andromaque, phèdre, brénice, britannicus

76
Andromaque : Acte I, scène 2 Andromaque : Acte I, scène 4 Andromaque : Acte II, scène 2 Andromaque : Acte II, scène 4 Andromaque : Acte III, scène 3 Andromaque : Acte III, scène 6 Andromaque : Acte III, scène 7 Andromaque : Acte III, scène 8 Andromaque : Acte IV Andromaque : Acte IV, scène 5 Andromaque : Acte V, scène 1 Andromaque : Acte V, scène 5 Andromaque : Acte V, scène 5 >><< Racine Andromaque A Acte I, scène 2 TP http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-I-scene- 2.html Oreste, ambassadeur grec, est reçu à la cour de Pyrrhus, roi d’Épire. Il aime depuis toujours Hermione, fiancée à Pyrrhus. La mission d’Oreste est de ramener aux grecs le petit Astyanax, fils d’Hector et d’Andromaque. Pyrrhus, roi d’Épire, est tombé amoureux de sa captive Andromaque, veuve du grand chef troyen Hector et fidèle à la mémoire de cet époux. Hector a en effet été tué, durant la guerre de Troie, par le père de Pyrrhus, le glorieux Achille. Si Pyrrhus aime tant Andromaque, il refusera de laisser partir et de sacrifier son fils Astyanax, que les Grecs veulent tuer. Oreste aura donc failli à sa mission qui consiste à le ramener, mais il aura eu sur le plan sentimental, l’avantage de séparer définitivement Hermione, la princesse grecque, de Pyrrhus à qui elle est fiancée. Elle ne pourrait évidemment pas rester chez celui qui aurait décidé d’épouser une autre femme. Oreste se demande s’il ne va 1

Upload: proshat1

Post on 09-Feb-2016

124 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Tragédie/Racine

TRANSCRIPT

Page 1: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Andromaque : Acte I, scène 2

Andromaque : Acte I, scène 4

Andromaque : Acte II, scène 2

Andromaque : Acte II, scène 4

Andromaque : Acte III, scène 3

Andromaque : Acte III, scène 6

Andromaque : Acte III, scène 7

Andromaque : Acte III, scène 8

Andromaque : Acte IV

Andromaque : Acte IV, scène 5

Andromaque : Acte V, scène 1

Andromaque : Acte V, scène 5

Andromaque : Acte V, scène 5

>><<

RacineAndromaque

AActe I, scène 2

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-I-scene-2.html

Oreste, ambassadeur grec, est reçu à la cour de Pyrrhus, roi d’Épire. Il aime depuis toujours Hermione, fiancée à Pyrrhus. La mission d’Oreste est de ramener aux grecs le petit Astyanax, fils d’Hector et d’Andromaque. Pyrrhus, roi d’Épire, est tombé amoureux de sa captive Andromaque, veuve du grand chef troyen Hector et fidèle à la mémoire de cet époux. Hector a en effet été tué, durant la guerre de Troie, par le père de Pyrrhus, le glorieux Achille. Si Pyrrhus aime tant Andromaque, il refusera de laisser partir et de sacrifier son fils Astyanax, que les Grecs veulent tuer. Oreste aura donc failli à sa mission qui consiste à le ramener, mais il aura eu sur le plan sentimental, l’avantage de séparer définitivement Hermione, la princesse grecque, de Pyrrhus à qui elle est fiancée. Elle ne pourrait évidemment pas rester chez celui qui aurait décidé d’épouser une autre femme. Oreste se demande s’il ne va pas purement et simplement enlever Hermione (v.99) Ici, nous sommes au début de la pièce : Oreste va faire sa demande à Pyrrhus, au nom des Grecs... La scène se passe au palais de Buthrote, la capitale de l’Épire.

Deux négociateurs de talent

V.140 : "Pressez, demandez tout pour ne rien obtenir" a conseillé Pylade, roi et confident d’Oreste. c’est ce qu’il fait ici...

La demande d’ORESTE

1

Page 2: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

V.143 à 150 : Les salutations et les compliments, exagérés - Le rôle de chacun est précisé : Oreste est la "voix" de "tous les Grecs" (143), fier d’avoir été choisi pour rencontrer (périphrases, v.146) "le fils d’Achille et le vainqueur de Troie". Une extrême politesse ("Seigneur", v.145) et un peu de flatterie ("nous admirons vos coups", v.147) permettent de montrer le rôle primordial de Pyrrhus dans la conquête de Troie.V.148 : "Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous" : Une suite de figures de style :

* Personnification de Troie (sublimation de la tragédie).* Mort d’Hector présentée par un euphémisme.* Parallélisme de construction pour comparer les effets du père et ceux du fils, à l’avantage du fils...

V.151 : L’objet de l’ambassade est évoqué : le fils doit achever ce que le père a commencé, et non "entretenir le reste"(154) d’une trop longue guerre. Rappel du devoir donc.

V.155 : Pourquoi ? Parce que le seul nom d’Hector fait encore frémir les veuves et les filles grecques, pensant aux enfants et aux époux qu’Hector leur a ravis. Le fils, Astyanax, sera peut-être "tel qu’on a vu son père"(163). Les Grecs ont peur.

V.165 : Seconde raison, personnelle ("Ce que JE pense") : Vous êtes trop gentil ("vos soins", "récompense" sont ironiques.) La fable du paysan recueillant un serpent et le réchauffant, avant qu’il ne s’attaque à celui qui l’a sauvé de la mort, est évoquée. Cette faiblesse, de la part d’un guerrier, peut être fatale. Il faut être méfiant, prudent.

V.169 : Troisième raison : Faites plaisir à vos alliés, les Grecs, et non à vos ennemis, les Troyens.Petite menace perfide : "Assurez leur vengeance, assurez votre vie" pendant qu’il en est temps car votre ennemi n’est pour l’instant qu’un petit enfant, qui, pour s’entraîner, "s’essaiera sur vous" et finira par les Grecs. Il faut faire vite, et ne pas vexer ses alliés. Faire autrement serait trahir.

La réponse de PYRRHUS

Les salutations et les compliments, ironiques cette fois - La Grèce a peur pour moi ? Quand on m’a dit que c’était "le fils d’Agamemnon" (= Oreste, vers 178) qui venait en ambassade, j’ai cru à un problème plus grave, à "plus de grandeur" (v.176). En effet, ce projet est ridiculisé et décrit en termes humiliants car il consiste à ne "conspirer que la mort d’un enfant" (v.180).On retrouve l’allusion à une ascendance paternelle glorieuse ainsi que le terme de "seigneur" (v.175) mais la réponse, s’adressant à "La Grèce" et non à l’ambassadeur, est dès le départ négative. Occupez-vous de "soins plus importants"(v.174).

Et pourquoi un tel refus ?

D’abord, parce que les captifs sont un droit du vainqueur. Le champ lexical de la justice "à qui prétend-on" (v.181), "quelque droit" (v.182), "pas permis" (v.183),"mes droits" (v.191) montre bien cette réticence du héros, qui veut avoir tous les privilèges de sa victoire. Si on les lui ôte, ce sera une injustice (telle que celle que l’on retrouve déjà chez son père, privé par celui d’Oreste, de sa captive Briséis.) Le rappel de la règle est exposé par l’exemple : "Le sort" (v.187) a désigné Hécube pour Ulysse, Cassandre pour Agamemnon, Andromaque et son fils pour Pyrrhus : Et personne n’a protesté alors...

Ensuite, parce que Pyrrhus ne saurait avoir peur d’un danger si peu probable. Or, il ne lit pas dans l’avenir, explique-t-il ironiquement (v.196 : "je ne sais point prévoir les malheurs de si loin"). Quand il contemple Troie, il se souvient de la ville d’autrefois, "si superbe en remparts, en héros si fertile" : (chiasme flamboyant des adjectifs, vers 198). Cette ville, "Maîtresse de l’Asie", il l’a pourtant conquise et anéantie : "des tours que la cendre a couvertes, un fleuve teint de sang, des campagnes désertes, un enfant dans les fers". Par cette énumération, le déclin est sensible. Il ne reste de Troie qu’un enfant sans défense. Vers 204 : "Troie en cet état", est-ce vraiment un danger ?

Dernier argument : un an après, c’est trop tard. Il aurait fallu le faire un an avant, pendant la guerre et dans l’excitation du combat. Maintenant, ce serait criminel. Le rappel de la cruauté de la guerre, par le champ lexical de l’horreur, justifie la clémence du vainqueur ("cendre", "sang", "fers", "immoler", "morts", "accabler", "meurtre", "coups", "courroux", "cruauté", "sang d’un enfant"). Pourquoi s’acharner sur ce peuple, après lui avoir tout pris ?Il évoque ce qui aurait dû se produire, la mort immédiate du petit garçon et de son grand-père Priam, le père d’Hector, à l’aide d’une tournure abstraite : "la vieillesse et l’enfance / En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense". Le vieillard n’aurait pas pu sauver l’enfant et réciproquement. Ils seraient tous les deux morts alors, en pleine bataille, et cela aurait été normal, pendant cette nuit de victoire (vers 211) où ces deux éléments, présentés en allégorie, poussent les hommes à accomplir des choses qu’ils ne font pas en temps normal.Ce n’est donc pas de la faiblesse qui a poussé Pyrrhus à ne pas sacrifier cet enfant, c’est de la grandeur. Selon lui, les Grecs ne peuvent pas considérer un enfant comme un ennemi sérieux."Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie". Il envoie donc les Grecs (v.220) se faire voir ailleurs 

2

Page 3: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Conclusion

Oreste va tenter de poursuivre le débat, sans conviction. Il sait qu’il ne partira pas avec Astyanax. Il rappelle cependant :

* qu’Astyanax aurait dû l’être mais qu’il n’a pas été tué par erreur, à ce moment-là,* que les Grecs pourraient s’étonner et se vexer qu’un allié soutienne l’ennemi,* qu’Hermione et son père sauront peut-être faire changer d’avis le vainqueur de Troie.

Pyrrhus reste ferme : Je n’ai pas peur des Grecs et ne suis ni l’esclave d’Hermione, ni celui de son père.Il conseille à Oreste d’aller rendre visite à sa cousine Hermione, en partant. "Je ne vous retiens plus" (v.247) Quand son ami Phœnix lui demandera pourquoi il pousse Oreste dans les bras de sa maîtresse (v.249), Pyrrhus répond à celui-ci qu’il sait bien qu’Oreste en est amoureux, et qu’il pourrait peut-être le débarrasser d’une fiancée encombrante. "Qu’elle parte [...] Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui." (v.255) Ainsi le double langage et le double jeu de ces deux personnages est total.

RacineAndromaque

AActe I, scène 4

TE

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-I-scene-4.htmlÉtude d'élève. Le contenu, sur le fonds et sur la forme n'engage que son auteur

Dans cette dernière scène de l’acte I, c’est la première fois que Pyrrhus rencontre Andromaque et la première apparition de l’héroïne. Le spectateur a déjà été renseigné sur Pyrrhus qu’il a pu voir les deux scènes précédentes : Pyrrhus est apparu comme un roi autoritaire et « rebelle » qui refuse de se plier aux demandes pressantes des grecs (scène 2). Dès l’exposition, on sait que Pyrrhus brûle pour Andromaque ... le spectateur attend donc avec impatience ce face à face.Cette scène est justifiée par l’ambassade d’Oreste, les personnages qui jusque là se contentaient d’attendre et d’espérer doivent se décider : c’est le dilemme tragique. Pyrrhus aborde donc Andromaque et lui pose un ultimatum.En quoi cette confrontation marque l’incommunicabilité profonde entre Andromaque et Pyrrhus, deux êtres plongés dans deux univers différents ?

I. Une opposition historique : Troie et la Grèce.

A- Un passé commun.L’évocation de la guerre de Troie, références mythologiques et antiques nombreuses. Omniprésence de la Grèce dans les propos d’Andromaque (Grèce opposée à Troie), rappel volontaire de l’antagonisme des deux pays. Pyrrhus associé à la Grèce, Andromaque à Troie. « Loin des grecs ... loin de vous »

B- Le poids de l’hérédité.Des personnages marqués par leurs pères, héros et/ou meurtriers (voir périphrase, utilisation des noms propres). Cf réplique d’Andromaque : la gloire associée au meurtre.La vision de la guerre ; violence du souvenir et souvenir violent (métaphores fer, sang, champ lexical destruction).

C- Le bonheur perdu ... face au bonheur espéré : deux visions de Troie.Troie comme un passé idéal face à un présent malheureux. Référence à la famille, jeu des possessifs ; Troie comme un temps révolu (utilisation de la temporalité, lexique du souvenir, adverbes ne ...plus...).Référence à la ‘nouvelle Troie’. Le mode de l’alliance : jeu des pronoms (je + vous pour Pyrrhus ; rejet de l’association pour Andromaque), utilisation des liens logiques d’opposition, parataxe.

II. Une opposition politique.

A- Andromaque captive.Le mode de la déploration et de la plainte : lyrisme et pitié (Champ lexical, exclamatives, gradation).Andromaque enfermée dans son discours : questions rhétoriques, absence d’échange entre les personnages, de continuité thématique entre les répliques.

B- Le rapport de domination.Mélange de galanterie « eh Madame » (langage précieux) et d’ordres ; impératifs, menaces et ultimatum, rappel

3

Page 4: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

du statut et du pouvoir de Pyrrhus, importance fonction phatique du langage : tenter de renouer le dialogue...en vain ; points de suspension : parole d’Andromaque coupée, menace voilée mais ultime cf dernier mot de l’acte : « le sauver ».

C- Comparaison des deux femmes. Une comparaison ambiguë : une évocation stratégique de « l a rivale ». Hermione et l’engagement pour Pyrrhus (décision imposée : « on lui promit »), Pyrrhus joue sur l’inversion des statuts afin de fléchir Andromaque, jeu des pronoms. Andromaque reprend la comparaison et joue sur les conséquences de la guerre (reconnaissance vs vision d’horreur).

III. Une opposition morale.

A- L’appel à l’honneur et au sens du devoir.Discours d’Andromaque : référence à la ‘virtus’ (qualités du soldat, attitude chevaleresque) : une demande de protection et d’exil, demande qui s’adresse non à l’homme mais au roi. Champ lexical, jeu d’opposition entre sentiments (perçus comme une faiblesse, associés au lâche) et honneur (noblesse de l’attitude), questions rhétoriques.

B- L’aveuglement passionnel.Pyrrhus, un être tout entier dans la sphère des sentiments. Des répliques qui ne tiennent compte que du ton d’Andromaque et non du sens ; absence d’argumentation ou de raisonnement.Violence de ses sentiments (échelle des passions) un être dominé par ses passions (phrases exclamatives, interjections, métaphores, champ lexical de la souffrance et de la haine).

C- Le pathétique.Andromaque comme un nouveau bourreau, Pyrrhus en victime : mais Pyrrhus tout puissant (cf R. Barthes). Une situation sans solution : la confrontation révélatrice de la crise tragique.

Conclusion :Des personnages qui ne peuvent se comprendre : aveuglement passionnel pour Pyrrhus, fidélité inconditionnelle pour Andromaque. Une scène lyrique, pathétique et critique (fin de l’exposition = nœud de l’action).

RacineAndromaque

AActe II, scène 2

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-II-scene-2.html

La situation : La veuve d’Hector, Andromaque, est, avec son fils Astyanax, prisonnière à la cour de Pyrrhus, roi d’Épire. Pyrrhus est fiancé depuis l’enfance à Hermione, fille de Ménélas, roi de Sparte.Cependant, il aime Andromaque, sa captive, mais son amour est toujours repoussé.Oreste, fils d’Agamemnon, s’est fait désigner par les Grecs comme ambassadeur pour réclamer Astyanax à Pyrrhus afin de le mettre à mort. En réalité, cette ambassade n’est qu’un prétexte pour venir tenter une dernière fois sa chance auprès d’Hermione dont il est épris. Il vient plus pour emmener sa princesse que pour s’emparer de l’enfant. Selon son vœu secret, son ambassade échoue : Pyrrhus refuse de livrer l’enfant. En fait, la démarche d’Oreste va permettre à Pyrrhus d’exercer un affreux chantage sur Andromaque : si elle accepte de l’épouser, il sauvera l’enfant ; si elle refuse, il le livrera aux Grecs.Hermione, délaissée, désemparée, accepte de revoir Oreste. Ce dernier lui apprend que Pyrrhus refuse de lui remettre l’enfant. Elle charge alors Oreste de présenter un ultimatum au roi : que celui-ci choisisse entre elle et sa captive. S’il choisit Andromaque, Hermione suivra Oreste.

Explication :Hermione pose ici ses premières banderilles de manière à placer Oreste à sa merci.Informée de la trahison de Pyrrhus, Hermione essaye de faire d’Oreste son allié, en lui laissant entendre qu’elle pourrait peut-être l’aimer (Vous... que je voudrais aimer). Oreste a très bien compris : elle lui offre son estime, mais non son amour.On sent Hermione agacée par les plaintes de son soupirant, mais elle est contrainte de le ménager car elle a besoin de lui pour obliger Pyrrhus, par le chantage à la guerre, d’oublier Andromaque ou pour se venger de lui s’il refuse de tenir ses promesses.Cet agacement va devenir indignation après l’insinuation insultante d’Oreste : Son âme ailleurs éprise.... Sa jalousie, sa colère et sa douleur éclatent au grand jour : Qui vous l’a dit, Seigneur, qu’il me méprise ?

4

Page 5: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

De même, lorsqu’Oreste lui propose de partir avec lui pour inciter les Grecs à déclarer la guerre à Pyrrhus, là encore la jalousie perce : Mais... s’il épouse Andromaque. Cette réplique n’est qu’un prétexte qui va en entraîner deux autres : le patriotisme, d’abord (Si d’une Phrygienne il devenait l’époux), l’obéissance filiale, ensuite (C’est Ménélas qui lui ordonne de rester).On sent Hermione partagée entre trois sentiments : la peur de perdre définitivement Pyrrhus et l’espoir de le reconquérir, et d’autre part la colère contre Oreste qui maladroitement vient de l’humilier.Assez hautaine et méprisante au début de la scène, humiliée ensuite, Hermione résiste à la tentation de congédier l’importun. Elle va même jusqu’à lui laisser entrevoir un certain espoir. En réalité, elle a besoin de lui, elle est déjà en train de le manoeuvrer. La manipulation commence.

RacineAndromaque

AActe IV, scène 5

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-IV-scene-5.html

Lecture méthodique

Andromaque: Acte II, scène 4

I - La prise de parole :Dans cette courte scène de 21 vers (vivacité), Pyrrhus mène nettement le jeu :10 vers (Pyrrhus) + 2 vers (Oreste) + 8 vers (Pyrrhus) + 0,25 vers (Oreste) . Oreste ne prononce que deux vers auxquels s'ajoutent les deux mots de la fin.

Pyrrhus jubile. Il annonce sa décision en deux tirades, en dosant ses effets, la première de dix vers, la seconde de huit. Dans la première tirade, il livre Astyanax, dans la seconde, il épouse Hermione.La situation d'Oreste est celle d'un témoin de la décision, pas celle d'un interlocuteur. Et il va être mis face à l'évidente : il n'a aucun pouvoir.

II - La ruse de Pyrrhus dans la première tirade :a ) L'utilisation des pronoms personnels "Je" et "vous" :Observer comment le pronom personnel de première personne est en tête de vers, en début d'expression et en position dominante dans la tirade, qui s'achève cependant par une ouverture : "on", représentant "nous, mon peuple et moi" et surtout par "votre victime". Ainsi, Oreste est désigné comme responsable, voire comme assassin du petit enfant innocent.b) Cette tirade présente une argumentation simple : Vous m'avez convaincu, vous aviez raison !Le travail psychologique fait par Oreste a porté ses fruits, prétend Pyrrhus : Le champ lexical de la conviction est utilisé : "vos raisons", "je l'avoue", "comme vous", "je ne condamne plus", "légitime". En effet, vos arguments faisaient preuve de "puissance", de "force", d'"équité". Liste des valeurs chevaleresques auxquelles Pyrrhus avait failli manquer : la Grèce : alliés politiques (la patrie) , mon père : la famille , moi-même : l'honneur.Ces valeurs reprennent leurs droits. Pyrrhus retourne à la raison et livre Astyanax.

III - La réaction d'OresteOreste est surpris, mais il réagit rapidement. L'ambassadeur ne félicite pas le roi de se plier ainsi à la demande que lui-même avait faite... La contradiction entre ce qu'il a demandé et ce qu'il voulait en réalité (le refus de Pyrrhus) éclate ici. Mais il réagit avec ironie : Si le conseil est "prudent", c'est que Pyrrhus a eu raison d'avoir peur des menaces des Grecs. Et s'il est "rigoureux", c'est que l'esprit strict, sévère de Pyrrhus ne s'embarrasse pas de scrupules. Il sait et a toujours su être cruel.Le second vers est très ambigu : il renvoie l'accusation. Ce n'est pas ma victime, c'est votre rançon ! Le "sang d'un malheureux" montre Oreste comme plus sensible au malheur de l'enfant que Pyrrhus. Il s'agit d'un agneau, d'une victime qui expie pour les autres, d'un sacrifice au service d'une cause peut-être juste, "la paix", mais d'une cause que l'on "achèt[e]" au prix de la mort d'un innocent.

IV - L'estocade finale : la méchanceté de Pyrrhus.Oui, mais je veux, Seigneur, l'assurer davantage (1):D'une éternelle paix Hermione est le gage ;Je l'épouse (2). Il semblait qu'un spectacle si douxN'attendît en ces lieux qu'un témoin tel que vous (3). Pyrrhus pousse plus loin la cruauté (1). Il veut faire plier Oreste, le rabaisser, l'humilier totalement et lui porter le coup de grâce final. Il le fait grâce à Hermione (2). Son

5

Page 6: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

rival est à sa merci, et il ne se gène pas pour le faire souffrir (3).Le ton change :- rappel sec de son rang et de son rôle d'ambassadeur (4),- rappel des liens familiaux, qu'il faut maintenant distinguer des liens sentimentaux (5). Pyrrhus feint d'ignorer la passion d'Oreste pour sa cousine et s'adresse, soit-disant, au cousin, non à l'amoureux.- ordres (6) et obligation de les exécuter : trois impératifs enchaînés.- demande protocolaire en mariage (7) : C'est Oreste qui devra amener Hermione à Pyrrhus, en tant que proche parent et en tant que représentant de son père Ménélas (5).La double synecdoque :"son cœur" et "votre main" (7) éclate les personnages en morceaux, les déchire, sépare les sentiments amoureux d'Oreste de ses devoirs de prince et d'ambassadeur grec.Vous y représentez tous les Grecs et son père (4),Puisqu'en vous Ménélas voit revivre son frère (5).Voyez-la(6) donc. Allez (6). Dites-lui(6) que demainJ'attends, avec la paix, son cœur de votre main (7).

Conclusion :Après ces deux mots, Oreste quitte la scène. Evidemment, on est loin de la réponse intelligente. La surprise, la stupeur, la stupéfaction, la sidération... Bref ! Il ne lui reste plus qu'à s'en prendre à son destin, aux dieux qui lui en veulent depuis toujours (voir la légende concernant sa vie) et qui s'acharnent encore une fois sur lui. Il sait qu'il est maudit.Pyrrhus triomphe, surpris lui-même d'avoir fait son devoir. Dans la scène suivante il s'en vantera à son conseiller Phœnix, qui n'en revient pas non plus mais qui approuve, bien entendu. Pour une fois que Pyrrhus fait ce qu'il doit faire !

RacineAndromaque

AActe III, scène 3

TP

http://membres.lycos.fr/francaisaubac/docs/word/lem04_racine_andro_a3_s3_s6.doc

ANDROMAQUE, Acte III scène 3

Personnages en présence : HERMIONE et CLEONE

Quels sentiments ou émotions Hermione manifeste-t-elle dans cette scène ?

*Hermione est surprise : Oreste n’a pas réagi violemment quand elle lui a dit qu’elle tenait à son mariage avec Pyrrhus.Vers 833 : "Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste ? "*Hermione est fière de Pyrrhus, qui représente pour elle la grandeur et la force : c’est le fils d’Achille, et surtout c’est celui qui a fait gagner les Grecs.Vers 839 à 844 : " Tu crois que Pyrrhus craint ? Et que craint-il encor ? Des peuples qui dix ans ont fui devant Hector […]Et qu’on verrait encor, sans l’appui de [Pyrrhus]Redemander Hélène aux Troyens impunis ?*Hermione est exaltée, transportée par sa passion amoureuse.Vers 850 : " Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione ? "*Elle est aveuglée par l’amour, naïve, et est même prête à accorder à Pyrrhus des qualités qu’il est loin d’avoir.Vers 854 : " charmant, fidèle enfin : rien ne manque à sa gloire "*Hermione est heureuse. Cléone est même obligée de lui demander de cacher sa joie (vers 856) face à Andromaque en larmes.Vers 856 : " Dissimulez. Votre rivale en pleursVient à vos pieds […] apporter ses douleurs. "*Hermione est égoïste et se montre ici peu courageuse. Elle n’ose pas affronter les larmes d’une mère, qui va gâcher son plaisir et peut-être, lui demander son aide.Vers 857 et 858 : "… ne puis-je à ma joie abandonner mon âme ? / Sortons : que lui dirais-je ? ".

RacineAndromaque

6

Page 7: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

AActe III, scène 3

TP

http://membres.lycos.fr/francaisaubac/docs/word/lem04_racine_andro_a3_s3_s6.doc

ANDROMAQUE, Acte III scène 3

Personnages en présence : HERMIONE et CLEONE

Quels sentiments ou émotions Hermione manifeste-t-elle dans cette scène ?

*Hermione est surprise : Oreste n’a pas réagi violemment quand elle lui a dit qu’elle tenait à son mariage avec Pyrrhus.Vers 833 : "Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste ? "*Hermione est fière de Pyrrhus, qui représente pour elle la grandeur et la force : c’est le fils d’Achille, et surtout c’est celui qui a fait gagner les Grecs.Vers 839 à 844 : " Tu crois que Pyrrhus craint ? Et que craint-il encor ? Des peuples qui dix ans ont fui devant Hector […]Et qu’on verrait encor, sans l’appui de [Pyrrhus]Redemander Hélène aux Troyens impunis ?*Hermione est exaltée, transportée par sa passion amoureuse.Vers 850 : " Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione ? "*Elle est aveuglée par l’amour, naïve, et est même prête à accorder à Pyrrhus des qualités qu’il est loin d’avoir.Vers 854 : " charmant, fidèle enfin : rien ne manque à sa gloire "*Hermione est heureuse. Cléone est même obligée de lui demander de cacher sa joie (vers 856) face à Andromaque en larmes.Vers 856 : " Dissimulez. Votre rivale en pleursVient à vos pieds […] apporter ses douleurs. "*Hermione est égoïste et se montre ici peu courageuse. Elle n’ose pas affronter les larmes d’une mère, qui va gâcher son plaisir et peut-être, lui demander son aide.Vers 857 et 858 : "… ne puis-je à ma joie abandonner mon âme ? / Sortons : que lui dirais-je ? ".

RacineAndromaque

AActe III, scène 6

TP

http://membres.lycos.fr/francaisaubac/docs/word/lem04_racine_andro_a3_s3_s6.doc

ANDROMAQUE, Acte III scène 6Situation :Pyrrhus rencontre Andromaque pour la seconde fois. Leur première entrevue s’est mal déroulée : Pyrrhus, vexé d’avoir été violemment repoussé (Acte I scène 4) a décidé de livrer le petit Astyanax aux Grecs, et d’épouser Hermione. Il a fait part de sa décision à Oreste, l’ambassadeur, et cherche maintenant Hermione. Mais c’est une Andromaque en larmes qu’il trouve sur son chemin.Des répliques rapides, courtes, marquent le début de la scène. Les vers sont partagés par les interlocuteurs, et, pour une fois, Racine ajoute quelques didascalies (indications scéniques). Il est vrai que la mise en scène est particulière : Pyrrhus fait semblant de ne pas voir Andromaque et parle au gouverneur Phoenix, et Andromaque, de son côté, s’adresse à sa suivante, en tous cas jusqu’au vers 901. On peut remarquer l’abondance de points d’exclamation (14) et de points d’interrogation (10) dans cette scène. Peut-être donc une scène d’action… En tous cas, un rythme rapide, voire saccadé, au début, suivi de tirades plus amples.Vocabulaire :a) Champ lexical des yeux : mes yeux (v.892) pleurer (v.897) la vue (v.898) aveugle (v.908) mes yeux se sont ouverts (v.908) j’ai vu (v.928) repris en anaphore au vers 929.b) Champ lexical de l’obstination : silence obstiné (v.895), mort résolue (v.897), orgueil (v.899),irriter(v.899), toucher votre pitié (v.905), sans espoir de pardon (v.905), ma parole est donnée(v.906), reste de fierté (v.914), n’aurait jamais (v.916), non(v.917).

