antinoe et les sepultures de thais et serapion - gayet al

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Antinoe Et Les Sepultures de Thais Et Serapion

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  • TheStephen Chan

    Libraryof

    Fine Arts

    NEW YORK UNIVERSITY LIBRARIESA phvate university in t/ie public service

    INSTITUTE OF FINE ARTS

  • AL. GAYET

    ANTINOET

    LES SPULTURESDE

    thas et srapion

    PARISsoc [T FRAi>{AISE D'piTIO.NS DART

    9, RUE BONAPARTE

    1902

  • EXPLORATION D ANTINOE

  • 482-22. l'Aus, nipitiMi:r,ii': i.AiinriK

    y, mr di' Kleul'us, H

  • AL. GAYET

    AIVTINOET

    LES SPULTURES

    THAS ET SRAPION

    PARIS

    SOCIT FRANAISE D'DITIONS D'ART9, RUE BONAPARTE

    190t!

  • Al

  • L'EXPLORATION D'ANTINOE

    15 nnvpmlire 1898.

    Mesdames et Messieurs,

    Voici trois ans qu'ont commenc les fouilles d'Antino, et, deux

    fois dj, j'ai rsum, devant vous, les rsultats acquis par les son-

    dages oprs au milieu des dcombres de la cit hadrienne. Le premier

    point acquis, dans cette voie de recherches, a t le plus important.

    Il nous a permis de prciser un pass incertain : celui de la priode

    qui prcda l'rection de la ville grco-romaine; et, par contre-

    coup, de dchiffrer un lambeau d'nigme : les raisons qui dcidrent

    l'empereur de Rome choisir le site o s'leva Antino.

    Antino! Ce nom seul voque en nous un cho assourdi de la

    tradition hellnique, rpercut travers tout le Moyen Age, avec la

    figure mystrieuse du bel phbe couronn de pampres que nous a

    lgue la statuaire antique. Nous entrevoyons, comme en un mirage,

    les jeux olympiques, les quadriges voluant dans l'arne, les lutteurs

    se disputant les prix, les reprsentations du thtre, les processions,

    les pangyries se droulant autour des temples consacrs au culte de

    rOsiris-AntinoLis.

  • Oui, mais par del cette mise en scne commmorant le sou-

    venir du sacrifice de sa vie, fait par lui son matre, afin de con-

    jurer le destin ([iii condamnait Hadrien mourir, si son ami le plus

    cher ne s'offrait en lioloscauste sa place, une civilisation avait

    srement exist sur le coin de terre vou sa mmoire, dont

    l'effloresceuce de la civilisation romaine avait effaci'- jusqu' la trace;

    et c'tait cette anctre lointaine qu'il s'agissait de retrouver.

    Le dgagement du temple consacr l par Ramss II, le Ssostris

    des Grecs, et englob en plein cur de la cit funraire, fut une rv-

    lation, qui, en mme temps qu'elle nous aflirmait l'existence de la

    ville pliaraoni(|ue, nous prouvait, par les inscriptions couvrant les

    murailles et les colonnades, que la principale divinib'' vnre dans

    la rgion tait la desse par excellence de la Basse-Egypte, qualifie de

    Rgente d'Hliopolis, Ilenli-nou-Ari ; et ce nom oxitliquait le

    rbus qui, sans doute, avait fait choisir ce repli de la valle du Nil

    par l'empereur Hadrien pour y btir sa cit commiunorative; le

    titre de l'ancienne desse en faisant, en quelque sorte, la protectrice

    d'Antinoiis.

    Ce point lucid, restait prciser la topographie des divers quar-

    tiers de la ville romaine. Les fouilles reportes vers les buttes de

    dcombres, marquant, l'est, l'extrmit de la voie triomphale, met-

    taient bientt jour ime colonne de granit rose, d'un mtre et demi

    de diamtre; et, successivement, sortaient du sol la base et le chapi-

    teau de cette colonne; puis une autre; puis plusieurs autres, avec

    leurs entablements. Couches sur le sable, trois mtres de profon-

  • Lt: GRANU TEMPLE l'ilAHAOMyUE. Dogagl.MIK'Ul lIl.'S l)ullil[llcs

  • 5

    (leur, elles avaient mis autrefois aux portiques d'une cour majes-

    tueuse la frondaison factice de leur feuillage d'acanthe. L'ordre, do

    belle proportion, n'avait pas mesur moins de onze mtres de haut

    au total. Particularit curieuse : alors que tout est granit (hins cette

    cour, le chapiteau est de calcaire tendre, pris entre un ft monolithe

    et une architrave mesurant (Muq mtres de vole. Pourquoi cette

    singulire anomalie? En examinant de prs les rcfouillements des

    sculptures, il est ais de reconnatre, tout au fond des creux, des

    traces de dorures; autrefois, ce chapiteau tout entier tait dor, simu-

    lant un chapiteau d'or. Le calcaire, plus })oreux que le granit, tait

    plus apte, sans doute, recevoir et garder la couche mtallique.

    Toutes les surfaces taient d'ailleurs pareillement recouvertes d'un

    lger stuc color. L'ensemble du monument se dcoupait au soleil

    en gammes polychromes intenses, donnant chaque lment archi-

    tectonique une valeur abstraite. La fulgurance des ors planait sur le

    tout, mettant dj, dans un cadre classique, le premier rayonne-

    ment de cet clat fastueux qui allait tre la tendance suprme de

    l'art byzantin.

    Derrire cette cour, un ^iro-naos s'ouvrait, bti, lui aussi, tout en

    granit rose de Syne. Les corniches tombes taient tailles dans des

    blocs immenses, d'un mtre et demi de haut, sur cinq de long. Au

    milieu d'elles, les dbris d'une statue de basalte noir gisaient, repr-

    sentant l'Isis-Dmter, debout, la tte coiffe du pschcnt gyptien;

    le corps pris dans un manteau aux plis rigides, image de la desse,

    arrache son sanctuaire, au jour de la profanation (hi tenq)le, et

  • G

    brise l par quelque moine copte, ainsi qu'en maint pangyrique

    de pieux anachorte nous en trouvons la mention.

    Dans la mme rgion, les sondages mettaient bientt jour unsecond temple romain, de proportions moins imposantes, mais tout

    aussi vaste, avec la mme cour, entoure de portiques, les mmescolonnades, les mmes chapiteaux dors.

    Mais, si dans la cit commmorative d'Hadrien , les temples se

    dressent chaque pas, comme autant de tmoins venant affirmer

    la grandeur laquelle ils concoururent, la ncropole o dort la popu-

    lation qui autrefois vcut dans son enceinte tait susceptilde de

    rvler, elle seule, ce pass dont la ville des vivants n'avait t que

    le cadre. Aussi, les travaux du temple de Srapis suspendus, l'explo-

    ration eut-elle pour Jiut de retrouver la ville des morts.

    La position d'Antinoc rendait cette recherche particulirement

    difficile. A cheval, pour ainsi dire, sur la plaine et le dsert, elle

    dcrit un vaste paralllogramme, dont on devine encore le trac, sous

    l'accumulation des sables arrts par les murs d'enceinte, au pied

    des contreforts rocheux qui l'enserrent l'est. Entre ceux-ci et les

    anciens remparts, une zone aride, large d'un kilomtre en moyenne,

    s'tend, sans que rien laisse deviner la prsence des spultures anti-

    ques. Au sud, une valle, VOaad/j Ghamous, s'ouvre; au nord, un

    brusque circuit de la roche double la largeur du dsert. Et cette

    roche ello-mnie, coupe de ravines o viennent s'couler les eaux

    des pluies, de gorges et de dfils escaladant les hauts plateaux,

    donne naissance tout un ddale de cirediividlations, d'anfractuosits

  • ot do (M'i([ues, que les sables ont conquis. A mi-cte, quelques hypo-

    ges, creuss en pleine roche vive, annoncent la pn'sence des tom-

    bes (1(; l'poque pharaonique. Mais, dvasts et transforms en cellules

    par les moines thbains, toute trace de leur disposition primitive a

    r nio

  • Le rsultat no fut point celui qu'on tait en droit d'esprer; mais,

    dans son imprvu, il venait complter d'une heureuse faon la dcou-

    verte du temple de Ramss II, et confirmer l'hypothse, mise alors,

    que ce temple n'tait autre que la chapelle funraire d'Antinous;

    et que la tombe de celui-ci, dissimule aux flancs d'une montagne

    voisine , avait renferm autrefois ou renfermait mme encore samomie. De spultures grco-romaine, il n'existait aucun vestige;

    tout au plus, l'entre de la gorge, quelques fosses chrtiennes,

    d'assez basse poque, avaient-elles usurp un emplacement autrefois

    rserv une destination mal dfinie, ainsi qu'il r(''sultait de l'examen

    du sol, o les couches gologiques l^ouleverses et la prsence de

    fragments de poteries, rejets ple-mme avec le sable, sur les cada-

    vres, attestaient l'existence de mouvements antrieurs. La chose con-

    state, il fallait tout prix reconnatre ces monuments. Aussi, les

    sondages furent-ils activement pousss, s'avanant progressivement

    vers le pied di" la montagne. Tout d'al:)ord, ils ne rencontrrent que de

    nouvelles tombes chrtiennes; puis celles-ci cessrent brusquement,

    pour faire i)lace au di'sert; et, un instant, on put croire qu'il fallait

    renoncer trouver le mot de l'nigme et chercher ailleurs. Enlin, une

    dernire tentative mettait jour de grandes jarres fuseles, nerves,

    hautes de plus d'un mtre, soigneusement scelles d'un large cachet de

    terre glaise, qui jadis avaient t't dposes l, debout, dans les sables.

    Chaque coup de pioche maintenant en rencontrait, cte cle, par

    files rgulires; elles formaient un vritable dallage indiscontinu, cach

    sous le sol de la valle. Les matires qu'elles renferment varient

  • 9

    l^iiiliiii. Les unes contiennent des crales, des fruits, des gteaux de

    miel, des galettes de farine; d'autres, vides, avaient t sans doute em-

    plies de ]ii|uides, en juger par les dpts tarlrcux dont l'intrieur

    tait enduit. D'm'i provenaient ces vases? videmment, ils avaient tdposs titre d'offrandes. Pourquoi et par qui? Comment expliquer

    Le r.nANi) temple d'Isis. Dgagemenl les porliques.

    leur quanliti' iunondiralilc? A toutes ces questions il n'est possible de

    n'pondre que par des hypothses, pour cette raison que cet immense

    Cliamp d'cilfrandcs est un tmoin muet. Pas une inscription, pas

    un objet faisant date, pas un signe personnel, rien, en un mot, sus-

    ceptible de nous fournir un indice, ne vient notre secours.

    Un premier pas n'en tait pas moins fait. Ces jarres avaient t

    dposes l par des caravanes de plerins, venus de toutes les villes

    de l'Rgyiitc. L'institution des plerinages remontait la plus haute

  • 10

    antiquit. Abydos, o la lgende pla;ait la tombe d'Osiris avait, ds

    l'aurore de la priode historique, vu les fidles venir en foule, con-

    duits par les prophtes cl les prtres, au jour de la C('lbration des

    mystres, pour dposer Toffrande auprs du divin spulcre. Puis, cette

    coutume, qui avait fait partie intgrante des croyances religieuses,

    relatives l'existence du Double, s'tait transforme en ftes cano-

    niques, dans la suite des temps. Selon cette croyance, le Double du

    mort, l'tre psychique, continuait vivre au fond de la tombe, d'une

    vie identique ii celle de la crature laquelle il avait t(' uni sur terre.

