsignifient exactement la me'me chose que mains et ama-mus. Mais ce n'est pas sans intention que le ge"nie deslangues modernes fait pre"ce"der la racinede ces petits motsqui de"signent le cas, la personne, etc., au lieu de Ten fairesuivre. Un fait qu'on remarque en general dans l' tud©des langues, c'est que les pr6fix.es s'unissent bien moinsintimement au corps du mot que les desinences. Les pre-miers restent toujours reconnaissables et tant soit peu in-dependants, tandis que celles-ci finissent toujours par etreattire"es, absorbe"es, par le mot plus fort qui les pr6cede (1).Cela se voit distinctement par l'exemple des langues sue-doise, danoise et valaque de nos jours, ou Tarticle seplace apres le substantif, et ou les declinaisons ont garde"jusqu'a un certain point un caractere synlhe"tique.

Ainsi les langues japhetiques modernes, en plagant lesparties accessoires du discours (celles qui n'exprimentque les nuances, les modes de la pense"e) avant celles quien renfermentle fond, semblent donner a entendre qu'ellesse sont definitivement arr^tees a l'analyse; qu'elles re-poussent energiquement toute fusion nouvelle entre lesdifiKrents elements qui constituent le langage; que rien neleur est plus Stranger qu'une tendance de"cide"e, univer-

(1) Les premiers hommes, en placant la racine devant la desi-nence , c'est-a-dire la partie accessoire du mot, semblent avoir voulumarquer la predominance de la premiere. II est clair aussi qu'a leursyeux les prefixes avaient une valeur plus considerable non-seulementque les desinences, mais, dans un grand nombre de cas, rafime quela racine.

Page 57: Aperçu général de la science comparative des langues

— U —

selle, vers une synlhese derniere et absolue, qu'on a es-saye" de nous presenter comme la perfection a laquelletoutes les langues civiiisees devaient aspirer eri dernierlieu.

Mais, quoique les langues de l'Europe actuelle neparais-sent plus etre susceptibles de changer etde se transformerde nouveau, il n'en est pas moins vrai que les idiomesjaphetiques ont eu un developpement varie et puissant, etque, depuis leur origine jusqu'a nos jours, ils ont par-couru un vaste cycle en passant du raonosyllabisme ausynthe'tisme et eh revenant du synthetisme al'analyse,comme a leur point de depart. On n'en peut pas dire au-tant des idiomes se"mitiques, qui offrent, on l'a dit biensouvent, un caraclere d'immutabilite' relative, s'avan-cant toujours en ligne droite, et, si Ton peut parler ainsien tenant compte de l'histoire des deux races, traversantde part en part le cercle japhetique. Seulement, nousnous croyons oblige de combattre l'opinion de ceux quivoient dans cette invariability du langage des Semitesleur incapacity de changer, de se transformer et de pro-gresser, et la preuve d'un genie inferieur et d'une orga-nisation moins complete que celle des Indo-Europeens.Si les Semites avaient cree, a l'origine des choses , desidiomes semblables a ceuxde la race japhetique, ils au-raient 6t6 Indous et ils auraient cesse d'etre eux-m^mes.Mais, ayant une fois forme' ce langage dont les elements con-stitutifs se retrouvent dans l'hebreu d • la Bible, il paraltimpossible que les Semites en aient.plus tard pu changerla nature et le caraclere. On doit meme reconnaitre, selonnous, qu'ils ont reussi, malgre l'extreme fixite que leursidiomes paraissent avoir acquise des les premiers temps, ales enrichir d'une serie de formes grammaticales et d'unefoule de mots nouveaux et poe"tiques, a une epoque ou

Page 58: Aperçu général de la science comparative des langues

- 4.5 —

presque toutes les langues civilis6es avaient perdu leursfaculty's cre"atrices.

Ce qui chez les Indo-Europeens semble avoir donne"naissance aux langues analytiques. c'est, comme tout lemonde le sait, la perte ou au moins l'affaiblissementfrequent des desinences. Or, il est certain que ce phe"-nomene n'est pas tout a fait Stranger a l'arabe mo-derne, et surtout a l'arabe parle de nos jours. Celui-ci alaisse" tomber en desuetude une foule de formes de l'arabeclassique, entre autres la d6clinaison arlificielle et bonnombrede conjugaisons. Nous avonsvuque dans lesnomsde nombre cardinaux et ordinaux, entre dix etvingt,les Arabes supprimaient la derniere syllabe de a'cher,comme ils retianchent souvent la voyelle i du substantifchi (la chose) dans des phrases telles que celles-ci :

choufl-ho-ch (l'as-tu vu)?ma tchheub-ch (tu ne veux pas) ?ma qolt lo-ch (je ne lui ai pas dit).

La langue vulgaire supprime volontiers les voyellesfinales , lorsqu'elles ne sonl pas indispensables au sensdu mot. Par exemple : ismok (ton nom) pour ismoka, fiel-semavat (dans les cieux) pour fi el-semavati, mm el-scherir (du mal) pour tnin el-scheriri, etc. (1). Ces voyel-les ne se prononcent plus que dans les ecoles.

Si la perte des desinences n'est pas devenue ge"ne'raleen arabe, cela tient e"videmment a ce que le systemedelaflexion y est extremement simple et se rapproche beau-coup de celui de nos idiomes modernes. Si dans cette lan-gue le preterit a conserve ses suffixes, c'est que leur po-

(\)Mithrid., i, p. 393 et 394.

Page 59: Aperçu général de la science comparative des langues

— 46 —

sition apres le radical assurait pr6cise"ment a ces" formesle caractere du pass6, et qu'il itait impossible de les re -trancher pour en faire des prefixes sans risquer de con-fondre alors les formes du preterit et du futur. Quant aufutur lui-meme, il devait rester invariable justementparce que sa flexion se fait surtout a l'aide de prefixesqui, de leur nature, ontdeja une certaine independanceet conviennent si bien au systeme grammatical des lan-gues analytiques. Pour ce qui est de la de"clinaison, per-sonne n'ignore qu'elle est etablie sur le m6me principeque dans nos langues; que les noms peuvent e"tre prece"-de"s de l'article; que les cas sont exprime's par des pre-prepositions min, I", b", etc., etque Ja difference me'medu nombre est fr6quemment indique"e en arabe non paspar une terminaison, mais par une modification internedu mot. Le comparatif et le superlatif s'y forment aussi al'aide de procedes analytiques, semblables a ceux enusage dans les langues ne"olatines, et nullement par l'ag-glutination de certaines desinences, comme Tspoc, T«TO;,

— lat. ior, imus, simus, etc., — all. er, est, etc.

II est vrai que l'extreme variety des genres de verbeset des modes de derivation qui en decoulent rend l'e-tude de Tarabe un pen difficile et lui donne, aux yeuxdes linguistes inexpe'rimente's, un caractere synthe'tique.Mais, ces genres et ces modes une fois etablis, il e"tait im-possible de les changer par l'analyse, en les simplifiant :car leur grande variete fut le resultat non pas de la com-binaison de deux ou plusieurs elements differents, maisbien de ce proce"de symboUque ou virtuel qui se cachesous le principe de la deflexion. Or, la flexion ayant e"te"ported au sein du mot par le ge"nie de la langue, cesmots, sous peine de p6rir, devaient rester immuables.Car, enfin, l'analyse ne peut avoir lieu que la ou aupa-

Page 60: Aperçu général de la science comparative des langues

_ 47 —

ravant il y a eu veritable synthese; et, puisque la com-position , a l'exception d'un petit nombre de substantifs etde quelques noms propres (1), est et a e"te de tout tempsun principe a peupres etranger aux idiomes se~mitiques,nous ne voyons pas comment ces derniers auraient puparcourir les memes phases que les langues indo-euro-pe"ennes.

C'est par la meme raison aussi que tombe le reprocheadress6 aux langues s^mitiques, d'etre pauvres de for-mes exprimant les temps et les modes. 11 est certain queles premiers Semites ont du etre frappes surtout par legenre de Faction, puisqu'ils l'exprimaient sous tant deformes diverses; mais c'est pre"cisement parce que pourl'exprimer ils avaient epuise toutes les modifications pos-sibles des voyelles radicales, et qu'il leur etait interdit derecourir a la combinaison de deux elements differents,qu'il ne leur resta qu'un seul moyen de rendre la varietydes temps : c'etait de placer des pronoms ou des formespronominales apres le radical pour marquer le pre-terit , ou de les placer avant l'infinitif pour designer lefutur. II ne faut pas oublier que les langues germaniqueselles-memes n'ont que deux temps simples, et que pen-dant longtemps les langues slaves n'en ont pas eudavan-tage; que, si les langues neolatines, telles quele francais,l'espagnol, etc., offrent ici une grande variete et richessede formes, elles les doivent a un reste de ce genie synthe-tique qui caracterisait leur mere commune, le latin. Maisil importe de savoir si les anciens Semites, par cela me"mequ'ils n'ont pas eu de formes particulieres pour les autrestemps et modes, n'en ont r^ellement pas eu l'idee ou onte"te dans l'impuissance de les exprimer. Evidemment, cela

(1) Ges6nius, Grande gramm. hebraique, p, 318 et suiv.

Page 61: Aperçu général de la science comparative des langues

— 48 —

n'est pas : car, quoiqu'en g6ne"ral le present n'existepas (I) , et que toutes les actions puissent etre envisagescorame passe"es, passant, futures, ou se de"ve!oppant,ce qui est encore futur, on congoit que les Semites nese soient servis du present que pour marquer la dure"ed'uneaclion, cequ'ils reussissaienl afairede tout temps enplacjant le pronom personnel a cote" du participe (2). LesHebreux exprimaien t le subjonctif el l'optatif par de le"geresmodifications du futur, et, en faisant pr£c6der ce dernierdu vav conversif, ils indiquaient ce qu'on appelle l'im-parfait. Ces modifications prirent un caractere plus ac-centue" dans l'arabe, ou l'on distingue les trois formes dufutur : jaktola,jaktol, jactolan (5). Au reste, l'arabe parlgde nos jours a recours, comme presque toutes les languesanalytiques, aux verbes auxiliaires kan (e"tre) et mcha(aller); le participe de ce dernier, machi, 6tant place de-

( i ) II faut remarquer que le present n1a pas, chez les Indo-Euro-p6ens non plus, un caractere primiiif. Dans les formes allemandes :binde, band, liege, lag, Va primordial appartient a l'imparfait. L't dupresent date d'uneepoque plus rfecente, puisqu'on ne le retrouvequerarement dans les autres langues de la mgme famille. En grec, c'estTaoriste qui a conserve le plus l'integralite du radical, et , lorsqu'oncompare: tpsu^w, iyvyov; TU7TTW, ETIWOV; Xap6«vr.i,siaSov, il fautbienreconnaitre que le present et Taoriste n'etaient pas toujours aussi nel-lement figurds dans la conjugaison grecque, qu'ils le sont aujourd'hui,et que les formes les plus simples, et partant les plus anciennes, serencontrenl plutol dans Taoriste que dans le present.

(2)LesArabes d'aujourd'hui expriment le present, en mettant d'a-bord le verbe au futur ou au participe, et en le faisant precederdu petit mot ra (voici) suivi du pronom personnel. Ainsi, fecris actuellement peut se dire : ra-ni nektob ou rani kateb (voici moi, j '6-crirai; voici moi ecrivanl).

(3) Gteenius, Grande grammairc hebraique, p. 283; tie Sacy,Grammaire arabe, 1.1, p. 113 et suiv.; t. n , p. 19 et suiv.

Page 62: Aperçu général de la science comparative des langues

— 49 —

vant l'aoriste pour marquer une action future tres pro-chaine. Exemple : ech machi ta'mel (qu'allez-vous faire) ?

II est vrai que le discours des Semites ne connalt pasles ampleurs de la pe"riode grecque, ni l'embottement dela phrase latine, ni lesimitalionsqu'enonl lenteeset ten tentencore aujourd'hui les modernes, surtout les Italiens etles Allemands. Ce qui rendait de vastes pe"riodes possibleschez les anciens, sans que leur longueur nuisit a leurdarte", c'etait pr^cis^ment la variete a la fois et la nettete"des desinences indiquant les rapports des mots d'unemaniere palpable, et ramenant la pensee a l'unite parleur repetition et l'identite de leur son. Ces pe>iodes nesont pas possibles ou deviennent un defaut dans les idiomesprive"s de desinences ou n'en ayant conserve que de fortaffaiblies. Les idiomes semitiques sont dans ce cas, et lap6riode n'y aurait pas pu prendre naissance, me'me si legenie semitique ne s'etait pas attache, pour presenter lespensees avec la plus grande lucidite" possible, a les isolerles unes des autres. Au surplus, c'est une bien grandeinjustice de se plaindre a la fois des longueurs de la phraseallemande et de parler avec dedain de la simplicity naivede la construction semitique. En somme, les Semites ontfait de tous les temps ce que les Latins n'ont commence apratiquer qu'a partir de Seneque, et ce que les ecrivainsmodernes s'efforcent de pratiquer tous les jours. Coupezles periodes, nous crie-t-on de toutes parts, et, en rea-lite, on n'a qu'a ouvrir les romans de nos meilleurs au-teurs pour trouver des pages entieres remplies de petilespropositions nedepassant pas la longueur d'une ligne (1).

(1) Qu'on prenne, par exemple, les deux premieres pages deLeone Leoni, de George Sand, on sera frappe de la verite de ce quenous avangons.

Page 63: Aperçu général de la science comparative des langues

- 50 —

Lorsque nous tirerons les conclusions de ces longuesrecherches, il restera bien etabli que les idiomes japheti-ques, comme les idiomes s6mitiques, ont les defauts deleurs qualites et les qualites de leurs defauts; que cesdefauts et ces qualites, dans les idiomes japhetiques, ontpour point de depart la composition, et les defauts et lesqualites des idiomes s6mitiques celui du symbolisme.Reste a savoir lequel des deux principes prevaudra et au-quel appartiendra le premier rang,

il ne parait pas que les Indous aient, a l'origine deschoses, procede d'une maniere bien differente de celledes autres peuples, lorsqu'il s'agissait de designer desconcepts ou des objets qui presentaient plusieurs imagesa I'ame humaine. Ils semblent, comme les Chinois font en-core aujourd'hui, et comme ont fait les Tatares, les Egyp-tiens etc., avoir place deux racines cote a cdte, sanssonger d'abord a les combiner. La combinaison de deuxou meme d'un plus grand nombre de racines s'accomplitsans doute insensiblement; mais ce ft'est pas la que nouspouvons reconnaitre la superiority des Indo-Europ6ens,puisque d'autres races et d'autres peuples, dont les des-tinies ont e'te moins brillantes, comme les Finnois et lesGroenlandais, se servent aussi d'idiomes riches, flexibles,el qui ont pour principe le synthetisme. Nous ne de-vons pas, du reste, nous dissimuler que le proc6d6 de lacomposition,employe" par un si grand nombre de peuplesde notre globe est le plus naturel, le plus simple et leplus conformed des intelligences peu penetrantes et loutenveloppees encore du cr6puscule de l'imagination. Deuxchoses cependant.paraissent avoir distingue' la race indo-europeenne de toutes les autres: l'heureux choix de ces ra-cines monosyllabiques, l'heureusaet euphonique combinai-son non-seulement de plusieurs de ces racines en un mot

Page 64: Aperçu général de la science comparative des langues

— 51 —

bien organise, mais encore des consonnes et des voyellesen des syllabes bien harmonieuses. On voit, des les pre-miers pas de la race, sedistinguer cet os rotundum qu'Horace attribuait avec tant de justesse a la muse grecque. Maisce qui seinble avoir caracte"ris6 encore davantage les idio-mes japh&iques est une extreme souplesse et une grandeflexibility des formes, permettant a toutes les tribus devarier a l'infmi leurs grammaires et leurs riches vocabu-laires. Le veritable talent de cette race parait avoir con-sists a oublier tres rapidement les origines de ses formesgrammaticales, a les avoir change"es etmodifiees incessam-menten leurdonnant, avecle progres des siecles, l'em-preinte de chaquee"poque, du climat, des habitudes, en unmot, dumilieu danslequelchaque peuple vivait. Ilsoublie-rent si bien Ieur point de depart et les liens intimes qui lesattachaient tous, dans un temps primordial, a un centrecommun, que non-seulement, sans la connaissance duSanscrit, qui date d'hier, on n'eut jamais pu retrouver lapreuve de ces liens, mais encore que Frangais, Alle-mands, Slaves, Persans, son it loin de se douter aujour-d'hui que tous ils viennent du meme pays, que tous ilsparlent des langues qui au fond sont idenliques, que tous,a 1'origine des choses, ont eu des mceurs et des croyancesanalogues. Ce fait, d'une importance supreme, n'est en-core connu aujourd'hui que d'un petit nombre de savantset de Iettr6s. Ainsi done, !e merite principal des anciensIndo Europeans a ete celui d'oublier et de s'abandonnera la viedu moment; e'est pourquoi leursidiomes, plusieursfois interrompus dans Ieur carriere normale, ont pu re-naitre, se refaire, et produire, malgre d'etonnantes muti-lations — comme celles qui arriverent a l'anglo-saxonet au persan — de grandes et splendides literatures.C'est ainsi que les idiomes japhetiques ont dans l'anti-

Page 65: Aperçu général de la science comparative des langues

— 52 —

quit6 un cachet de mat6rialisme, qu'ils sont confus et em-brouilie's au moyen age, qu'ils s'eievent au spiritualismeet pour ainsi dire, a une clarte" algebrique dans les tempsmodernes. Us ont caique la marche ondule"e, et, si Tonpeut s'exprimer ainsi, le mouvement spiral de l'espritx

humain, et leur grandeur tout entiere est dans leur en-semble et dans leur developpement. Mais il faut se souve-nir que les peuples qui les parlaient n'eurent aucune con-naissance de cet ensemble et ne se douterent nullement deI'enchainement immense de leur destined. Tout chez euxest incoh^reat, passif, et ce qui les unit aujourd'hui lesuns aux autres, ce n'est pas leur propre pense"e ou leurpropre croyance, mais une pensee, une croyance, venuede source Mbrai'que.

S'il parait avoir e"te" dans la nature des Indous de subirtoutes les influences et de suivre toutes les impulsions, lecaractere des Semites parait avoir consiste a se refuser auxpremieres, a donner et a propager les autres. On recon-natt les traces de ce caractere energique dans les alluresconcentres et dans la forme inalterable de leurs idiomes.Repoussant, en effet, le principe de la composition , ilsfixerent isole"ment chaque image, chaque pense"e primitive,de peur qu'en les me lant a d'autres, il en put naitre obs-curite ou confusion. Us admirent cependant une se>ie demodifications de la pensee et du mot primitifs ; et c'estainsi qu'autour d'un petit nombre de monosyllabes quiresterent debout se grouperent les nombreuses colonnesdes racines dissyllabiques. Les 616ments de leur langueune fois e"tablis , les Semites ne les perdirent plus de vueun seul instant, et ils exprimerent les modes et les mani-festations diverses d'une m^me id6e par les variations etles modifications insensibles du me'me mot. Voila com-ment le S6mite remonta avec facility du dernier de>iv6 a

Page 66: Aperçu général de la science comparative des langues

— 53 —

la racine, et que de la racine, avec la mdme facility, il re-descendit au dernier derive". La vie circula dans toutes lesparties de la langue, comme elle circule encore aujour-d'hui, vivace et forte, dans toutes les peuplades de lafamille.

Les etymologies des mots n'ont pas e" te" a faire dans cesidiomes, elles existaientde tousles temps; dans les idiomesindo-europ6ens, au contraire, elles ne se sont faites que denos jours, et le systeme de leur grammaire n'a e"te" re"v616qu'hier. Ajoutez que ce sont les Semites qui, les premiers,ont d6gage" la lettre de l'hieroglyphe, et qu'en de"compo-sant les sons de la voix humaine en une serie d'ele"mentssimples et saisissables, en inventant cet alphabet adoptspar le grand nombre des peuples civilises , et surtout despeuples japhetiques, ils ont fonde et rendu possibles lavie et les traditions intellectuelles de rhumanite". Done laforce du caractere se"mitique se reflete dans la fixite" desformes de son langage, comme la clart6 pe'ne'trante deson esprit est reproduite dans la simplicity et les contourstranche's de son systeme grammatical et de son alphabet.Force et clarte, e'est-a-dire attachement aux traditionset perception nette d'une se>ie de pense"es simples, maisgrandes et indispensables a la nature humaine, tels pa-raissent 6tre les traits principaux du caractere se"mitique.Y a-t-il lieu den inferer une certaine inferiority de larace? Nous ne le pensons pas. Quel mal y a-t-il a ce quel'Arabe de nos jours parle un langage peu different decelui de ses premiers peres, langage qu'il tient a honneurde connaitre et d'apprendre, et a ce qu'il puisse remonterainsi, par une longue se"riede traditions noninterrompues,presqu'a l'origine de sa race et du genre humain? Quelavantage y a-t-il, au contraire, a ce que la foule, dansles peuples indo-europe'ens, vive comme les premiers hom-

Page 67: Aperçu général de la science comparative des langues

— 5-1 —

mes de cette race, a peu pres sans souvenir du passe", elque la connaissance de ce passe" ne s'obtienne, me"me dansles classes supe"rieures dela socie"te", qu'au prix de lon-gues et laborieuses e"tudes? Nous signalons cet inconve-nient frappant qui s'offre a nous, sans pre"tendre pour celaque l'e"tat des peuples japbitiques ne soit pas bien supe"-rieur, depuis quelques siecles au moins, a celui des en-fants de Sem. Retrancher les Indo-Europ6ens de l'huma-nite", ce serait assure"ment la decapiter; ce serait lui oterla vari6te et le mouvement, la beauts du genie et le plusnoble eclat des arts. Mais, ne l'oublions pas, pour de"-ployer le spectacle splendide que nous offrent leurs civi-lisations successives, ils ont du etre fecondes a plusieursreprises par 1'esprit s6mitique : car, si ce n'est pas a saseule influence que Ton peut attribuer cet esprit d'analyseet de simplification qui caracterise notre epoque. el quie"clata d'abord dans les ide"es religieuses du monde euro-p6en, il y a dix-huit siecles, c'est a lui seul, c'est a 1'esprits^mitique, que la society moderne doit ses moeurs de fa-mille, sa haute morale, son honneur et sa dignite", et, cequi est plus que tout cela, son salut.

§ 7 . — LOI SUPREME DES LANGUES CIVILISEES.

