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Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
Les centres d’appels,
Le téléopérateur,
Et l’enrôlement de la subjectivité.
TER Empirique ISAS 1
Coëdel Denis M1 SDS 2004/2005
SOMMAIRE:
INTRODUCTION: 4
I/ PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES: 6
I.1/ Les stratégies de résistances face à l'enrôlement de la subjectivité: 6
I.2/ Des actes de résistances au quotidien: 8
I.2.a/ Des actions moins collectives et moins visibles: 8
I.2.b/ Vers une distanciation au travail: 9
I.3/ Des stratégies de gestion du stress: 9
I.3.a/ Face aux contraintes et aux injonctions: 10
I.3.b/ Des actes pour décompresser: 10
I.3.c/ Une conscience de la temporalité limitée de cet emploi: 11
I.4/ Une représentation utilitariste et distanciée du travail: 12
I.4.a/ Une vision utilitariste: 12
I.4.b/ Une distanciation dans les représentations: 13
I.5/ Une valorisation professionnelle paradoxale: 13
I.5.a/ Une valorisation de la personnalité: 13
I.5.b/ L'identification au collectif de travail: 14
II/ CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ET PRATIQUE D'ENQUÊTE: 16
II.1/ L'entretien comme choix d'une approche qualitative: 16
II.1.a/ Un guide d'entretien modulable: 17
II.1.b/ Profils des interviewés: 19
II.1.c/ Entretiens et pratique: 21
II.1.d/ Retour sur les entretiens: 22
II.2/ Recueil de données complémentaires: 24
II.2.a/ Visite d'un centre d'appels: 24
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II.2.b/ Analyse de documents de travail d'un centre d'appels: 25
III/ UNE RATIONALISATION DU TRAVAIL TRÈS CONTRAIGNANTE: 27
III.1/ Panoptisme spatial et panoptisme électronique: 27
III.2/ Contraintes et injonctions: 30
III.3/ Stress et souffrances au travail: 32
IV/ LES EMPLOYÉS DE CENTRE D'APPELS: UN COLLECTIF IMPROBABLE? 35
IV.1/ Un collectif difficile à identifier: 36
IV.1.a/ Des statuts différents: 36
IV.1.b/ Un traitement individualisé des ressources humaines: 38
IV.2/ Coopération et solidarités collectives: 40
IV.3/ La hiérarchie et le « laisserfaire »: 42
V/ LA DISTANCIATION AU TRAVAIL: 46
V.1/ Les trois dimensions de la distanciation: 46
V.2/ La distanciation comme stratégie de résistance: 49
V.3/ L'ambivalence adhésion / résistances: 51
CONCLUSION: 53
BIBLIOGRAPHIE: 56
ANNEXES: 57
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INTRODUCTION:
Call Center, Hotline, Téléopérateurs,… ces nouveaux termes, issus du secteur récent
et très porteur de l’assistance téléphonique, se retrouvent dans beaucoup de publications dès
qu’elles parlent de conditions de travail ou de nouvelles formes d’exploitations. Après moins
de quinze ans d’existence en France, les Centres d’appels concernent déjà plus de 200 000
employés. Qualifiés d’usines modernes du tertiaire, on y observe de plus, et c’est souvent ce
qui inquiète, la mise en place extrême des dogmes des nouveaux managements : autonomie,
responsabilisation, forte prescription du travail et rationalisation extrême des tâches.
Comme nous avons pu le voir dans le cadre du rapport de TER théorique, on
s’aperçoit en parallèle que ces nouveaux modes d’organisation du travail semblent de plus en
plus reposer sur une tentative de contrôle du « mental » de ces nouveaux types d’ouvriers. En
essayant de faire adhérer le travailleur aux valeurs et à la culture d’entreprise, cette dernière
cherchant à détourner la subjectivité de l’employé afin d’augmenter sa productivité en créant
une motivation intrinsèque, confondant intérêts propres à l’individu et intérêts de l’entreprise.
En d’autres termes, si je remplis les objectifs de l’entreprise, cela me rendra plus heureux.
Dans le cadre de ce rapport de TER empirique, nous nous proposons dons d'étudier ce
mécanisme de détournement de la subjectivité, dans sa mise en place et dans sa réception par
l'employé. Comme nous le rappellerons lors de la définition de notre problématique, notre
choix s'est porté principalement sur les stratégies de résistances mises en place par le
travailleur face à l'organisation libérale du travail. De ce choix découle plusieurs hypothèses
qu'il nous faudra présenter ensuite. Le deuxième temps de ce mémoire, sera consacré à la
présentation de la méthode utilisée et à son analyse, au vu des données recueillies et de la
pratique même de celleci.
Enfin, nous pénétrerons au coeur de notre sujet par la présentation de nos résultats de
recherche que nous avons choisi d'orienter autour de trois axes. Le premier aura en effet pour
objectif de présenter les différentes contraintes reposant sur le téléopérateur. Nous verrons
ainsi la très forte rationalisation de l'organisation du travail, les contraintes et les injonctions
conséquentes et enfin les répercutions de tout cela sur l'individu au travail.
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Le deuxième axe se concentrera sur l'analyse des collectifs de téléopérateurs au sein
des centres d'appels. Ainsi, comme nous le verrons, l'existence de ceuxci, dans ces formes
d'organisations, est rendue improbable par plusieurs facteurs, mais reste cependant bien
réelle. Comprendre l'existence et les modes d'expressions de ces collectifs représente donc un
enjeu majeur de cette étude.
Pour terminer, nous concentrerons notre analyse sur une stratégie de résistance
individuelle cruciale au sein de ces centres d'appels: la distanciation. En effet, Comprendre ce
mécanisme nous permettra de mieux appréhender l'ambivalence profonde, et réciproque,
existant entre le téléopérateur et sa hiérarchie.
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I/ PROBLÉMATIQUE ET HYPOTHÈSES:
Pour bien cerner notre sujet et notre problématique, le TER théorique fut l'objet d'une
présentation détaillées des enjeux divers liés à ce sujet. Son objectif était ainsi de précéder la
constitution de la problématique de cette étude afin d'en assurer la validité et la pertinence
sociologique. Nous reviendrons donc dans un premier temps sur celleci en essayant d'y faire
apparaître les différents questionnements utiles à notre étude de terrain.
Dans un second temps, nous détaillerons les hypothèses de travail utilisées pour cette
recherche à travers quatre axes importants: l'existence de stratégies de résistances
quotidiennes, la validité de ces stratégies comme évacuatrices du stress généré par le travail
de téléopérateur, mais également les représentations associées, notamment dans une vision
plus distanciée du travail, et enfin l'hypothèse d'une valorisation paradoxale de la personnalité
du téléopérateur.
I.1/ Les stratégies de résistances face à l'enrôlement de la subjectivité:
Ayant déjà pris le temps de justifier le choix de cette problématique dans le cadre du
rapport de TER théorique, nous nous contenterons ici de résumer succinctement le
raisonnement explicatif. Face aux mutations organisationnelles du monde du travail et à leurs
trajectoires d’évolutions, il a été noté qu’on observait un déplacement des logiques internes
aux formes d’organisations du travail, du point de vue des objectifs de contrôle du travailleur.
Dans le but d’augmenter sa productivité, ces organisations ont tout d’abord cherché à
contrôler, de plus en plus près, le geste de l’ouvrier : fractionnement et hyperspécialisation
des tâches, suppression des gestes inutiles, minutage de ceuxci,… Au cours du temps, et
notamment depuis quelques années dans l'organisation libérale du travail, ce contrôle a eu
tendance à viser la subjectivité du travailleur, c'estàdire à lui faire croire et à le faire
coopérer aux objectifs et aux valeurs de l’entreprise.
C'est pourquoi cette organisation libérale du travail a été l'objet d'une longue étude,
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notamment au travers des ouvrages de Boltanski et Chiapello1, et de Courpasson2. Nous
avons ainsi la très forte prégnance du nouvel esprit du capitalisme et sa mise en pratique
difficile à travers une organisation toujours restée très bureaucratique au sens Weberien du
terme. La figure du manager a ainsi été montrée comme emblème, comme « grand » de la cité
par projet, caractéristique de l'organisation libérale.
Nous avons ensuite pu voir que Martuccelli3 analyse cet enrôlement de la subjectivité
du travailleur comme une injonction à la participation, nouvelle figure de la domination.
C’est ainsi que ce sujet s’inscrit au cœur même de la sociologie de la domination et participe
au dépassement des notions d’assujettissement et d’aliénation. Puis, nous avons fait appel à
l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg, dans le but avoué de comprendre comment
résistent les travailleurs à cette forme de domination. Il est important de noter ici l’importance
donnée, dans ces deux modèles théoriques, à la place de l’individu, considéré comme acteur
de sa vie et non simplement comme sujet. C’est cette prise de position qui nous permet de
croire en l’existence de ces stratégies de résistances. En effet, l'acteur se caractérise bien par
sa capacité à être le « décideur » de sa vie, c'estàdire d'y adopter des comportements
stratégiques, ou en tout cas jouer sur l'imprévisibilité de ses comportements.
Enfin, les centres d'appels nous sont bien apparus comme étant particulièrement
représentatifs de cette forme d'organisation du travail et de ses implications pour l'individu au
travail. Par conséquent, au vu de tout ces éléments, il nous paraît des plus probant d'y étudier
le mécanisme de détournement de la subjectivité. Compte tenu de notre prise de position sur
la notion d'acteur, l'analyse des stratégies de résistances face à ce mécanisme découle
naturellement de notre questionnement.
Ainsi, il s'agira pour nous, au cours de ce travail de comprendre comment et par quels
moyens l'organisation libérale du travail contraint le téléopérateur, en insistant notamment sur
l'enrôlement de la subjectivité. Puis, beaucoup de questions se poseront à nous: y atil
vraiment des stratégies de résistances de la part des téléopérateurs? si oui, lesquelles et dans
quels buts? sontelles portées par tous ou sontelles de l'ordre de l'individuel? quels sont les
ressorts de ces stratégies? quels sont les points sur lesquels résistent les employés? Comment
1 Boltanski Luc, Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.2 Courpasson David, L'action contrainte, Organisations libérales et dominations, Paris, PUF, Coll. Sciences
Sociales et Société, 2000.3 Martuccelli Danilo, Figures de la domination, in Revue Française de sociologie, 453, 2004, pp. 469497.
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l'organisation libérale réagitelle à ces résistances? en atelle conscience? et si oui, pourquoi
les tolèretelle? n'existetil pas un aller et retour incessant entre forme de résistances et
implication? ...
Les quatre parties suivantes représentent les grands axes d'hypothèses choisis pour
cette étude. Devant l'étendue de la question, nous limiter à quatre hypothèses semblait en
effet nécessaire à un approfondissement suffisant de cellesci.
I.2/ Des actes de résistances au quotidien:
Notre premier axe d'hypothèses consiste dans le fait qu'il existe des stratégies de
résistances quotidiennes face aux pressions et contraintes au travail. Il s'agit ainsi moins de
faire « la révolution » que de manifester son individualité et son mécontentement chaque jour,
dans chaque geste. Nous verrons ainsi deux hypothèses importantes dans cet axe: tout d'abord
la question de l'action collective dans la résistance puis la distanciation au travail.
I.2.a/ Des actions moins collectives et moins visibles:
Le travailleur semble pris entre de multiples feux où il doit réussir à faire sa place et à
créer son individualité. On identifie rapidement trois facteurs à cet amincissement de la marge
de manoeuvre de l’ouvrier : le chômage de masse menaçant, le discours dominant sur le
travail culpabilisant le travailleur insatisfait (du genre « quand on a du travail, il ne faut pas se
plaindre ! ») et la forte prescription de son travail où la marge d’autonomie est relativement
réduite dans les faits.
Les actions de résistances doivent ainsi être plus « fines », c'estàdire qu’elles ne
doivent pas provoquer son licenciement ou son catalogage comme trouble fête. Ainsi, il
semble que les stratégies de résistances adoptées soient moins visibles et par là même moins
collectives. Absentéisme, détournement de certains outils, retards réguliers,… sont quelques
indicateurs allant dans ce sens. Il peut paraître dangereux aujourd’hui, du fait du contexte
expliqué cidessus, de clamer ses revendications trop ouvertement.
I.2.b/ Vers une distanciation au travail:
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De plus, il semble que ces actes de résistances au quotidien s'appuient en partie sur
une distanciation au travail, au travers d'actes se plaçant clairement comme séparant le
téléopérateur de son travail. Il peut ainsi s'agir des résistances plus classiques de freinage,
voire de sabotage mais bien aussi en lien avec l'outil technologique. En effet, le téléopérateur
semble détourner l'usage de son outil de travail, l'amenant ainsi à l'utiliser pour lui et non de
la façon conseillée. A première vue, nous pouvons imager de deux manières ces stratégies:
par exemple l'usage personnel de l'accès à internet laissé à disposition sur certains postes de
travail, mais aussi l'usage fait de l'outil permettant de couper le micro lors d'une
communication en cours avec un client, permettant ainsi au téléopérateur une multitude
d'actions, d'attitudes proscrites en temps normal.
I.3/ Des stratégies de gestion du stress:
Ce deuxième axe se distingue par l'objet des stratégies de résistances mises en place
au quotidien par le téléopérateur. En effet, le stress, provoqué par la pression exercée sur les
cadences, les différentes injonctions, les conditions de travail,..., nous semble être la raison
principale à cellesci. La gestion du stress nous semble ainsi être un enjeu majeur pour
l'employé de centre d'appels.
I.3.a/ Face aux contraintes et aux injonctions:
Nous pouvons préalablement poser que ce stress est provoqué, au sein du travail, par
une accumulation de contraintes et d'injonctions contradictoires. En effet, le téléopérateur est
soumis à diverses demandes, contrôlées à posteriori pour la plupart, telles que cadences et
nombres d'appels à prendre, donnant lieu à l'édition de statistiques très précises chaque jour,
autant individuelles que collectives, mais également des objectifs de qualité notamment
évalués lors des procédures d'écoutes par le superviseur. Cette première partie des contraintes
nous semble importante car elle se traduit souvent, en cas de non respect de ces quantités et
qualités, par des sanctions quasi immédiates sur le salaire ou même l'emploi à travers la
menace du nonrenouvellement du contrat.
Nous retrouvons également une deuxième catégorie d'injonctions et de contraintes
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contradictoires, génératrice de stress, résidant dans le paradoxe des injonctions faites au
téléopérateur comme par exemple, dans ses relations avec le client: son discours doit ainsi
respecter des normes très strictes en terme d'expressions utilisées, de politesse,... Cependant
en parallèle, on observe une injonction (très libérale) à être soi, autonome, à se réaliser dans
son travail. Mais comment réussir à se réaliser et à être « authentique » lorsque le travail est
aussi prescrit que ces relations téléphoniques?
I.3.b/ Des actes pour décompresser:
La plupart des actes de résistances nous semble ainsi bien être en réponse au stress
induit par le travail. L'enjeu est de réussir à décompresser, à gérer son stress et les pressions
pour pouvoir supporter et tenir au travail. Il s'agit moins d'essayer de faire changer les choses
que de réussir à bien les vivre. En poussant l'idée un peu plus loin, on pourrait même dire que
le téléopérateur, grâce à ces résistances au travail, recherche cette authenticité, évoquée
précédemment comme une injonction, à être pleinement luimême au travail également.
Apparaît par conséquent un double jeu où l'employé cherche à être authentique, comme on le
lui demande, mais en se démarquant de l'authenticité demandée: il s'agit moins de rendre son
travail comme partie de son moi authentique que de réussir à rester soimême dans un travail
où il est fait très peu de place à l'expression individuelle.
I.3.c/ Une conscience de la temporalité limitée de cet emploi:
Une autre tactique d’évitement pratiquée par les téléopérateurs semble être la
conscience d’une temporalité limitée de cet emploi. Que pourraiton trouver de mieux que le
fort taux de turnover pour le symboliser ? En effet, dans beaucoup de centres d’appels, on
enregistre un taux supérieur à 50% par an.
Audelà du facteur des conditions de travail difficiles, il nous faut prendre en compte
l’idée de stratégies volontaires des employés dans cette temporalité limitée. Tout d’abord la
population concernée par ces emplois, généralement à faible formation initiale ou restée en
marge du marché de l’emploi, voit ce qui bien souvent est un premier emploi, comme une
occasion d’acquérir de l’expérience, un tremplin vers un « vrai boulot » . Ensuite, prendre
conscience de la durée limitée de cet emploi permet à l’employé de se protéger des pressions.
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Définir une fin, une date butoir, ou simplement savoir qu’un jour il y aura une fin, même peu
précise, facilite l’acceptation des tensions et de la fatigue générées par les conditions de
travail. Cela permet d’accepter les contraintes, et donc la domination exercée par les
employeurs, en vue de la libération envisagée. Nous voyons ainsi, à travers ces deux
exemples d’attitudes stratégiques de résistances, que la vision de cette temporalité agit
comme une « soupape de sécurité » face aux exigences de l’employeur et du travail effectué.
I.4/ Une représentation utilitariste et distanciée du travail:
Les mutations des représentations de l'individu seront le troisième axe d'hypothèses.
En effet, au vu des deux premiers axes, il nous paraît évident que ces éléments trouvent leurs
sources dans une modification des perceptions du travail et de tout ce qu'il comprend. C'est
du changement dans les représentations de l'employé que découlent la plupart des prises de
positions résistantes.
I.4.a/ Une vision utilitariste:
Pour résister à l’enrôlement de sa subjectivité, le travail devient un simple outil pour
la personne, lui permettant simplement de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille s’il y
a lieu. En effet, le détournement de sa subjectivité consistant à lui faire adopter le point de
vue et les objectifs de l’entreprise, le travailleur peut être poussé à se détacher de son travail
et à lui ôter la valeur communément donnée comme élément principal de sa vie. Il ne se
définit plus à travers sa pratique professionnelle et opère une stricte séparation entre vie
personnelle et vie professionnelle.
En d’autres termes, face à l’injonction à s’investir dans l’entreprise, il adopte un
détachement d’autant plus grand que la pression est grande. Bien évidemment, ce
détachement n’est ni apparent ni revendiqué. Derrière une adhésion de façade ou minimale,
pour ne pas perdre son emploi par une subversion trop visible, il permet d’augmenter la
marge de manoeuvre de l’employé autant au niveau personnel qu’au niveau de sa propre
construction identitaire. Cette idée rejoint celle de Danilo Martuccelli lorsqu’il explique
qu’aujourd’hui, le principe du voile cognitif, nécessaire à la domination, est de moins en
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moins valable au profit d’une conscience des mécanismes de domination paradoxalement
acceptés.
I.4.b/ Une distanciation dans les représentations:
C'est ainsi que l'on peut voir une distanciation s'opérer dans les représentations du
travailleur. Elle apparaît notamment à travers cette vision utilitariste du travail. Ne plus
définir sa personne par son emploi représente donc un fort changement dans les
représentations communes de réalisation par lui. On n'est plus son travail, mais on travail
pour être. Cette distanciation dans la représentation du travail semble aussi se répercuter sur
un grand nombre d'autres représentations liées au travail: on peut ainsi poser l'hypothèse d'un
changement de la perception et de la réception des formes d'autorité, des formes de
coopération et de la notion même de collègue ou de coéquipier.
I.5/ Une valorisation professionnelle paradoxale:
Ce dernier axe nous paraît crucial dans l'appréhension de ce type d'emploi. Il repose
en effet sur la question de savoir comment ces « nouveaux ouvriers spécialisés du tertiaire »
réussissent à valoriser socialement cette expérience de travail. En effet, nous avons pu voir
qu'ils semblent opérer une distanciation importante et quotidienne au travail, cependant, la
profession reste un facteur important de valorisation sociale. Il se pose donc la question de
savoir comment le téléopérateur arrive à créer une valeur positive à cette expérience.