    11 avait faim, il avait soif; il lui fallait des provisions funbres; de l

    l'ide de victuailles, relles ou fictives, dposer auprs du tondieau.

    A la mort de l'individu, c'tait la famille pourvoir cette offrande.

    Le dieu de l'Egypte, dont la vie terrestre avait t de tous points

    identique celle de l'iiomme, devait tre ainsi vnr par le peuple

    tout entier. Et comme les soucis de la vie quotidienne avaient fait ima-

    giner qu'il suffisait que ce devoir fut rendu au dfunt une fois l'an,

    l'anniversaire du dcs, il s'ensuivait qu'au jour de la mort d'Osiris,

    l'gyte entire se trouvait AJjydos.

    Plus tard, la coutume tomba eu di-sntude, et ne fat plus qu'une

    crmonie pieuse, laquelle prirent part les seuls fervr-nts, qui as])!-

    rrent une saintet parfaite; quelque chose d'analogue aux pleri-

    nages aux Lieux-Saints pour les chrtiens, ou de la Mekke pour les

    nuisulmans. Chacun n'en continuait pas moins porter son (iH'rande

    vers la tombe divine; si bien, qu' l'poque de la douzime dynastie

    {i'AM ans avant notre re), les vases ainsi dposs taient noudireux.

  • 11

    ce point, (|in', du il('sorl situi' au iionl-cst de la ville, deri fouilles

    excutes dernirement en outi'li' exhums plusieurs millions.

    Mais, si la prsence de ce Champ d'ollVandes s'explique .

    Abydos, il n'en est pas de mme Antinoe, o la tradiUou ne jilaraitaucun plerinage. Les grands vnements de l'histoire mythiipie qui

    Le ukami TE.Mi'LE d'Isis. IJrgMgemcia du saiicliuiiiL'.

    s'taient drouls dans la rgion o devait s'lever la villi: d'Hadrien, la

    victoire d'Horussur Set, la conclusion de la trve ternelle proraulgui'

    entre les deux dieux, avaient eu le village d'Achemounen, situ sur

    la rive oppose du fleuve, pour thtre; l'antique Chemounou, la ville

    des huit dieux, o Thot, gnralissime et premier ministre d'Horus,

    fut particulirement ador. D'autre part, la nature mme des jarresretrouves, leur forme, la composition d(3 la pte, mille indices enfin

  • prouvaient qu'il tait impossible de les faire remonter une date ant-

    rieure celle de la domination grco-romaine. r,'(''tait donc la fonda-

    tion mme d'Antinix' que l'institution des plerinages qui les avaitaccumules l devait, sans aucun doute, se rapporter.

    Cette constatt i( m venant se joindre la dcouverte du temple de

    Ramss il suffisait tablir premptoirement qu'Antinoiis fut, ainsi

    que j'ai essay de rtablir dj, enterr en Egypte, selon les prceptes

    du rite pbaraonique, et, qu'identifi Osiris par les collges sacerdo-

    taux, il reut les bonneurs jusque-l rservs aux dieux. Un pleri-

    nage vers la tombe de l'Osiris-Antinotis avait t dcrt par eux;

    l'Egypte entire s'y tait rendue; et, comme si ce n'i'tait point assez

    de ces preuves matrielles, un texte, connu depuis le commencement

    de notre sicle sous le nom d'inscription de l'oblisque Barberini,

    tout rcemment traduit par M. le docteur Erman, venait, en mme

    temps, confirmer cette bypotbse, en nous donnant de prcieux ren-

    seignements toucbant le culte rendu au favori de l'empereur.

    Cet oblisque qui, aujourd'bui, se dresse Rome, sur la place du

    Pensio, et qui relate les bonneurs rendus Antinous, fut-il rig par

    Hadrien dans sa capitale ou rapport d'Egypte par Hliogabale ? La

    question est, cette beure, encore insoluble. Mais, mme en admet-

    tant une origine romaine, les dtails qu'il nous donne ont trait des

    crmonies accomplies en Egypte; il ne saurait y avoir de doute cet

    gard.

    Tout d'abord, il nous apprend qu'An tinoiis, revtu des honneurs

    divins, et identifi Osiris, tait ador sous le nom d'Osiris-Antinoiis,

  • '^^ 19

    TUAIS OIIANTE

  • 13

    et ([ue son eiilk' se ((inlVmdait avec ('('111! ilii diiMi lliiiiit(>. Son enln'c

    au ciel iliaraoui(|iie esl, exprime en ces Icriues : . Son cur est en

    allgresse, parce qu'il a connu sa forme nouvelle. Il vdit son ])re

    Horus; il respire les soiinies le vie. Le Seigneur de Cliemonudu, Tliol,

    le matre de ce qui est (''cril, rajeunit ses membres; la place de ses

    pieds est dans la salle de la desse Ma. Ce dernier passage est parti-

    culirement caractristique. La salle de Ma est celle de la desse de

    vrit, Ma, o Osiris, entour d'assesseurs, prsidait au pesage

    des mes; ce qui prouve quel point ridentification tait pousse,

    Antinous y prenait la place du dien.

    Le paragraphe suivant dcrit les crmonies da culti' antinote :

    On l'ait Toffrande sur les autels de TOsiris-AntinoLis. On y place le

  • riliH'l (les diouN, ilevaul lui, chaque jour. On vient lui de toutes les

    villes. Il csl, rcconim pour (lieu par Vl/'f/ile entire. Il est ailon'' par

    k'ri jtroplilcs ci les prtres du Midi et du Nord'.

    Ce second paragraphe ne laisse place, lui non plus, aucun doute.

    Le culte dcrit est le culte gyptien : les prtres du Midi et du Nord

    sont ceux delallaulc et le la Basse Egypte; les prophtes, ceux d'Horus

    et de Sel. Enlin, un plerinage a ti- institu Antino, en riionneur

    du nouvel Usiris, auquel prennent part les habitants de toutes les

    villes, de mme qu'autrefois leurs anctres -s'taient rendus Abydos.Passons maintenant une dernire phrase, moins claire en appa-

    rence, mais que nous tcherons d'expliquer d'une faon logique.

    (.(. C'est Antinois qui est l, et qui repose en cette localit, qui est le

    champ adjacent de la Dame puissante, Rome. L se trouve un temple

    du dieu Osiris-Antinoiis, liti en beau calcaire blanc, entour de

    sphinx, de statues, ainsi que le faisaient les Anctres et les Ptolmes

    aprs eux.

    Le second membre de cette phrase peut tre expliqu sans dillicult,

    si l'on admet que le monument auquel il est fait allusion soit situ en

    Egypte. Que ce temple n'ait pas t n'M'llement bti par Hadrien,

    n'importe, l'usurpation ayant t, de toute antiquit, le plus frquent

    systme de construction employ. Mais, j\I. le docteur p]rnian, et

    d'autres aprs lui, se basant sur ce fait (]ue l'olidisque Barberini

    aurait t rig Rome par Hadrien, ce qui, une fois encore, n'est

    1. l.a Haiilc ut \:> Basse Egypte.

  • pas prouv, croiont devoir traduire le charnp adjacent de la

    Dame puissante, Rome, par le Champ de Mars , ce qui transporto,

    du mme coup, la spulture d'Antinous fort Idin de la l'ive du Nil.Quelles raisons ont-ils de traduire ainsi? J'ai beau chercher, je ne

    vois i)as. Si l'on veut bien nie permettre une comparaison, fort peu

    Le temple nE Srapis. DgagciiiPiil des porliiincs ilr l:i

    scientifique, j'en conviens, mais tout l'ait en situation, je ferai remar-

    quer i]u'invariablement, lorsqu'il est question des tombes de nos sol-

    dats morts en pays tranger, en Syrie, par exenqjle, on s'exprime ainsi :

    Ils reposent l, dans le cimetire franais . Et cependant, la terre o

    ils dorment n'appartient pas la France, alors que l'Egypte, province

    romaine, faisait iiartie intgrante de l'empire d'Hadrien. Pour moi, le

    champ adjacent de la Dame puissante, Rome, n est autre chose qu'un

  • I(i

    quartier de la ncropole aiitinote, voisin de celui affect aux spul-

    tures de la population grco-romaine de la cit.

    Comment expliquer autrement le passage prcdent : On vient

    lui de tiiutes les villes de l'Egypte; il est adon- par les prophtes et les

    prtres du Midi et du Nord ? Et ces plerinages de VEjUptc entire

    vers la tombe du dieu, dont les fouilles ont retrouv l'offrande,

    n'auraient donc t qu'un simulacre, si l'on admettait le transport de

    la dpouille mortelle d'Antinous Rome? Et ce temple gyptien, bti

    dans le voisinage de la tomloe du dieu, -aurait donc t galement

    situ au Cliamp de Mars? Car, le texte est formel. C'est Anti-

    nous qui est l, il repose en cette localit. L est un teuiple. Mais

    la basilique osiriaque d'Antino a t retrouve par mes fouilles,

    tandis que celles pratiques dans la Ville ternelle n'ont jamais mis

    jour le moindre monument gyptien. Non, les rsultats acquis par

    l'exploration de la ville d'Hadrien ont confirm deux des principales

    assertions de l'oblisque Barberini, celle relative l'existence d'un

    temple r/i/pfien, consacr au culte d'Antinous, et celle relative

    l'institution des plerinages, se rendant Autino de toutes les villes

    de l'Egypte. Et pour cela mme, il y a tout lieu d'esprer que le

    vieil, f[ui dernirement a t mis, qu'une feuille bien meni'e remt

    jour le tembeau d'Antoi'is, sera enfin exauc. Mais, encore une fois,

    c'est en Egypte que la fouille devra tre faite, et non Rome, au

    Champ de Mars.

    L'exploration du Champ des Offrandes termiue, les travaux repri-

    reul la lisire du d('sert, et de nouveaux sondages, pousss en tous

  • 17

    sens, ;"i, travers la plaine des sables, ronconlraient onfinjdivers ijuarlicrs

    do la ncropole. L'un soinlili- jdus sjicialoniont alTeet aux Egyptiens

    de reliyion et di; race; un autre, aux spultures grco-romaines; un

    troisime, celles des Byzantins. Di toutes ces tombes, le caveau seul

    :^'^^--r.*. LuM

    Le temple ue SeuaI'Is. Ugageiiiuiil du ijru-iKius

    subsiste; le monument qui en marquait autrefois la place ayant dis-

    paru, pour servir de matriaux des constructions nouvelles. De l,

    le manque, sinon absi)lu, du moins gn('ral, de documents sur

    l'poque laquelle il convient de classer cliaque rgion, et la person-

    nalit de ceux qui sont venus y reposer. De loin en loin, une stle,

    chappe aux dgradations, un nom. et une date inscrits sur un crj)i.

  • 18

    fournissent des indications d'ensemble. Tout ce qu'on peut affirmer

    avec certitude, en se basant sur ces indices, est que le cimetire,

    tout entier, remonte la priode qui va de la fondation d'Antino par

    Iladi-icn la conqute de l'Egypte par les Arabes d'Amrou (de l'an

    1 iO Tan G'i"2 de notre re), le quarlier byzantin ijui, de tous est le

    moins ancien, renfermant des divisions rserves aux officiers imp-

    riaux en rsidence Antinoo, alors que dans les ncropoles chr-

    tiennes, postrieures l'introduction de l'Islam en Egypte, toute

    trace de rautorit(' byzantine compltement disparu.