La creation des idiomes s6mitiques e"tait due a un espritvif, profond et precoce, qui semble avoir marque du pre-mier bond le but vers lequel devaient se diriger, par delongs d&ours et a des distances ine" gales, les langues indo-europ6ennes. Ceux qui semblentl'avoir atteint les premiersapres les Semites sont 6videmmeut les Germains. Dansleur langue, m6me tendance a dedaigner la rondeur desformes, a laisser tomber les terminaisons, a marquer la

Page 68: Aperçu général de la science comparative des langues

— 55 —

pens6e par les rapides Eclairs du symbolisme, et, dansleur genie, meme haine des pompes de l'imagination,me"me auste"rite, meme puissance d'abstraire. Cette affi-nite du ge"nie des deux races ne s'est pas d6mentie dansleur histoire, et lorsqiie, vers la fin du moyen age, la civi-lisation chre"tienne du Midi, doublee de la renaissance,paraissait sni* le point d'englober dans son unit6 tous lespeuples civilisfe, unmouvement eclata dans le Nord, toutinspire" par les traditions bibliques, etqui preHendit rame-ner la religion a sa puret6 primitive. De quelque manierequ'on envisage la R6forme, on est oblige d'y reconnaitreune nouvelle infusion du g6nie h6bralque dans les amesdu Nord, tandis que les souvenirs de l'ancienne Rome etdes splendeurs joyeuses de rantiquite" se sont constam-ment perpetues au sein des populations du Midi, pluseprises de formes e"clatantes et des beautes de l'art. Aupremier coup d'ceil on serait dispose a croire que la raceindo-europ^enne l'emporte sur la race semitique, preci-sement par cette marche methodique de la pens6e et duiangage qui l'a portee a transformer lentement ses idiomesd'une synthese compliquee en langues claires, precises,analytiques. La race indo-europeenne r^sumerait ainsi,dans le long parcours de son existence, et ses propresgrandeurs et celles des Semites. Get 61oge, qu'on lui adonne" tant de fois, nous sommes obliges de le restreindre.En effet, les langues parlees par toutes les populationsde cette race ont-elles toutes traverse les phases qui con-duisent de la synthese a l'analyse? Evidemment non.Les langues slaves ont conserve une richesse de flexionset des modes nombreux de derivation qui les rendentmoins aisees, mais surtout moins agre"ab!es a apprendreque le grec et le Sanscrit. Les idiomes teutoniques eux-m6messe font remarquer par unluxedeformessynth6tiques

Page 69: Aperçu général de la science comparative des langues

— 56 —

considerable et embarrassant pour tout autre que pour lesindigenes. L'islandais est encore tout he"risse des diffi-culty que pre"sentait l'ancien langage des Scaldes, et lasyntaxe, les conjugaisons, mais surtout les declinaisonsde 1'allemand moderne, s'apprennent plus difficilementpeut-e'tre, par lesFrancais, que les etrangetes de la gram-maire arabe. Ce seront done les langues neolatines, aux-quelles on peut joindre, si Ton veut, le grec moderne,qui se pre"senteront a notre esprit comme les repre"sentantsdel'analyseet de la pensee alg6brique. Mais le grecde nosjours ne s'atlache-t-il pas a reproduire, avec effort, lesformes variees et elassiques de la langue cle Pericles etde Demosthenes ? L'italien, l'espagnol, le frangais me"me,ne possedent-ils pas, ce dernier surtout dans sa syntaxedelicate et dans 1'emploide ses pronoms varies, mais tousdans la conjugaison de leurs verbes, si souvent irr6gu-liers, de nombreuses traces de l'ancienne synthese ? On nesaurait nier toutefois que leur marche a quelque chose deplus aise" etde plus libre que celle des langues germani-ques, et surtout celle des langues slaves. A quoi doivent-elles cette superiorite, selon nous, bien reellePOn peutdire que les Slaves et les Germains ont v6cu moins de lavie de la pensee, qui creuse, et de la civilisation, qui use.Seulement il faut ajouter aussi que les Slaves et les Ger-mains ont toujours presente une masse compacte sur la-quelle la conqufite a pu passer quelquefois, mais sans lesentamer, et dans laquelle une ide"e et une influence etran-geres, fut-ce celles du christianisme, ont pu se repandresans les dominer. Le latin, qui a donne naissance auxidiomes romans, se distinguait deja, sans doute, par unetendance visible vers l'abstraction et des formes concen-t res . II est douteux toutefois qu'il se fut compietement de-compose et que les differences qui le so" parent de ses 61 les

Page 70: Aperçu général de la science comparative des langues

— 57 —

fussent aussi profondes qu'elles le sont en re'alite', sans ladouble invasion qui a transforme I'Occident : celle desbarbares du Nord, qui, en leur quality de conquerants,n'apprirent qu'imparfaitement la langue des vaincus, etcelle d'une pense"e, Mbrai'que s'il en fut jamais, la pense"echr6tienne, qui entra comme une epe"e dans le corpse"nerve" et amolli de l'empire roraain. Cette pense"e, enchangeant le cours des id6es, changea le langage, et,s'efforcant de parler celui des simples, en pr6cipita lamarche vers la clarte" et l'analyse. Mais les langues lesplus re"ellement analytiques aujourd'hui sont, en Europe,l'anglais; en Asie, le persan et quelques dialectes de l'lnde,telsque lebengali, lemahratte,etc.(lj. Comment se fait ilque ces idiomes aient prime", dans la voie de l'analyse,non-seulement les langues slaves et germaniques, maisencore les langues n^olatines? La raison en est bien sim-ple et bien eVidente. Ces langues ont 6te" parlies autrefoispar des peuples qui n'ont pas su maintenir leur inde"pen-dance et leur nationality, qui onl vu s'asseoir a c6t6 deleur foyer des conquerants Strangers, et introduire dansleur vie sociale des coutumes, des moeurs et quelquefoisune religion, diffeYentes de celles de leurs peres. LesNor-mands, aux prises avec les Anglo-Saxons, desapprirentbien vite le francais e'le'gant de Bayeux, pour apprendre,imparfaitement il est vrai, les sons rauques de la popu-lation vaincue. Celle-ci, a son tour, modifia son langageprimitif,-et, en negligeant toutes les flexions, s'attacha afaire ressortir suriout les syllabes importantes des mots,

(1) Ces derniers sont tellement 61oign6s du synlh6tisme de l'an-cien Sanscrit qu'ils ne peuvent plus former le pluriel qu'a l'aide decertains mots ajoutes au theme, tels que dik (reunion), avatha (tout).— Benfey, Indien, p. 253.

Page 71: Aperçu général de la science comparative des langues

— 58 —

a les faire comprendre et accepter par les vainqueurs.C'est ainsi que naquit ce langage si simple, si depouille deformes etymologiques el de lois syntaxiques, que parleaujourd'hui la famille anglo-saxonne. M6me chose arrivadans la Perse et dans l'lnde. Seulement ce ne fut pasici un peuple appartenant a la meme race que les vaincus,comme cela avait eu lieu en Angleterre, qui usurpa lepouvoir et la domination ; ce furent encore les Semitesqui, a la suite de la religion de Mahomet, introduisirentune foule de mots emprunte"s a leur propre idiome, et obli-gerent les anciens habitants, toujours dans I'int6re"t de laclarte", d'abandonner les formes riches et allonge"es de leurlangage. Le resultat de cette fusion fut d'autant pluscomplet que les Mahometans eux-memes parlaient unidiome qui, sans e"tre analytique, puisqu'il n'avait pas duson origine a la synthese, portait au moins quelques ca-racteresdel'analyse. Dansce concoursde langues, si Tonpeut s'exprimer ainsi, la palme n'appartiendra done pasaux Slaves, qui ont conserve la leur intacte au milieu desinvasions et des conquestes; ni aux Germains, qui sontrestes fideles, du moins jusqu'a un certain point, auxidiomes paries par leurs peres; mais aux Neolatins d'a-bord, aux Anglais etaux Persans ensuite, qui sont despeuples mixtes, d'origine recente, lie's de la fusion deplusieurs races et ayant vu plusieurs fois traverser leurspays par la double conquete des armes et des idees. Evi-demment, il ne peut etre question ici d'une superiority dela race japhelique; s'il y en avait une, elle serait du cote"des Slaves et des Germains, qui au moins ont conserveleur nationality et peuvent presque etre consideres commeetant reste"s eux-me'nies. Le merite n'est done pluscelui de la race, mais celui des circonstances. II estaussi dans cette loi de notre nature que ce ne sont

Page 72: Aperçu général de la science comparative des langues

— 59 —

pas des terres vierges des oeuvres de l'homme qui peu-vent nourrir la semence del'avenir etfournirde nouvellespages a 1'histoire. Non-seulement il faut un sol dontchaque motte ait et6 remue"e, brisee par le soc; dontchaque parcelle ait e"te" occupee successivement par despeuples de langues, de religions et de niceurs diverses ; ilfaut encore un sol trempe de la sueur et du sang de plu-sieurs generations pour faire venir une nouvelle moissonde gloire, pour produire une grande nation et une grandecivilisation, qui marquent dans les annales du genre hu-main. Mais, que ce soit le me>ite de la race japh6tique ounon, c'est dans cette race surtout que nous rencontronsla succession de langues synthe"tiques et de langues ana-lytiques : car les idiomes paries par les autres races denotre globle ont pris un developpement different, lors-qu'ils ne se sont pas arreles a la premiere phase de leurformation. N'y a-t-il done aucune loi commune a toutesles langues civilisees? et faudra-t-il nier que dans tous lespeuples qui ont marque dans 1'histoire il y ait eu desaspirations vers un meme but, entrevu obscure"ment etpoursuivi avec ardeur par les tetes de colonne de l'hu-manite'? Cetle loi existe, selon nous : c'est la loi de tousles organismes vivants , c'est la loi qui veut que la jeu-nesse succede a l'enfance et la maturite virile a la jeu-nesse; qui veut enfin que l'imagination , tot ou tard, soitremplace'e par la reflexion. Si la faculty qui semble pr6-dominer dans les ouvrages des anciens est l'imagination,si Platon n'a pas pu se soustraire a son empire, si Aristoten'a pu apporter dans ses puissants raisonnements toutela suite, la clarte" et la nettete de la pense"e moderne. lareflexion, aucontraire, l'analyse et son esprit scientifiqueregnent quelquefois dans les oeuvres les plus incontesta-

Page 73: Aperçu général de la science comparative des langues

— 60 —

blement naives des poe'tes de notre siecle et s'y font voircommemalgre'eux.

Or, ce mouvement incessant vers la darte", la raisoa,la connaissance de soi et de I'univers, qui delate dans ledeVeloppement litle"raire derhumanite", se retrouve aussidans celui des langues. Fruit de l'instinct, leur vocabu-laire primordial re"pondait fidelementaux images qui frap-paient les sens des premiers bommes; leurs mots, qu'au-cune convention n'aurait pu cre"er, ressemblaient aux or-ganismes vivants de la nature, tant leurs formes, malgr6les puissantes regies de l'analogie qui ont preside a leurnaissance, sont riches, varie"es, multiples, changeantes.La phrase y est rapide, mobile, passionne"e, poetique, etnotre froide raison suit pe"niblement les elans imp6tueuxinspires par une imagination aussi fratchequ'ardente. Peua peu cependant la reflexion commence a se dessiner eta approprier la forme a son image. II y a plus de clarte etde simplicity dans le grec que dans le Sanscrit, et la pen-s6e se delache et se montre mieux en relief dans la phraselatine que dans la periode grecque. Encore un pas, et l'a-nalyse Iriomphera, car la pense"e aura perce a jourl'enveloppe qui la cachait.

Leb langues modernes paraissent avec un systeme desyntaxe et d'e"tymologie beaucoup plus simple, rempla-gant les nombreuses desinences des conjugaisons et desde"clinaisons par des mots independants qui oriententl'esprit; la phrase enchevGlree, mais sonore, par les al-lures r6gulieres, algebriques, de la construction moderne;enfin, les harmonies de la quantile prosodique, par larime et une puissante accentuation. C'est en effet l'accentqui a 6te" l'instrument de cette remarquable transition duprincipe plus materiel qui re"gnait dans les langues an-

Page 74: Aperçu général de la science comparative des langues

— 61 —

ciennes au principe spiritualiste qui gouverne les n6tres,ou les mots ne sont plus en r6alite que les signes des idees.Car l'accent s'etait attache des le commencement a la syl-labe qui paraissait la plus importante du mot, a celle alaquelle l'esprit de l'homme accordait la preeminence surles autres, et dans les langues du nord ce fut toujourscelle de la racine. Dans la revolution qui transformales langues de l'antiquite et detruisit leurs formes admi-rables etharmonieuses, cefurent surtoutles syllabes mar-quees par l'eievation de la voix qui resterent intactes.Mais, de meme que la reflexion regne davantage dans lespeuples du nord et qu'ils professent un mepris plus grandpour la forme, la reflexion a aussi faconne davantageleurs langues, qui sont, a coup sur, bien plus fortementaccentuees que celles du midi. En France, l'accent, unjour, adu aussi jouer un r6le considerable dans lalangue.Lorsqu il a commence a s'affaiblir, celle-ci a du recourira une extreme rigueur dans la construction de la phrase,dont le mouvement tout logique exprime en realite, plusque celle d'aucune autre nation, la marche de la penseehumaine.

Les langues qui, au lieu de se petrifier des leurs pre-miers pas, ont eu une croissance plus normale, commeles langues semitiques et surtoutles langues indo-europeen-nes (nous savons fort peu de chose des revolutions qui ontpu-transformer les autres), ont de tres bonne heure prispour regulateur le principe de la quantite prosodique. Ceprincipe n'est nulle part plus sensible que dans la gram-maire sanscrite, qui distingue avec la derniere rigueurentre des voyelles longues et breves (1). Sa puissance nesaurait etre contestee en hebreu, ou nous retrouvons la

(1) Benloew, Accentuation, p. 63.

Page 75: Aperçu général de la science comparative des langues

— 62 —

m&me distinction assez nettement 6tablie. Puisque les si-gnes exprimant la longueur ou la brievete des voyellesdatent du Ve ou du VIe siecle de notre ere, la quantity adu £tre encore bien vivace dans la langue a cette 6poque.Me'me si elle avait 616 entamee sur quelques points, sipatach (a), segol (if) et kamez chatuph (6) seuls etaientr6gulierement brefs, si chirek (i) et kibbu% (ou) avaient6t6 quelquefois longs (1), ces exceptions elles-memes neferaient que confirmer la regie.

Les recherches des philologues n'ont pas encore faitdecouvrir si les alterations que cette regie a du subir sontle resultat du chant musical, ou de la prononciation va-riable du son des voyelles — comme par exemple celled'un e ouvert et d'un e ferme, etc. — ou de l'accent rem-plagant les syllabes longues et breves par des syllabesfortes et faibles, ou euu'n de l'aclion r6unie de ces troiselements.

Quoi qu'il en soit, on ne saurait douter du role impor-tant que la quantit6 a du jouer dans l'ancien langage desHebreux, puisqu'on en rencontre des traces encore dansla poesie arabe (2), venue plus de mille ans apres celledes livres sacres.

Nous savons que la quantite'prosodique a domine dansune serie d'idiomes que nous ne pouvons pas poursuivrejusqu'a leur origine, puisque les poesies qui ont 6t6 ecritesdans ces idiomes ne sont pas bien anciennes, ou bien nousont 6te r6velees depuis peu, et lorsque de nombreuxchangements avaient pu alt6rer leur caractere primitif.C'est ainsi que nous savons du lithuanien qu'on y ren-contre encore de v6ritables longues, puisque l'accent cir-

(l)Voyez G6senius, Grande grammaire hebrdique, p. 35, 36.(2) Schraitthenner, Usrprachlehre, p. 334.

Page 76: Aperçu général de la science comparative des langues

— 63 —

conflexe s'y esl maintenu. L'accent aigu y est rest6 extr6-mement mobile, et se rencontre quelquefois sur la qua-trieme et la cinquieme syllabe a partir de la finale. Dansle tcheque, autre dialecte slave, l'accent porte constam-ment sur la premiere syllabe du mot, en raeme temps quela longueur et la brievete des syllabes y sont scrupuleu-sement observers, ce qui, ajouteM. Schleicher (1),donnea cet idiome une grande beaute poetique.

Jusqu'a present nous n'avons parle que des languesappartenant aux deux grandes races des Similes et deslndo-Europeans. Voici un idiome appartenant a unpeuple de race ouralienne, le magyar, dont tous les motsont pareillement l'accent sur la premiere syllabe, syllabequi, chez les Tatares, renferme invariablement le radi-cal. Cet accent s'affaiblit toutefois, nous dit M. Schlei-cher (2), quand des syllabes longues vont suivre: car, enmagyar, elles sont distinctes des syllabes breves. Cettelangue disposerait done d'une prosodie entierement inde"-pendante de l'accent, et, seule parmi les langues civili-sees, elle serait capable de reproduire encore de nosjours la versification melrique des anciens. Tout en tenantcompte de ce qu'il peut y avoir d'exagere dans cette as-sertion, elle semble prouver au moins jusqu'a l'eyidenceque l'antique principe de la quantity s'est maintenu, dansun cas special et unique, a peu pres dans loute son inte"-grite". Enfin, si nous jetons un rapide coup d'ceil sur l'al-phabet des Coptes, alphabet qui est presque identique acelui des Grecs, nous sommes frappfe d'y retrouver un

( l )Les Langues de VEurope moderne, par A. Schleicher, trad, parEwerbeck, p. 275.

(2) Ibid., p. 112.

Page 77: Aperçu général de la science comparative des langues

— 6i —

omega et un Sta: ce qui semble indiquer que les Egyp-tiens sentaient encore, dans les premiers siecles de notreere, la difference entre la brievete et la longueur de Yeetde To.

Le fait le plus general qui semble dominer les languesdont le developpement a suivi celui de la civilisation,c'est qu'elles vont du principe de la quantite prosodique acelui de l'accentuation. Car le passage du style a me'ta-phore au style algSbrique, de l'habilude de mate'rialiserla pensee par l'image a celle d'exprimer la pensee danstoute son abstraction, ne parail pas s'6tre effectue partoutavec une egale precision, surtout lorsqu'on songe au Ian-gage, encore aujourd'hui si pittoresque, des Orientaux d'o-rigine semitique. II ne parait pas non plus que la marchedu temps ait g6neralement appauvri les langues, diminue"le nombre de leurs racines primitives, amoindri, affaiblileurs formes syntaxiques. La perte meme des terminai-sons n'est pas aussi universelle qu'on l'a cru jusqu'a pre-sent, et la loi en vertu de laquelle elles disparaissentsouffre des exceptions au sein des families de langues quisemblent l'avoir le plus profonde"ment subie. Te"moins leslangues slaves el quelques idiomes teutoniques, conser-vant un luxe de d^clinaisons, de conjugaisons, etc., quide"montre que l'e"tat de barbarie ou les races qui les par-lent sont reste"es longtemps a 6t6 favorable au synthetisme,par lequel elles se rapprochent encore du Sanscrit. Et ce-pendant ces langues ont remplace, depuis des siecles, laquantite prosodique par le principe de l'accentuation.

On sait pareillement que la langue arabe, qui ne s'este"panouie que quelques siecles avant Mahomet, c'est-a-dire plus de douze siecles apres David et Salomon,possede un systeme de coiajugaison beaucoup plus com-

Page 78: Aperçu général de la science comparative des langues

— 65 —

plique" (1) , des de"clinaisons plus variees (duel), des ad-jectifs et des derives p'us nombreux et un vocabulaireplus riche que son ai'eule, la langue hebrai'que. Ce qui de-note en elle les caracteres d'une langue moderne, ce sont,comme nous l'avons indique" plus haut, quelques termi-naisons un peu plus effaces, un systeme moins completde voyelles, puis surtout la rime, enfin un nombre desyllabes loujours 6gales que Ton retrouve dans les mor-ceaux poeliques. Or, ces deux derniers points sont unepreuve certaine que l'accentuation tient deja une largeplace dans la langue et qu'elle y prime la quantity. SiTon cherche a expliquer la position que l'arabe occupe al'egard de Thebreu, il faut admettre que ce dernieridiome se soit fixe prematurement, selon toute vraisem-blance, a l'epoque ou Mo'ise imprima a son peuple ce ca-chet national si ineffagable qui ie distingue encore au-jourd'hui. Or, a ce moment, le travail de synthese quepoursuivaient les langues semitiques n'etait pas encorelermine; il continuait, au contraire, son action lente etsourde au sein des tribus qui, dans Pinterieur de l'Ara-bie, e"taient restees fideles a la vie nomade, ou s'etaientarretees a un degre peu avance de civilisation.

On ne s'6lonnera done plus de voir la splendide efflo-rescence de la langue et aussi de la litte>ature arabe s'epa-nouir juste au moment ou les langues des autres peuplescivilises entraient rapidement en decadence. C'est que,renferme'es jusqu'alors par le desert dans les limites dupays qui les avait vues naitre, elles n'avaient encore au-cun contact avec le mouvement intellectuel qui entrainait

(1) G6s6nius, Grande gramm. hebraique, p. 232, 236, 274, 283,622 et suiv.

Page 79: Aperçu général de la science comparative des langues

— 6tJ —

les races historiques vers des destinies et une ruine pluspre"coces.

Cet 6tat exceptionnel de la langue et de la litte'raturearabes ne pouvait d'ailleurs pas e^re d'une bien longuedure"e, et un certain niveau avec les langues de l'Occidentdevait bient6t s'e'tablir, des que le fanatisme religieux eutfait sortir ce peuple antique de son isolemenl. Dans l'a-rabe vulgaire, la langue est revenue aujourd'hui a peupres a la pauvrete" et a la simplicity nous ne dirons pasde I'aram6en (1), peut-etre le plus ancien des dialectesse'mitiques, mais assurement de I'hebreu de la Bible.

II paratt done certain que non-seulement les deux racesles plus importantes de notre globe, celle de Japhet etcelle de Sem, mais encore d'autres peuples appartenant ad'autres races, comme les Hongrois et les Egyptiens, de-celent-dans le developpement et la marcbe historique deleurs idiomes une nieme grande loi. C'est pourquoi nousosons dire que cette loi est inherente a l'esprit humain, etnous terminons en rep6tant ce qui a e"t6 dit ailleurs : L'his-toire de Vaccent riest autre chose que celle du principe qui,parti de bien faibles commencements, fmit par envahirtoutes les formes, par se soumettre I'ordre des mots et laversification de toutes les langues (2).

II fautl'avouer toutefois, la predominancedel'accentnecaract6rise pas seulementlesvieilles langues, qui ontepuise"toutes les phases de leur developpement; nous la rencon-trons encore a leur debut dans les idiomes primitifs lesplus pauvres : dans le chinois, qui, grace a la variete" des

(1) L'arameen fut parl6 par les Chaldeens du nord, les Babylo-niens et les Assyriens, qui semblent avoir quitte le sol natal de l'Ara-bie avant les Hebreux, ou qui au moins se sont fixes avant ceux-ci dansdes r&gions plus septentrionales.

(2) Benloew, Accentuation, p 296.

Page 80: Aperçu général de la science comparative des langues

— 67 —

intonationsavec lesquelles ses mots se prononcent, re"ussita quadrupler les 328 sons qui composent son dictionnaire ;dans la Langue des Akra, en Afrique, presque de"pourvuede formes syntaxiques (1); dans quelques langues ame"-ricaines, plus complique'es, mais qui affectionnent le re-tour des memes sons, exprimant des ide"es differentes etdiversifies surtout par 1'accent (2), comme le guarani etle quichna. Car, enfin, il est certain que la quantity pro-sodique ne peut naitre que lorsque les langues sortent dela phase du monosyllabisme. Tant que tous les mots ne secomposentque d'une seule syllabe et ont pour ainsi dire lamfime valeur, la difference de la longue et de la breve nepeut pas se fairesentir. Et c'est pre"cise"nient parce que lesmonosyllabes primitifs ne se sont pas fondus en chinois,apres s'etre mesure"s et peses mutuellement, qu'iln'ya ja-mais eu de valeur prosodique chez ce peuple et que l'ac-cent est devenu la regie invariable de la langue et de lapoesie.

§ 8 . - CLASSIFICATION DES LANGUES.

On divise ge"neralement toutes les langues parleys surnotre globe en trois grandes classes: 1° celle des languesmonosyllabiques, immobilisees et conserves pour ainsi direa l'etat de fossiles; 2° celle des langues agglutinant.es ou ag-glutinatives, quicombinentunese"riedemotsprimitifs, maissans les fondre en un tout ve"ritablement organique; 3° celledes langues a flexion, ou la combinaison a amene" cette fu-sion, et ou la tracedes elements constitutifs du mot s'est effa-

(1) Milhrid., m , p. 198.(2) /«<*., in, p. 432, 520.

Page 81: Aperçu général de la science comparative des langues

- 68 —

c6e pour tout autre que pour un linguiste experiment^.Nous avons de"ja dit un mot de la premiere classe, re-

presentee par le chinois etquelques idioraes paries par lespeuples voisins de la Chine, les Siamois, les Tibetains, etd'une maniere moins complete par le barman et les lan-gues himalayennes (le boclo, le dhimal, le kasici, etc.).Toutefois, nous rencontrons aussi dans d'autres partiesdu globe, comme par exemple dans I'Amerique du Sud ,chez quelques peuplades sauvages, des idiomes monosyl-labiques.