Explication :Un jeu de regard dans le début de la scène (les deux personnages se croisent, se toisent, s’ignorent) et parlent aux rôles secondaires. Puis Andromaque cède et implore Pyrrhus : qu’il la tue, elle… Elle s’abaisse même et

7

Page 8: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Pyrrhus, enfin, la regarde de haut, suppliante, à ses pieds. Son triomphe est tel qu’il jubile et la nargue. Mais c’était une feinte d’Andromaque, suivant en cela les conseils de Céphise. Pyrrhus réagit mal, car il ne fait pas confiance à Andromaque, et elle est obligée de s’adresser à nouveau à Céphise. Finalement, son plaidoyer fait son effet : Pyrrhus demande à rester seul avec elle.

RacineAndromaque

AActe III, scène 7

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-III-scene-7.html

L’action d’Andromaque est inspirée des récits de la guerre de Troie. Après la chute de Troie, le Grec Pyrrhus a emmené comme captive Andromaque, la veuve du chef troyen Hector que son père, Achille, a tué au combat. Bien qu’il soit fiancé avec Hermione, une princesse grecque, Pyrrhus aime Andromaque et voudrait se faire aimer d’elle. Mais la fidélité d’Andromaque au souvenir de son mari, et les rancœurs d’un peuple vaincu envers son oppresseur les séparent : Andromaque repousse Pyrrhus. Celui-ci se fait alors de plus en plus menaçant : si Andromaque refuse de l’épouser, il livrera à la vengeance des grecs le fils qui lui reste d’Hector, le petit Astyanax.

Lecture méthodique

I - L’apostrophe : " Madame "

· Quatre fois dans le texte (1, 6, 21,30)· Respect pour une " esclave, prisonnière "· Amour et déférence· Contact (fonction phatique du langage = Rester en communication, attirer l’attention)

II - La première personne : " je "

· Souvent en début de vers, et même en anaphore : Personnage qui agit· Extrêmement présent dans le texte : égocentrique (au moins 25 occurrences)· Souvent suivi de " vous " : une tirade qui s’adresse à Andromaque et montre le pouvoir que le sujet " je " a sur le complément d’objet " vous "· Associé à " moi " : qui montre les sentiments personnels (amour, sympathie, compassion, émotion)· Deux fois remplacé par " nous " : (vers 10 et 14) le personnage rêve de pouvoir associer les deux noms, les deux vies, par le mariage.

III - Les autres personnes :

· L’enfant, Astyanax, est " ce fils " (vers 1 et vers 28) : distance par rapport à Pyrrhus : ce n’est pas et ce ne sera jamais son enfant.· " sa vie " vers 12, " en sa faveur " vers 13, " sauvez-le " vers 14 : la troisième personne ici marque l’enjeu de la négociation. Pyrrhus semble plaider en faveur de cet enfant, et il rend en même temps Andromaque responsable, s’il son fils est tué par Pyrrhus. " vous couronner, Madame, ou le perdre " vers 30.· Hermione : la fiancée délaissée. Nommée puis décrite par le tort que Pyrrhus va lui faire par amour pour Andromaque : il est prêt à rompre les liens politiques (alliance avec les grecs) et les liens matrimoniaux (" son hymen " vers 19)

Conclusion :

Les pronoms personnels et adjectifs possessifs ou démonstratifs illustrent bien ici le talent de négociateur de Pyrrhus. Ses arguments sont à double tranchant, et la menace suspendue sur la tête du fils d’Andromaque est maintenant clairement présentée : c’est elle qui a le choix de la vie ou de la mort de son fils.Que fera-t-elle ?

RacineAndromaque

AActe III, scène 8

TP

8

Page 9: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-III-scene-8.html

1. Situation du texte

Comme plus tard Iphigénie, les premiers spectateurs d’Andromaque apprécièrent l’efficacité pathétique de cette pièce, son pouvoir de faire couler les larmes. C’est qu’en effet, le chant funèbre, les lamentations de l’héroïne éponyme y constituent un attrait aussi marquant que la fureur finale d’Oreste. Ces deux tonalités contrastées habillent d’une aura tragique la chaîne amoureuse (Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime Hector - qui est mort), inspirée des pastorales contemporaines, ces romans d’amour entre bergers et bergères, qui imprègnent l’imaginaire sentimental de l’époque.

Pendant plus de deux actes, le sort du petit Astyanax et le devenir d’Andromaque semblent totalement dépendre des caprices du sauvage Pyrrhus : Racine ne s’écarte pas de la figure légendaire du prince cruel et instable, dont les décisions autoritaires s’inversent au gré de son humeur. Mais continuer ainsi serait ôter tout rôle tragique à son Andromaque ; la dernière scène de l’acte III est donc l’occasion de recentrer le conflit tragique sur sa personne, de la rendre maîtresse d’un impossible choix, de lui faire trancher une douloureuse alternative.

2. La plainte funèbre d’Andromaque

Au premier acte (scène 4), le spectateur a découvert Andromaque dans une disposition d’esprit intraitable, voire ironique (v. 270-272), et développant un discours habile, méthodique, pour exposer sa résolution de mourir elle-même et de voir mourir son fils, plutôt que de céder aux avances de Pyrrhus.

L’acte III la lui montre très différente, parce qu’on croit alors la mort d’Astyanax imminente : scène 6, Andromaque s’humilie d’abord aux pieds de Pyrrhus (v. 915-916), le suppliant de sauver son fils, et scène 8, elle se laisse miner par des souvenirs hallucinatoires, sa volonté brisée, prononçant un discours envahi par des voix étrangères et butant sur des questions insolubles.

Dans la première tirade, l’évocation poétique de la chute de Troie n’est pas seulement pour Racine un moyen de rivaliser avec le genre épique de l’Antiquité, elle sert d’explication à la force de résistance d’Andromaque, contre l’espèce de harcèlement que lui fait subir Pyrrhus : le traumatisme a imprimé en elle de telles images d’horreur, qu’une carapace émotionnelle lui évite les troubles du présent - elle vit enfermée dans ce passé troyen, le passé de son couple, de son peuple. Au moyen de plusieurs anaphores (« Songe » x 4, « Voilà » x 2), et d’impératifs de renforcement (« Figure-toi » v. 3, « Peins-toi » v. 9), Racine donne à voir, par une terrifiante hypotypose, le carnage des Grecs dans Troie défaite, et la sauvagerie de Pyrrhus en particulier, selon le strict point de vue d’Andromaque. Elle nous rend perceptible cette couleur rouge de l’incendie et du sang, éclaboussant les victimes comme les bourreaux (v. 2-6, v. 8), et ce vacarme assourdissant du combat (v. 7 audacieux avec ses hémistiches symétriques). Ce spectacle en son et lumière qu’elle revit en le décrivant, lui permet de refuser de nouveau avec force (v. 13-15) de s’allier avec le responsable du génocide de son peuple   elle préfère ainsi condamner son enfant à mourir.

Dans sa seconde réplique, une autre vague de souvenirs décide de l’arrangement du discours : elle regarde Astyanax comme un substitut de son époux disparu, comme « l’image d’Hector » (v. 20), et sa fidélité conjugale apparaît comme le fondement de ses sentiments maternels. Racine reprend ici la hiérarchie émotionnelle de l’Iliade  : l’enfant n’ayant pas la parole, il ne peut exprimer sa douleur, ses craintes, dans cette fameuse scène des adieux entre Hector et Andromaque chez Homère (chant VI), scène que le dramaturge réécrit en mode halluciné. L’épouse, comme une devineresse habitée, fait parler à travers elle, en style direct, le défunt   c’est une forme de prosopopée plus aboutie encore que la simple invocation d’Hector, deux scènes plus tôt (« Pardonne, cher Hector, à ma crédulité... » v. 940-47). Après avoir ainsi fait revivre son mari l’espace d’un souvenir, une Andromaque plus lucide considère la seconde partie du dilemme (v. 31-40) : dans une série de questions rhétoriques, dont la réponse est évidemment négative, elle s’adresse à elle-même des reproches implicites, puis invoque Pyrrhus (v. 33-36) pour souligner l’innocence de son fils, enfin (v. 37-40), s’imagine parler directement à l’enfant, le rassurant virtuellement (v. 40) pour mieux s’interdire d’accepter sa mort - ce qui signifie qu’elle ira épouser Pyrrhus.

3. Le rôle catalyseur de sa confidente

Chacune des tirades aboutit donc à une décision opposée, et leur contradiction reparaît dans la fin de la scène, où les répliques entre Andromaque et sa suivante s’enchaînent plus vite, parfois même en stichomythies (v. 46-47, 51-52). Céphise a le don de rappeler que les événements suivent leur cours (v. 16, 46) ou de poser des

9

Page 10: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

questions brutales sur la marche à suivre (v. 42, 47, 51) : froidement, comme extérieure à la douleur d’Andromaque, elle incarne en quelque sorte le sablier tragique, pressant toujours sa maîtresse d’agir tout en soulignant les implications intolérables de chaque aspect de l’alternative - la princesse troyenne sera toujours infidèle à elle-même, quoi qu’elle fasse : à son peuple si elle épouse Pyrrhus, à son seul amour si elle laisse mourir son enfant.

En rappelant, à chaque pause du chant monologué, les éléments escamotés par le héros dans sa présentation du conflit, le confident joue le rôle d’un révélateur, d’un accoucheur de lucidité, et accélère le processus d’aveu ou de décision (cf. les aveux de Phèdre à Œnone, conclus par ce vers à deux voix : « Hippolyte ! Grands dieux ! - C’est toi qui l’as nommé ! » v. 264, Phèdre, acte I, sc. 3). Dans le cas d’Andromaque, hantée par des souvenirs indélébiles, c’est grâce à Céphise qu’elle mesure sa double chaîne morale : le spectateur naïf qui croit qu’elle temporise une dernière fois en voulant méditer sur le tombeau d’Hector (v. 52), comprendra dès la scène 1 de l’acte IV que ce geste était déjà une décision - celle de rester en tout fidèle aux cendres de son mari, donc de protéger leur enfant en engageant Pyrrhus par le serment du mariage, et de se protéger elle-même d’un tel mariage en se suicidant dans l’heure.

RacineAndromaque

AActe IV

TP

http://membres.lycos.fr/francaisaubac/docs/html/lem09_andro_a4__correction_ctrl.htm

Andromaque, Acte IV

A - Versification - Figures de style :1. Vers 22 : Ton | coeur | im | pa | ti | ent | de | re | voir | ta | Troy | enne2. Vers 23 : Ne | souf | fre | qu'à | re | gret | qu'un | au | tre | t'en | tre | tienne.3. Vers 24 : Tu | lui | par | les | du | coeur, | tu | la | cher | ches | des | yeux.

Style :1. Synecdoque du coeur (v.22), siège des sentiments amoureux. Hermione considère Pyrrhus comme partagé entre sa présence corporelle auprès d'elle et son esprit (ses sentiments) auprès d'une autre femme. Figure habituelle chez les Précieux.2. Ellipse de « coeur » dans « un autre » (v.23) représentant Hermione et son amour. Cet autre coeur est personnifié et il parle (« t'entretienne »)3. Parallélisme de construction (v.24) avec anaphore reprenant ce champ lexical, et montrant l'agitation, l'impatience de Pyrrhus.

Dans ces trois vers, Hermione accuse Pyrrhus de ne pas être présent avec elle : ses sentiments sont pour une autre femme, qui occupe entièrement son esprit, son coeur. La jalousie d'Hermione se double du mépris qu'elle éprouve pour cet objet indigne d'un roi grec : une étrangère, une prisonnière ennemie, une simple esclave « ta Troyenne »...

Lecture méthodique du texte en trois étapes

I - Situation de la pièce et du passage :Cette pièce a été écrite en 1667, à l'époque classique, par Racine, poète dramatique rival de Corneille. Andromaque, tragédie racinienne, se déroule à la fin de la guerre de Troie. Pyrrhus, roi grec, est amoureux de sa prisonnière troyenne, Andromaque, et il a décidé de rompre ses fiançailles avec Hermione, princesse grecque. Dans cette tirade, Hermione lui en fait le reproche de façon violente.

II - Axe de lecture : un amour non partagéLa désignation de Pyrrhus par Hermione : Hermione passe du tutoiement au vouvoiement et revient en fin de

10

Page 11: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

tirade au tutoiement : les reproches, la soumission, la colère et la menace se succèdent dans cette désignation. En effet, Pyrrhus est d'abord « cruel » (1) car il joue avec les sentiments amoureux, puis accusé de « parjure » (7) car il a promis de l'épouser. Mais Hermione l'aime et ne reçoit rien en retour : « ingrat » (13), il ne voit pas toutes les humiliations qu'elle a subies pour lui. Dans cette première partie, elle utilise le tutoiement.

Ensuite, elle demande une faveur : son ton humble « Seigneur (14) et « Maître » sert alors à tenter de le fléchir. De plus, par respect, elle le vouvoie. Dans l'attitude distante de celui-ci, le mépris semble évident. Alors Hermione éclate. Elle revient brusquement au tutoiement : « Vous ne répondez point ? / Perfide [...] tu comptes les moments que tu perds avec moi ! »(21). Cet épithète (perfide) marque la colère d'Hermione consternée du double jeu de celui qu'elle aime. Prise d'une fureur froide, elle finit par menacer celui qu'elle appelait « Maître » quelques instants avant. Cette fois, elle parle d'elle à la troisième personne, devenant une menace pour lui (« crains encor d'y trouver Hermione » au vers 31)

La violence de la passion : La passion, d'abord, s'exprime dans une déclaration d'amour très claire, voire impudique (vers 1, 10 ou 13). Hermione s'abaisse et se présente comme capable de tout accepter de la part de celui qu'elle aime, même son infidélité. Elle a honte (v.5) de son comportement qui manque de noblesse, mais elle n'y peut rien . Vers 13 :« Je doute encor si je ne t'aime pas »Tout ce qu'elle a subi et accepté se trouve réuni dans les treize premiers vers « aimé », « dédaigné », « mes bontés », « mon injure », « j'attendais », « j'ai cru », « je t'aimais inconstant », « même en ce moment ».

La ponctuation (exclamative et interrogative) exprime cette violence, marquée aussi par les anaphores (« Va ») et les verbes à l'impératif. Les questions rhétoriques (v.1 et 10), la colère (v. 10 ou 21), nous montrent bien une femme jalouse et hors d'elle.

La menace, enfin, vient achever cette tirade ou l'exaspération d'Hermione culmine, face à la froideur de celui qui la repousse avec dédain. Les Dieux seront ses alliés (v.28 : « Ces Dieux, ces justes Dieux n'auront pas oublié & ») car elle est dans son bon droit (v.29 : « Que les mêmes serments avec moi t'ont lié ») Ils n'accepteront pas ce parjure « au pied des autels » (v.30). Le dernier vers exprime bien le risque que prend alors Pyrrhus : Qu'y aura-t-il au pied de ces autels ? Hermione morte (elle menace peut-être de se suicider au vers 18) ou un assassin envoyé par elle (ce qu'elle fera) ?

La tonalité du passage : Lyrique, cette tirade décrit les sentiments d'Hermione prête à tout par amour. Le champ lexical de la passion s'y mêle à la synecdoque du coeur qui s'exprime ou qui s'absente vers l'être aimé. C'est une véritable déclaration d'amour.Élégiaque, elle présente une Hermione abattue, prête à accepter sa défaite et à mourir, soumise, résignée (v.16 : « achevez votre hymen, j'y consens ») et triste. Cet état d'esprit ne durera pas longtemps !

Le texte s'achève sur le ton épique : la suite d'impératifs, les anaphores violentes poussent Pyrrhus à précipiter son crime (son mariage sacrilège) et sa propre mort. Les termes employés expriment la grandeur : v.26,« la foi », 27, « majesté sacrée » des « Dieux », v.29, « serments ». La gradation finale rappelle l'appel aux armes de Don Diègue à Rodrigue (« Va, cours, vole et nous venge ! ») dans le Cid de Corneille. Ce rappel ironique montre bien l'attitude combative d'Hermione : inutile de traîner, s'il doit l'abandonner de toutes façons ! Elle ne laissera pas celui qu'elle aime à quelqu'un d'autre et elle saura s'en débarrasser...

III - Conclusion : La catharsis dans le théâtre classique.

Définition du terme. Correspondance entre le passage étudié et cette notion.

La catharsis est la « purgation des passions » par le spectacle de celles-ci et celui des conséquences que cette passion peut entraîner. La tragédie doit inspirer la terreur et la pitié du spectateur .Ce principe d'Aristote mène toutes la tragédie racinienne En voyant sur scène ces personnages livrés aux tourments de leur amour impossible ou fou, le spectateur sera purifié de ses propres passions, comme un sacrifice animal prendrait sur lui les péchés humains. Ici, le spectacle d'Hermione qui se rabaisse par amour toute princesse qu'elle est, et qui perd toute dignité face à celui qui la méprise, celui de Pyrrhus prêt à oublier son devoir et à risquer la mort ou la destitution par amour pour une esclave, la jalousie exacerbée d'Hermione, qui lui fera commanditer un crime, sont bien des exemples que l'on n'a guère envie d'imiter. Tout ici manque de grandeur d'âme, de noblesse.

RacineAndromaque

AActe IV, scène 5

TP

11

Page 12: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-IV-scene-5.html

Cette pièce a été écrite en 1667, à l’époque classique, par Racine, poète dramatique rival de Corneille. Andromaque, tragédie racinienne, se déroule à la fin de la guerre de Troie. Pyrrhus, roi grec, est amoureux de sa prisonnière troyenne, Andromaque, et il a décidé de rompre ses fiançailles avec Hermione, princesse grecque. Dans cette tirade, Hermione lui en fait le reproche de façon violente.

ETUDE :* La désignation de Pyrrhus par Hermione : Hermione passe du tutoiement au vouvoiement et revient en fin de tirade au tutoiement  : les reproches, la soumission, la colère et la menace se succèdent dans cette désignation. En effet, Pyrrhus est d’abord " cruel " (1) car il joue avec les sentiments amoureux, puis accusé de " parjure " (7) car il a promis de l’épouser. Mais Hermione l’aime et ne reçoit rien en retour : " ingrat " (13), il ne voit pas toutes les humiliations qu’elle a subies pour lui. Dans cette première partie, elle utilise le tutoiement.* Ensuite, elle demande une faveur : son ton humble " Seigneur (14) et " Maître " sert alors à tenter de le fléchir. De plus, par respect, elle le vouvoie. Dans l’attitude distante de celui-ci, le mépris semble évident. Alors Hermione éclate. Elle revient brusquement au tutoiement : " Vous ne répondez point ? / Perfide [...] tu comptes les moments que tu perds avec moi ! "(21). Cet épithète (" perfide ") marque la colère d’Hermione consternée du double jeu de celui qu’elle aime. Prise d’une fureur froide, elle finit par menacer celui qu’elle appelait " Maître " quelques instants avant. Cette fois, elle parle d’elle à la troisième personne, devenant une menace pour lui (" crains encor d’y trouver Hermione " au vers 31)* La violence de la passion : La passion, d’abord, s’exprime dans une déclaration d’amour très claire, voire impudique (vers 1, 10 ou 13). Hermione s’abaisse et se présente comme capable de tout accepter de la part de celui qu’elle aime, même son infidélité. Elle a honte (v.5) de son comportement qui manque de noblesse, mais elle n’y peut rien . Vers 13 :" Je doute encor si je ne t’aime pas "Tout ce qu’elle a subi et accepté se trouve réuni dans les treize premiers vers " aimé ", " dédaigné ", " mes bontés ", " mon injure ", " j’attendais ", " j’ai cru ", " je t’aimais inconstant ", " même en ce moment ".* La ponctuation (exclamative et interrogative) exprime cette violence, marquée aussi par les anaphores (" Va ") et les verbes à l’impératif. Les questions rhétoriques (v.1 et 10), la colère (v. 10 ou 21), nous montrent bien une femme jalouse et hors d’elle.* La menace, enfin, vient achever cette tirade ou l’exaspération d’Hermione culmine, face à la froideur de celui qui la repousse avec dédain. Les Dieux seront ses alliés (v.28 : " Ces Dieux, ces justes Dieux n’auront pas oublié & ") car elle est dans son bon droit (v.29 : " Que les mêmes serments avec moi t’ont lié ") Ils n’accepteront pas ce parjure " au pied des autels " (v.30). Le dernier vers exprime bien le risque que prend alors Pyrrhus : Qu’y aura-t-il au pied de ces autels ? Hermione morte (elle menace peut-être de se suicider au vers 18) ou un assassin envoyé par elle (ce qu’elle fera) ?

* La tonalité du passage :* Lyrique, cette tirade décrit les sentiments d’Hermione prête à tout par amour. Le champ lexical de la passion s’y mêle à la synecdoque du coeur qui s’exprime ou qui s’absente vers l’être aimé. C’est une véritable déclaration d’amour.* Élégiaque, elle présente une Hermione abattue, prête à accepter sa défaite et à mourir, soumise, résignée (v.16 : " achevez votre hymen, j’y consens ") et triste. Cet état d’esprit ne durera pas longtemps !

* Le texte s’achève sur le ton épique : la suite d’impératifs, les anaphores violentes poussent Pyrrhus à précipiter son crime (son mariage sacrilège) et sa propre mort. Les termes employés expriment la grandeur : v.26," la foi ", 27, " majesté sacrée " des " Dieux ", v.29, " serments ". La gradation finale rappelle l’appel aux armes de Don Diègue à Rodrigue (" Va, cours, vole et nous venge ! ") dans le Cid de Corneille. Ce rappel ironique montre bien l’attitude combative d’Hermione : inutile de traîner, s’il doit l’abandonner de toutes façons ! Elle ne laissera pas celui qu’elle aime à quelqu’un d’autre et elle saura s’en débarrasser...

Conclusion :

La catharsis dans le théâtre classique.

La catharsis est la " purgation des passions " par le spectacle de celles-ci et celui des conséquences que cette passion peut entraîner. La tragédie doit inspirer la terreur et la pitié du spectateur .Ce principe d’Aristote mène toutes la tragédie racinienne En voyant sur scène ces personnages livrés aux tourments de leur amour impossible ou fou, le spectateur sera purifié de ses propres passions, comme un sacrifice animal prendrait sur lui les péchés humains. Ici, le spectacle d’Hermione qui se rabaisse par amour toute princesse qu’elle est, et qui

12

Page 13: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

perd toute dignité face à celui qui la méprise, celui de Pyrrhus prêt à oublier son devoir et à risquer la mort ou la destitution par amour pour une esclave, la jalousie exacerbée d’Hermione, qui lui fera commanditer un crime, sont bien des exemples que l’on n’a guère envie d’imiter. Tout ici manque de grandeur d’âme, de noblesse.

RacineAndromaque

AActe V, scène 1

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-V-scene-1.html

Andromaque, acte V, scène 1

HermioneOù suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ?Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ?Le cruel ! de quel oeil il m’a congédiée :Sans pitié, sans douleur au moins étudiée !L’ai-je vu s’attendrir, se troubler un moment ?En ai-je pu tirer un seul gémissement ?Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,Semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes ?Et je le plains encore ! Et, pour comble d’ennui,Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui !Je tremble au seul penser du coup qui le menace !Et, prête à me venger, je lui fais déjà grâce !Non, ne révoquons point l’arrêt de mon courroux :Qu’il périsse ! aussi bien il ne vit plus pour nous.Le perfide triomphe et se rit de ma rage :Il pense voir en pleurs dissiper cet orage :Il croit que, toujours faible, et d’un cœur incertain,Je parerai d’un bras les coups de l’autre main.Il juge encor de moi par mes bontés passées.Triomphant dans le temple, il ne s’informe pasSi l’on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas.Il me laisse, l’ingrat, cet embarras funeste.Non, non, encore un coup, laissons agir Oreste.Qu’il meure, puisque enfin il a dû le prévoir,Et puisqu’il m’a forcée enfin à le vouloir...À le vouloir ? Eh quoi ! c’est donc moi qui l’ordonne ?Sa mort sera l’effet de l’amour d’Hermione ?Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefoisAvec tant de plaisir redire les exploits,À qui même en secret je m’étais destinéeAvant qu’on eût conclu ce fatal hyménée ;Je n’ai donc traversé tant de mers, tant d’États,Que pour venir si loin préparer son trépas,L’assassiner, le perdre ? Ah ! devant qu’il expire...

 

Pistes d’analyse de ce passageRepères mythologiques  : Andromaque, femme d’Hector. Guerre de Troie : mort d’Hector. les Grecs décident de mettre à mort Astyanax, fils d’Andromaque, qui est aimée de Pyrrhus et prisonnière de guerre. D’où chantage : si elle l’épouse, son fils sera sauvé. Hermione, fille de Ménélas, aime Pyrrhus (fils d’Achille et dont l’autre nom est Néoptolème). Oreste était le fiancé d’Hermione depuis l’enfance. Hermione demande à Oreste d’exécuter Pyrrhus pour ne pas le voir épouser Andromaque.

13

Page 14: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

 Situation de la scène  : dernier acte. Solitude d’Hermione pendant que se célèbre le mariage Pyrrhus et Andromaque.Fil conducteur : monologue classique : exaltation des sentiments ; mais construction très rigoureuse.

I). L’exaltation des sentiments.1. contradictions intérieures : vers 4 ou 14. Des contradictions qui portent sur le présent et non sur le passé : indifférence de Pyrrhus qui s’oppose à l’amour durable d’Hermione. dialogue intérieur : questions ; puis : "non !" d’où trouble Dédoublement de la personne : "mon coeur", "le chagrin" ; "Hermione".

2. la passion pour Pyrrhus.

son amour : actuellement aveuglé par la haine. Retient surtout la cruauté de Pyrrhus devant ses propres larmes ; puis l’amour la submerge à nouveau : son désir de vengeance s’estompe.

 II) la rigueur de la constructionétude psychologique : 14 vers centrés sur sa douleur ; 14 sur le triomphe de Pyrrhus ; 9 sur son amour.

1. rythme : haletant ; beaucoup de "me" et "je". champ lexical de la douleur ; allitérations en q.

2. vers sur Pyrrhus : ce sont des affirmations : elle contrôle le système de pensée de Pyrrhus !

3. triomphe de l’amour : la jalousie n’aveugle plus Hermione : changement de vocabulaire et de rythme : phrase longue ; le souvenir fait tomber la colère. Redoute la mort : d’où rythme à nouveau haletant à l’extrême fin ; en suspens au dernier vers : c’est le rythme haletant qui l’emporte.

 

Conclusion  : un personnage damné, un peu comme Phèdre, mais elle est très jeune ; se suicide à la fin. Victime de la fatalité qui pèse sur la maison d’Agamemnon.

RacineAndromaque

AActe V, scène 5

TP

http://www.biblioweb.org/Andromaque-acte-V-scene-5.html

I) La fuite :

A. Il n’y a aucune autre issue : ni le combat, inégal, ni le sacrifice, inutile. Pylade, roi et conseiller, cherche à sauver son ami Oreste.Il lui propose la solution de la dernière chance. Acte I, scène 1, il était là pour accueillir Oreste. Acte V, scène 5, il est là pour le sauver. Cette reprise des mêmes personnages confirme le statut d’épilogue : retour au point de départ, la boucle est bouclée. Le dramaturge remet sur scène ces personnages afin de signifier la fin.