I.5.a/ Une valorisation de la personnalité:
Au travers des textes de Marie Buscatto4 et d’Olivier Cousin5 notamment, nous avons
pu voir qu’une particularité des téléopérateurs de centres d’appels est de souvent faire appel à
une valorisation de leur personnalité dans la relation téléphonique avec le client. Il semble
ainsi que ce ne soit pas les compétences techniques ou les diplômes universitaires qui
comptent lors du recrutement d’un téléopérateur, mais bien une certaine forme de
4 Buscatto Marie, les centres d’appels, usines modernes ? Les rationalisations paradoxales de la relation téléphonique, Sociologie du travail, vol 44, n°1, 2002.
5 Olivier Cousin, les ambivalences du travail, les salariés peu qualifiés dans les centres d’appels, in Sociologie du travail, vol.44, n°4, 2002.
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personnalité : convivialité, amabilité, patience… sont des compétences appréciées dans les
centres d’appels et représentent le véritable facteur de valorisation et de reconnaissance
professionnelles.
Cependant, c’est également un facteur de souffrance quant au décalage entre le
discours des superviseurs et des employés, mais aussi entre les attentes de valorisation
promises par ces discours et leur réalité.
Cette revendication de la personnalité comme compétence de la part des employés
semble importante pour nous car elle touche souvent des classes de populations peu qualifiées
ou restées longtemps en marge du marché de l’emploi. Ces emplois dans les centres d’appels
leur permettent ainsi d’opérer une revalorisation de leur identité par l’acquisition d’une
compétence là où aucun savoir faire particulier n’est demandé. Dans le jeu du tremplin vers
un autre emploi, comme nous l’avons vu, cette dimension semble importante car elle ouvre
des horizons à l’individu. Comme être vu n’est pas toujours être reconnu, être reconnu pour
ses compétences nous montre les possibilités d’être vu sur un marché de l’emploi que l’on
considère comme déjà surchargé voire saturé.
I.5.b/ L'identification au collectif de travail:
A travers les textes lus et les premiers pas sur le terrain, il nous est rapidement apparu
une forte identification au collectif de travail. Le collectif des téléopérateurs semble ainsi être
le lieu d'expressions de solidarités, de reconnaissances pour le travailleur de centres d'appels.
Il existe ainsi une forte revendication d'une expérience humaine de leur part.
Cette question nous semble particulièrement intéressante compte tenu du contexte de
ce collectif: fort turn over rendant le collectif instable, diversification des statuts et donc
d'intérêts, individualisation du traitement salarial,... En conséquence de quoi nous pouvons
qualifier ceuxci de collectifs improbables car rien, dans l'organisation du travail en centre
d'appels ne semble favoriser l'émergence de ces comportements identificatoires.
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II/ CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ET PRATIQUE D'ENQUÊTE:
Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi de mettre en place une démarche de
recherches qualitatives, basée sur des entretiens. Nous allons ici présenter cette méthode en
essayant d'y analyser les atouts et les inconvénients pour un sujet tel que celuici. Nous en
profiterons également pour présenter notre échantillon et les principes de sa sélection. Enfin,
dans un second temps, d'autres sources d'informations, s'étant présentées au cours de cette
étude, seront explicitées.
II.1/ L'entretien comme choix d'une approche qualitative:
Une méthodologie de recherche est définie par l’orientation choisie lors de la
problématique, mais aussi lors de la définition des hypothèses ou encore selon le style
d’informations que l’on veut recueillir selon l’approche théorique choisie,... Ainsi, dans ce
travail nous avons opté pour une approche qualitative de l’étude des stratégies de résistances
déployées par les employés des centres d’appels face à l’enrôlement de leur subjectivité. Car
c’est effectivement sur ce dernier point que repose le cœur de ce travail. Essayer de
comprendre le détournement de la subjectivité du travailleur par une approche quantitative
n’aurait eu aucun sens, car comment percevoir la part de la subjectivité du travailleur investie
dans son travail par une démarche par questionnaire, sans avoir recours à une argumentation
hasardeuse voire complètement faussée par les hypothèses préalablement posées ?
Le choix de pratiquer des entretiens s’est quant à lui produit au vu de la spécificité des
données visées. L’enrôlement de la subjectivité se passe ainsi, suivant la définition, suivant
un processus inconscient où les intérêts de l’individu sont petit à petit amenés à se confondre
avec ceux de l’entreprise employeuse. Il s’agissait donc pour nous de réussir à saisir l’étroite
nuance provoquée par la rencontre de ces deux systèmes de valeurs, de ces deux cultures
différentes. Ainsi, quoi de mieux que la parole la plus libérée possible, bien que dirigée, pour
réussir à comprendre ce dont l’individu concerné n’a probablement pas conscience.
L’entretien semi directif apparaît alors clairement comme adapté à cette démarche de recueil
TER Empirique ISAS 14
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de données. Je comptais également sur ce même phénomène de fécondité de la parole orale
par interaction pour essayer de « mesurer » la place des stratégies de résistances mises en
place face à ce phénomène. En étant attentif aux signes transparaissant au travers des mots,
elles apparaissent comme lors de l’entretien exploratoire que nous pourrons voir par la suite.
Il est cependant intéressant d’évoquer ici la narration de diverses stratégies d’évitement
employées par l’interviewé et ses collègues dans le cadre de leur travail pour « éviter de péter
les plombs » . Sortes de trop plein, évacuant le surplus de stress et de tension, pour l’employé,
ces petites combines tolérées ou non par la hiérarchie reposent bien sur le principe de
stratégies de résistances tel qu’énoncé par Crozier et Friedberg6.
II.1.a/ Un guide d'entretien modulable:
Nous avons choisi pour consigne de dire que notre but à travers l’entretien est la
compréhension du travail de l’interviewé en termes de description, et de savoir comment lui
même le conçoit. Il est bien sûr précisé que cet entretien est anonyme et que nous sommes
disponibles pour tout apport de précision sur le contenu, la forme ou les raisons de cet
entretien. En effet, il ne s’agit pas de « tromper » mais plutôt de compter sur sa coopération
motivée par la réalité des besoins de notre recherche, de l’intérêt à échanger,...
L’entretien doit ainsi nous permettre d’obtenir les informations utiles à la vérification
ou non de nos hypothèses. Les questions devront permettre à l’interviewé de nous révéler les
trois types d’informations dont nous avons besoin : d’une part, les données objectives
concernant le profil de l’interviewé, c'estàdire ses origines sociales, sa trajectoire
professionnelle et/ou universitaire,… puis, les données objectives sur l’organisation de son
travail comme par exemple ses horaires, et enfin, l’expérience subjective de celuici, telles ses
perceptions de l’organisation interne,…
Nous avons donc organisé notre guide d'entretien7 au travers de sept modules
correspondant aux différentes situations rencontrées lors des entretiens, comme nous
pourrons le voir dans la diversité des profils des interviewés. L'avantage de cette forme de
construction du guide d'entretien nous a ainsi permis d'adapter au plus près notre manière
6 Pour de plus amples explications, se reporter au rapport de TER théorique ou à Crozier Michel, Friedberg Erhard, L’acteur et le système, les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil, 1977.
7 Cf annexe 1: Un guide d'entretien modulable.
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d'aborder l'entretien en fonction de la personne interrogée. Les sept modules s'organisaient
ainsi:
✔ Profil de l’interviewé :
✔ Son travail :
✔ La formation de formateur: (ou de téléopérateur ou de superviseur)
✔ La formation donnée par le formateur:
✔ Représentations:
✔ Sentiments:
✔ Le travail de superviseur:
Enfin, il nous faut préciser que les deux derniers entretiens ont été réalisés sans guide
d'entretien. En effet, compte tenu de la bonne connaissance de celuici, la forme trop rigide du
guide d'entretien devenait difficile à gérer en rapport avec le déroulement naturel de la
discussion. Bien entendu, il ne s'agissait pas non plus dans les premiers entretiens, de coller
au guide, ni de le lire, bien au contraire, mais le fait d'avoir un support empêchait parfois
l'expression libre de la parole face à la rigidité du support. C'est à dire que, de peur d'oublier
une partie du questionnement préalablement envisagée, la vérification sur papier créait des
temps morts lors de l'entretien. La pratique de l'entretien libérée du guide d'entretien s'est
ainsi avérée être bien plus féconde. On peut supposer que ce fut la conséquence de deux
facteurs principaux: dans un premier temps, l'interviewer s'attache moins à un ordre défini par
un raisonnement logique préalable et évite par conséquent, comme dit plus haut, de revenir de
temps en temps au guide, même à fin de vérification; le deuxième facteur peut être un effet
sur l'interviewé, celuici pouvant être gêné ou perturbé par la présence d'une liste de
questions, par le formalisme ainsi créé. Supprimer la présence matérielle du guide d'entretien,
revenait donc pour moi à tenter de recréer l'ambiance d'une discussion, d'un échange, au plus
proche du naturel.
II.1.b/ Profils des interviewés:
Dans le cadre de cette étude et ayant choisi de la réaliser par l'intermédiaire
d'entretiens semidirectifs, il me fallait interviewer des travailleurs de centres d'appels. Étant
donné mon positionnement théorique et ma problématique, les stratégies de résistances, une
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sélection préalable de l'échantillon paraissait importante en suivant plusieurs critères: tout
d'abord, ce devait absolument être des personnes employées par des centres d'appels; ensuite,
ils devaient adopter des positions résistantes face aux contraintes du travail; et enfin, je
désirais obtenir plusieurs statuts et visions de l'emploi. Il faut préciser que la position
résistante attendue ici n'était pas forcément l'expression d'un fort militantisme ou d'un fort
engagement. En effet, étant donné le faible engagement syndical dans les centres d'appels, il
me paraissait plus probant d'interviewer des travailleurs « normaux », c'est à dire ne
s'investissant pas outre mesure dans leur emploi, ni s'en séparant complètement au nom d'un
militantisme pouvant noyer les données recherchées dans un « discours officiel » .
L'échantillon de personnes interviewées n'est pas très grand. Préférant privilégier la
qualité d'analyse, six entretiens approfondis me semblèrent suffisants à l'élaboration de cette
étude. Nous verrons ensuite que d'autres éléments vinrent compléter la méthode. La rencontre
de ces personnes s'est produite au début par l'intermédiaire de connaissances personnelles
puis s'est élargie petit à petit grâce au soutien de ces premiers interviewés. Face à mon attente
de diversités de situation d'emploi, l'échantillon peut se décliner en trois grandes catégories:
✔ Des téléopérateurs étudiants: entre 25 et 30ans, ils travaillent à temps partiel en
centre d'appels afin de financer leurs études notamment. Cette situation me semblait
intéressante compte tenu de leurs positions ambivalentes et le recul qu'ils avaient la
possibilité d'acquérir par le côtoiement de deux mondes assez éloignés. Ces deux
entretiens avaient de particuliers que les interviewés avaient tous deux fait de la
sociologie dans le cadre de leurs études. La question de leur pratique de la sociologie
aurait pu d'autant plus poser problème, pouvant induire une retenue de la parole dans
l’anticipation de l’analyse possible de cette parole, ou à l’inverse une orientation
nette de la parole vers des sujets sensés intéresser le regard sociologique, passant
ainsi au dessus de détails jugés sans importances. Cependant, il existe également, du
fait de sa connaissance des exigences de la méthode d’entretien, la possibilité d’un
positionnement volontaire de l’interviewé en tant que non sociologue, d’un oubli
partiel de son propre savoir pouvant s’appliquer à cette situation. Cependant loin de
gêner la pratique d'entretien, cela a plutôt créer une compréhension mutuelle facilitée
notamment par un langage commun. Il est important de préciser de plus, que les
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deux personnes de cette catégorie ont deux parcours très différents, l'une ayant
interrompu ses études pour travailler pendant quelques années avant d'y revenir faute
d'emploi régulier.
✔ Des téléopérateurs « professionnels »: Sont compris dans cette catégorie les
téléopérateurs travaillant à temps plein et réalisant cette activité en tant qu'activité
principale. Il est également important de préciser que l'un des deux était en période
de chômage au moment de l'entretien, son précédant contrat s'étant terminé sur un
accord mutuel de nonrenouvellement.
✔ Des téléopérateurs responsables: Cette catégorie regroupe un superviseur d'une
trentaine d'années, ayant longtemps travaillé en centres d'appels, et un animateur
formateur ayant eu un parcours bien différent. En effet, celuici, âgé d'une
cinquantaine d'années, après avoir travaillé longtemps dans la même banque qui
l'emploie aujourd'hui, à différents postes, a été replacé dans le centre d'appels suite à
des ennuis personnels. Cette trajectoire professionnelle rompue est intéressante dans
le fait qu'une des premières choses qu'il m'a déclaré était qu'il se plaisait dans son
travail actuel, malgré cette rupture.
II.1.c/ Entretiens et pratique:
Il convient ici de revenir sur la pratique même des entretiens8. Le premier élément
marquant est la durée sensiblement identique de chacune des rencontres. Quelque soit le lieu,
le niveau de connaissance entre nous, ou encore les différences de personnes, chacun des
entretiens a duré entre une heure et une heure et quart. Chaque fois, l'ambiance était
décontractée et souvent amicale, même pour celui s'étant déroulé sur le lieu de travail, c'est à
dire dans le centre d'appel comme nous le verrons dans la partie deux.
Le schéma de l'entretien était toujours le même, je commençais par une petite
introduction, y présentant mes attentes et mes premiers questionnements. Demandant à
chaque fois par commencer par une présentation de la personne, cela permettait de rentrer
lentement dans le sujet. La description de la trajectoire professionnelle de la personne
notamment rendait l'approche de son travail quasi naturelle. Ensuite, une fois parti, l'entretien
8 A titre d'exemple, nous mettons la transcription d'un entretien en annexe: cf. annexe 2: T: l'entretien exploratoire.
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battait son plein autour de la question centrale étant le travail à proprement parlé de
l'interviewé. La fin de l'entretien était consacré aux perception de l'individu sur son travail,
ses impressions voir ses propres analyses. Enfin, chaque entretien fût l'occasion, après
clôture, c'estàdire après l'extinction de l'appareil enregistreur, d'une discussion moins
formalisée, et plus décontractée. C'est souvent dans cette dernière partie que les informations
les plus personnelles ont été recueillies.
Il nous faut cependant préciser l'originalité du premier entretien. En effet, à l’occasion
du cours de Méthodes de Recherches Qualitatives, nous avons dû, par groupe de deux,
réaliser un entretien. Avec mon camarade, nous avons choisi de travailler sur la question des
mutations organisationnelles au travail, étant lui aussi intéressé par les problématiques liées
au travail. Il me paraît juste et intéressant ici de rappeler que cet entretien a été réalisé à deux
mais participait déjà, d’un commun accord, à l’élaboration de ce mémoire. Il sera considéré
comme un entretien exploratoire étant donné la différence importante créée par la présence de
deux interviewers, à la différence des suivants que j'ai réalisé seul.
II.1.d/ Retour sur les entretiens:
Ce point particulier de l'analyse des entretiens ne s'attardera toujours pas sur le
contenu des entretiens qui sera décrit lors des parties suivantes mais tentera de comprendre
principalement la motivation des interviewés à participer à cet exercice parfois difficile. Tout
d'abord, il convient de préciser que tous les entretiens furent riches en informations aussi
diverses qu'intéressantes. Chacun a ainsi apporté son lot d'informations, bien souvent plus en
complémentarité qu'en répétition d'informations, exceptées sur les pratiques même du métier
de téléopérateur.
A travers le modèle motivationnel de Kahn et Cannell9, ressort le concept
d’accessibilité de la situation d’entretien, prenant en compte différents aspects de l’interviewé
et de l’interviewer. La proximité de ceuxci favorise le produit de l’interview. Ainsi, dans
notre cas, se rejoignent différents éléments créant une quasihomogamie sociale sur plusieurs
situations d'entretien, ou en tout cas un décalage très faible entre les milieux sociaux
d’origines, le langage utilisé ou encore les connaissances communes du fait de notre parcours
9 In Ghiglione, 1998, les enquêtes sociologiques, Paris, éd. A. Colin.
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universitaire commun par exemple, ce qui fut le cas pour deux entretiens. Ainsi il coexiste ici
des représentations très proches, des repères autant langagiers que cognitifs communs,
facilitant l’échange et la situation d’entretien.
Cependant, au moins deux des interviewés étaient des connaissances, ce qui aurait pu
poser davantage de problèmes. En effet, il se trouve que leurs paroles ont semblé libérées par
la situation d’entretien et l’éloignement de la situation habituelle d’interaction. Par un accord
tacite, nous avons respecté les rôles induits dans les positions d’interviewé et d’interviewer.
Ils étaient coopératif et se laissaient guider par mes questions tout en y répondant
franchement et pertinemment, tandis que je me cantonnais au rôle d’interviewer, animant la
discussion au rythme de mes demandes.
La connaissance antérieure des interviewés et de l'interviewer a ainsi joué un rôle
catalyseur dans la délivrance de la parole, dans la narration de l’expérience sociale vécue.
Cela a sûrement été possible grâce à l’instauration de règles créant un espace social protégé et
décontextualisé. Le respect des rôles alloués dans cette situation, rôle de l’interviewé et rôle
de l’interviewer, a contribué également à créer un lieu propice au recueil de données par
l’emploi de la méthode d’entretien. Nous nous sommes ainsi efforcés respectivement de
maintenir une tension entre ce que nous sommes pour l’autre et le rôle qu’il nous incombe de
jouer dans le contexte de l’entretien. En fait, c’est l’attribution de rôles précis et la mise en
place d’une scène au sens Goffmanien du terme, qui a pu permettre le flot de paroles, un peu
à la manière d’un jeu dans lequel chacun connaît et respecte précisément les règles pour
pouvoir évoluer et jouer dans cet espace préalablement définit.
Il convient aussi d’essayer d’analyser ici les motivations des interviewés à se plier à
cet exercice contraignant et demandeur d’un temps non négligeable, exigeant une
disponibilité importante. En effet cellesci peuvent jouer également sur le contenu recueilli.
Trois axes motivationnels se dégagent de ces situations d’entretiens : en premier lieu, il peut
exister une « motivation professionnelle » notamment par l'exercice d'une valorisation de
leurs expériences allant même jusqu'à l'expression forte par l'un des interviewés de son
« combat » pour faire reconnaître le téléconseil comme un « vrai » métier, à part entière; en
second lieu, on peut penser à un facteur relationnel, dans la motivation de ceux des
interviewés plus proches, créé par notre lien préalable à l’entretien, pouvant induire un désir
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de « dépanner » des amis, de faire plaisir ou encore de participer au principe d’échanges
réciproques de services et de coopérations nécessaires à la relation ; et enfin une utilisation
détournée de l’entretien peut aussi jouer dans cette situation, en profitant de ce moment sorti
du quotidien, un moment où l’on peut exprimer son ressenti, raconter son expérience lors
d’une situation sociale protégée, anonyme et décontextualisée. En effet, on sort ici de tout
modèle interactionnel habituel en créant une situation de durée limitée, dans un lieu lui aussi
délimité (notamment par la frontière de la porte isolant du dehors), et en instituant un échange
exceptionnellement cadré suivant d’autres règles.
II.2/ Recueil de données complémentaires:
Au cours de notre étude, occasion nous a été donnée d'utiliser d'autres sources
d'informations que les entretiens initialement prévus comme suffisants à cette enquête. Deux
sources se sont ainsi présentées: tout d'abord l'opportunité de pouvoir visiter un centre
d'appels, pourtant réputé difficile d'accès, et la possibilité de récupérer nombre de documents
internes à cette même entreprise.
II.2.a/ Visite d'un centre d'appels:
L'entretien réalisé avec l'animateurformateur s'est déroulé au sein du centre d'appels
où il travaille. Cela a donné l'occasion d'une visite du plateau où sont rassemblés tous les
postes de travail. Quelques employés étaient encore là étant donné que le rendezvous avait
été fixé en début de soirée, après son heure de travail.
Cette expérience fut très enrichissante, me permettant ainsi de visualiser davantage la
configuration spatiale d'un plateau. J'ai pu également observer les personnes travaillant et me
rendre compte de l'ambiance de travail si souvent revendiquée dans les entretiens. Ainsi, tout
le monde se tutoie, mais avec respect, et semble se soutenir dans l'effort de travail, mais ceci
fera l'objet d'une analyse plus étendue ultérieurement.