Nous avons e1 tudie dans les pages preceVlentes le sys-teme grammatical des langues a flexion, considered parles philologues comme les plus parfaites dont nous ayonsconnaissance. Elles comprennent celles de la race de Ja-phet et de la race de Sem ; mais nous ne devons pas nousdissimuler que le double caractere de la synthese et de ladeflexion peut se rencontrer parfois dans les idiomes depopulations peu e"clairees, comme il arrive dans le dah~cota, parle" par une tribu de ce nom^ habitant les bords duMississipi et apparlenant aux Indiens-Sioux. Dans cettelangue, e"minemment agglutinante, le verbe presenle dif-fe"rentes voix, telles que la vois active, la voix frequenta-tive, la voix possessive, la voix attributive, lesquelles seforment par l'addition de certaines syllabes, ou par l'incor-poration de pronoms, ou meme par certains changementsd'une iettreradicale: ce quirappellelesconjugaisonsfortesdes Allemands (1). On rencontre des traces de deflexion pa-reillement dans les langues caucasiques, le georgien ou lekarthouli, lecircassien, lela%ique, lemingrelien, etc. (2). IIfaut s'attendre a plus d'une surprise du meme genre, a me-

(1) Alf. Maury, La Terre et I'Homme, chap, v m , p. 445.(2) Maury, ibid., p. 457.

Page 82: Aperçu général de la science comparative des langues

— 69 —

sure que nous connaitrons davantage les idiomes paries aupied et dans les arifracluosites de certaines montagnes deI'Asie, dans l'inte"rieur de l'Afrique et de l'Am6rique. Entout eas, si cette classification, 6tablie par les savantsd'outre-Rhin, tient bon, et si une langue est d'autantplusparfaite que la fusion de tous les elements constitutifs deses mots est plus intime, et que. ses mots eux-me"mes sontplus indissolubles, ce sont encore les idiomes s6mitiquesqui tiendront le premier rang. Seulement, la structuresavante d'un idiome n'ayant pas toujours determine unegrande civilisation , il ne faudrait pas croire que de cettesupe>iorit6 nous pretendions inferer d'une maniere abso-lue la superiority de la race; et, d'ailleurs, ce n'est pas icile lieu de comparer longuement les services rendus parles Indo-Europeens et les Semites a l'humanite".

Entre les langues monosyllabiques et les langues aflexion, il faut placer la classe inlerm&iiaire, mais va-riee, mais immense, des langues agglutinantes. Ces lan-gues se font toutes remarquer par le principe de la de-flexion ou du symbolisme, mais elles se. rapprochent, pard'autres caracteres, tantot du systeme monosyllabique,lantot des idiomes se"mitiques, et tantot des langues in-do-europeennes; quelquefois meme elles se rattachent adeux ou trois de ces series a la fois.

Dans cette grande classe des agglutinantes, nous dis-tinguons trois groupes. Le premier, celui qui, ayantabandonne la fixity chinoise, se rapproche, par sa struc-ture surtout, des langues semitiques, c'est le groupe desidiomes africains, qu'on peut appeler a juste titre idiomesatomiques. Us se font remarquer ge"ne>alement par l'a-bondance des lettres labiales et la repetition fr^quente desvoyelles sombres (o, u). Generalement aussi les con-sonnes doubles y sont rares et les voyelles y sont pronon-

Page 83: Aperçu général de la science comparative des langues

— 70 —

ce"es nettement. Les mots s'y forment surtout a 1'aide deprefixes, circonstance qui e"tablit une ligne de demar-cation profonde entre ces langues et les langues tar-tares , qui n'admettent pas que la racine soit au secondrang. Le second groupe se placera avantageusement entreles langues se"mitiques, auxquelles il semble emprunterquelques-uns de ses procedes les plus originaux, et leslangues indo-europe"ennes, dont il parait adopter Tanti-que synthetisme: c'est le groupe des langues tatares, par-le"esdepuisles confins de la Chine jusqu'a la merBaltique,jusqu'aux portes de Vienne. Le troisieme groupe est celuides idiomes dits incorporants ou holophrastiques (1), qui,poussant le synthe"lisme a bout, resument la phrase en-tiere dans un seul mot, et qui, au premier abord, parais-sent ainsi depasser la puissante flexibility des langues ja-phe"tiques. Ces idiomes sont parleys par la tres grandemajority des tribus indigenes de l'Am6rique du Nord etde l'Ame'riquedu Sud. Neanmoins on rencontre aussi desidiomes holophrastiques sur d'autres points du globe, iso-16s au milieu de populations parlant des langues d'unestructure diffe"rente.

Le premier groupe des langues agglutinanles nous estencore imparfaitement connu; il renferme, avons-nousdit, le grand nombre des idiomes africains. Ceux-ci ontquelque chose de la simplicity des langues se"mitiques,dont ils ne possedent pourtant pas le symbolisme pe"ne"-trant. Mais, a cause de l'affinite me'me qui semble avoirtoujours r6gne entre eux et ces dernieres (2), la civilisa-

(1) Ces termes ont 6te proposes par MM. Schleicher et Lieber.(2) En effet, le grand nombre des langues africaines, designant peu

clairement les idees de temps et de mouvement, ne distinguent pastoujours le present du futur ou le futur du passe; mais elles sont,

Page 84: Aperçu général de la science comparative des langues

— 71 —

tion semitique parait avoir exerce" un empire particuliersur les populations libyennes, et les langues semitiquesavoir d6teint sur leurs idiomes. Les racines de ceux-ci,comme celles du chinois, ont fre"quemment garde" leurforme primitive. Mais un certain nombre de ces racinesont vu leur valeur intrinseque s'affaiblir et descendre acelle de conjunctions et de propositions de"signant lestemps et les modes dans les verbes, et les cas dans lessubstantifs. Seulement ces formes syntaxiques n'ont pus'unir au mot principal, qu'elles servent a determiner'da-vantage; elles sont restees inde"pendantes et donnent a laphrase quelque chose de prolixe, de trainant, sans ajou-ter beaucoup a la clarte de la pensee. Choisissons quel-ques exemples dans la langue copte, qui est conside're'ecomnie la continuation de I'ancienne langue egyptienne :

1° se na fi te = lollent te (feminani)

(3e pers. plur.) (signe du flit.) porter (toi)

2° n k te, donner sto, jeter ej •= we reprobes me.

(Negation) (2e pers. sing.) rejeter ( l r e p. s.)

3° a s na hem e = salvabit te (sing. fem.)«(Signe du prit.) (3e p. s. f.) (fut.) saner (2e p. f. s.)

Pour traduire l'idee des aujourd'hui (abhinc), le coptese sert de quatre mots :

di n te nouprendre de (1) (article fem.) moment, dela rac. nau (Voir) (2)

comme l'hebreu el Tarabe, tres riches sous le rapport des genres oudes voix du verbe, c'est-a-dire indiquant la maniere dont le verbepeut 6tre employe.

(1) Prendre de constituent une preposition avec le sens de i\ «7ro.(2) Benfey : Ueber das Verhaltniss der agypt. Sprache %um semi-

tischen Sprachstamm, p. 128, 130, etc.

Page 85: Aperçu général de la science comparative des langues

La declinaison des Coptes est d'une simplicity qui rap-pelle celle des Semites; leurs pronoms ont une granderessemblance avec ceux de la langue hebraique, ce qui, ala seule exception du pronom personnel de la premierepersonne (hebr., anohhi; copte, anok), pourrait bienn'e"tre que Peffet du hasard (1). La conjugaison s'opere al'aide d'auxiliaires exprirnant les temps et les modes : afaire; re, (Hre; ta, donncr; ma, donner; na, aller, con-duire, etc., etc.

Peut-on rien imaginer de plus de"cousu, de plus inco-herent, que la languedes Susu, tribu africaine etabliepresdu Sierra-Leone, employant quatre mots pour rendre l'i-deeactifCZ): she (chose), rafala (faire), elmuhhe, termi-naison qui forme des substantifs et des adjectifs. Elle sesert du mot fe pour donner au verbe la valeur d'un nom;par exemple : tu = mourir; tu fe = mort. On rencontreles me"mes longueurs dans la conjugaison : Je suis faits'y dit: Em luma ra fala hhe; etc. etc. Qu'on examine lesdialectes des Akra, des Coossa, des Caffres, des Malga-ches, des Beetjuanas, on y trouvera partout des pheno-menes analogues, malgre 1'ex.treme difference des ele-ments primitifs (racines) qui constituent ces idiomes (3).

Le second groupe, qui comprend les idiomes de lasouche tatare, se divise en deux grandes masses essen-tiellement distinctes. L'une, la famille tatare proprementdite, ou la famille de I'Altai, orientale-asiatique, em-brasse le tongouze (dont le mantchou est un dialecte), lemongol, le turc; l'autre, la famille tatare de l'Oural, occi-

(1) Ges6nius, Grande gramm. hebr., p. 200.(2) Mithrid., in, p. 174.(3) Ibid., H I , p. 197, 264, 281, 286 et suiv., et iv, p. 438, sur

la langue des Bullom.

Page 86: Aperçu général de la science comparative des langues

— 73 —

dentale-europ6enne, se compose des langues finnoises,appelees tschoudes chez les Slaves, et connues en Europesous le nom d'ouraliennes. Le developpement de ces lan-gues s'est fait d'Orient en Occident, de la mer Japonaise ala mer Baltique. Le mantchou et le mongol ne s'eloignentpas encore beaucoup du monosyllabisme, et ils distin-guentdu radical les mots exprimant la relation. Le lurele fait deja rarement; le finnois et le magyar ne le fontpresque jamais et formenl un mot inseparable compos6de parties. II y a done eu dans les langues tatares un pro-gres insensible du monosyllabisme au synthetisme ; maise'est la que leur marche, pour le moment, sensible s'e"trearnHee, et il y a des raisons pour croire que 1'analyse leurrestera a jamais 6trangere. Trois lois leur sont communesa toutes; mais e'est la troisieme qui meYile partieuliere-ment notre attention : 1° le radical n'admet jamais quedes syllabes se placent a sa tete; 2° le regime precedetoujours le r6gissant: ainsi le genitif a le pas sur son re-gime, l'objet a le pas sur le verbe (quelque chose d'ana-logue s'observe dans le japonais); il n'y peut point avoirde propositions, il n'y a que des postpositions; 3" l'unitedu mot y est assuree par une certaine harmonie desvoyelles, dont nous traiterons plus tard dans le chapitresur l'assimilation. Les voyelles des syllabes indiquant larelation sont forc6es de s'adapter ou de s'assimiler a lavoyelle du radical. C'est le plus stir moyen d'assurer lapredominance de ce dernier sur les termes de relation, for-me's quelquefois par une longue file de syllabes. 11 ne fau-drait pas pourtant voir dans cette regie une preuve queles elements constitutifs du mot tatare sont arrives a unefusion organique. Cette loi est tout exterieure, pr6cis6-ment parcequ'ellen'atteint que les desinences, mais jamaisla racine; tandis que, dans les langues indo-europeennes,

Page 87: Aperçu général de la science comparative des langues

c'est au contraire celle-ci qui est modifie'e par 1'action desdesinences, lorsqu'elle ne Test pas dans son essence parle principe de la deflexion.

Les langues tatares distinguent done trois especes devoyelles : 1° dures, a, o, ou; 2° molles, ai (e), eu, u;3° moyennes, i ou e.

Lorsque le radical renfernie une voyelle dure, lesvoyelles des terminaisons sont dures aussi. Par exemple:

Turc : aghd, maitre; au pluriel, agh&-lar;Magyar : haz, maison; au gSnitif, haz-bol.

Lorsque le radical renferme une voyelle molle, lesvoyelles des terminaisons doivent l'etre de m6me :

Turc : er, homme; pluriel, er-ler ;Magyar : ken, jardin; genitif kert-bol.

Ces voyelles sont en ge"ne"ral molles aussi, lorsque lavoyelle du radical est moyenne : turc: qi%, fille; plur.,qfa-ler.

Lorsque le radical a deux syllabes et qu'il renfermeune voyelle dure et une voyelle moyenne, la voyelle dures'imposera aux terminaisons :

Finnois : papi, pretre; papi-lta, du pretre;

Magyar : mozdit-ok, je mets en mouvement.

Lorsque le radical dissyllabe renferme une voyellemolle et une voyelle moyenne, les moyennes encore sontsacrifices et les molles reparaissent dans les desinences:

Page 88: Aperçu général de la science comparative des langues

— 75 —

finnois : terais, acier (la forme primitive est teraikse);teraikse-ltai, de l'acier.

Parmi les langues tatares, le finnois se distingue parune d^clinaison extremement riche, puisqu'elle ne comptepas moins de quinze cas, et le turc (ainsi que le magyar)par un tres grand nombre de voix du verbe.

En voici quelques exemples emprunte's au turc :

1° sev, aimer; infinitif, sev-mek;

2° Negatif: sev-me-mek, ne pas aimer (en supposant que leverbe fut baq, on aurait baq-ma-maq, et ainsi desautres);

Impossible : sev-e-me-mek, ne pas pouvoir aimer, etc.;

3° Transitif : sev-dir-mek, forcer a aimer;Trans, negat. : sev-dir-me-mek, ne pas forcer a aimer, etc.;Passif, trans, negat. : sev-il-dir-me-mek, ne pas eire force a

filre aime, etc.;

•4° Reflexif : sev-in-mek, se r6jouir;Reflex, trans, imposs. : sev-in-dir-me-mek, ne pas forcer a

se rejouir, etc.;

5° Reciproque : sev-ish-mek, s'aimer reciproquement;R6cipr. trans, imposs. : sev-ish-dir-e-me-mek, ne pas pouvoir

forcer a s'aimer reciproquement, etc.

Chacune de ces cinq voix peut, conime le prouvent nosexemples, se composer avec toutes les autres et enfantera son tour une foule de formes de temps, de modes, etc.

On rencontre dans plusieurs langues tatares, et parti-culierement dans le hongrois, absolument comme dansles langues s6mitiques, des suffixes possessifs. Par exem-ple : kep-em, mon image; kep-ed, ton image, etc. Plur.:kep-ei-m, mes images; kep-ei-d, tes images, etc. Le hon-grois distingue en meme temps dans la conjugaison une

Page 89: Aperçu général de la science comparative des langues

— 76

forme indetermine'e et une forme determine. Voici laconjugaison des deux formes au present:

Forme indeterminee.

1 ir-ok, j'ecris;2 ir-sz, tu 6cris;3 ir, il ecril.

1 ir-unk, nous ecrivons;2 ir-tok, vous ecrivez;3 ir-nak, ils eerivent.

Singulier :

Pluriel:

Forme determinie.

1 ir-om, je l'ecris;2 ir-od, tu l'6cris;3 ir-ja, il l'ecrit.

1 ir-juk, nous l'ecrivons;2 ir-j&lok, vous l'ecrivez;3 ir-jak, ils l'ecrivent.

La forme d6termin6e rappelle, par l'insertion du re-gime entre le radical et le suffixe, un proc6de des languesincorporates ou holophrastiques dont nous allons parlertout a I'heure.

Disons, en terminant, que MM. Max Miiller et Loganont de"couvert qu'il existait une affinite entre les languestatares et les idiomes paries par les anciens habitants dela presqu'ile gangelique, refoul6s vers les montagnes, al'extr^mite m6ridionale du pays appele le Dekan. Cesidiomes : le telinga, le canari, le telougou, et surtout letamoul, sont compris sous le nom ge"nerique d'idiomesdravidiens. Ils se sont, a leur tour, meles quelque peuaux langues rudimentaires des Polyn6siens et des negresPapous, qui paraissent avoir e'te' les premiers habitants deI'lnde. Toutefois, la tendance agglom^rative des sons estplus prononcee dans les idiomes dravidiens, particuliere-ment le tamoul, que dans aucune langue tatare. Les deux,grandes families ont pour trait commun l'emploi des

Page 90: Aperçu général de la science comparative des langues

— 77 —

postpositions; mais celles-ci sont plus nombreuses dansles langues tatares (1). Quant au japonais, il a certaine-ment des affinites avec le mantchou d'un c6te el avec lechinois de l'autre (2).

Le troisieme groupe des langues agglutinantes com-prend les langues holophrasliques ou polysynthetiques,parleys par I'immense majorite des indigenes de l'Am6-rique. Nous avons deja dit que ces idiomes exprirnent ungrand nombre d'idees par un seul mot, et nous pouvonsajouter qu'ils ont quelquefois un mot particulier pourchaque groupe d'ide"es. Dans l'iroquois, par exemple,cette phrase : Je donne de Vargent a ceux qui sont ar-rives, pour leur acheter encore des habits avec cela, estrendue par un seul mot (5), contenant vingt-une lettres,quand nous sommes forces d'employer dix-sept mots. II vasans dire que dans cesetranges composes il faut voir uneagglomeration de radicaux et de mots simples violemmentcontracted et apocopes. Dans cette langue, l'abstractionest nulle : on n'y sait dire bon; il faut dire un hommebon, nne plante bonne. En revanche, le nombre des con-jugaisons est prodigieux; encore la plupart des tribusamericaines ne connaissent-elles pas la conjugaison pureet simple. Les Mohicans ne peuvent pas dire : j'aime, tuaimes; ils ont l'habilude d'ajouter imrne"diatement l'objetde leur affection et de conjuguer : je I'aime, je t'aime, je

(1) Voyez, au surplus, Maury, La Terre el PHomme, chap, v m ,p. 435 a 438.

(2) Toutes les langues parlees par les indigenes de Ja Sibe>ie,Fostiak, le samoyede, le vogoul, le syriene, le mordvine, le tche-remisse, etc., appartiennent a la grande famille des langues talareset ougro-japonaises. (V. Maury, ibid.)

(3) Ampere, Promenade en Amerique, Revue des Deux-Mondes,l e r fevr ieH853,p. 572.

Page 91: Aperçu général de la science comparative des langues

— 78 —

vous aime, etc. (1), et d'exprimer toutes ces idees par unseul mot. Nous ne repe"terons pas ici que ces languesont du partir, comme toutes les autres, du monosyl-labisme; seulement, lorsque les races moins bien dousesdu nouveau continent ont voulu commencer le grandtravail de la synthese, leur raison n'a pu gouvernerune imagination trop sensible et trop comprehensive,et, en abandonnant le systeme monosyllabique, ellessont rapidement tombe"es dans l'autre exces, dont il leura e'te' impossible de se d6gager plus tard.

Dans les langues, comme dans le mouvemenl histo-rique et Iitt6raire des peuples, la nature semble par con-sequent s'etre essaye"e a tous les systemes, et avoir par-couru toute Techelle des possibilites. Les langues mono-syllabiques et polysynthe"tiques forment les deux ex-tremes. Les langues indo-europe"ennes, en leur quality delangues a flexion, paraissent un instant donner dansl'exces de complication des idiomes americains; mais enre"alite" elles participent aux avantages des deux autresclasses. Les langues qui, par leur originality, par leur ex-pressive simplicity, la force de la pense"e, la valeur desceuvres litte"raires et poe"tiques qu'elles ont enfante"es, s'enrapprochent le plus, sont les langues s6mitiques, quoi-qu'elles semblent donner un peu dans l'extre"me oppose"que nous rencontrons dans le chinois. Toutefois, la mul-tiplicity des langues 6tant renfermee dans ces categories,il est remarquable que celles qui ne paraissent se'pare'esdes langues les plus parfaites que par une faible distance,les langues polysynthetiques, sont celles qui, dans l'histoiredu monde, occupent le moins de place et ont le moins il-lustre" les peuples qui les parlent; tandis que la langue

(i)Milhrid., m , 6, p. 397.

Page 92: Aperçu général de la science comparative des langues

monosyllabique des Chinois a produit une grande et im-portante literature. C'est que l'obscurite qui nait de lacomplication est plus funeste an d6veloppement de 1'es-prit que celle qui resulte de la pauvrete et de 1'immobilite"d'une langue.

§ 9 . - ZONES DU LANGAGE HUMAIN.

Si Ton s'efforce d'embrasser d'un seul coup d'ceil toutela terre ferme du globe, on ne pent register a la pense"equ'il y a des climats pour le developpement de l'esprithumain et des langues, comme il y en a pour celui desraces. Les contre~es qui jusqu'a ces derniers jours onl eteles plus e~loignees du mouvement general de la civilisa-tion sont celles ou nous rencontrons les genres extremesdes langues. Les peuples qui habitent les parties orien-lales les plus reculees de I'Asie parlent des langues mo-nosyllabiques. Les tribus qui parcourent les bords op-poses du grand Ocean affectent le systeme si complique"des langues polysynthetiques. Car c'est un autre fait cu-rieux, bien aver6 aujourd'hui, que les populations ame"-ricaines etaient bien plus agglomer^es dans la partieouest du nouveau continent que dans la partie est, quiapparut aux premiers Europeens comme un vaste desert.Le reseau des langues tatares et ougro-japonaises com-mence aux frontieres de la Chine, s'etend sur tout le nordde I'Asie, occupe une partie de la Russie d'Europe, s'a-vance d'un cote jusqu'a la mer Baltique, et de l'autre pe-netre en pointe par le magyar, a travers les populationsslaves et germaniques. Au sud de ce reseau se d^ploiecelui des langues indo-europ6ennes. Parti du pied de l'Hi-

Page 93: Aperçu général de la science comparative des langues

— 80 —

inalaya, il gagne l'Europe a (ravers l'Knde et la Perse, oc-cupe ce continent presque tout entier, et il est all6 rejoin-dre de nos jours celui des dialectes americains. Entre lespopulations japhetiques, au nord, et la race de Cham, aumidi, se de>oule, en s'enchevetrant sur bien des pointsdans les premieres et en enveloppant l'autre de plus enplus, la zone des tribus semitiques, parlant toutes desidiomes tel lenient semblables que leur a (finite n'a jamaiseu besoin de preuves, et que leur origine identique est eta ete de tout temps accepted comme un fait incontes-table. Les langues atomiques, telles que le copte, etc., setrouvent refoulees dans 1'interieur de l'Afrique, quoi-qu'elles semblent tendre la main aux idiomes si imparfaitset presque monosyllabiques qui sont en usage sur les ilesde la Polynesie, de la Malaisie, etc.

C'est ainsi que les langues monosyllabiques et polysyn-thetiques occupent deux exlr6mit6s de notre globe, etqueles langues tatares et africaines en occupent deux aulres.Au milieu de ces groupes, on rencontre celui des languesa flexion, parlees par les races les plus intelligentes duglobe, qui, placets ainsi comme au cceur de I'humanit6,rayonnenl dans lous les sens, etdont les langues entamentpeu a peu les idiomes moins parfaits et moins completsdes autres races, en les p6netrant de leur essence.

II va sans dire que ces zones de l'esprit el du langagehumain ne sauraient rien avoir d'absolu. Dans chaquecontinent nous trouvons des langues qui ne rentrent pasdans le systeme adopte par la majority de ses habitants,et qui suivent comme par caprice celui qui pr6vaut dansun continent eloigne". Etqu'on ne vienne pas attribuer cesexceptions a des deplacements des races, rSsultat de cesmigrations si frequentes a une 6poque primordiale: carnous ferons observer que souvent ces langues ne se ratta-

Page 94: Aperçu général de la science comparative des langues

— 81 —

chent ni par leurs racines ni par d'autres 616ments consti-tutifs a aucune grande famille, et qu'elles restent isole"esau milieu d'idiomes paries par des race's parentes ou do-minies par un systeme grammatical analogue. Commeexemples, nous citerons seulement le basque et peut-e"lrel'albanais en Europe, plusieurs langues caucasiques etpeut-elre le japonais en Asie (1).