    D'un quartier lautre de cette ville des morts, l'aspect des tombes

    diffre d'une faon sensible. Celles du premier consistent en un petit

    caveau, bti en briques crues, tabli une profondeur de deux mtres

    du sol, dans lequel est dpos un sarcophage de bois sans ornements.

    Souvent, mme, le mort est simplement couch sur un plancher, le

    corps emmaillot de bandelettes. Dans les deux autres groupes, ce

    caveau se rduit une sorte de spulcre, de la grandeur d'au cercueil.

    Deux on trois dalles forment le fond, deux ou trois autres les cts,

    deux ou trois autres encore le couvercle. A fleur de sol, un rectangle,

    trac au moyen de briques, poses plat, marque la place du tombeau,

    et forme comme un entourage, qui servit, peut-tre, autrefois, de base

    au monument.

    L'aspect des corps diffre sensiblement aussi. Dans le premier

    cimetire, le mort est le plus souvent embaum d'une faon som-maire. Les ol)jets (pii l'entourent appartiennent au rituel antique;

    rien n'v annonce le culte romain.

  • Dans le second, les cadavres ne sont plus momifis, mais quelque-

    fois encore recouverts de bandelettes. Les sables les ont prservs

    nanmoins, autant et [ilus que les plus subtils aromates et les plus

    rares parfums. Les cbairs se sont dessches; la peau s'est durcie; sur

    la face, un masque de pltre, peint ou dor, o s'enchssent des yeux

    5v

    Les coups aphs le dpouillement. Fuuilles du rimel.ii-c rmii.iiTi.

    d'mail s'tale; mais, le plus souvent, le dfunt est vtu du costume

    qu'il portait de son vivant, et les objets enterrs avec lui appartiennent

    au culte gypto-grec.

    Dans le troisime, enfin, ce dernier genre de spulture est seul

    usit.

    Vtements et objets retrouvs ainsi ont, pour l'histoire et l'art, une

    valeur inestimable. Dans les spultures romaines, dans celles de

  • 20

    Tpoque byzantine, on a pu recueillir ainsi nombre de spi'cimens de

    costumes, alors ports par les babitants de la villi' et les officiers imp-

    riaux; les images des dieux laraires en bonneur Antinor-; les mille

    clioses familires doid eliacun aimait s'entourer. L'engouement d(^

    Rome pour l'Orient se manifeste par une reeberebe vidente des modes

    et des toffes asiati(iues. Quelques bommes ont le manteau long, avec

    col et revers, aux mancbes vases. Pour les femmes, la tunicpie de

    mousseline de lin, ricbement brode; la robe de laine, de couleur cla-

    tante; le mantelet, gros bourrelet de cbenille, encadrant le visage,

    est l'unique toilette d'apparat. C'est la musicienne Tliotesbent, cbausse

    de mules de cuir rouge cisel et dcores d'appliques de cuir bleu,

    dores au petit fer, ainsi que des reliures. La tunique transparente a

    un empicement brod de fleurettes vertes et jaunes, d'o descendent

    deux entre-deux, termins par des mdaillons lancols. Sa robe, de

    Ijourre de soie carmin, tombe droite, semblable de forme la tunique;

    faite de deux ls d'tofl'e cousus ensemble, auxquels s'adaptent des

    mancbes collantes, plus longues que le bras, et serres par des poignets.

    De riclies appliques ornent le tour du cou et les parements. Sur le tout,

    est jet un mantelet orang, pourvu d'un bourrelet de tour de tte,

    donnant la rminiscence du costume accus par les statuettes de

    Tanagra. Dans les mains, ramenes sur le corps, unniouidioir franges

    noues. et l, dans le spulcre, des bouteilles parfums, des citbares

    et des castagnettes d'ivoire, une figure arcbaqiie d'isis, des bijoux de

    bronze, et les perles d'un collier bris.

    Plus loin, c'est un oflicier du palais, vi''lu d'un manleau de pourpre,

  • garni de soieries broches, o, dans des mdaillons, des oiseaux ear-

    tels alternent des rinceaux, des trfles et des crneaux. Desjani-

    liii'i's dclirodcriestiobelins sontmainteuues par un ceinturon, pourvu

    de jarretelles. Les souliers gaufrs sont li(''s par des conlous de cuii'.

    Soieries, broderies, passementeries ont le coloris teini, la joliesse

    amortie des vieilles miniatures. Ce sont tantt des mousselines de lin,

    semes de fleurettes rouges, jileues ou jaunes; tantt des soieries l)ro-

    clies, bleu et or, gris-vert et brun-rouge, avec motifs gomtriques,

    ileurs stylises et rinceaux courants; tantt des ganses, comme damas-

    (piines de chevrons et de folioles. Puis, ce sont encore les olijets enter-

    rs avec le mort. De la tombe d'une dame byzantine sortait un mimir

    verre convexe tam, enchss dans une monture d'argent; d'une

    autre, des coussins de tapisserie, Itrods peut-tre sur le mtier de la

    dfunte, et qui servirent parer ses divans, avant d'aller former sa

    couche funbre; d'un autre encore, des figurines de terre cuite, un

    IJorhhouli ail, chevauchant un sphinx; un Anubis, devenu entre les

    mains du uKidideur grec un caniche fris; un Horus enfant, portant le

    doigt ses lvres; des Minerves; des lampes funraires, dcores

    d'Amours et de ttes de Mduse; des pots de terre cuite et d'ivoire;

    des Vnus d'argile maille; des masques de pltre, d'un inconiparafile

    Uni d'excution; dont l'un, celui d'une femme, coiffe la manire de

    l'impratrice Sabine, de larges bandeaux petites lioucles tages, per-

    met d'affirmer que la tombe fut contemporaine de la tVuidatiou d'An-

    tino. La constatation a son importance, car elle permet d'tablir que

    d(''jles modes asiatiques s'taient imposes la socit romaine; celle

  • qui portait ce masque tait revtue d'une robe verte, d'un mantelet

    liruu, et chausse de mules de cuir, dessins dors.

    J'arrte l cette nomenclature, qui, se rpter, deviendrait forc-

    ment monotone, tant a t fructueuse la moisson glane cet hiver en

    terre antinote. Qu'il me suffise de signaler encore les costumes h\zan-

    tins donnant, pice pice, tout cet ajustement si riche de couleurs,

    que nous ne connaissions que par les vieilles fresques : ces longues

    simarres rouges, vertes, violettes, aux tons morts, soutaches de pas-

    sementeries; ces robes, ces manteaux, comme filigranes d'inextrica-

    bles dessins. Puis encore des poteries, des bijoux, des anneaux de

    bronze ou d'argent, des vases de cuivre, des coffrets de bois ouvr et

    quantit d'objets usuels.

    De ces rsultats, je ne retiendrai que l'intrt qui s'attache la trou-

    vaille des costumes romains et byzantins, aux toffes do lin brodes et

    de soieries broches. Jusqu' ce jour, rien de tout cela ne nous tait

    connu ({uc par l'image, les statues et les bas-reliefs, les sculptures de

    Salonique, les fresques de Sainte-Sophie, celles de Saint-Vital et de

    Saint-Apollinaire de Ravenne, et les miniatures des vangliaires ou

    des livres liturgiques byzantins. Grce la dcouverte de la ncropole

    d'Antino, il est possible maintenant de crer Paris un muse grco-

    byzantin, une galerie unique au monde, capable de fournir l'histoire

    de l'art et aux artistes des documents d'une inapprciable valeur. A

    Pomp, on a recueilli avec un soin jaloux des lambeaux de toile rous-

    sie par l'incendie, retrouvs sur les cadavres exhums des cendres de

    la ville, et cette collection, si pauvre pourtant, a sufli fixer l'attention

  • 23

    du monde savant. Notre enseignement artistique gagnerait cette

    cration, d'avoir sa disposition des modles, que jusqu'ici il avait t

    rduit reconstituer grand peine. Je me souviens encore avoir assist

    jadis aux. sances de costume antique, sur niudle vivant, qui,

    l'Ecole des Beaux-Arts, mit lieu clKi([ue anne, sous la direction de

    M. lleuzey. (Juclle patience et quel

    soin mticuleux mettait l'minent

    archologue rtablir ce qu'avait pu

    tre autrefois la draperie de la toge

    romaine ! Que de recherches il avait

    t amen faire sur les figures de

    la sculpture classique, pour prsenter

    ses auditeurs une matrone, vtue

    de la robe aux longs plis! Avoir ces

    modles, si pareils aux statues qui

    peuplent nos muses, on sentait l'impeccabilit du savant, mais la

    reconstitution manquait de vie. C'tait une [)rojection esthtique; et

    puis, un point demeurait toujours obscur. Il tait impossilde de pr-

    ciser la nature de l'toITc employe, sa couleur, sa rigidit ou sa sou-

    plesse. Pour l'poque byzantine, l'incertitude se faisait plus grande

    encore. Les peintures nous donnaient bien la couleur, mais la coupe

    du vtement, son aspect vrai sur le corps, en un mot, le pli de la

    vie, le dessin des broderies dont le vtement tait orn, nous res-

    taient inconnus, tant la fresque orientale, ignorante des lois du relief

    et des perspectives, ne nous a montr jamais que des figures brosses

    Tnc

    Isis-DMTEn. SInliio (le l)a>altc.Fouilles ilii leniple d'Isis.

  • (ni teintes plates, on pas une ondulation d'toffe ne s'accuse, o pas un

    accessoire ne s'enlve franchement sur un fond.

    Pour l'art dcoratif, la cration de ce muse ne serait pas moins

    importante. Ces soieries romaines, restes jusqu'ici inconnues, celles

    en qui s'incarna le luxe lgendaire de Byzance, sont dj tisses d'aprs

    les divers procds en usag(! encore aujourd'hui. Ces lopards pas-

    sants, ces aigles cartels, ces rinceaux florescents, ces semis de

    fleurettes qui s'talent dans les mandres de leurs dessins, sont trams,

    ainsi ([ue le seraient des motifs analogues, sur nos mtiers cartons .

    modernes. L'or est fix chaud sur les sandales, dont le cuir repouss

    est si finement ncrv. Les hroderies des rohes, des manteaux et des

    linceuls, sont excutes sur fils tirs; les filets servant maintenir

    les cheveux des femmes sont l'origine de la dentelle; les passemente-

    ries, les galons, dnotent un fini de travail que nous ne faisons

    qu'galer. Les verreries, les ivoires, les cuirs, les tains, les terres

    mailles, les hois ouvrs, les cuivres, fournissent tout un champ de

    recherches. Faut-il citer encore le miroir de verre tam, retrouv

    dans les mains d'une Romaine? 11 prouve, lui seul, que l'tamage

    des "glaces tait connu aux premiers sicles de notre re, contrairement

    la croyance, gnralement admise, que les femmes d'alors n'avaient

    leur disposition que des miroirs de mtal.