B. C’est le dernier espoir :

1. Les dangers sont nombreux : v.4 « tout le peuple assemblé » (périphrase destinée à impressionner) ; v.6 « nous comme ennemis » : leur position sociale a changé ;v.3 « nos Grecs pour un moment... » : ils ont encore des alliés, mais cela ne va pas durer.2.Il est urgent de s’enfuir. Ch. lex. du temps (« pour un moment », 3, « n’attendons pas », 11, « Hermione tient encore le peuple autour d’elle », 13, « Amis, le temps nous presse »,66)Le délai est donc du au spectacle du suicide d’Hermione. Le peuple hostile va bientôt reprendre sa chasse.

II) La mort :

Elle est très présente dans ce passage. On la retrouve dans :

1. Les deux récits successifs de Pylade à Oreste. Le premier ayant ici la double fonction de narrateur et de confident dévoile au spectateur en même temps qu’à son ami ce qui s’est déroulé en dehors de la scène. De

14

Page 15: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

cette façon la bienséance est respectée : pas d’action violente, pas de sang sur scène.Il ne faut pas choquer. (De même l’unité de lieu ne souffre pas. Le temple et le palais restent deux lieux distincts :

  Le temple est ouvert, extérieur, politique, populaire. C’est le lieu de l’action invisible, juste évoquée.

  Le palais est fermé, royal, calme. C’est le lieu des passions intérieures, de la réflexion.)

2. La crainte d’être assassiné : par un euphémisme, v.2, Pylade évoque le risque de mort « n’en sortir jamais ». Il ne doit pas montrer de lâcheté, mais il a peur... Le champ lexical de la violence [« défendent la porte » 3 , « main forte » 4, « ennemis » 5, « on le venge » 9, « venger » 10 , « sûreté » 14] montre qu’il ne s’agit pas d’une simple arrestation puis d’un jugement qui attend ces régicides. Ils mourront si le peuple, les soldants les attrapent. La violence sera aussi celle que l’on s’inflige soi-même, parce que l’on souffre trop. Hermione, v.32, va « se frapper et tomber ». Oreste veut, dans un geste de démence, s’arracher le coeur et le porter à celle qui l’a fait souffrir (v.65).

3. Le ch. lex. de la mort, constant, du début à la fin du texte : l.20, 21 (deux fois), 22, 28 « trépas », 31 « poignard », 32 « se frapper et tomber », 40 « je meurs content », 43 « en mourant », la périphrase 45 « épaisse nuit » ou 61 « l’éternelle nuit »

4. le ch. lex. de l’horreur, qui dépeint une vison apocalyptique : trois fois le mot « sang » dont une fois dans l’hyperbole « ruisseaux de sang » (28,42,48), « poignard », la litote qui atténue l’insoutenable : 29 « cet objet » (le corps de Pyrrhus transpercé et couvert de sang), 52 « percé de tant de coups », 58 « filles d’enfer », 57 « démons » et « serpents », 64 « déchirer » et 65 « mon cœur à dévorer ». On peut ajouter à ces termes les connotations morbides des couleurs rouge et noire qui obsèdent Oreste dans son hallucination.

III) La folie :

Au comportement logique de Pylade s’oppose celui d’Oreste, irrationnel et désespéré, souhaitant la mort, hurlant des imprécations aux Dieux, provoquant la mort. C’est sa punition, mais pour quelle faute ? En effet, son tort est d’être « follement » amoureux. Il présente une démarche courageuse et suicidaire au début de la scène : v. 17 « J’ai fait le crime et je vais l’expier ». (Pourtant, ce n’est pas lui qui a directement tué Pyrrhus. Ce sont ses hommes. Il a avoué ne pas en avoir eu le courage. ) Apprenant la mort d’Hermione, il garde quelques instants de lucidité, lançant des imprécations au Ciel qui s’acharne sur lui et parlant avec ironie de son sort. Mais il parle déjà de lui au passé : vers 38 : « j’étais né pour servir d’exemple à ta colère ». Hermione est morte, il n’a plus d’avenir et pense encore plus au suicide (v.42) : « Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie / L’un et l’autre en mourant je les veux regarder. » Il n’aura pas l’occasion d’accomplir cet acte qui en ferait quelqu’un de responsable. Les Dieux peuvent aller encore plus loin dans la punition et vont le rendre fou. Il se voit alors, dans un décor sanguinolent, poursuivi par les « regards affreux » d’Hermione (v.56), par les serpent et les démons qui sont derrière elle (v.57), par les « Filles d’enfer » (59), (les Furies ou Erynies) tirant derrière elles un véhicule nautique certainement (« l’appareil ») destiné à l’emporter à tout jamais (v.60) sur le fleuve des Enfers. La fatalité, le « fatum » dispose ainsi de l’individu. Oreste sait qu’il n’est qu’un jouet entre les mains des Dieux. Il manifeste l’acceptation de ce rôle (l.38 : j’étais né pour servir d’exemple ») par l’ironie (v.34, « je te loue, ô Ciel », v.40 « je meurs content et mon sort est rempli », v. 41 « pour couronner ma joie ». Stupidité ? Provocation ? Il ne peut pas être plus mal traité, « modèle accompli » du malheur, comme il le dit lui-même. Mais il se dit peut-être qu’il l’a mérité. Il n’est pas insensible : au contraire, il souffre tant qu’il ne sent plus les coups. Cette folie, c’est certainement une façon (brutale et involontaire) d’échapper à sa douleur.Les manifestations de la folie d’Oreste : a) Ses sens sont brouillés (obscurité, rouge) ; vision (face à Pylade, il voit Pyrrhus, au vers 50, et le frappe enfin « Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé » )b) Son élocution se trouble : le récit hésite et bégaye (les serpents d’Hermione deviennent ceux des Furies). Dans l’écriture, Racine s’applique à produire des effets de style marqués : la ponctuation interrogative montre l’incompréhension, les points de suspension la stupéfaction et le doute. La suite de verbes au présent de l’indicatif nous permet de suivre « en direct » la progression de la folie.c) Oreste délire à haute voix et nous fait part de ses visions. Elles n’ont rien de réaliste, mais elles ne le suprennent même plus. Il se laisse emporter. Les impératifs de la fin « Venez (62)... Mais non, retirez-vous (63) » montre d’abord qu’il ne sait plus ce qu’il veut, ensuite qu’il est devenu une victime, qu’il n’est plus acteur de sa vie. Il parle même une fois de lui à la troisième personne (v. 62)La synecdoque qui achève sa tirade : « Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer » nous indique que pour lui, Hermione fait maintenant partie des Furies, ces divinités qui poursuivent les assassins.d) Son comportement, déjà agité, devient violent : « Tiens, tiens » fait presque partie des didascalies et les derniers mots de Pylade, parlant de son ami à la troisième personne, nous permettent de comprendre qu’il s’est évanoui et qu’il faut vite en profiter : « il perd le sentiment... Sauvons-le... reprenait sa rage avec ses sens ». Une fuite donc, mais surtout un personnage dégradé, dont il faut maintenant s’occuper comme d’un enfant.

Conclusion :

15

Page 16: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

La fonction cathartique de la tragédie (la catharsis correspond au fait de provoquer l’horreur et la pitié chez le spectateur afin de le purifier de ses mauvais penchants) est parfaitement remplie par cet épilogue qui contient le récit d’un meurtre, la description du corps sanglant, le récit précis d’un suicide, la vision d’un personnage qui maudit les Dieux et qui perd la raison...La scène de théâtre est ici le lieu de l’extrême où se rejoignent la passion et la folie, la gloire et la mort. Et Racine termine par cette pitié qui ne peut que nous saisir à la vue d’Oreste fou. Ce personnage n’était ni le méchant (Pyrrhus) ni le héros (Andromaque). Il a été emporté par une histoire plus grande que la sienne, jouet de la fatalité, comme nous pouvons tous l’être un jour. Mais il ne sort pas grandi de cette histoire qui se déroule au-dessus de sa tête. Il y perd au contraire sa dignité et son humanité. Il se trouve rabaissé au rang de « déchet » et évacué de la scène par ses camarades consternés. Si nous pouvions jusqu’alors nous comparer à lui, et même le trouver sympathique en amoureux sans cesse repoussé, l’identification du spectateur au personnage cesse brutalement.

Racine

Phèdre : Acte I, scène 1

Phèdre : Acte I, scène 3 V1 Phèdre : Acte I, scène 3 V2 Phèdre : Acte I, scène 3 V3 Phèdre : Acte I, scène 3 V4 Phèdre : Acte I, scène 3 V5Phèdre : Acte I, scène 3 V6

Phèdre : Acte I, scène 3

Phèdre : Acte II, scène 1 Phèdre : Acte II, scène 5 V1Phèdre : Acte II, scène 5 V2

Phèdre : Acte IV, scène 6 V1Phèdre : Acte IV, scène 6 V2

Phèdre : Acte V, scène 6

>><<

Iphigénie : Acte II, scène 1

>><<

RacinePhèdreActe I, scène 1

de HIPPOLYTE :Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée...../ (PHèdre) ... Tout m'afflige et me nuit, et conspire à me nuire

Ce passage se situe à l’ouverture de la pièce, et consiste paradoxalement en une sortie, ou un désir de fuite, dans le monde aventureux ou dans la mort. Au delà de la dimension strictement informative que doit avoir une scène d’exposition, on s’intéressera dans ce passage à ce qui nous paraît constituer les enjeux essentiels de Phèdre : le statut accordé à la parole, la qualité de la présence à soi-même, la position par rapport à la loi.Les personnages dans Phèdre, et Hippolyte au premier chef, sont essentiellement dépendants, soumis à la famille et à la pression de la généalogie, c’est ce que nous étudierons dans un premier temps. Cette pression détermine les personnes, et avec elles la qualité de la parole, sous le signe du détour et de l’atténuation. Enfin, le véritable enjeu de cette parole n’est autre que l’accès difficile, voire impossible à la vie et au bonheur.

I) La pression de la généalogieLes personnages en présence à l’ouverture de la pièce n’existent pas, à proprement parler, pour eux-mêmes : ils

16

Page 17: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

ne sont et ne se pensent les uns les autres qu’à travers leur parenté, fratrie ou ascendance.1) Hippolyte ou la parenté mortelleHippolyte n’a pas de statut autonome : ce qui détermine son action (le départ) et sa position amoureuse impossible (Aricie), c’est son père, qui constitue le véritable objet de l’échange avec Théramène.Il est le fils de Thésée et d’Antiope, sœur d’Hippolytè reine des Amazones. Cette parenté le place dans une situation impossible. Il est le descendant d’une femme dont il a hérité une surféminité qui ne saurait lui garantir le statut d’homme (le cœur si fier, si dédaigneux v. 67 ; l’implacable ennemi des amoureuses lois v. 59), et d’un père qui lui ferme symboliquement les portes de la virilité, à un double titre :- Thésée est un héros, émule d’Héraklès (cf. allusion à Alcide, autre nom d’Héraklès, au v. 78), un homme au dessus du commun des mortels, qui a assuré l’ordre et la loi dans toute le Grèce, triomphant des brigands (Périphétès d’Epidaure, Sinis à Corinthe, Procuste à Erinéos), imposant sa force (contre le roi Cercyon à Eleusis), triomphant du Minotaure (v. 80 à 82). Si Hippolyte veut partir comme il l’a annoncé à l’entrée de la pièce, c’est pour retrouver son père et se mettre en situation de faire ses preuves, de se trouver lui-même et d’accéder à son tour au statut de héros : vaincre des monstres lui aussi, et incidemment acquérir « le droit de faillir comme lui » 39-.- D’autre part, et peut être surtout, Thésée est un « homme à femmes », un séducteur, qui confirme et enferme Hippolyte dans ce que l’on est en droit d’appeler son refoulement : de la belle geste de Thésée, Hippolyte ne veut garder qu’une moitié, celle qui concerne la victoire sur les monstres et les brigands, et veut oblitérer, censurer la geste des amours, moins glorieuse, indigne selon lui (v. 83 à 94).

2) Phèdre et la parenté fatalePhèdre intervient d’emblée dans le discours d’Hippolyte à travers la célèbre périphrase jugée inepte par un personnage de La Recherche : "La fille de Minos et de Pasiphae" (v. 36). Une périphrase qui dit tout pourtant de Phèdre, et de l’intrigue qui va naître : Phèdre n’est évoquée par Hippolyte qu’à travers son ascendance, qui signe aussi sa contradiction :- Minos incarne la loi, il est une sorte de double de Thésée, héros civilisateur et législateur, et comme Thésée aussi, séducteur impénitent, même si Phèdre dans la suite de la pièce, (et à l’instar d’Hippolyte vis à vis de Thésée) ne voudra voir en lui qu’un père digne, le juge qui siège aux Enfers.- De sa mère Pasiphae, elle hérite d’une double contradiction : Pasiphae est fille du soleil, du côté de la vie et de l’affirmation de l’être, et Phèdre à l’ouverture de la pièce refuse la lumière, ne cherche la fréquentation que de l’ombre ("Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire" dit Théramène (v. 46) ; Mes yeux sont éblouis du jour que je revois v. 155). Surtout, Pasiphae apparaît plus monstrueuse encore que le Minotaure avec qui elle s’est accouplée (elle a choisi le monstre), et Phèdre reconnaît en elle-même sa fureur, et des pulsions incontrôlables.

3) Aricie et la parenté interditeLe farouche Hippolyte a élu parmi les femmes la femme interdite, "reste d’un sang fatal" (v. 51), celle que son père lui refuse par un obstacle éternel (v. 104). Si Hippolyte et Phèdre n’existent que dans leur ascendance, Aricie incarne la fratrie fautive : Hippolyte n’évoque pas la possibilité de lui donner un enfant mais de donner des neveux à ses frères... (v. 106). Les frères d’Aricie, ce sont les Pallantides, fils de Pallas, le demi frère d’Égée, qui avait aidé celui-ci à prendre le pouvoir à Athènes, puis avec qui il s’était querellé. Aricie la prisonnière incarne un enjeu de pouvoir, elle est la seule survivante des descendants de Pallas, la prétendante la plus légitime au trône si Thésée disparaît. Hippolyte en la choisissant prend l’option de la trahison, ou à tout le moins de la désobéissance (la témérité v. 112). Choix d’une autre famille, d’un autre destin, mais aussi choix impossible et stérile (D’une tige coupable il craint un rejeton v. 107 ; remarquable : la tige est du côté d’Aricie...).

II) Stratégies du détourLa pression de l’ascendance, dont nous venons de parler, peut être lue comme un détour de soi, et une impossibilité de s’assumer. La pièce s’ouvre sur une sortie, et même une double sortie de ceux qui vont constituer le nœud du drame : Hippolyte veut quitter Trézène pour retrouver son père, et Phèdre s’exiler de la vie. Cette démarche d’évitement est inscrite en creux dans tout le passage dont il donne la clé.1) La parole souffléeD’un point de vue dramatique, puisque c’est à une pièce de théâtre que nous sommes confrontés, on se doit d’insister sur l’extrême violence qui conduit sur la scène à nier autrui dans sa parole, à le faire taire : Théramène et Hippolyte occupent ici des positions strictement antinomiques, puisque l’un questionne, attend une réponse, ouvre l’autre à la parole (v. 8 ; v. 33 ; v. 47 ; v. 65), et l’autre au contraire l’interdit et la nie,- en invitant au silence et au retrait ("Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée" v.22), quand il est question du statut héroïque de Thésée, qu’Hippolyte veut univoque,- en reprenant la parole pour la dénier ("Ami, qu’oses-tu dire ?" v. 66), quand Théramène ose utiliser le verbe aimer,- en coupant court à l’échange ("Théramène, je pars, et vais chercher mon père" v. 138), quand Théramène prononce le nom d’Aricie,- ou encore, mais avec Phèdre cette fois, en l’évitant d’emblée ("Il suffit, je la laisse en ces lieux" v. 152).Ce refus de la parole, ou, pour parler net, ce refoulement généralisé de la part d’Hippolyte, intervient dans cette scène d’exposition comme une répétition générale du refoulement de la déclaration de Phèdre à la scène 5 de l’Acte II ("Dieux ! Qu’est-ce que j’entends ..."). On l’aura compris, derrière la négation d’autrui dans sa parole, il y a aussi et surtout, une négation de soi.

17

Page 18: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

2) Les détours du langagePhèdre est une tragédie de l’âge classique, et l’on ne saurait s’étonner d’y trouver des périphrases, ou d’autres figures de l’atténuation. Dans la mesure où nous avons parlé de refoulement, comment s’étonner que l’objet de ces atténuations soit l’amour, la sexualité, et pour finir, soi-même ? On peut ainsi faire le départ entre les périphrases que l’on dira "classiques", presque lexicalisées, et qui sont le fait de Théramène ("le joug que Thésée a subi tant de fois" v. 60, ou encore Vénus v. 61) et les périphrases ou les atténuations plus neuves, plus négatives aussi, qui attirent d’autant plus l’attention, et qui sont le fait d’Hippolyte : ainsi de l’indigne obstacle (v. 24), des faits moins glorieux (v. 83). D’autre part, Théramène joue de la palette expressive dans les deux sens, celui de l’atténuation, mais aussi celui de la mise en valeur, comme dans la gradation vous aimez, vous brûlez (v. 135).Mais aussi, Théramène et Hippolyte ne parlent pas de la même chose : l’un évoque la puissance d’un héros et l’amour glorieux, et l’autre, le désir sexuel inconvenant de son père. L’atténuation conduit même à oblitérer le mot "enfant" dans la bouche d’Hippolyte : Thésée défend de donner des neveux à ses frères (v. 106).Les personnages eux-mêmes sont désignés par des périphrases : Phèdre est "La fille de Minos et de Pasiphae" (v. 36), Thésée "ce héros intrépide / Consolant les mortels de l’absence d’Alcide" (v. 77- 78), et Hippolyte se met lui-même à distance en parlant de lui à la troisième personne (v. 49) comme c’est souvent le cas dans les moments de crise du théâtre racinien.

3) La méconnaissance et le malentenduLa position résolument biaisée d’Hippolyte le conduit inévitablement au malentendu et aux interprétations erronées :- Vis à vis de Phèdre, qui est celle qu’il devrait craindre, contre toutes les apparences de faiblesse et d’impuissance (v. 45 - 48). Phèdre à qui il ne veut pas montrer un visage odieux (v. 152).- Vis à vis de Thésée, père vénéré, attendu, recherché, et castrateur (cf. supra).- Vis à vis de lui-même : on pourrait dire d’Hippolyte qu’il est un personnage de Corneille égaré dans une pièce de Racine ; le langage de la gloire cornélienne lui sert à dissimuler son moi et son mal raciniens ; ainsi dans l’autoportrait qu’il fait de lui en jeune homme farouche : fier, dédaigneux, orgueil (v. 66 à 74). Hippolyte vit sur une image construite et rassurante de lui-même (Je me suis applaudi v. 72), qui lui assure la méconnaissance de lui-même, et lui interdit la vie.Hippolyte apparaît ainsi dès l’ouverture de la pièce comme essentiellement décalé, et comme une victime offerte : il recherche le père qui lui veut du mal, s’interdit l’amour et la femme qu’il aime, et voit une ennemie dans celle qui l’aime.

III) La vie évitée1) Hippolyte et la fuiteLa stratégie du détour et de l’évitement dans la parole trouve son exacte correspondance dans l’attitude d’Hippolyte, qui est celle de la fuite : c’est ainsi que s’ouvre la scène qui nous intéresse, et la pièce : Le dessein en est pris, je pars...Ce départ apparaît d’emblée surprenant, puisque ce que fuit Hippolyte, c’est l’aimable Trézène (v. 2). Hippolyte est hésitant, et à défaut d’une stratégie délibérée de fuite, on pourrait parler de faux fuyant : pour justifier sa fuite, il invoque tour à tour- Thésée (1ère intervention) qu’il veut retrouver à la fois en tant que père et incarnation de la Loi,- Phèdre (v. 34) en tant qu’ennemie et incarnation d’un danger politique, finalement récusée ("Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains" v. 48)- au profit d’Aricie, au moment même où intervient le discours du refoulement, et le rappel de la loi paternelle (v. 105 sq.).Au terme de ces détours ou de ces prétextes, Hippolyte revient à sa justification première : "Théramène, je pars, et vais chercher mon père" v. 138).

2) Phèdre et l’évanouissement de soiDans ce qui pourrait apparaître comme une compulsion de fuite, comment s’étonner encore qu’Hippolyte évite Phèdre elle-même 151- 2) ?Mais cet évitement est superfétatoire, puisque Phèdre s’éteint et s’absente d’elle-même. Hippolyte veut parcourir le monde en quête de son père ou de lui-même, sortir, quitter le plateau ; Phèdre fuit sur place, dans la mort et l’évanouissement : "Une femme mourante, et qui cherche à mourir" (v. 44) selon Théramène ; "La reine touche presque à son terme fatal" (v. 144)... "Elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache" (v. 146) dit Oenone ; enfin, Phèdre elle-même : "N’allons point plus avant... Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne" (v. 153- 4). On pourrait opposer le parti pris de passivité d’Hippolyte, à l’activité négative de Phèdre : quand Hippolyte évite, Phèdre écarte et rejette (v. 150 : écarter tout le monde) ; alors qu’ Hippolyte refoule, Phèdre cache (cf. v. 146 cité supra) ; Hippolyte souffre de la parole prononcée, Phèdre meurt de ne pouvoir dire.Les deux protagonistes de la pièce, ceux entre qui le drame va se nouer sont à proprement parler interdits de présence.

ConclusionAinsi, nous avons vu que, plus que le destin, c’est la généalogie qui constitue le moteur de l’action dans Phèdre, et la réponse que trouve Hippolyte à cette pression consiste dans une stratégie d’évitement et de fuite qui ne résistera pas au sursaut vital de Phèdre et à son accès à la parole. Le spectateur sait que Phèdre est une

18

Page 19: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

tragédie, et que la pièce dit qu’il est impossible et interdit d’être heureux. L’impossible et l’interdit, c’est ce qu’affirment ces premiers échanges de Phèdre : l’interdiction d’être un homme dans la foulée du père, l’impossibilité d’aimer la femme interdite par la famille, la forclusion de la parole amoureuse.

RacinePhèdreActe I, scène 3

Mon mal vient de plus loin. A peine (1) au fils d’Egée (2)Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,

Athènes me montra mon superbe ennemi.Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps et transir (3) et brûler ;

Je reconnus Vénus (4) et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit (5) tourments inévitablesPar des vœux assidus je crus les détourner :Je luis bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;

De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D’un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,J’adorais Hyppolite ; et le voyant sans cesse,

Même au pied des autels que je faisais fumer,J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. O comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pèreContre moi-même enfin j’osai me révolter :J’excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;Je pressai son exil, et mes cris éternelsL’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Oenone ; et depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence.

Notes :

1 Depuis peu.2 C’est-à-dire Thésée, son époux, et le père d’Hippolyte3 Être saisi de froid.4 L’action de Vénus.

1. Situation du texteLa pièce s’est ouverte sur la fuite d’Hippolyte : devant la jeune Aricie qui menace son inflexibilité et devant Phèdre, sa belle-mère, dont il redoute confusément les sentiments à son égard. La scène 3 révèle que l’amour de celle-ci est encore plus à craindre que sa haine.Le dialogue manifeste le rapport très intime qui unit Œnone à Phèdre dont elle a été la nourrice. Dans son insistance, Œnone se trouve néanmoins dotée d’un rôle qui va au-delà de celui de confidente : en faisant avouer à sa maîtresse son amour, elle est l’agent du destin et embraye la machine tragique.Dans sa tirade, Phèdre se rend coupable de faire éclater au grand jour non seulement une passion interdite mais également sa haine des dieux.

19

Page 20: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

2. Une scène d’aveuxOn remarquera l’intensité dramatique que confèrent au dialogue la ponctuation riche et variée, les interjections (« Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !), les apostrophes (« Rivage malheureux »), la tendance au superlatif (« la plus misérable ») et à l’hyperbole (« le comble des horreurs »).La vraisemblance de l’échange (le spectateur doit sentir la difficulté de l’aveu) est assurée par sa vivacité, proche de la stichomythie (dialogue dont chaque réplique ne contient qu’un vers). Dans les tragédies raciniennes, la parole a la valeur d’un acte : avouer un penchant coupable, c’est déjà commettre un crime, Phèdre veut y échapper par la mort (v. 4). À ce stade du dialogue, il reste peu de ressources à Phèdre pour retarder le moment de l’aveu : on constate, avec le chiasme lexical qui relie les vers 1-2 (« mortel » - « sang ») aux vers 3-4 (« sang » - « je péris ») que Phèdre veut clore la discussion. Ensuite, elle ménage le suspens en employant un futur immédiat (« Tu vas ouïr... ») et en désignant Hippolyte par le biais d’une périphrase (v. 8-9). Œnone pose des questions de plus en plus précises (voir la concision croissante de ses répliques). Phèdre ne fait qu’achever les vers qu’elle a commencés.L’enchaînement des répliques s’opère à chaque fois sur un mot d’Œnone que Phèdre répète et qualifie péjorativement (v. 2-3 : « votre sang » - « ce sang déplorable » ; v. 5-6 « aimez-vous » - De l’amour j’ai toutes les fureurs »). Au comble de l’impatience, Œnone interrompt même Phèdre (v. 8), et c’est à elle qu’il incombe de prononcer le nom d’Hippolyte. En forçant l’aveu de sa maîtresse, Œnone est l’agent de la fatalité : le processus tragique est lancé, comme l’indique l’expression de sa terreur et de sa pitié.

3. La fatalité de la passion

Phèdre, dans sa tirade, remonte aux origines de sa passion (ce qui permet à Racine de compléter la scène d’exposition). Son récit s’ouvre sur l’image fugace d’un bonheur conjugal (v. 15-17) aussitôt contrarié par sa rencontre bouleversante avec son beau-fils Hippolyte, rapportée au passé simple. Centrée sur la description de ses propres émotions (exaltation du moi typiquement tragique), Phèdre ne prend même pas la peine de justifier son coup de foudre par un portrait flatteur du jeune homme - à peine sent-on de l’admiration pour sa fierté dans le qualificatif « superbe » (v. 18-21). Elle raconte ses vains efforts pour surmonter sa passion obsédante (v. 22-36) et explique comment elle a cru trouver dans l’exil d’Hippolyte un repos illusoire (v. 37-46). Thésée a malgré lui accéléré la catastrophe en rapprochant sa femme de son fils : Phèdre n’a plus qu’à déplorer son état présent à la fin de la tirade (v. 47-52).La passion, dans le théâtre de Racine, est vécue comme une maladie (v. 29 « un incurable amour »), conformément à l’étymologie latine du mot (Passion < lat. passio = souffrance < patior = supporter, subir). On en lit les symptômes sur le corps : le trouble amoureux (« je tremble, je frissonne »), tout comme l’horreur sacrée (« tout mon sang dans mes veines se glace ») sont décrits comme une secousse physique.Le regard joue un rôle central dans la naissance de l’amour (on relèvera le champ lexical, abondant, de la vue). La passion au XVIIe siècle s’oppose à l’action, c’est une affection que subit l’âme. L’énergie dont elle dote sa victime ne peut être que destructrice (voir la métaphore du feu, v. 22). La force qu’exerce sur elle Hippolyte est presque surnaturelle, comme le suggère le lexique religieux qui lui est rattaché : v. 30 « J’adorais Hippolyte » ; v. 34 « ce dieu » ; v. 39 « l’ennemi dont j’étais idolâtre ». Et de fait, Phèdre voit dans son amour pour le jeune homme une malédiction de Vénus qui, surprise un jour dans son amour illégitime pour Mars par le Soleil, poursuit depuis de son ressentiment celui-ci et ses descendants, dont Pasiphaé et Phèdre, sa petite-fille. Phèdre a beau se sentir faible (sa passion aliène sa liberté) et coupable (la violence sacrilège qu’elle attribue à sa faute va au-delà de la peur de l’adultère), elle n’en est pas moins la victime des dieux, comme l’explique Racine dans sa Préface à la pièce : « Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle est engagée par sa destinée, et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous ses efforts pour la surmonter.Elle aime mieux se laisser mourir que la déclarer à personne. Et lorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté. » Phèdre se livrera par la suite à un deuxième aveu, plus hardi, à Hippolyte, et à un troisième, morbide et désespéré, à son époux Thésée.