II.2.b/ Analyse de documents de travail d'un centre d'appels:
La seconde source importante de données m'a été fournie par ce même animateur
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formateur. En effet, il m'a fait parvenir, suite à notre entretien, bon nombre de documents de
travail internes au centre d'appels où il travaille. Un autre interviewé m'a également donné le
règlement interne à son entreprise.
Nous pouvons ainsi repérer trois catégories de documents:
✔ Des documents de normalisation de la relation téléphonique étant conçus comme
des aides au bon déroulement de l'appel. C'est à dire que ce sont par exemple une
liste de mots « noirs », à éviter, les expressions bannies, les règles de l'appel
téléphonique,...
✔ Des documents d'évaluations: euxmêmes de deux types: les grilles statistiques
publiées régulièrement, et des grilles d'évaluation et d'autoévaluation remplies
conjointement par le superviseur et le téléopérateur sur des critères plus qualitatifs,
✔ Des documents fixant les objectifs et compétences attendues: comme par exemple un
dossier établissant le rôle de l'animateur en centre d'appels, mais aussi deux grilles
particulièrement intéressantes: « les sept péchés capitaux »10 du téléopérateur et « les
droits du client »11.
Ces différents documents et observations participeront également à l'effort d'analyse
de données nécessaire à la conceptualisation de cette recherche. Ainsi, après avoir vu notre
problématique et les hypothèses en découlant, puis la méthode mise en place en vu d'y
répondre, les trois parties suivantes présenteront les résultats obtenus. Dans le cadre de ce
mémoire nous avons choisi de l'orienter uniquement autour de trois axes nous paraissant les
plus probants à la constitution d'une réponse à notre problématique. Beaucoup d'éléments
auraient également eu leur place dans une étude telle que celleci. Cependant, notre regard
s'est concentré principalement sur les stratégies de résistances mises en place face à
l'organisation libérale du travail, et notamment face à l'enrôlement de la subjectivité. Il s'agit
ainsi d'élaborer un schéma décryptant le jeu perpétuel entre investissement dans l'organisation
et résistances comme nous serons amenés à le voir ultérieurement.
10 Cf. Annexe 3: Les 7 péchés capitaux.11 Cf. Annexe 4: Les droits du client.
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III/ UNE RATIONALISATION DU TRAVAIL TRÈS CONTRAIGNANTE:
Les centre d'appels sont réputés comme étant les usines modernes du tertiaire. De cela,
découle une organisation du travail extrêmement rationalisée et contraignante. Comme nous
allons le voir, tout dans ce travail est surveillé, contrôlé et normalisé. Bien audelà du simple
contrôle du temps d'appel, nous rappelant le minutage dans l'organisation Taylorienne du
travail, de nombreux systèmes sont mis en place autour du téléopérateur afin de garantir sa
« loyauté » à l'organisation, son obéissance. Nous verrons ainsi, en premier lieu, les
mécanismes panoptiques, au sens de Foucault, institués dans les centres d'appels. Ensuite,
nous essayerons de mettre en avant les nombreuses contraintes et injonctions faites au
téléopérateur afin d'essayer de mesurer cette rationalisation et son poids sur l'individu. Enfin,
nous traiterons succinctement des conséquences de ces pressions sur la personne à travers les
notions de stress et de souffrances au travail.
III.1/ Panoptisme spatial et panoptisme électronique:
Foucault, dans Surveiller et Punir12, définit le panoptisme comme le principe de voir
sans être vu. A travers son étude de la mise en place du système carcéral, il le compare au
panopticon de Bentham car « cet espace clos, découpé, surveillé en tous ses points, où les
moindres mouvements sont contrôlés, où tous les événements sont enregistrés, où un travail
ininterrompu d’écriture relie le centre et la périphérie, où le pouvoir s’exerce sans partage,
selon une figure hiérarchique continue, où chaque individu est constamment repéré, examiné
et distribué entre les vivants, les malades et les morts tout cela constitue un modèle compact
du dispositif disciplinaire. » . Nous voyons ainsi transparaître le modèle d'un système
panoptique de surveillance: savoir surveiller constamment sans être jamais vu. C'est ce
dernier terme qui nous paraît important car il sous entend dans son principe d'induire un
autocontrôle du fait de l'invisibilité de la surveillance. Il vaut mieux agir comme si on était
surveillés plutôt que de risquer d'être pris dans le cas d'une réelle surveillance.
12 Foucault Michel, Surveiller et Punir, éd Gallimard, 1975
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Ce mécanisme ce retrouve bel et bien dans les centres d'appels au travers des
mécanismes de contrôle mis en place. Deux procédures différentes sont ainsi instituées sur ce
même principe panoptique.
Tout d'abord, on observe un panoptisme spatial important. Au travers de tous les
entretiens et surtout de la visite du centre d'appels, cet aspect de l'aménagement spatial des
plateaux de travail est ressorti. En effet, chaque téléopérateur est isolé face à son poste de
travail, cependant, ce n'est ni dans un bureau séparé des autres ni par un éloignement
suffisant. Plusieurs éléments sont révélateurs de cet isolement:
✔ L'aménagement des postes de travail: en lignes ou en marguerites, le principe reste
le même: chaque poste est séparé du voisin par une petite cloison relativement basse,
coupant la vue des autres postes sans pour autant séparer réellement les différents
téléopérateurs. On pourrait comparer cette aménagement aux cellules telles que
décrites par Foucault,
✔ Le port du casque et l'aménagement du poste de travail en lui même: en effet, ces
deux éléments concourent à l'isolement du téléopérateur du fait de l'ouverture du
champs de vision très réduit, limité bien souvent à l'écran d'ordinateur en position
centrale du poste de travail, mais également par la limitation du champs d'écoute du
fait du casque,
✔ La place occupée par le superviseur: Bien souvent, celuici est au centre des
téléopérateurs, au milieu d'une ligne ou d'une marguerite, permettant ainsi une
surveillance constante tout en restant isolé du reste du groupe par le système de
cloison déjà évoqué cidessus.
Une autre configuration, peut être plus évocatrice du panoptisme encore, est celle que
j'ai pu observer sur le centre d'appels visité: les téléopérateurs sont répartis autour de poteaux
par quatre postes de travail (ce sont les marguerites). Parmi eux se trouvent des animateurs,
responsables d'une dizaines de téléopérateurs, puis viennent les superviseurs, responsables
des animateurs, qui eux, ont chacun un bureau vitré en bout de plateau. l'aménagement spatial
paraît ainsi clairement favoriser le contrôle des téléopérateurs, à leur insu. Constamment
soumis à une possibilité de surveillance, ceuxci, limités dans leurs perceptions de ce
contrôle, ne peuvent que supposer une surveillance constante et ainsi agir en conséquence.
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Le deuxième mécanisme panoptique est lié au développement des NTIC (nouvelles
technologies de l'information et de la communication). En effet, le système couplé
téléphone/informatique, permet une visibilité permanente en tant réel de l'activité des
téléopérateurs. Par le principe de « log », c'est à dire d'avertir à chaque instant de ce que l'on
fait (pauses, communication, travail administratif,...), le minutage et la constitution de
statistiques deviennent possibles13. Mais cela permet aussi de mesurer, et donc de contrôler,
l'activité et les différents débordements des téléopérateurs. Le superviseur interrogé nous le
dit clairement:
« J: On peut toujours tout savoir en temps réel. »
Ces quelques exemples nous ont montrés en quoi le contrôle mis en place était
extrêmement présent et pesant. Basé sur un principe panoptique, il semble bien que tout soit
fait pour induire l'auto contrôle du téléopérateur par la présence d'un système de contrôle
jouant sur son invisibilité et sa visibilité. Cependant, il existe également nombre de systèmes
complémentaires en vue de la rationalisation et d'un contrôle accru du travail comme nous
allons le voir dans la partie suivante.
III.2/ Contraintes et injonctions:
Ces mécanismes complémentaires de contrôle semblent bien reposés sur les
contraintes et les injonctions tels qu'ont pu les définir Danilo Martuccelli, David Courpasson
ou encore Damien Cartron que nous avons vus dans le TER théorique. Cette partie nous
permettra ainsi d'évaluer la force de cellesci et leur poids réel sur le téléopérateur. Dès le
premier abord, apparaissent deux types de contraintes bien différentes: les contraintes
externes et les contraintes internes.
Les contraintes externes sont dues à la position particulière des centres d'appels, à la
rencontre entre la sociétéclient et le client final de cette société. Ce rôle de médiation se
répercute ainsi sur le téléopérateur au travers de deux types de contraintes: la contrainte
13 Cf. Annexe 5: Statistiques d'activité d'un téléopérateur
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industrielle, au sens où Damien Cartron l'utilise dans son article sur les Mac Donald's, induite
par la sociétéclient à travers leurs demandes quantitatives (comme par exemple l'objectif de
90% d'appels pris); et la contrainte marchande visible notamment par les indicateurs de file
d'attente.
Les contraintes internes sont de deux types. La première repose sur la contrainte
domestique, énoncée elle aussi par Cartron, faisant que le téléopérateur se doit de tenir un
rythme suffisant, tout en assurant une bonne qualité de l'appel, afin de ne pas pénaliser son
groupe de travail. La seconde se rapproche de l'idée de travail d'organisation au sens de
Courpasson. En effet, ce travail ne revient pas uniquement aux superviseurs comme on
pourrait le croire, mais échoue également au téléopérateur, qui doit non seulement s'organiser
face à ses propres appels et à ses propres résultats, mais aussi s'assurer de la bonne avancée de
son groupe de travail. Ainsi, on peut voire aux heures de pointe, l'arrivée de nombreux appels,
allongeant ainsi la liste d'attente, obligeant par conséquent le téléopérateur à s'organiser
davantage compte tenu et de cette file d'attente et du rythme de ses collègues.
Ces contraintes se répercutent également sur l'appel en tant que tel, notamment à
travers des demandes faites au téléopérateur traduisant différents types de contraintes. Ces
éléments ressortent très fortement dans les entretiens, mais aussi, et peut être surtout, dans les
grilles d'évaluation14. Différentes expressions y sont en effet employées, sujettes à l'évaluation
ou à l'autoévaluation, montrant ainsi les diverses demandes faites au téléopérateur:
comportement au poste de travail, curiosité, dynamisme, ... On retrouve ainsi trois grands
types de contraintes de l'appel:
✔ L'amabilité vis à vis du client, rejoignant ainsi la contrainte marchande évoquée ci
dessus,
✔ La directivité pour le contrôle de l'appel, dont le but est un contrôle du temps
d'appel, et donc une maîtrise de la contrainte industrielle,
✔ La qualité de l'appel, enfin, pour éviter au collectif de travail toute sanction ou
réparation, tirant ainsi sa légitimité de la contrainte domestique.
Ces contraintes de traduisent en injonctions de la part des superviseurs dont nous
pouvons également sortir trois types prépondérants:
14 Cf Annexe 6: Convention d'animation et Annexe 7: Questionnaire d'autoévaluation.
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✔ Injonction à l'autonomie: qui est ainsi le but principal des formations à l'entrée dans
ces emplois. Le nouveau téléopérateur doit ainsi être autonome dès son entrée sur le
poste de travail. Cela se traduit notamment par des injonctions à aller chercher seul
l'information sur l'intranet, à ne pas dépendre de quelqu'un tout le temps. On
retrouve également ces différentes demandes dans les questionnaires d'évaluation.
✔ Injonction à l'efficacité: Celleci est bien visible dans le document sur le rôle dévoué
à l'animateur en centre d'appels15 où transparaît notamment la volonté de rechercher
chez le téléopérateur l'efficience commerciale. C'estàdire initier en lui la volonté de
faire davantage que les objectifs qui lui sont demandés.
✔ Injonction à la responsabilité: Le téléopérateur reste ainsi responsable de son appel,
quelque soit son déroulement et les problèmes éventuels qu'il peut y rencontrer.
Ainsi, O. téléopératrice nous dit:
« O: Si t'as un problème avec quelqu'un, des fois c'est intenable, parce que les gens des fois ils sont là, et... ils s'acharnent pour que tu leur passes quelqu'un. Et moi, je suis là: ben c'est bon, écoutez, je vais voir, tu vois? Et pis c'est tout le temps: tu es responsable de ton appel, tu lui dis... »
Cette dernière injonction, selon Martuccelli, représente très bien la figure de la
domination appelée dévolution. La responsabilité est mise sur le téléopérateur qui sera ensuite
jugé sur ce qu'il a fait, dit ou au contraire pas fait ou pas dit.
Il apparaît donc clairement la position très contrainte du téléopérateur. Au croisement
d'une multitude d'intérêts et de demandes différentes, il se pose maintenant la question de
comprendre comment celuici appréhende ce jeu dont il est le centre.
III.3/ Stress et souffrances au travail:
Un mémoire aurait pu être consacré entièrement à cette question du stress et des
souffrances au travail. Cependant, n'étant pas notre sujet principal, nous avons décidé d'en
parler succinctement afin d'illustrer la réception des ces multiples contraintes pesant sur le
téléopérateur. En outre, on ne peut réellement parler de ce type de travail sans s'attarder
quelques temps sur cette question, étant donné le caractère très stressant de ce type d'emploi.
15 Cf Annexe 8: Rôle de l'animateur.
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Ainsi, nous pouvons identifier différents facteurs créateurs de ces souffrances:
✔ Les conditions de travail: souvent considérées comme difficiles à cause du bruit et
des cadences imposées. Cela ressort notamment à travers la parole de deux des
téléopérateurs interrogés:
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« T: Ben nan j’en suis pas satisfait parce que çà me flingue ma semaine, j’ai pas de temps libre, je sors de là comme un zombie avec des mal de crâne pas possible heu… finir à 22h heu… voilà t’as plus de vie heu… c’est heu… des fois… ouais des fois c’est glauque quoi mais bon… nan c’est un… c’est un boulot heu… »« G: Et c'est pour ça que je veux pas rester longtemps dans la téléphonie, parce que ça laisse des séquelles à long terme quand même. [...] Tout le temps quelque chose dans l'oreille, tout le temps... et puis en situation de recherche tout le temps, essayer de comprendre les gens. Parce que je te dis, y'a des gens qu'appellent de partout, y'a des gens qu'ont des accents, y'a des personnes âgées... [rires] ben qu'ont pas de dents! C'est vraiment un effort de concentration pour arriver à les comprendre... A mon avis, la qualité première pour ce boulot, c'est l'écoute, savoir écouter les gens. c'est pas forcément évident. »
✔ En réponse aux différentes injonctions: Il semble ainsi exister un décalage entre les
demandes faites au téléopérateur et ce qu'il est en mesure de réaliser. O. nous raconte
par exemple le stress généré les premiers jours, après sa formation, lorsque, seule à
son poste de travail, elle était prise entre les demandes d'autonomie et le constat que
la formation ne répondait aux demandes des clients.
✔ Une dépersonnalisation du travail: La forte rationalisation de ce type d'emploi
donne ainsi l'impression au téléopérateur d'être devenu une machine pour l'industrie
de la téléphonie. De même, cet argument ressort extrêmement souvent lors des
entretiens:
« O: Ben disons, t'as tellement peu de latitudes,... des fois, t'as vraiment l'impression d'être un répondeur, tu vois? »« T: Ah ouais voilà c’est vraiment le travail dépourvu de sens total quoi c’est… c’est le travail tu sais même pas pourquoi tu le fais quoi, à part à part pour gagner des sous, parce que tu sais pas te positionner dans cette société qui demande de toi à ce que tu gagnes des sous quoi donc en attendant de pouvoir trouver des… heu… des lucratives et en même temps qui permettent de m’épanouir et ben j’suis forcé de passer par là. »« T: C’est ton boulot de faire çà… bah c’est… tu te dis heu… voilà tu vas, tu te… déshumanise un petit peu pour… pour… pour travailler et pis heu… et pis heureusement que t’as d’autres choses pour remplir ta vie quoi! »« J: Nous on est vraiment... un centre d'appels, faut pas se leurrer, c'est l'industrie. C'est un centre de profit, c'est l'appel traité! »
Apparaît ainsi la réalité dure de ce type d'emploi et la réelle souffrance en découlant.
Stress et souffrances, telles que mal de crâne ou mal aux oreilles, semble être le lot quotidien
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de ces « nouveaux ouvriers spécialisés du tertiaire » . Face à cette rationalisation extrême du
travail et notamment au complet encadrement créé par les outils de gestion, l'individu peutil
encore trouver un espace de liberté au sein de l'organisation? Les deux parties suivantes se
consacreront ainsi à essayer de répondre à cette question au travers de deux voies notamment:
l'action collective et la distanciation individuelle.
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IV/ LES EMPLOYÉS DE CENTRE D'APPELS: UN COLLECTIF IMPROBABLE?
L'existence ou non de collectif au sein d'une organisation a toujours été d'une extrême
importance afin de comprendre les jeux de pouvoirs notamment. En effet, s'organiser
collectivement, de la part des salariés, présente plusieurs avantages dont le principal reste
probablement d'augmenter le poids des revendications. Un des combats des organisations du
travail a souvent été de tenter de diminuer le poids de ces collectifs afin d'assurer une
meilleure domination sur les travailleurs.
Au sein des centres d'appels, cette problématique reste très importante. On observe en
effet une forte désyndicalisation, généralement premier indicateur de l'existence de formes
d'actions collectives. Peuton pour autant dire que ces entreprises n'ont pas de collectifs où
s'expriment des solidarités, de l'entraide? Le téléopérateur ne s'identifietil pas à son groupe
de travail?
Pour répondre à cette question, nous reprendrons le concept de collectifs improbables,
évoqué par Rémy Caveng lors de sa communication au séminaire sur la servitude volontaire
ou la question du consentement au travail16. En effet, à travers son étude sur les employés
d'organismes de sondage, nous pouvons retrouver certaines caractéristiques de ces collectifs
improbables en centre d'appels. Nous verrons ainsi dans un premier temps en quoi la
qualification de collectifs improbables correspond à ceux des téléopérateurs; puis, nous nous
pencherons sur les solidarités existant au sein de ce collectif de téléopérateurs; pour enfin
étudier son rapport à la hiérarchie.
IV.1/ Un collectif difficile à identifier:
Cette partie sera l'occasion de mieux définir en quoi le collectif de téléopérateur peut
être qualifié d'improbable. Il s'agira ainsi de comprendre les mécanismes faisant obstacles à la
16 Caveng Rémy, Contrer la mise en concurrence individuelle: coopération, résistance et normativité dans ses collectifs de travail improbables, journées d'études organisées par le GRACC sur la servitude volontaire, la question du consentement au travail, université de Lille 3, 17 et 18 mars 2005.
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constitution de ce collectif à travers notamment la cohabitation d'une multitude de statuts
différents sur un même lieu de travail, puis par le traitement individualisé des ressources
humaines.
IV.1.a/ Des statuts différents:
Un seul plateau peut regrouper différents types d'emplois différents. La durée du
contrat et le temps de travail, utilisés comme outils de gestion des ressources humaines, et
plus particulièrement pour le recrutement, favorisent ainsi la présence de ces différents
statuts: Contrat à Durée Indéterminée (CDI), Contrat à Durée Déterminée (CDD), Intérim, à
temps plein ou à temps partiel.
En effet, le recrutement semble bien se produire selon ce schéma type rencontré bien
souvent lors des entretiens: le téléopérateur est embauché pour la première fois dans le cadre
d'une mission d'intérim faisant ici office de période d'essai. Si ce dernier est concluant, le
téléopérateur se voit proposer deux types de contrats: un CDD plus long qu'une simple
mission, ou un CDI.