§ 10 . — OBSERVATIONS CRITIQUES SUR L'AFFIMTE ET L'IDENTITEDES LANGUES.

I/analogie du systeme grammatical, lorsqu'elle estd'unordre tres g6ne"ral, qu'elle ne s'e"tend pas aux racinesdes langues et qu'elle n'arrive pas a de"montrer la presqueidentity des syllabes formatives (terminaisons), est loin deprouver une origine ou une civilisation commune. Ainsi, iln'y a nul rapport entre le dahcota et les langues indo-euro-p6ennes, quoique certains proce"des grammaticaux soientcommuns a ces dernieres avec le dialecte am6ricain. Lehongrois (qui est de la me'me famille que le lapon, le fin-nois et bon nombre de dialectes siberiens), en ajoutantdes pronoms possessifs abre"ge"s auxsubstantifs, enadmet-tant dans le verbe des conjugaisons dites factitives et ener-getiques, a un faux air d'affinite avec I'h6breu. Les lan-gues tatares et ougro-japonaises constituent une famillea part, et elles ne peuvent etre conside're'es comme's'e"tantm6l6esoriginairement aux langues se"mitiques, dont, pourtout le reste, elles different absolument. C'est ainsi que

(1) Comparez cependant l'article de M. Boiler dans les. Rapportsdes seances de l'Acadcmie de Vienne, mars 1857, vol. XXII, 3.

6

Page 95: Aperçu général de la science comparative des langues

la ressemblance de la structure de la langue circassienneavec les dialectes atomiques de I'Afrique ne saurait nousprouver la parente des Circassiens et des Africains ducentre (1). II faut admettre que certains procedes deslangues, lorsqu'elles&ablissent leur grammaire, sontinh6-rents a la nature humaine, qu'ils peuvent se montrer a lafois sur plusieurs points du globe tres distants les uns desautres, suivant les influences climate'riques, ou le tourd'esprit des peuples qui les emploient. Le cercle des possi-bilites dans lequel ces procedes sont renfermes, malgre lesvarie"te"s de detail tres nombreuses qu'il admet, est encorepeu etendu, puisque nousn'y decouvrons gueresque troisou tout au plus quatre categories principales.

Ainsi, si le basque, si quelques idiomes des c6tes de laGuine"e, ont une structure analogue a celle des languesamericaines, si le g^orgien tneme merite d'etre classe aunombredes dialectes polysynlhetiques (2), des savants se"-rieuxn'iront pas jusqu'a etablir des rapports intimes entrel'lberie de la mer Caspienne et celle des Pyrenees, et a rat-tacher le nomde l'une et de l'autre a quelque migration fa-buleuse et transatlantique. Car, non-seulement le fond ma-teriel est tout a fait different dans ces langues et distinct decelui des langues ame"ricaines •, mais parmi ces dernieresellesme'mes nous ne reconnaitrons qu'un petit nombre degroupes, comme celui des cinq nations dans le Canada,dans lesquels l'affinite se prouve, d'une maniere cer-taine, par l'identite d'une foule de sons et de termes. L'im-mense majorite de ces langues n'ont entre elles d'autrepoint de contact que cette complication curieuse, qui lesrend si difficiles a saisir et a apprendre. Non-seulement un

(l)Jlfi«/in(i.,n, p. 785,{3.) Ibid,, IV, p. 130.

Page 96: Aperçu général de la science comparative des langues

— 83 -

abtme s£pare l'iroquois du mexicain, et le mexicain dulangage des indigenes des habitants du Chili et de la Bo-livie, mais d'une tribu a l'autre on ne se comprend sou-vent pas, et le nombre de ces tribus n'est pas extnkne-ment supe>ieur a celui des idiomes. Un habile philologueame"ricain, M. Gallatin, a dresse une classification des lan-gues de l'Aineiique du Nord. II les r6partit en 37 familiescomprenant plus de 100 dialectes, et encore est-il loind'avoir 6puise la lisle des idiomes paries dans cetle pattiedu monde. On en compte plus de 400 dans le continententier. Ainsi, il reste constant que l'identit£ de race neprouve rien pour I'identit6 du langage, el que deux peu-plades peuvent etre nees sous le meme ciel, sur le memesol, dans des conditions physiques tout a fait semblables,s6par6es l'une de l'autre par une distance de quelqueslieues, et cependant differer eutierement dans la manierede s'exprimer et de rendre leur pensee. Usuffit d'un obsta-cle naturel pour amener un pareil resultat, par exam-ple d'une chaine de montagnes tres elevens, d'un terraincoupe, mare"cageux, inaccessible aux immigrations.

En general, ce sont les montagnes qui delimitent d'unemaniere tranchee les nationality, comme les Pyreneesseparent l'Espagne de la France; les Alpes, l'ltalie dureste de I'Europe. La meme regie s'applique encore auBohmerwald, aux monts scandinaves (on parle da-nois en Norwege), aux monts Krapaks, etc. Mais nullepart ce fait ne parait plus saisissant qii'au pied du Cau-case. G'est en vain que Ton voudrait considerer ces mon-lagnes uniquement comme Pasile des tribus dispersees,refoulees du nord et du midi, quoiqu'on y rencontre, acoup sur, des peuplades tatares, slaves, ouraliennes, etmeme indo- germaniques, comme les Ossetes. Abultedaappelait deja la partie orientale du Caucase Djebel elli-

Page 97: Aperçu général de la science comparative des langues

— 84 —

sani, c 'est-a-dire « montagne a langues »; et Straboncomptait dans la seule Albanie vingt-six idiomes (1).Sans vouloir remonter a l'origine du genre humain, laseule circonstance qu'une si grande multitude de peu-plades ait pu vivre dans Ies ravins, Ies gorges et sur Iesescarpements d'une meme chaine de montagnes, pendantuae longue se"rie de siecles, sans se meler d'une manieredefinitive et approcher au moins de l'unite", ne suffit-ellepas pour prouver que tout ce qui rend Ies communica-tions difficiles entre Ies hommes paralyse en meme tempsIes influences propres a Ies rendre semblables que pour-raient exercer sur eux le meTne ciel, la me"me nature, lameme maniere de vivre? D'ailleurs nous sommes convain-cu que le Caucase est habite depuis un temps immemo-rial par des peuples tous rapproches Ies uns des autres.Nous n'en voulons pour preuve que Ies Arme~niens et IesGe"orgiens, dont Ies langues accusent une tres haute an-tiquity et ontpeu de ressemblance entre elles et avec d'au-tres langues connues. Ge"n6ralement ce sonl Ies grandesplaines ou Ies vastes plateaux qui facilitent Pexlensiond'un idiome. Quant aux mers et aux rivieres, on Ies asouvent considerees comme des moyens puissants de ci-vilisation, parce qu'elles poussent l'esprit de l'hommeaux d6couvertes, aux inventions, et provoquent son hu-meur aventureuse. Cet axiome est sans replique lorsqueTon veut parler des races Ies mieux douees, qui ont pure"aliser de grands progres et laisser des traces profondesdans l'histoire. Quant a celles qui, moins favoris6es parla nature, ont dti s'arreter a un degre de culture intellec-tuelle moins avanc6, de simples rivieres ont souvent con-tribue a Ies tenir encore dans un e~tat d'inf6riorite. Ceci

(i) Geogr., xi, p. 4, § 6.

Page 98: Aperçu général de la science comparative des langues

— 85 —

n'est pas seulement vrai des populations ame'ricaines,qui onl du, pendant des siecles, 6tre empe'che'es decommuniquer entre elles par le sol coupe, de'chiquete',du nouveau continent, par ses grands lacs et ses rivieresprodigieuses (1); mais encore de quelques tribus deI'Europe et de I'x4frique. Ainsi, les Tcheremisses, qui ha-bitent sur la rive droite du Wolga, dans les environs deKusmademiansk (pres de Casan), parlent un langage as-sez different de ceux qui habitent sur la rive gauche j desorte qu'il leur est difficile de converser ensemble (2).Dans la Guinee, nous apprenons que, depuis Widah jus-qu'a Angola, le langage change a chaque riviere navi-gable (3). Si, au contraire, il est prouve" aujourd'hui queles Tschouktschi, qui habitent l'extremite' orientale del'Asie, sont le m&me peuple que celui que nous trouvonse"tabli sur le bord oppose" du detroit de Baring (4), on estautorise", jusqu'a un certain point, a admettre que la re-volution oceanique qui a separe les deux continents estd'une date relativement re"cente. Cependant on distin-gue les Tschouktschi se"dentaires des Tschouktschi no-mades, qui se sont reunis aux Coreques, et ont adopt6en partie leur langage, en meme temps que leurs mceurset leur maniere de vivre. Nouvelle preuve, et des plusconvaincantes, que de l'identite de race et d'une originecommune on ne saurait conclure avec certitude a la pa-rente des langues de deux peuples.

(1) Cette observation a deja 6t6 faite par M. Alexandre de Hum-boldt.

(X)Milhrid., iv, p. 233.(3) Ibid., p. 444.(4) Ibid., in, 6, 462 ; iv, p. 250 et suiv.

Page 99: Aperçu général de la science comparative des langues

— 8 6 —

5 1 1 . - L'IDENTITE DES RACINES ET DU SYSTEME GRAMMATICALDANS PLUSIEURS LANGUES PROUVE L'ORIGINE COMMUNE

DES PEUPLES QUI LES PARLENT.

Lorsque nous trouvons des peuplesqui, separe"s par degrandes e"tendues de terrains, n'en parlent pas moins lame'me langue ou des languesdifferentes, mais renfermantles mfknes racineset les memes syllabes formatives, noussommes forces d'admettre, malgre" des modifications pro-fondes que l^loignement et le temps peuvent avoir faitsubir a ces langues, que les peupies qui s'en servent ontve"cu autrefois ensemble, se sont gouverne"s d'apres lesm6mes lois, se sont conformed aux memes moeurs et usa-ges, se sont meles et croises pendant une s6rie de siecles.Ainsi les Esquimaux, qui habitent le Greenland et Labra-dor, quoique separe"s, par une distance de quelques cen-taines de lieues et une foule d'autres tribus indigenes, desEsquimaux 6tablis pres de Norton-Sund et d'Unalaschka,en AmeYique, et sur les bords de 1'Anadir (d6signe"s parle nom des Tschouktschi-Esquimaux), en Asie, ont duneanmoins un jour etre reunis a ces derniers, et ne for-mer avec eux qu'un seul peuple, puisqu'ils parlent encoreaujourd'hui la meme langue (1). Supposer qu'un idiomeaussi complique" que celui des Groenlandais put se repro-duire avec une extreme exactitude sur plusieurs points duglobe en meme temps, ce serait admetlre un miracle quire"pugnerait a l'esprit le plus cre"dule. Ce que nous venonsd'affirmer de la peuplade si peu importante des Esqui-maux doit s'appliquer a la grande famille des Indo-Euro-pe"ens. Indous, Persans, Germains, Slaves, Pelasges,Grecs, Romains, ont du, comme nous l'avons dit cteja

(1) Mithrid., iv, p. 251-253.

Page 100: Aperçu général de la science comparative des langues

— 87 —

plusieurs fois. vivre un temps en commun, observer lesmemes usages, et, selon toutes les apparences, avoir unculte semblable. L'identity des radicauxdu systeme syn-taxique et grammatical de leurs langues nous conduitforce'ment a cette conviction. Les antiques legendes desBrahmanes de"signent VUarakuru (le petit Thibet) commeleur patrie primordiale, et les recherches philologiques etethnographiques du siecle semblent confirmer ces tradi-tions ve'ne'rables. Les idiomes de la race celtique differentprofonde'ment des idiomes parle"s par les nations que nousvenons d'e'nurne'rer; mais ils s'en rapprochent par quel-ques c6te"s d'une maniere si sensible que nous ne pouvonsnous empe*cher de reconnattre que des rapports intimesont du exister a des epoques ante"rieures aux temps histo-riques entre les deux races, et laisser des traces profondesdans leurs langues respectives. Un fait analogue s'e"taitpresents'a nous dans l'assimilation du dialectedesTschou-ktschi nomades a celui des Coreques (1).

En lisant avec attention ce que nous venons de dire dud6veloppement des langues , on restera convaincu avecnous qu'il n'y a pas de pire pre"jug6 que celui d'envisagerles causes premieres comme des faits simples. II est 6vi-dent, pour des hommes qui r6flechissent serieusement, quetoutes les origines sont complexes, que la raison et la civi-

(1) Le melange de deux peuples n'a pas toujours pour resultat lafusion des langues. Un peuple peut 6tre absorbe par une race pluspuissante et perdre jusqu'a ce dernier signe de son ancienne nationa-Iit6: lemoins une foule de petites peuplades ilaliennes, soumisesparles Romains. Enfin , des langues peuvent perir enlierement, lorsqueles races qui les parlent disparaissent, comme il est arrive probable-rnent aux aborigines de l'Europe, et comme il arrivera un jour auxnombreuses tribus indiennes en Amfiiique, qui diminuent jour parjour, pour ainsi dire , a vue d'oeil.

Page 101: Aperçu général de la science comparative des langues

— 88 —

lisation seules ont le pouvoir de niveler et de siuiplifier.C'est pourquoi nous nous voyons obliges de placer dans unavenir encore lointain cette unite de langage qu'on aiinetant a considerer comme le point de depart de l'bumaniteau jour de la creation; nous pensons meme que cetteunite ne pourra jamais e"tre enlierement realised. Commetout s'enchaine dans la nature, et par consequent aussidans le langage, qui n'estqu'une fonction naturelle inhe"-rente. a 1'homme , il a ete possible de d6couvrir les loisen vertu desquelles des idiomes primitivement identiquesont pu se diversifier , et aussi les points de contact, lesanalogies, qui nous forcent de les rattacher a un centrecommun. Comme il n'y a presque rien d'arbitraire dansle systeme d'un idiome m£me peu civilise, les peuples lesplus sauvages ne cesseront jamais de trahir leur origine,leur parente", par leur grammaire et bon nombre de traitscaracteristiques. T6moin les Ossetes , tribu caucasique,qui ne se doutent pas, a coup sur, qu'ils ne sont quedes Indous egares pres de la mer Caspienne. S'il en estainsi des peuples sauvages, a plus forte raison les lan-gues des nations civilis^es conservent-elles dans leursproductions litteraires, dans leurs monuments, la tracedes lentes degradations par lesquelles elles se sont 61oi-gnees de l'idiome primitif. Si, par consequent, nos recher-ches nous prouvent qu'il existe des cenlaines de languesentre lesquelles il est impossible d'etablir des rapportsin times, des analogies certaines, la science doit se de-clarer incompetente lorsqu'il s'agit de ramener la multi-plicite de tous les idiomes du globe a une unite absolue.Aussi, quelque haut que nous puissions remonter dans lestraditions de l'histoire , nous rencontrerons toujours plu-sieurs points habites par des hommes d'origines et de lan-gues differentes. Ces langues, loutefois, ont ete partout,

Page 102: Aperçu général de la science comparative des langues

- 89 —

d'apres toutes les apparences , d'abord monosyllabiques.Mais les monosyllabes n'ont pu etre partout les memes ;au contraire, ils ont du diff&rer de tribu a tribu, peut-&re quelquefois de famille a famille. Le developpementulte"rieur des idiomes variait sans doute suivant le sol, leclimat, l'organisation physique et intellectuelle de cesraces primitives. Peu de langues parcourent comple'te-ment toutes les phases, et prennent toutes les formes quepuisse affecter la pensfe humaine, reproduite par la pa-role. Quant a ceux qui voudraient faire deriver l'im-mense variety de langues et de dialectes de notre raced'une seule langue connue, que ce soit l'indou, 1'hebreuou toute autre, leur opinion est de celles que la sciencemoderne n'a plus besoin de reTuter. La question de cequ'on appelle vulgairement la dispersion des languesne pr6senle point de difflcultes serieuses. Rien de plusdisperse en effet que les idiomes qui devaient se par-ler sur notre globe a une epoque peu avancee de l'hu-manite\ Plus tard, avec la naissance des premieres civi-lisations, nous voyons souvent la meme langue parlee surune vaste 6tendue de terrain; puis nous voyons ces vastesagglomerations de peuples se dissoudre et leurs languesse diversifier, sans toutefois perdre les traces d'une iden-tity primitive.

§ 12 . - AVENIR PROBABLE DES LANGUES MODERNES.

Les langues indo-europeennes ayant suivi un mouve-ment, ou circulaire, ou semi-circulaire, on peut se de-mander a quel point ce mouvement s'arr&era, ou biens'il recommencera en sens inverse; en un mot, nos lan-gues, ayant 6te decomposees par I'analyse, se fortifieront-

Page 103: Aperçu général de la science comparative des langues

— 90 —

elles dans l'6tat ou elles sont arrivees, ou tendront-ellesvers une synthese nouvelle? Nous avons tach6 de repon-dre ailleurs a cette question ; aussi nous proposons-nousseulement de presenter quelques observations, qui nouspermettront de nous former une opinion sur l'avenir denos langues.

La synlhese nouvelle que Ton nous promet ne seraitpossible qu'autant que le Hen qui unit incessammentdans notre race le pass6 au present viendrait a se rompre,et que, les facultes de la raison humaine s'affaiblissantde plus en plus , celle-ci perdrait l'admirable clart6 aveclaquelle elle pergoit aujourd'hui et les lois de l'univers,et celles des langues, et les siennes propres. II faudraitadmettre en outre que la grammaire eut cesse d'etre ensei-gnee; que Part de l'imprinierie fut tombe dans un oubliprofond, et que les t6nebres d'une barbarie plus g6ne-rale et plus terrible que celle de l'epoque des migrationscouvrissent tout notre globe. Encore est-ce une ques-tion de savoir si notre race, revenue ainsi a la conditionobjective des premiers siecles et au regne de Pinstinctpur, pourrait retrouver toute cette puissance creatrice al'aide de laquelle elle avait fond6 les systemes de languesles plus admirables. Rien n'est moins certain que cettesupposition. Loin de nous toutefois d'admettre l'immobi-Iit6 des formes syntaxiques et de la construction dans noslangues actuelles. Loin de nous aussi la prevention exces-sive de presrcrire ou seulement de predire, d'une maniereprecise, la marchequ'elles prendront dans l'avenir. Tou-tefois, s'ilnous 6lait perraisdedonner place ici a notre pen-see entiere, et meme a nos craintes, nous dirions que lasituation actuelle nous parait encore tolerable; mais nousaugurons mal de Pinefficacit6 relative de l'61oquence ju-diciaire et parlementaire pour l'avenir des langues. Que

Page 104: Aperçu général de la science comparative des langues

— 91 —

Ton songe a leur action dans l'antiquite"; que Ton re"fle"-chisse a l'indiff^rence, tous les jours plus sensible, pourles charmes d'une conversation instructive, e"levee, ele-gante, pour les plaisirs raffines de l'esprit, pour tout travailde la plume, de la pensee ou de la parole, dont Futilite"pratique ne soit pas immediatement demontrable et nepuisse 6tre calcule~e par des chiffres, et que Ton ose encorenourrir un « long espoir! » Si le mercantilisme est destinea envahir un jour toutes les classes de la societe, nous neserions pas etonne que nos langues prissent enfin, peut-6"tre seulement apres dessiecles, la forme qu'elles reverentde"ja aujourd'hui dans les d6peches telegraphiques desindustriels. Par mesure d'economie, les phrases y sontrepresentees seulement par quelques mots, qui en indi-quent pourtant Ires clairement le sens. Cette abreviation,fort utile sous bien des rapports, applique"e a toutes lesformes du langage, en le depouillant de tout ornement etde tout charme poetique, loin de nous faire rivaliser avecla Grece, nous ramenerait d'abord en Chine, et inaugu-rerait la decadence des idiomes de notre hemisphere.

II ne paralt done pas que de longtemps on puisse assi-gner un terme au travail de l'analyse. Mais, dans ce tra-vail, quelles sont les langues qui joueront le premier roleet qui semblent destinies a reunir dans les liens de lafraternity tous les peuples de la terre? Ces langues sontl'anglais et le francais. Elles ont ete" plus particuliere-ment fagonnees par l'influence manifeste de ce travail,et elles sont merveilleusement organisees pour exprimertoutes les id6es nouvelles que 1'industrie et la science fonte"clore journellement. L'esprit de l'homme prenant tousles jours des allures plus analytiques, ces deux languessont celles que Ton parle et que Ton apprend de preTe"-rence et avec le plus de facility. Qui voudrait soutenir,

Page 105: Aperçu général de la science comparative des langues

— 92 —

par exemple, que la langue anglaise n'a pas devant elleun immense avenir? Quelle serait la langue destined a laremplacer ? Mais, si un jour elle doit se re"pandre sur laplus grande partie du globe, il y a lieu d'espeYer que lalangue francaise sera sa fidele compagne, comme le grec,jadis, le fut du latin. L'espagnol et le portugais sem-blent, momentanement, tenir le troisieme rang; mais lacivilisation me"ridionale de l'Amerique nous parait bienmenace'e par la civilisation des fils entreprenants de la r6-publique du Nord. Les idiomes slaves aussi ont un grandavenir; Paliemand proprement dit et I'italien sont peut-6tre plus exposes a etre absorbes par les langues parliesdes races plus fortes entre lesquelles ils se trouvent res-serre"s.

Nous ne voudrions blesser la susceptibility d'aucunenation, et nous pensons serieusement que toutes nos lan-gues modernes dureront longtemps. L'esprit humain, ar-rive a toute sa clarte, a la connaissance de Iui-m6me etde ses propres lois, a une puissance de conservation aumoins aussi grande que l'instinct qui a maintenu intactespendant quatre rnille ans les langues de la Chine, et del'Egypte. La raison etant le grand principe, Tid6al quePhumanite" s"efforce de realiser de plus en plus dans l'or-ganisation de la societe", les langues qui seront l'expres-sion la plus exacte de cet id6al semblent etre faites pourdefier les siecles. Mais, puisqu'il ne saurait y avoir d'im-mobilit^ absolue, l'analyse, a force de les creuser et deles simplifier, dess^chera et minera ces idiomes. Ils n'6-chapperont pas alors au sort de tout ce que le temps en-fante, et, par leurs dernieres evolutions, ils rejoindrontle point d'ou ils etaient partis, il y a des milliers d'an-n6es, dans « la cite vagissante ».

Page 106: Aperçu général de la science comparative des langues

I. — DE L'ONOMATOPEE.

LU A L ' A C A D E M I E DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES EN OCTOBRE 1 8 6 0 .

L'onomatopee a ete considered sonvent coiume leveritable point de depart du langage humain. Lespremieres generations de la race nous sont presen-tees dans celte hypothese comme e"tant doueesd'une intelligence cr^atrice au-dessus de tout ce quenous pouvons imaginer, nous, hommes du dix-neu-vieme siecle; d'un instinct aveugle, mais heureux,grace auquel elles ne reproduisaient pas seulementles sons el les bruits de la nature inanimee, le rnur-mure des rivieres, le sifflement de la tempete, lefracas du tonnerre ou bien les cris des animaux,comme le rugissetuent du tigre , le hennissement ducheval : elles seraient allees plus loin. Elles auraienlforme a peu pres tous leurs premiers mots expri-mant leurs premiers besoins et leurs premiers senti-ments sur le moule meme de la nature et de la ve-rite. Cette vue hardie et singuliere est partagee parbien des esprits dislingues de noire epoque; maiselle avait surtout de quoi seduire les philosophes dusiecle passe, qui, peu inities aux arcanes de la gram-

7

Page 107: Aperçu général de la science comparative des langues

— 94 —

maire generale et embarrasses d'expliquer l'originedu langage, etaient dispenses ainsi de recourir a ladoctrine de l'intervention directe de la Divinite", lelleque la concevait et la soutenait, il n'y a pas bien long-temps, Msr de Bonald. De libres penseurs, dont Iestraditions ne sont pas encore perdues , se refusant aattribuer a notre race une origine differente de celledes e"tres organises qui nous entourent, et m6me dela matiere inerte, adopterent avec empressementune idee qui tout d'abord paraissait rapprocherl'homme de la brute. D'apres eux, ce ne fut que parun concours de circonstances favorables, par quel-que heureux hasard, et par Ies efforts de quelqueshommes eminents, que nos premiers peres, apres descentaines d'annees, seraient sortis d'un etat supe"rieursans doute a celui des animaux , mais inferieur acelui de bien des peuplades sauvages de 1'ancien etdu nouveau monde.