RacinePhèdreActe I, scène 3http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-I-scene-3.html

Phèdre, acte I, scène 3Mon mal vient de plus loin. A peine (1) au fils d’Egée (2)Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,

Athènes me montra mon superbe ennemi.Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;

20

Page 21: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps et transir (3) et brûler ;

Je reconnus Vénus (4) et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit (5) tourments inévitablesPar des vœux assidus je crus les détourner :Je luis bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;

De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D’un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,J’adorais Hypolite ; et le voyant sans cesse,

Même au pied des autels que je faisais fumer,J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. O comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pèreContre moi-même enfin j’osai me révolter :J’excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;Je pressai son exil, et mes cris éternelsL’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Oenone ; et depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence.

Notes :

1 Depuis peu.2 C’est-à-dire Thésée, son époux, et le père d’Hippolyte3 Être saisi de froid.4 L’action de Vénus.

INTRODUCTION Phèdre (1677) dernière tragédie inspirée de l’Antiquité - sommet de sa gloire.• Thésée, époux de Phèdre et père d’Hippolyte, absent du royaume. Scène 3 1ère scène ou Phèdre apparaît. Elle veut mourir et sous les questions d’Oenone, sa confidente, elle finit par avouer la source de son mal : l’amour qu’elle voue à Hyppolite (lecture).• Tirade sous forme de récit lyrique où elle reconstitue les étapes de sa passion, c’est-à-dire la naissance de cet amour monstrueux et les tentatives pour y échapper.Comment l’expression de l’amour fait apparaître une violence tragique ?

I - Les manifestations de l’amourmanifestations paradoxales qui témoignent du désordre amoureux né du premier regard.A - Troubles physiques> marqués par l’oxymore, signe de la dépossession de soi.• couleurs du visage qui témoignent de l’intensité de l’amour : succession de couleurs oxymoriques  : " je rougis, je palis "-> assonance en i ; juxtaposition qui met en relief le passage d’une extrémité à l’autre, et la puissance du regard ; à la fois amour et signe de la honte (la rougeur)• aveuglement ->vers 275) : l’acte de voir par sa violence même produit la nuit en elle+ absence de respiration : vers 297 " Je respirais " -> oppression de l’amour• mutisme : vers 275juxtaposition de manifestations relevant de la perte des sensvers 276 : manifestation oxymorique : à la fois corps glacé et brûlant - insistance sur le paradoxe par répétition de " et "reprend l’oxymore initiale : rougis -> brûler (feu) = amourpalis -> transir (froid) = effroi• métaphore de la maladie : " mon mal " + " incurable amour"> Amour qui se manifeste d’emblée par des troubles physiques opposés, ce qui montre la scission de l’être entre sa volonté et l’expression du corps : absence de maîtrise de soi.

B - Troubles moraux

21

Page 22: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

• visibles déjà dans la rougeur du visage• mais surtout absence de la raison : " mon âme éperdue "= affolée -> absence de contrôle de soi : sujet " un trouble "intensité croissante par " s’éleva "• vers 282 : " ma raison égarée " -> tétramètre qui met en relief l’égarement par l’antithèse avec " cherchais " -> scission dans l’être

C - Idéalisation d’Hippolyte• paradoxe de l’ " ennemi " qui devient une idolevers 293 : antithèse ennemi/idolâtre (tétramètre)• passion qui relève d’une passion religieuse pour Dieu alors même qu’il s’agit d’un amour contre nature (cf Junie, idole pour Néron, idéalisation de Titus par Bérénice)• champ lexical de la religion qui fait fusionner l’amour pour Hippolyte aux vœux adressés à Vénus pour y échapper : vers 285-286 : " J’adorais Hippolyte " - vers 288 : " J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer "> idéalisation qui produit aussi une scission dans l’être visible dans la syntaxe : " que ma bouche implorait ..., j’adorais Hippolyte " : absence d’unité de l’être : opposition " ma bouche "/ " je ".Amour qui se manifeste par une série de paradoxes, témoignant de son intensité mais surtout aussi du " désordre subi par Phèdre : son amour la rend étrangère à elle-même

 II - La fatalité de l’amour Amour qui apparaît comme une force qui aliène Phèdre et qui paraît inexorable.A - Tentatives de fuite > échec des diverses tentatives qui paraissent d’autant plus fatales qu’elles sont intenses• recours à la religion pour contrer le sentiment hyperbole dans la peinture de ses actions pieuses : " vœux assidus " (v. 279), v. 281 : " à toute heure entourée"+ valeur des pluriels : vœux, victimes, les autels (v. 287 et 284)+ valeur de l’imparfait ->->aspect de répétition ici.multiplication des actions : bâtit un temple, l’orne, s’entoure de victimes, brûle l’encens• Autre moyen : éviter de le voirVers 289 + son influence sur Thésée : persévérance visible par la succession de passé simple : " J’excitai, j’affectai les chagrins, je pressai son exil " + idée de durée : " mes cris éternels ".> Multiplie les actions pour contrer son amour dans un récit qui, par ses hyperboles, accroît le sentiment de la fatalité car toutes sont vouées à l’échec.

B - Échecs• Inutilité de ces tentatives qui résonne douloureusement dans l’exclamation v. 283 par répétition d’adjectif au suffixe négatif : " in "• Chiasme : " D’un incurable amour remèdes impuissants " qui mime l’enfermement de Phèdre dans cet amour ( ?)• Accentué par la reprise vocalique des nasales : " En vain " en tête de vers• Simultanéité de l’action et de l’échec dans les vers 285-286• Reprise de la lamentation lyrique : échec mis en valeur par la juxtaposition des deux hémistiches évoquant l’action et son inutilité• + antithèse encore entre l’action et son échec aux vers 289-290 évitaient/retrouvaient• Imparfait de la fin du passage qui laisse prévoir l’échec renouvelé de cette dernière action.> Échec des diverses tentatives qui procède de la fatalité tragique exprimée à travers une lamentation lyrique et une série d’antithèses entre l’action et son inefficacité.

C - Une hérédité fatalePhèdre met au compte d’une filiation maudite l’échec de son appel à Vénus -> "Je reconnus Vénus " + " d’un sang qu’elle poursuit " référence à sa mère, Pasiphaë, qui s’unit à un taureau (union monstrueuse que lui évoque son amour incestueux pour le fils de son mari) + référence à Ariane, sa sœur, délaissée par Thésée (amour forcément malheureux).Sentiment de la fatalité liée traditionnellement au ressentiment divin : rime " feu redoutables/tourments inévitables " qui insiste sur la fatalité qui rend toute action pour contrer la volonté divine et la malédiction vaine.> Expression tragique de l’amour contre lequel toute tentative d’échapper au sentiment est vouée à l’échec.

 CONCLUSIONTirade où se lit la quintessence de l’amour selon Racine  : regard déterminant un coup de foudre, aliénation et dépossession de soi ; ces aspects qu’on retrouve dans Britannicus et dans Iphigénie sont portés ici à un degré de violence extrême en raison de la nature même de cet amour qui, par sa monstruosité, inscrit Phèdre dans une filiation maudite. Cette violence dans la peinture de l’amour laisse ainsi présager le bain de sang qui termine la pièce.

22

Page 23: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

RacinePhèdreActe I, scène 3

Mon mal vient de plus loin. A peine (1) au fils d’Egée (2)Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,

Athènes me montra mon superbe ennemi.Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps et transir (3) et brûler ;

Je reconnus Vénus (4) et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit (5) tourments inévitablesPar des vœux assidus je crus les détourner :Je luis bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;

De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D’un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l’encens :Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,J’adorais Hypolite ; et le voyant sans cesse,

Même au pied des autels que je faisais fumer,J’offrais tout à ce Dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. O comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pèreContre moi-même enfin j’osai me révolter :J’excitai mon courage à le persécuter.

Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;Je pressai son exil, et mes cris éternelsL’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Oenone ; et depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence.

Notes :

1 Depuis peu.2 C’est-à-dire Thésée, son époux, et le père d’Hippolyte3 Être saisi de froid.4 L’action de Vénus.

Introduction :La scène sera étudiée en entier pour prendre en compte son rythme en crescendo et la gestuelle de Phèdre, qui, d’immobile et de quasi muette, s’élance dans une longue tirade enflammée. Il s’agit de la grande scène du premier acte, l’acte d’exposition. Phèdre entre en scène après avoir été décrite comme mourante par Théramène (v.45 "Phèdre atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire" ) et par sa nourrice, Oenone (v.147 "Un désordre éternel règne dans son esprit" ). Cette entrée en scène est ainsi chargée de mystère. Il faut noter la particularité de cette exposition : on arrive à un moment de crise, le premier acte s’ouvre en effet sur un départ, Hippolyte veut partir à la recherche de son père, suite à une absence de six mois de Thésée. Phèdre apparaît exténuée, aux portes de la mort.La longue scène que nous analyserons est l’aveu de Phèdre à Oenone : elle lui confie les raisons de son mal. C’est un aveux difficile et douloureux, elle "accouche" d’une vérité qu’elle porte en elle et qu’elle ne peut plus cacher.Qu’est-ce qui fait l’originalité, la beauté et la force émotive de cet aveux ?

23

Page 24: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

I. Une entrée en scène spectaculaire :1. L’importance du geste et du corps :• Geste : La seule didascalie de la pièce au vers 157 : "elle s’assied". Dans les pièces classiques, tout reposait sur la parole. Le texte primait sur tout, alors qu’au XXème siècle, tout se joue sur le geste. La didascalie montre l’épuisement du personnage, que l’on a déjà annoncée comme mourante.• Corps : Phèdre décrit une série de symptômes : son corps est mourant. Allusion aux yeux (v.155), au vers 166 : refus de voir la lumière et au vers 184 :"Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs".C’est la puissance du corps contre laquelle on ne peut pas lutter et "pleurs" rime avec "douleur".Phèdre fait un début d’anorexie et d’insomnie.Au vers 182 : son corps trahit sa faute, par le biais de la rougeur.Dans la tirade finale, v.237 :"Je le vis, je rougis, je palis à sa vue".La passion est conforme à son étymologie (patior = souffrance)La maladie de Phèdre semble toucher à la fois son âme et son corps.

2. Une apparition pleine de mystère :a) Un personnage sous le signe de la contradiction :"Je sentis tout mon corps et transir et brûler" (v.276).Oenone devrait être la personne qui comprend le mieux Phèdre mais là, elle ne la comprend pas. La plupart de ses répliques finissent par une question.Série d’injection aux vers 265-266. "Quoi ? " est répété trois fois.b) Le champ lexical du crime :"crime" (v.219), "criminelle" (v.221), "coupable" (v.217), "condamnant" (v.163), "tue" (v.213), "victime" (v.281), "funeste" (v.245)Cette apparition est liée au non dit, à la censure : Hippolyte est le nom interdit (v.205). Ici, le corps de Phèdre se fait langage, il est plus explicite que son discours. Il l’a trahit et l’oblige à avouer son mal.

II. Une dramaturgie de la parole :Comme le dit Roland Barthes dans son essai consacré à Racine, Phèdre est "la tragédie de la parole enfermée". Si l’héroïne se tait, elle se laissera dépérir, si elle parle, elle cause sa mort. Face à ce dilemme, elle s’autorise à parler car il y a la rumeur de la mort de Thésée.1. L’importance du geste et du corps :a) L’expression est d’une extrême beauté :Le discours à quelque chose de très séduisant et de très musical : v.161 :"Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire". Assonance de " i " au quatrième pied (réparti aux 4èmes syllabes), c’est un rythme ternaire. Le verbe nuire est répété deux fois aux hémistiches. Apparition impressionnante de majesté.b) Des images qui sont aussi des symptômes de la maladie de Phèdre :• Soit elle n’arrive pas à parler, soit elle crie (v.176). Elle a des hallucinations visuelles, elle ne se maîtrise pas tout à fait.• La Déesse d’Hippolyte est Diane. C’est la Déesse de la chasse, de la foret. Phèdre veut aller dans la foret, être prêt d’Hippolyte.• Phèdre s’adresse à un interlocuteur mythique, au Soleil, à sa famille (v.169-170), qui montre que son discours est désorganisé.

2. La dynamique de la scène : entre silence et logorrhée :Une mécanique à deux personnes qui provoque l’éclosion finale du récit.a) Le mutisme, la difficulté à parler :L’échange ne cesse de piétiner (v.173-180) :seulement des questions des deux côtés. Au vers 247 : ponctuation expressive : une exclamation, deux interrogations. La pensée est dérangée. Du v.246 à 264, stichomythies qui révèlent une difficulté à parler, à faire des phrases complètes.v.261-262 : Phèdre s’interrompt à deux reprises. Figure de style : aposiopèse (interruption, réticences à parler (au théâtre)).b) La logorrhée finale :(Logorrhée : flot ininterrompu de paroles)Le prénom d’Hippolyte renverse le rythme de la parole : Phèdre se met à parler. Au mutisme suit un long récit de la passion amoureuse où elle raconte son amour pour Hippolyte. Elle déplace sa culpabilité sur sa lignée maudite.La parole qui est d’une extrême beauté et qui est aussi un symptôme et parole qui déclenche le processus tragique.

III. Une pièce à la construction paradoxale : l’histoire d’une mort annoncée1. Une scène circulaire :

24

Page 25: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

a) Structure de la scène :La scène commence par l’annonce de la mort de Phèdre et finit par le même thème :"Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne" (v.154), "Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler" (v.316).b) Fonction de cette scène, à quoi sert l’aveu ? :Mais cette scène n’est pas sans utilité, il s’agit de l’acte d’exposition. L’aveu a valeur d’explication pour le spectateur. Oenone lui sert de relais. C’est la double énonciation théâtrale. De plus, l’aveu soulage Phèdre (v.312).

2. Ce début est une fin :a) Thème :La mort est le thème prédominant de cet extrait : v.313 "ma mort". De plus le champ lexical de la maladie est très représenté. b) Retour du thème de la lumière :Vers 172 : "Soleil, je viens te voir pour la dernière fois".Ce thème est reprit aux vers 1643-1644, les dernières répliques de Phèdre.La pièce commence par des adieux au Soleil et finit de même. Cette structure rappelle une autre tragédie : Antigone, d’Anouilh.c) Originalité du texte :L’originalité ne réside pas dans les adieux mais dans le fait qu’elle se sacrifie. Elle est la victime.

3. Une nouvelle formule tragique :a) La tragédie est définie comme un geste suspendu pendant cinq actes.b) La tragédie est définie comme celle d’un caractère :Tout va se passer dans la conscience coupable de Phèdre et dans les incidents qui vont retarder le geste fatal.c) Le jeu sur la pitié et l’horreur qui sont les deux ressorts tragiques :Cette pièce est fidèle à Aristote : on passe bien de la pitié à l’horreur pour la catharsis.Horreur : "tu frémiras d’horreur" (v.238), "tu vas ouïr le comble des horreurs" (v.261)Pitié : Phèdre est présentée comme victime de sa généalogie. De plus, on a pitié de sa souffrance, de sa mort prochaine et de sa maladie.

ConclusionIl s’agit du premier aveu, et de l’aveu le plus important puisqu’il va enclencher la machine tragique. Cet aveu sera répété et trouvera son écho dans l’aveu d’Hippolyte à Aricie, en II, 2.Cette scène est frappante, impressionnante. L’expression amoureuses se poursuit : Aricie au début de l’acte II avoue son amour pour Hippolyte.Sur scène, la première apparition de Phèdre doit impressionner le spectateur. C’est en effet un morceau de choix pour une actrice de talent car le texte est chargé de poésie et l’alternance entre le mutisme et la logorrhée est particulièrement difficile à jouer. Cette scène a aussi une dimension programmatique en ce qui concerne l’action à venir : l’action apparaît surtout comme psychologique : Racine invente un tragique qui provient surtout des contradictions internes aux personnages. L’action est intérieure, d’où l’importance accordée à la parole.Le rôle de Phèdre a été commandé par La Champmeslé qui voulait un rôle difficile. Elle voulait un rôle "où toutes les passions furent exprimées".

RacinePhèdreActe I, scène 3

PHEDRE (1677)Phèdre: Acte I, scène 3

 

PHEDRE 

Mon mal vient de plus loin. A peine (1) au fils d'Egée (2)Sous les lois de l'hymen je m'étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi,Athènes me montra mon superbe ennemi.Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps et transir (3) et brûler ;Je reconnus Vénus (4) et ses feux redoutables,D'un sang qu'elle poursuit (5) tourments inévitablesPar des vœux assidus je crus les détourner :

25

Page 26: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Je luis bâtis un temple, et pris soin de l'orner ;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D'un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :Quand ma bouche implorait le nom de la Déesse,J'adorais Hyppolite ; et le voyant sans cesse,Même au pied des autels que je faisais fumer,J'offrais tout à ce Dieu que je n'osais nommer.Je l'évitais partout. O comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son pèreContre moi-même enfin j'osai me révolter :J'excitai mon courage à le persécuter.Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre,J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre ;Je pressai son exil, et mes cris éternelsL'arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Oenone ; et depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l'innocence.

Notes:

1 Depuis peu.2 C'est-à-dire Thésée, son époux, et le père d'Hippolyte3 Être saisi de froid.4 L'action de Vénus.

 

1/ Étudier le champ lexical de la religion.

2/ Étudier les manifestations de l'amour

3/ Repérer et interpréter un chiasme, un enjambement, une rime, un rythme particulier, une antithèse, une antéposition (inversion des éléments de la phrase par rapport à l'ordre des mots dans la phrase courante).

4/ Recherchez dans un dictionnaire qui sont Ariane, Pasiphaé et Phèdre.

C.C. PHEDRE : Scène 3, I vers 269 à 299 " innocence "

 

INTRODUCTION Phèdre (1677) dernière tragédie inspirée de l'Antiquité - sommet de sa gloire.• Thésée, époux de Phèdre et père d'Hippolyte, absent du royaume. Scène 3 1ère scène ou Phèdre apparaît. Elle veut mourir et sous les questions d'Oenone, sa confidente, elle finit par avouer la source de son mal : l'amour qu'elle voue à Hyppolite (lecture).• Tirade sous forme de récit lyrique où elle reconstitue les étapes de sa passion, c'est-à-dire la naissance de cet amour monstrueux et les tentatives pour y échapper.Comment l'expression de l'amour fait apparaître une violence tragique ?

 I - Les manifestations de l'amourmanifestations paradoxales qui témoignent du désordre amoureux né du premier regard.A - Troubles physiques-> marqués par l'oxymore, signe de la dépossession de soi.• couleurs du visage qui témoignent de l'intensité de l'amour : succession de couleurs oxymoriques : " je rougis, je palis "-> assonance en i ; juxtaposition qui met en relief le passage d'une extrémité à l'autre, et la puissance du regard ; à la fois amour et signe de la honte (la rougeur)• aveuglement ->vers 275) : l'acte de voir par sa violence même produit la nuit en elle+ absence de respiration : vers 297 " Je respirais " -> oppression de l'amour• mutisme : vers 275juxtaposition de manifestations relevant de la perte des sensvers 276 : manifestation oxymorique : à la fois corps glacé et brûlant - insistance sur le paradoxe par répétition de " et "reprend l'oxymore initiale : rougis -> brûler (feu) = amourpalis -> transir (froid) = effroi

26

Page 27: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

• métaphore de la maladie : " mon mal " + " incurable amour"-> Amour qui se manifeste d'emblée par des troubles physiques opposés, ce qui montre la scission de l'être entre sa volonté et l'expression du corps : absence de maîtrise de soi.

B - Troubles moraux • visibles déjà dans la rougeur du visage• mais surtout absence de la raison : " mon âme éperdue "= affolée -> absence de contrôle de soi : sujet " un trouble "intensité croissante par " s'éleva "• vers 282 : " ma raison égarée " -> tétramètre qui met en relief l'égarement par l'antithèse avec " cherchais " -> scission dans l'être

C - Idéalisation d'Hyppolyte• paradoxe de l' " ennemi " qui devient une idolevers 293 : antithèse ennemi/idolâtre (tétramètre)• passion qui relève d'une passion religieuse pour Dieu alors même qu'il s'agit d'un amour contre nature (cf Junie, idole pour Néron, idéalisation de Titus par Bérénice)• champ lexical de la religion qui fait fusionner l'amour pour Hyppolyte aux vœux adressés à Vénus pour y échapper : vers 285-286 : " J'adorais Hyppolyte " - vers 288 : " J'offrais tout à ce Dieu que je n'osais nommer "-> idéalisation qui produit aussi une scission dans l'être visible dans la syntaxe : " que ma bouche implorait …, j'adorais Hyppolyte ": absence d'unité de l'être : opposition " ma bouche "/ " je ".Amour qui se manifeste par une série de paradoxes, témoignant de son intensité mais surtout aussi du " désordre subi par Phèdre : son amour la rend étrangère à elle-même

 

II - La fatalité de l'amour Amour qui apparaît comme une force qui aliène Phèdre et qui paraît inexorable.A - Tentatives de fuite-> échec des diverses tentatives qui paraissent d'autant plus fatales qu'elles sont intenses• recours à la religion pour contrer le sentiment- hyperbole dans la peinture de ses actions pieuses : " vœux assidus " (v. 279), v. 281 : " à toute heure entourée "+ valeur des pluriels : vœux, victimes, les autels (v. 287 et 284)+ valeur de l'imparfait ->->aspect de répétition ici.- multiplication des actions : bâtit un temple, l'orne, s'entoure de victimes, brûle l'encens• Autre moyen : éviter de le voirVers 289 + son influence sur Thésée : persévérance visible par la succession de passé simple : " J'excitai, j'affectai les chagrins, je pressai son exil " + idée de durée : " mes cris éternels ".-> Multiplie les actions pour contrer son amour dans un récit qui, par ses hyperboles, accroît le sentiment de la fatalité car toutes sont vouées à l'échec.

B - Echecs• Inutilité de ces tentatives qui résonne douloureusement dans l'exclamation v. 283 par répétition d'adjectif au suffixe négatif : " in "• Chiasme : " D'un incurable amour remèdes impuissants " qui mime l'enfermement de Phèdre dans cet amour ( ?)• Accentué par la reprise vocalique des nasales : " En vain " en tête de vers• Simultanéité de l'action et de l'échec dans les vers 285-286• Reprise de la lamentation lyrique : échec mis en valeur par la juxtaposition des deux hémistiches évoquant l'action et son inutilité• + antithèse encore entre l'action et son échec aux vers 289-290 évitaient/retrouvaient• Imparfait de la fin du passage qui laisse prévoir l'échec renouvelé de cette dernière action.-> Echec des diverses tentatives qui procède de la fatalité tragique exprimée à travers une lamentation lyrique et une série d'antithèses entre l'action et son inefficacité.

C - Une hérédité fatalePhèdre met au compte d'une filiation maudite l'échec de son appel à Vénus -> "Je reconnus Vénus " + " d'un sang qu'elle poursuit " référence à sa mère, Pasiphaë, qui s'unit à un taureau (union monstrueuse que lui évoque son amour incestueux pour le fils de son mari) + référence à Ariane, sa sœur, délaissée par Thésée (amour forcément malheureux).Sentiment de la fatalité liée traditionnellement au ressentiment divin : rime " feu redoutables/tourments inévitables " qui insiste sur la fatalité qui rend toute action pour contrer la volonté divine et la malédiction vaine.-> Expression tragique de l'amour contre lequel toute tentative d'échapper au sentiment est vouée à l'échec.

 

CONCLUSION

27

Page 28: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Tirade où se lit la quintessence de l'amour selon Racine : regard déterminant un coup de foudre, aliénation et dépossession de soi ; ces aspects qu'on retrouve dans Britanicus et dans Iphigénie sont portés ici à un degré de violence extrême en raison de la nature même de cet amour qui, par sa monstruosité, inscrit Phèdre dans une filiation maudite. Cette violence dans la peinture de l'amour laisse ainsi présager le bain de sang qui termine la pièce.

RacinePhèdre

AActe I, scène 3

TE

http://objectifbac.websanslimit.net Étude d'élève

Introduction :

La scène sera étudiée en entier pour prendre en compte son rythme en crescendo et la gestuelle de Phèdre, qui, d’immobile et de quasi muette, s’élance dans une longue tirade enflammée. Il s’agit de la grande scène du premier acte, l’acte d’exposition. Phèdre entre en scène après avoir été décrite comme mourante par Théramène (v.45 "Phèdre atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire" ) et par sa nourrice, Oenone (v.147 "Un désordre éternel règne dans son esprit" ). Cette entrée en scène est ainsi chargée de mystère. Il faut noter la particularité de cette exposition : on arrive à un moment de crise, le premier acte s’ouvre en effet sur un départ, Hippolyte veut partir à la recherche de son père, suite à une absence de six mois de Thésée. Phèdre apparaît exténuée, aux portes de la mort. La longue scène que nous analyserons est l’aveu de Phèdre à Oenone : elle lui confie les raisons de son mal. C’est un aveux difficile et douloureux, elle "accouche" d’une vérité qu’elle porte en elle et qu’elle ne peut plus cacher. Qu’est-ce qui fait l’originalité, la beauté et la force émotive de cet aveux ?

I. Une entrée en scène spectaculaire :

1. L’importance du geste et du corps :• Geste : La seule didascalie de la pièce au vers 157 : "elle s’assied". Dans les pièces classiques, tout reposait sur la parole. Le texte primait sur tout, alors qu’au XXème siècle, tout se joue sur le geste. La didascalie montre l’épuisement du personnage, que l’on a déjà annoncée comme mourante.• Corps : Phèdre décrit une série de symptômes : son corps est mourant. Allusion aux yeux (v.155), au vers 166 : refus de voir la lumière et au vers 184 : "Et mes yeux, malgré moi, se remplissent de pleurs". C’est la puissance du corps contre laquelle on ne peut pas lutter et "pleurs" rime avec "douleur".Phèdre fait un début d’anorexie et d’insomnie. Au vers 182 : son corps trahit sa faute, par le biais de la rougeur. Dans la tirade finale, v.237 : "Je le vis, je rougis, je palis à sa vue". La passion est conforme à son étymologie (patior = souffrance)La maladie de Phèdre semble toucher à la fois son âme et son corps.

2. Une apparition pleine de mystère :a) Un personnage sous le signe de la contradiction :"Je sentis tout mon corps et transir et brûler" (v.276). Oenone devrait être la personne qui comprend le mieux Phèdre mais là, elle ne la comprend pas. La plupart de ses répliques finissent par une question. Série d’injection aux vers 265-266. "Quoi ? " est répété trois fois.b) Le champ lexical du crime :"crime" (v.219), "criminelle" (v.221), "coupable" (v.217), "condamnant" (v.163), "tue" (v.213), "victime" (v.281), "funeste" (v.245)Cette apparition est liée au non dit, à la censure : Hippolyte est le nom interdit (v.205). Ici, le corps de Phèdre se fait langage, il est plus explicite que son discours. Il l’a trahit et l’oblige à avouer son mal.

II. Une dramaturgie de la parole :Comme le dit Roland Barthes dans son essai consacré à Racine, Phèdre est "la tragédie de la parole enfermée". Si l’héroïne se tait, elle se laissera dépérir, si elle parle, elle cause sa mort. Face à ce dilemme, elle s’autorise à parler car il y a la rumeur de la mort de Thésée.1. L’importance du geste et du corps :a) L’expression est d’une extrême beauté :Le discours à quelque chose de très séduisant et de très musical : v.161 : "Tout m’afflige et me nuit et conspire à me nuire". Assonance de " i " au quatrième pied (réparti aux 4èmes syllabes), c’est un rythme ternaire. Le verbe nuire est répété deux fois aux hémistiches. Apparition impressionnante de majesté.