« T : Je me suis inscrit sur un site Internet en mettant… en mettant le type de métier auquel je voulais. J’ai fait un CV type et une lettre de motivation type… sans personnaliser. Donc je répondais aux annonces, en restant chez moi, hein, que je recevais dans ma boîte mail, en… en envoyant en pièces jointes le CV et la lettre de motivation. Et c’est comme ça que j’ai été contacté par téléphone par une boîte… enfin, une agence d’intérim, qui… J’ai passé des tests qui ont été concluants. Ensuite j’ai repassé des tests dans l’entreprise qui m’embauche actuellement. Donc j’étais en contrat intérim pendant un mois et demi, et maintenant, ben heu, je suis salarié de l’entreprise. »
Cela varie en effet selon le type d'activité de l'entreprise et sa politique de gestion des
ressources humaines. Certaines font par exemple le choix d'offrir au plus vite un CDI à ses
employés afin de « fidéliser » la main d'oeuvre et ainsi limiter le taux de TurnOver, tandis
que d'autres choisissent une gestion par CDD garantissant une flexibilité d'organisation
maximale. Enfin, on a pu voir certaines spécificités comme par exemple le cas des
renseignements téléphoniques, où travaille G., auparavant service publique, liant ainsi deux
types d'employés: des fonctionnaires (donc en CDI) présents dans l'entreprise avant la
privatisation, et une nouvelle main d'oeuvre en intérim ou en CDD plus apte à s'adapter aux
« lois du marché » .
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« G: Ouais, c'est quasiment que du temps plein, y'a quelques temps partiels. Mais c'est très rare qui ont négociés avec le Boss, enfin, le responsable en tout cas de ce que nous faisons,.... et heu, nous sommes quasiment tous des intérimaires, sauf ce qu'on appelle les anciens [rires], les gens qui sont encore fonctionnaires. Et en général, si ils sont là, c'est quand même que c'est des cas particuliers, ils ont pas les mêmes contraintes. Ils ont pas à faire soixante appels, en général, ils en font plutôt trente à l'heure, voire moins. Et ils ont pas d'exigence de productivité, et en général, c'est des gens qui n'ont pas su évoluer dans la boite, ou qui ont même été recasés. Y'a des gens, c'est pas pour être méchant, qui sont un peu particuliers, qui sont un peu à la masse quand même. »
La multiplicité des statuts d'emplois sur un même lieu de travail joue en effet sur les
solidarités et la constitution d'un groupe d'employés. Car avoir des statuts différents implique
également des intérêts différents à défendre. Or la question se centre bien sur ce problème qui
est de savoir comment un collectif de travail peut s'organiser pour la défense d'intérêts
différents voir opposés? C'est ainsi que les intérimaires se sentent peu concernés par les
mouvements syndicaux au sein de l'entreprise, voir même sont découragés par les
représentants syndicaux d'adhérer à ces mouvements. Ce rapport aux syndicats transparaît
nettement dans l'entretien réalisé avec J. Celuici étant superviseur, il peut exister un décalage
avec la pratique réelle des téléopérateurs, cependant, nous retiendrons sa parole comme la
plus clairement exposée parmi tous les entretiens. En effet, ce qu'il dit est très loin d'être
contradictoire avec ce que disent les téléopérateurs interviewés, sa très longue expérience en
tant que téléopérateur comptant davantage que son poste actuel. Ainsi, il commence par nous
expliquer que les syndicats sont très mal vus en centre d'appels. Dans sa position de
superviseur (qui nous le verrons plus loin est tout de même assimilée au collectif de
téléopérateurs) il nous explique:
« J: Si t'as besoin des syndicats, tu passes pour un mauvais superviseur,... et donc tu risques ta place! »« J: En fait, je tente pas de courir après les syndicats. Moi, je me bats pour moi, pour ma cause, et quand j'ai besoin de faire quelque chose, je le fais, et sinon, je le fais pas quoi (...) Donc, je fais rarement la grève ou en général j'ai pas besoin de faire la grève. Il suffit que je fasse un standing... (rires) chez le DRH et je finis par être reçu et voilà quoi! »
Ce recul par rapport à l'action collective se retrouve très fortement chez tous les
téléopérateurs interrogés. La gestion individualisée des ressources humaines est sûrement un
vecteur important, comme nous allons le voir maintenant, sans lequel cette situation resterait
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probablement incompréhensible.
IV.1.b/ Un traitement individualisé des ressources humaines:
Le deuxième facteur important à l'improbabilité de l'existence de ces collectifs, est la
gestion des ressources humaines très individualisée. Au delà du statut d'emploi, comme nous
pouvons le voir, ce sont tous les outils de gestion des ressources humaines qui sont
individualisés. L'annexe 5 présentant un tableau statistiques sur les résultats d'un
téléopérateur nous semble par conséquent une merveilleuse illustration de notre propos. Nous
y voyons donc une liste de résultats très détaillés concernant l'activité d'une seule personne.
Ces grilles de résultats quantitatifs s'accompagnent également d'entretien individuels
d'évaluation qualitative. Les annexes 6 et 7, la convention d'animation et le questionnaire
d'autoévaluation, nous donnent ainsi un bel exemple du contenu de ces entretiens individuels
d'évaluation. Chaque point y est ainsi abordé conjointement par le téléopérateur et son
superviseur. Ces entretiens donnent enfin lieu à l'élaboration d'objectifs adaptés au plus près
de l'employé, mais également à la notification des axes de progrès.
Dans la plupart des centres d'appels, sont mis en place plusieurs types d'entretiens: un
par semaine, récapitulant les résultats de la semaine et étudiant les progrès; souvent un autre
chaque mois, plus approfondi et donnant lieu à une fiche d'évaluation qui sera rangée dans le
dossier du téléopérateur. Enfin, certains de ces entretiens, voir la plupart, se déroulent suite à
une écoute conjointe d'un enregistrement d'une conversation.
A travers tous ces mécanismes, le traitement individualisé des ressources humaines
devient flagrant. Les propos de J. encore une fois illustrent parfaitement le nôtre:
« J: Si tu veux, le système est fait de telle sorte que tout le monde peut être comparé à tout le monde. A tout moment, ils peuvent ressortir les chiffres et dire voilà, c'était Untel qu'était sup. à tel moment, il a obtenu tels chiffres, tels chiffres, et ainsi de suite... et... et ça dans ma tête,... oui, je dirais un peu de compétitivité. »« J: C'est à celui qui sera le plus habile, le plus rusé, le plus rapide, le plus réactif! Après, tout dépend de tes ambitions, c'est toujours pareil... »
Il semble donc découler de ce type de gestion du personnel, une individualisation se
propageant probablement au niveau des représentations individuelles. Cela rend
particulièrement difficile toute forme d'action collective compte tenu de la difficulté
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d'appréhender la spécificité des situations de chacun.
« J: En fait, y'a... quand t'y réfléchis et que t'es vraiment honnête, y'a une forme d'hypocrisie, quelque soit le niveau... heu... dans lequel tu es. Que tu sois téléopérateur, superviseur, heu délégué du personnel,... tout le monde joue sa carte. (...) Tout le monde joue sa carte et en a un peu rien à foutre de l'autre, si t'y réfléchis bien. »
A travers ces deux éléments, la diversité des statuts d'emploi et la gestion
individualisée des ressources humaines, nous voyons bien la réelle difficulté à parler de
collectif en centre d'appels. Cependant, et à l'encontre de notre hypothèse de départ, il y existe
bien une forme d'action collective. Ces collectifs, rendus improbables par le contexte
d'organisation, sont pourtant l'expression de solidarités et d'entraides diverses.
IV.2/ Coopération et solidarités collectives:
Nous venons donc de voir comment l'existence d'un collectif au sein des centres
d'appels était compromise par les modes d'organisation de ces entreprises notamment.
Cependant, tous les entretiens réalisés insistent sur l'importance de ces collectifs. Nous nous
arrêterons ainsi sur deux indicateurs importants de leurs existence: les solidarités dans le
groupe de travail et la bonne ambiance sur le plateau comme générateur de motivation.
« O: Ben ce qui m'avait vachement surpris, en fait, au départ... c'est heu... ben vu que la situation était vachement difficile, on était... on était super mal formés, y'avait tout de suite vraiment, heu... je crois que même le premier midi, on avait mangés tous ensemble. Enfin, vraiment heu un truc... tu vois, on s'était regroupés quoi! »« O: Et là,... t'as quand même un esprit d'équipe, tu vois, comme on est tous... dans la même galère quoi!! »
Quoi de mieux que ces extraits d'entretien pour montrer les solidarités naissant au sein
de ces collectifs de travail. La tâche commune semble ainsi plus importante que le statut
d'emploi ici. C'est bien parce qu'ils sont dans la même situation, qu'ils vivent le même stress
et les mêmes angoisses que les téléopérateurs s'identifient à un collectif et font preuve de
solidarités.
Cet état de fait est ressorti régulièrement dans les entretiens: entraide au travail,
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solidarités et identification au groupe de pair semblent bien être des éléments importants pour
le téléopérateur. Ainsi, une des principales formes d'entraide se trouve lorsque l'un des
téléopérateurs à un problème pour répondre à l'un des clients, notamment sur les centres où
l'activité est plus technique: si les autres téléopérateurs sont disponibles, ils se loggent en
pause afin de l'aider à trouver l'information voulue.
« M: Quoi, quand on a un appel, ben c'est difficile, mais on peut toujours demander un renseignement à l'autre, sans problèmes. »« T : ça discute les deux. Il arrive des fois qu’on discute boulot et de choses… plus concernant la boîte parce que y’a des fois, quand t’es dans la salle de pause avec le délégué syndical, là c’est marrant. Tu peux parler… ben le problème, c’est que t’as que 5 minutes, tu peux pas vraiment t’engager dans une longue conversation mais, heu, tu te tiens au courant des conventions qui sont passées avec les directions,… heu vite fait… ensuite, heu, tu peux parler avec un des superviseurs en disant bon ben alors,… quand est ce qu’on sera formés sur les nouvelles offres ? Là… là je reçois des appels… je sais même pas ce que je dois faire, j’ai même pas été formé sur le… sur les nouvelles… sur les différentes propositions de nouvelles offres. Je sais pas comment le modem il marche, je l’ai jamais vu et je suis sensé le dépanner… Enfin, tu vois, des choses comme ça… et il te dit t’inquiètes, y’a des formations qui vont arriver. Et puis des fois, les sujets de conversations dans les pauses c’est… des trucs bidons, quoi, des trucs persos… Et ouais, des fois… ouais des fois, tu peux rigoler avec les superviseurs, tout le monde se tutoie, tu peux feinter, tu vois, pas de problèmes. »
Il est intéressant de noter à travers ce témoignage la place particulière occupée par le
superviseur dans le collectif de travail. En effet, malgré sa position de médiateur entre la
hiérarchie et les téléopérateurs, ceuxci intègrent facilement celuici au « nous » lorsqu'ils
parlent du groupe de travail. Le superviseur, souvent ancien téléopérateur, semble ainsi perçu
comme un membre du groupe ayant la difficile tâche de reporter la parole des téléopérateurs
au dessus et inversement. Le tutoiement est aussi de mise avec eux, et les téléopérateurs ont
une conscience importante du salaire « pas beaucoup plus important » que le leur. Ils
semblent ainsi avoir une bonne visibilité des contraintes reposant sur lui, et, plutôt que de le
craindre, sont plutôt amenés à le plaindre.
« B: C'est aussi parce que... on s'entend bien tous, on s'entend bien avec les sup, on s'entend bien avec le chef de plateau... alors, comment veuxtu critiquer? »
L'entretien avec le superviseur nous aide également à mieux comprendre ce qui
pourrait paraître paradoxale au premier abord:
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« J: Et puis, y'a de la pression en même temps, parce que, parce que en fait, quand,... Quand t'as une équipe sous ta direction, déjà tu te dois, le fait que eux soient bien pour venir travailler. Il faut que tu arrives à tout gérer en fait, (...) Et toi, en fait, en tant que superviseur, ton supérieur te juge sur tes résultats chiffrés, c'est à dire la qualité de service, les retards... »« J: Toute la subtilité, c'est de réussir à ... à faire en sorte que eux se sentent bien dans leur boulot, pour que toi tu puisses obtenir le meilleur résultat. »« J: Quand t'es superviseur en fait, t'as le cul entre deux chaises. Parce que d'une part, t'es pas assez élevé dans la hiérarchie pour prétendre à quoi que ce soit, d'autre part, t'es suffisamment bas (rires) je dirais, pour avoir besoin des syndicats. »17
Ces solidarités et entraides au travail se traduisent par une bonne ambiance sur le
plateau revendiquée par tous les interviewés.
« O: Ouais, ben heu après, comme je te le dis, l'ambiance ça va, tu vois? bon ça va. Bon, bine sur les clients sont chiants et ça c'est énervant (...) »
Ce qui est le plus intéressant à noter ici est que cette bonne ambiance est source de
motivation pour les employés et permet de résister au stress et aux pressions de cet emploi.
En effet, beaucoup nous disent qu'ils restent pour cette bonne ambiance. A la question de
savoir s'ils souhaitent rester, au delà de l'influence de la menace du chômage, la principale
raison invoquée à la signature d'un nouveau contrat est l'ambiance de travail agréable et
décontractée.
IV.3/ La hiérarchie et le « laisserfaire »:
Après avoir vu pourquoi on pouvait parler de collectifs improbables à propos des
téléopérateurs, il nous faut maintenant nous interroger sur le rapport de ces collectifs à la
hiérarchie. Nous procéderons ainsi en deux temps: en décrivant tout d'abord l'ambivalence de
ces rapports puis l'autogouvernement au sein de ces collectifs.
Le positionnement de la hiérarchie face à ces collectifs n'est pas univoque au premier
abord. Celleci adopte en effet une réaction relativement paradoxale: elle tolère sans
encourager l'existence de ces solidarités. En d'autres termes, l'entreprise laisse faire ces
17 Pour ce qui est des syndicats, voir plus haut l'avis de ce même superviseur.
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comportements mais ne légitime pas, n'institue pas ces groupes en tant qu'interlocuteurs à part
entière.
La tolérance de la part de la hiérarchie est bien présente mais motivée par des intérêts
propres. Ainsi, c'est parce qu'elle y trouve des avantages qu'elle laisse ces types de collectifs
se former. En effet, le premier intérêt qu'elle peut y trouver est une meilleure circulation de
l'information car le collectif, par définition, partage les informations, dans un but d'entraide
notamment. Le second intérêt réside dans le jeu possible pour la hiérarchie d'influencer le
téléopérateur par rapport aux contraintes domestiques telles qu'énoncées par Cartron. En
effet, l'entraide a pour effet de responsabiliser l'individu par rapport au groupe. Celuici
perçoit ainsi mieux que s'il ne remplit pas ses objectifs, tant quantitatifs que qualitatifs, le
reste du groupe aura à assumer ses « manques » . Cette contrainte nous apparaît donc comme
un réel levier de pression sur le travail de l'individu.
Cependant, comme nous l'avons annoncé précédemment, la hiérarchie ne favorise pas
ces collectifs. En ne les légitimant pas, c'estàdire sans leur donner un réel espace de parole,
donc un réel pouvoir, l'entreprise se garantie la conservation de son pouvoir sur les
téléopérateurs. Elle évite donc la constitution d'un groupe de pression en son sein, capable de
supplanter au déclin des syndicats. Elle utilise deux leviers principaux pour éviter toute
institution de ces groupes en tant qu'interlocuteurs centraux: la gestion individuelle des
ressources humaines, et le fait qu'elle n'autorise pas de représentation directe de ces collectifs
au sein des instances de décisions. En effet, le seul vecteur légitime pour faire remonter
l'information, est le superviseur, restant membre, même au plus bas niveau, de la hiérarchie.
Sa place particulière garantie ainsi un respect des règles par peur de sanctions individuelles
tout en permettant de créer une personne référente pour les téléopérateurs.
C'est ce double jeu de la tolérance sans légitimation de la part de la hiérarchie qui rend
encore moins identifiable ce genre de collectifs. N'étant pas reconnus, ils semblent par
conséquent se caractériser par des liens plus lâches entre les membres. En effet, les
téléopérateurs semblent solidaires entre eux, mais jusqu'à un certain point seulement, mettant
ainsi en place un espace d'autocontrôle collectif, d'autogouvernement. Celuici apparaît à
travers trois indicateurs :
✔ Les solidarités entre téléopérateurs s'arrêtent à la sortie de l'emploi ou à la fin du
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contrat. Personne ainsi n'ira se « rebeller » contre un non renouvellement de contrat
ou même contre un licenciement. Ceci semble bien être une borne que ces solidarités
internes ne peuvent franchirent. De même, malgré la bonne ambiance et la bonne
entente, personne parmi tous les téléopérateurs interrogés ne rencontre leurs
collègues en dehors des heures de travail.
✔ O. nous cite le cas intéressant d'une personne étant exclue de ces formes de
solidarité. Ce téléopérateur en effet n'était pas intégré au groupe qui le considérait
même comme un bouc émissaire:
« O: Tu vois, c'est ça, quand les sup sont un peu absents, t'en as qui heu... tu vois qui se prennent ... heu, enfin, qui se mettent à la place. En fait, lui il était plus vieux et c'est vrai que par exemple quand il ... il se posait une question, tout ça, il demandait jamais, tu vois? Il préférait dire une connerie que de demander si tu veux. »
Nous voyons ainsi que l'individu ne cherchant pas à s'intégrer dans le collectif est
mal accepté voir rejeté comme un gêneur pour le groupe. D'autant plus que les
téléopérateurs doivent ensuite rattraper les appels où il n'a pas été compétent.
✔ Enfin, O. nous parle également de l'autocensure très présente au sein du groupe:
« O: Tu vois, moi je trouve qu'on est beaucoup trop sérieux. Des fois, quand les sup ils sont pas là, y'a à peine un changement de comportements. (...) Ben c'est plus relax, tu te lèves, tu peux parler plus facilement, tu vois, tout ça, mais heu... c'est pas non plus incroyable quoi. »
La constitution de ces collectifs improbables de la part des téléopérateurs nous
apparaît importante dans le cadre de notre étude. En effet, l'expression de ces solidarités nous
amène à penser que ces groupes servent aussi de protection, de sécurité à l'employé. De ce
point de vue, ce sentiment d'appartenance à une « communauté de travail », quelque soit les
limites de celleci, peut être compris comme une stratégie de résistance face à l'organisation
libérale du travail et aux dominations qui en découlent. Cependant, l'action de ces collectifs
ne semble pas à proprement parler très revendicative, mais apparaît davantage comme un
simple « on se sert les coudes », c'estàdire qu'il n'y a pas forcément la volonté de faire
changer les choses, mais bien plus de les rendre agréables, ou tout du moins supportables.
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V/ LA DISTANCIATION AU TRAVAIL:
Un des résultats les plus probant de cette étude est sans aucun doute l'importance de la
distanciation dans le travail de téléopérateur. Elle nous paraît cruciale comme stratégie de
résistance aux pressions exercées par l'organisation et notamment par rapport aux injonctions
à s'investir, à être motivé, dynamique... Nous étudierons cet aspect de la rationalisation de son
travail par le téléopérateur autour de trois thèmes principaux. Tout d'abord, nous étudierons
plus avant les mécanismes de la distanciation observés ici, puis présenterons en quoi cette
situation s'apparente bien à une stratégie de résistance basée sur une rationalisation de la
situation de travail. Enfin, le troisième temps sera consacré à l'ambivalence entre adhésion et
résistance résidant au coeur même de la question de distanciation.
V.1/ Les trois dimensions de la distanciation:
Ce mécanisme de la distanciation nous paraît particulièrement important car il semble
toucher aussi bien le téléopérateur que le superviseur (bien que de manière légèrement
différente, peutêtre moins prononcée comme nous le verrons ultérieurement). En outre,
toutes les personnes interrogées, quelque soit leurs situations, présentent des formes de
distanciation. Ainsi, elle prend toute sa place dans cette analyse par son étendue assez
générale.
Nous pouvons tout d'abord distinguer trois dimensions à ce mécanisme:
✔ Une distanciation par rapport au client du fait de la particularité de la relation
téléphonique: Nous pouvons ressentir cette dimension de la distanciation à travers
quatre éléments:
✗ Tout d'abord, la limitation de la perception de l'interlocuteur par le
téléopérateur semble être la première distance mise entre lui et son travail. En
effet, cette relation est limitée uniquement aux sens de l'ouïe et de la parole.