Ce n'estpas avec des raisons empruntees a la phi-losbphie ou a la religion que nous allons combattredes theories qui, c'est un fait bien ave"reaujourd'hui;-sont de la competence des seuls philologues. Nouslaisserons parler les faits, c'est-a-dire nous examine-rons les langues; elles seules peuvent nous appren-dre le role que joue l'onomatopee dans leur orga-hisme si vaste et si complexe.

Commengons par un idiome dont l'etat rudimen-taire semble indiquer qu'il s'est peu e"loigne de laforme qu'il avait des les premiers jours de son exis-

Page 108: Aperçu général de la science comparative des langues

— 95 —

tence. Nousvoulons parler du ohinois. Ses mols sonttous des monosyllabes, dans lesquels on chercheraitvainement les restes de mols anciennement plusetendus. Si Ton peut esperer rencontrer des onoma-topees, ce sera e"videmment dans une langue qui a sipeu varie que le chinois, ou tout nous reporte versles premiers efforts de la voix humaine , vers lespremiers essais d'une intelligence qui est encorecomme etonnee d'elle-m^me.Eh bien! aucune languene renferme peul-6tre si peu d'onomatopees que lalangue chinoise. II y en a pourtant, par exemplemeou, mugissemenl du boeuf. Mais qui oserait recon-naitre des sons imitatifs dans les mots tels que :ta-ye, sangloler, ta-tchao, siffler, ta-pew ou tarty, eter-nuer, ta-ho, Miller, ta-hou, ronfler? Sans doute lesChinois furent determines a la creation de leurs pre-miers mols par la nature de leurs organes phoneti-ques. II faut lenir compte aussi de l'esprit positif decette race rebelle a rimage el ennemie de toute poe-sie elevee. S'il y a done eu a l'origine un lien entreles impressions produites par la natare sur l'&me despremiers Chinois et les sons par lesquels ils les re-produisaient, ilfaut avouer que ce lien nous e"chappeaujourd'hui entierement. Si l'on voulait absolumenten trouver quelque trace, il faudraiLprobablementrecourir a des considerations d'une physiologie telle-ment subtile, qu'en realite nous n'exagerons rien enaffirmant que, pour nous, il n'existe pas. La' languechinoise apparait a nos yeux comme l'oeuvre d'une

Page 109: Aperçu général de la science comparative des langues

convention non premeditee (£UV0YI>MI, Aristot.), s'ilest permis- de s'exprimer ainsi; — car il ne saurait6tre question ici des decrels d'une Academie — etles mots ont ete par consequent pour les premiersChinois exactement ce qu'ils 8ont pour nous, non lecaique, mais les signes des idees.

L'impression que nous recevons en jelant an coupd'oeil sur une liste de racines coptes, hebraiques etsanscrites, differera sans doute de celle que produitsur nous l'inspection de la table phonetique d'unlexique chinois; mais la encore les onomatopeesn'apparaitront que de loin en loin ; et ceux qui vou-draient en faire la base des idiomes paries jadis dansl'Egypte, Plude et la Palestine, seront bien forces deconfesser leur erreur.

A coup sur les Aryas avaient ete mieux traites parla nature que les premiers Chinois. Les organes dela voix etaient plus robustes chez eux; la doubleconsonne ne les arretait pas. Les sons les plus riches,les plus sonores, les plus diversement combines leuretaient permis. Ilsjouissaient de l'iinagination la pluspuissante.la plus fecondequi jamais eut ete departiea aucune race, et cependant, pour exprimer leurpensee, il ne parait pas qu'ils aient eu recours sou-vent a l'onomatopee. Au moins peut-on affirmer quetoutes les preuves du contraire nous echappent. Sides sons qui n'etaient pas encore des mots ont existechez eux, s'ils ont ete employes longtemps, ils n'onttrouve aucune place dans le langage des Vedas, dans

Page 110: Aperçu général de la science comparative des langues

— 97 —

le langage classique des Brahmanes et dans le dic-tionnaire Sanscrit. C'est a peine si dans ce derniernous rencontrons ga et la quelques racines, coramevd souffler, bhram bruire (lat. fremere), kshi et kshutcouper, sphurj chasser, rompre, tonner, sphut, sauterpar eclat, fendre, etc., etc. Mais l'immense majorilede ces corps simples de la langue sanscrite sontconstitues de fagon a ne laisser deviner a personneleur sens et leur valeur primitive.

L'onomatopee est plus frequente dans les languesclassiques, notamment engrec, quoiquela encore elletienne fort peu de place. Si le son (3ou ou (Jo a e"techoisi par les premiers Grecs pour exprimer des crisconfus, ce son se transforme, se spiritualise pourainsi dire et s'ennoblitdans le siibstantif abstrait $oH,dans le verbe (Joav et dans le nom concret (Jou? (lebceuf). Assurement personne, en Grece, en se servantde ce dernier terme, ne se souvenait plus de son ori-gine. Mais cette origine elle-mdme, proposee parHeyse,n'est peut-e"trepas bien sure. Si elle l'etait, ellerenverserait l'etymologie donnee par d'autreslinguis-tes allemands, qui considerent le mot ouc commeune varianle du Sanscrit go. Les langues indo-euro-peennes fournissent des exemplesd'onomatop^es pluscertaines et plus frappantes.

Nous ne nous arrfiterons pas a citer des verbes telsque TpiCw, (jTpi w (d'ou vient czfyl, chouette); maispersonne a coup sur ne voudra distraire l'allemandKrcehe (corneille) de la racine kra (gr. itpw eiv, xpa£ew,

Page 111: Aperçu général de la science comparative des langues

— 98 —

lat. crocire, compar. le gr. xo'pa!;). Citons encore :all. kukuk, y.mwl, lat. cuculus; all. Uhu, Eule, anc.all. Uwila, fila, lat. ulula,-le vb. ululare, gr. olo^eiv,all. heulen (1).

Mais ce sont les idiomes leutoniques surlout quise dislingiient par une richessede termes descriptifs,a laquelle n'atteint certainement aucune de nos lan-gues civilisees. Remarquons-le bien, la plupart deces termes sont de date recente. Nous ne nornmonsque krcehen, krachen, krcechzen, knallen, rauschen,brausen, sausen, rieseln, zischen, rasseln, sceuseln,schwirren, brullen, pfeifen, etc. Ces termes peuventetre d'un secours pr^cieux en poesie, lorsque celle civeut frapper vivement les sens par I'imilation desbruits et des sons naturels. Toutefois on sait aussique le but le plus elev6 de la poesie n'est pas de re-produire minutieusement la nature et la realite,mais de representer les idees (TCC %a3-' 6'>.ou, Aristot.,Poet.). Or, la poesie qui peint, la poesie descrip-tive, pour la nommer, appartient aux civilisationsartiflcielles et surann^es. Tel est le genre danslequel les poetes allemands se sont complu et ontexcelle; et les plus populaires d'entre eux, commeBurger et Goethe, ne se sont pas fait faute d'em-ployer, en mainte occasion, des onomatopees etmeme d'en creer de nouvelles. C'est que les hommesd'un monde vieilli et fatigue de luimeme se retour-

(iyLehrgebaude, p. 182.

Page 112: Aperçu général de la science comparative des langues

- 99 —

nent avec un regret empresse vers la simplicity de lanature dont ils voudraient reproduire les charmesnaifs. II n'en etait pas de meme de nos premiersperes, desireux de se degager des entraves dontcelte nature les enveloppait, de s'elever au-dessusd'elle et, finalement, de se replier sur eux-memes etsur leur propre pens6e.

Beaucoup de mots dans les langues modernea nesont des onomatopees qu'en apparence, comme lesmots allemands blitz (la foudre) de la racine angl.-sax. blican (briller) , donner (le tonnerre), anc. all.donar, lat. tonitru, de la rac. tan, gr. TEIVEIV. De cetteracine viennent egalement TO'VO?, all. ton; lat. tonare,all. donnern et toenen. On voit par ces deux exemplesque les harmonies imitatives que nous rencontronsquelquefois dans nos langues ne remontent pas tou-jours aux premiers temps et qu'elles sont souvent leresultat du travail incessant des generations, modi-fianl et transformant les sons, jusqu'a ce qu'ils soientadequates a l'impression qu'ils sont destines a repro-duire d'une maniere pour ainsi dire palpable. Undernier argument pour convaincre d'erreur ceux quivoudraient faire sortir le vaste systeme d'une langued'une serie d'onomatopees plus ou moins habilementchoisies, c'est l'isolement ou se trouvent ces onoma-topees au milieu de ce systeme. En effet, elles sonten general infecondes, sans liaison intime avec lagrande majorite des mots de la langue et n'appor-tent a son vocabulaire aucune richesse veritable.

Page 113: Aperçu général de la science comparative des langues

— 100 —

Nous pouvons en invenler, et en re"alite nous en in-ventons tous les jours ; mais nous somrnes incapa-bles de creeraucunes racines significatives et fecon-des. C'est tout au plus si, pour retremper et rajeunirnos langues vieillissantes, il nous est permis d'y ra-mener, sous la forme de l'archaisme, les lermes ou-blies d'un age plus poetique.

Les observations pre"ceden.tes, applique"es anx seu-les langues japhetiques, ne rencontreront guere decontradicteurs s6rieux. II est vrai que nous preten-dons les etendre aux idioraes semitiques; el c'est icique nous nous trouvons en lutte ouverte avec nom-bre de linguistes, qui soutiennent que dans ces idio-mes l'onomatopee regne et deborde. Or, la frequencede l'onomatopee est un des signes auxquels se recon-naissent les langues imparfaites et les races inferieu-res. 11 repugne a ces savants d'admettre que le paysqui renferme les tombes d'Abraham et de Moise, quia donne le branle a la plus grande revolution qui sesoit jamais accomplie au sein de Phumanite, et dontl'impulsion puissante se sent jusque dans Pislamisme,ce judaisme fanalise (c'est ainsi que Hegel avail cou-turae d'appeler cette religion, qui est toute la civili-sation des populations africaiues) ; il leur repugned'admetlre que ce pays puisse entrer en paralleleavec les contrees fortunees ou regnait depuis lesplus anciens temps un panth6isme savant, poetiqueet immoral. Les langues de Sem, a les entendre, ontla fibre plus grossiere et plus materielle. Elles sont

Page 114: Aperçu général de la science comparative des langues

— 101 —

propres a exprimer les emportements des sens, maisnon pas les enchantements d'une imagination d'ar-tiste ou les raffinements d'une pensee philosophi-que; et voila pourquoi il faut que Phebreu soil rem-pli d'onomatopees. A cela i! n'y a qu'iine objection aopposer : c'est que cetle assertion ne soutient pas1'examen, et se refute completement par les faits.Nous trouvons, en verite, dans cet ancien idiomeune serie de mols que le genie de la langue s'efforcede rendre imitatifs en accumulant des sons rudes etgulturaux. Nous cilerons notamment une serie de ver-bes signifiant fendre, dechirer, couper, crier, par exem-pie : hharat, hharatz, hharash (yapoccow), etc.; hatzatz,katzar, etc. ; kara', etc., etc. On y peut joindre desverbes tels que : na6aM(aboyer), naphahh (sonffler),naphatz (briser), nadahh (heurler), naham (grogner),qui, a Petal monosyllabique et lorsqu'ils n'etaieutpas encore pourvus de la leltre servile (n) parlaquelle ils commencenl, etaient autant de sons des-criptifs de Taction qu'ils semblent vouloir peindre.

Cependanl il ne faudrait pas aller trop loin. LesSemites elaienl une race fortement Iremp6e , facile-menl portee aux extremes et exprimant vigoureuse-ment des impressions profondemenl ressenties. C'estpourquoi dans quelques-uns de leurs idiomes, et no-tamment en hebrea, les aspirees, les sifflanles et lesgulturales abondent. Mais ces consonnes dures etcriardes pour nous sont employees souvent dans desmots exprimant, ou des idees indifferentes, ou meme

Page 115: Aperçu général de la science comparative des langues

— 102 —

des sensations agreables. Citons seulement lakahh(prendre), halac' (marcher), karab (s'approcher), ka-rahh (polir), tzaa'r (etre petit), kar (calme, froid) ,tzaphah (resplendir), tzaphahh (etendre), katar (sen-tir bon), et rn6me • rak (delicat), rahham (aimer),a'reb (doux).

D'autres fois des actions violentes sonl rendues pardes sons dont la douceur ne fait pas soupgonner lasignification. Par exemple : badad et badal (separer),bald (de"vorer, ruiner), bara, barah (tailler, couper,manger), et notamment daphah et hadaph (frapper,tuer), ko (cracher), que les langues classiques tra-duisent par une onotnatopee : gr. TTTUEW, lat. spuere.

Qu'est-il besoin de preuves nouvelles? Un despremiers semitistes de notre siecle, Gesenius (4-),6tait frappe, comme QOUS le sommes nous-m§mes,de Yetonnante rarete de sons imitatifs que renferme lalangue hebraique. II en cherchait la cause dans laregularite uniforme avec laquelle les voyelles sontdistributes dans le verbe, dans la constitution iden-tiquement la me'me de presque tous les radicaux, etdans la raison presque reflechie de ceux qui, selohlui, auraient dirige le d^veloppement du langageprimitif. Un examen attentif du vacabulaire semiti-que demontre que le nombre de ces onomatopeesest evidemment sup^rieur a cehii du chinois, maisbien inferieur a celui du grec, du latin et surtout des

(1) Adelung, Mithrid., tome I, p. 515.

Page 116: Aperçu général de la science comparative des langues

— 103 -

langues teutoniques. Nous n'en voulons tirer aucuneconclusion defavorable pourles idiomes japhetiques;seulement nous voulons mettre le lecleur en gardecontre des esprils Irop systematiques, toujours pretsa chercher et a trouver dans les faits mal etudies lespreuves de leurs idees precongues.

Nous savons fort bien qu'il y a des idiomes oul'onomatopee a jou6 un r61e considerable. Le mand-chou peut nous servir ici d'exemple. Tous les bruits,tous les cris y sont ex prime's par des sons habile-ment nuances el d'ordinaire redoubles. On y emploietshang tshing, pour le carillon des cloches : tang tanget tang ting, pour le bruit du fer battu ; kaka kiki oukiki kaka, pour les eclats de rire (lat. cachinnus);luk tuk, pour les battements du coeur. Takta takta,y signifie sautillant; lang long, negligemment : luhi, petit homme, etc. (1). Mais on se tromperait siTon croyait que les formes singulieres que nous ve-nons de citer constituassent la base de la grammaireet le fond du dictionnaire mandchou. Le mandchouest une langue entierement distincte du chinois;mais ce qui 1'en rapproche d'un autre c6te, c'est que,malgre un certain caractere de synthese qui lui estpropre, on y retrouve encore le monosyllabisme,pour ainsi dire a fleur de terre.

Si nous excluons l'onomatopee des elements essen-tiels qui ont concouru a la formation du langage

(1) Adelung, Mithrid,, tome I, p. 515.

Page 117: Aperçu général de la science comparative des langues

— 104 —

primitif dans les races huraaines qui nous inleres-sent le plus, Egyptiens, Chinois. Semites, Japheti-des, nous ne pretendons pas nier que, par un tra-vail d'artet d'instinct a la fois, ces races ne se soientefforcees de rendre le son de plus en plus adequatea la pensee, et de l'y refleter, quoique tres-incom-pleHement, comme dans uu miroir. Ce sont les Indo-Europeens qui, en possession des idiomes les plusharmonieux et les plus flexibles, ont ete" particulie-rement heureux dans ce symbolisme des sons de lavoix humaine. Nous abordons ici un sujet delicat etdont nous connaissons tous les perils. Aussi nousbornerons-nous a quelques observations generalespour eviter l'ecueil des theories, impossibles a fon-der, selon nous, en pareille matiere.

Tous ceux qui ont lu quelques pages de Sanscritont du etre frappes comme nous de la frequenceavec laquelle revient la voyelle a. En effet, c'estla voyelle que Phomme prononce le plus naturelle-ment en ouvrant la bouche, la voyelle par excel-lence, ainsi qu'on l'a nominee , la voyelle objective,comme diraient les philosophes allemands. Elles'echappe sans effort des levres de l'enfant; elle esten mfime temps la voyelle la plus noble, la plus deli-cate, celle qui se deteriore le plus facilement; c'estpourquoi, dans les langues moins primitives que leSanscrit, les voyelles breves eet o finissent par occu-per tout le terrain abandonne par elle. Vu, qui naitsur les levres et qui est le son le plus bas parmi les

Page 118: Aperçu général de la science comparative des langues

— 105 —

voyelles, exprime la sensation de la repugnance, del'effroi, de la terreur; il designe ce qui est obscur,terne, cache\ Li, au contraire, qui s'echappe du go-sier, dont 16 son est le plus eleve", exprime l'aspira-tion , le desir, toute sensation intime el intense. 11marque le mouvement rapide et penelrant, commela force et la pointe des choses. Les aulres voyellespeuvent 6tre considerees comme des sons interme-diates, tels que e et o, ou bien encore comme descombinaisons des trois voyelles primitives, a, i etu (\).

Heyse ne se fait pas illusion sur ce qu'il y a dehasarde dans la signification qu'il attribue aux voyel-les. II reconnait que la langue, a mesure qu'elle sepenetre davantage du travail de la pensee, aban-doune ces points de vue trop materiels et fait desvoyelles un usage plus libre (2). C'est ainsi qu'enallemand le naouvement des voyelles exprime laflexion des verbes forts (ich binde, ich band, ge-bunderi).

Si la langue n'a pas cree ses mots au hasard, lesconsonnes comme les voyelles doivent avoir leur va-leur symbolique et repondre a certains ordres de

(1) M. Jacob Grimm, pour en mieux faire ressortir la physionomie,compare l'echelle des sons a l'echelle des couleurs. Pour lui, a, c'estle bknc; i, le rouge; u , le noir; e, le jaune; o, le bleu. Les diph-thongues ei et iu seraient l'orange et le \iolet; ot, le rose; au, lebleu de ciel.

(2) Heyse, Gramm. eomp., p. 80.

Page 119: Aperçu général de la science comparative des langues

— 106 —

sensations et d'idees. Heyse pretend que le contrasleentre les termes interrogatifs et demonstralifs estexprime generalement par celui que font lessons dugosier avec les dentales (d'un cote : sansc. ha, has,lat. quis, qualis, quantus, gr. xw?, xoffo?, xoTo?; et de1'autre : sanscr. ta, tas, lat. tails, tantus, grec TO'?,TO, all. der, die, das). 11 le retrouve non-seulement dansles langues japhetiques mais encore dans les idiomestatares (esthonien kes, syrienique, kody, tcheremisseku, dont les deoionstratifs correspondents sont : esth.se et to (celui-ci, celui-la) : syrien. syja, taja, tcher.sida, tyda. C'est ainsi qu'au turc Mm repondent lesprenoms demonstratifs bou (celui ci) et chou (celui-la).Dans les langues semitiques ('interrogation est expri-mee par un m, par exemple : mi(qui) etmah (quoi).On le voit, la regie de Heyse ne trouve son enliereapplication que dans les langues japhetiques.

Lorsque ce linguiste pr6tend que le sujel parlantou pensant est tres-distinclemeut exprime par dessons qui viennent du gosier (all. ich, lat. ego, chi-nois ngo), il oubli que les formes allemandes.latines,grecques, etc., du pronom de. la premiere personnene sont que les modifications du Sanscrit aham, motdans lequel, comme il a ete prouve par d'autres lin-guistes dislingues, l'o seul exprime la personne.Mais il n'en est pas moins vrai que les langues plusjeunes ont nuance d'une maniere tres-intelligente laforme sanscrite el Tout rendue plus expressive.

D'apres Heyse, les labiales indiqueraient I'activit6

Page 120: Aperçu général de la science comparative des langues

— 107 —

des levres elles-mfemes, tel qne souffler, lat. flare,gr. <Wxew> heb. naphahh, lat. spuere, gr. TCTUEIV, heb.sdphak; puis l'action de jeter : gr. p<&>.eiv, all. 6a/-/en; celle de Her, de ramasser, d'empaqueler : all.binden, packen ; puis l'approximation : lat. apud, gr.ini, all. bey, hebr. bo (venir), V (pres de, dans); etpuis l'etendue : lat. pandere, all. breitej platte, gr.Tt^aru;, all. blatt.

Les dentales et lingales marquaient demonstra-tion : gr. 5eaw, lat. dico, indico, digitus; puis un em-p^chement, un arrfit, gr. (Wp's, <na.au;, lat. ienere,domare, gr. ^a^av, etc. , all. damm (la digue). Ellesse combinent souvent avec s dans le lat. stare, lesmots allemands : stehen, stellen, stemmen, stumm, etc.

Lesconsonnes palatales indiquentce qui est beant,creux, voiite : gr. ^aivew, lat. Mare, all. klaffen;gr:z.oi7.ov, lat. cavum, all. kelle, heller, etc.; ce qui ren-ferme, couvre, cache; gr. xueiv, xeuSeiv, lat. cutis,casa, gr. TOUTO?, lat. scutum, etc.

Les sifflantes et les liquides, toujours d'apresHeyse, exprimeraient le mouvement : lat. volare,vehere, venire, via. V repondrait surtout au mouve-ment agite, a la vie (lat. vivwm, vivo) et au vide(lat. vacuum); f au mouvement qui effleure el quilouche (all. fegen, feilen, fassen, fangen); s sert a

former des onomatopees : all. sausen, sceuseln, sum-men, puis il marque le mouvement violent : all. see(la mer), lal. sero (semer). L et r servent a designerle mouvement.de 1'eau. Ce mouvement a quelque

Page 121: Aperçu général de la science comparative des langues

— 108 —

chose de plus doux et de plus suave lorsqu'il estrendu par / (TOC 7.eta, TO lircapov xal TO KoM^e?,

d'apres Platon) (1) , comme dans le sanscr. li (fon-dre); gr. ^EIOV, lat. leve, fluere, couler. Joint a g, k,s, I indique tout ce qui est doux, glissant : gr.yluxu, ylic^po'v, all. schlange (serpent). —R marque lemouvement de la riviere qui murmure et relentit :gr. pew, all. rinnen; le mouvement rotatoire : all.rad, rund, lat. rota, rotundus; le mouvement de laparole, semblable a celui des vagues : gr. psw, sp«,p*Yip.a, lat. reor. Deja Platon appelait p un 6'pyavov

Le m est la lettre du secret, du mystere , du si-lence, lat. muttire, mussare, all. munkeln, murmeln,

g r . pjEiv, (JWX°'? •> [*UffT7i?) (iuoTifpiov , pLu; d u sanscr .

mush (voler), all. mummen (deguiser), mummerei, lat.mutus. On cornprend doncque la langue ait employecelte letlre a designer le sujet qui parle, qui a con-science de lui-meme, le moi, m6me dans les languestatares : finn. mina, esthon. minna, lap. mon , etc.,et dans beaucoup d'autres idiomes; — puis l'acti-vite^le la pensee se repliant sur elle-meme , se sai-sissant elle-meTne : sanscr. man (penser) , lat. me-mini, gr. paw, (AipviWo, pjAova. II faut y rattacher :sanscr. manas, lat. mens, gr. p'vo;; lat. mentiri,c'esl-a dire mente fingere, golh. munan (croire), lat.monere, sanscr. manaydmi, je fais penser; anc. all.