28

Page 29: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

b) Des images qui sont aussi des symptômes de la maladie de Phèdre :• Soit elle n’arrive pas à parler, soit elle crie (v.176). Elle a des hallucinations visuelles, elle ne se maîtrise pas tout à fait.• La Déesse d’Hippolyte est Diane. C’est la Déesse de la chasse, de la foret. Phèdre veut aller dans la foret, être prêt d’Hippolyte.• Phèdre s’adresse à un interlocuteur mythique, au Soleil, à sa famille (v.169-170), qui montre que son discours est désorganisé.

2. La dynamique de la scène : entre silence et logorrhée :Une mécanique à deux personnes qui provoque l’éclosion finale du récit.a) Le mutisme, la difficulté à parler :L’échange ne cesse de piétiner (v.173-180) : seulement des questions des deux côtés. Au vers 247 : ponctuation expressive : une exclamation, deux interrogations. La pensée est dérangée. Du v.246 à 264, stichomythies qui révèlent une difficulté à parler, à faire des phrases complètes. v.261-262 : Phèdre s’interrompt à deux reprises. Figure de style : aposiopèse (interruption, réticences à parler (au théâtre)).b) La logorrhée finale :(Logorrhée : flot ininterrompu de paroles) Le prénom d’Hippolyte renverse le rythme de la parole : Phèdre se met à parler. Au mutisme suit un long récit de la passion amoureuse où elle raconte son amour pour Hippolyte. Elle déplace sa culpabilité sur sa lignée maudite.La parole qui est d’une extrême beauté et qui est aussi un symptôme et parole qui déclenche le processus tragique.

III. Une pièce à la construction paradoxale : l’histoire d’une mort annoncée1. Une scène circulaire :a) Structure de la scène :La scène commence par l’annonce de la mort de Phèdre et finit par le même thème : "Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne" (v.154), "Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler" (v.316).b) Fonction de cette scène, à quoi sert l’aveu ? :Mais cette scène n’est pas sans utilité, il s’agit de l’acte d’exposition. L’aveu a valeur d’explication pour le spectateur. Oenone lui sert de relais. C’est la double énonciation théâtrale. De plus, l’aveu soulage Phèdre (v.312).

2. Ce début est une fin :a) Thème :La mort est le thème prédominant de cet extrait : v.313 "ma mort". De plus le champ lexical de la maladie est très représenté. b) Retour du thème de la lumière :Vers 172 : "Soleil, je viens te voir pour la dernière fois". Ce thème est reprit aux vers 1643-1644, les dernières répliques de Phèdre. La pièce commence par des adieux au Soleil et finit de même. Cette structure rappelle une autre tragédie : Antigone, d’Anouilh.b) Originalité du texte :L’originalité ne réside pas dans les adieux mais dans le fait qu’elle se sacrifie. Elle est la victime.

3. Une nouvelle formule tragique :a) La tragédie est définie comme un geste suspendu pendant cinq actes.b) La tragédie est définie comme celle d’un caractère :Tout va se passer dans la conscience coupable de Phèdre et dans les incidents qui vont retarder le geste fatal.c) Le jeu sur la pitié et l’horreur qui sont les deux ressorts tragiques :Cette pièce est fidèle à Aristote : on passe bien de la pitié à l’horreur pour la catharsis. Horreur : "tu frémiras d’horreur" (v.238), "tu vas ouïr le comble des horreurs" (v.261) Pitié : Phèdre est présentée comme victime de sa généalogie. De plus, on a pitié de sa souffrance, de sa mort prochaine et de sa maladie.

ConclusionIl s’agit du premier aveu, et de l’aveu le plus important puisqu’il va enclencher la machine tragique. Cet aveu sera répété et trouvera son écho dans l’aveu d’Hippolyte à Aricie, en II, 2. Cette scène est frappante, impressionnante. L’expression amoureuses se poursuit : Aricie au début de l’acte II avoue son amour pour Hippolyte. Sur scène, la première apparition de Phèdre doit impressionner le spectateur. C’est en effet un morceau de choix pour une actrice de talent car le texte est chargé de poésie et l’alternance entre le mutisme et la logorrhée est particulièrement difficile à jouer. Cette scène a aussi une dimension programmatique en ce qui concerne l’action à venir : l’action apparaît surtout comme psychologique : Racine invente un tragique qui provient surtout des contradictions internes aux personnages. L’action est intérieure, d’où l’importance accordée à la parole. Le rôle de Phèdre a été commandé par La Champmeslé qui voulait un rôle difficile. Elle voulait un rôle "où toutes les passions furent exprimées".

Racine

29

Page 30: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Andromaque

AActe I, scène 3

TE

http://www.lescorriges.com/fichesbac/racine_phedre.htmÉtude d'élève.

Phèdre, Acte I Scène 3

1. Situation du texte

La pièce s’est ouverte sur la fuite d’Hippolyte : devant la jeune Aricie qui menace son inflexibilité et devant Phèdre, sa belle-mère, dont il redoute confusément les sentiments à son égard. La scène 3 révèle que l’amour de celle-ci est encore plus à craindre que sa haine.

Le dialogue manifeste le rapport très intime qui unit Œnone à Phèdre dont elle a été la nourrice. Dans son insistance, Œnone se trouve néanmoins dotée d’un rôle qui va au-delà de celui de confidente : en faisant avouer à sa maîtresse son amour, elle est l’agent du destin et embraye la machine tragique.

Dans sa tirade, Phèdre se rend coupable de faire éclater au grand jour non seulement une passion interdite mais également sa haine des dieux.

2. Une scène d’aveux

On remarquera l’intensité dramatique que confèrent au dialogue la ponctuation riche et variée, les interjections (« Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !), les apostrophes (« Rivage malheureux »), la tendance au superlatif (« la plus misérable ») et à l’hyperbole (« le comble des horreurs »).

La vraisemblance de l’échange (le spectateur doit sentir la difficulté de l’aveu) est assurée par sa vivacité, proche de la stichomythie (dialogue dont chaque réplique ne contient qu’un vers). Dans les tragédies raciniennes, la parole a la valeur d’un acte : avouer un penchant coupable, c’est déjà commettre un crime, Phèdre veut y échapper par la mort (v. 4). À ce stade du dialogue, il reste peu de ressources à Phèdre pour retarder le moment de l’aveu : on constate, avec le chiasme lexical qui relie les vers 1-2 (« mortel » – « sang ») aux vers 3-4 (« sang » – « je péris ») que Phèdre veut clore la discussion. Ensuite, elle ménage le suspens en employant un futur immédiat (« Tu vas ouïr… ») et en désignant Hippolyte par le biais d’une périphrase (v. 8-9). Œnone pose des questions de plus en plus précises (voir la concision croissante de ses répliques). Phèdre ne fait qu’achever les vers qu’elle a commencés.

L’enchaînement des répliques s’opère à chaque fois sur un mot d’Œnone que Phèdre répète et qualifie péjorativement (v. 2-3 : « votre sang » – « ce sang déplorable » ; v. 5-6 « aimez-vous » – De l’amour j’ai toutes les fureurs »). Au comble de l’impatience, Œnone interrompt même Phèdre (v. 8), et c’est à elle qu’il incombe de prononcer le nom d’Hippolyte. En forçant l’aveu de sa maîtresse, Œnone est l’agent de la fatalité : le processus tragique est lancé, comme l’indique l’expression de sa terreur et de sa pitié.

3. La fatalité de la passion

Phèdre, dans sa tirade, remonte aux origines de sa passion (ce qui permet à Racine de compléter la scène d’exposition). Son récit s’ouvre sur l’image fugace d’un bonheur conjugal (v. 15-17) aussitôt contrarié par sa rencontre bouleversante avec son beau-fils Hippolyte, rapportée au passé simple. Centrée sur la description de ses propres émotions (exaltation du moi typiquement tragique), Phèdre ne prend même pas la peine de justifier son coup de foudre par un portrait flatteur du jeune homme — à peine sent-on de l’admiration pour sa fierté dans le qualificatif « superbe » (v. 18-21). Elle raconte ses vains efforts pour surmonter sa passion obsédante (v. 22-36) et explique comment elle a cru trouver dans l’exil d’Hippolyte un repos illusoire (v. 37-46). Thésée a malgré lui accéléré la catastrophe en rapprochant sa femme de son fils : Phèdre n’a plus qu’à déplorer son état présent à la fin de la tirade (v. 47-52).

La passion, dans le théâtre de Racine, est vécue comme une maladie (v. 29 « un incurable amour »), conformément à l’étymologie latine du mot (Passion < lat. passio = souffrance < patior = supporter, subir). On en lit les symptômes sur le corps : le trouble amoureux (« je tremble, je frissonne »), tout comme l’horreur sacrée (« tout mon sang dans mes veines se glace ») sont décrits comme une secousse physique.

Le regard joue un rôle central dans la naissance de l’amour (on relèvera le champ lexical, abondant, de la vue). La passion au XVIIe siècle s’oppose à l’action, c’est une affection que subit l’âme. L’énergie dont elle dote sa victime ne peut être que destructrice (voir la métaphore du feu, v. 22). La force qu’exerce sur elle Hippolyte est presque surnaturelle, comme le suggère le lexique religieux qui lui est rattaché : v. 30 « J’adorais Hippolyte » ; v.

30

Page 31: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

34 « ce dieu » ; v. 39 « l’ennemi dont j’étais idolâtre ». Et de fait, Phèdre voit dans son amour pour le jeune homme une malédiction de Vénus qui, surprise un jour dans son amour illégitime pour Mars par le Soleil, poursuit depuis de son ressentiment celui-ci et ses descendants, dont Pasiphaé et Phèdre, sa petite-fille. Phèdre a beau se sentir faible (sa passion aliène sa liberté) et coupable (la violence sacrilège qu’elle attribue à sa faute va au-delà de la peur de l’adultère), elle n’en est pas moins la victime des dieux, comme l’explique Racine dans sa Préface à la pièce : « Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente. Elle est engagée par sa destinée, et par la colère des dieux, dans une passion illégitime dont elle a horreur toute la première. Elle fait tous ses efforts pour la surmonter.

Elle aime mieux se laisser mourir que la déclarer à personne. Et lorsqu’elle est forcée de la découvrir, elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu’un mouvement de sa volonté. » Phèdre se livrera par la suite à un deuxième aveu, plus hardi, à Hippolyte, et à un troisième, morbide et désespéré, à son époux Thésée.

***************************************************************************Racine

Iphigénie

AActe II, scène 1

TP

http://www.lettres.net/cours/racine-amour/iphigenie.htm

IPHIGENIE (1674), Acte II, scène 1

 Les dieux ont ordonné au roi Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie s'il voulait que les vents soufflent à nouveau et permettent à la flotte de partir vers Troie. Iphigénie arrive donc au camp d'Aulis, afin, croit-elle, de se marier avec Achille qui lui est promis. Elle est accompagnée d'Eriphile, jeune fille qu'Achille a enlevée à Lesbos.

ERIPHILE

Je me flattais (1) sans cesseQu'un silence éternel cacherait ma faiblesse.Mais mon cœur trop pressé (2) m'arrache ce discours,-Et te parle une fois, pour se taire toujours.Ne me demande point sur quel espoir fondéeDe ce fatal amour je me vis possédée.Je n'en accuse point quelques feintes douleurs (3)Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.Le ciel s'est fait sans doute une joie inhumaineA rassembler sur moi tous les traits de sa haine (4) .Rappellerai-je encor le souvenir affreuxDu jour qui dans les fers (5) nous jeta toutes deux ?Dans les cruelles mains, par qui je fus ravie,Je demeurai longtemps sans lumière et sans vie.Enfin mes tristes yeux cherchèrent la clarté ;Et me voyant presser d'un bras ensanglanté,Je frémissais, Doris, et d'un vainqueur sauvageCraignais de rencontrer l'effroyable visage.J'entrai dans son vaisseau, détestant (6) sa fureurEt toujours détournant ma vue avec horreur.Je le vis. Son aspect n'avait rien de farouche.Je sentis le reproche expirer dans ma bouche.Je sentis contre moi mon cœur se déclarer,J'oubliai ma colère, et ne sus que pleurer.Je me laissais conduire à (7) cet aimable guide.Je l'aimais à Lesbos, et je l'aime en Aulide.Iphigénie en vain s'offre à me protéger,Et me tend une main prompte à me soulager :Triste effet des fureurs dont je suis tourmentée !Je n'accepte la main qu'elle m'a présentée,Que pour m'armer contre elle, et sans me découvrir,Traverser (8) son bonheur, que je ne puis souffrir.

31

Page 32: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Notes:

1. Je me flattais : j'espérais à tort.2. Pressé : accablé.3. Feintes douleurs : manifestations simulées de la pitié.4. Eriphile ne connaît pas ses parents.5. Etre dans les fers : être prisonnière6. Détestant : maudissant.7. Conduire à : conduire par.8. Traverser : me mettre en travers de.

 

1/ Etudier l'évolution des expressions qui désignent Achille.

2/ Etudier la tonalité tragique.

 

INTRODUCTIONPièce de 1674 de Racine, dont la gloire est alors solidement établie. Dans l'acte I, on apprend qu'Agamemnon a décidé, sous la pression des dieux et d'Ulysse, de sacrifier sa fille. Iphigénie arrive au camp d'Aulis, accompagnée d'Eriphile, jeune fille qu'Achille a enlevée lors de sa conquête de Lesbos. Scène 1, II, 1ère scène où apparaît ce personnage inventé par Racine pour dénouer sa pièce. Scène qui constitue une surprise dans la mesure où Eriphile se révèle être amoureuse d'Achille, promis à Iphigénie (lecture).Tirade qui raconte la naissance de cet amour sur une tonalité tragique.Comment le discours amoureux d'Eriphile fait d'elle un personnage tragique par excellence ?

I - La naissance de l'amourRécit de l'enlèvement coïncidant avec la naissance de l'amour.A - Le premier regard :- mis en relief par la brièveté de la phrase (v. 21) : effet de saisissement, de stupeur ; rythme qui oblige à un temps d'arrêt représentant bien la stupeur, le coup de foudre.- mis en évidence par l'opposition dans le récit de cette naissance entre la fuite du regard jusqu'au vers 20, et le retournement :• Achille désigné seulement par ses " mains ", son " bras " (vers 14, 16) = elle ne le voit pas encore ;• obscurité : " sans lumière " : accès progressif à la lumière dans un mouvement ascendant du regard qui aboutit à la vue d'Achille (" cherchèrent la clarté ", " me voyant ") ;• fuite du regard : " craignais de rencontrer " (vers 18), " et toujours détournant ma vue " (vers 20) ;• dès lors qu'elle le voit : " aspect " aimable qui aboutit aux larmes : vers 24.Détail de cette progression du regard qui met en relief le coup de foudre et le renversement dans les sentiments éprouvés par Eriphile.B - Renversement du sentiment :De la haine à l'amour, perceptible dans les désignations d'Achille et dans l'évocation de la scène du rapt : " souvenir affreux ", " cruelles mains ", " bras ensanglanté ": désigne par les métonymies Achille pour insister non seulement sur le fait qu'elle ne l'a pas encore vu, mais aussi sur la violence d'Achille : " vainqueur sauvage ", " effroyable visage " (à la rime, renforce l'expression de la haine face à la barbarie du rapt)." Son aspect n'avait rien de farouche " : un euphémisme + une lilote pour signifier qu'elle l'a trouvé beau, mais signe du refus d'appeler ses sentiments par leur vrai nom en raison de l'horreur éprouvée à aimer son ravisseur " aimable guide ".C - Manifestation de l'amour :Comme toujours chez Racine, manifestation de l'ordre du sensible, du physique: le corps parle, en dépit de la volonté de l'être conscient : anaphore de " je sentis ", suivie de compléments indiquant une transformation de l'être qui n'est que sensation en opposition avec la haine consciente initiale : manifestations du corps qui vont à l'encontre de la haine ( " le reproche expirer dans ma bouche ") : perte de la maîtrise de soi+ " contre moi mon cœur se déclarer " : scission de l'être mise en évidence par antéposition de " contre moi " et allitération en (k) (renforce " contre ")+ perte de la maîtrise par " l'oubli de la colère "+ négation restrictive : " ne sus que pleurer " : être qui se limite aux manifestations sensibles de l'émotion : témoigne du trouble d'Eriphile et du dépit éprouvé à se découvrir ainsi amoureuse de son ravisseur : dépit lié à l'amour, mis en évidence à la rime " déclarer/pleurer ". L'amour n'apporte pas la joie mais la douleur.expression lyrique de l'amour par l'anaphore des " je " pendant six vers (v. 21 à 26) qui culmine dans le vers conclusif : " je l'aimais à Lesbos, et le l'aime en Aulide " où répétition et parallélisme des constructions insistant sur la profondeur de l'amour + temps : durée du sentiment.Naissance de l'amour exprimée dans un récit où les étapes progressives du sentiment révèlent la transformation de l'être qui n'est plus que sensation allant à l'encontre de la conscience d'Eriphile.

32

Page 33: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

 

II - L'ironie tragiqueEriphile, personnage le plus tragique de la pièce, car accablée par le sortvictime de la violence,victime de l'amour,victime d'elle-même.Ironie tragique car ses attentes sont toujours déjouées par le sort.A - Le motif de la main :Dans la tirade, mention de la main d'Achille et de la main d'Iphigénie, c'est-à-dire des actions de ces deux personnages, qui, à chaque fois, sont vécues par Eriphile à l'inverse de ce qui devrait être logiquement :- main ensanglantée d'Achille : insistance sur sa violence, et pourtant aimée ;- au contraire " main " d'Iphigénie (vers 28), " prompte à (la) soulager " rimant avec " protéger " : insistance sur la bonté et l'aspect protecteur d'Iphigénie, mais la aussi retournement qui fait de cette " main " protectrice une victime de la jalousie d'Eriphile: " que pour m'armer contre elle ", " traverser son bonheur ". Elle n'accepte son aide que pour la trahir.Série de retournements significatifs de l'ironie tragique qui frappe ce personnage. Retournement qu'on retrouve dans le thème du ravissement.B - Une éternelle victime : le thème du ravissementEriphile présentée toujours comme victime, d'abord d'une violence explicite le rapt d'Achille, puis de la violence de l'amour. Ravissement physique qui se prolonge dans le ravissement de l'amour :- Dans le récit du rapt, position de victime mise en relief par l'expression de la passivité :- tournure passive du vers 13 : " par qui je fus ravie ". Double sens de " ravie " = rapt physique + annonce le rapt du cœur (réf. Britannicus " ravie d'une si belle vue ") ;- verbe d'état et non d'action : " Je demeurai longtemps " (vers 14) ;- tournure passive du vers 16 : " me voyant presser d'un bras … " ;- désignation d'Achille connotant sa passivité et sa position de victime : " vainqueur ".- Puis à partir du moment où l'amour se déclare : passivité encore, due cette fois à l'amour : passage de " me voyant presser … " à " Je sentis … ". Cette fois, l'opposant n'est plus tant Achille qu'elle-même " contre moi ".- Aboutit à la résignation tant physique que sentimentale :" Je me laissai conduire à cet aimable guide " : se résigne à le suivre + se résigne à l'aimer.chez Racine, amour qui est un ravissement au double sens du terme et qui a partie liée avec la violence.C - La fatalité : le discours tragique1 - La fatalitéRavissement tant physique que sentimental qui trouve son expression aussi dans l'allégation de la fatalité :- " fatal amour " (vers 6) = fixé par le destin + qui cause la mort anticipe sur le dénouement sans le savoir : ironie tragique qui figure que le personnage prononce des paroles dont il ne maîtrise pas entièrement le sens ;- vers 9 : Eriphile victime du sort personnifié par le mot " joie " insiste de manière hyperbolique sur la cruauté du destin : rime " joie inhumaine "/ " haine " + idée de certitude " sans doute " (= au 17ème sans aucun doute) + " tous les traits " : là aussi, terme à connotation amoureuse par la référence implicite aux traits (flèches) de Cupidon : amour vécu comme une souffrance contre laquelle on ne peut rien.(?)2 - L'illusionFatalité qui renforce la voix de l'ironie tragique dans la mesure où elle souligne les illusions dont se berce le personnage tragique : " Je me flattais sans cesse " (vers 1)illusion de croire que l'amour peut se taire : parole qui est un arrachement : " m'arrache ce discours " + " feintes douleurs dont je crus voir Achille " : semblant d'espoir malgré la dénégation " Je n'en accuse point " (espoir qui sera important puisque scène 4, Eriphile espérera qu'elle est aimée par Achille).Eriphile victime de l'ironie tragique parfaite : toutes ses attentes sont déjouées par le sort qui la place dans une position de victime éternelle des autres, et d'elle-même (son amour, ses illusions).

 CONCLUSIONPremière scène où on voit Eriphile, et qui est programmatique de sa fin : = le vrai personnage tragique de la pièce car éternelle victime :- d'une part la naissance de l'amour est évoquée à travers une série de renversements de sentiments qui aboutissement à un désaccord entre l'être et le corps,- d'autre part Eriphile est victime de l'ironie tragique dans la mesure où son sort la maintient dans une position passive par rapport à chaque événement de sa vie.Ironie tragique à son comble dans le dénouement de la pièce, lorsqu'on apprendra que c'est elle qui est réclamée en fait par les dieux.

*****************************************RacinePhèdre

AActe II, scène 5

TP

33

Page 34: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-II-scene-5.html

IntroductionPhèdre est une pièce de Racine datant de 1677, c’est une de ses dernières pièces. Phèdre, la femme de Thésée, roi d’Athènes des temps mythiques (environ 1200 avant Jésus-Christ), aime Hippolyte, le fils d’un précédent mariage de Thésée. Au début de la pièce, nous apprenons par ses confidences à Œnone qu’elle aime Hippolyte. Durant l’acte 2 : on apprend la fausse mort de Thésée, Phèdre se croit donc veuve, elle affirme son amour envers Hippolyte de manière masquée. Une gloire désigne un honneur dans ce texte, la fureur désigne la passion et le "monstre qui t’irrite" désigne Phèdre. La tonalité de l’amour et la tonalité de la mort sont présentes : Phèdre demande la mort, elle va se retrouver très très mal : elle est compromise aux yeux d’Hippolyte, elle va maudir son fils. Thésée certain de la responsabilité de son fils, va demander à son père, Poséidon, dieu de la mer, de tuer Hippolyte.Alors que le jeune homme conduisait son char le long de la côte, Poséidon envoya un monstre qui effraya ses chevaux ! ; ceux-ci se désunirent, fracassant le char. Mortellement blessé, Hippolyte fut ramené à son père, qui avait appris entre-temps d’Artémis que son fils était innocent. Hippolyte mourant et son père éploré se réconcilièrent. Phèdre prise de remords s’est suicidée. Le drame de Phèdre c’est de subir une passion qu’elle n’accepte pas et qui la détruit. Le texte est organisé de la façon suivante : vers 8 à 14 : c’est l’aveu ; vers 15 à 20 : Phèdre se reconnaît comme le jouet de Dieu ; vers 21 à 30 : elle va rappeller les efforts qu’elle a effectuée pour s’échapper de cet amour ; et du vers 37 juqu’à la fin de cet extrait : Phèdre appelle la mort qu’elle veut recevoir d’Hippolyte. Nous commencerons par étudier les aveux de Phèdre puis nous étudierons pouquoi Phèdre se perçoit comme un monstre et enfin nous montrerons qu’elle est l’objet de la fatalité.

I - Aveux de PhèdreElle se croyait jeune. Vers 8 : la perspective du départ d’Hippolyte l’amène à se réveiller. Elle passe du vous au tu, cette transition marque le début de ses aveux. Elle qualifie Hippolyte de "cruel" parce qu’elle lui affirme un amour impossible, celui qu’on aime fait souffrir. Le terme "cruel" fait parti du vocabulaire galant. L’exclamation "tu m’as trop entendue !" appartient au vocabulaire de la révélation, entendre est à prendre au sens littéraire, c’est à dire celui de comprendre, vouloir dire. "Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur" (vers 9) : pour te dire la vérité, il a tous les éléments pour comprendre. Vers 10 et 11 : le terme "fureur" désigne sa passion amoureuse, "connais donc Phèdre" = saches qui est Phèdre, elle passe de "J’aime !" à "je t’aime" : c’est un aveu qui lui est comme arraché : vers 32 : "cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?". Phèdre elle-même a un fils : "tremblante pour un fils" (vers 33). Elle vient d’apprendre la fausse mort de Thésée et elle a peur qu’Hippolyte appelé à succéder à son père l’écarte de la succession. En fait, ses "faibles projets" (vers 35) de parler de son fils ne sont pas faibles : elle ne tient pas : "un cœur trop plein de ce qu’il aime" (vers 35). Son aveu est involontaire, c’est une passion qui la domine et qui est plus forte que son amour maternel. Passion vient du latin patium qui signifie souffrir, et cette souffrance est plus forte qu’elle et elle destructrice d’abord pour elle-même. Le terme "fureur" au vers 10 désigne cette passion. Au vers 28 : le verbe languir ("j’ai langui") montre combien elle est déprimée et accablée, "j’ai séché" montre son assèchement, la perte de sa vie et le terme "feux" est l’image du feu qui la brûle, le terme "larmes" opposé à "feux" montre bien que son feu intérieur l’assèche complètement. Son bouleversement intérieur qui est aussi bien physique que moral montre qu’elle est en dépression. Le vocabulaire de la folie au vers 13 montre que la passion l’emporte sur la raison. Vers 18 : "le feu fatal" désigne ici l’amour, le feu de la passion : vocabulaire précieux, galant du 18e siècle. Au vers 37 : le terme "odieux amour" est a relié à la haine. La réaction de Phèdre c’est la fuite : vers 22 et 23 : la gradation entre les verbes "fui" et "chasser" montre qu’elle a voulu s’éloigner le plus possible de son fils. La gradation de "odieux", "haine", "inhumaine" marque qu’elle veut se mettre à côté de l’humanité. "J’ai voulu" le marque bien. Mais même dans cette volonté : elle est réduite à néant : au vers 25 : "inutiles soins" montre l’inutilité de ses efforts. Sa volonté elle-même est réduite à néant, elle ne peut pas. Racine fait une analyse extrêmement fine sur ce que produit la passion dans le cœur humain et sur ce à quoi peut mener la passion.

II - Phèdre se perçoit comme un monstrePhèdre ne se supporte plus, elle est comme aliénée, étrangère à elle-même. Elle se perçoit comme un monstre (qui est différent des autres), elle est pour elle-même un objet de haine : voir vers 16, avec l’opposition entre les termes "abhorré" et "détester". Elle recherche même la haine des autres : "J’ai recherché ta haine" (vers 24). Au vers 39, elle se désigne clairement comme un monstre en hyperbolisant son image de monstre : elle dit à Hippolyte : "délivre l’univers" au lieu de délivre Athènes.

Phèdre c’est une abomination de l’inceste, qui fait parti des sujets "tabous". Elle exprime en elle-même cet interdit, et il faut comme en purger l’univers. Celà la met à un niveau mythique, de ceux qui ont eu un tête à tête avec le destin. L’adjectif "affreux" (vers 41) permet de se rendre encore plus monstrueuse. Le mot "monstre" encadre l’interdit. Phèdre insiste sur le fait qu’elle est "la veuve de Thésée" (vers 40). Phèdre continue de se mépriser : vers 47 : "sang trop vil", c’est à dire sang méprisable. Quelquepart, elle est aussi un monstre par son désir masochiste de souffrir : vers 46 : "supplice si doux". Elle veut mourir de la main d’Hippolyte. Elle mélange le vocabulaire de l’amour et de la mort : voir vers 42. Le vers 48 nous fait penser que pour Phèdre ce serait presque pareil que ce soit son épée ou sa main : elle doit penser que son épée est le prolongement de son bras. Phèdre vient au devant : au vers 43 : on remarque une espèce d’offrande qui pourrait être aussi bien pour l’amour que pour la mort : on a une ambiguïté. L’amour est un don ici (cf dernier vers) : au moment même où elle demande de

34

Page 35: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

la tuer, elle lui demande l’amour.

III - Phèdre est le jouet de la fatalitéLe vers 15 : "objet infortuné des vengeances célestes" et le vers 17 : "Les dieux m’en sont témoins" donnent l’impression que les Dieux étaient à l’origine de cette situation. Phèdre fait parti d’une famille qui est maudite par les Dieux.