Malgré la très forte intimité crée par l'impression de parler à l'oreille de
quelqu'un, au sens premier de l'expression, il en résulte une grande difficulté
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de vision de l'interlocuteur créant une distance importante dans la relation,
✗ De plus, il existe une grande difficulté d'obtenir des retours des clients. En
effet, ceuxci ne font suivre leurs impressions sur le service qu'en cas de litiges
ou de mécontentement bien souvent. De plus, du fait de la limitation du temps
de communication, le téléopérateur est souvent contraint à écourter au
maximum la discussion, laissant ainsi peut d'espace à l'expression de
remerciements,
✗ La distance culturelle avec le client est parfois sujette à incompréhension entre
les deux interlocuteurs. Par exemple, O., téléopératrice sous traitant les appels
d'un grand groupe bancaire, sur des actions d'épargne salariale, se trouve ainsi
régulièrement en contact avec des cadres comprenant parfois difficilement
qu'elle ne puisse répondre à certaine de leurs demandes. De plus, ayant accès à
leurs comptes bancaires,
« il est parfois difficile d'écouter un mec qui chipote pour trois euros alors qu'il en a sept cent mille sur son compte... surtout quand toi t'en gagne à peine mille par mois (rires). »
✗ Enfin, la forte normalisation de l'appel nous semble être un facteur important
de la distanciation dans la relation au client. En effet, les mots et expressions
bannies18 du discours par exemple, standardisent la parole, la rendant
artificielle et plus difficile. Cette prescription du langage téléphonique ne
semble ainsi pas très libératrice de ce type de relations.
✔ Une distanciation par rapport à son travail quotidien: Dans cette catégorie, nous
retrouvons les stratégies de résistances plus « classiques » . Nous pouvons ainsi y
voir des stratégies de freinage, de « grève du zèle », voire de sabotage mais
également des stratégies plus spécifiquement liées à l'outil de travail, c'estàdire le
couple téléphone/informatique. Tout d'abord, nous avons pu voir à plusieurs reprises
des détournements de l'outil informatique, et notamment à travers l'accès à internet
provoquant parfois des abus tels que téléchargements clandestins, séance de « chat »
avec des amis,... Le deuxième détournement lié à ce type d'outils est une technique
18 Cf Annexe 9: Expressions et attitudes au téléphone.
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rapportée par B. notamment où l'appel est pris, mais seulement une seconde, le
temps qu'il soit comptabilisé comme tel. Le téléopérateur simule ensuite une panne
ou une coupure de liaison, ce qui a pour avantage notamment de lui faire diminuer
son TMC (temps moyen de communication). Enfin, la dernière stratégie que nous
citerons ici, repose sur la possibilité de couper le micro, lors d'une conversation, à
l'aide de la touche « mute » du combiné. Cette fonction permet ainsi d'entendre le
client sans que celuici n'entende ce que fait ou dit le téléopérateur. Cette fonction
est régulièrement détournée le temps d'ironiser ou de singer le client:
« T : Ben moi je le faisais pas pis, après, je me suis aperçu que je commençais à le faire en parlant tout seul un peu en faisant [voix niaise] gnagnagna je veux des nouvelles offres et tout machin […] et pis quand c’est des vieux cons, des vieux qui entendent rien et qui sont sourds ben moi je fais pareil, en fait je fais pareil, c’estàdire je fais heu… comme j’aurai envie de lui répondre plutôt que d’être poli, faire un chienchien quoi. »
Ce système peut être interprété comme une distanciation immédiate au « rôle du
téléopérateur » .Ce jeu de mime peut donc être compris comme une stratégie de
décompression face aux différentes injonctions contradictoires: injonction à
l'authenticité, c'estàdire à être soi, pour réaliser un meilleur travail, et respect des
règles et des normes strictes de l'appel comme le SBAM (SourireBonjourAu
revoirMerci), ou encore savoir rester calme, directif mais sans jamais s'emporter,
quelque soit son humeur. On se doute que la rencontre de ces deux injonctions,
notamment avec le stress et la fatigue s'accumulant en fin de journée, nécessite une
forme d'évacuation sous peine d'implosion ou d'explosion,
✔ Une distanciation par rapport au travail, dans un sens plus général: Cette troisième
dimension de la distanciation se traduit notamment à travers la très forte séparation
faite par les téléopérateurs, entre vie professionnelle et vie extraprofessionnelle. les
téléopérateurs semblent ainsi créer une coupure très nette entre les deux... allant
même jusqu'à répondre par une passion à la question sur ce qu'ils font dans leur vie?
C'est un travail alimentaire, utilitaire, sans aucune autre vocation:
« G: je te dis,... Ce boulot là je le fais de manière... alimentaire. Je le fais bien parce que on me paye pour ça, je le fais du mieux que je peux... mais ça s'arrête là. Je vais pas m'amuser à massacrer leur truc,... »
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V.2/ La distanciation comme stratégie de résistance:
Ces trois dimensions de la distanciation nous montrent l'importance de celleci en tant
que stratégie de résistance. En effet, elle semble se traduire par un « rôle de téléopérateur »
que l'employé enfilerait comme un uniforme en arrivant au travail et qu'il quitterait le soir en
partant:
« T: Ouais ouais c’est çà c’est une dépersonnalisation complète donc heu… un enrôlement qu’est pas [il sourit] ouais ouais tu… franchement dès qu’on met le casque et qu’on prend l’appel eh ben y’a tu, tu incarnes ton rôle et des fois mais des fois mais enfin ce qui… ce qui est super c’est quand j’suis arrivé, çà m’a assez surpris çà c’est heu… on a une touche qui coupe le micro et on entend toujours le client mais lui il nous entend pas et heu… [...] j’sais pas quoi heu… votre connexion ne marche pas? d’accord appuyez sur le menu démarrer s’il vous plait [il reprend son souffle et élève la voix pour rejouer la scène] mais je t’ai dit appuyez sur le menu démarrer espèce de con va [rires généraux] oui c’est çà. Et en fait cette personne heu…heu… elle est un peu schizophrène quoi et c’est des doubles…Hein ? »
Cette stratégie nous semble volontaire de la part du téléopérateur, conscientisée dans
un jeu de l'adhérence où l'on feint d'adhérer au projet et aux différentes injonctions de
l'entreprise, afin de pouvoir, en parallèle, être « tranquille » . Le fait d'endosser ce rôle
permettrait ainsi au téléopérateur de jouer au bon employé intégré et investi tout en
conservant sa lucidité et son jugement propre.
Pour bien comprendre notre propos qui nous paraît ici primordial, il peut être
intéressant de citer Montaigne lorsqu'il définit l'objectif qu'il fixe au précepteur en ce qui
concerne l'éducation des enfants, définissant par là également sa propre posture du
scepticisme politique: « Si son gouverneur tient de mon humeur, il lui formera la volonté à
être loyal serviteur de son prince et très affectionné et très courageux; mais il lui refroidira
l'envie de s'y attacher autrement que par un devoir public. »19. Nous voyons ainsi clairement
apparaître cette idée de rôle face à l'autorité: l'individu montre tous les signes d'affection et de
loyauté, mais garde pour lui sa liberté de jugement.
On peut ainsi supposer en allant plus loin, que tout cela sous entend l'idée d'une baisse
de l'obéissance et de la docilité au profit de la mise en place d'une feinte stratégique. Ce
19 Montaigne, Michel de, Essais, Livre I, édition Folio, 1965, p.228.
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comportement stratégique de l'individu consistant à faire croire à l'entreprise que l'on est
engagé, investi, l'oblige ainsi à mettre en scène son propre engagement. De cela découle l'idée
qu'il existe en fin de compte un double jeu de détournement de la subjectivité, une certaine
réciprocité de ce mécanisme entre l'entreprise et l'employé:
➔ Dans un premier temps, l'entreprise essaye de détourner la subjectivité de l'employé
vers sa propre subjectivité, c'estàdire ses propres valeurs, normes, objectifs,... C'est
le schéma le plus classiquement admis et dont nous avons pu voir plusieurs
exemples au cours de cette étude,
➔ Dans un second temps, l'employé semble conscient de cet effort de la part de
l'entreprise et adopte donc un jeu de l'adhérence: en endossant le rôle de
téléopérateur, il lui fait croire à son adhésion à la subjectivité de l'entreprise. Il s'agit
en fait pour lui d'utiliser l'entreprise pour atteindre ses propres objectifs, dans une
vision très utilitariste du travail. Il détourne ainsi, par cette feinte stratégique, la
subjectivité de l'entreprise vers ses propres valeurs, ses propres objectifs.
Bien évidemment, ce schéma reste avant tout théorique, et en partie sur la question de
la lucidité. L'acteur semble en effet bien plus pris entre une lucidité importante mais limité et
un réel investissement dans son travail comme nous le verrons dans la partie suivante.
Cependant, il nous paraissait crucial ici de pousser au plus loin cette idée afin de bien
appréhender les comportements du téléopérateur dans un centre d'appels.
V.3/ L'ambivalence adhésion / résistances:
Au vu de la partie précédente, le lecteur pourrait être porté à croire que tous les
téléopérateurs sont lucides et résistants à l'organisation libérale du travail. Il n'en est rien. Il
me faut expliquer ici, pour me rapprocher davantage de la réalité, les différentes
ambivalences cohabitant dans le monde du travail en centre d'appels.
En premier lieu, on observe une ambivalence entrepreneuriale au sujet des différentes
formes de résistances citées ici, et plus particulièrement visàvis de la stratégie de
distanciation. En effet, la plupart de ces actes sont tolérés mais non autorisés. Sur le même
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schéma que celui de la relation entre hiérarchie et collectifs de travail, l'entreprise semble
ainsi ignorer ce qu'il se passe. On peut cependant soupçonner que ces pratiques sont bien
connues de la part des encadrants, mais qu'elles sont acceptées comme étant une condition
indispensable à la « survie » de la main d'oeuvre. Peutêtre estce ici que transparaît
l'individualité des encadrants, leurs sensibilité? En outre la distanciation et quelques autres de
ces pratiques semblent bien servir également les intérêts de l'entreprise. Car lorsque les
téléopérateurs adoptent le rôle de téléopérateur, ils font également le travail de téléopérateur,
même si ils ne s'identifient pas en tant que tel.
En parallèle, on observe une ambivalence également de la part des téléopérateurs. En
effet, ils peuvent adopter des comportements et des pratiques résistantes tout en s'investissant
dans leur travail, voir dans leur entreprise:
« O: En fait, moi je pense,... le problème c'est que ça joue sur la personnalité, quand même je pense. C'est un investissement tellement complet, tu vois, qui demande tellement de compétences individuelles, et en même temps un esprit d'équipe, tout ça, que... t'es trop obligé de t'investir heu... tu peux pas faire ça en pensant à autre chose. »« O: Parce que sinon, dans la vie, je suis super revendicatrice! (rires) Je sais pas comment ils font pour te ... et puis même, tu te surprends à être investie, tu vois? »
Ainsi, nous venons d'étudier une stratégie de résistance en détails: la distanciation.
Elle nous paraît importante dans la description des mécanismes qu'elle met en jeu, se trouvant
ainsi au coeur du débat sur la servitude volontaire. En effet, par l'observation de cette
ambivalence entre adhésion de l'employé et pratiques de résistances de sa part, se dessine
cette question si ancienne et pourtant, toujours d'actualité dans l'organisation libérale du
travail. Malgré la valorisation des valeurs d'autonomie, de réalisation de soi et de
responsabilité, on remarque ainsi la persistance d'une forme, moins visible mais non moins
active, de servitude. Nous nous trouvons bien dans un système de domination établi et
réglementé, ce que Courpasson appellerai une bureaucratie libérale.
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CONCLUSION:
Après avoir pris le temps de réexpliquer notre problématique, les stratégies de
résistances face à l'enrôlement de la subjectivité, sa place au croisement de la sociologie de la
domination et de la sociologie du travail nous est apparue clairement. Ainsi, il est ressorti
l'importance de cette question dans l'organisation actuelle du travail: l'organisation libérale.
Nous avons ainsi pu énoncer plusieurs hypothèses s'articulant autour de quatre axes: la
présence d'actes de résistance au quotidien, comme gestion du stress notamment,
s'accompagnant de nouvelles perceptions et représentations du travail. Ces premières
hypothèses nous poussaient ainsi à envisager l'existence d'une valorisation professionnelle
paradoxale de la part des téléopérateurs.
Pour répondre à ce questionnement, nous avons mis en place une démarche de
recherche qualitative basée sur la réalisation d'entretiens semidirectifs. Nous avons
également présenté des sources complémentaires de données: la visite d'un centre d'appels et
l'analyse de documents de travail interne à l'un de ces centres. Bien définir notre échantillon a
également été notre sujet, notamment par la recherche de personnes adoptant des pratiques
résistantes (sans être pour autant dans la revendication syndicale), mais aussi par une tentative
de diversification des situations rencontrées.
Enfin, les trois dernières parties ont présenté nos résultats de recherches. Nous avons
ainsi pu voir comment le travail de téléopérateur était extrêmement rationalisé, contraint et
générateur de souffrances pour le travailleur. L'appellation d'usine moderne du tertiaire nous
semble ainsi justifiée dans le cas de ces entreprise de sous traitance d'appels. Notre regard
s'est ensuite concentré autour de deux questions primordiales: la constitution de collectifs de
travail, et les stratégies de résistances individuelles. Les collectifs de téléopérateurs nous sont
ainsi apparus comme improbables du fait des barrières mises à leur constitution par
l'organisation. Cependant, nous nous sommes vite aperçus de l'importance donnée par les
téléopérateurs à ces collectifs, où s'expriment solidarités et entraide. La bonne ambiance sur
le plateau devient ainsi un fort vecteur d'adhésion à l'activité: sans cela, beaucoup nous disent
qu'ils auraient déjà lâché prises. Enfin, toujours concernant ces groupes de travail, leur
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relation avec la hiérarchie fut aussi discutée du fait de son aspect paradoxal, oscillant entre
tolérance et répression, sans jamais légitimer et reconnaître l'existence de ceuxci.
Pour finir, la principale stratégie de résistance présentée ici fut la distanciation
individuelle par rapport au travail, autant dans les pratiques que dans les représentation. Faire
une « grève du zèle », donner une place moins importante au travail dans sa vie, bref, être
lucide sur le travail et son organisation représentent bien des stratégies de l'individu de se
détacher du travail, de résister face à l'injonction de s'investir. Par l'adoption du rôle
téléopérateur, celuici semble ainsi protéger sa liberté derrière une adhésion de façade.
Cependant, nous avons tenté de montrer l'ambivalence même de cette pratique, balançant
continuellement entre lucidité et investissement.
Nous voyons donc comment l'organisation de ces entreprises reste flou et ambivalente.
Nous pouvons supposer que la mise en réseaux, la constitution de petits groupes autonomes,
faisant ainsi perdre la visibilité des contraintes extérieures, voire même de la hiérarchie, ont
joué un rôle important dans ce fort sentiment de flou de l'organisation.
« O: C'est un peu subjectif, quoi! (...) C'est un peu le flou tout le temps, tu sais pas trop ce qu'ils attendent de toi. »
Ce TER empirique laisse une grande place à l'individu acteur. En effet, il nous
paraissait central, dans ce mode d'organisation libérale, de donner toute sa place à celuici,
compte tenu des formes de gestions individualisées, mais également de la conception même
de chaque individu. Car cette étude nous laisse bien l'impression d'une conception beaucoup
plus individualisée du rapport au travail, et notamment de la part du travailleur. Au travers de
ces collectifs improbables, aux solidarités limitées, et des stratégies de distanciation, nous
pourrions ainsi poser l'hypothèse d'un « individualisme stratégique », ou encore d'un certain
égoïsme (au sens positif du terme), recréateur du collectif. L'individu s'intégrerait au collectif
non pour suivre une norme, mais davantage en vue de ses propres avantages, traduisant ainsi
un comportement stratégique volontaire. Le collectif apparaîtrait donc ainsi, non plus comme
une contrainte pesant sur l'individu, mais bien comme un choix volontaire de coopération,
s'articulant sur la conscience de l'interdépendance nécessaire à sa survie. Et, aujourd'hui, ne
seraitce pas là la vraie consistance de cet individualisme si souvent décrié?
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BIBLIOGRAPHIE:
✔ Boltanski Luc, Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
✔ Buscatto Marie, les centres d’appels, usines modernes ? Les rationalisations
paradoxales de la relation téléphonique, Sociologie du travail, vol 44, n°1, 2002.
✔ Caveng Rémy, Contrer la mise en concurrence individuelle: coopération,
résistance et normativité dans ses collectifs de travail improbables, journées
d'études organisées par le GRACC sur la servitude volontaire, la question du
consentement au travail, université de Lille 3, 17 et 18 mars 2005.
✔ Courpasson David, L'action contrainte, Organisations libérales et dominations,
Paris, PUF, Coll. Sciences Sociales et Société, 2000.
✔ Crozier Michel, Friedberg Erhard, L’acteur et le système, les contraintes de
l’action collective, Paris, Seuil, 1977.
✔ Foucault Michel, Surveiller et Punir, éd Gallimard, 1975
✔ Ghiglione, 1998, les enquêtes sociologiques, Paris, éd. A. Colin.
✔ Martuccelli Danilo, Figures de la domination, in Revue Française de sociologie,
453, 2004, pp. 469497.
✔ Montaigne, Michel de, Essais, Livre I, édition Folio, 1965, p.228.
✔ Olivier Cousin, les ambivalences du travail, les salariés peu qualifiés dans les
centres d’appels, in Sociologie du travail, vol.44, n°4, 2002.
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ANNEXES:
● Annexe 1: Un guide d'entretien modulable:
● Annexe 2: T., l'entretien exploratoire
● Annexe 3: Les 7 péchés capitaux.
● Annexe 4: Les droits du client.
● Annexe 5: Statistiques d'activité d'un téléopérateur.
● Annexe 6: Convention d'animation.
● Annexe 7: Questionnaire d'autoévaluation.
● Annexe 8: Rôle de l'animateur.
● Annexe 9: Expressions et attitudes au téléphone.
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Annexe 1: Un guide d'entretien modulable:
1. Profil de l’interviewé :
- âge
- Origine sociale (profession des parents, origine géographique, mobilité)
- Parcours de vie (études, parcours professionnel)
- Cadre de vie actuel (lieu, ressources financières, situation maritale, activités
extraprofessionnelles)
- Projet professionnel et projet de vie
- Motivations et choix de cet emploi et conditions de recrutement
2. Son travail :
Description d’une journée type
Horaires (mesure flexibilité…)
- Surveillance (contrôles, sous quelles formes…)
- Hiérarchie (quelle visibilité de différence de statut, comment s’exprimetelle ? salaire,
pouvoir, présence de régulateur…)
- Combien de temps les individus restentils dans l’entreprise ?
- Présence de syndiqués ?
- Organisation spatiale du lieu de travail
- Heures supplémentaires, heures complémentaires et type de contrat
3. La formation de formateur:
– Quelle est la formation pour devenir formateur?
– Par qui est elle faite et comment s'organise t'elle?
– Quelles sont les compétences requises pour être formateur?
– Quelles sont les thèmes abordés (et appuyés) pendant la formation?
– valeurs de l'entreprise?
– produits?
– pratiques pédagogique?
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– pratiques managériales?
– discours à tenir?
– mots interdits, mots conseillés? existe t'il un vocabulaire spécifique?
– Quelles sont les attentes de la hiérarchie par rapport aux formateurs?
4. La formation donnée par le formateur:
– Comment s'organise t'elle?
– Quelles sont les attentes pour une formation de téléopérateur?
– Quel en est le contenu?
– Valeurs de l'entreprise?
– connaissances des produits?
– pratiques téléphoniques?
– présentation de l'entreprise?
– quelle est la marge de liberté du formateur?
– Comment les « formés » s'investissent ils?
– Peut on déjà repérer différents types d'employés? lesquels?
– Quelles sont les demandes faites au téléopérateur?
5. représentations:
Quel est le discours de l’entreprise ? Y atil une différence par rapport à celui du
formateur ?
- Relations à la hiérarchie
- Relations entre salariés
- Relations avec les clients
- Peut il donner une évaluation de son travail ? De son emploi ?
6. sentiments:
Pensetil à son travail quand il n’y est pas ? (Sentiment de contrainte ou d’ennui ?)
- Sentiment de valorisation ? Par qui ?
- Comment ressentil l’image véhiculée par les journaux sur les centres d’appels ?