(1) Cratyl., p. 427.

Page 122: Aperçu général de la science comparative des langues

— 409 —

mandn, mahnen, all. meinen, etc.; mais en hebr. amaret surlout hashab. — La negation est exprimeegeneralement dans les langues japheliques par m etn (lat. non, ne, ni, gr. vvi, pi, etc.). Heyse y voit unacte libre de la conscience repliee sur elle-meme etrepoussant ce qui voudrait lui faire violence et sefaire accepter malgre elle. 11 est f&cheux que le grecpresente ici ou a cote de p , q u e l'hebr. emploie sur-tout b comme particule negative, le turc ioq etdeyl, etc. Peut-etre le savant gramrnairien v a t ilaussi trop loin en affirmant reconnaitredans : sanscr.at, lal. edo, anc. all. az, all. mod. essen (en hebr.ac'al), et dans gr. iu-vw (lat. bibo, aiais en hebreushatah), un reflet de l'activite exprimee. nivu el bibo,notammenl, no :S piesentent des formes affaiblies dusauscr. pa, et s'il y a onomatopee, elle est d'unedate relalivemenl recenle. Mais dans laliemand sau-fen (rappelanl Thebreu saba , boire avidement), quise relrouve encore dans all. suppe, fr. soupe, souper,l'cffort de la langue pour peindre Tacle est visible.Heyse cite encore fort a propos Tallemand saugen,lat, sugere, succus, elc.

Tous ces fails reunis sont loin sans doule de con-slituer un systeme ; mais il est certain quon auraittort de traiter ces rapprochements de chimeres, car-la langue a deploye un tact sur et delicat dans ladesignation des objets. C'est ainsi qu'elle a caracte-rise chacun des orgauesde la voix par le son qui lui

appartienl en propre. Par esemple : lal. guttur,8

Page 123: Aperçu général de la science comparative des langues

— no -gula, fr. gorge, all. gurgel, kehle (gosier), gavmm

(palais), hals, lat. collwm (con) ('1). Voila pour lesgutturales. En passant aux denlales el aux lingua-les, nous Irouvons : lat. dens, dent is, fr. dent,sanscr. danta, goth. tunthus, all. zahn, du sanscr.danc', gr. &axvew (mordre), ou mieux de la racinead (manger), en sorte que danta serait dit pouradanta (celui ou celle qui mange), gr. oSou?, dial,eol. I'<W; goth. tuggd (la langue), anc. lat. dingua,lat. lingua, sanscr. jihwd. Le fait se verifie pareille-ment pour les labiales. Par exemple : lat. bucca (labouche), all. mund, maul: Dans lat. labium, all.lippe, la consonne caraeteristique se trouve au milieudu mot. C'est ainsi que le nez estrendu le plus sou-vent a I'aide de la nasale : sanscr. nasas, all. nase,lat. nasus, fr. nez; de la Fall, niesen (eternuer).

Les langues semitiques montrenl en general lameme finesse et la meme surete d'instinct dans ladesignation des organes de la voix. Ainsi la gorgeou le cou s'y disent gargrot, \e palais et l'interieur dela bouche hhec', la dent shen, la langue lashon, motdans lequel les consonnes / et sh appartiennent ega-lement a l'organe qu'elles expriment. La bouche sedit en hebreu peh, la levre saphah, ou la consonnecaracterislique se trouve au milieu; le nez, eneph ,

(i) Hals et coll-um sont le meme mot, exactement comme horn etcorn-u, herz et xap-6t«, l'A allemand repondant souvent au k des lan-gues classiques.

Page 124: Aperçu général de la science comparative des langues

- i l l —

habituellement contracts en naphj les narines, enfin,nehhirayim.

11 y a lieu sans doute d'admirer la superiority deslangues dout le genie adapte si merveilleuseinent lestermes aux objels qu'il veut exprimer. Mais nouscroyons que celte superionte n'est pas le propre detous les idiomes du globe. Nous croyons aussi queles idiomes si parfails qui nous occupent en ce mo-ment n'ont pas e"le et n'ont pas pu elre toujoursegalement heureux dans la creation de loutes lesparties de leurs vocabulaires. 11 est certain qu'ils sesont efforc6s de polir et de perfectionner les motsrudimentaires du laogage primilif, el c'est ce travail,poursuivi sans relckhe par les idiomes indo euro-peens, qui leur donne un avanlage sensible sur leslangues semiliques.

Nous avons deja dit plus haul que le nombre desonomatopees semble augmenler avec le temps; maisce qu'il impoite de prouver ici, c'est que bon nom-bre de termes qui, a 1'origine des choses, semblaientdesigner uu peu au hasard les objets auxquels on

les affecta, fureat modifies en telle sorte par la bou-che delicate, Vos rotundum, des Grecs et meme desLatins, qu'ils finirent par calquer ces objets et paren presenter commie le velernent, comme la formeexterieure. Or, il existe en Sanscrit une racine ang, semouvoir, s'incliner. Les premiers Aryas s'en sontservis pour designer differents membres du corps,comme anga (membre), anka (sein), ashtivat (ge-

Page 125: Aperçu général de la science comparative des langues

— 112 —

nou), etc. Les Pelasges, par une Iegere modification,ont reussi a donner a cette racine la signification del'etroitesse, designee fort bien par les nasales dontleson se produit parun arrel de la voix dans l'interieurde la tete. De la viennent g»\ e'yyu? (proche), ay^w,all. enge (etroit), et'par metapbore lat. anxius, ango,all. angst (la terreur, fr. angoisse). Ces termes, sansetre des onomatopees , s'en approchent cependantbeaucoup, tandis qu'il serait bien difficile de Irouverdeja ce caractere dans la racine a laquelle ils serapportent.

La racine pat vent dire simplement aller en Sans-crit ; en grec elle signifie tomber dans TUTCTW pourIUTCSTW, verbe qui semble vouloir peindre la ra-pidite de la chute ; ou voler, dans ira'TOj/.ai, IVr/ip. Dela aussi vient -rcTepov pour usTspov (la plume) , ou lerapprochement du % et du T a ete amene avec tadpour exprimer l'extreme legerete de l'objet en ques-tion. Dans le latin petere, ou semble reconnailre lavivacile de la marche. On comprend que ce verbeait pu prendre la signification de demander, car ons'elance vers unobjet alors qu'on le demande.

Les mots qui signifient feu en grec (rcup), et en al-lemand (feuer), ressemblent assez a une onomalojiee.Mais lorsqu'on y regarde de pres, on se convainc qu'ilsviennent de la racine pu, dont le sens est purifier,nettoyer. Du Sanscrit bhu (etre), le grec a fait cpua,tpusaw (respirer, souffler). Qui nierait que l'acte estmieux peint dans ce terme que dans la racine san-

Page 126: Aperçu général de la science comparative des langues

— 113 —

scrile? En sanscril tri veut dire passer outre, puisjje-nitrerj de la derivent gr. TtTpaw, TiTpaivw (forer, per-forei), lat. terebro, qui a le meme sens. Les anciensGrecs, par I'emploi judicieux da redoublement, lesLatins par le comul des r, se sont efforces de pein-dre I'acte qu'ils voulaient designer. Mais on nousassure quedu meme tri vient le lat. titillare (chatouil-ler), comme du sanscr. tan (elendre) viennent le lat.tinnire, tintinnabulum ou 1'onomatopee estobtenueparla repetition de la syllabe radicale et par le grandnombre des i. On ponrrait multiplier ces observa-tions a l'infini. Citons seulement : gr. ijAepo? (le desiramoureux), spxpo; (petit), a ^ y o ; (les tenebres de lanuil) de ajiiXyw ftraire), p-opoc, lat. mors de [j.apw (re-parlir).et surlout les mots esprimant la diversity duson : ^ouivo? et (Y)^OUTC'W , scpapayeco, K T W O ; , x.TU7cew,

et tant d'autres qui tout au moins n'existent pas ensanscr. Joignons-y gr. piirrco , Tapacrow (cp.

TeTpep-awoj, trembler (sanscr. Iras), Tapxapo?,

-rroWcplotcSoi;, Tpo^o; , etc. , etc. , mots q u i , gr&ce au

genie plastique des Grecs, ont fini par etre comme lemoule de Fidee qu'ils renferment.

Si l'allemand est bien moins harmonieux et bienmoins sonore quQ ie grec, ilest a coup sur bien plusexpressif. Le nombre des mots ou la pensee semblese refleter comme dans un miroir y est bien plusconsiderable. Mais ici encore nous remarquons quece lien intime, mysterieux, qui unit 1'idee et le sonqui la manifeste, n'a pas ete improvise , qu'il s'est

Page 127: Aperçu général de la science comparative des langues

— 114 —

forme lentement par 1'habitude qu'acquerait l'espritde saisir a la fois la forme et la pensee et d'adaplerl'une a l'autre.

Nous avons parle plus haut des mots allemandsefonner(tonnerre)et blitz (eclair), derives des rac. tan(elendre) el de blican (resplendir). On pourrait reu-nir plusieurs centaines d'exemples ou les Allemandsont reussi, surlout par un heureux emploi de la dou-ble consonnance, a produire des effets de voix,qn'nne philosophie imprudente considererait volon-tiers comme l'oeiivre des premiers homines et despremiers temps. Nous citons seulement :

Herz, gr. x.ap ia, lat. cor, sanscr, hrit.Schmerz douleur, da v. N. meria briser.Straff raide, serre, de streben, angl. to strive s'ef-

forcer.Gespenst spectre, de spenia (I. du N.) allecher, at-

tirer.Schuchtern tiraide, de scheuen et en dernier lieu de

sky (1. du N.) couvrir; eviter.Watscheln patauger, de waten, cp. lat. vado.Schimpf honte, de scamian.Racker insolent (expr. familiere), de rakr (I. du

N.) imperieux,de rekia gouverner.Meuter seditieux, de maut reunion , qui vienl de

l'angl.-sax". mitan renconlrer (angl. to meet).

Morsch friable, mosrser mortier, du N. meria briser.happen lambeau, de (bi) lipan laisser, gr.Galopp du goth. hlaupan courir.

Page 128: Aperçu général de la science comparative des langues

— 115 —

LechzenMre altere, de lekia 6tre beant, lecher,couler.

Hupfen sautiller, de heben.Horchen ecouter, de hceren entendre (golh. haus-

jan).

Hiibsch genlil, pour hofisch (mot a raot : courtisa-nesque), d& hofconr, (haben contenir).

Gemach doucement, de machen faire(compar. pourle sens gr. paSio? de ps£w, plSw, fp&w).

Minne amour, du goth. munan se souvenir.

Fressen, frass manger gloutonnement, du goth.fritan, compose de la prep, fra et du vb. itan man-ger.

Herrlich, heir, de heren dominer.Karg avare j de I'angl.-sax. caran 6tre en souci,

cp. lat. euro.Gerben tanner, frapper, du N. gora faire, preparer.Geiz avarice, de gitan recevoir, obtenir.Grunzen grogner, degrinan pleurer.Grob grossier, de hrefia forcer.Gescht ecume, degeren, gcehren fermenler.Tuchtig solide, vigoureux, de taugen 6tre fort.Trotz orgueil, entetement, de troen, drohen mena-

cer, angl. threaten.Tcelpel gros lourdaud, de delfan creuser, fouiller,

lat. talpa taupe.Brunst ardeur, de brennen bruler.Zuchen palpiter, de ziehen Lirer, trainer.Trott trot, de treten marcher, fouler aux pieds.

Page 129: Aperçu général de la science comparative des langues

— 116 —

Zorn colere, de teran entratner, arracher.Milbe lout petit insecte, de malan moudre, briser.

Heilig sacre , de heilen guerir, anc. all. gehal eo-lier, etc., etc.

Si Ton veal voir des onomatopees dans tous cesmots, nous ne nous y opposerons pas; rnais il fau-dra reconnaitre en meme temps qu'elles n'onl pasele crees d'un seul jet, qu'elles sont le resultat de cetravail lent, incessant, par lequel le genie de la lan-gue s'efforce de faire du son le serviteur et le tres-hurnble esclave de la pensee. Si par consequent onaffirrae que les idiomes des peuples anciens, queceux des peuples teuloniques sont comme le caiquede la nature au milieu de laquelle ils vivaient, ilfaut ajouteren m^nae temps que ce caique n'a eteob-lenu qu'apres un long labeur, de nombreux taton-nements; qu'il date beaucoup moins des premiersjours du langage que de sa seconde periode qui estcelle de la synthese, et qu'il est quelquefois d'uneorigine plus recenle encore. Nous esperons avoir de-monlre 1'erreur de ceux qui regardent Fonomalopeecomme un phenomene caracterislique des languessemitiques. Celles-ci sont peu flexibles, et les raci-nes y sont toujours reslees les me'mes, ou ont subipeu de variations. Ce sonl au contraire les idiomesindo-europeens qui complent des onomatopees parcentainesel par milliers; mais nous sommes loin deleur en faire un reproche ou d'y voir une preuve deleur inferiorite.

Page 130: Aperçu général de la science comparative des langues

- 117 -

II faut avouer toutefois que le genie de la langnene reussit jamais complelement a rendre la formeadequate a la pensee. Aucun de ces termes qui sym-bolisent une idee ne l'exprime de fac,on que 1'oreillede I'etranger ne puisse pas s'y tromper. Le mfimeson, quelqne judicieusement qu'il ail ete choisi parles premiers hommes d'un penple , aura ou une si-gnification tonte diffeienle chez le peuple voisin par-lant une atitre langue on n'aura pour lui aucun sens.Rien n'est plus doux a prononcer el a enlendre quela racine lu, et cependant elle veut dire en san-scrit fendre , dechirer; dans les langues pelasgiques,ce son rappelle des verbes qui signifient se baigner,se laver. — En revanche pri, qui en sanscril signifieaimer, en grec signifie scier (ivpuo). Yell, en anglais,veut dire crier, en hire un an, une anne'e. Lorsqu'unAllemand vous dit lieber, en appuyant sur la pre-miere, il vous parle lendremenl, il vous appelle son« cher ami; » mais pour 1'oreille francaise ce son auneautre valeur, livre pour elle est un volume ou unpoids, lal. liber ou libra, el pas autre chose. Pour-quoi pour exprimer la notion de la graudeur le Chi-nois a-t.il recours a un monosyllabe ta, TArya a celuide mah, et le Semite a celui de ga ou gab? En ve-rite, on ne peut alleguer aucun motif raisonnablepour qu'il en soit ainsi et pas aulrement. Les troissyllabes (ta, mah, ga et gab) existent dans les troisfamilies et y onl des significations dislinctes. On n'enpeut sans doute pas inferer que la notion de la gran-

Page 131: Aperçu général de la science comparative des langues

— 118 -

deur ait ete" de"signee au hasard par Ies Chinois, IesJaphetides et Ies descendants de Sera ; mais il seraitabsurde, en verite, de soutenir plus longtemps quela creation des premiers termes d'une langue a eulieu fatalement. La volonte de 1'homme dans le choixde ces termes a e"te" limitee sans doute par Ies con-ditions de son organisme , par le sol qu'il habitait,par le genre de vie qu'il put adopter, enfin par lebesoin ressenti plus particulierement des races Iesplus favorise"es de reproduire Ies impressions d'unemaniere plus frappante, plus palpable. Mais, malgretout cela, une vaste carriere resta ouverte, non-seu-lement a la liberte, mais meime a 1'arbitraire, et Tonpeut hardiment affirmer que Ies premiers bo Dimesont use de l'une et de I'autre.

Nous ne pouvons pas mieux resumer ces recher-ches qu'en disant qu'il n'y a pas d'idee humaine quisoit necessairement infeodee a tel ou tel son , ni deson de notre voix qui designe fatalement telle oulelle idee. Oui, il n'y a pas un seul son, nous par-Ions surtout de sons simples, qui, dans Ies milliersd'idiomes qui sont paries sur notre globe, ne puisseexprimer et n'exprime peut 6tre reellement toulesrIes notions simples que notre intelligence renferme.Tout son pent devenir le signe ou le symbole detoute idee. Ce qui revient a dire que le son enrealiteest chose tout a fait inadequate a l'idee et quele clavecin de la voix humaine , malgre sa merveil-Jeuse organisation , malgre Ies sublimes harmonies

Page 132: Aperçu général de la science comparative des langues

— 119 —

qui s'en echappent, n'est que l'instrument imparfait,oui, bien imparfait, de cette pensee qui porte desmarques plus profondes de son divin Createur.

II. — DE L'ORIGINE DE L'lNFINITIF PRESENT PASSIFDANS LES LANGUES CLASSIQUES.

LI! A L ' A C A D E M I E DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES EN OCTOBRE 1863 .

1.

Les tentatives des linguisles, pour decouvrir l'ori-gine et le veritable sens de cet inflnitif, ne parais-senl pas avoir ete couronuees jusqu'a present d'unsucces complel. Essayons a notre lour, en nousaidant des travaux de nos devanciers, de faire fairea cette question un pas de plus. — Personne n'ignoreque les amari,moneri, legi, audiri, ne sonl en realiteque les formes abregees des anciens infinitifs ama-rier, monerier, legier, audirier. Comment expliquerces derniers? MM, Bopp et Pott ont cru reconnaitredans le premier r la marque de l'infinitif actif, dansle second le pronom reflechi se transforme en re.Dans ce cas amarier, audirier, etc., seraient pouramarere, audirere , e tc . , ou au moins pour amareer,

audireer, en supposant que la aietathese er pour reeul ete generalemant adoptee , et que le premier eeut ele change en i pour cause de dissimilation.Tout, receminent M. Lange , auquel M. Schleichersemble donner raison, a prefere voir dans les termi-

Page 133: Aperçu général de la science comparative des langues

— 120 —

liaisons ier et rier un infinitif imaginaire siere pouresiere (forme primitive sanscrite syasai = asyasai) ,forme d'un present egalement imaginaire asyes ve-nant du verbe as « etre , » et faisant fonction depassif (as + ya). Ixgi et amari deriveraient, parconsequent, de legies, amasies. Le s final aurait eteretranche comine dans beaucoup de cas analogues,et ie aurait ete contracle en i comme dans sim, sispour siem, sies, etc. Nous avcuons que cette elymo-logie nous parait beaucoup trop arlificielle pour quenous soyons dispose a l'admellre.

Disons d'abord un mot de l'infinitif passif de latroisieme conjugaison qui, lui aussi, a ele une veri-table crux interpretum. Comine amari parait etre formede amare, moneri de monere, audiri de audire, l'infini-tif actif legere semble reclamer une forme correspon-dante, legeri. Or il est clair que legi ne saurait etre en-visage comme une forme ecourleede kfferi; ce legeri,en effet, n"a jamais exisle; ie mot qui, a l'origine.leremplagait elait legerier. Ce dernier etant compose dequatre syllabes breves, et accenlne d'abord proba-blement sur la premiere (legerier) produisait une ve-ritable cacophonie, a cause des deux r et des trois equ'il renferme. On le prononga probablement le'grier,et avec" suppression du premier r le'gier. ComparezT£Tpayf/.o pour TeTpa^pay[7.o, ^ocTpuy pour ^oxpu-Tpiy

( la locution ^oTpu; yatT-/i? existe reellemenl ) , nutrias

pour nutritrix, e t j J ' a u t r e s chez P o t t , I I , 1 0 9 et

su iv .

Page 134: Aperçu général de la science comparative des langues

— 121 —

Nous sommes persuad6, avec M. Lange, que la de-sinence des infinitifs passifsn'est qu'une forme 6cour-tee d'un autre infinitif en -ere, avec lequel les amare,monere, legere, audire , se seront combines. Amarier,

monerier, legier, audirier, se seront dils pour amariere,

moneriere, legiere, audiriere.' Mais de quel verbe iere

la desinence ier serail-elle le reste tronque? Au pre-mier coupd'ceil, c'esl le verbe ire lui-me'me qui paraitse presenter, dont un ancien infinitif a bien pu elreiere de eo com me ievai de elfM. Le verbe cio ou cieo adu former jadis ciere; dre et ciere, n'en sont proba-blement que des variantes nees de la tendance de lalangue a remplacer les formes plus difficiles de laconjngaison forte (la iroisieme) par les ternunaisonsregulieres, uniformes de la conjugaison faible (-are,-ire, -ire). Toutefois le verbe venir ne sert en gene-ral a designer le passif que lorsqu'il est accompa-gne d'un participe. C'est ainsi que Ton dit dans laRhetie : lo vengo laudans (je suis loue), et le latinlui-meme a son amatum iri.

Le seul verbe latin qui ail conserve la forme ierest fio qui fait, il esl vrai, a l'infinilif fieri. Mais celleforme est un veritable solecisine consacre par l'usage,qui avait fini par voir dans fio un verbe passif oudeponent. Fieri prouve que la forme regulieredel'inf.passif de kgo eul ete legeri. L'ancien infinitif de^o elailfiere, qui se trouve encore dans Ennius. C'est cefiereque nous croyons fermementetre l'origine de la desi-nence + ier, qui dans la langue latine indiquait, au

Page 135: Aperçu général de la science comparative des langues

— 122 —

commencement, l'infinitif present passif. Amarier,mo-nerier, etc., sont nes , selon nous, de amare + fier,monerefier, etc. Rien n'est phis comrnun en lalin que1'elision d'un /"dans los formes composees de la con-jugaison. L'exemple le plus frappant nous est fournipar \espotui, potueram pour polefui,potefueram; volui,volueram pour vole fui, volefueram. Dans nolui, maluion ne pent s'empficher de reconnaltre des contrac-tions de non + vole + fui et mage-\-vole + fui, etc. 11est constant aussi que tous les parfaits en -vi et -iiiconliennenl le parfait du verbe/wo, gr. cpuw, Sanscritbhu. Des lors, il parait tout simple que le/"se soitpour ainsi dire volatilise et ait fini par disparaitredans ies amare/ier, monerefier, elc.

Resle une grosse difficulty. Est-il probable , est-ilmeme possible que l'infinitif fiere se soit combine elfondu avec l'infinitif actif des verbes amare, monere,legerc, audire? Lorsque deux mots viennent se join-

dre pour ne plus faire qu'un, ne commencent-ils paspar se depouiller de ces desinences qui leur don-nenl un caractere arrele, determine? On dit cpeps-vwo?,parti-ceps, treme-facio, treme-fio, lucri-facio, etc.,mais on ne considererait jamais comme forma tit unmot cpepuv • v 13C-/1V, partem capiens, tremere facio ou fio,

lucrum facio; encore moins oserail-on former descomposes comme cpepwv-vao?, partim-ceps, etc. Aussi

ne voyons-nous nullement dans les amare, monere,legere, audire, qui restent lorsqu'on en a detache le.verbe fiere, la forme de 1'intinitif present actif. Amare,

Page 136: Aperçu général de la science comparative des langues

— 123 —

monere, etc., ne designent pas seulement cet infini-tif; ils peuvent designer aussi la seconde personnesing, du pres. passif, et remplacer les amaris, mo-niris; ils designent enfin la seconde personne sing,de l'imperalif passif : sois aime, exhorte, etc. Nousnous arreterons a l'imperalif, non que nous croyionsqu'un imperatif puisse enlrer dans la composition dunmot quelconque, mais parce qu'il nous presente engeneral une des formes les plus ecourtees du verbe.Dans le cas qui nous occupe, les deux premieres syl-labes de amdre, monere, audire et me1 me legere(c'esl-a-dire ama, mone, audi et lege) ne sonl pas desimperatifs , mais simplement les radicaux , les the-mes des verbes arnare, monere, audire, legere. Le pro-nom reflechi re (c'esl-a-dire se) esl venu s'y joindre,el a fait corps avec eux. Cela n'a rien qui doiveetonner; non-seulement parce que toutes les person-nes du passif sont composees invariablement avec ceinline pronom, mais parce que les conjugaisons san-scrite, grecque et latine renferment de nombreuxexemples de pronominaux petrifies, inseresainsi entrele radical et la desinence proprement dite. Amarier,monerier, audirier et legier , signifierout par conse-quent, mot a mot : aime-soi-devenir, entend-soi-deve-nir, comme qui dirait en allemand : liebe-sich-werden,hcere-sichrwerden, etc.