    Voil pour le ct pratique de l'uvre entreprise. Mais l'explora-

    tion en elle-mme atteint des rgions beaucoup plus hautes; elle

    exhume une civilisation, elle restitue le cadre o se manifesta son

    efflorescence; sous la pioche des ouvriers, un autre Pompi surgit de

  • 25

    son linceul. Un un, des quartiers de la ville fiiineusc se prcisent;

    des maisons se dgagent des sables et des dcombres, avec leurs

    tages encore plafonns, leurs escaliers o ni;ini[iient quelques mar-

    ches peine, leurs cours bordes de dpendances, les canalisations

    qui amenaient l'eau dans le bassin de leur atriain. Les rues se dessi-

    nent; les places publiques reprennent

    leur aspect d'autrefois, avec l'aligne-

    ment de leurs portiques dont les bases

    apparaissent en place, avec les vasques

    brises des fontaines dcorant les car-

    refours, avec les tronons des colonnes

    votives qui jadis portrent les glo-

    rieuses icnes de l'sirs Antinous.

    Ce n'est plus le champ de dsola-

    tion entrevu les annes d'avant. Sous

    le rideau mouvant des sal)les, il tait

    imposible de deviner la cit funraire.

    Des bords du Nil aux confins du dsert,

    c'tait alors une srie d'ondulations molles, coupes de ravins, d'o

    sortaient peine quelques pans de murs de briques, semblables des

    ossements, qui auraient transperc un tumulus. De loin en loin, les

    buttes de dcombres, semes de poteries, se faisaient collines; elles

    atteignaient vingt vingt-cinq mtres et mme plus. Sur leurs pente.-,quelques palmiers, quelques tamaris, avaient pris racine dans la terre

    des ])riques pulvrises, et y jetaient un peu de fracheur et d'ombre.

    Miroir (Hhiik;

    ivlruuv dans le ciiiietit'i'e l'oiiialii.

  • 2G

    A cliaque instant, des troupeaux de chameaux passaient, pliant

    sous le poids de sacs de poussire recueillie dans les ruines, le

    sbakh aralie, qui, dans les chamiis, remplace Tengrais. De place en

    plai-e, des fellahs, demi-nus, perdus au iond de galeries, fores par

    eux, trouaient grands coups ce sol historique. Auprs d'eux, des

    enfants tamisaient cette poussire des sicles, sur un crilde grossier,

    et remplissaient les hts. Puis, la rcolte finie, ])tes et gens rega-

    gnaient le chemin du village voisin, laissant derrire eux ime vision

    de cit morte, cherchant se lever de son- cercueil, mais impuissanle

    encore se manifester ostensihlement.

    Aujourd'hui, c'est une autre Pompi, surgie, non des cendres,

    mais des sahles, avec la prcision rigoureuse d'un dgagement mtho-

    dique. Chaque avenue, chaque place, chaque rue, chaque ruelle, rap-

    paraissent; chaque monument se dresse, avec ses colonnes, ses enta-

    hlements, ses cours, ses sanctuaires; chaque coin de la cit reprend

    son primitif aspect. Le tableau se peint sous les couleurs o il se pei-

    gnait aux visiteurs de l'poque antique; ce que ceux-ci ont vu, nous

    le rtablissons aussi srement que si nous avions t leurs compa-

    gnons.

    Ouand le voyageur remontait le Nil, bord de l'une de ces barques

    la proue effile, l'immense voile triangulaire, si semblables la

    dahabieh moderne, ce qu'il distinguait d'abord d'Antino, c'tait le

    cadre de ses montagnes ; la courbe d'un immense hmicycle de falaises

    dores, aux ombres bleutres, o s'tageaient les ncropoles pharao-

    niques et romaines, semant leurs pentes de blanches chapelles ou de

  • . 27

    rouges dicules, les uns surmonts de pyramidions dors, les autres

    de frontons triangulaires, couronn(''s de palmeltes et de griffons ails.

    Au bas, sur la plaine, une lign(^ indiscontinuc marquait le trac de

    l'enceinte, vaste paralllogramme, d'une lieue de long, sur plus d'une

    demi lieue de large. Des terrasses

    de temples, des oblisques et des

    colonnes dpassaient seuls le som-

    met des remparts. Sur la rive; oppo-

    se, Cbemounou, la ville des huit

    dieux, la ville faliuleuse, qui se ratta-

    chait aux lgendes des dynasties di-

    vines, s'estompait dans le lointain,

    sur son tertre dominant la cam-

    pagne, pareille une acropole gapte

    ou quelque formidable palladium.

    La barque touchait enfin aux quais

    bordant la rive droite du fleuve. De

    larges escaliers, dont quelques inar-

    ches encore subsistent, qu'on dis-

    tingue .sous le linidu, l'-poque des basses eaux, lui permettaient

    d'accoster aisment. L'escalier gravi, un vaste dromos s'talait devantle visiteur, sem de pidestaux, portant des sphinx, couchs dans lapose consacre; prcdant un peuple de statues, debout la porte de

    la ville. Abrite sous un arc triomphal, celle-ci s'entourait de pro-

    pyles de granit rose de Syne, dont quelques colonnes, encore debout.

    HuRUS-liliOS ET LE Sl'lllNX.

    Groupe di^ lci-rn ciiilcl'clroiiv dans li^ ciiiicliere romain.

  • 28

    ont rsist l'action du temps. Cette porte franchie, une voie triora-

    pliale se droulait devant lui, borde de temples et de somptueux di-

    fices. Des portiques arcades, soutenues sur des pieds-droits, la lon-

    geaient des deux cts. Tour tour, il passait devant les sanctuaires des

    dieux de l'Olympe, devant les thermes et le forum, devant les temples

    de Srapis et d'Isis. De distance en distance, des fontaines et des

    colonnes votives se prohlaient aux carrefours, forms par les avenues

    d'Hadrien et de Seplime-S('vre. D'autres portiques couraient aux

    flancs de celles-ci, semblables ceux de la voie triomiihale, avec

    leurs statues enchcsses sous les arcades. Des mts se dressaient au-

    devant, couronns leur sommet de banderoles de soie pourpre ou

    livacinthe. A l'extrmit sud de l'avenue de Septime-Svre s'tageait

    le th(''tre, o les auteurs les plus fameux faisaient rciter les odes

    composes en l'iionneur du nouvel Osiris. Le temple de Ramss II se

    dressait au ct oppos, entour de ses bosquets sacrs et de ses

    lacs, o, aux ftes anniversaires du sacrifice accompli par le favori

    d'Hadrien, les prtres la tte rase, vtus de longues robes blanches,

    venaient remorquer la biirqne dont nous parle saint piphane. Plus

    loin, c'taient les tliermes d'Hadrien, si admirablement conservs

    travers les sicles, qu'aujourd'hui encore, leurs tuves, leurs pis-

    cines, leurs canalisations, leurs machines hydrauliques, sont en par-

    fait tat. Puis, c'taient de nouveaux temples, de nouvelles chap(?lles,

    (le iioiiveaiix reposoirs, o s'arrtaient, aux jours de fte, les cortges;

    (Ir nouveaux difices pujilics, sems dans les lacets des rues serpen-

    tant dans ce quadrilatre immense, o s'agitait une population en

  • 29

    liajiils asia,tii[ncs, aux ((uilciirs iraiirliantes, o peine, de loin en

    loin, apparaissait la robe on la togo de qnchpic matrone grecque ou

    de quelque vieux romain.

    Bien que citii funraire, une vie intense se manifestait dans chaque

    qiuirtier, aujourd'hui encore palpable, avec les traces (piellr nous a

    laisses. Voici les maisons, hautes seulement

    d'un ('tage, du quartier [io[iuleux, habiti'- par

    les artisans. Ici taient tablis les verriers,

    dont les fours sont encore entours d'in-

    nomlirables tragments de vases, de pte en

    fusion, moiti sables agglomrs, moiti dj

    viLrilie; de pices de rel)ut, dform(''es par

    la cuisson. Voici le quartier des batteurs

    d'or, o, dans les choppes basses, les creu-

    sets conserv(.'nt encore des traces de ma-

    tires prcieuses. De minces parcelles de

    feuillures d'or tranent [lar places sur le

    sol. A'oici le (puirtier des marchands de papyrus, des crivains pu-

    blics peut-tre, et, dans des sortes de boutiques, ouvertes tous

    les vents, des monceaux de rognures.de rouleaux et de fragments

    d(_' nuinuscrits.

    Plus loin, c'est le quartier bourgeois; les maisons vastes et dis-

    crtes, perces sur la rue de quelques fentres peine, clairant

    la loge du portier et les dpendances; Vatrium, avec sa piscine,

    et les appartements aux vastes pices; les escaliers troits, acc-

    Masque de femme romaine

    (Pltre peint).

    l'uuillcs (lu cimetire roniiilii.

  • 30

    daiit aux terrasses; les ventilateurs qui aspiraient les brises du nord.

    Plus loin entin, tout au sud-est, ce sont, n'en pas douter, les palais,

    ensevelis sous des masses normes de dcombres et de poteries

    brises. La moindre de ces collines ne mesure pas moins do vingt

    mtres de liant. Quelques puits de sondage, fors au travers, ont

    prouv l'existence d'pais murs de liriques crues, recouverts de fres-

    ques sur stucs, excutes dans des gammes claires; mais, jusqu'ici,

    l'insutrisance des crdits mis ma disposition m'a empch, de mmequ'au temple gyptien, de mme qu'auxtemples romains, de mmeque partout ailleurs, de pousser plus loin.

    A l'troit dans la ceinture de ses murailles, la ville d'Hadrien n'avait

    point tard dborder sur la campagne, en aval du fleuve, sur l'troite

    bande de terre cultivable qui se droule au pieil des falaises. Des

    villas, dont il est ais de reconnatre quelques arasements, s'taient

    groupes l, au milieu des bois de palmiers. A l'est, l'hippodrome s'tait

    plant en plein dsert, avec sa piste immense, reste telle ipi'i'lle fut

    au temps di's jeux olympiijues; et ses gradins, auxquels ne manquent

    aujourd'hui ipu leurs revtements de marbre, enqiloyi's l'oinme mat-

    riaux de construction. Tout au sud, enlin, c'iHaient des villas encore,

    enlises maintenant sous les sables descendus des plateaux bordant

    YOiuidy fi /imon s.

    Telle est l'uvre accomplie, et tel le rsultat acquis; l'une et l'autre

    ont dpass les esprances qu'on avait os concevoir, tant donnes

    les modestes ressources dont l'exploration dispose. Voici deux ans, sa

    premire tentative avait t un succs. Elle avait retrouv un temple

  • 31

    ii^nor, qui lui seul tait une rvlation historique. Mais ces ques-

    tions planent loin de nos soucis, et ne proccupent qu'un petit nom-

    iii'e de savants, (pii, malheureusement, simt peu souvent d'accord

    entre eux.

    Aujoiu'd'hui, qu'eu dpit de l'indiffrence de tous, elle a su s'im-

    poser par de nouvelles dcouvertes qui, cette fois, intressent non

    plus les seuls savants, mais tout le grand pul)lic, artist(; et lettr;

    qu'elle a dmontr la possihilit de doter Paris de collections incom-

    parables, d'y crer un muse grco-romain unique au monde, de

    fournir notre enseignement des documents indits, en sera-t-il

    encore de mme? La mme indiffrence rcompensera-t-elle mesefforts ?

    Et ct de ce rsultat pratique, un autre se dessine, plus grand,

    plus gnreux, le dgagement de cette ville fameuse, qui, du mmecoup, renatrait la lumire; nouvelle Pompi, rapparue soudain,

    non point morte jamais, comme sa sur latine, sous la coule br-

    lante de lave qui calcina jusqu'au moindre vestige de sa civilisation,

    mais avec la rsurrection de sa population, rveille au fond de ses

    caveaux, et rapparue soudain, dans le cadre de son existence, avec

    sea habitudes d'autrefois et la parure de ses jours de splendeur.