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- Quelle est, d’après lui, sa marge d’autonomie ? (sentiment d’être contraint ou non ?)
- Vision de l’avenir (combien de temps compteil exercer ce travail ?)
- Combien de temps pourraitil exercer ce travail d’après lui ? (sentiment d’être capable de
supporter ou non sur le long terme ce travail)
- Présence ou non d’une compétitivité entre salariés (comment se matérialisetelle,
comment estelle organisée ? sentiment d’être sollicité…)
– Quels sont les intérêts personnels apportés par cet emploi?
– Quels avantages y trouve t'on?
– En quoi cela participe t'il d'un « schéma de vie », de l'élaboration d'un projet de vie à long
terme?
7. Superviseur:
Y a t'il une formation particulière pour devenir superviseur?
– A quoi est formé un superviseur?
– Quel est son rôle?
– Quelles sont les demandes faites au superviseur par sa hiérarchie?
– Et par les employés?
– Est il facile de se positionner entre les deux?
– Quels sont les moyens et les limites d'actions d'un superviseur?
– Comment se passent les procédures d'écoutes? sur quels critères?
– Existe t'il un contrôle de celles ci?
– Quel en est l'objectif annoncé? réel?
– Quel est l'objectif de la constitution de statistiques?
– Quelle en est leur utilité?
– Relations aux syndicats?
– Le fait d'être superviseur est il valorisant?
– Quelle est sa marge d'autonomie?
– Quelle est sa vision d'avenir?
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Annexe 2: T. l'entretien exploratoire:
D : bonjour, T., donc ce sera anonyme, et …T : D’accord !D : Notre but c’est d’essayer de comprendre ce que c’est ton boulot, comment tu le conçois, et tout ça. Et donc on a quelques petites questions à te poser, les unes après les autres.T : hum hum ! D’accord.D : Voilà, pour le début, on aimerait… heu… savoir un peu qui t’es, bien sûr, donc tu vois, un peu que tu nous expliques… heu… déjà, d’où tu viens, tu vois ? Que font tes parents ? Tout ça… Enfin, si tu peux te situer, tes origines sociales,…J : T’as déjà fait de la socio de toute façon,… donc tu peux… tes études, tout ça !T : OK. Wouah, vaste question…J : Ouais, c’est déjà vaste…T : Alors,… heu… Qui je viens ? Heu, qui je suis, d’où je viens ?J : Ton parcours ?T : Mon parcours, mon parcours, on va commencer par mon parcours scolaire. Heu… Ben… Heu… parcours scolaire sans difficultés jusqu’au BAC, ensuite y’a eu beaucoup d’hésitation au début de mon parcours universitaire. Donc j’ai commencer, après mon BAC d’électronique, une année en école d’ingénieur, mais à l’université, mais donc … heu… prépa intégrée, quoi ! Ensuite bon ben… c’était un grand échec hein ! Donc j’ai réintégré un DEUG qui mêlait les mathématiques et les sciences humaines : DEUG MISASH à Lille 3. La première année s’est mal passée, hein, et puis à partir de la deuxième année, j’ai remis les choses en question et donc ça a valu beaucoup mieux, jusqu’à terminer en maîtrise de sociologie. [Silence] Et puis, j’ai pas eu ma maîtrise, [rires], et donc je me suis réorienté dans une … heu… une formation d’informatique et documents. Donc heu, qui me plaît très bien…D : Ce que tu fais actuellement ?T : Voilà. Ce que je fais actuellement… voilà, on est arrivé, donc j’ai fait un peu bref. Ensuite, par ailleurs, heu… depuis… heu… depuis mon adolescence j’ai découvert l’informatique et je m’y intéresse… heu… beaucoup. Donc en étant autodidacte et puis… heu… à force de… heu… résoudre mes propres problèmes et d’avoir l’envie de connaître ce qui se passe, ce qui se fait, par la curiosité, et bien j’en suis venu à proposer des services de dépannage pour des amis, pour la famille. Et heu… jusqu’au moment où je me suis rendu compte que je pouvais même réclamer de l’argent contre ces services… et ça a commencé comme ça avec un petit job chez mon oncle qui a une
entreprise. Et donc je faisais les installations réseaux, montage d’ordinateurs, les choses comme ça. Et heu… confronté au besoin de trouver un travail, absolument cette année, comme l’an dernier d’ailleurs,… mais cette année, je pouvais plus trouver un travail au sein de l’université puisque je travaillais à la bibliothèque. Donc là, je me suis orienté vers le secteur informatique. Et heu, donc j’avais,… je connaissais le métier de Hotliner par … heu [hésitations]… par les représentations que j’en avais hein ! Puisque je n’avais pas du tout idée comment ça se passait réellement. Et puis, j’avoue que ça m’attirait assez de me voir en tant que dépanneur informatique par téléphone.D : Ouais, tu trouves ça classe ! Enfin je sais pas, qu’est ce qui t’a attiré dans cette image là ?T : Ouais c’est ça, d’être un expert,… aider les gens… enfin d’être [hésitations] utile quoi ! Un métier où on se sent utile. Et de pouvoir mettre justement… de pouvoir mettre à contribution un savoir que j’ai acquis de manière autonome. Et pas par… heu… une formation quelconque,… ce qui est très valorisant pour moi, d’avoir cette reconnaissance. J’avais envie de l’obtenir parce que je ne savais pas comment évaluer…J : Ha ouais, la reconnaissance institutionnelle de ce que tu as appris tout seul, donc heu…T : Voilà… je ne savais pas m’évaluer par rapport… à ce que les personnes prétendent avec un diplôme. [Silence] Donc heu voila. Voilà un peu pourquoi j’ai été attiré par ce travail… que j’ai trouvé très très facilement d’ailleurs, hein !D : Ha ?T : Je me suis inscrit sur un site Internet en mettant… en mettant le type de métier auquel je voulais. J’ai fait un CV type et une lettre de motivation type… sans personnaliser. Donc je répondais aux annonces, en restant chez moi, hein, que je recevais dans ma boîte mail, en… en envoyant en pièces jointes le CV et la lettre de motivation. Et c’est comme ça que j’ai été contacté par téléphone par une boîte… enfin, une agence d’intérim, qui… J’ai passé des tests qui ont été concluants. Ensuite j’ai repassé des tests dans l’entreprise qui m’embauche actuellement. Donc j’étais en contrat intérim pendant un mois et demi, et maintenant, ben heu, je suis salarié de l’entreprise.D : Et ces tests de recrutement,… t’en a passé deux, c’est ça ?T : Oui, alors le premier c’était un… recrutement assez basique pour vraiment faire un tri… un tri, heu, [hésitations] un peu gros quoi ! Disons, c’était des questions informatiques très très simples… vraiment
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de base. Ainsi qu’un test de téléphone que le n’ai pas particulièrement réussi, mais heu, à mon avis, ce qu’ils voulaient savoir, c’est qu’on ait une bonne élocution, une aptitude à pouvoir communiquer… par la langue orale hein !D : Parce que t’étais dans la même situation en fait ? T’avais un ordinateur, un téléphone et tu faisais comme si tu répondais ? Ou…T : J’avais un téléphone je savais la question qu’il allait me poser, fallait simplement répondre.D : D’accord.J : OKT : Et puis le questionnaire, c’était un questionnaire papier…D : Et c’était à propos de l’ordinateur…T : Oui, voilà sur place…D : Pour tester ton savoir technique principalement ?T : Oui. Oui, oui, mais un savoir technique vraiment de base… qui n’entre pas dans [??]… Et ensuite, j’ai passé un test d’évaluation… heu… juste avant l’entretien dans la boîte. [Hésitations] heu, je peux dire son nom ?D : Oui, comme tu veux.T : Elle s’appelle V. donc SNT V. anciennement SNT, donc on parle encore de SNT, on parle encore de V., enfin on parle aussi de V. Quand je dis SNT V. c’est la même chose. Heu. Et donc ça c’est passé comme ça… avec heu… avant l’entretien, on faisait un test téléphonique, c'estàdire je réponds au téléphone et puis y’a un… un des recruteurs qui se fait passer pour un client et qui me teste sur une… un dépannage… sans qu’on ait d’outil informatique, sans qu’on ait… en essayant de respecter une sorte de charte d’accueil un peu bidon qu’on invente quoi. Du coup… en gros, fallait qu’ils voient des éléments… heu… enfin peu importe, hein, peu importe comment c’est passé cet entretien puisque en fin de compte,… suite à cette simulation d’appel, on a passé un entretien… où on a… débriefé un peu cette écoute comme point de départ pour expliquer un peu le travail qui nous attendait.J : D’accordD : Donc là, ils ont… Comment ça c’est passé l’explication qu’ils t’ont fait là ?T : He bien ils… heu… l’entretien… c’est… ça a duré une heure en tout, c’était, heu, très décontracté, hein. Donc ils ont commencé par dire… ben… ils ont introduit l’entretien en disant on va débriefer l’appel qu’on a fait, tu va nous dire d’abord ce que tu en as pensé, les critiques, ensuite on te dira ce que nous on en a pensé…D : Et ils te tutoyaient directement ?T : Non, ils me vouvoyaient. Et… heu… C’est parce
que maintenant tout le monde se tutoie en fait.D : Oui, une fois que t’es rentré dans la boîte…T : Ouais, une fois qu’on est rentré, tout le monde se tutoie, c’est pour ça. Alors… vous… on regardera, enfin on débriefera. Puis avant vous allez d’abord vous présenter, on va un peu relâcher l’atmosphère, relaxer un peu quoi… donc, je pense dans mon souvenir qu’on a fait un peu la présentation du CV, quelque chose comme ça. Ensuite, on a passé au débriefe de l’appel, donc …heu,… ce que j’en ai pensé, les critiques que je me suis faites, et puis… après ils m’ont posé des questions du genre… alors qu’est ce que tu en as pensé de cet appel ?... Donne nous des points positifs, des points négatifs… des choses comme ça ! Heu, ensuite, ils m’ont posé des questions… sur ce que je faisais dans la vie… ou alors sur… des détails qu’il y avait sur mon CV et qui avait plus en rapport avec mes activités genre la musique,… des choses comme ça. Ils m’ont demandés aussi qu’est ce que… qu’est ce que dirait votre patron actuel si on leur demandait comment vous êtes ? Ou alors, après ils m’ont posé la question qu’est ce que diraient vos amis si on leur demandait comment vous êtes ? Des choses comme ça… Bon, ça permet…J : Ils essayaient de cerner un profil psychologique, ou plutôt qui t’étais…T : Ben ouais, peut être. Mais à mon avis, ça valait pas,… c’était pas aussi… heu… prétentieux que ça. A mon avis, c’était aussi pour… histoire de faire un peu plus connaissance… cerner un peu plus la personne, quoi.J : Hum hum !D : Estce qu’ils t’ont parlé un petit peu de ce qu’ils attendaient de… quoi, qui ils étaient eux ? Est ce que…T : Oui, oui bien sûr !D : Ils t’ont dit la philosophie de l’entreprise ? Des choses comme ça ?T : Non, y’a pas vraiment de philosophie de l’entreprise. Y’a… une explication du… de ce qu’est le service qu’on va apporter. Alors, nous sommes un… nous sommes des conseillers techniques et commerciaux de niveau 1 pour un fournisseur d’accès Internet qui est C., donc on reçoit tous les appels directs, et ensuite en fonction du type d’appel ou du type de problèmes rencontrés, on remet en relation avec d’autres personnes si on ne peut pas, si on ne dispose pas des outils pour pouvoir aller plus loin.D : Donc ces autres personnes, c’est les niveau 2 ?T : Voilà. Des techniciens supérieurs de niveau 2 qui sont basés à Paris, qui sont directement rattachés à C. Donc nous, on sous traite, quoi, on est une boîte de sous traitance de C.J : Niveau 2, c’est un niveau technique supérieur, c’est
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ça ?T : Oui, c’est un niveau technique supérieur où ils… où n fait on… [Hésitations]… Je vais faire un peu dans le désordre avec cette question… enfin, c’est pas grave !D : Vasy, Vasy !T : En fin de compte… donc, on a reçu une formation qui a durée deux semaines, une formation technique sur Internet, sur les principes d’Internet, comment fonctionne un ordinateur, des choses comme ça. Donc tout… tout ce que je savais déjà donc… avant d’arriver.J : C’était pour être sûr … d’avoir les mêmes réponses ?T : Non, pas du tout… C’est pas du tout pour être sûr, c’est parce que ils prennent des gens qui n’ont aucune… Ils peuvent accueillir des gens sur ce plateau qui n’ont pas du tout de connaissances informatique, puisqu’en fait, l’outil informatique qu’on a, c’est la fiche client qui nous… qui correspond… qui est tirée de la base de données des fiches clientèles C., donc, on fait tout ce qui est changement d’offre, renseignements, des choses comme ça, sur les factures… Et ensuite pour… on fait un premier… un dépannage de premier niveau qui sont les pannes les plus couramment rencontrées, sur tel type de Modem, sur tel type de système d’exploitation, et en fait, on suit un script… on suit un script et on lit les questions qui sont posées à… on lit les questions qui sont inscrites à l’écran. Ensuite, on a des captures d’écran qu’expliquent ce que devrait avoir le client, et puis on suit, et puis on clic comme ça, et on… on récite en fin de compte. Et normalement ce script est fait… pour que… quelqu’un qui n’y connaisse pas saches quand même dépanner quelqu’un sur des erreurs de très bas niveau. Par exemple une erreur de mot de passe pour la connexion, modem pas branché, mauvais modem sélectionné…J : Comment t’expliques qu’il y ait une sélection quand même, des tests au début, si n’importe qui devrait pouvoir se former ? Y’a vraiment une sélection ? Il faut avoir des connaissances au niveau du recrutement ?T : Ben…J : Ou c’est juste pour s’assurer que la formation sera…T : Ben, en fin de compte, tout le monde en a quand ils arrivent, parce qu’en fait ce script, c’est vraiment un… outil très limité puisque dès que le client n’a pas… n’a pas la même chose que ce que nous on a à l’écran, on est sensés… transférer vers un technicien niveau 2. Et… 80% des appels ça sort du script. Donc dans ces cas là, on fait appel à ses propres connaissances personnelles pour pouvoir… réorienter le client vers
ce qu’il devrait avoir. Parce qu’il suffit qu’il clic à un mauvais endroit, qui saches pas taper le bon truc, il peut y avoir des tas de paramètres extérieurs… d’éléments extérieurs qui font que tout ne se passe comme ça devrait se passer selon le script. Ce qui ne… Et heu, dans ces cas là, on fait appel à nos ressources. Donc on n’est pas considérés comme des techniciens, on est considérés comme des conseillés, des téléconseillés, ce qui explique aussi qu’on soit payés au SMIC, quoi, parce que les techniciens ils sont normalement niveau BAC +2 en informatique, ils sont un petit peu mieux payés.D : Donc la formation, en gros, c’est… savoir se familiariser avec ces scripts et comment les utiliser…T : C’est ça. La formation c’est… c’est d’abord une formation récapitulative des outils Internet, et comment utiliser les outils qui sont mis à notre disposition, c'estàdire ce script et le logiciel qui interfère avec la base de données.D : Et donc ça c’est 15 jours de formation à suivre…T : Oui. 15 Jours.D : A temps complet ?T : Oui.D : Vous avez aussi des formations, quoi des… des réunions où ils vous expliquent comment accueillir le client, les expressions à utiliser, si vous savez pas répondre, qu’est ce que vous pouvez répondre, ou des choses comme ça ?T : Alors, on a trois types… enfin pour l’instant, j’en ai rencontré trois… trois types de… Bon comment dire ça ?... de formations entretiens, enfin de… [Hésitations]J : D’entretiens types…T : D’entretiens… heu… En fait, la structure du plateau, ça se passe comme ça, on a donc deux chefs de plateau… qui gère un plateau… qui prend en compte l’acquisition de C. Donc des conseillés commerciaux qui renseignent des personnes qui veulent avoir des renseignements, qui ne sont pas clients de C. et conseillés de niveau un. Là, on doit être une centaine. Je pense…D : Pour deux chefs ?T : Oui, une centaine de personnes. Et là, ces cent personnes sont supervisées par des superviseurs… qui doivent être une petite dizaine, hein, une petite dizaine qui gèrent une équipe de dix à peu près, à chaque fois.D : Le superviseur, il se situe entre le chef et le travailleur, en fait ?T : Voilà. Donc en fait, ça se passe comme ça, on a… à chaque nouvelle offre commerciale ou à chaque arrivée de nouveaux modems, on reçoit une formation sur les nouveaux… les nouveaux outils, enfin, les nouvelles offres, bien sûr, pour avoir des renseignements. Ensuite, on a des réunions de
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formations pour récapituler la charte d’accueil, pour faire un… un débriefe quoi. Et ensuite, on a les entretiens individuels, avec son propre superviseur, qui… qui a enregistré un des appels qu’on a passé. Et on le débriefe ensemble. C'estàdire, on a chacun la même feuille de notation, et puis, on écoute l’appel, et on coche les cases… on fait oui, non… disons, c’est … ce contrat a été rempli, ce contrat n’a pas été rempli ou alors c’est non évaluable parce que il n’y avait pas de…D : ça marche en contrats en fait ? Quoi, c’est… comme tu dit… c’est des questions genre avezvous été aimable ? Ou est ce que c’est des questions…T : Oui, c’est ça. C’est très précis. Alors, par exemple, avezvous respecter la charte d’accueil, c’est… y’en a eu plusieurs… c’est… au début c’était : C. bonjour, quel est votre login ? , ensuite je vous remercie… j’aurais besoin que vous me confirmiez votre adresse et votre numéro de téléphone. Et on doit attendre la réponse du client, et ensuite on se présente, Bonjour, je me présente, je m’appelle T., quel est l’objet de votre appel ? Seulement après, on laisse le client parler. Maintenant, ça a changé, c’est : C. bonjour, on laisse le client parler, ensuite, on fait, donc vous appelez pour un problème de connexion. Donc, on fait un accusé de réception de sa demande pour être sur que l’on sache bien pourquoi on va l’aider. Donc vous appelez parce que vous voulez changer d’offre. Alors des fois c’est ridicule, c’est : bonjour, je voudrais appeler car j’ai vu que vous avez de nouvelles offres, je voudrais changer, je suis intéressé par l’offre téléphonie. D’accord vous appelez parce que vous êtes intéressés par l’offre téléphonie. Oui c’est cela. Ha bon ? [Rires] Je me présente T. pourrais je avoir votre numéro de téléphone s’il vous plait ? Et puis voilà, heu… pff… bon bref, on va venir après plus tard sur comment se passe les appels. Heu, tout ça pour dire qu’en fin de compte, … un débriefing, on doit respecter chaque, chaque chose précisément… alors, il y a par exemple la charte d’accueil, elle est bonne, elle est pas bonne. Il faut que ce soit fait dans l’ordre, il ne faut qu’on ait oublié un élément, si on a oublié de demander la confirmation du numéro de téléphone alors qu’on a l’adresse et le nom, ça va pas. C’est non, quoi. Ensuite, il faut apporter une réponse rapide,… il faut avoir un appel… être poli… avoir un appel directif, il faut éviter les mots interdits, il faut pas être trop technique, mais il faut avoir un vocabulaire… professionnel [Rires]. Ouais, ça c’est… Et il faut être… il faut donc apporter un appel de qualité et faut être rapide. Et ensuite y’a une prise de congés normée… Et donc en gros voilà les éléments de notation sur lesquels se réfèrent… et donc ça, à chaque appel, à chaque fois que le supérieur prend… débriefe un appel, eh bien ça permet de corriger le tir, ou alors