Les vers 19 et 20 montrent que face à cette fatalité, elle est condamnée à mourir : "... gloire cruelle" / "... cœur d’une faible mortelle", ceci annonce son suicide final. Hippolyte qui n’a pas voulu être l’instrument de la fatalité, la subira tout de même : il sera tué par un monstre qui l’a rattrapé au bord du rivage : le monstre a provoqué un accident avec son char, quelquepart ce monstre est la métaphore de Phèdre, Hippolyte est en quelquesorte noyé par la passion que lui porte Phèdre. Le climat de destruction touche encore toute une famille comme dans Antigone.------------------------------------------------------------------------

Idées principales de cette scène : Les yeux, le regard (amour) Se taire/parler Les monstres Le début est politique, Phèdre demande à Hippolyte de protéger son fils. Ce n’est qu’un prétexte comme dans la scène 2, I. Hippolyte est pressé de partir : répliques courtes. Phèdre fait comprendre à Hippolyte qu’elle l’aime en passant par Thésée (comparaison). Elle tient un discours guidé par le désir. Elle voudrait changer le cour de l’histoire et les lois pour être avec Hippolyte. Phèdre s’offre en monstre à Hippolyte pour qu’il la tue et devienne un héros. Lorsque Phèdre prend l’épée d’Hippolyte, elle lui prend son pouvoir, sa force et il ne pourra se défendre contre les accusations qu’on lui porte plus tard.

RacinePhèdre

AActe II, scène 5

TP

http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-II-scene-5.html

1. Introduction1.1 Situation du passage dans la pièce

C’est un moment important, voire fatidique, car Phèdre, rongée par son amour qu’elle ne peut maîtriser, formule ici son aveu face à Hippolyte. Celui-ci vient de quitter sa chère Aricie, qui a finalement accepté et son amour et la royauté d’Athènes. Nous nous trouvons véritablement au tournant de la pièce tragique, car, en même temps que cet aveu horrifie Hippolyte, le propre fils de Phèdre vient d’être reconnu roi par les Athéniens et la rumeur se répand que Thésée n’est pas mort.

Au début, Phèdre veut s’adresser à Hippolyte pour lui demander de ne pas se venger sur son fils de la cruauté apparente qu’elle a manifestée. Mais elle se laisse rapidement emporter par son amour dévorant et tombe dans l’aveu. Elle s’en blâme d’ailleurs comme de son crime incestueux et finit par vouloir mourir, de ses propres mains s’il le faut.

1.2 Situation des personnages

Thésée est supposé mort, on ne l’attend plus après ses péripéties avec son ami Pirithoüs. Œnone est toujours prête à sauver l’honneur de sa maîtresse " d’une honte certaine " (acte II, sc. 5, vv. 712-714), quitte à dénoncer injustement Hippolyte plus tard. Phèdre, après son aveu à Œnone, en apprenant la mort de son mari Thésée et en suivant les conseils de sa confidente, décide de prendre le pouvoir pour " l’amour de son fils " (acte 1, sc. 5, v. 635) et pour se donner une raison de vie. Mais lorsqu’elle arrive devant Hippolyte pour lui demander ce qu’on sait, elle cède à l’aveu et ainsi rompt tout espoir de se reprendre à la vie. Hippolyte, quant à lui, vient d’obtenir ce qu’il voulait de la part d’Aricie, il est donc psychologiquement assez fort. Jusqu’ici, toute sa vie s’est déroulée sans encombres majeures, il admire son père et recherche son idéal. Mais l’aveu de Phèdre le fera douter de lui-même d’abord, puis de tout : c’est l’erreur qu’il ne faut pas commettre dans une tragédie...

2. Analyse du passage

2.1 Progression vers l’aveu

35

Page 36: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

On le sait, Phèdre est venu vers Hippolyte pour défendre son fils. Mais alors qu’elle y parvient relativement bien dans la première partie de la scène, elle dérive peu à peu de son fils à son mari Thésée et risque d’étaler son amour lorsqu’elle s’arrête brusquement : " Je le vois, je lui parle, et mon cœur... je m’égare, |Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare " (v. 629-630). On retrouve ici le caractère totalement imprévisible et surtout incontrôlable de l’amour de Phèdre.

Hippolyte croit que c’est l’amour de Thésée qu’elle ne peut maîtriser ainsi. Ou bien il ne saisit pas la tragique vérité, ou bien il la comprend trop bien et il tente de se tirer le mieux possible du mauvais pas, comme il le fera un peu plus tard (vv. 667-670).

Puis Phèdre se reprend et parle de son amour pour Thésée, qui est tout de même bien réel. Dans sa description, elle procède comme l’avait fait Hippolyte : elle ne veut garder chez son mari que les côtés positifs (" Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche, | Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,... " vv. 638-639) et non le " volage admirateur de mille objets divers " (v. 636). Mais il lui faut peu de temps pour ’glisser’ sur Hippolyte (vv. 640-644), avant de parler de sa soeur, puis d’elle (" Mais non, dans ce dessein je l’aurais devancée. " v. 653). Nous assistons donc ici à une progression assez rapide du fils de Phèdre à Phèdre elle-même en passant par Thésée, Hippolyte et Ariane. Ce cheminement nous amène jusqu’à ce vers 654, moment précis où elle se trahit pour la première fois de manière irrévocable devant celui qu’elle aime : " L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée. " Et elle persiste sur sa lancée, annonçant à Hippolyte qu’elle aurait voulu pouvoir lui être entièrement dévouée dans le terrible Labyrinthe (vv. 656-662). Si nous rassemblons ces derniers vers avec ceux où elle s’indigne qu’Hippolyte n’ait pas pu venir avec les " héros de la Grèce... dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ", nous remarquons que Phèdre regrette d’avoir connu Thésée avant Hippolyte et qu’elle essaye de montrer que ce malheur résulte du destin que les dieux lui ont choisi - Phèdre porte ici la figure de la victime innocente.

" Dieux ! " (v. 663) s’exclame Hippolyte en manière d’étonnement indigné, mais voyant ce que nous avons dit plus haut, pourrait-on prendre ceci comme de l’ironie ? Toujours est-il qu’il tente de remettre Phèdre sur le droit chemin, en lui rappelant les convenances primordiales. Ceci peut nous paraître insensé qu’il lui pose cette question, bien qu’elle soit tout à fait légitime, puisque c’est justement là toute la trame, toute la problématique de la pièce. D’ailleurs Phèdre ne se gêne pas de le lui faire remarquer sur un ton quelque peu arrogant, en ajoutant " Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ? " (v. 666).

Pour les puristes, nous pouvons relever ici que cette question curieuse de la part de Phèdre correspond au vers 666 - nombre mystique aux significations souvent trop obscures pour les ésotériques. Nous pouvons simplement supposer que cette coïncidence nous signifie toute la profondeur du drame de Phèdre qui, attachant un telle importance à sa gloire, finit par la perdre pour son amour.

Mais passons. Nous retrouvons Hippolyte qui cherche une fois encore, comme aux vers 631-633, à feindre l’incompréhension la plus absurde, il ne veut et ne peut pas assumer ce qu’il pressent. Mais Phèdre, poussée par la souffrance qui la consume intérieurement, ne le laisse pas ainsi et lui expose son aveu.

2.2 L’aveu

D’entrée, Phèdre culpabilise Hippolyte : " Ah ! cruel... " (v. 670). Elle exprime clairement au vers suivant qu’elle sait qu’Hippolyte a bien compris. Elle ne se maîtrise plus du tout (" Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur. " v. 672). Puis nous retrouvons le complexe de sa dualité : elle se sent victime et en même temps coupable (vv. 673-674). Prise dans son discours, elle en profite pour rappeler toutes ses vaines actions pour se libérer de cet amour (vv. 675-676) ainsi que l’origine divine de son sort fatal, comme de celui de sa famille " ...les dieux... ont allumé le feu fatal à tout mon sang ..." vv. 677-682) ; mais aussi, dans les mêmes vers, la haine qu’elle se porte.

Vient ensuite le dangereux parallèle entre l’amour et la haine, lorsqu’elle demande à Hippolyte de se souvenir de l’inhumanité qu’elle a manifestée envers lui et de sa volonté de le chasser : tout ce paradoxe compliqué est magnifiquement résumé dans l’asyndète de vers 688 : " Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins. "

Le vers 690 nous réserve un joli parallélisme qui accentue la souffrance qu’a vécu et que vit encore Phèdre : on peut le prendre dans les deux sens. Juste avant de se ressaisir (" Que dis-je ? " v. 693), Phèdre se plaint de sa solitude, ou plutôt du manque d’attention que manifeste Hippolyte à son égard (vv. 691-692). Mais la volonté impuissante de l’héroïne ne peut rien contre ce besoin d’aveu, la souffrance du secret est vraiment trop grande (vv. 694-695).

Phèdre semble revenir à la réalité présente, puisque qu’elle revient à son premier projet, qui était de protéger son fils contre la haine supposée d’Hippolyte (vv. 695-697) et elle se rend compte à quel point elle s’est laissée emportée par son destin (v. 698). Phèdre arrive ici à un tel stade de désespoir, de folie ou peut-être de lucidité qu’elle en demande son châtiment ; le destin ne laisse plus d’espoir que celui de mourir (vv. 699-701).

Au vers 702, Phèdre nous semble lancer cette exclamation à la manière d’une provocation ironique : on ne voit

36

Page 37: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

en effet pas Hippolyte réagir après le terrible aveu, elle essaye de susciter quelque émotion, une réponse, un geste. Mais comme l’autre ne répond pas, elle le pousse à bouger : elle aimerait mourir de la main de celui qu’elle aime (v. 704), peut-être parce qu’elle attend depuis trop longtemps (" Impatient déjà d’expier son offense " v. 705), ou est-ce voulu encore par son destin manipulé des dieux (" Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance " v. 706) ? Puis Phèdre donne un ordre à Hippolyte " Frappe " (v. 707), elle semble bien décidée à mourir et d’ailleurs assez sereine, car elle parvient encore à s’abaisser (vv. 707-710). Le tout dernier impératif confirme une impression de passivité du personnage d’Hippolyte. En face de lui, Phèdre entreprend tout ce qu’elle peut, mais il reste muet, inactif, complètement bouleversé. Le dialogue s’est arrêté. En fait, il n’a jamais réellement commencé : Hippolyte s’est toujours adressé à Phèdre d’une manière très distante et sans ouverture, tandis que Phèdre n’a jamais osé parler honnêtement.

C’est la première fois qu’ils s’affrontent, c’est aussi la dernière.

RacinePhèdre

AActe IV, scène 6

TP

http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-IV-scene-6.html

... Ah ! douleur non encore éprouvée !À quel nouveau tourment je me suis réservée !Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,Et d’un cruel refus l’insupportable injureN’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ?Tu le savais : Pourquoi me laissais-tu séduire ?De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ?Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ?Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence :Le Ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux !Et moi, triste rebut de la nature entière,Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;La mort est le seul Dieu que j’osais implorer.J’attendais le moment où j’allais expirer ;Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,Encor, dans mon malheur de trop près observée,Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir.Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;Et sous un front serein déguisant mes alarmes,Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

Acte IV, scène 6 : La puissance de cette scène tient à la violence des sentiments de Phèdre et à l’art de Racine. Phèdre a appris de Thésée qu’Hippolyte se prétend amoureux d’Aricie. La scène nous offre l’étude de la jalousie la plus complète qu’il y ait chez Racine.Cette jalousie n’en est d’abord qu’à son premier moment : la souffrance que Phèdre aiguise avant de s’attendrir sur elle-même. Elle passe par trois étapes :

  la plainte, d’abord (les vers 1214-1224)pénétrée d’une stupeur (« Ils s’aiment ! ») et d’une sorte d’ironie douloureuses devant cet Hippolyte que, employant les hyperboles de la langue précieuse, elle pouvait accepter comme un « farouche ennemi » de tout amour, mais qui lui a donné « une rivale » , puis déchirante (les vers 1225-1230) ;

  le retour sur le passé avec son désir de comprendre (les vers 1231-1236, les questions haletantes du vers 1232) en attribuant son ignorance à l’effet d’un « charme », d’un pouvoir mystérieux, d’un procédé magique, d’un enchantement ;

  puis la terrible vérité brusquement découverte : « ils n’avaient pas besoin de se cacher, ils étaient innocents (les

37

Page 38: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

vers 1238-1239 : c’est l’amour tel qu’elle le rêve), tandis que moi, coupable, je me cachais, je voulais mourir, je me nourrissais de ma haine (le « fiel »), je buvais mes « larmes » ; mais non : je n’osais pas même pleurer », qui se traduit, dans les vers 1237-1250, en deux tableaux opposés par les mots, les images, les rythmes.

On retrouve chez Phèdre le sentiment d’indignité intrinsèque que ressent la créature, selon le jansénisme qu’on avait inculqué à Racine à Port-Royal. Œnone n’apporte que de bien piètres consolations à sa maîtresse (v. 1252), car elle se fait une conception très simpliste et très étriquée de l’amour. Phèdre lui oppose la passion dont elle a rêvé : « Ils s’aimeront toujours » et, dans la tirade des vers 1252-1294, elle passe du délire à la lucidité : n’est-elle pas capable de se voir elle-même comme « une amante insensée » ? ne se demande-t-elle pas : « Que fais-je ? Où ma raison se va-t-elle égarer ? ». Elle succombe moralement sous le poids de l’horreur qu’elle s’inspire à elle-même. Dans les vers 1257-1263, sa jalousie devient furie vengeressse, au nom aussi de son orgueil (« je ne puis souffir un bonheur qui m’outrage »). Elle se veut impitoyable. Mais qui pourrait la venger ? Thésée qui en veut à ce « sang odieux » qui coule en Aricie ? mais comment peut-elle y penser : elle l’a trahi par son « inceste » et son « imposture », la tromperie par laquelle elle a fait accuser Hippolyte que son père a déjà décidé de châtier ! Il reste donc Aricie qu’elle veut « perdre » (c’est-à-dire « faire périr ») avant de se rendre compte qu’elle n’est tout de même pas coupable d’être aimée d’Hippolyte ! En proie à l’impuissannce et à la honte, elle est sur la voie du désespoir. Elle commence par fuir le regard de « ce sacré Soleil » qui est son grand-père maternel, tandis que Zeus est son grand-père paternel et que les Titans sont ses « aïeux ». Elle veut se cacher aux enfers et y expier ; mais elle y trouvera son père, Minos, qui y est juge suprême, qui y agite « l’urne fatale » où se fait le tirage au sort des jurés pour le jugement des morts : pour les crimes qu’elle a commis, « peut-être inconnus aux enfers ! », il lui faudrait trouver « un supplice nouveau ». Ainsi, toutes les issues sont fermées à Phèdre. Il ne lui reste plus qu’à courber la tête sous le poids des malédictions divines (les vers 1289, 1293-1294). Mais Racine qui, selon les mots de Gide, « est pieux » mais dont « le génie dramatique est impie », lui donne encore le regret de ce « crime affreux » dont elle n’a pas « recueilli le fruit », pour cet amour qu’elle n’a pas assouvi, qu’elle n’a savouré qu’en pensée : elle est de ces pécheurs qui aiment le péché qui a pourtant compromis leur vie et leur salut (le futur saint Augustin, encore débauché, implorant : « Dieu, rendez-moi pur, mais pas tout de suite ! ») Oenone, animée d’une bienveillance obséquieuse, pour trouver des excuses à sa maîtresse, revient à sa conception petite-bourgeoise de l’amour, qui fait accepter des « feux illégitimes » dont brûlent même « les Dieux de l’Olympe » (d’où ces comédies, ces vaudevilles même où l’on s’amuse de leurs fredaines).Aussi la colère de Phèdre tombe-t-elle sur la suivante (n’est-elle pas là pour servir de chèvre émissaire ? elle l’avait déjà soupçonnée : « Tu le savais. Pourquoi me laissais-tu séduire ? ») à qui elle reproche de l’avoir poussée à satisfaire sa passion, de lui avoir donné l’idée d’accuser Hippolyte dont elle craint qu’il est déjà subi « d’un père insensé / Le sacrilège voeu » puisqu’il a demandé à Neptune de le châtier. En fait, Phèdre avait sollicité l’aide d’Oenone sans la moindre réserve, n’avait pas résisté véritablement à sa suggestion et avait accepté d’être complice de sa calomnie. Mais, par un significatif retournement, c’est sa malheureuse nourrice qu’elle traite de « monstre exécrable » !

La scène est aussi un véritable joyau littéraire. Racine, qui atteint au maximum d’émotion avec le maximum de tenue dans le style, joue de toute une palette :il évoque le monde surnaturel des dieux, des Enfers, de la famille de Phèdre à qui il fait imaginer une scène dramatique dans les enfers (« Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible / Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau / Toi-même de ton sang devenir le bourreau ») ;il rappelle le monde extérieur (Thésée) qui semblait avoir été presque oublié depuis l’acte I ;il harmonise la composition logique et la spontanéité de la passion ;il peint le regret (« Aricie a trouvé le chemin de son coeur »), la douleur, la passion (« Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports / La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords »), l’amour idyllique (les vers 1236-1240, la magie évocatrice du vers 1240, le vers 1256), la détermination (le rythme martelé du vers 1259), la furie, le délire (les vers 1264-1266), la folie (le vers 1268), le sentiment d’exclusion (« triste rebut de la nature entière »), le désespoir, en usant de toutes les ressources de la poésie : les hyperboles définissant Hippolyte, les inversions de « Et d’un refus cruel l’insupportable injure » et de « Jusqu’au dernier soupir de malheurs poursuivie », le chiasme de « Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvées », l’image de la noyade dans les pleurs, l’hypallage des « homicides mains », l’efficacité des enjambements : « la vue / De ce sacré Soleil dont je suis descendue » - « d’un père insensé / Le sacrilège voeu ».

La scène 6 de l’acte IV de "Phèdre" nous montre que la jalousie est, pour une âme passionnée, un cruel supplice, d’autant plus que les héros raciniens peuvent avec lucidité scruter impitoyablement leurs coeurs pour y discerner toutes leurs raisons de souffrir, toutes les nuances de leur douleur.

RacinePhèdre

AActe IV, scène 6

TP

38

Page 39: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-IV-scene-6.html

... Ah ! douleur non encore éprouvée !À quel nouveau tourment je me suis réservée !Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,Et d’un cruel refus l’insupportable injureN’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?Comment se sont-ils vus ? Depuis quand ? Dans quels lieux ?Tu le savais : Pourquoi me laissais-tu séduire ?De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ?Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ?Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence :Le Ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux !Et moi, triste rebut de la nature entière,Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;La mort est le seul Dieu que j’osais implorer.J’attendais le moment où j’allais expirer ;Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,Encor, dans mon malheur de trop près observée,Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir.Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;Et sous un front serein déguisant mes alarmes,Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.

Pistes d’étude pour l’analyse de ce passage

Repères mythologiques : Phèdre : fille de Minos et de Pasiphaé, elle-même fille du soleil ; demi soeur du minotaure (fils de Pasiphae et d’un taureau) ; toutes les femmes de sa famille sont poursuivies par la haine de Vénus, depuis que le soleil avait dévoilé ses amours avec le dieu Mars.

Hippolyte : fils du roi d’Athènes. Voué au culte d’Artémis et donc : voeu de chasteté. Mais il aime Aricie.

Phèdre est mariée à Thésée mais elle aime Hippolyte. On annonce la mort de Thésée au cours d’un voyage. Phèdre avoue son amour à Hippolyte qui la repousse. Retour soudain de Thésée vivant. Phèdre supplie Vénus de rendre Hippolyte sensible. Elle le calomnie auprès de son mari. Thésée maudit Hippolyte. Phèdre veut se repentir, mais elle apprend l’amour entre Hippolyte et Aricie. D’où sa jalousie.

La jalousie de Phèdre n’existe pas chez les Grecs ; inventée par les latins. Racine préfère cette version pour laisser plus de place aux passions humaines et moins au sacré.

Fil conducteur : le jeu des oppositions : 1. entre la solitude et le couple ; 2. entre la lumière et la nuit. 3. entre la culpabilité et l’innocence.

1. opposition : solitude couple. Jeu des pronoms personnels : je, ils. Pas de relation à trois : tous sont sujets, dans des mondes sans liens. Désespoir de l’expression "ils s’aiment". Passage consacré au couple encadré par deux passages consacrés à elle même. Elle ne peut se détacher d’elle-même et ne peut envisager l’amour que comme possession. d’où le verbe "trompé". en fait Hippolyte ne lui appartenait pas !

2. opposition ombre lumière. opposition illogique puisque Phèdre est la petite fille du soleil. verbe "voir" réservé au couple. champ lexical de l’ombre pour elle. Questions oppressées qui montrent son désespoir. opposition symbole d’une opposition vie - mort. Sous la terre : domaine des morts.

3. opposition innocence culpabilité. voir les termes "licence", "innocence" ; pas de détente possible pour Phèdre : les larmes lui sont interdites. se juge horrible par rapport à l’humanité entière et par rapport aux dieux. phrases hachées qui correspondent bien à l’impression générale d’étouffement : il n’y a pas d’issue.

Conclusion : dispose le lecteur à la pitié. Voir l’intention de Racine dans sa préface : "ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente". "hors d’elle-même".

39

Page 40: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

RacinePhèdre

AActe V, scène 6

TP

http://www.biblioweb.org/Phedre-acte-IV-scene-6.html

La désignation et la description du hérosA - La désignation du héros :Elle est d’abord générale. Utilisation de pronoms et d’adjectifs possessifs de la troisième personne : "il" (2), "autour de lui"(3), "sa main"(5), "sa voix"(7), "ses gardes"(2)... Elle présente ainsi Hippolyte comme faisant partie d’un groupe dont il est le chef. Elle devient ensuite épique : "Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros" (30), "l’intrépide Hippolyte (45) Elle est, enfin élégiaque et exprime la souffrance du compagnon face à la mort du jeune homme :"votre malheureux fils" (50), "ce héros expiré" (vers 70). Cette désignation s’achève sur une longue périphrase pleine de reproches aux vers 72 et 73 : "Triste objet ou des Dieux triomphe la colère / Et que méconnaîtrait l’oeil même de son père." On peut donc dire que l’on passe de la désignation d’un personnage du récit, triste compagnon de route à celle d’un guerrier en action, puis qu’Hippolyte est décrit comme le fils exemplaire de Thésée et enfin comme un héros qui meurt de façon violente et injuste.

B - La description du héros  :Elle insiste sur son état psychologique : "tout pensif"(4), "son silence" (3), "sa main(...) laissait flotter le rênes" (5), "l’oeil morne" (8), "la tête baissée"(8), "triste pensée" (9). Cette description insiste sur la tristesse de ce voyage qu’entreprend un fils mélancolique chassé de chez lui. Dans l’action, la valeur (adjectif ="valeureux", souvent utilisé par Corneille) et le courage sont mis en avant : la suite de verbes d’action montre bien (vers 31 à 33) que le personnage n’a peur de rien, qu’il ne perd pas ses moyens face au montre qui a surgi de l’eau : "arrête ses coursiers"(31), "saisit", "pousse au monstre" (= fonce sur le monstre avec sa lance), "il lui fait..." D’ailleurs, ces actions sont récompensées par la "large blessure"(33) dans le flanc de ce monstre. C’est un combattant, qui maîtrise bien le maniement des armes et qui pourrait même s’en sortir sans l’intervention des dieux. Hélas, il va être trahi par ce qu’il connaît le mieux, ses chevaux : "sourds à cette fois" (38), "en efforts impuissants leur maître se consume" (40), "les chevaux que sa main a nourris" (51). En effet, la malédiction de Neptune contribue à cette défaite (vers 43), en provoquant la fureur des chevaux : "Un dieu qui d’aiguillons pressait leurs flancs poudreux". Maintenant, Hippolyte est qualifié d’"intrépide" (45), car il affronte un danger qui le dépasse et qui le conduira à sa perte. Il n’est plus maître de l’action : "voit voler" (46), "embarassé" (= coincé, enchevêtré : le sens du mot est plus fort que le sens actuel.) La description s’achève sur des images sanglantes, dans lesquelles les champs lexicaux de la souffrance et de la mort sont très présents : "une plaie" (53), "cris douloureux"(54), "tombeaux" (56), "froides reliques" (57), "généreux sang la trace" (59). Les vers 60 et 61 insistent lourdement sur cet aspect horrible de la défaite du jeune homme. On le suit à la trace de son sang qui se répand (60), à celle de ses cheveux arrachés... Ces images horribles, qui ont d’ailleurs été reprochées à Racine au nom de la bienséance, doivent provoquer chez celui qui a demandé une telle punition (Thésée, le père) remords et compassion. Le personnage est ici pitoyable, agonisant "oeil mourant qu’il referme soudain" (63) et ne peut même pas achever sa dernière phrase. Celle-ci concerne d’ailleurs la jeune fille qu’il aime, captive et ennemie de son père. Il ne demande rien pour lui, se montrant généreux jusqu’à son dernier souffle : "qu’il lui rende..." (sous entendu : "sa liberté"). Après la mort : "ce héros expiré"(70) le participe passé montre l’ellipse du moment fatidique. Il n’est plus qu’un "triste objet", un "corps défiguré". C’est maintenant l’aspect physique qui est mis en avant : on aurait du mal à le reconnaître (vers 73) même si on le connaissait bien avant. C’est le "triomphe" de "la colère" "des Dieux" (72) et surtout celui de l’injustice.

Conclusion :Un personnage qui a vécu justement et qui meurt injustement : c’est la caractéristique du martyr, qui souffre pour que triomphe le bien. Une mort qui fait éclater la vérité, et qui provoquera ensuite celle de Phèdre, la vraie coupable (elle se suicidera par le poison à la scène suivante, en avouant sa culpabilité à son époux). Le spectacle d’une telle mort doit provoquer la pitié et l’effroi propres à susciter la catharsis (=purgation des passions). C’est ce que l’on attend d’une tragédie.

*******************************************Racine

40

Page 41: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Iphigénie

AActe II, scène 1

TP

http://www.lettres.net/cours/racine-amour/iphigenie.htm

IPHIGENIE (1674), Acte II, scène 1

 Les dieux ont ordonné au roi Agamemnon de sacrifier sa fille Iphigénie s'il voulait que les vents soufflent à nouveau et permettent à la flotte de partir vers Troie. Iphigénie arrive donc au camp d'Aulis, afin, croit-elle, de se marier avec Achille qui lui est promis. Elle est accompagnée d'Eriphile, jeune fille qu'Achille a enlevée à Lesbos.

ERIPHILE

Je me flattais (1) sans cesseQu'un silence éternel cacherait ma faiblesse.Mais mon cœur trop pressé (2) m'arrache ce discours,-Et te parle une fois, pour se taire toujours.Ne me demande point sur quel espoir fondéeDe ce fatal amour je me vis possédée.Je n'en accuse point quelques feintes douleurs (3)Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.Le ciel s'est fait sans doute une joie inhumaineA rassembler sur moi tous les traits de sa haine (4) .Rappellerai-je encor le souvenir affreuxDu jour qui dans les fers (5) nous jeta toutes deux ?Dans les cruelles mains, par qui je fus ravie,Je demeurai longtemps sans lumière et sans vie.Enfin mes tristes yeux cherchèrent la clarté ;Et me voyant presser d'un bras ensanglanté,Je frémissais, Doris, et d'un vainqueur sauvageCraignais de rencontrer l'effroyable visage.J'entrai dans son vaisseau, détestant (6) sa fureurEt toujours détournant ma vue avec horreur.Je le vis. Son aspect n'avait rien de farouche.Je sentis le reproche expirer dans ma bouche.Je sentis contre moi mon cœur se déclarer,J'oubliai ma colère, et ne sus que pleurer.Je me laissais conduire à (7) cet aimable guide.Je l'aimais à Lesbos, et je l'aime en Aulide.Iphigénie en vain s'offre à me protéger,Et me tend une main prompte à me soulager :Triste effet des fureurs dont je suis tourmentée !Je n'accepte la main qu'elle m'a présentée,Que pour m'armer contre elle, et sans me découvrir,Traverser (8) son bonheur, que je ne puis souffrir.