    Mais, qu'on se hte, si l'on ne veut courir le risque de voir passer ce

    trsor de la ncropole d'Antino en d'autres mains, aprs n'avoir eu

    que l'honneur de le dcouvrir.

  • SUAPION ET THAS D'ANTINO

    15 noveinljre 1901.

    Mesdames et Messieurs,

    Depuis l'inauguration des fouilles que je dirige Antino, j'ai rgu-

    lirement, chaque anne, cette date, expos devant vous les rsul-

    tats acquis au cours de chacune de mes campagnes. C'a t d'abord

    le compte rendu de l'exploration premire; la dcouverte et le dga-

    gement des temples; puis celui des premires recherches, pousses

    travers les ncropoles; l'vocation de la civilisation anlinote, aprs

    la reconstitution du cadre o elle avait fleuri. La ville fameuse a

    secou son linceul de salile, pour apparatre vos regards, comme

    une autre Pompe; les morts se sont levs, Lazares aux yeux vides,

    avec leurs visages d'autrefois, o ne manque que Tclair des pru-

    nelles; et le luxe raffin, qui souleva les colres des sages, est devenu

    aussi palpable pour vous, que si vous en aviez t les contemporains.

    Voici deux ans, je vous montrais quelques modles de costumes;

    et les scnes figes des fresques se faisaient tal;)leaux vivants, sans

    que rien fi'it chang la symtrie hiratique des silhouettes. Je

    me suis efforc alors de vous prsenter les personnalits ressuscites

  • M

    c ThotesLent, la musicienne; d'Eiiphemian, la brodeuse, la Pn-

    lope d'Anlion, pour mieux dire; de Tisoa, l'pouse d'Aurlius Collu-

    tluis; celles d'autres mortes anonymes, mais qui avaient gard telle-

    ment vivace, en dpit des sicles, le pli de la vie, l'empreinte de leurs

    proccupations, de leurs joies et de leurs peines, que peu importait

    leur nom. Aprs avoir visit les temples ou les villas; avoir gravi les

    sanctuaires, ou assist aux jeux du cirque, il devenait facile de pn-

    Ircr le secret de leur existence; et le charme de cet autrefois lointain

    se faisait plus captivant. Ali! les vers tendres du pote!

    Les mortes, en leur temps, jeunes et dsires,

    D'un frisson triste et dou.r troulilent nos sens rceurs.

    Et la fuite des jours, le retour des soires

    Nous font sentir la vie, avec d'acres saveurs!

    Quelle justification clatante de leur vrit, que cette exhumation

    de tout un pass de dcadence, o, sous la couronne de fleurs qui

    parait les fronts de cette population en habits de gala, pour se rendre

    la n("ropole, comme une fte du Triomphe de la Mort, transper-

    cent les complexits de l'existence, avec leurs espoirs et leurs soucis.

    Cette anne, la trouvaille marquante faite a t la dcouverte des

    tombes de Srapion et de Thas d'Antino; et c'est d'elles seules que

    je vous parlerai, laissant de ct tout le reste, tant le nom de Thas

    a eu le privilge de fixer sur lui l'attention.

    Des polmiques s'engagrent mme un instant; les journaux se

    partagrent en deux camps; les uns voulant assimiler Srapion

  • :ir)

    celui (le l;i (raditiou cl Thas celle de la lgende; les autres dmon-trer l'impossibilit de cette identification. Toui' tour, je fus inter-

    rog jiar les uns et par les autres, et, des deux cts, ou interprta

    mes rponses, selon le terrain sur lequel on avait pris position.

    Un jour, j'tais cens avoir dclar que Thas tait bien celle mise

    -3>i0Sa^tJi

    -*''^'Sr ., ^

    Les coups emmaillots. Fouilles du cimetire Ijyzauliu.

    en scne dans le roman du pote dont, tout l'heure, je vous citais

    les vers; le lendemain, avoir aflirm tout le contraire. La vrit se

    trouvait juste entre ces deux opinions extrmes; et maintenant, que

    le silence est venu, il est temps que je rtablisse enfin les faits, en

    exprimant moi-mme mon sentiment.

    Tout d'abord, je vous rpterai ce que je n'ai cess de dire pendant

    un mois, qui venait me questionner. Je n'ai aucun documeut

    [u-oljant, me permettant d'identifier les deux corps exhums de lancropole d'x\ntino au Srapion et la Thas historiques. Je n'en ai

  • Sfi

    aucun non plus, m'antorisant attostor le contraire; et, dans ces con-

    ditions, la loyaut m'interdit de ine prononcer.

    C'est cette rponse amltigu qui permettait chacun de donner

    libre carrire son imagination. L'adversaire de l'identification cher-

    chait m'envelopper de phrases insitlicuses. Il insistait sur le cos-

    tume de Thas d'Antinoc, pour oldenir une rponse dans le genre

    de celle-ci : Ce n'est pas un liiihit de nKiniale . Et sa conclu-

    sion l'tait que je dclarais impossililc l'identification. Le partisan de

    celle-ci arrivait la charge son tour : Sait-on exactement o Thas

    a vcu? Sait-on o elle se rendit, en quittant Alexandrie? Et, sur ma

    rponse, que les longs voyages et les dguisements taient fort en

    usage aux premiers sicles du christianisme gyptien, il concluait

    que Thas avait fort bien pu venir mourir en Thbade ; encore une

    fois, je n'ai rien qui m'autorise l'affirmer ou le nier. Scientifique-

    ment, il faut avoir des pices irrfutables en main, pour l'un ou

    l'autre. Je n'en ai pas. Mais, ceci pos, je vais essayer de classer

    les documents susceptiljles de servir l'tude de la Thas antinote,

    tout en gardant la rserve que je me suis impose tout d'aljord.

    Une Thas chrtienne n'a pu vivre qu'au commencement du

    iv' sicle, et en Haute Egypte. La prdication de l'vangile ne se

    propagea dans la valle du Nil qu'avec la perscution diocltienne,

    (de 295 311), dont le premier martyre fut l'vque d'Antino, Aba-

    dion. Jusque-l, l'Egypte ne comptait que de trs rares adeptes de la

    foi nouvelle, en dehors d'Alexandrie. Mais ceux-ci, rallis au Gnosti-

    cisiiie qu'avaient enseign, aux proniiiu's sicles, Basilide et son

  • '^4r^M; A?S'i

  • disciple Valentin, puis ;\ la secte des no-platoniciens, Origne,

    llydime rAveugle, n'taient en ralit que des paens, revivant les

    doctrines du Plidon, sous le couvert du christianisme. L'actisme,

    le cnobitisnie taient encore inconnus.

    La pers('cution df^ Diocltien lioulversa seule cet tat de choses.

    Au cours de cette r(''pression fameuse, l'Egypte entire se convertit.

    L'inquitude des lendemains de ces temps troubls poussait, tout

    naturellement, les fidles fuir le spectacle des journalires tueries.

    Ils se retiraient au dsort, pour y vivre de cette vie de contempla-

    tions et d'extases, qui correspondait si parfaitement au caractre

    gyptien.

    Saint Antoine, le premier des solitaires, tait n en 240, et avait

    vcu quatre-vingts ans dans la montagne de Oolzoum, au bord de la

    mer Rouge, sans rencontrer un tre humain, sans prononcer une

    parole qui ne ft une prire. Ses continuateurs, Paid, Athanase,

    Macaire, Pakhme se placent tous dans le courant du i\' sicle.D'autre part, et ce point est capital, le premier couvent de femmes

    fut fond Athribis, aujourd'hui Sohag, eu Haute Egypte par

    Marie, sur de saint Pakhme, vers 340. Ihtnc, une Thas nonne,

    une Thas moniale n'a pu vivre que dans le courant du i\ sicle, et

    en Haute Egypte, Alexandrie n'ayant jamais t frquente par lesermites. Il fallait les aller trouver au fond des dserts.

    Ces donnes gnrales poses et ces rserves faites, Srapion et Thas

    d'Antino n'en demeurent pas moins deux figures attachantes. Sra-

    pion, type parfait de l'anachorte, vtu de bure brune et noire, le corps

  • 40

    couvert de ceintures et d'anneaux de fer, passs autour du torse, des

    bras et des jambes; un lourd collier de fer au cou, supportant une

    large croix. Ce costume, au cilie de fer prs, revtu en signe de mor-

    tification, est celui dcrit dans la vie copte de saint Antoine. Le grand

    solitaire ne fuyait pas seulement au dsert le spectacle de l'abjection

    des passions bumaines, il y fuyait son propre ennui. Mais

    disent les textes, cet ennui s'appesantissait toujours de plus en

    plus sur lui. Un jour, cpi'il tait dans sa caverne, il entendit une

    voix qui l'appelait : Sors, dans le dsert, pour voir. Il sortit, et vit

    un ange, assis terre, tressant des palmes. L'ange tait couvert d'une

    robe de bure In'uno et d'un manteau de bure noire, ceint d'une

    cbarpe de croix. La voix venue d'en liaut reprit, disant : Antoine,

    fais ainsi, et tu seras en repos. Et Antoine revtit un costume

    semblable celui qu'il avait vu port par l'ange. Il s'assit terre et

    se mit tresser des palmes. Et, depuis ce jour, l'ennui le quitta;

    l'ange ne revint plus.

    Le costume de Srapion d'Antino est donc semljlable la des-

    cription qui nous est donne de celui port par saint Antoine. Le sp-

    cimen, jusqu'ici, est unique. Oui tait ce Srapion? 11 semlde impos-

    sible de l'identifier au grand Srapion, le scolastique, vque de

    Tbmus, frre d'armes de saint Atbanase, dans sa lutte contre l'aria-

    nisme. Les faits de sa vie nous sont connus, et nulle part il n'est fait

    mention d'Antino. Ce fut, sans doute, l'un de ces solitaires ignors,

    retirs dans l'idale montagne de rve, qu'est la montagne antinoto,

    tellement creuse de grottes, (ju'on tlirait une ruclie immense. Tour

  • 41

    se rendre compte de ce que pouvait y tre l'existence d'un ermite, il

    faut l'avoir visit, ce coin de dsert, o se droulrent les heures de

    mditation d'une telle vie; avoir reconstitu celle-ci en pense; en

    avoir, en rpielquc sorte, soi-mme V(''cu.

    C'est que, de toute l'Egypte, bien peu sont i'avuraljles au dtiveloppe-

    ment du mysticisme, l'gal de celui qui se droule aux alentours de

    la ville liadrienne. Dans la jjanlieue mme de la cit, nombre de no-

  • i2

    tant sur leurs paules la barque dont parle saint piphane; ni Ten-

    censement des images du bel phbe; ni les courses de l'iiippodrome;ni les reprsentations du tlitre ; si mme, les bruits mouraient dans

    l'immensit de la plaine de sables tale leurs pieds, ils savaient

    que, par del les murs qui s'estompaient sa limite, sigeaient les

    magistrats du Dragon vomi des Enfers , surnom peu aimable, que,

    dans leur sainte colre, ils appliquaient Diocttien.