de dire voilà, tu t’es trompé là. Et puis et alors à la fin ça débouche sur une note avec des axes de progrès. Alors travaillez telle partie de l’appel, machin…J : Et tous les combien de temps t’as des débriefing comme ça ? Ça dépend des individus ? Ou c’est…T : Y’en a deux par mois.J : Deux par mois.D : Et ça, c’est depuis que t’y es ?T : Depuis que j’y suis. Ben au début, y’en a eu plein…J : Et c’est le même nombre pour chacun ou ça dépend aussi des gens ?T : Y’en a deux par mois minimum, ensuite ça dépend tu temps qu’il a le superviseur pour faire ses débrief’, etc.D : Et quand t’es nouveau, j’imagine que tu dois en avoir un peu plus ?T : Ouais, au début y’en a un peu plus, mais là, maintenant, c’est le strict minimum.D : Estce que tu pourrais… heu… enfin Jérèm, je pense que tu seras d’accord avec moi, si on parle très matériellement, voilà, de ton statut de travail ? Estce que tu peux nous décrire une journée type, tu vois ? Tes horaires, quand t’arrives qu’est ce tu fais, etc. ? Tu vois ?J : concrètement.T : Oui, oui. Ok alors… hum hum… A ma demande, j’ai donc demandé à ce qu’ils adaptent mes… mes horaires de travail en fonction de mon emploie du temps de cours. Donc je leur ai donné et en fin de compte, ils me font travailler tous les soirs de 17H à 22H. Travailler de 17H eh bien ça veut dire arriver 15 minutes à l’avance au moins. Pour déjà, heu… arriver, dire bonjour, heu… prendre la clé dans son casier, enfin de son casier pour aller chercher son casque. Donc faut faire un tour sur le plateau, ensuite trouver un poste libre. [Il dessine sur en l’air le plan du plateau]Donc en fait ce sont des longs couloirs, ce sont des longs couloirs qui font le tour du bâtiment et au milieu ce sont les cages d’ascenseur pour … visualiser le truc. Donc on a tout le tour, on a vraiment tout le tour. Ça fait… avec deux salles de pause aux extrémités.J : C’est loin de chez toi, pour savoir, ton boulot ?T : Ouais. Enfin c’est très proche du métro, c’est à l’Hôtel de ville à Villeneuve d’Ascq.J : Et au niveau transport ? Temps de transport ?T : Oui, c’est à une demi heure de métro. Donc je pars trois quarts d’heure avant ! Heu,… puisque en fait ils font pas, ils ont pas respecté ma demande. Enfin ma demande, c’était par exemple de travailler une heure avant la fin des cours pour que je puisse y aller directement. Mais ça, c’est pas possible… Donc,
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j’arrive un quart d’heure avant, pour que, quand j’arrive sur mon poste ensuite, je m’installe, je tape un premier mot de passe pour ouvrir la session de Windows, donc sur mon poste de travail. Ensuite, je lance le logiciel, qui s’appelle A., qui… qui est le logiciel de gestion avec la base de données située à Paris, donc là on rentre encore un nom d’utilisateur, un mot de passe, et là, le lancement de ce logiciel prend à peu près trois à quatre minutes. Au minimum. C’est pour ça qu’il faut arriver à l’avance pour que… à 17H pile, le logiciel soit prêt…J : Soit fonctionnel ?T : Fonctionnel, voilà.D : Et que toi, tu sois opérationnel ?T : Ouais, que moi je sois opérationnel. Donc, souvent j’arrive aussi un peu à l’avance pour pouvoir aller me fumer une cigarette avant de commencer, et puis aussi pour prendre des nouvelles parce que des fois on arrive et puis il y a… ha heu, on a des écrans [il dessine en l’air un grand carré] des écrans… aux extrémités des couloirs, donc… où qu’on soit, on peut les lire et qui donne des informations que par exemple attention pour faire les transferts vers tels services, maintenant c’est tels numéros, ou alors chaos sur toute le région de Lyon, on va recevoir beaucoup d’appels,… dites leurs simplement que… enfin, un chaos sur Lyon, on sait comment réagir, quoi. Dès qu’on…J : L’état du réseau, tout ça…T : Oui voilà. Un peu les grosses informations, ou alors… problèmes de transfert ou tel service,… le service résiliation est fermé, donc on peut pas faire de résiliation, de telle heure à telle heure. Bon bref, toutes ces informations là, faut mieux les savoirs avant, avant de prendre les appels quoi. Donc hop cigarette, des fois café, pour se remettre en forme. Parce que des fois j’arrive en bâillant [rires], et puis, et puis je m’installe, je regarde l’heure sur mon ordinateur, 16H59, OK, et alors là, je rentre sur mon clavier téléphonique… donc, lui, le clavier téléphonique, c’est lui qui interagi avec l’ordinateur de la vigie, je vous expliquerais après ce que c’est la vigie. Et donc ce téléphone, sur ce téléphone, on contrôle tout. On contrôle le temps, à quelle heure on se log, c'estàdire à quelle heure on rentre son login, enfin… et à quelle heure on se délog. Alors, je rentre mon numéro, qui correspond à mon nom, T., donc je tape mon code, je fais entrée, mon mot de passe, je fais pas entrée. J’attends qu’il soit 17H pile pour faire entrée. 17H pile, entrée, mon poste se met en pause par défaut, c'estàdire, je peux… je ne prend pas d’appel directement. C'estàdire, là je peux par exemple… bon… quand tout va bien, quand y’a rien, quand tout de passe normalement, quand c’est la routine, il se met en pause par défaut et je mets tout de suite prêt, TAC, et donc… je suis sur prêt ça veux dire
que le suis prêt à prendre des appels. On a des postes qui décrochent tout seuls, y’a une sonnerie et ça décroche. Ça, c’est… on peut pas changer. Et on a une petite lumière sur le poste, qui a trois couleurs. Alors quand c’est vert, ça veut dire que sur tout le plateau, y’a entre 1 et 5 appels en attente, 5 personnes qui sont en file d’attente, donc des clients qui ont appelés, quand c’est orange, c’est entre 6 et 15, et quand c’est rouge c’est entre 15 et 20. Alors quand c’est rouge…J : 15 et 20 ou plus, non ?T : Ouais. Ou plus mais quand c’est 20 souvent, c’est réorienté sur le Maroc. [Rires] Et heu… Donc voilà. Dès qu’on se log, on a l’état de la lumière donc on sait un peu comment ça va se passer. Donc on a le casque sur la tête hein, déjà, on fait prêt : BIP, C. bonjour ! Et puis c’est parti quoi.J : Et vous essayez d’adapter votre vitesse suivant la lumière qu’il y a ?T : Oui, évidement. Alors quand c’est rouge, rouge, rouge tout le temps, quand c’est rouge, rouge, rouge, tout le temps, souvent… bon c’est rare, hein, c’est rare. C’est quand y’a un gros chaos par exemple. Imagine toute la région de Lyon qu’a plus d’ADSL… Tu reçois 10 000 appels et tu dis, tu dis : bonjour j’habite Lyon j’ai plus rien, vous avez un problème ? Tu dis oui, oui, nos techniciens sont en train de réparer ça va revenir dans la journée, et tu fais merci au revoir.D : Oui, faut être rapide quoi ?T : Oui, voilà.J : Et vous vous occupez de toute la France au niveau des problèmes ?T : Oui, oui. On reçoit tous les appels.D : Et au niveau de l’appel, là, vous avez en moyenne ça doit durer combien de temps ? Parce que vous avez…T : Oui, oui. Alors, C. demande à ce que la moyenne d’un appel fasse 5 minutes 30 « after call work » compris. Alors after call work ça veut dire, heu, on prend l’appel, puis après on fait je vous remercie pour votre appel, je vous souhaite une bonne fin de journée, on appuie sur une touche qui s’appelle suivi, et ça raccroche. Ça raccroche pour la personne, et pour nous, on est en after call work, c'estàdire on historise l’appel. On prend la peine de raconter l’objet de l’appel, ce qu’on a fait…J : Ha ! À chaque fois vous faites ça ?T : Quand on a fait du technique, on dit voilà ce qu’on a fait, quand on a fait du commercial, par exemple j’ai changé du 512 vers du 2048 plus téléphonie, machin. On fait enregistrer, on appuie sur prêt, TOC, on reçoit un autre appel. Donc 5 minutes 30 ça veut dire le temps de l’appel plus ce petit temps d’historisation compris. Donc on a droit à 5 minutes d’appel et à 30 secondes d’after call work. Donc après on gère, hein,
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l’after call work, on peut le faire pendant l’appel, on gère. Donc on réduit l’after call work parce que souvent les appels c’est très long, pour peu qu’on ait quelqu’un qui n’y connaisse vraiment rien en informatique, ça peut prendre une demi heure pour lui faire redémarrer l’ordi…c’est déjà arrivé quoi ! Le gars complètement neuneu…D : donc tu peux prendre le temps, enfin on te laisse prendre le temps facilement ? Une demi heure,…J : On te demandera jamais de raccrocher ?T : Ben t’as pas le choix. De toute façon, on… t’as pas le droit de raccrocher, bon sauf si on t’insulte hein… heu… mais de toute manière, ça raccroche tout seul, les numéros surtaxés,… c’est une régulation de France Télécom, racc… France télécom fait raccrocher les téléphones. Donc un appel dure jamais plus d’une demi heure. Sauf des fois où des clients VIP de C. from Paris,… peuvent contacter un numéro 01 sur Paris qui est directement rerouté sur notre ligne, et donc, là, France Télécom ne coupe pas la ligne au bout de la demi heure. Et moi, ça m’est déjà arrivé de faire un appel d’une heure et demi avec une personne.D : Et donc, en fait, ils insistent quand même sur le fait que tu dois répondre à sa question avant de répondre à ton impératif de temps ?T : Oui, évidement. Ben évidement, on va pas raccrocher en disant : ha ben, ça fait 5 minutes 30, au revoir. Il fait qu’on gère l’appel pour qu’il ne dure pas… qu’il dure moins de cinq minutes trente.D : Et donc, t’as un chronomètre ?T : Normalement oui, mais l’outil pour l’instant, il déconne. Sinon, ouais, j’ai un petit chrono…D : Qui devrait apparaître sur ton écran ?T : Ouais, ouais, ouais.J : Tu sais à peu près, toi, combien de temps… t’as l’habitude de savoir combien de temps…T : Ouais, ouais, on a un chrono, mais disons, on a pas… pas le temps exact. On a trente secondes de différence, mais on sait à peu près combien de temps il dure.J : Et les locaux, ils sont transparents ? Vous vous voyez tous travailler ?T : Alors c’est un couloir, alors… donc on est… en ligne, en ligne en face. On est quand même bien enfermés. Donc on est cloisonnés, quand on est assis, on entend pas beaucoup le voisin ; quand on est debout par contre, on gène les autres ou on entend les autres.J : On voit et on entend les autres ? Tu les vois travailler quand tu te lèves ?T : Oui, oui, quand on se lève on les entend travailler, hein. Sinon, y’a des grandes vitres derrière, ben c’est que des baies vitrées. On est au cinquième étage.
D : Et là, y’a le superviseur qui tourne ?T : Non, il reste assis à son poste.D : Parce qu’il a un poste et il fait le même boulot que vous ?T : Non, il prend pas d’appel…D : Oui, oui.T : Par contre, il écoute nos appels.D : C’est son boulot principal quoi, écouter vos appels, gérer…T : Ouais, écouter nos appels, faire des calculs de statistiques et tout puis qu’en fait… il gère aussi… par exemple, avec notre téléphone, je vous ai expliqué tout à l’heure, on fait… alors on a des pauses. Alors c’est géré par ce téléphone. Alors, on a le droit à 5 minutes de pauses par heure sauf la dernière heure qui n’est pas comprise. Ça veut dire que quand je fais un créneau de 5 heures, j’ai droit à vingt minutes de pauses. Et ce temps de pause est chronométré à la seconde près. [Rires]J : Et tu gères comment ? Tu gères comme tu veux tes 20 minutes de pause ?T : Je gère comme je veux.D : Tu les prends comme tu veux ?T : Pas le droit de le faire un quart d’heure après le log, et pas le droit de le faire une demi heure avant la fin du service.J : Alors, comment tu gères ? Enfin, eux comment ils contrôlent le temps de pause ?T : Et bien, le lendemain, ils le… les résultats de notre historique de notre… connexion sur le téléphone. Et ils savent combien de temps on a été logué au total, ils savent combien de temps on a pris de pauses café, combien de temps on a pris de pause formation, combien de temps on a pris de pause entretien, le cas échéant.J : En fait quand toi tu vas te fumer une clope, tu sors de ton bureau et tout ça ?T : Heu oui. Alors, après un appel, je me mets en pause café, je vais en vigie demander si j’ai le droit, parce que il y a… si il y a beaucoup d’appels qui attendent, si on est en zone rouge, par exemple, et qu’il y a 5 personnes en pause, ils vont dire non tu prends un appel et t’iras en pause après.D : Et là, tu te relogues ?T : Je me relogue, je reprend un appel, je me remets en pause, je redemande pas la permission à la vigie, je vais directement en salle de pause, je fume ma clope. Tu comptes ton attend parce que sur la machine à café y’a même l’heure. [Rires]D : Tout est prévu quand même pour faciliter ce contrôle là ?T : Ha ouais. T’es… même pendant ta pause, tu penses au temps qui passe quoi !
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D : La salle de pause, c’est une salle à part, ou quoi ?T : Oui, c’est une salle à part, parce que on est dans une salle fumeur, quoi.D : Et donc, t’as pas le bruit du travail, t’as pas… ?T : Heu, non.J : Tu discutes un peu, enfin, vous arrivez à vous détendre un peu ou… cette pression du temps justement…T : Bah, ça dépend l’ambiance quoi. Des fois, à la pause y’a une bonne ambiance, ça délire, des fois, y’a deux personnes, ça comate, des fois t’es tout seul…J : Toi, tu les gères comment en général, tes vingt minutes de pause ?T : En général, je prends 5 minutes par heure. Je prends une cigarette tout les heures. Des fois, je le sens bien… des fois, des fois, je me sens de continuer, donc je fais une heure et demi d’appel, et après je prends ma pause à intervalles réduits, quoi.D : Et heu, dans la salle de pause, ça discute boulot, ou ça discute…T : ça discute les deux. Il arrive des fois qu’on discute boulot et de choses… plus concernant la boîte parce que y’a des fois, quand t’es dans la salle de pause avec le délégué syndical, là c’est marrant. Tu peux parler… ben le problème, c’est que t’as que 5 minutes, tu peux pas vraiment t’engager dans une longue conversation mais, heu, tu te tiens au courant des conventions qui sont passées avec les directions,… heu vite fait… ensuite, heu, tu peux parler avec un des superviseurs en disant bon ben alors,… quand est ce qu’on sera formés sur les nouvelles offres ? Là… là je reçois des appels… je sais même pas ce que je dois faire, j’ai même pas été formé sur le… sur les nouvelles… sur les différentes propositions de nouvelles offres. Je sais pas comment le modem il marche, je l’ai jamais vu et je suis sensé le dépanner… Enfin, tu vois, des choses comme ça… et il te dit t’inquiètes, y’a des formations qui vont arriver. Et puis des fois, les sujets de conversations dans les pauses c’est… des trucs bidons, quoi, des trucs persos… Et ouais, des fois… ouais des fois, tu peux rigoler avec les superviseurs, tout le monde se tutoie, tu peux feinter, tu vois, pas de problèmes.D : Parce que les superviseurs, c’est des anciens employés ? Qui ont passés un échelon ?T : Ouais, c’est ça ! Mais ils ont fait 6 mois d’appels et après ils sont passés superviseurs…D : Ha ouais ! C’est rapide !T : Heu, ouais, ouais. Mais, à leur époque hein ! Parce que c’était le tout début de la boîte, ils avaient besoin de superviseurs, ils ont vite grimpés… Mais maintenant, l’équipe de superviseurs, elle bouge pas beaucoup. Par contre, c’est les téléconseillés, ça bouge énormément. Depuis que je suis arrivé, y’a 50 % du
plateau qu’a été renouvelé déjà, quoi !D : D’accord, et donc toi ça fait 4 à 5 mois que t’y travailles ?T : Depuis le mois d’août. Ça fait quatre mois, ouais.D : Et, heu, les superviseurs, tu visualises,… tu sais qu’ils sont superviseurs parce qu’il y a une marque ? Estce qu’ils sont habillés différemment ?T : Ouais, ils sont classes. Cravate, ils ont costard, et tout ça.D : Les autres pas forcément ?T : Pas forcément.D : Et ça se sent aussi dans…J : Ils prennent leurs rôles à cœur ? C'estàdire qu’ils sont quand même bien là, derrière vous à mettre une pression, ou… à rappeler les règles ?D : Estce qu’ils sont toujours à vous écouter ?T : Non, non. Mais la plupart du temps, ils sont là pour répondre à nos questions. Donc, ils ne sont pas tout le temps là pour écouter. Mais moi, je m’en fous des autres, moi je m’entends bien avec les autres superviseurs. Moi, le mien, quand j’arrive, je fais gaffe à déjà, est ce qu’il est là ? Parce que des fois on a pas les mêmes horaires, donc des fois, il est pas là. Et quand il est là, j’essayes de me mettre pas trop loin de lui, pour pouvoir voir quand il écoute.D : Ouais, parce que tu sais quand il écoute ?T : Ben, il a un casque sur les oreilles !D : D’accord.T : Mais des fois, ils ont des casques avec liaison sans fil. Alors, ils peuvent sortir et se balader et écouter les appels quand même.D : parce que t’as pas un message qui te dit que t’es sur écoute ?T : Ha ben non.D : Tout à l’heure, tu parlais des… d’un délégué syndical, aussi, donc y’a un syndicat sur le plateau ?T : Oui, oui. Sur toute la boîte.J : Ils ont quelle présence ?D : Tu sais si il y a beaucoup de syndiqués, si ils ont réellement du pouvoir, ou…T : Ouais, ouais, ils…J : Et quels syndicats sont plutôt représentés ?T : Force Ouvrière et CFDT et un petit peu de CFTC, mais très peu, quoi. Heu… voilà c’est tout. Après, y’en a… qui font pas partie de représentations mais qui font partie… qui négocient aussi, quoi. Ben sinon, c’est FO, FO surtout et puis ben ça permet… ils négocient donc les augmentations de salaires avec l’ancienneté, ils négocient la prime du samedi,… parce que pour l’instant, quand on travaille le samedi, on est majoré de 50%. Quand on travaille de 21H à 22H, on est majoré de 50%. Mais la prime du samedi par exemple, ils sont pas obligés de la faire.