Notes:

1. Je me flattais : j'espérais à tort.2. Pressé : accablé.3. Feintes douleurs : manifestations simulées de la pitié.4. Eriphile ne connaît pas ses parents.5. Etre dans les fers : être prisonnière6. Détestant : maudissant.7. Conduire à : conduire par.8. Traverser : me mettre en travers de.

 

1/ Etudier l'évolution des expressions qui désignent Achille.

2/ Etudier la tonalité tragique.

 

41

Page 42: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

INTRODUCTIONPièce de 1674 de Racine, dont la gloire est alors solidement établie. Dans l'acte I, on apprend qu'Agamemnon a décidé, sous la pression des dieux et d'Ulysse, de sacrifier sa fille. Iphigénie arrive au camp d'Aulis, accompagnée d'Eriphile, jeune fille qu'Achille a enlevée lors de sa conquête de Lesbos. Scène 1, II, 1ère scène où apparaît ce personnage inventé par Racine pour dénouer sa pièce. Scène qui constitue une surprise dans la mesure où Eriphile se révèle être amoureuse d'Achille, promis à Iphigénie (lecture).Tirade qui raconte la naissance de cet amour sur une tonalité tragique.Comment le discours amoureux d'Eriphile fait d'elle un personnage tragique par excellence ?

I - La naissance de l'amourRécit de l'enlèvement coïncidant avec la naissance de l'amour.A - Le premier regard :- mis en relief par la brièveté de la phrase (v. 21) : effet de saisissement, de stupeur ; rythme qui oblige à un temps d'arrêt représentant bien la stupeur, le coup de foudre.- mis en évidence par l'opposition dans le récit de cette naissance entre la fuite du regard jusqu'au vers 20, et le retournement :• Achille désigné seulement par ses " mains ", son " bras " (vers 14, 16) = elle ne le voit pas encore ;• obscurité : " sans lumière " : accès progressif à la lumière dans un mouvement ascendant du regard qui aboutit à la vue d'Achille (" cherchèrent la clarté ", " me voyant ") ;• fuite du regard : " craignais de rencontrer " (vers 18), " et toujours détournant ma vue " (vers 20) ;• dès lors qu'elle le voit : " aspect " aimable qui aboutit aux larmes : vers 24.Détail de cette progression du regard qui met en relief le coup de foudre et le renversement dans les sentiments éprouvés par Eriphile.B - Renversement du sentiment :De la haine à l'amour, perceptible dans les désignations d'Achille et dans l'évocation de la scène du rapt : " souvenir affreux ", " cruelles mains ", " bras ensanglanté ": désigne par les métonymies Achille pour insister non seulement sur le fait qu'elle ne l'a pas encore vu, mais aussi sur la violence d'Achille : " vainqueur sauvage ", " effroyable visage " (à la rime, renforce l'expression de la haine face à la barbarie du rapt)." Son aspect n'avait rien de farouche " : un euphémisme + une lilote pour signifier qu'elle l'a trouvé beau, mais signe du refus d'appeler ses sentiments par leur vrai nom en raison de l'horreur éprouvée à aimer son ravisseur " aimable guide ".C - Manifestation de l'amour :Comme toujours chez Racine, manifestation de l'ordre du sensible, du physique: le corps parle, en dépit de la volonté de l'être conscient : anaphore de " je sentis ", suivie de compléments indiquant une transformation de l'être qui n'est que sensation en opposition avec la haine consciente initiale : manifestations du corps qui vont à l'encontre de la haine ( " le reproche expirer dans ma bouche ") : perte de la maîtrise de soi+ " contre moi mon cœur se déclarer " : scission de l'être mise en évidence par antéposition de " contre moi " et allitération en (k) (renforce " contre ")+ perte de la maîtrise par " l'oubli de la colère "+ négation restrictive : " ne sus que pleurer " : être qui se limite aux manifestations sensibles de l'émotion : témoigne du trouble d'Eriphile et du dépit éprouvé à se découvrir ainsi amoureuse de son ravisseur : dépit lié à l'amour, mis en évidence à la rime " déclarer/pleurer ". L'amour n'apporte pas la joie mais la douleur.expression lyrique de l'amour par l'anaphore des " je " pendant six vers (v. 21 à 26) qui culmine dans le vers conclusif : " je l'aimais à Lesbos, et le l'aime en Aulide " où répétition et parallélisme des constructions insistant sur la profondeur de l'amour + temps : durée du sentiment.Naissance de l'amour exprimée dans un récit où les étapes progressives du sentiment révèlent la transformation de l'être qui n'est plus que sensation allant à l'encontre de la conscience d'Eriphile.

 

II - L'ironie tragiqueEriphile, personnage le plus tragique de la pièce, car accablée par le sortvictime de la violence,victime de l'amour,victime d'elle-même.Ironie tragique car ses attentes sont toujours déjouées par le sort.A - Le motif de la main :Dans la tirade, mention de la main d'Achille et de la main d'Iphigénie, c'est-à-dire des actions de ces deux personnages, qui, à chaque fois, sont vécues par Eriphile à l'inverse de ce qui devrait être logiquement :- main ensanglantée d'Achille : insistance sur sa violence, et pourtant aimée ;- au contraire " main " d'Iphigénie (vers 28), " prompte à (la) soulager " rimant avec " protéger " : insistance sur la bonté et l'aspect protecteur d'Iphigénie, mais la aussi retournement qui fait de cette " main " protectrice une victime de la jalousie d'Eriphile: " que pour m'armer contre elle ", " traverser son bonheur ". Elle n'accepte son aide que pour la trahir.Série de retournements significatifs de l'ironie tragique qui frappe ce personnage. Retournement qu'on retrouve dans le thème du ravissement.

42

Page 43: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

B - Une éternelle victime : le thème du ravissementEriphile présentée toujours comme victime, d'abord d'une violence explicite le rapt d'Achille, puis de la violence de l'amour. Ravissement physique qui se prolonge dans le ravissement de l'amour :- Dans le récit du rapt, position de victime mise en relief par l'expression de la passivité :- tournure passive du vers 13 : " par qui je fus ravie ". Double sens de " ravie " = rapt physique + annonce le rapt du cœur (réf. Britannicus " ravie d'une si belle vue ") ;- verbe d'état et non d'action : " Je demeurai longtemps " (vers 14) ;- tournure passive du vers 16 : " me voyant presser d'un bras … " ;- désignation d'Achille connotant sa passivité et sa position de victime : " vainqueur ".- Puis à partir du moment où l'amour se déclare : passivité encore, due cette fois à l'amour : passage de " me voyant presser … " à " Je sentis … ". Cette fois, l'opposant n'est plus tant Achille qu'elle-même " contre moi ".- Aboutit à la résignation tant physique que sentimentale :" Je me laissai conduire à cet aimable guide " : se résigne à le suivre + se résigne à l'aimer.chez Racine, amour qui est un ravissement au double sens du terme et qui a partie liée avec la violence.C - La fatalité : le discours tragique1 - La fatalitéRavissement tant physique que sentimental qui trouve son expression aussi dans l'allégation de la fatalité :- " fatal amour " (vers 6) = fixé par le destin + qui cause la mort anticipe sur le dénouement sans le savoir : ironie tragique qui figure que le personnage prononce des paroles dont il ne maîtrise pas entièrement le sens ;- vers 9 : Eriphile victime du sort personnifié par le mot " joie " insiste de manière hyperbolique sur la cruauté du destin : rime " joie inhumaine "/ " haine " + idée de certitude " sans doute " (= au 17ème sans aucun doute) + " tous les traits " : là aussi, terme à connotation amoureuse par la référence implicite aux traits (flèches) de Cupidon : amour vécu comme une souffrance contre laquelle on ne peut rien.(?)2 - L'illusionFatalité qui renforce la voix de l'ironie tragique dans la mesure où elle souligne les illusions dont se berce le personnage tragique : " Je me flattais sans cesse " (vers 1)illusion de croire que l'amour peut se taire : parole qui est un arrachement : " m'arrache ce discours " + " feintes douleurs dont je crus voir Achille " : semblant d'espoir malgré la dénégation " Je n'en accuse point " (espoir qui sera important puisque scène 4, Eriphile espérera qu'elle est aimée par Achille).Eriphile victime de l'ironie tragique parfaite : toutes ses attentes sont déjouées par le sort qui la place dans une position de victime éternelle des autres, et d'elle-même (son amour, ses illusions).

 CONCLUSIONPremière scène où on voit Eriphile, et qui est programmatique de sa fin : = le vrai personnage tragique de la pièce car éternelle victime :- d'une part la naissance de l'amour est évoquée à travers une série de renversements de sentiments qui aboutissement à un désaccord entre l'être et le corps,- d'autre part Eriphile est victime de l'ironie tragique dans la mesure où son sort la maintient dans une position passive par rapport à chaque événement de sa vie.Ironie tragique à son comble dans le dénouement de la pièce, lorsqu'on apprendra que c'est elle qui est réclamée en fait par les dieux.

**********************Racine

Britannicus

AUne Tragédie classique

TE

http://www.yazata.com/index.php?do=Documents_view&id=393Étude d'élève. Le contenu, sur le fonds et sur la forme n'engage que son auteur

1.UNE OEUVRE CLASSIQUEle classicisme se caractérise par son soucis de simplicité de clarté et de bienséance. Racine veut à la fois plaire au public et l'instruire.

2.UNE PIECE DE THEATRE CLASSIQUE

2.1.UNITE DE TEMPSL'action se déroule en une seule journée elle ne doit pas dépasser 24h acte1,

I - Neron dort, il ne s’est pas encore réveillé (on est encore au petit matin) action engagée Neron se lève enfin et apparaît à l'acte 2,2il est encore tot (neron raconte ses aventures de la nuit c'est a dire la vision de Junie et le coup de foudre qui s'en est suivi.les péripétie s'enchaine tt au long du jour acte5:(banquet) réconcilliation de Neron et brittanicus diner :fin de la journée ou britanicus trouve la mort tt va ensuite tres vite - narcisse est laché au peuple romain -junie se réfugie chez les vésalesil s'est donc bien pasé une journée depuis le début de la

43

Page 44: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

scène jusqu'au neron erre dans le palais

2.2.UNITE DE LIEUtt doit se dérouler dans un seule et même endroit lieu unique didascalie initial du texte "la scène est a Rome dans une chambre du palais de néron (lieu non privée lieu suffisament public pour ue les proches de Néron puissent se croiser) acte2,6

2.3.UNITE D ACTION il y a une action resseré cette action on ns la definie trés bien dans sa préface "neron est un monstre naissant"lorsque Neron enleve Junie c pour enerver sa mère il prend plaisir a faire souffrir junie nouvelle passion de neron (la vie de brittannicus est menacé)affrontement acte5 "le monstre" c revélé il empoisonne britannicus

2.4.LES BIENSEANCES-bienséance externe règle qui interdit tt représentation indécente ou violente cette règle est respecté dans Britannicus même s'il se passe des choses violentes la mort de Britannicus est raconté par burrhus dans les vers (16622-1642)-bienseance interne les caractères doivent se développé selon une logique cohérente même pour Néron :dès la 1er scène neron est defini comme impulsif par sa mère (11 à 14)Néron ne se soucis pas de sa popularité le portrait de neron est brossé quand aux autres personnages ils gardes une fidélité et une innocence (Junie)amour et loyauté (britannicus)perfide traîtrise(neron)honneur et loyauté(burrhus)

2.5.UNITE DE TONc'est la règle qui interdit le mélange des registre(comique et tragique)"Britannicus est bien une tragédie" et non une comédie avec tt les caractéristique propre au tragique-les personnages sont de classes élevés .Néron empereur (famille royal) . mère .Britannicus .Burrhus(famille impérial)le seul qui ne soit pas noble c'est narcisse mais il s'exprime de façon soutenu et avec des alexandrins tous se vouvoient ils s'adressent les uns avec les autres tel que "prince" et "madame" les registres sont tous des registres graves (tragique pathétique lyrique)Britannicus réunit donc tous les critères de la tragédie classique Racine réussit a adopter un épisode "tacite" (il parvient a le faire couler dans un moule de la tragédie classique

RacineBritannicus

AActe III, scène 7

TP

http://www.biblioweb.org/Britannicus-acte-III-scene-7.html

Britannicus, acte III, scène 7

BRITANNICUS. - Néron nous écoutait, Madame ; Mais, hélas !Vos yeux auraient pu feindre, et ne m’abuser pas,Ils pouvaient me nommer l’auteur de cet outrage.L’amour est-il muet, ou n’a-t-il qu’un langage ?De quel trouble un regard pouvait me préserver !II fallait...

JUNIE. - II fallait me taire et vous sauver.Combien de fois, hélas ! puisqu’il faut vous le dire,Mon cœur de son désordre allait-il vous instruire !De combien de soupirs interrompant le coursAi-je évité vos yeux que Je cherchais toujours !Que ! tourment de se taire en voyant ce qu’on aime,De l’entendre gémir, de l’affliger soi-même,Lorsque par un regard on peut le consoler !Mais quels pleurs ce regard aurait-il fait couler !Ah ! dans ce souvenir, inquiète, troublée,Je ne me sentais pas assez dissimulée.De mon front effrayé je craignais la pâleur ;Je trouvais mes regards trop pleins de ma douleur.Sans cesse il me semblait que Néron en colèreMe venait reprocher trop de soin de vous plaire ;Je craignais mon amour vainement renfermé ;

44

Page 45: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Enfin j’aurais voulu n’avoir jamais aimé.Hélas ; pour son bonheur, Seigneur, et pour le nôtre,II n’est que trop instruit de mon cœur et du vôtre !Allez, encore un coup, cachez-vous à ses yeux ;Mon cœur plus à loisir vous éclaircira mieux.De mille autres secrets j’aurais compte à vous rendre.

BRITANNICUS. -Ah ! n’en voilà que trop ! C’est trop me faire entendre.Madame, mon bonheur, mon crime, vos bontés !Et savez-vous pour moi tout ce que vous quittez ?(Se jetant aux pieds de Junie.)Quand pourrais-je à vos pieds expier ce reproche ?

JUNIE. - Que faites-vous ? Hélas ! votre rival s’approche.

Acte III, scène 7 (extrait : vers 993-1024)

Néron est parvenu au pouvoir à la place de Britannicus grâce aux intrigues de sa mère, il est amoureux de Junie, qui elle, est amoureuse de Britannicus. Néron est amené à faire un choix déchirant, ou bien resté fidèle à Britannicus aux risques de le voir mourir, ou bien sauvegarder la vie de celui-ci en sacrifiant son amour. Néron caché mais présent impose à Junie de faire comprendre à Britannicus qu’elle ne l’aime pas, ce qui désespère ce dernier. Peu de temps après, les amoureux se retrouvent, Junie explique à Britannicus que Néron les écoutait, il s’agit ici de la fin de la scène, c’est-à-dire un face à face entre les deux personnages qui mesurent les effets du mal entendu et s’efforce de les effacer.

Les différentes formes de langage utilisable au théâtre.

Le premier langage auquel on pense, c’est le langage des mots, se faisant, ils font allusion à une autre scène (acte 6 scène 2) dans lequel le langage des mots était doublé, remplacer par un autre langage qui devait échapper à Néron.L’autre langage important est le langage des regards, l’association entre le regard et la communication est fréquemment perceptible dans le regard des jeunes gens, ces termes reviennent de manière récurrente dans l’extrait, montrant donc que par les yeux, on peut communiquer. Les personnages expriment la capacité du regard à transmettre un message. Les regards permettent également de consoler à coté de paroles désespérantes. Les personnages évoquent le langage de l’amour, des sentiments, du cœur. Il est abordé par des images (vers 996 - v1000 - v1016 - v1017) par des personnification du cœur. Il peut renseigner comme l’indique de façon explicite l’emploi du verbe instruire (v1000 - v1016). Enfin le mot cœur est sujet du mot éclaircir au v1018.

Le langage involontaire des émotions

C’est également une autre source de renseignement extérieur des émotions joue un rôle important (« soupir » v1001 - « pâleur » v1009). Tout ce qui renvoi aux troubles, aux bouleversements, constitue des signes qu’il faut déchiffrer pour que le message passe bien.

Les relations complexes évoqué par Junie entre le langage des mots et les autres formes d’expression.

L’échange entre Junie et Britannicus se fait autrement que par la parole (c’est le visuel qui compte le plus) mais aussi la difficulté car aucunes des deux personnes n’ont réussi à se faire comprendre car la nature de la situation dû à la situation d’énonciation (la présence de Néron connu de Junie mais pas de Britannicus).

Le langage du cœur, des émotions l’est encore d’avantage surtout qu’il est en contradiction avec le langage des mots (discours).

D’un côté, les yeux auraient été un moyen de discours efficace, si elle ne pouvait pas parler (v994), de l’autre Junie qui va se justifier en exposant les difficultés qu’elle a rencontré dans la communication par signe, le silence est nécessaire. La première difficulté est exposé au vers 1002 au niveau du regard (« évité », « cherchais ») où Junie fait le constat d’une situation douloureuse qui brouille les pistes pour Britannicus.

Les conséquences du regard (vers 1004-1005-1006) => procédé d’antithèse (faire couler)Opposition entre affliger.

Junie montre bien ainsi par le fait que le regard joue un rôle antithétique qu’il est difficile de se faire comprendre dans cette situation particulière. Une autre difficulté est rappelée au v1009-1011 « la pâleur de mon front me fait peur ». Junie fait allusion à son émotion qui pouvait être un message pour le jeune homme, il n’a pas compris ce message mais elle montre qu’elle-même redoutait ce signe donc essayait de le cacher, Britannicus ne se doutait encore moins de ses problèmes.

45

Page 46: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Les paroles de Junie ont une grande force car elle commente une expérience réellement vécue à laquelle le spectateur a assisté. Le spectateur l’a vu se débattre dans ce douloureux dilemme.

Encore une fois, on est dans un autre registre, genre, il y a un décalage dans le théâtre entre le public et un personnage. La réflexion de Junie sur le langage trouve forcement un éco favorable chez le spectateur.

Les différentes fonctions de la tirade de Junie

Le discours de Junie dans cette tirade a trois fonctions : -Discours d’explication sur la nature particulière de cette situation, l’impossibilité de se faire comprendre, incohérence de son attitude. -Elle affirme avec force dès la première vers de sa tirade, elle coupe Britannicus, elle reprend le même vers d’obligation que lui « il fallait » et elle juxtapose dans le même vers « me taire » et « vous sauvez ». -Elle se justifie en exprimant la crainte de perdre Britannicus, aussi en exprimant la peur de trahir ses émotions. -Elle s’exprime aussi avec des réactions de Néron (la peur)

Elle argument donc pour convaincre Britannicus de sa sincérité malgré ses paroles antérieures.Se faisant, elle nous permet de trouver une révélation, son discours est un aveu envers l’amour de Britannicus.Il est fait de façon sous-jacente (implicite), même si l’expression est détournée indirecte.Terme référence à l’amour « désordre », « soupir », « ce qu’on aime », « troublée », « inquiète », « ma douleur », « mon amour ».Plus ou moins directs ses sentiments, elle y montre sa tendresse. Exprime ses souhaits de façon retenue, maîtrisés.

Il y a deux thèmes liés à l’amour : -la douleur de Britannicus qu’elle redoute -toutes ces fonctions dans un même discourt réunissent l’amour

Conclusion :

Les caractéristiques de cette scène rappellent la capacité du théâtre d’imiter les situations de la vie, puisque cette scène nous fait réfléchir sur la complexité des formes, du langage sur tous les signes, hors des mots, qui doivent être compris, image de vérité, mensonge de la vie.La condition du spectateur est donc particulièrement intéressant acte2 scène6. Il est amené à éprouver sympathie.Enfin, la situation imaginer par Racine ici est en relation avec l’histoire de la psychologie de Néron.

Britannicus

Britannicus , Acte III, scène 7

>><<

Bajazet

>><<

Bérénice : Acte I, scène 5

Bérénice : Acte II, scène 2

Bérénice : Acte IV, scène 4

Bérénice : Acte IV, scène 5

Bérénice : Acte V, scène 5

46

Page 47: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

>><<

RacineBajazet

AActe V, scène 5

TP

http://www.biblioweb.org/bazazet.html

Le sultan de Byzance, Amurat, est parti faire le siège de Babylone. Osmin apporte à Byzance des nouvelles du sultan Amurat : celui-ci semble sur le point d’abandonner le siège de Babylone. Acomat, grand vizir, songe à profiter de cet échec pour encourager les janissaires à se révolter. Déjà il a refusé d’exécuter Bajazet comme le sultan le lui avait demandé. Enfin, Acomat croit que Bajazet et Roxane, favorite d’Amurat, sont amoureux l’un de l’autre et il voudrait s’appuyer sur eux tout en épousant Atalide. En réalité, Bajazet est amoureux d’Atalide c’est pour obtenir le trône qu’il fait semblant de répondre à la passion de Roxane.(acte I)Roxane veut détrôner Amurat en épousant Bajazet. Celui-ci est réticent, ce qui rend Roxane furieuse. Acomat puis Atalide le poussent à accepter. Bajazet se laisse tenter.(acte II)Bajazet modifie son attitude à l’égard de Roxane.. Atalide songe à mourir, ayant sauvé l’homme qu’elle aime. Bajazet vient lui expliquer qu’il n’a fait que de vagues promesses à Roxane. Celle-ci survient et, devant la froideur de Bajazet, commence à deviner sa liaison avec Atalide.(acte III)Orcan, serviteur du sultan, est rentré pour annoncer que, contre toute attente, Amurat a pris Babylone. Roxane reçoit par ailleurs une preuve de l’amour qui unit Bajazet à Atalide. Ces deux éléments la décident à faire exécuter Bajazet afin de plaire au sultan. Le vizir Acomat, qui jusque-là complotait avec Roxane et Bajazet, décide d’agir désormais sans eux.(acte IV)Après une dernière entrevue avec Bajazet, Roxane fait pendre Bajazet. Puis elle est assassinée par Orcan, qui agit selon un ordre secret du sultan. La conspiration d’Acomat échoue. Atalide se suicide.(acte V)

Personnages

Amurat, le sultan. Il n’apparaît pas, mais il détient le pouvoir, qui détermine l’action de tous les autres personnages. Sous la menace de son retour peut-être victorieux, la crise est ouverte. Mais c’est aussi à cause de lui que le dénouement a lieu comme il a lieu : c’est lui qui provoque le vrai dénouement, par l’envoi de son émissaire Orcan. La présence d’Amurat n’est pas physique ; il est en quelque sorte présent par son absence.Acomat, le vizir. Second rôle, mais il est davantage qu’un simple confident. Sa fonction s’exprime en termes de politique, et elle est de deux ordres : il a pratiquement toutes les initiatives (passion de Roxane pour Bajazet ; il s’est assuré une position solide, l’appui des autorités religieuses, le prestige militaire, et il est le maître du complot). D’autre part, bien qu’habile politicien, il n’a aucun discernement en ce qui concerne la relation entre Atalide et Bajazet. Son ignorance va déclencher toute l’action dramatique.Bajazet : il aime Atalide. Mais sa situation particulière de prisonnier de Roxane réduit sa marge de manoeuvre à très peu de choses. En plus, il est enfermé dans un dilemme tragique : ou bien il cache son amour et épouse Roxane, ou bien il avoue son amour, et est vraisemblablement condamné à mort. Il ne peut que rassurer Roxane et temporiser, ou la rassurer insuffisamment et provoquer jalousie et catastrophe. Rassurer simultanément Roxane et Atalide, voilà sa marge de manoeuvre.Atalide aime Bajazet. Dilemme tragique, analogue à celui de Bajazet. Pousser Bajazet à épouser Roxane, tout en le perdant et en risquant la jalousie ; pour elle aussi, c’est très dangereux d’avouer son amour.Roxane, amoureuse de Bajazet, est déterminée par la violence tyrannique de sa passion, qui l’aveugle sur les sentiments véritables de Bajazet et d’Atalide, mais qui exige aussi des garanties d’exclusivité de Bajazet. Celui-ci, par ses réticences, attise sa méfiance et lui fait demander des garanties encore plus fortes. Elle dispose du pouvoir absolu dans le sérail en l’absence du sultan (elle est d’ailleurs la seule amoureuse à disposer du pouvoir dans le théâtre de Racine).

Dissertation sur Bajazet de Racine

" Le tragique n’est pas dans le malheur réel ou imprévu, qui nous vide aussitôt de pensées, mais au contraire dans le malheur attendu, dont on entend les pas, qui arrivera, qui est déjà arrivé, qui fera son entrée comme un acteur. Tout l’art dramatique revient à dessiner, à faire entendre, à faire toucher ce pressentiment."Alain

Selon Alain, il existe deux sortes de malheurs : le malheur imprévu, qui nous plonge dans une situation d’hébétude, et le malheur prévu que l’on pressent et que l’on craint. Dans la tragédie, ce pressentiment est plus exploitable que le malheur lui-même ; on se complaît dans la conscience du malheur qui rôde, et tout le drame se situe dans cette attente, jusqu’à ce qu’on découvre que le malheur est là, sans qu’on l’ait senti approcher. C’est cela, à mon avis, qu’Alain appelle le "malheur-acteur". Comment Racine met-il en scène un climat de menaces et de peurs dans Bajazet ? De quelle manière exploite-t-il ce pressentiment du malheur ? Et qui, des personnages de la pièce ou des spectateurs, ressent le plus l’attente de la fin tragique ?

47

Page 48: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

On pourrait penser, malgré ce qu’affirme Alain, que le malheur inattendu détient une place importante dans la tragédie de Bajazet ; en effet, personne, parmi les personnages de la pièce, ne prévoyait l’assassinat de Roxane, et Atalide, pour qui cet événement pourrait être considéré comme heureux, ne pense pas apprendre la mort de son amant immédiatement celle de la sultane.

Pourtant, c’est Atalide elle-même qui parle d’un dénouement attendu : "Enfin, c’en est donc fait ; (...) / Je suis donc arrivée au douloureux moment / Où je vois par mon crime expirer mon amant." (Acte V, scène 12, vers 1722-1725), et le spectateur connaît dès le premier acte tous les enjeux de la pièce : l’exposition de ces enjeux commence par Acomat qui présente le lieu de la tragédie, la situation politique, les personnages ainsi que l’état du sérail. Vient ensuite l’exposition des sentiments où l’on apprend l’amour de Roxane pour Bajazet, l’amour réciproque entre Bajazet et Atalide, ainsi que l’ultimatum de Roxane envers Bajazet, "S’il m’aime, dès ce jour il me doit épouser." (Acte I, scène 3, vers 288), qui achève de poser la problématique. Dès lors, le spectateur détient les clefs de l’action du malheur, et comprend l’enjeu dramatique. Il est capable d’analyser et de juger les dialogues mieux que les personnages eux-mêmes, et d’anticiper l’issue de la pièce.

Mais comment cette tragédie, dont le spectateur connaît la fin par avance, peut-elle durer si longtemps sans être répétitive ou même fastidieuse ? C’est que chaque personnage a dans son caractère une inconstance qui va faire osciller l’action en fonction des caractères et des réactions des autres ; Acomat, le vizir du sultan, a la particularité de se démarquer clairement des autres vizirs en refusant la fatalité et le pouvoir absolu du sultan : "Je sais rendre aux sultans de fidèles services, / Mais je laisse au vulgaire adorer leurs caprices, / Et ne me pique point du scrupule insensé / De bénir mon trépas quand ils l’ont prononcé." (Acte I, scène 1, vers 197-200). Bajazet se veut et est considéré comme très franc, ce qui, d’après Atalide, le perdra s’il est confronté à Roxane : "Roxane méprisée / Bientôt de son erreur sera désabusée. / Car enfin Bajazet ne sait point se cacher." (Acte I, scène 4, vers 389-391). Cependant, d’après Acomat, Bajazet a tout de même de l’ambition, et n’hésite pas à manipuler si cela est dans son intérêt ; il souligne, au sujet de Roxane, que Bajazet "vit que son salut / Dépendait de lui plaire, et bientôt il lui plut." (Acte I, scène 1, vers 155-156). Atalide, très amoureuse de Bajazet, a la faiblesse d’être jalouse de Roxane. Amurat, personnage absent, est le seul à rester constant du début à la fin de la pièce ; il symbolise le pouvoir absolu, inaccessible et arbitraire : le "malheur dont on entend les pas" !