Page 137: Aperçu général de la science comparative des langues

— 124 —

2.

Si I'etyroologie que nous vcnons de presenter elaitapprouvee, elle pourrait nous conduire a decouvrirpeutetre celle de Finfinitif passif du verbe grec ler-mineen-c6ai. M. Schleicher a fait remarquer deja quedes formes tellcs que >.UE<J9OV, 1U£<J9MV , lueoSe, enfinluo^saQa, a cote de luo'pSa, semblent prouver quel'instinct de la langue croyait trouver I'exposant dupassif dans la corabinaison du a et dn 3\ Ceci estd'autant plus vrai que la langue se la permeltaitdans des cas ou les regies de la gram ma ire semblentla repousser, comme dans VUOU<T9YIV pour WOUGTIV. Desformes comme vixouujAai, vivycjAai et d'autres encorepourraient donner a penser que c'est moins par le &que par le <s que l'instinct populaire a voulu designerle passif. Nous n'ignorons pas que,-dans des formescommeo!c8a, la consonnance <T9 repond a deux t pri-mitivemenl juxtaposes. Mais dans la seconde personneplur. moyen , M. Schleicher essaie de ramener ladesinence c9e au Sanscritrf/ive, qnise dirait pour sdhviou sdhvai, qui lui-meme serait abrege de tvasi dhvasiou dhvasi dhvasi. On aurail fait de ce dernier, parapherese, d'abord sidhvasi puis s-dhvai. Toutes lesanIres formes, qui renferment uncdevraient leur ori-gine a la loi de I'analogie, si puissaote dans le deve-loppement des langues. Au cas ou a serait primilifdans -jjuoOa, - .esGov, la forme premiere serait masdhai

Page 138: Aperçu général de la science comparative des langues

— 125 —

(vieux bactrien maidhi pour madhai, ne de madhi+ masi?) que M. Schleicher ne croit pouvoir expli-quer aulrement que par une metathese des desinen-ces pronominales c'est-a-dire masidhami. La desinenceque nous presente aujourd'hui leSanscrit est, commeon sait : maM.

J'ignore si , comme M. Schleicher le pense, lesformes des trois personnes du singulier dans la voiepassive ou moyenne (-[/.at, -cat, -Tat), sont nees duredoublement du pronorn personnel. On admettramoins facilement encore que les formes d6ja sicomplexes du pluriel aient pu 6tre redoublees a leurtour. Une desinence ant + anti, d'ou M. Schleichervoudrait tirer le grec -VTOII, sansc. -nt4, n'a probable-ment jamais existe. La langue grecque, poussee parle besoin de marquer fortement la notion du passif,suivit, selon nous, une autre route que le Sanscrit.Partout ou le doute paraissait possible, elle inse"rason a, qui probablement ne differe pas de Ys ou deIV du passif latin. C'est le reste du Sanscrit sva ou svi,qui, a une epoque moins primordiale, se transformatanl6l en e, oO, oi, etc., tant6t en <j<ps, crcptv, ocpw, etc.On devine le resle : Dans luopcGa^le c n'est qu'unelai, un appui de plus pour pOa, dans lequel nousne croyons voir qu'un maidM deforme. Mais dans les-c6e-c9ov, etc., nous reconnaissonsles'-re, -tov de l'actif,auxquels l'insertion du c donnet une valeur m^diale.C'est ce m6me <J que -nous croyons retrouver dans

, vi)4ou(j9viv, et, bien entendu, aussi dans les

Page 139: Aperçu général de la science comparative des langues

— 126 —

infinitifs MeoO'ai, likuabou. Dans le -Qai qui resteM. Schleicher croit demeler les infinitifs vediques en-dhyai, forme trop rare cependant pour qu'il ne paraissepas risque" de Iui attribuer une action si importantedans la formation de la conjugaison grecque. Ne se-raitil pas preferable de ramener ce -6ai a la racine 8s,Sanscrit dhd, « faire, mettre, » qui semble avoir servia former l'aoriste Ier passif, et que l'on rencontredans le present de verbes tels que TCpvffiw, 6txa6w, etc.?Tout le monde sail du reste quel rdle considerablece m£me verbe joue dans la formation de la conju-gaison gothique , et quel usage font les Anglais denos jours de leur verbe to do. L\ de -9at serait unlocatif d'un nomen agentis, dont la forme serait iden-tique a la racine. On n'a qu'a comparer les infinitifsvediques : drq& « voir, » d + sad+ e, « s'asseoir, »d + ydi pour d + ya + ai, « approcher, » etc.TwT6<j6at, lusofiai seraient done litleralement : bat-soi-faire, affranchit-soi-faire (all. schlage-sich-ma-cheri), etc.

Parlons enfin d'une derniere probabilite. Oon'ignore pas que dans le groupe 06, le 3- est souventle resultat d'un a precedent, et qu'il occupe la placed'un t primitif. Or T grec repond souvent au th san-scrit. On pourrait done voir encore dans -6at le suf-fixe krit tha (Pott, II, .466). Ce suffixe se rencontredans y&-\-tha, « troupeau, » de yu, « Her, » pa-\-tha,« sender,,» pour ipad+ tha, de la racine pad, « mar-cher, » uktha « le Samaveda » de la racine vatsh:

Page 140: Aperçu général de la science comparative des langues

— 127 —

En insurant un o devant ce suffixe, la langue for-mait des substantifs abslraits comme gam + a + tha,« tranquillite, » klam-\-a-{-tha, « fatigue, ndam•^-a + tha ou dam + a-\-thu, « punition, » etc. L'in-finilif n'a ete a l'origine qu'un substantif abstrait;il se pourrait done qu'il se fut forme en grec a l'aidedu suffixe -tha ou -atha; mais j'avoue que ma pre-miere explication me parait plus vraisemblable.

III. — CLASSIFICATION DES LANGUES D'APRES LED* STEINTBAL.

M. Steinthal admet, comme M. de Humboldt, quetoutes les langues ont ete un jour monosyllabiques,comme le chinois Test encore maintenant. Le chinois,ne disposant que d'un bien petit nombre de sons(un peu plus de quatre cents), il en est advenuqu'un m6rne son a pris presque toujours plusieurssens. Quelquefois le m&me mot arrive ainsi a desi-gner vingt, trente, cinquante choses entierement dis-tinctes. Celte circonstance devait contribuer a rendrele langage primitif tres-obscur, et engager ceux quile parlaient a sortir de la voie du monosyllabismeou s'arreta le chinois. M. le Dr Sleinthal a remarqueque toules les langues que nous pouvons suivre jus-qu'a leurs origines nous fournissent des exemplesde mots a sens multiple. II cite a cet egard, non-seulement l'egyptien, mais encore le Sanscrit; eneffet, le Sanscrit, raalgre un vocabulaire extreme-

Page 141: Aperçu général de la science comparative des langues

— 128 —

ment riche et sa faculte de composer des mots al'infini, en conserve quelques-uns qui se sont are-tes a ce premier Echelon de leur de"veloppement.Reconnaissons toutefois que, parmi de nombreusessignifications, qu'il faut attribuer presque toujoursau mot chinois, il y en a souvent plusieurs quise tiennent et s'expliquent l'une par l'autre, parexemple :

Ta veut dire : grand, grandeur, grandir, grandement.Ceci n'a rien d'etonnant d'apres ce que nous venonsde dire plus haut sur la langue anglaise. Mais voidqui est plus curieux : Eul signifie 1° deuce, %° et(comme qui dirait jonctiori) , 3° petit enfant (commequi dirait dedoublemeni), etc., etc.

Partant de ce principe, M. Steinthal dressa untableau, plus complet que tous ceux qui sont a noireconnaissance, des idiomes les plus remarquables duglobe; et sans eliminer aucune vue importante deses pred6cesseurs, il etablit trois classes principales.\ ° Dans l'une il plac.a les langues qui reussissent a expri-mer les concepts de l'esprit humain d'une manieredistincte, sensible et surtout adequate aux categoriesde la pensee. Ce seront la les langues les plus par-faites. %° II y en a d'aulres ou les mots qui indiquentces concepts sont juxtaposes sans lien exterieur,grammatical, et ou la reflexion supplee de son mieuxa l'insuffisance du langage. G'esl Ie cas du chinois etdes langues qui lui ressemblent. II y a sans doutedans le chinois des mots pour exprimer toute espece

Page 142: Aperçu général de la science comparative des langues

— 129 —

d'idees; ide"e de substance et idee de rapport; maiscomme ces mots sont immobiles, indeclinables, ilsse trouvent pour ainsi dire tous sur le meme plan,et aucun sigue, si ce n'est l'ordre dans lequel ils sesuccedeot, n'oriente 1'esprit sur leur valeur respec-tive. Le chinois et d'autres idiomes encore rendentle datif et le locatif par une racine qui signifie resler,demeurer; le pluriel par une autre, qui signifie beau-coup, tout. Mais les peuples qui parlent ces languesne savent pas ce que c'est qu'un nom au datif, auvocatif ou au pluriel. La difference m6me des ideesprincipales etdes idees de rapport, connue des Chi-nois, ne Test pas des races moins bien douees dont leslangues ressemblent a la leur. 3° Enfin le plus grandnombre des idiomes de notre globe se sont efforcesde rendre, par des formes sensibles a i'oreille, maisd'une maniere plus ou moins imparfaite et confuse, ladifference des notions principales (nom , verbe, etc.)et des notions de rapport (preposition, conjunction,adverbe, etc.) Les uns sentanL qu'un lien intimedoit unir les differentes parties de la phrase, la re-sument maladroitement en un seul mot, comme legroenlandais ; d'autres exagerent l'importance desrapports dans lesquels le nom pent se trouver auverbe, comme le finnois. Cette langue possede unedeclinaison de quatorze cas, et cependant elle a ne-glige de donner une forme caracteristique au nomi-natif et a l'accusatif. Ces quatorze cas, d'ailleurs,sont formes a l'aide de veritables racines, exprimant

Page 143: Aperçu général de la science comparative des langues

— 130 —

des idees principals. Les langues ougriennes neconnaissent pas, a ce qu'il pa rait, ces propositionsqui, comme il arrive dans nos idiomes, descendent,non pas de racines verbales ou nominales, mais deformes pronominales. Dans les langues indo-euro-p6ennes, en effet, celles-ci constituent le fond primi-tif dont sont nes les mots designant les rapports. Laligne de demarcation, tiree de tres-bonne heure en-tre les deux classes de racines (verbales et pronomi-nales) a ete le point de depart du developpementheureux et de l'organisation superieure de ces lan-gues. Veut-on un exemple d'une langue confondantdes categories bien distinctes de la pensee? Choi-sissons le kawi. Pour exprimer le pluriel du pronomdans la conjugai&on, on y a recours a la forme fre-quentative. C'est comme si « dicens » y signifiant :il dit, pour dire : Us disent, on meltait : dictitans.Veut-on des langues incapables d'exprimer certainsrapports de la pensee? Prenons l'idiome d'Annam.Dans cet idiome, il est le plus souvent Ires-difficilede distinguer le sujet du predicat. La copule n'yexiste pas. C'est pourquoi « mons altus » y peut si-gnifier a la fois haute montagne el la montagne esthaute. Dans la langue basque, la proposition adjec-tive est traitee comme un seul nom. Le mongolet lernandchou n'ont pas de conjugaison proprement dite;ils ne peuvent pas dire : amo, amas, mais seulement:amans, amatus, amare. Us reussissent, a la verite, adistinguer ces expressions verbales d'expressions

Page 144: Aperçu général de la science comparative des langues

— 131 —

nominales, telles que : amator, amatorem, etc.; maiscette fusion inlime qui, en grec et en latin, fait unseul mot de la desinence pronominale et de la ra-cine, de fagon a ce que le verbe presente une physio-nomie toute differente du nom, cette fusion n'a paseu lieu dans ces langues. Elle n'existe meme pasdans la langue turque, qui conjugue lous ses verbesa I'aide du verbe subslantif : 4tre, mais les elementsprimitifs dont ce verbe est forme ne sont pas encorebien connus.

CLASSIFICATION DES LANGUES.

Juxtaposition . .

Flexion a I'aide deprefixes. . . .

Agglutination. .

Polysynth^tisme..

Incorporation.. .

Contraction. . .

Flexion impar-faite.

i' Modification dela voyelle radi-

sh Flexion paraffixes

Flexion completa

I

Langues qui confondent les idles principaleset les idces de rapport.

Africaines.

Yoroba.

L. des Cafres

ianuri ?

Wolof.Galla?

Polyne'siennes.

Orientales.

Occidentales.

Asiatiques.

L. de l'lndo-Chine.

L. Allai'ques.

Thibtoin.

Finnois.

It

Langues sans expressiondc rapport.

AmSricaines.

L. de rAmen-quo du Sud'?

Delaware.

Mexicain.

Groenlandais.

Asiatiques.

Chinois.

HI *

Langues

parfaites.

L'egyplien.

L. stoitiques.

L. imlo-euro-peennei.

*-Cc sont celles qui ont su donner une expression adequate aux id<Jes principales et aux idiics derapport.

Page 145: Aperçu général de la science comparative des langues

- 1 3 2 -

IV. — CLASSIFICATION DES MODES D'ECRITURE D'APRESLE D' STEINTHAL.

Le principe qui domine la division des systemesd'ecriture est que leur clarte et leur perfection sonten raison de la clarte" et de la perfection des langnesqu'ils sont destines a reproduire. Lorsque une tribusauvage de rAmerique du Nord veut transmettre ala posterite les exploits d'un de leurs chefs, elle lespeint, raais ne saurait les perpetuer par l'6criture.Celle-ci, pour <Hre facile a saisir, presuppose un Ian-gage facile a analyser, a decomposer. Des'idiomesou regne un synthetisme confus ont de la peine aarriver, nous ne dirons pas a un alphabet, mais seu-lement a dessigneshieroglyphiques. DesTchippewaysdesirent-ils nous apprendre que deux de leurs chefsont remonle un fleuve, ont camp6 sur le rivage et yont pris un ours et des poissons? Us graveront surune planche deux pirogues, sur chaque pirogue unanimal, insigne (totem) des families de chacun desdeux guerriers (les noms propres des individusn'elant jamais indiques autrement), un ours, despoissons, — et le monument sera acheve. Les sau-vages, toutefois, connaissent le symbole ; deux mainsentrelac^es sont le signe de I'amiti6; le cceur, c'estcelui du desir, de l'affection. Chez les Mexicains,race deja plus civilisee, l'annee est designee par unserpent qui se mord la queue. II n'est pas toujours

Page 146: Aperçu général de la science comparative des langues

— 133 —

aise" de se rendre compte du rapport qui existe entrele signe et la chose sighifiee, comme, par exemple,lorsque les nez du visage affectent des dimensionsd'autantplus enorraes que les personnages sont pluseleves en dignite, etc., etc.

L'ecriture dont nous venons de parler est commedetachee du langage de la tribu qui le parle; ellen'indique aucune cate"gorie de la pense"e , aucuneforme grammatical. Nous ne voyons que des objetspouvant frapper la vue : nulle part un signe mar-quant une activite, une epithete, un rapport. LesMexicains n'ont pas 6(& assez heureux pour sortirentierement de ce systeme primitif; mais ils ont in-vente des signes indiquant des noms de nombre; ilsont un calendrier; ils marquent la date des 6vene-ments. II y a done pour eux un passe, et par conse-quent , un commencement de tradition historique.Quelquefois, en ecrivant, ils ont recours aux cou-leurs, comme lorsque le chiffre'wn^i, 20, est designepar un drapeau et qu'un drapeau divise par deuxlignesqui secroisent etcolorieademi signifie^a?, 10 ;lorsque les trois quarts en sont colories, e'est 15,quinze qu'il faut entendre.

La couleur joue un r61e considerable dans les cor-deleltes nouees des Peruviens , les fameux quepos.La, e'est le nombre, l'entrelacement et la couleurdes nceuds qui sont destines a remplacer les carac-teres. Ces signes sont tout a fait de convention; ilsne disent rien par eux-m^mes. Tout imparfaite que

Page 147: Aperçu général de la science comparative des langues

— 134 -

soit cette ecriture, il faut la placer au-dessus decelle qui ne fait que peindre; car elle est a ua plushaut degre le resultat d'un art re'fle'chi.

La Chine et l'Egypte sont les premiers pays oilnous rencontrions une ecrilure digne dune intelli-gence humaine. Ce qui l'y a fait naitre, c'est, ditM. Steinthal, un esprit agite par les enigmes a re-soudre, que presente le spectacle de la creation.L'Egypte et la Chine ont laisse" trace d'elles mfimes :Fo-hi imagina des signes figures pour fixer les princi-pes de la morale et d'une metaphysique abstraite.Les prGtres de l'antique Misraim voulurent celebrerla gloire des dieux, orner leurs temples, perpetuerles hauts faits de leur race.

L'ecriture chinoise conserva toujours son caracterehieroglyphique , a cause de la nature de la langue,composee d'un petit nombre de monosyllabes etd'un nombre prodigieux d'homonymes. Toutefois lechinois parvint a creer des signes phonetiques a c6t6des signes ideographiques par lesquels il avait de-bute. C'est ainsi qu'il put signaler au regard lessignifications diverses d'un m6me son. Le son pe veutdire blanc et cypres. Ayant le sens blanc, il est rendupar un sign© ideographique simple; ce signe devientphonetique lorsque pe signifie cypres. II n'exprimeplus que le son pe, et, pour qu'on.ne puisse pas s'ytromper, on y ajoute le signe ideographique arbre,en sorte que les deux signes reunis se lisent :arbre-pe. Lorsque le son.cAt ou tchi est rendu par un

Page 148: Aperçu général de la science comparative des langues

— 135 —

signe simple, il signifie mesure, diviser; mais lorsqued'ideographique devenu phonetique il se trouveaccompagne du signe homme , il signifie ruse , talent.Lorsqu'il est suivi du signe femme, il signifie fillepu-blique; joint au signe simple cceur, il veut dire haine,violence, etc. C'est que le chi ou tchi a toutes ces si-gnifications reunies. — L'ecriture egyptienne, commel'ecriture chinoise, debuta, elle aussi, par la penseepeinte; mais, grace a la structure plus savante etplus complexe de la langue, elle parvint a repro-duire apres le mot la syllabe , et apres la syllabe leselements qui la constituent, la consonne et la voyelle.Nous suivons, dans les diffe>entes phases qu'elle euta parcourir, les lents efforts de la raison humainearrivant en dernier lieu a ce qui nous parail aujour-d'hui le systeme le plus simple, le plus facile et leplus naturel, le systeme alphabetique. La raisonegyptienne Irouva le secret, — car e'en fut un, —de noire methode moderne, et,il'ayant Irouv6, —telle fut la puissance d'habitudes inveterees, »— ellenc sut pas l'employer.

Toutes les inscriptions egyptiennes nous prdsen-tent le melange de figures symboliques , hierogly-phiques, avec une ecriture tant6t syllabique, tant6trae'me alphabetique. Une seule, que Plutarque etClement d'Alexandrie nousont conservee, nous mon-tre l'ecriture egyptienne encore en pleine transitionde la peinture des Americains sauvages au symbo-lisme de la pensee. Elle presente cinq images : un

Page 149: Aperçu général de la science comparative des langues

- 1 3 6 -

enfant, un vieillard , un epervier, un poisson, unhippopotame, que Ton peut lire ainsi : jeunes etvieux, Dieu hait l'impudence. Les trois derniers si-gnes ont une valeur enlieremeut symbolique. JamaisIroquois ni Mexicain n'y aurait eu recours pourexprimer une pensee aussi abstraite. II nous est im-possible de suivre M. Steinthal dans toutes les re-cherches ou 1'entralne le travail, a l'aide duquel lesEgyptiens supplement peu a peu a l'insuffisance del'hieroglyphe. Nous donnons , pour indiquer la na-ture de ce travail, un exemple propose par M. Stein-thal lui-meme. La justice, la verity fut designee aucommencement d'une maniere purement symbolique,par l'image de 1'aune, du metre. Plus tard on sen-tit le besoin d'une clarte\plus grande. On avait eveillel'idee par l'image ; on desirait maintenant frapperl'oreille par un son determine. On joignit done al'aune une faux qui se dit ma, ainsi que la justice ;a la longue ma (la faux) etait devenu un signe sim-ple , exprimant le son , la syllabe ma. On finit partrouver la double designation de la justice incom-plete : on ajouta alors le bras, marquant la voyellea, en sorte que la faux n'exprimait plus que la con-sonne m. — Quelque chose de semblablearriva dansl'antique Babylonie. Les plus anciens habitants neparaissent avoir eu pour toute 6criture qu'une seried'hieroglyphes qui, plus tard, lorsque des peuplesd'une aulre race et parlant d'autres langues, oc-cuperent le pays, finirent par prendre le caraclere

Page 150: Aperçu général de la science comparative des langues

— 137 —

de signes purement phoneHiques. M. J. Oppert s'estefforce le premier en France de debrouiller le chaosdes Ventures cuneiformes : et s'il n'a pas reussi a leverUnites les difficultes, il a certainement fait faire aces etudes un progres sensible.

La question des runes aussi est loin d'etre resolue.On sait uniquement que l'alliteration etant le prin-cipe de l'ancienne poesie germanique, les runes ontservi d'abord a soutonir la memoire (de la le mot stafr,stab , e'est-a-dire appui). D'une espece d'acrophonie ,qu'elles etaient d'abord, elles se sontbient6t transfor-mers enalphabet. C'est ainsi que lesignede IV se disaitrath, voiture, celui de 1's s6l, soleil, du th, thorn,e"pine, etc., etc. Ajoutons que l'ecrilure dont se ser-vent lous les peuples civilises de l'Europe a com-mence , elle aussi, par 6tre un assemblage d'hiero-glyphes, avant de devenir un groupe de signesabstrails. Tous nos alphabets, on le sait suffisam-ment, sont d'origine s^mitique. Les Grecs appelaienteux-memes les caracleres dont ils se servaient phe-niciens. Alpha (en hebreu, aleph) veut dire bceuf; etla forme primitive de la lettre laisse voir l'intentionde reproduire au moins les cornes de la bele. Beta(en hebreu, Bayif) signifie maison ; et on peut recon-naitre dans la forme de ce caractere la forme en-core rudimentaire de la tente des habitants du de-sert. On fournirait sans effort des explicationssemblables du delta (en he"breu daleth, la porte), dugamma (en hebreu gimel, chameau) , du rho (en

Page 151: Aperçu général de la science comparative des langues

— 138 —

bibreu rosh, resh, t6te, visage), etc., etc., et ainside presqiie de toutes les lettres de l'alphabet.

Les Semites n'accordent pas assez d'imporlanceaux voyelles. Le plus souvent ils ne les ecrivent pas;il faut les sous-entendre. Mais mus par un besoin declarte, les Grecs remedierent a cet inconvenient; ilsdonnerent a la voyelle le me"me rang qu'a la con-sonne, et en decomposant le son articule jusquedans ses moindres elements, ils reussirent a calquerparfaitemenl l'ecriture sur le langage. II n'en elaitpas moins reserve aux temps modernes, et notam-ment aux deux derniers siecles, d'apporter a l'ecri-ture ses derniers perfectionnements. Nous plagonsici le tableau si remarquable du Dr Steinthal.

CLASSIFICATION DES MODES D'ECRITURE.

AEcriture

ide'ographique.

BEcriture

phone'tique.

CEcrilure

alphab&ique.