    Aussi, pour fuir Tinfernale vision, avaient-ils cberch quelque

    anfractuosit, qui les isolt du monde e5:triear;quelque gorge sau-

    vage, o se croire loin des misres terrestres. Elles abondent, ces

    retraites, sur les croupes abruptes de la montagne ; et ce qu'ils y

    cherchaient, il est possil)lo, aujourd'hui encore, de l'y trouver.

    Du seuil de ces grottes, d'o le regard s'tend perte de vue sur la

    valle, on est dj bien loin du monde! Sur la corniche de la falaise,

    l'altitude de cent mtres peine semble immense; et la bue Iileute

    des rverbrations, montes des sables, qui ondoient ses pieds, en

    exagre l'loignement. Le Nil se droule, en longs festons m.oirs, qui,

    quoique larges d'un kilomtre, paraissent ceux d'une rivire de m-

    diocre importance; les palmiers sont peine reconnaissables, au

    milieu des champs cultivs.

    L'troite ouverture qui donne accs dans la grotte franchie, vous

    tes dj dans la pnombre. Pourtant, une petite fentre s'ouvre,

    l'un des recoins, au-dessus de gradins, taills dans la paroi. Avant de

    gravir ceux-ci, vous ne percevez qu'un pan di; ciel bleu, d'un bleu

    profond, lumineux, intense. Mettez la tte cette fentre, et le

  • a

    paysage de tout riioure gagnera encore en loignement. Snr votre

    gauche, c'est un lioulis de rochers rouls, comme par quelque main

    titanique, marquant l'entre de l'une de ces valles, qui sont comme

    autant de chemins, vers un monde surnaturel.

    Sur l'effroyahle dchirure du rocher, des vau-

    tours hlancs, aux ailes franges de jaune, pla-

    nent dans une immobilit hiratique. Commeon se reprsente un saint Jean Lycopolis, regar-

    dant ainsi l'infnitsimalit de la vie physique,

    pour s'exalter davantage dans la plnitude d'me,

    o il vcut durant cinquante ans!

    Mais, ce n'est l (luo l'une des impressions,

    les plus mesquines, perues cette place. L'or-

    gueil de l'tre pensant. 11 frmit trop encore, au

    rappel de l'existence. Avancez dans ce labyrinthe

    bant, o, mesure, les tnbres s'paississent.

    Bientt, c'est la complte obscurit. Des piliers,

    mnags pour soutenir les pressions de la roche;

    des encoignures et des retraites; des sortes de jarre de terre cuite.

    pilastres, a peuie dgrossis, coupes, haches, ainsi ^^.j,,,,,,^ d'Antinuo.

    qu'on se les figure au fond des habitations de l'ge

    de pierre, apparaissent tour tour avec des profils vagues, in(|ui-

    tants, formidaldes. Des bancs, taills mme la montagne, semblent

    des lits d'ternel repds. Bientt, d'autres salles s'ouvrent au passage,

    o les mmes silhouettes se dcoupent, demi baignes d'une lueur

  • 44

    vague, jaune, dore, flottant dans un rais de lumire trange, qui glisse

    en poudroyant dans l'ombre, comme chappe quelque foyer mys-

    trieux. Une autre fentre, perce de mme que la premire, ouvretout au fond de la galerie, sans doute, mais pour l'instant est invisible.

    Et ce rayon filtr seml.)le un feu surnaturel, clairant un ciel de nuit.

    Asseyez-vous sur ce liane, que maintenant vous devinez peine.

    Entrez mme dans ce rduit obscur, que vous avez dcouvert en ttantla paroi du rocher, tant il vous est impossible d'en distinguer l'entre.

    Devant vous, votre grande surprise, une tache jaune ple vient se

    poser, apparition fantastique, hallucinante, de quelque puissance invi-

    sible, qui vous a suivi la trace. La voici qui grandit, grandit, grandit;

    vos yeux maintenant accoutums aux tnbres suivent ses progrs de

    minute en minute. La voici qui s'anime, qui se meut, tel que pourrait

    le faire un esprit. Elle s'avance, elle vous frle ; il vous a scmld voir

    une me passer.

    Un mouvement anxieux de la tte, pour la suivre, et vous vous

    apercevrez que le rayon de tout l'heure, de rverbration en rver-

    bration, d'manation en manation, est venu frapper jusque dans

    votre retraite. Mais, tout cela, nous l'analysons, l'anachorte se con-

    tentait de le sentir! 11 vivait l des jours de mditation, en proie cet

    tat d'me, que la thologie appelle la dlectation morose , se

    livrant, entre temps, de singuliers exploits de mortifications. L'his-

    toire de Paul d'Antino en est le plus complet spcimen; il me suffira

    de vous la rsumer.

    Une premire fois, il s'attache une pierre au cou, et reste ainsi qua-

  • il

    %I

    1. ENSEVELISSEMENT DE THAS

  • V' \ ^

    > J /fm^sf.^

    l'anlc jours pendu, la tte en lias, jusqu' ce que le sang lui srie

    par la, liduclic et les narines, et qu'il ait rcinlu ^-^m^^-r^rf '^^

    l'me. Alors, disent les textes, le Seipneur lui

    restitua son me. Aussitt, il se jette au Nil, et

    aprs (''tre rest un grand nondire de jours sous

    l'eau, meurt une seconde fois. Le Seigneur le

    ressuscite de nouveau. 11 s'enterre dans le salile,

    sans plus de succs; le Seigneur lui rend encore

    son me. Il se prcipite du haut de la monta-

    gne, et roule sur les silex, qui lui dchirent tout

    le corps; vaine tentative; il meurt sur l'instant,

    mais pour renatre aussitt. 11 n'inonte alors sur

    la t'aJaise, et se jette sur une pierre tranchante,

    qui le coupe en deux, sans plus de rsultats.

    Maintes fois encore, il renouvelle ses tentatives;

    le Seigneur toujours lui rend son me. Las cepen-

    dant de cet office, Jsus, en personne, lui appa-

    rat et lui dit : C'est assez, mon ami Paul, de

    t'tre fatigu ainsi y. Mais, comme le saint ne

    tient point compte de la recommandation, il re-

    nonce lui rendre son me et le laisse en-terrer auprs de l'un des saints les plus r^iuls

    d'Antino, l'Amba Besclia.

    Le tombeau de Thas d'Antino, di^ tous points

    semblable celui de Srapion, consistait en un caveau, liti en bri-

    Frogmi'Til (lu sarcophagede 'riiais il'AuliiioO.

  • iO

    ques crues, et couvert d'uue vote pleiu ciutre. A l'est, uue niche,

    tablie en retrait extrieurement, portait, sur un stuc grossier, une

    inscription maladroitement trace en rouge. Le pltre caill tait

    tomb par places; on y lisait les mots :

    4- EKOIMH0HMA

    KAPIA0AIAC

    ECCA....

    Ici repose la Bienheureuse Thas..., puis un mot qu'il est difficile

    de prciser.

    A l'intrieur, un cercueil vermoulu et disjoint renfermait un corps,

    vtu de l'appareil habituel des bandelettes, passes par-dessus le cos-

    tume, recouvrant le cadavre. Tout l'intrt archologique de la trou-

    vaille se concentrait sur les objets dposs dans ce cercueil : des cor-

    beilles de jonc tress; un chapelet de bois et d'ivoire; une croix

    anse; des palmes et une rose de Jricho.

    La corbeille de jonc tress est celle que nous ne connaissions jus-

    qu'ici que par les peintures. C'est celle qu'on voit aux mains des

    morts, convives du banquet des lus. Un passage de saint Jrme en

    commente en ces termes le symbolisme :

    Nihil illo (/iliiis qui corpus Doinini portt in vimineo canintro

    et scmguinem in vitro.

    Nul n'est si riche que celui qui porte le corps du Seigneur dans

    une corbeille de jonc, et son sang dans un vase de verre.

    Et nous savons effectivement, par les Actes du Synode d'ilippone,

  • '.7

    tenu en ;10;1 , aiu[U('l assistait saint AuiUiistin, qu'il ralliit nue con-

    (lamualiou formelle de TEglise, pour empcher les ehrliens d'Orient

    d'enfermer les Saintes Espces dans leurs cercueils, et de donner la

    communi(m aux morts, aprcs leur mort; l'hoslie tenant alors lieude la pice d'ari^cnt, destine payer le passage du fleuve funbre,

    coutume qui avait pris naissance dans l'usage de la Conunimion

    * "^

    =. ifM:

    Tliais et Sraiiion d'Anlino.

    domestique, permettant aux fidles d'emporter chez eux le pain et

    le vin consacrs. Ramens un sens purement symljolique, la cor-

    beille et les tuis gobelets reprsentent le couvert du bienheureux

    au banquet du paradis.

    Le chapelet s'identifie moins aisment. Pour avoir dsign de ce

    nom les plaquettes d'ivoire, montes dans une boiserie, en forme d'es-

    calier, o s'estampe la croix, flanque de l'a et de l'co, je me suis attir

    force critiques. L'usage du cha[)elet, m'a-t-on object, ne remonte

    qu' l'jtoque des Croisades; ce que je savais pertinemment. Mais,

    avant celte date, la coutume se rpandit, n'en pas douter, de rciter

    certaines prires, rptes dans un certain ordre. Mes contradicteurs

    expliquaient, eux-mmes, que les anachortes se remplissaient la bon-

  • 48

    che de cailloux, qu'ils crachaient clia(]iio psaume ou chaque verset.

    Ce primitif moyen no pouvait manquer de se civiliser; et le Compte

    2Jrires, analogue au BeUidum de Pater )wsfcr dont il est fait

    mention dans le Synode anglais de Celcliyt, tenu en 8iG, sous la

    prsidence de Wulfred, archevque de Cantorbcry, dut, de bonne

    heure, tre en usage. Celui de Thas est pourvu d'un tiroir, renfer-

    mant une petite croix. Sur la plaquette d'ivoire de la marche inf-

    rieure, deux ranges de dix cercles sont traces; le cadre de bois est

    perc de deux ranges de trous semblables. La plaquette de la

    marche suprieure a douze cercles; le cadre, dix trous au total. Sur la

    plate-forme, qui couronne le tout, dix autres trous sont vids; se

    rpartissant cinq droite, cinq gauche d'un pivot comnuin, qui

    leur servait de centre. Comment s'grenaient les cinq dizaines de ce

    chapelet? OucUes taient les prires? L'tude de la vie des saints

    gyptiens nous l'apprendra sans doute un jour.

    Il sutlira de faire remarquer, pour l'instant, que la forme d'escalier

    alecte par ce chapck't garde un ressouvenir du rituel des temps

    antiques: l'escalier du dieu grand, Osiris, qui, pour l'gyptien, avait

    t une autre personnilication du dieu bon.

    Et d'ailleurs, la prsence d'une rose de Jricho, entre les mains de

    Thas d'Antino, n'est-elle point faite pour infliger un dmenti for-

    mel aux thories des usages chrtiens, ne remontant qu' l'poque des

    Croiscides et de l'institutidu du Rosaire? Cette rose do Jricho,

    rA/iuiitasica, c'est le symliole de l'immortalit et de la rsurrei

    -

    tion de la chair, la croyance populaire voulant (|u'elle refleurisse cha-

  • '.Il

    que aniK'c, au jdiir cl riiciuv o le Sauveur uaniiil. I.r nmn seul

    d'Anastasica signifie renatre La rdse de Ji'rirlio, c'est la llciir qui

    ressuscite enmme J(''sus. .Insqu'ici, un ailnicitaii cminnc un l'ait acquis

    pourtant, (juc ce synilmlisnic ne reuiuntait t[u" r(''po([iic des (Iroisades

    et des plerinages des Occidentaux en Terre-Sainte. La dcouverte de

    Thas et Srapioii irAntino.

    la tombe de Thas d'Antino vient point dmonti'er qu'elle se ratta-

    chait l'exercice du culte et au rituel des premiers temps de la chr-

    tient.