La figure le plus versatile est celle dont dépendent les destins de Bajazet et d’Atalide ; Roxane, qui devrait représenter le pouvoir du sultan absent, menace perpétuelle, est assaillie par le doute du fait de son amour pour Bajazet. Contrairement au spectateur, elle découvre au fil de la pièce de nouveaux éléments qui la rendent hésitante et inconséquente dans ses décisions, et c’est cette instabilité des sentiments de Roxane qui fait le tragique de la pièce en prolongeant l’attente du malheur.

De quelle manière cet état d’incertitude et d’hésitation est-il instauré ? Au début de la pièce, Roxane pose un ultimatum à Bajazet : pour lui prouver son amour, dont Roxane doute depuis son entrevue avec lui, celui-ci doit l’épouser, sans quoi il sera exécuté : "Je ne retrouvais point ce trouble, cette ardeur, / Que m’avait tant promis un discours trop flatteur. / (...) / Il ne fut plus qu’un pas ; mais c’est où je l’attends. / (...) / Sa perte ou son salut dépend de sa réponse." (Acte I, scène 3, vers 283-284, 316 et 326). Si Bajazet donne une réponse claire, la tragédie peut se terminer, mais il se rend compte que son intérêt est dans la temporisation ; il donne de se fait une réponse sibylline à Roxane, en prétextant des raisons politiques à ses atermoiements. Il finit par proposer à Roxane de le faire d’abord sultan afin d’obtenir les faveurs du peuple avant de l’épouser : "Ne précipitons rien ; et daignez commencer / A me mettre en état de vous récompenser." (Acte II, scène 1, vers 495-496).

Dans la suite du dialogue, on remarque très bien la versatilité de Roxane ; celle-ci s’adresse à Bajazet en le vouvoyant : "Je vous entends, Seigneur." (Acte II, scène 1, vers 497), puis passe au tutoiement lorsque Bajazet intervient, et qu’elle croit comprendre qu’il ne l’aime pas : "Ne m’importune plus de tes raisons forcées." (Acte II, scène 1, vers 521). Elle finit même par parler de Bajazet à la troisième personne : "Demanderais-je encor de son indifférence ?" (Acte II, scène 1, vers 526), afin de se détacher de lui et de pouvoir énoncer sa sentence de mort. Mais à force de parler, Roxane se convainc elle-même de l’épargner ; elle recommence à tutoyer Bajazet : "Ah ! Je vois tes desseins." (Acte II, scène 1, vers 529), puis à le vouvoyer : "Bajazet, écoutez : je sens que je vous aime." (Acte II, scène 1, vers 538). Finalement, après encore une hésitation entre le "tu" et le "vous", Roxane appelle les gardes en tutoyant Bajazet : "Ah ! c’en est trop enfin, tu seras satisfait. / Holà ! gardes, qu’on vienne." (Acte II, scène 1, vers 567-568). On pense que sa décision est prise, mais comme le remarque Atalide, "Vous-même, vous voyez le temps qu’elle vous donne. / A-t-elle, en vous quittant, fait sortir le vizir ? / Des gardes à mes yeux viennent-ils vous saisir ?" (Acte II, scène 5, vers 778-780), Roxane laisse du temps à Bajazet et sort de la scène à la place d’Acomat. Elle ne met donc pas en actes la décision qu’elle a prise.

Pendant le temps qui lui est imparti, Bajazet est poussé à feindre à nouveau, d’abord par Acomat : "Promettez. Affranchi d’un péril qui vous presse, / Vous verrez de quel poids sera votre promesse. / (...) / Ne rougissez point : le sang des Ottomans / Ne doit point en esclave obéir aux serments." (Acte II, scène 3, vers 641-644), puis par Atalide : Peut-être il suffira d’un mot un peu plus doux / (...) / Dites... tout ce qu’il faut, Seigneur, pour vous sauver." (Acte II, scène 5, vers 776 et 792). Il demande donc une seconde entrevue à Roxane, scène qui ne nous est pas montrée, mais rapportée par le vizir, "J’ai longtemps, immobile, observé leur maintien. / Enfin, avec des eux qui découvraient son âme, / L’une a tendu la main pour gage de sa flamme ; / L’autre, avec des regards

48

Page 49: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

éloquents, pleins d’amour, / L’a de ses feux, Madame, assurée à son tour." (Acte III, scène 3, vers 884-888), puis par Bajazet : "Moi, j’aimerais Roxane, ou je vivrais pour elle, / Madame ? Ah ! croyez-vous que, loin de le penser, / Ma bouche seulement eût pu le prononcer ? / Mais ni l’un ni l’autre enfin n’était point nécessaire / (...) / A peine ai-je parlé que, sans presque m’entendre, / Ses pleurs précipités ont coupé mes discours." (Acte III, scène 4, vers 978-980 et 986-987). Ces deux versions de la même conversation permettent de maintenir le spectateur dans le doute, et par là de relancer l’action de la tragédie.

A ce moment, Roxane entre dans un mouvement de va-et-vient ; elle a entendu Bajazet lui dire qu’il ne l’aime pas, puis l’assurer de son amour, et elle ne sait plus quoi penser. Même lorsque Bajazet se montre froid envers elle en présence d’Atalide, elle ne revient pas sur sa décision de le gracier. Dans sa discussion avec Atalide, elle découvre que celle-ci est amoureuse de Bajazet, et sa menace s’étend sur elle, mais cette découverte ne suffit plus pour que Roxane prenne une décision, et, peut-être de peur de découvrir un élément qui condamnerait Bajazet, elle décide de "tout ignorer" (Acte IV, scène 4, vers 1250).

L’arrivée d’Orcan, le messager noir, qui est un élément extérieur, renforce la menace et le sentiment de la proximité du malheur. De plus, Roxane intercepte la lettre de Bajazet à Atalide, qui met fin à ses hésitations et la soulage de ses doutes : Ah ! je respire enfin ; et ma joie est extrême / Que le traître une fois se soit trahi lui-même. / Libre des soins cruels où j’allais m’engager, / Ma tranquille fureur n’a plus qu’à se venger. / Qu’il meure. Vengeons-nous. Courez : qu’on le saisisse" (Acte IV, scène 5, vers 1274-1278), et malgré un dernier instant où elle souhaite encore temporiser, "Je perdrais ma vengeance en la rendant si prompte. / Je vais tout préparer." (Acte IV, scène 6, vers 1363-1364), ainsi que les tentatives de Bajazet de la tempérer, leur entrevue se termine sur un "Sortez" (Acte V, scène 4, vers 1565) décisif de Roxane.

A ce moment, seuls le spectateur et Roxane savent que le malheur est arrivé ; c’est Roxane elle-même qui avait dit à sa confidente "s’il sort, il est mort." (Acte V, scène 3, vers 1457). Les autres personnages de la pièce l’ignorent encore, et lorsque Roxane est assassinée, Atalide retrouve un espoir, bientôt anéanti par Osmin : "Bajazet ! - Que dis-tu ? - Bajazet est sans vie. / L’ignoriez-vous ? - Ô ciel !" (Acte V, scène 11, vers 1694-1695).

On pourrait penser que, même pour le spectateur, la mort de Roxane est un élément imprévu. Pourtant, au tout début de la pièce, cette mort est déjà annoncée par Acomat, lorsqu’il raconte à Osmin que le pouvoir de Roxane s’est différencié de celui d’Amurat : "Il a depuis trois mois fait partir de l’armée / Un esclave chargé de quelque ordre secret. / (...) / Cet esclave n’est plu : un ordre, cher Osmin, / L’a fait précipiter dans le fond de l’Euxin." (Acte I, scène 1, vers 70-71 et 79-80). On peut aisément comprendre qu’Amurat, n’ayant pas vu revenir son esclave, ait soupçonné une trahison et fait donner l’ordre de surveiller Roxane, et même de la faire assassiner en cas d’insoumission au sultan.

La mort d’Atalide est également explicable, comme suite logique à celle de Bajazet ; l’amour des deux amants ayant été béni depuis leur plus tendre enfance par la mère de Bajazet, on comprend aisément qu’ils ne forment en fait qu’un seule entité, et que l’un ne pourrait vivre sans l’autre.

Racine s’emploie, tout au long du drame de Bajazet, à faire ressentir les multiples tensions que la menace du malheur fait peser sur les personnages. Bajazet est une parfaite illustration du propos d’Alain : toute l’action dramatique repose sur l’attente de l’acteur principal nommé malheur. Lorsque celui-ci entre en scène la tension retombe, ce qui met fin à la tragédie.

*****************************************Racine

Bérénice

AActe I, scène 5

TP

http://www.biblioweb.org/Berenice-Acte-I-scene-5.html

Bérénice, Acte I, scène 5

Bérénice (à Phénice)

Le temps n’est plus, Phénice, où je pouvais trembler.Titus m’aime, il peut tout, il n’a plus qu’à parler :Il verra le sénat m’apporter ses hommages,Et le peuple de fleurs couronner ses images.

49

Page 50: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée,Ces aigles, ces faisceaux , ce peuple, cette armée,Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,Qui tous de mon amant empruntaient leur éclat ;Cette pourpre, cet or, que rehaussait sa gloire,Et ces lauriers encor témoins de sa victoire ;Tous ces yeux qu’on voyait venir de toutes parts,Confondre sur lui seul leurs avides regards ;Ce port majestueux, cette douce présence.Ciel ! avec quel respect et quelle complaisanceTous les cœurs en secret l’assuraient de leur foi !Parle : peut-on le voir sans penser comme moiQu’en quelque obscurité que le sort l’eût fait naître,Le monde en le voyant eût reconnu son maître ?Mais, Phénice, où m’emporte un souvenir charmant  ?Cependant Rome entière, en ce même moment,Fait des vœux pour Titus, et par des sacrifices,De son règne naissant célèbre les prémices .Que tardons-nous ? Allons, pour son empire heureux,Au ciel qui le protège offrir aussi nos vœux.

(...)

Bérénice, reine de Palestine, aime passionnément Titus, l’empereur romain. A l’issue de la cérémonie du couronnement, sa confidente Phénice lui a laissé entendre que la raison d’état pouvait s’opposer au mariage.

 Dans Bérénice de Jean Racine, l’héroïne, reine de Palestine, est passionnément éprise de l’empereur romain Titus au couronnement duquel elle vient d’assister. Dans la dernière scène de l’acte I, Phénice, sa confidente, lui a laissé entendre que la raison d’état pouvait s’opposer au mariage qu’une passion partagée semblait lui promettre. Bérénice, loin de considérer les doutes émis par Phénice, évoque alors avec exaltation la nuit du couronnement. Mais cette exaltation, qui témoigne de la passion de la reine, ne signifie-t-elle pas aussi l’inquiétude de Bérénice ? Notre étude s’arrêtera dans un premier temps à la dimension picturale de ce tableau nocturne, puis à la représentation de la gloire de Titus, transfiguré par l’amour de la reine. Enfin, nous examinerons les signes de l’inquiétude de Bérénice qui transparaissent dans ses propos.

 

L’évocation du couronnement de Titus comporte un aspect pictural qui rend la scène passée particulièrement vivante. En effet, Bérénice parle d’un "souvenir charmant" au vers 317, c’est-à-dire d’un souvenir envoûtant selon le sens de l’adjectif au 17ème. Elle donne alors à voir cette scène, d’où la récurrence de termes dénotant la vision : "De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ? Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?". La description acquiert une présence et une vivacité grâce à des notations concrètes : "Ces flambeaux, ce bûcher (...), ces aigles, ces faisceaux, ..." Phénice, les spectateurs et Bérénice se trouvent ainsi transportés sur les lieux mêmes du couronnement par le pouvoir suggestif de ces termes.

De plus ce tableau prend une consistance particulièrement nette grâce à l’abondance d’expressions dénotant couleurs et lumières : la "pourpre", "l’or" amènent une luminosité et un éclat qu’augmente le lexique de la lumière. Celui-ci prend une ampleur étonnante, notamment dans la gradation du vers 303 : "Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée". Les antithèses opposant l’obscurité et la lumière donnent à voir un tableau en clair-obscur où Titus apparaît tel un rayonnement : Bérénice parle de "la splendeur" de "cette nuit", de la "nuit enflammée". Le ton exalté de la reine qui reconstitue ce spectacle exprime en fait la passion qui l’habite : la présence des flammes et de la lumière y a une valeur métaphorique et témoigne autant de l’embrasement du cœur de l’héroïne que de la beauté du spectacle nocturne.

En outre, la passion est manifeste dans la structure accumulative de la phrase qui s’étend du vers 303 au vers 311 ; la récurrence des démonstratifs exprime l’exaltation de Bérénice en même temps qu’elle rend présente la scène passée. Tout se passe comme si la reine ne parvenait pas à s’arracher à ce spectacle grandiose, fascinée par l’éclat de son amant. La syntaxe contribue à cet effet car elle est chargée d’une vive émotion : les tournures exclamatives des vers 312, 313,en témoignent, ainsi que l’abondance des tours nominaux du vers 303 au vers 311. Ce tableau en clair-obscur exprime ainsi moins la réalité de cette nuit que la passion de Bérénice qui idéalise Titus.

 

50

Page 51: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Dans l’Antiquité, les empereurs après leur mort connaissent une cérémonie d’apothéose qui les déifiait. La scène évoquée par Bérénice décrit en fait l’apothéose de Vespasien, père de Titus et ancien empereur. Mais par un retournement significatif de la passion, c’est Titus lui-même qui semble comparé à un dieu. Sa puissance est suggérée par de nombreux symboles : les "faisceaux" représentent la puissance publique, la "pourpre" désigne la couleur impériale, les "lauriers" symbolisent la victoire, et les "aigles" rappellent la puissance de l’empire. Et dès le début, Bérénice lui prête l’omnipotence divine : "il peut tout ".

De plus, il est selon le regard de Bérénice, auréolé de lumière , et lui-même source de lumière : par une inversion singulière, la "pourpre" et l’or" dont la fonction est de conférer l’éclat reçoivent, au contraire, de Titus une lumière qui les rehausse (vers 307) ;ainsi, la foule d’assistants "empruntent leur éclat" à l’empereur. Il est comme une lumière fascinante qui attire les regards de tous, au centre de la scène. Cette focalisation est nette : l’énumération de l’assistance, "cette foule de rois, ces consuls, ce sénat", met en valeur par contraste l’unicité de Titus, dont le nom est accentué à l’hémistiche : "confondre sur lui seul leurs avides regards". Titus est présenté comme un pôle d’attraction universelle pour une foule dont la seule action est de voir comme en témoigne la métonymie du vers 309 " tous ces yeux qu’on voyait venir de toutes parts".

La personne de Titus est ainsi sans cesse mise en valeur par une tonalité hyperbolique, révélatrice de l’amour de Bérénice. La "splendeur" de la nuit comme l’indique la rime des vers 301 et 302 n’est due qu’à "sa grandeur". De même sa puissance est mise en relief par la rime entre "gloire" et "victoire" aux vers 307 et 308. Bérénice se plaît à énumérer les hommages qu’on rend à son "amant" : les fleurs dont on couronnera ses images (vers 300), la venue de la foule, les vœux de "Rome entière" et les "sacrifices". Sa fierté d’amante est manifeste lorsque à l’hémistiche du vers 306 elle le désigne par "mon amant", tout comme au vers 311 elle évoque sa "douce présence". L’allitération continue en s confère à toute cette scène une poésie qui témoigne aussi de l’envoûtement de Bérénice.

 

Cependant l’exaltation excessive de la reine n’est-elle pas également le signe d’une inquiétude sourde ? En effet, Phénice vient d’insinuer le doute chez Bérénice en lui rappelant que la raison d’état pourrait bien s’opposer au mariage. Sa tirade comporte ainsi un aspect argumentatif voilé par lequel elle tente de persuader Phénice de son erreur. Son discours, tout en exprimant son amour, tend à représenter la toute puissance de Titus : "Titus m’aime, il peut tout, il n’a plus qu’à parler". Ce tétramètre est significatif de la situation du couple : Titus détient désormais tous les pouvoirs, il est adoré de tous, donc même s’il ne respecte pas une loi , personne ne lui en tiendra rigueur. Bérénice n’attend plus qu’une déclaration officielle. Pourquoi renoncerait-il à son amour maintenant qu’il peut tout ?

La persuasion repose en outre sur une implication de l’auditoire : elle appelle Phénice à considérer la puissance de Titus pour l’amener à oublier ses doutes. Son désir de la convaincre passe par de multiples interrogations aux vers 301, 302, 316, 317. Celles-ci n’ont qu’une valeur rhétorique : le fait qu’elle continue à parler, malgré ses propres questions laisse entendre sa crainte d’une réfutation qu’elle sait au fond d’elle possible.

Aussi son exaltation exprime-t-elle également en filigrane son inquiétude. La syntaxe accumulative peut se lire comme le signe de la hâte que met Bérénice à prodiguer des preuves. C’est elle-même aussi qu’il s’agit de convaincre. Les démonstratifs qui actualisent les éléments de la scène, "ces flambeaux, ce bûcher,..." sont des réalités que brandit la reine sous les yeux de Phénice afin de modifier son point de vue. Mais cette stratégie n’est certainement qu’à demi-consciente : plutôt que d’examiner rationnellement le bien-fondé des réserves émises par la suivante, elle préfère revivre cette nuit grandiose et fuir la réalité de la politique romaine qui interdit à un empereur d’épouser une reine étrangère.

 

Ces paroles de Bérénice sont riches de sens : l’évocation du couronnement de son amant illustre la façon dont un cœur passionné transfigure la réalité. Titus se trouve ici au centre d’un tableau clair-obscur, objet de tous les regards et source de lumière ; mais cette reconstitution est aussi une tentative émouvante de convaincre celle qui parle comme celle qui écoute que Titus ne saurait abandonner Bérénice. L’illusion de l’héroïne constitue toute l’ironie tragique de cette scène : elle ignore qu’au même moment, Titus a renoncé à leur amour, ce que le spectateur apprendra dès la scène suivante.

 

PLAN ADOPTE (Bérénice I, 5)Problématique : comment l’évocation du couronnement de Titus révèle à la fois la passion de Bérénice et son inquiétude quant à leur amour ?

I - Un tableau exalté

A - Un tableau

51

Page 52: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

B Lumières et couleursC -L’expression de la passion.

  II - L’idéalisation de Titus

A - Les symboles de la puissanceB - Titus au centre des regardsC - La fierté d’une amoureuse

Titus transfiguré par la passion.

  III - L’inquiétude de Bérénice

A - Une tentative de persuasionB - Une inquiétude sourdeExaltation qui témoigne d’une inquiétude inavouée.

RacineBritannicus

AActe II, scène 2

TP

http://www.biblioweb.org/Berenice-Acte-II-scene-2.html

Racine, Britannicus, 1669 (acte 2, scène 2)

NERONNarcisse, c’en est fait, Néron est amoureux.

NARCISSEVous ?

NERONDepuis un moment mais pour toute ma vieJ’aime, que dis-je, aimer ? J’idolâtre Junie !

NARCISSEVous aimez ?

NERONExcité d’un désir curieux,Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux,Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,Belle, sans ornement, dans le simple appareilD’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence,Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,Relevaient de ses yeux les timides douceurs.Quoi qu’il en soit, ravi d’une si belle vue,J’ai voulu lui parler, et ma voix s’est perdue :Immobile, saisi d’un long étonnement,Je l’ai laissée passer dans son appartement.J’ai passé dans le mien. C’est là que solitaire,De son image en vain j’ai voulu me distraire.Trop présente à mes yeux, je croyais lui parler,J’aimais jusqu’à ses pleurs que je faisais couler.Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce ;J’employais les soupirs, et même la menace.Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,Mes yeux sans se fermer, ont attendu le jour.

52

Page 53: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Racine, Britannicus, 1669 (acte 2, scène 2)

Comment le récit de l’enlèvement de Junie révèle-t-il de la part de Néron un amour ambigu ?

I. Un récit en contrasteA. Le récit de deux visions1 Le récit d’une vision réelle : - temps : cette nuit - lieu : "en ces lieux"= le palais - temps verbaux :. imparfait -> description). passé composé -> récit d’action // passé simple (C’est le récit de l’enlèvement de Junie). un début/une fin : arriver -> passer

2 Un autre récit d’une scène imaginaire : - succède à l’autre : "je l’ai laissée passer dans son appartement", "J’ai passé dans le mien" remplace la vision réelle, dès qu’elle s’achève, par une scène imaginaire - seulement à l’imparfait : aspect duratif : plaisir à s’imaginer cette scène. - Pas de lieu, pas d’indice sur le moment. - A priori long moment puisque imparfait (durée) + "quelquefois" - imaginaire : "Je croyais" (vers 20) C’est la beauté du tableau qui provoque la naissance de la rêverie.

B. Un tableau en clair obscur1 tableau : souvenir présenté comme une vision : "je l’ai vue"2 vision statique, pas de fin au récit : C’est seulement l’arrivée de Junie ; majorité d’imparfaits3 tableau en clair obscur : - obscurité/lumière vers 7 (tétramètre : beauté). les ombres/les flambeaux vers 114 dualité accordée à la dualité de la scène - opposition des vêtements : "simple appareil" /ravisseurs en armes - opposition douceur/ violence : larmes /armes douceur/ravisseur

A la fois un souvenir et une rêverie dans un récit qui est surtout un tableau tout en contraste.

Place le texte sous le signe de la dualité, et de l’ambiguïté qui caractérise aussi l’amour de Néron.

II. Néron amoureuxA. Le ravissement :1 La passivité de Néron : - position inactive : " Immobile", participes passés : "saisi" accentue l’immobilité par le sens du verbe + complément d’agent "long étonnement" (où sens étymologique frappé de stupeur < tonnerre) - excité (vers 4), " ravi "(vers 14),"occupé"(vers 24)

2 L’absence du contrôle de soi : - vers 15 mutisme - opposition entre la volonté de Néron (" j’ai voulu ") et la réaction du corps :" " ma voix s’est perdue " - impossibilité d’échapper au souvenir (vers 19) - 2 vers de conclusion : insomnie où rime à l’hémistiche + à la rime les détache pour mettre en relief l’obsession de Néron - impossibilité d’aller la voir : vers 17-18 - impossibilité de déterminer les raisons de son ravissement (vers 10" Je ne sais ")

Il s’agit d’un ravissement qui témoigne de l’excès.

B. L’excès :1 rectification hyperbolique : "J’idolâtre Junie" : allitération en J et assonance en i : plaisir de la sonorité du nom de l’aimée ?2 "pour toute ma vie/opposé à "moment" : antithèse qui révèle la soudaineté de l’amour3 "trop présente" : insistance sur l’obsession.Amour qui par son excès même et par ce qu’on sait de Néron inquiète.

III. Un tyran en puissance ?

A. Une scène de terreur

1 situation : Junie enlevée en pleine nuit par des officiers et ignorant la raison

53

Page 54: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

2 insistance sur les yeux de Junie qui implore le ciel (vers 6) : goût pour l’innocente victime + triste (XVIIe) = malheureux3 vocabulaire de la violence mis en relief par le contraste douceur/ victime : arracher vers 9 (enjambement), flambeaux, cris, farouche aspect, fiers ravisseurs.

B. La perversion

1 voyeurisme de Néron qui se nourrit de cette vision pour fantasmer toute la nuit ensuite2 amour d’une image seulement : Junie = une idole = l’incarnation de l’innocence, d’où champ lexical du regard : son image le poursuit + "j’idolâtre" : aime en Junie non pas la personne (pas d’échange) mais ce qu’elle représente.3 un sadique en puissance : dans la peinture du souvenir, se plaît à insister sur l’opposition violence/douceur à plusieurs reprises + propension à jouir de la souffrance infligée à autrui + dans sa rêverie : réitère la scène, mais cette fois c’est lui qui est en action et qui inflige la souffrance, et qui l’aime : vers 21 + menace mais sadisme réversible en masochisme :" trop tard, je lui demandais grâce "4 " scène imaginée où de toute façon elle est celle qui se refuse puisqu’il essaie de la convaincre : même dans la rêverie, ne rêve pas à l’accomplissement de l’amour mais simplement au désir : confirme que Junie = une idole, et lui un pervers.

CONCLUSIONTirade sous le signe du double : amour doublé de perversion, passivité et violence, clair-obscur, amour qui introduit une scission en Néron : ne se commande plus, il en devient inquiétant. Il est surprenant pour le spectateur que les premières paroles de Néron soient des paroles d’amour alors qu’il nous a été présenté dans l’acte I comme un monstre. Mais au sein même de ce discours amoureux s’exprime sa cruauté : amour et violence sont toujours chez Racine intimement liés.

RacineBérénice

A Acte II, scène 2 TP

http://www.biblioweb.org/Berenice-acte-IV-scene-4.html

Publié le : 2 mai 2004

Bérénice, acte IV, scène 4

TITUS.- Hé bien ! Titus, que viens-tu faire ?Bérénice t’attend. Où viens-tu téméraire ?Tes adieux sont-ils prêts ? T’es-tu bien consulté ?Ton cœur te promet-il assez de cruauté ?Car enfin au combat qui pour toi se prépare,C’est peu d’être constant, il faut être barbare.Soutiendrai-je ces yeux, dont la douce langueurSait si bien découvrir les chemins de mon cœur ?Quand je verrai ces yeux armés de tous leurs charmes,Attachés sur les miens, m’accabler de leurs larmes,Me souviendrai-je alors de mon triste devoir ?Pourrai-je dire enfin : Je ne veux plus vous voir.Je viens percer un cœur que j’adore, qui m’aime.Et pourquoi le percer ? Qui l’ordonne ? Moi-même !Car enfin Rome a-t-elle expliqué ses souhaits ?L’entendons-nous crier autour de ce palais ?

54

Page 55: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

Vois-je l’état penchant au bord du précipice ?Ne le puis-je sauver que par ce sacrifice ?Tout se tait ; et moi seul, trop prompt à me troubler,J’avance des malheurs que je puis reculer.Et qui sait si, sensible aux vertus de la reine,Rome ne voudra pas l’avouer pour Romaine ?Rome peut par son choix justifier le mien.Non, non, encore un coup ne précipitons rien.Que Rome, avec ses lois, mette dans la balance,Tant de pleurs, tant d’amour, tant de persévérance ;Rome sera pour nous... Titus, ouvre les yeux !Quel air respires-tu ? N’es-tu pas dans ces lieuxOù la haine des rois, avec le lait sucée,Par crainte ou par amour ne peut être effacée ?Rome jugea ta reine en condamnant ses rois.N’as-tu pas en naissant entendu cette voix ?Et n’as-tu pas encore ouï la renomméeT’annoncer ton devoir jusque dans ton armée ?Et lorsque Bérénice arriva sur tes pas,Ce que Rome en jugeait ne l’entendis-tu pas ?Faut-il donc tant de fois te le faire redire ?Ah  ! Lâche, fais l’amour et renonce à l’empire.Au bout de l’univers, va, cours te confiner,Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.Sont-ce là des projets de grandeur et de gloireQui devaient dans les cœurs consacrer ma mémoire ?Depuis huit jours je règne : et, jusques à ce jour,Qu’ai-je fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour.D’un temps si précieux quel compte puis-je rendre ?Où sont ces jours que je faisais attendre ?Quels pleurs ai-je séchés ? Dans quels yeux satisfaitsAi-je goûté le fruit de mes bienfaits ?L’univers a-t-il vu changer ses destinées ?Sais-je combien le ciel m’a compté de journées ?Et de ce peu de jours si longtemps attendus,Ah  ! Malheureux ! combien j’en ai déjà perdus !Ne tardons plus : faisons ce que l’honneur exige ;Rompons le seul lien...

I- Un monologueLes indices de la solitude du personnageL’expression d’un trouble intérieur

II- Un cruel dilemmeLe sentiment amoureuxL’importance de la raison d’ÉtatLes étapes du débat

55

Page 56: Andromaque, Phèdre, Brénice, Britannicus

III- Une tonalité tragiqueL’expression lyrique de la solitudeUn comportement héroïque

56