1. A l'aide d'images.

2. A l'aide de figures.

3. A l'aide d'images.

i. A l'aide de figures.

5. Ecriture syllabique.

a. Sans melange Amerique du Noril,SiMrie, etc.

ii. Me'langdes avcc 2 et 3. Le Mexique.

6. Ecriture 1 lettres.

Que'pos LeNe se rencontre que metee

avec d'autres systemesMeUc avec 2 Chine (signes expri-

mantdes mots en-tiers).

a. A l'aide d'images. . . Settlement meUeavec d'autres sys-temes.

b. A l'aide de figures oude signes Le Japon.

/ a. A Paide d'images (me-Ueavecd, 2, 5 ffl).. . L'Egypte.

b. A l'aide de signes (me-Ue-avec5,6) Les systemes ds

l'lnde et les cu-nelformes.

c A l'aide de signes seu-lement :

a. Avecdes voyelles im-parfaitement rendues.. Les alphabets stmi-

tiquts de l'Asie.b. Avec des voyelles par-

faitement rendues.. >. Les alphabets simi-(if/uejderEurope.

Page 152: Aperçu général de la science comparative des langues

— 139 —

V. — DE LA FORMATION DES LANGUES CELTIQDES.

Nous avons assigne a ces langues une place apart dans la grande famiile des idiomes indo-euro-peens; car si elles en ont conserve la physionomiegenerale, elles s'en separent par une foule de traitspartieuliers qu'elles semblent parlager avec des lan-gues appartenant a d'autres families. Deja Polt availdeclare qu'on allait trop loin, en affirmant que lesCeltes parlent un idiome purement japhetique ;M. Alfred Maury a exprime la meme opinion quenous dans un de ses derniers ouvrages (1). M. Pic-tet, notre principal contradicteur, a e"le lui-memeoblige de reconnaitre, dans la composition des pro-noms personnels avec des propositions, et dans lapermutation des consonnes initiales, les elementsd'un systeme grammatical distinct de celui auquelles langues indo-europeennes nous ont habitues.M. Pictet croit savoir que la permutation des COD-sonnes initiales est propre aux idiomes celliques seu-lement; il convient, en revanche, que les composespronominaux y presentent des analogies frappantesavec les m&ines composes dans les langues finnoises(le lapon, le hongrois, le voliseke, etc.) II aurait puajouter que ces analogies se retrouvent aussi dansles langues semitiques, et non-seulement la, mais

(1) La Terre et I'Homme, p. 503. ,

Page 153: Aperçu général de la science comparative des langues

— 140 -

encore dans les langues malaises. Dans une de ceslangues, le dayak, on dit: avi-ku, par moi; avi-m, partoi; avi-e, par lui, elc. Mais ce qui parait avoire'chappe a M. Pictet, c'est que les langues finnoisesou ougriennes obe"issent a peu pres toutes a la fa-meuse loi euphonique propre aux voyelles, quicohstitue une des particularites des idiomes irlandaiset erse. Elle s'y appelle caol re caol, is leathan releathan, c'est-a-dire faible avec faible et forte avecforte. Lorsque deux voyelles de nature differente sesuivent dans deux syllabes consecutives d'un me"memot, on intercale une voyelle forte ou faible suivantle besoin, pour retablir la concordance, commelorsque on forme de dagh, bruler, dagh-a-im, je brule,pour dagh-im ; de fill, plier, filleog, un pli, au lieu defillog, etc.

Mais est-il done vrai que la permutation des ini-tiales soit le fait des langues celtiques seules; quec'est la seulement que l'on voit disparaitre par l'effetde la nasalalion des consonnes aussi robustes que bet g, comme lorsque ar pour arn(\), notre, suivi degort, jardin, s'ecrit ar ngort, et se prononce ar nort,ou bien ar (am) suivi de bo, vache, s'ecrit ar nboet se prononce ar mo? Non; on rencontre un proce"desemblable dans une langue polynesienne ou malaise.

(i) La forme de ce pronom possessif est ar en irl. et en erse;maisen gallois il se dit an, yn ou tin; en breton, hon, hor; en corniquc,gun, gen.

Page 154: Aperçu général de la science comparative des langues

— 141 —

Dans le dayak, la particule factitive ma (pour man)unie p. e. a paham, fort, vigbureusement, forme leverbe ma-maham agir vigoureusement; ou bien apati, caisse, le verbe ma-masi, mettre en caisse, en-caisser; ou bien encore a tusu, mamelle, le verbema-nusu, teter, et a tangis, larme, le verbe ma-nangispleurer. En effet, dans tous ces exemples, c'est lanasale qui termine le premier mot qui a mutile laconsonne initiale du mot suivant. N'oublions pasnon plus que dans le thibetain un gr initial se trans-forme souvent en gn.

De tout temps les langues celtiques paraissents'elre distinguees par un penchant tres-fort pour lanasalation ; il s'est singulierement developpe dans lalangue franchise. Serait-il par hasard un heritageque nous auraient legue les idiomes qui se parlentau N.-E. du bassin du Gange? Dans le thibetain lesnasales constituent presque la moitie des consonnesfinales. Dans certaines dialectes de la langue karen(le pgko et le sgare) il paralt que tous les mots seterminent par ng. Dans le bodo et le dhimal, deuxidiomes himalayens, paries par les restes des popu-lations primitives, les nasales ne sont pas rares nonplus. Le dhimal comme le naga repete le pronomavant et apres le verbe, usage qui se relrouve dansqueiques langues dravidiennes (agglutinantes) parleesau N.-E. des monts Vindhyas, comme le hole. Onsait que cet usage est aussi unedes parlicularites duvieil irlaudais. Mais ce qui rapproche ce dernier,

40

Page 155: Aperçu général de la science comparative des langues

— 142 —

ainsi que toules les langues celtiques, des languesprimitives de l'lnde, de l'lndo-Chine etde la Polynesie,en les separant des langues affixes de 1'Europe, c'estl'habitude ou elles sont de designer les temps pardes particules placees devant les verbes; ces prefixesbien connus sont ro, pour pro, puis : no, mo, do. Lesanciens idiomes de l'Aracan et surlout le kassia oukhassia,ont adopte ce mode de conjugaison, suivisdans cette voie par le tonga, le tagal, le malgacheet d'autres langues parlees des insulaires du Grand-Oce"an.

Enfin on n'ignore pas que parmi les grands peu-ples civilises de 1'Europe les Frangais sont ceux quionl le plus deforme l'ancien type latin. Soit paressedes organes, soit besoin de s'exprimer vile et vive-ment, les mols latins ont ete enerves, amollis par labouche franchise au point d'en 6tre devenus souventlout a fait meconnaissables. Les plus forles conson-nes ont ele affaiblies, broyees, vocalisees, elidees ; desmols qui comptaient trois ou quatre syllabes n'encomptent plus aujourd'huique deux oumemequ'uneseule : comparez careme a quadragesima, rotundus arond, veduto (ital.) a vu, digitale a de. II faut bienadmettre que les anciens Celles deja n'altachaientqu'une importance mediocre a la conservation intactedu langage de leurs aieux. Au moins trouvons-nousdans leurs idiomes des mutilations du genre deceux-ci : chein, dos, pour le cambr. kefin; soezet, trouble,de sebezaff, Stre trouble; kcer, beau, de cadrj roet,

Page 156: Aperçu général de la science comparative des langues

— 143 —

donne, pour ro det,- enfin le nom me'me da peupleGaels est contracts de gadheles. Ajoutons encore desformes comrae siur, soaur, pour sisur, svesur; nell,pour nebl, nebula, ve<peXvi; dir, pour goth. tagr, <Wpu ;suan, pour scr. svapnas, lat. somnus; tep, chaleur,pour teps, tepsu de la rac. tap, lat. tepere (1).

Quelle conclusion tirer de tons ces fails pour laformation et l'histoire des langues celtiques? Ellesse sonte"videmment ressentiesdugout qu'avait pourles migrations et les aventures lointaines la race quiles parlait. De tous les peuples, les Celtes sont celuiqui a le plus voyage; il a marche, marche toujours,et il ne s'est arrele que devant l'Ocean sans rivages.II a done traverse l'ancien continent de part en part;el tout nous trorope, ou il parait ne du melange d'unetribu d'Aryfts avec des habitants primitifs de l'lndeet de l'lndo-Chirie parlant des dialectes dravidiens etmalais. Cette population primitive s'etendait jadisbien plus au nord qu'aujourd'hui, comme le prouvela horde des Brahvi etablie encore maintenant dansles environs de Kaboul, ou elle continue a parlor nnidiome voisin du tamoul. Les Ary&s auront imposeleur langue, leurs usages, leur religion me'me a ceshommes d'une race inferieure.

Les Druides, ces prdtres des ch4nes, e"taient proba-

(1) On connait aussi l'apherese de la consonne p au commencementdes mots irlandais : par exemple, Ian = plenus; Ha = 7t).eiwv; ro= pro; atteir = pater; iasg — pisds; ib , boisson , de bibo pibo; il— pihis, aha. vilu, all. viel; ueit = pectus, etc.

Page 157: Aperçu général de la science comparative des langues

— 144 —

blement issus du sang des conqueranls. Mais touten subissant la loi des Aryfis, les aborigines parais-sent avoir modifie a leur insu la langue e"trangerequ'ils avaient ete forces d'apprendre. Les celtistesnous diront un jour peut-6tre ou, dans le diction-naire du vieil erse et de l'irlandais, il se Irouve desmots d'origine dravidienne et finnoise. Mais infimeen acceptant la grande majorities motsdonl seser-vaient les vainqueurs, les vaincus ne pouvaient gueres'empficher de les adapter a leurs habitudes de pro-noncialion et au sysleme grammatical auquel leurpensee s'elait soumise depuis longtemps. C'est ainsique l'usage des prefixes pour designer les temps, lescomposes pronominaux, une forte nasalation el a sasuite la mutilation des consonnes iniliales, aurontlentement pene"tr6 dans l'idiome des Druides. Plustard, lorsque les Celtes se mirent a parcourir lesvastes steppes del'Asie du Nord et les plaines de laRussie, ils se trouverent en contact avec des peupla-des d'origine finnoise et tatare. Nul doute que plusd'une horde ougrienne n'ait ete englobee alors dansla grande migration des Galates ou Gadheles et en-trainee dans leur mouvement vers le Far West de]'6poque. Les langues celtiques devaient se modifierencore une fois a la suite de ces croisements nou-veaux; elles parlagerenl desormais avec les idiomesougro-japonais la loi de l'harmonie des voyelles;elles y retrouverent l'usage des composes pronomi-naux qu'elles avaient empninte a l'lnde primitive.

Page 158: Aperçu général de la science comparative des langues

— 145 —

Quant a la corruption des elements constitutifs deslangues indo-europeennes et a la deformation desmots, l'une et l'autre peuvent dater des premierstemps. Elles s'expliquent a la fois par l'oubli ou Tonlomba rapidement du sens de ces elements au milieudu renouvellement incessant de la race, et par la re-pugnance qu'eprouvent la plupart des peuples asiali-ques (a l'exception toutefois des Semites et des Cau-casienspropremenldits)a prononcer des consonnancesdures ou seulemenl des consonnances doubles.

Nous venons d'exposer succinctement notre opi-nion sur la place que les idionies celtiques occupentau sein de la grande famille aryenne; cette opinionn'est encore qu'une hypolhese. J'ose croire pourtantqu'elle n'est pas sans avoir son importance; et si Tonveut bien la prendre corume point de depart d'etu-des nouvelles, elle pourra conduire a des resullatsserieux et interessants.

Page 159: Aperçu général de la science comparative des langues

EXPLICATION DES TABLEAUX.

TABLEAU I. — Classification des langues.

Le systeme contenu dans ce tableau s'expose tout seul: lemonosyllabisme, avcc les idiomes qui s'y sont arretes, enforme le point de depart. C'est une phase que les languesindo-europeennes et semitiques n'ont fait que traverser. Lespremieres s'avancent d'un pas rapide vers la synthese, dontles elements constitutifs sont encore visibles dans le Sanscritet plus particulierement dans la forme la plus ancienne duSanscrit, le dialecte vedique. Le Sanscrit peut etre considereen meme temps comme le point culminant du synthetismerationnel: c'est pourquoi nous l'avons place juste en face desidiomes monosyllabiques, dont il cst le contraste le plussaillant. Le synthetisme confus et sans methode des languesamericaines occupe une position excentrique, >parce qu'ilsemble organise de facon a exclure jusqu'a la possibilite d'uneanalyse ou seulement d'un developpement ulterieur.

Les idiomes indo-europeens , au contraire, reviennent lente-ment a l'analyse dans l'ordre indique par nous, ordre danslequel nous nous sommes efforce de combiner et de concilierjusqu'a un certain point les donnces de la chronologie et del'ethnographic. La langue anglaise est celle de toutes leslangues modernes qui tend a se rapprocher le plus du typemonosyllabique. De toutes elle est la plus simple et la plusalgebrique : aussi parait-elle destinee a se repandre, ainsi quenous l'avons dit, sur presque toutes les parties du globe.

Les langues semitiques aussi entrent d'abord dans la voie dela synthese ; mais elles s'y arretent bien vite , et, aprfes avoirtraverse la longue courbe des idiomes indo-europeens, ellesreviennent a leur tour a l'analyse d'un pas d'autant plus lentqu'elles s'etaient moins eloign6es du point de depart.

Les langues semitiques et les langues japhetiques reuniesforment a elles seules toute la partie superieure du tableau, etelles sont designees par le npm commun de langues a flexion.Toutes celles qui se trouvent placees au-dessous des idiomesmonosyllabiques sont appelees langues agglutinatives, parcequ'elles ne reussissent pas a faire de lours mots de veritablesorganismes, dont tous les elements doivent &tve consideredcomme des parties integrantes. Dans cet ordre de syntheseincomplete, le tibetain et le mantchou, ct quelques autreslangues moins connuos, restent presqu'a c6te du chinois. Leslangues oceaniques semblent s'y avancer d'un pas un peu plushardi; mais elles sont depassees par un tres-grand nombre

Page 160: Aperçu général de la science comparative des langues

— 147 —

d'idiomes africains, qui ne sont pas sans avoir une certaineaffinity avec les idiomes semitiques. Dansle magyar, et surtoutdans le finnois, la formation des mots et la flexion cessentpresque de presenter le caractere morcele que nous leur trou-vons dans tous les idiomes agglutinatifs: elle nous indiquepour ainsi dire le point precis ou ces idiomes peuvent atteindredans leur effort de ressembler davantage aux langues plusparfaites des Indo-Europ6ens et des Semites.

Tableaux des langues indo-europeennes et simitiques.(TAB. II ET III.)

Dans les tableaux des langues indo-europeennes et deslangues semitiques, on remarquera un classement double.Chaque branche des deux families y occupe a, peu pres la placeque lui assignent le degre de ressemblance avec son idiomele plus ancien ou l'epoque a laquelle elle apparait pour lapremiere fois dans l'nistoire. C'est la le classement le plusimportant qui'frappe la vue tout d'abord, indiquant la posteritedirecte du langage primordial parle des Semites et des enfantsde Japhet avant leur dispersion. Mais les branches separeesdu tronc commun sont devenues, chez les Indo-Europeenssurtout, a leur tour des arbres aux nombreux rameaux. II adone fallu presenter a l'oeil la succession et pour ainsi dire lagenealogie des idiomes qui sont sortis les uns des autres dansla suite des sifecles. De cette necessite il resulta pour leslangues japh^tiques une division triple : 1° langues anciennes,2° langues du moyen age, 3° langues modernes. II n'est passans exemple de rencontrer des idiomes a quatre generationscomme le Sanscrit, qui, au 6e siecle avant notre ere, a cede lepas au pali, dont le pracrit du moyen age n'est qu'une formedete>ioree, ou , si Ton aime mieux, simplifiee ulterieurement.C'est seulement de cette derniere langue relativement moderneque sont sortis les nombreux dialectes qui se parlent aujour-d'hui dans la presqu'ile du Gange. — Les langues semitiques,malgre les differentes phases qu'elles ont traversees, neconnaissent pas un progres aussi regulier et n'admettent pasde classification aussi precise. Leur developpement s'arrete al'arabe classique; et l'arabe vulgaire, parl<5 de nos jours,quoique plus simple que la langue des Moallakat, ne presenteque des analogies lointaines avec les langues analytiquesparlees aujourd'hui des nations ies plus civilisees du globe.

Ordre des branches de chaque famille.

L'ordre des branches semitiques (a, savoir : 1° l'hebreu, suividu phenicien et du punique; 2° l'arameen; 3° l'arabe) estindiquo par la chronologic. II n'en est pas tout a fait de

Page 161: Aperçu général de la science comparative des langues

— U8 —meme des langues d'origine indo-europeenne : c'est pourquoinous jugeons opportun d'expliquer notre pensee avec toute laclarte desirable.

Nous rencontrons le zcnd tout pres du Sanscrit, avec lequelil est lie par une parente in time. La conservation de la plupartdes formes flexives de Fancienne langue de la Bactrianeprouve que le peuple de Zoroastre a ete reuni plus longtempsqu'aucun autre de race japhetique aux habitants des borasdu Gange. Puis viennent les Grecs, puis les Latins ou plutdtles Pelasges italiens, chez lesquels les traces de Forigineorientale sont deja plus effacees. Les nationality slaves etgermaniques se sont formees aussi dans un temps anterieur al'histoire , mais leurs langues et leurs literatures n'apparaissentqu'a une epoque relativement recente.

Nous avons place les Slaves plus pres des Greco-Romainsque les peuples de race teutonique, quoique ceux-ci soient lesveritables heri tiers de l'empire de 1'Occident, ct qu'ils debutentdans la carriere de la civilisation avant les Slaves; mais lesidiomes de ces derniers, notamment le lithuanien et le vieuxslavon, attestent, par leur synthetisme complique et par laconservation presque integrale d'une foule de formes flexives,une parente plus rapprochee avec le Sanscrit. II pourrait enresulter en meme temps une preuve de l'existence de relationsfrequentes, seculaires , entre les anciens Sarmates et les anciensIndous. Les Celtes semblent s'etre detaches les premiers de lagrande famille centrale, et, pousses par leur instinct nomade,s'fitre avances vers l'ouest, jusqu'a ce qu'ils aient ete arrStespar les bords de FOcean. Leurs langues , malgre des traitsnombreux de ressemblance avec les idiomes d'une memeorigine , renferment aussi des elements qui leur sont complete-ment eti'angers. C'est pourquoi nous avons fait aux languesceltiques une place a part dans notre tableau. Apres ces langues,ce sont les idiomes teutoniques qui se sont le plus eloignesdu type primitif. Les desinences mutilees des noms, leurconjugaison et leur systeme de derivation , fondes en grandepartie sur le changement de la voyelle radicale du verbe , accu-sent l'existence d'un principe nouveau dans le developpementde ces langues. Ce principe, que nous avons appele tantotprincipe virtuel, tantbt principe de symbolisme, rappelle lecaractere distinctif de la grammaive semitique. On se souvientque d'autres particularites de cette grammaire, telles quePadjonction des pronoms possessifs aux noms, se trouventdans quelques langues ouraliennes. La predominance du sym-bolisme dans les idiomes germaniques et la chute precoce deleurs anciennes formes flexives font supposer que ces formesn'ont jarnais ete bien familieres aux Germains, et que ceux-ci,par consequent, ont vecu moins longtemps avec les anciensIndous, sur le meme sol, sous l'empire des memes mceurs,et peut-etre des memes idees religieuses, que les Slaves, lesIoniens et les Pelasges.

Page 162: Aperçu général de la science comparative des langues

TABLEAU INDIQUANT IA CLASSIFICATION ET LR MARCHE DES LANGUES.

Idioxnes

de 1'Amenffue,

Basque, •

Motto syllabi's me.

Chinois.

Sanscrit. ^/ SyntTielisme.

Finnois.

t ap Jerome,r S' Jacqnc,s,162. Cours de Orammaire comparee,par Louis Benloew. id. Orange del.

Page 163: Aperçu général de la science comparative des langues

TABLEAU DES LANCUES INDO •EUROPEENKES.

\ /Pehlvi

Pracrit (raagadhi). i j

SANSCRIT. LANGUES PHIASGIQU£S LANGUES SLAVES. L A M E S

, Vieux^erse.

P a l i . \ •/';

LW'liUiiS CELTICS.I

Oaelique. Cymiique.sb eolbn, dorien,

l(ircChrelienrie) \l

!' Parsi (m'elaraW

lndt(ftsess«ptSal). Person actuet Crec moderne : ltalien. (Iftetaliire.;

Cach'emirien. ; Afgane ; .ijEspagnoi.

Bengali. i:Pimschtou. \ \\\ Portugais.MahraUi. : Beloudsclie. ; •; i: Fraucais.

Zingapi. etc. : I! Kurde. : •:•[-.

: : j ; Ar inenien .

i\ i l l ! Osse t e

ffiaTcttesabiti. etrusqae,(9) LlulUflllHJH.os&ue ,-QnLorien.

* . ' ? . d\

Colom'e rom-dans laMesie ;(l5Bans af.J.CJ. /

OolliKjue.

Daco-romaiii ;i tkanien . Borussigi.Jl»oii eccltsisl Ishndais.

Gothiijuc d'Ulphilas.

Iteux FrisQil:

(Tinigal.)'Ossian.t

Taliessin

(liUerat fa Bardesj

Ffamand.

Wijhal.

jlais. Holtanduls. Alt. mi><icriie. leBiliptsieicore Ie Cymriqoe est erj.ore

; I ; , fenranfoSklill"" ": Ecosse et surl'ile de

imj,Jer6nie,rueS! Jacques,162. Cours de Grammaire comparee,par Louis Benloew. Ad. Granae.

Page 164: Aperçu général de la science comparative des langues

TABLEAU DES LAMCUES SEMITIQUCS.

1.fa

i>—

f—

cD

(L-i

•S

(yers SOpO avant noire sre}-\

Dialcctes

FirI'hebi

Qiananettis.

\

\

de Samaritsinclass. \ (500.)

/thiMecn biHique * \' (c-a-i Chald.5yriaq).

Chaldeen largumHpie.(vers 1'ere chrelienne.} \

/^t i i - i i_ i • iau lll^lsieclc)Chaldewifubylonicn. v ; ''

: Irruption de l!arabe,VrsiecIe

; JAbsorpHoniiusartiaritam.

_ . , . , j , , , fam*: neck),dialdeen ecntpar les JuiFs

/

PraSqae.

JyDestc tie iCartKage

L'Arabe moderhe comprend les dialecles de la S

""---_ ARAMEEN.(4;200Cal50OiT,J.C.)Assyrien.--. / ' " * - - - . . Assyrien.

• . - / • (chaliHelv oriental.)

/ Syr^aque.

/

/

Syriaque(ver

% Languea(Sre direUeffiej ae Pa

Peel

Litt. svriaqrJ (an T

~ ^ - ^ _ Fin du

ial. occid.500). /

JJabaleen

mjre. «»swim)

tilocd«j -^chrctiefme.siedej

ivfiaque

Nest

Nests lilt.

rt ttartiictions.

o r , e .

/

Maronite eUacobitc. le C M i orient, s'eteirt

rrie.delAlgerie,iiclaKabylie,le tfapmif «t le Malt

Hinivai-itc(?)

ARABEmire le IV* & le V! sitcle.)

(Moallakat}

Flliiop

Lilt chretJdu IK an

["Mdkomet '

/ h Koran) ^ v

— \

I3c»Le Gcez

i Ethiopic \tvr siWe J • *

cesse'd'flre paricfi i&vientUit••' [niXIV siecle.!

\ ;

Imp. Jerome,rue 5f Jacques.162. Cours de Qrammaire comparee.par Louis Benioew. Ad Grange.

Page 165: Aperçu général de la science comparative des langues

CERCLE PHONETIQUE.

Ad. Oranjfe del.