    La croix anse tait pour l'Egypte un symbole de vie et de renais-

    sance, l'amulette par excellence qui assurait la rnovation de l'tre,

    en une srie de recommencements indfinis. C'est elle qu'on voit aux

    mains des dieux, dispensateurs de l'existence; elle, qui, appose aux

    narines des morts, au cours des oprations magiques, accomplies pen-

    dant les crmonies des funrailles, met le Double en possession de la

  • 50 -

    seconde vie; elle enfin, qui, chappe au disque solaire, descend en

    nue chane sans lin sur terre, pour y assurer runiverselle vivification.

    Quant aux palmes, elles sont remblnie du triuniphe. Rserves ordi-

    nairement aux martyrs, elles pouvaient simpleu:ient tmoigner d'une

    grande vnration.

    Mais, si ce sens est connu, il est indispensahle aussi de signaler le

    rle tout particulier j(iu(' }iar les palmes en Egypte. A l'poque

    antique, elles sont, elles aussi, un indice de vie et de renaissance.

    C'est l'enihlme de la desse Tar, qui pri'side au renouvellement. Dans

    les textes, elles font partie intgrante de la phrase prononce par les

    dieux, investissant le pharaon, leur fils, du pouvoir vivificateur :

    Je le d(UiU(_' le reu(uvellement, en qualit de dispensateur des exis-

    tences . D'autre part, dans le rituel liiuraire, elles sont le symbole de

    la rsurrection.

    A ent de ce sens, la litt('rature profane leur [irte une signification

    de douceur et de joie, qui se synthtise par le nom de a Palme

    d'amour , donne par l'Egyptien la Dame de ses penses. La plu-

    part des odes, composes l'poque de la XVIir dynastie (1500 ans

    avant notre re), dbutent ainsi : C'est une palme d'amour, une

    douce palme de renaissance

    ,

    Ce sens est conserv, en se modifiant, l'poque chtienne. La joie

    profane fait place la joie spirituelle ; l'vocation sensuelle, la dlec-

    tation morose, .selon la dfinition des thologiens. Que fait saint An-

    toine, au fond de son dsert de Oolzoum, pour fuir l'ennui? Il tresse

    des palmes, ainsi (pi'il avait vu faire l'ange. Que fait saint Macaire,

  • 51

    dans les solitudes de la montagne de Pernoiidj, alors (jn'il < fuit les

    sentiers foules par les pieds dos femmes? Des tressages de [ndmcs.

    Pour compU'ierce sens, il suflira de rapporltjr le

    passage suivant, extrait de la vie d'Amlia Ephrem :

    Un solitaire de la montagne, Andja Ephrem,avait eu une vie exemplaire; mais l'orgueil de sa

    vertu le fit s'crier un jour : Il u'y .-i, p;is

    de Satan !

    Enleudant cela, le Chasseur se prsenta aus-

    sit('it lui, sous les traits d'un roi, accompagn

    de sa fille les Copies dotent le diahle d'une

    fille et de son arme.

    Je suis, dit-il Aml)a Ephrem, le roi des Edo-

    mites. Les Perses se sont rvolts contre nous et

    nous ont vaincus. Et maintenant, fais une lionne

    action : garde cette jeune fille prs de toi, pour que j'aille dtruire mes ennemis. Si je ne suis pas re-

    venu dans un mois, sache quej'aurai t dfait.

    Le mois coul, la jeune fille dit au vieil-lard : Sache que mon pre est mort ! Et main-

    ce tenant, aie piti de moi; pouse-moi, je prendrai soin de toi.

    Si tu me chasses, les htes sauvages me dvoreront, et le Seigneur

    te demandera compte dmon malheur. Le vieillard lui n'qiondit : Je ne suis point do ceux qui se marient. IVIais elle insiste, et

    Amha Ephrem demande rflchir : Attends que j'aie tress

    l.r rl,.,|M'lrlili' 'rii;us irAiiliiiue.

  • 5-2

    ces branches de palmier, et, si le Seigneur le veut, la chose s'ach-

    vera. Mais Schenoudi, le plus grand saint des Coptes, qui

    lit ce qui se passe au fond de tous les curs, se lve et s'crie du fond

    de son monastre d'Athribis : Seigneur, Seigneur, accepte-le ! Sei-

    gneur. Seigneur transporte-le prs de toi ! Et Amha Ephreni ren-

    dit l'me, comme il achevait ses tressages.

    Ainsi, de tous les exemples qui nous sont fournis, il appert qu'un

    symbolisme vident tait indissolublement li la figuration des

    palmes tresses. Ides de renouvellement et de renaissance d'une part,

    de joies quites, proches voisines de la batitude de l'autre, se fondent

    en un tout complexe, dont la meilleure expression est ce rcit de la

    mort de l'un des plus fameux anachortes, avec ce ressouvenir de

    tentation et de vulupti', ijui s'y tait ml aux temps anciens.

    Si j(_' me suis aussi longuement tendu tout l'heure sur la des-

    cription des grottes d'Antino; si je vous ai parl incidemment de

    costume de moniales, de travestissements et de longs voyages, c'est

    iiuc, pour vous dduncr une ide de ce que pouvait tre la vie rmi-

    tique ou cnobitique, j'avais l'intention de terminer cette esquisse,

    forcment incomplte, sinon de la personnalit de Srapion et de

    Thas d'Antino, du moins du cadre de leur existence, en vous con-

    tantquelques anecdotes empruntes aux pangyriques des solitaires de

    la Thbade, sous cette rserve, une fois encore, que je me renferme

    dans la neutralit que j"ai observe ds le dbut, quant ce qui touche

    aux (juestions d'identification de Srapion et de Thas.

    L'un de ces pangyriques, les plus en honneur parmi les moines,

  • ):5

    celui del flllo do /('ikhi, nous fournit de prcieux renseignements

    ce point de vue, et mrite ipi'on s'y arrte. Celait un sujet familier

    aux auteurs coptes, pour exalterl'austrit des ciMmliiles, (pujde mettre

    en scne une femme, (jui, vtue d'habits diionune, s'tait introduite

    dans un couvent, s'y tait fait admettre parmi les moines, et avait us

    l ses jours dans la prire

    et les mortifications. A sa

    mort, seulement, la pieuse

    fraude tait dcouverte,

    alors qu'on dpouillait le

    cadavre, pour la toilette fu-

    nbre. Le plus souvent,

    l'histoire nous parvient sous

    forme d'homlie ou de ser-

    mon.

    Zenon, dans le rcit que

    je vais vous rsumer, avait

    deux filles, toutes deux belles, accomplies et pieuses; toutes deux

    dsireuses de se retirer au couvent. Mais l'empereur s'opposait

    ce vu, au grand dsespoir des deux princesses. Un jour, lane

    disparat, sans t[n'il soit possible de dcouvrir sa trace, (pielque

    elTort qu'on fit pour la retrouver. A quelque temps de l, la cadette

    tombe gravement malade. Mais le mal est sans remde, et les m-

    decins se dclarent impuissants la gurir. On dcide que la science

    n'v peut rien, que la jeune tille est possde du dmon, et qu'il

    Corbeille tresse. Si'imllury ili.^ Thas irAnlino.

  • faut recourir rexorcisme. D'une commune voix, les moines de

    Nitri(>, rputs pour leur saintet, sont dsiirns comme seuls capa-

    ])les lie procder cdLi' (ipratiun. Conduilc au dserl, pi-sente

    successivement aux anachortes les plus gs et les plus avancs

    on sagesse, -rien n'y fait. Prires, impusitions de mains, onctions

    restent inefficaces. Enfin, on dcide de ciinficr la malade aux soins

    d'un jeune moine, arriv depuis jieu, mais dj clbre par ses

    exploits, et selon l'expression du texte, rendu parfait en son adora-

    tion . Cette fois, la gurison s'opre comme par enchantement. Mais,

    de retour Constantinople, la princesse, interroge par son pre, lui

    raconte cpi'elle a partag la cellule du cnobite, qui la pressait tendre-

    ment dans ses bras, en la baignant de ses larmes. Scandalis, Zenon

    mande en hte celui-ci, et, naturellement, reconnat sa fille aine,

    laquelle il permet alors de retourner Nitrie, et de rentrer au monas-

    tre, o son identit ne devait tre connue qu'aprs sa mort.

    Le dsert de Nitrie est riche en souvenirs de ce genre. Ce fnt l ga-

    lement que se retirrent Maxime et Domce, fils de l'empereur

    Valentinien. Voici six ans, qu'en visitant les monastres de la rgion,

    j'ai pu voir la chsse o repose l'Amba Mrota, le Bienheureux Maxime.

    Hiud concours de circonstances avait amen l le fils an de Valenti-

    nien? C'tait l'poque o les plerins se rendaient en foule aux

    sanctuaires de la foi premire. Ils visitaient la hbade; Oul/.oum

    et la grotte de Saint-Antoine; Nitrie et la laure de Saint-Macaire;

    d'antres encore, disparues aujourd'hui. Nombre de ces plerins

    se fixaient dans l'une ou l'autre de ces retraites. Maxime et Domce

  • ->(^yfc..^.ta.;

    taient venus ainsi sans doute; et, de pr(''frence, s'taient arrts l.

    Maintenant, dans l'onj])rede la chapelle, une elissedi! Lois de cdre,

    aux longues frises d'entrelacs et aux corniches de stalactites se dresse,

    claire par la lueur tremblante de cierges fumeux. A travers une vitre

    poussireuse, entoure de perles fausses, le regard distingue peine

    le visage momiti de l'anachorte, sa

    rolie de pourpre et son manteau de

    drap d'or. A la question que je posai,

    au [U'tr(? qui m'acconqiagiiait, surl'-

    tranget de ce costume, port [lar

    l'Amba Mrota, il me rpondit que

    ce vtement voquait h' souvenir de

    la renonciation vnlontaire; qu'il disait

    ce qu'avait quitt l'hritier du trne,

    pour vivre de la vie des frres, en robe

    de bure, du couvent.

    Ceci m'amne . vous parler du cos-

    tume de Thas, si diversement apprci; je me Ijornerai vous en

    donner une description dtaille. Mais, auparavant, il me faut encore

    relater les renseignements (pie nous fournissent les textes sur la

    toilette funbre, et les raisons qui prsidaient au choix de la parure

    du mort.

    Ce costume devait tre un costume neuf, moins d'avoir t port

    dans une circonstance exceptionnelle de l'existence. A l'instant, par

    exemple, o se seraient manifestes quelques faveurs du ciel;quelques

    tui a codelet.SoiuiUiin^ de Tlins d'Antiiio.

  • .-iO

    grces parliciilirrs, du bii'ii encore, s'il avait t touch par quelques

    saints personnages, en un mot, si qiiehpie souvenir pieux s'y ratta-

    chait indissolublement.

    Pour ce qui es! ihi costume neuf, les textes abondent en renseigne-

    ments. C'est l'habit glorieux , et chacun, selon sa condition, le choi-

    sissait le iilus riche possible. Il me suffira de vous citer ce trait.

    Un anachorte clbre, Macaire de Thbade, qu'il ne faut pas (Con-

    fondre avec celui de Nitrie, cit au ti-ibuual du gouverneur d'Antino,

    pour avoir incendi un temple pa'ien, se dispose s'y rendre, avec une

    robe fort dlabre sans doute, car, l'un de ses disciples lui conseilla

    d'en mettre une qui soit moins sordide; ce quoi Macaire rpond :

    Je garde ma robe neuve, pour comparatre devant le Seigneur!

    Voil ponr l'habit glorieux . Pour ce qui est des vtements dj

    ports, nous voyons saint Antoine demander tre enterr dans la

    robe du grand Athanase; puis, saint Macaire de Nitrie tre, sou tour,

    enseveli dans celle de saint Antoine. Ce que je vous ai dit de la robe

    de pourpre et du manteau de di-ap d'or du fils de Valentinien, me dis-

    pense d'insister davantage sur ce point. L' habit glorieux pouvait

    tre, avant tout, celui port l'instant o s'tait manifeste la grce;

    peu importait (pi'il ft laque ou religieux.

    Le costume de Thas d'Antino consiste en une tunique de lin, garnie

    sur le bas d'une bande de velours bleu, non cisel, brode de chevrons

    et de mdaillons florescents brun ple. La forme est celle habituelle-

    ment en usage pour le vtement grco-asiatique; deux ls d'-toffe cou-

    sus ensemble, empicement cintr et manches rectangulaires, peu

  • S^es^S

    57

    larges, laissant juste passer le bras. La robe, idcnliqiie de coupe, est de

    laine jaune-olivtre. Deux bandes de soie bh^ie, broches d'cussons

    arabescaux jaunes, passent sur les paules, formant tole, et redes-

    cendent jusqu' la ])ordure du pourtour, derrire et devant. Cette bor-

    dure, d'une sorte de reps

    rouge, est brode l'aiguilli'

    de rinceaux jaunes et verts, et

    de larges mdaillons foliacs,

    aux teintes amorties. Deux

    appliques remontent vers les

    genoux, accoles aux bandes

    de l'tole, termines en pen-

    dentifs fleuronns. Les pieds

    sont chausss de mules de cuir

    brun, rehausses de dorures au

    petit fer, o la croix s'estompe

    sur fond d'arabesques. Les che-

    veux sont pris dans une lon-

    gue charpe de gaze rouge carmin, raye de jaune sur les bords, et

    retombant sur les paules librement. Sur ce voile, s'ajuste le bourrelet

    d'un mantelet brun, cantonn aux angles d'entre-deux multicolores,

    o se profdent les livres et les colombes du symbolisme primitif des

    catacombes. Un voile de fine mousseline s'tendait, au moment de la

    trouvaille, sur le visage, qui, dans le transport, est parti en lambeaux.

    Les suaires passs sur le tout compltaient cette toilette funbre. De

    i.'J:->,'>ij>\v

    Li'> iiiiil;igni_'S il' ViiliiiiM-

    et les aroUes des aiiacliorles.

  • 8

    toil(! unie, sans la moindre marque, ils se trouvaient en fort mauvais

    tat, et force m'a t de les abandonner.

    l'onr complter ces d(?tails, il ne me reste qu' rtaljlir la disposition

    dos objets retrouvs dans le sarcophage. Les palmes, passes sous

    chacun des deux bras, ramens sur le corps, encadraient celui-ci, et

    se recroisaient sur le front. Aux mains jointes de la morte, tait le

    chapelet, pos debout, sa plate-forme constituant la base. Les six tuis

    c gobelets se rpartissaient sous le mantelet le long du cou, trois

    droite, trois gauche; la corbeille enfin recouvrait le visage, qui se

    trouvait ainsi embot dedans. La croix anse et la croix grecque

    taient places sur le bras, peu de distance du chapelet.

    Tels sont les seuls documents que je suis en mesure de fournir

    la critique compare, l'oiu- tre complet, j'ajouterai encore que les

    tombeaux de Srapion et de Thas formaient le centre de deux quar-

    tiers distincts de la ncropole antinote, o les spultures situes

    dans leur voisinage immdiat semblaient appartenir une poque

    plus ancienne que celles de la priphrie du cercle dcrit. Enfin,

    ces deux caveaux de Srapion et Thas taient les seuls de ces (piar-

    tiers, o les autres corps avaient t dposs dans les sables, sans

    cercueils.

    Et maintenant que ces figures se sont prcises, sinon par elles-

    mmes, sinon par leur tat civil, du moins par des comparaisons

    et l'analyse de l'ambiane, je devine la question qui, dans votre esprit,

    se pose. Trouve-t-on trace de sentimentalit, chez l'ermite; en un

    mot, a-t-il pu tre hros de roman?^ Eh bien non! J'ai compuls

  • 59

    la littrature copte tout entire; je n'en ai pas trouv d'exemple.

    L'obsession de la femme est visible, dans cette littrature, mais pour

    la reprsenter, ainsi que vous l'avez vu par l'histoire de l'Amba

    [ Un coin de la grotte d'un anachorte. Valle norJ-est de la nionlagne d'Anliiioc.

    Ephrem, comme la fille de Satan. Cette fille de Satan, les auteurs s'ac-

    cordent la dire fort aimable et fort jolie. C'est pour eux la person-

    nification de la tentation. Et le rcit, devant forcment tourner

    l'dification du lecteur, montre toujours l'inanit de celle-ci, vaincue

    qu'elle est par la pit du fidle. Deux procds sont employs pour

    arriver ce rsultat. Quand l'hront; est la diablesse, la vertu du

  • C(l

    moine naturellement triomphe. Quand la courtisane entre en scne,

    la saintet dont elle est tmoin la touche; elle se convertit; sa

    nature premire s'abolit. Dans l'un ou l'autre cas, la passion n'a rien

    voir avec la tentation du moine ou la ferveur de la courtisane. Dans

    le premier cas, c'est une machination diaholirpie, djnue par la pro-

    tection d'en haut; dans le second, elle n'entre pour rien du tout.

    C'est une ruse du malin, aussitt dmasque, aussitt djoue. OEuvre

    du gnie du mal, elle se trouvait vaincue jiar la grce. A la premire

    invocation, mme faite par un tiers, elle fondait et s'vanouissait.Maints exemples sont l, qui le prouvent. Et cette dfinition, sous

    une forme difiante, recle l'tat d'esprit produit par l'ambiance : par

    ces jours vcus dans ces grottes, o tout sentiment humain s'va-

    pore, pour ne laisser place qu'aux mditations.

    Tel a t. Mesdames et Messieurs, le principal rsultat de ma der-

    nire campagne de fouilles. Il constitue peine le premier pas dans

    la voie de ce qu'il reste faire Antino.

    D'abord, je n'ai pu fouiller jusqu'ici que dans les quartiers de

    cimetire affects aux spultures des classes moyennes, qui n'osaient

    prtendre au luxe de l'hypoge. De spultures patriciennes, nulles

    traces, le chevalier romain ou byzantin se faisant, l'exemple du

    grand seigneur gyptien , creuser tout un appartement funbre aux

    flancs de la montagne, dont toute trace a disparu.

    Or, si dans la plaine du dsert, qui, elle aussi, n'a pas gard trace

    des spultures qu'elle renferme, les travaux d'exploration sont faci-

    les, et iiar consquent peu coteux, il n'en est plus de mme, lors-

  • Gl

    qif il fiiiit s'attaquer la roche. La moiitagno, calciiK'e par des sicles

    de soleil, s'effrite et s'boule, il faut aballre des quartiers de rocs

    rouls, arrts sur les pentes; reloiu'uer des mtres cubes de pierre,

    pour arriver la paroi vivo, et, l'entre de la tondjc enfin dgage, la

    boiser, ainsi qu'une galerit; de mine, pour prvenir les boulements.

    Pour tout cela, les crdits m'ont fait jusqu'ici .., -_.

    dfaut.

    Un double Ijut reste atteindre pourtant: re-

    trouver ces tombes patriciennes; retrouver celles

    des pontifes du culte de FOsiris-x'Vntinous et les

    triomphateurs des jeux olympiques. Mais un Imt

    suprme est plus haut encore : retrouver le tom-

    beau d'Antinous. Quelle richesse ne nous rv-

    lerait point ces tombes, en juger par ce que

    rendent celles des classes moyennes ! Ce serait le

    Inxe faliuleux de la dcadence de Rome et de By-

    zance devenu palpable ; les vtements de tissus prcieux, les bijoux

    d'or, les parures de joyaux! Ce serait les tapisseries, les bronzes, les

    cristaux, les ivoires venus de Constantinople, de Sidon, de Tyr et de

    la Grce; les dpouilles de l'Orient, les couronnes dont se paraient

    les fronts des vainqueurs des jeux, institus en l'honneur d'Antinous.

    Cette exploration complte, la ferai-je jamais? L'importance destravaux est telle, qu'il est craindre que d'ici longtemps les crdits

    ncessaires ne pouri'ont tre trouvs.

    Croix anse.SpuUiii'e

    de Tlias d'Aiiliiio.

  • TABLE DES GRAVURES

    AQUAHELI.ES IlOliS TEXTE.

    Thas Oranle.

    L'ensevelissemenl de Thas.

    C.UAVUItES HORS TE.XTE.

    Le grand temple pharaonu[ue. Ugageraenl des poi'lii|ues 3

    Les corps aprs le dpouillemF'nl. Fouilli's du rimctire byzantin 37

    on.'VvunEs hans i.e te.xte.

    Le grand temple pharaonique. Dgagement de la salle liypostyle 7

    Le grand temple d'Isis. Dgagement des portiques 9

    Le grand temple d'Isis. Dgagement du sanctuaire 11

    Le grand temple d'Isis. Dgagement du sanctuaire 13

    Le temple de Srapis. Dgagement des portiques de la cour 15

    Le temple de Srapis. Dgagement du pro-naos 17

    Les corps aprs le dpouillement. Fouilles du cimetire romain 19

    Isis-Dmter. Statue de basalte. Fouilles du temple d'Isis. ... 23

    Miroir tam retrouv dans le cimetire romain 25

    Horus-Eros et le sphinx. Groupe de terre cuite retrouv dans le cimetire romain. 27

    Masque de femme romaine (pltre peint). Fouilles du cimetii'e romain 29

    Les corps emmaillots. Fouilles du cimetire byzantin 35

    La valle des tombeaux (nord-est d'Antino) 41

  • G4

    Pages.

    Jarre de (erre cuile. Spulture de Thas d'Anliiio 43

    Fragment du saixophage de Thas d'Antino' 45

    Thas et Srapion d'Anlino 47

    Thas et Srapion d'Anlino 49

    Le chapelet de Thas d'Anlino 51

    Corbeille tresse. Spulture de Thas d'Anlino 53

    Etui gobelet. Spulture de Thas d'Anlino 55

    Les montagnes d'Anlino et les grottes des anachortes 57

    L'n coin de la .yrotte d'un anachorte. Valle nord-osi de la iiionlagne d'Antinoc'. Id

    Croix anse. Spulture de Thas d'Anlino Gl

  • TABLE

    L'exploration d'Antinok . . .

    SRAPioN liT Thas d'Antino.

    Pages

    I

  • 18 wj. - l'ARIS, IMPRIMERIE LAllUUE

    '., rue rie Fleurus, 'J

  • EC