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D : C’est au choix du patron ?T : Ouais.D : Mais eux ils ont choisis de le faire ?T : A l’époque, à l’époque cette entreprise appartenait à A., une des boîtes françaises qui marche le mieux, quoi, et… cette entreprise pouvait se permettre de payer un peu mieux ses employés. Et ils ont gardé ce système là, ils pensaient le remettre en cause.D : Et vous, en fait, enfin toi, dans ton lien avec le syndicat… le représentant syndical, il te demande de prendre une carte du syndicat ?T : Rien du tout.D : Rien du tout. Il se place juste en tant que représentant syndical, donc il représente l’ensemble des salariés ?T : Ouais. Il… y’a pas de notes internes. Si, quand j’étais arrivé, y’en avait une, c’était normalement l’employeur n’a pas le droit d’enlever sur le salaire les retards ou les absences non justifiées. Donc si vous avez des prises sur salaires làdessus, c’est illégal, donc… signalez le moi. Mais cette feuille elle a disparu ensuite.J : Estce qu’ils essaient quand même de vous enrôler ou de…T : NonJ : Mettre en place des moyens de communiquer par exemple…T : Rien, rien.J : Et tu crois que l’orientation de çà, et à part la prise en compte de facilitéT : Ben ouais parce que, comme toutes tes poses sont surveillées, tu peux pas aller discuter avec ton délégué syndical sur ton temps de pose clope, sinon après t’ai baisé quoi, t’a plus de pose.J : Et tu t’en va direct après la fin du boulot ?T : Ben, 22h [rire] j’suis dernier quoi.J : Et t’as déjà fait des journées avec d’autre horaires ?T : OuiJ : Dans la journée ?T : Oui oui, heu au début j’faisJ : Et c’est pareil ?T : Heu ouais benJ : T’étais aussi…T : tu restes pas quoi oui.D : Ouais parce que là tu fais pas d’heure supplémentaireT : si, si si y’a des heures sup puisque ton dernier appel, ton dernier appel tu le prends à 21h59D : D’accord, quand tu finis à dix heuresT : Hein donc heu tu peux prendre un appel qui dure 20 minutes à 22 heures, en fait çà çà m’est déjà arrivé de finir à 22h30 et de sortir à 22h30 du boulot et donc
après j’ai du rattrapage, j’peux rattraper les heures que j’ai fait pourD : Ouais, tu fais du rattrapage plutôt que de gagner heu…T : Hmm OuaisD : Et j’voulais te demander aussi estce que la majorité des employés ils sont là surtout à mitemps ou estce qu’il y a des temps pleins ?T : Beaucoup de temps plein, les temps plein ils ont souvent un an voir deux ans d’ancienneté, c’est de CDI, et sur plusieurs catégories de temps plein tu as ceux qui sont, qui sont là depuis plus de quatre ans, alors eux c’est vraiment des, des vieux quoi, ils ont la quarantaine, ils sont, je les, souvent, je les, je les, je leur parle pas quoi, parce qu’ils sont pas fumeurs, ils sont pas dans la même salle de pause que moi, j’ai rarement l’occasion de leur parler, j’sais pas trop, c’est un peu une catégorie à part, donc ils sont… et en plus ils ont une moyenne d’âge complètement différente, ils sont même plus âgés que certains superviseurs. Ensuite on a ceux qui sont là depuis un an ou deux et qui… qui… qui parlent tous de changer de boulot en disant « ouais j’en ai marre et tout » machin machin. Heu, çà fait quatre mois que c’est comme çà, eux ils sont jeunes, ils ont fait plusieurs métiers, ils ont fait celui là, ils vont bientôt en changer quoi.J : Estce qu’il y a des… t’as retrouvé dans les expériences précédentes de cet individu qui s’en va, ils ont fait heu… y’en a beaucoup qui ont fait le même métier avant, un métier différent, estce qu’ils ont des expériences similaires avant d’arriver dans ce job là ? C’estàdire p’tit boulot genre restauration je ne sais quoi, estce que t’as retrouvé des caractéristiques communes, aux individus, aux jeunes par exemple qui…T : Non je me suis pas trop renseigné là dessus, non, heu à part quelquesuns qui étaient dans l’animation, voilà.J : Et sinon t’as, combien de temps ils restent en général, t’en as vu beaucoup partir avant toi et arrivés après toi par exemple ?T : Non c’est surtout les jeunes comme moi qui partent très viteJ : Des étudiants ?T : Non pas forcément, c’est… c’est après leur heu, nan les étudiants on est quatrecinqJ : Ah ouais okT : Humm, c’est surtout des… des personnes qui après leur bac+2 ou alors après leur bac, ils ont rien d’autre à foutre, en fait je sais pas quoi, ils cherchent un boulot, parce qu’ils en ont besoin ou alors heu… eux ils font le contrat intérimaire, des fois c’est heu… ils heu… leur travail ne convient pas donc ils ne… leur contrat se fait pas renouvelé, ensuite c’est parce qu’ils en ont
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marre, ensuite c’est leur horaires ne conviennent pas ,enfin donc il y a beaucoup beaucoup beaucoup de turnover comme ils appellent, ils appellent çà de la…de la… ils ont… ils en ont besoin de la chair fraîche.J : Estce que sinon y’a une compé… ils essaient de… y’a une compétitivité entre salariés, par exemple au temps d’appel et tout çà.D : Estce que par exemple ils vous forcent, parce que le superviseur est là… T : ouais ouaisD : le dernier heu…T : Non, non on a une, on a une réunionvie, j’en ai fait qu’une puisse que mes horaires permettent pas de toutes les faire. Heu, réunionvie c’est heu, notre superviseur réunit tous les membres de sa team, enfin qui sont présent, et on fait heu on débriefe les stats générales de l’équipe en disant machin machin heu, ouais voilà meilleur temps d’infos C. C. toi heu… toi t’as fait des progrès machin, enfin çà va plutôt dans ce genre de discours là que…D : En collectif ?T : Ouais mais y’a jamais de « toi t’es en retard » c’est plutôt toi t’as fait des progrès ou…J : Ah ouaisD : Mais heu…comment les individus qui sont tout le temps en retard… je sais pas s’ils le ressentent…T : Ouais à fond, parce que quand tu vas [il baille] quand tu vas lire les stats heu, dans le tableau Excel, eh ben tu as…tu as tous les noms, donc tu compares forcément aux autres tu dis heu...D : Quand tu vois le dernier…T : Ouais voilà, tu te dis j’ai fait sept minutes et putain, heu… comment çà se fait que j’ai fait sept minutes d’appel et tout, tu regardes les autres ils ont eus à peu près le même temps, alors tu te dis ah c’est normal, comme il y avait une grosse… j’sais pas enfin, comme ces… ces nouvelles offres, on est pas tous au clair, donc çà prend du temps.D : Et heu…T : Tu te compares aux autres quoi pour savoir dans la moyenne, pis t’as une moyenne aussi qu’est indiquée.D : Et estce que tu heu… justement estce que c’est heu… estce que c’est au CDD en fait que t’es employé au début ou estce que c’est heu…T : Ouais ouais ouais, ben mais heu… le but du jeu c’est pas d’obtenir un CDI hein, donc… le but du jeu c’est j’sais pas, c’est de faire en sorte que çà se passe le mieux possible et le plus longtemps possible.J : Mais heu… généralement les individus ils se sentent mal quand ils sentent en deçà et ils veulent essayer de faire mieux pour rattraper et pour être à la même hauteur de toute manière… c’est pas la peur de sanction qui…
T : Ben…J : Qui motive heu… la cadence quoi.T : J’sais pas…D : Estce que c’est heu… votre superviseur quand vous avez fait un bon rendement, qu’estce qu’il vous dit… il vous dit heu… c’est bien ou estce que heu… il vous donne un truc, parce que moi je sais que j’ai eus des places de cinéma et heu…T : Ben… ben si ouais ouais par exemple heu… au mois de septembre on a été élu meilleure hot line de l’année et donc là ils ont offert un goûté, ou alors heu… ou alors pour… pour pouvoir heu… pour pouvoir…le contrat passé avec C. c’est on doit prendre 80 per… 80 % des appels heu… heu… reçus, enfin…J : Sans rediriger vers le…T : Nan nan c’est pas çà, c’est… 80… on doit prendre 80 % des appels présentés, c’estàdire qu’il y a des gens qui raccrochent avant d’être pris puisqu’ils ont attendus trop longtemps, donc on respecte pas cette qualité, ce taux de qualité, y… ils reçoivent moins d’argent de la part de C., donc y’a un moment, pendant une semaine, on a privilégié le temps à la qualité, et on a réussi à rattraper le taux de qualité qui était de 78, on a gagné 2% en une semaine, c’estàdire, tu augmentes les effectifs, sur le plateau, tu demandes aux gens de faire des heures sup, tu les payes, et heu… et heu… tu dis heu… tu te tiens au script tu fais pas plus quoi tu fais tu fais pas plus tu reposes pas de question à la fin de l’appel, tu dis pas avezvous d’autres questions, tu fais merci au revoir, et tout d’un coup ben les temps de communication ils descendent à fond quoi, et donc on a réussi comme çà à prendre plus d’appel, à prendre 100% des appels et à remonter la moyenne.D : Et heu…T : Et là par exemple ils nous ont remercié avec des gâteaux et du coca.J : Y’a d’autres évènements comme çà un petit peu heu…extraordinaires qui heu…que t’as…que t’as pu faire avec ton entreprise ?T : Non, non.D : Et heu, au niveau de la relation avec les clients, çà se passe un petit peu, estce que heu… estce que c’est possible quand même de parler un peu avec les clients ?T : Ouais bien sûr.D : Voilà et quand ils achètent c’est heu… tu vois les gens estce qu’ils ont heu…ils ont conscience que vous êtes de travailleurs ? heu… comme çà que vous êtes à la chaîne au téléphone, estce qu’ils sont plutôt sympas ?T : Oh ben çà dépend hein, çà dépend alors heu… ouais tu as pff ouais ouais la plupart ils ont quand
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même conscience qu’on est… on est simplement des employés qui suivons les… les… les consignes, dans la majorité des cas et des fois on arrive sur des clients qui sont pas satisfaits de la réponse qu’on leur apporte par rapport à soucis de connexion et là çà commence à… à s’emballer, là ils commencent à… à gueuler, donc là toi tu... tu as le droit de monter le ton, de toute manière t’es… t’es complètement couvert, tu peux vraiment te lâcher heu… t’as pas le droit d’insulter gratuitement par contre.J : OuaisT : Mais si il commence à te traiter d’enculé des choses comme çà alors là tu peux te lâcher et tu peux lui dire heu… ok je vais faire monter l’information vous allez être résilié, ah ouais ok ben je vais me déconnecter sur le champ, je fais ok ben si c’est comme çà on va raccrocher et pis vous aller recommencer parce que moi çà va mon ordinateur il marche, là dessus tu fais… tu fais putain j’ai des problèmes de connexion heu…mon ordinateur il démarre pas et tout heu… heu… faîtes quelque chose vous êtes vraiment nuls, çà fait trois fois que j’appel et tout… quoi vous allez vous calmer nous on est un fournisseur d’accès on est pas heu… vendeur d’ordinateur si vous… si vous voulez que votre ordinateur fonctionne vous avez intérêt à le prendre sur un autre ton ou quoi… ouais machin machin et tout, je fais ouais ok ben vous allez recommencer parce que là je vais raccrocher allez bam [sourire].D : Ah ouais, tu te laisses pas marcher sur les pieds de toute façon…T : Nan nan nan nan, et c’est même pour le mental, t’es obligé quoi.D : Et estce que tu peux heu… marquer un… quelqu’un qu’appelle justement comme çà, tu sais si tu dis heu… elle t’as dit heu… je vais me déconnecter… heu quoi tu peux souvent… souvent tu fais remonter l’information ?T : Ouais ouais quand y’a un gars qui t’insulte tu fais remonter l’information et heu… ils te mettent résilié sur le champs.J : Et sinon toi en temps normal…T : Cà fait parti des conditions générales de vente, hein, c’est inscrit, c’est inscrit qu’ils ont pas le droit d’insulter les téléopérateurs qui sont, avec qui ils sont en relations.J : Estce que toi tu… t’as… tu te retiens beaucoup de t’énerver parce que les clients t’énervent ou parce que les problèmes sont tellement…T : Ben je me retiens pas plus que dans la vraie vie quoi…non.J : Ton habitude…T : Ben disons que j’me j’me j’me je…j’en fais pas plus j’en fais pas moins et, des fois des fois y’a un
malentendu, ils commencent à monter le ton, ben moi je remonte le ton direct dessus par dessus pour heu… parce que heu… parce que je suis sûr de moi quoi et pis ils ont pas de raison de remonter, et pis tout d’un coup çà les calme parce que ils se sentent pas forcément… ils se sentent pas forcément… ils… ils ont pas l’impression que çà va arriver puisqu’on est… on est prestataire de service, normalement on doit être gentilgentil aux aboies tout çà alors dès qu’on monte le ton, çà… tu… çà sort du rôle quoi un peu attendu, l’interaction elle change et là heu…et là tout d’un coup heu… ben… le client il devient plus docile, il écoute pis heu… c’est… tout d’un coup t’as quitté t’as quitté le… quand çà se passe comme çà j’ai l’impression qu’on a quitté le rôle chacun pis tout d’un coup on parle de personne à personne quoi, y’a une sorte de… de d’impression comme çà que je ressens, mais des fois… des fois je me laisse complètement marcher sur les pieds, je gère rien et çà c’est horrible quoi.D : Quand tu le sens pas ?T : Ah ouais je le sens pas ou je sais pas apporter la réponse et pis le gars il me met à défaut il me dit mais vous savez pas je voudrais parler à un responsable, je lui dis non, je lui dis non le responsable il va dire exactement le même chose que moi on dispose des mêmes informations, je…je veux l’entendre de la bouche d’un responsable passez le moi et tout…il dit heu…quel est votre nom et tout, moi j’fais putain, je… je lui dit mais je vous donnerai pas mon nom quoi, j’me suis présenté vous me donnez pas votre nom j’vais écrire un courrier et tout j’fais je mens fou je fais ce qu’on me dit moi, bah alors si vous êtes protégé donnez moi votre nom, enfin bref, j’me suis, j’aurai dû dire mon nom puisque en effet je suis protégé.J : Mais c’est des situations auxquelles vous êtes pas préparé non plus.T : Ben c’était la première fois j’étais pas préparé donc j’avais pas… brefD : Parce que là vous pouvez passer par… vous avez le droit de passer à un supérieur ou…T : Ben vaut mieux pas quoi vaut mieux pas quoi parce que si si tu fais çà ben…çà prouve que t’es pas vraiment responsable de ton appel donc.D : D’accordT : Y’a, ils prennent hein quand même ils prennent si si si vraiment le gars il vraiment une grosse couille par exemple heu… par exemple y’a une grosse erreur, par exemple il a été réabonné heu… de force ou alors il y a un… sa ligne n’a pas été construite, çà fait un mois qu’il attend la construction de sa ligne adsl des choses comme çà ; vraiment des des grosses erreurs de notre part par une interruption de service quelconque parce qu’il y a eut un disfonctionnement dans la procédure
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heu… administrative, ben dans ces cas là tu peux transférer la personne à un superviseur qui va prendre les choses en main, parce que lui il a… il a les contacts, il a les raccourcis pour pouvoir communiquer en interne, c’est vraiment des cas exceptionnels, qui sortent de l’ordinaire, sinon heu... sinon tu dois t’es responsable de tes appels quoi.J : Et t’as une marge d’autonomie dans la… parce qu’il y a beaucoup de problème qui sont pas posé où t’a pas la solution directement dans tes fichiers ?T : Ouais ouais énormément.J : Quelle est ta marge d’autonomie un peu dans tes appels comme çà ?T : Marge d’autonomie, c’est heu… du moment que…J : C’estàdire quand le problème sort du cadre…T : Ouais, ouais ouais, alors c’est heu… c’est selon c’est selon le temps de communication qu’on… la moyenne qu’on a, si on a une bonne moyenne sur le moment alors à ce moment là on peut se permettre de de renseigner le client un peu plus sur d’autres choses, sur le dépanner sur d’autres choses, par exemple si il a un virus si il a des spywares si heu… si heu… si si c’est pour paramétrer un routeur des choses un peu plus compliqué…J : Des conseils généraux sur…T : Voilà des conseils d’usage des choses comme çà, on peut prendre le temps on peut lui dire allez télécharger tel logiciel tu tu le guides en même temps tu tu lui dis d’aller sur google taper tel mot clé machin machin, çà je le fais régulièrement mais heu…D : Et çà çà sort un peu du cadre du boulot prévu ? quoi c’est heu…T : Ouais c’est…çà fait parti de la case heu…valorisation j’sais pas quoi qualité heu… le petit truc supplémentaire qui fait que çà peutêtre heu… çà peutêtre heu… t’es pas obligé d’aller si loin quoi, mais moi souvent je le fais parce que heu… parce que la personne elle y connaît rien et que heu…elle a plein de pages de cul qui s’affichent sur son affi… sur son ordinateur elle a des enfants tout çà donc forcément tu vas lui dire téléchargez tel logiciel qui va vous en débarrasser quoi tu vas pas l’envoyer chier pour qu’après ils disent ouais heu j’sais pas comment faire.J : Je t’entendais dire l’autre jour que tu essayais de personnaliser ton… ta façon de régler les problèmes.T : Ben c’estàdire ouais ouais c’estàdire le script heu… le script heu… qu’on a ben… il est bon… il te il te fait passer pour un robot mais heu… t’as pas l’impression vraiment de… de t’investir quand tu suis le script alors ce que tu fais c’est que tu…tu… y’a une sorte de… de… d’improvisation qui s’opère et donc çà fait que toi heu… enfin moi je suis un peu plus actif dans l’appel et heu… je… je le fais plus à ma manière, disons que çà me donne l’impression d’être heu…
d’être plus là plutôt que de répéter un truc et qui va me lasser quoi, c’est… c’est rompre un peu cette routine.D : Et çà vous êtes autorisés à le faire ? Sortir justement un peu de ce script quoi ?T : Ouais parce que forcément si je le fais c’est que aussi çà va plus vite donc je suis plus satisfait de moi pis le client est content et tout çà et pis quand des fois t’as des clients qui te disent ouais heu… c’est la première heu… enfin j’tombe sur un technicien de compétences que je pourrai vous redemander la prochaine fois ou heu… oh vous avez vu que vous avez été élu meilleure hotline c’est vrai que… vous êtes… super doué tout çà machin plein de choses comme çà qui font plaisent quoi.D : T’as quand même des heu… savoir faire positif heu… par le client…T : Par le client.J : Estce que c’est çà qui te fait plaisir, qui peut être source de motivation…T : Mouais ouais. Ben ouais ou alors tu tout d’un coup heu… tu peux discuter heu… çà sort heu ben j’sais pas.J : Cà sort du cadre heu…T : Mouais çà sort du cadre de l’appel type. Tu peux heu… tu peux heu… en cours d’appel heu… poursuivre un sujet de conversation par exemple tu fais un long dépannage avec redémarrage de l’ordinateur des choses comme çà donc çà fait que pendant quelques minutes tu n’as pas de manipulation à faire donc là faut faire heu… dans la conversation quoi donc des fois çà se passe des fois çà se passe pas donc tu met en attente et lui il se tape la petite musique quoi… et heu… des fois çà se passe bien il te pose des questions alors vous faites des études ? Je fais ouais pis après je vois sur l’affiche du client heu… moi çà m’est arrivé une fois un exemple comme çà je vois l’adresse Université de Paris VIII et tout je fais houa, j’prend son nom j’vais dans google, je vais sur le site de… de Paris VIII et je tape son nom pis j’vois que c’est un… c’est un prof d’informatique et communication un peu dans le même domaine alors lui il sait pas çà que je…sais tout çà sur lui donc je…commence un peu à parler dans ce sens là machin.D : Et alors lui heu… tu… comment il savait que tu T : Ben il demande ah ben vous êtes à Paris VI alors, j’dis ben non j’ai pas le droit de vous le dire çà doit rester confidentiel et tout, ah ouais ah bon vous êtes à Paris VI alors [tout le monde ri]J : Et toi, combien de temps tu comptes heu…encore garder ce boulot, c’est pendant ton année universitaire ou ?T : Heu… çà dépend je me suis pas encore renseigné mais heu… si je peux toucher le chômage à l’issue euh…de…çà dépend combien de temps je toucherai le
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chômage et combien je toucherai de chômage mais euh… en étant étudiant si je pouvais toucher le chômage bah j’arrêterai le plus tôt possible.J : Tu crois que tu pourrais supporter encore longtemps de rester si jamais t’avais pas le chômage ? Tu serais obligé de…T : Ben ouais pendant la durée de mes étudesJ : …ou de chercher autre chose…T : Chercher autre chose ben, si j’ai pris çà c’est déjà que je voyais pas grand chose d’autre, et heu… non pour l’instant j’ai rien de mieux à part peutêtre que je ferais un stage en fin d’année peutêtre qu’il y a un stage à déboucher sur autre chose plus… plus cool quoi.D : Estce que t’en es plutôt satisfait ou estce que…T : Ben nan j’en suis pas satisfait parce que çà me flingue ma semaine, j’ai pas de temps libre, je sors de là comme un zombie avec des mal de crâne pas possible heu… finir à 22h heu… voilà t’as plus de vie heu… c’est heu… des fois… ouais des fois c’est glauque quoi mais bon… nan c’est un… c’est un boulot heu…J : Et tu penses beaucoup à ton boulot en dehors… en dehors de lui ?T : … qui demande des principes. Ouais ouaisJ : Cà te… çà te reste à l’esprit ce…T : Ben ouais ben ouais tout le tempsJ : toute la journée tu sais que si tu commences à 7 heuresT : Ouais c’est çà ouais… c’est heu… demain heu… putain ce weekend je bosse jusqu’à dix heures fait chierD : parce que çà t’arrives régulièrement de bosser le weekend ? T : Ben oui du fait que…j’ai demandé à travailler en dehors de mes horaires de cours ben je travaille tous les samedis quoi.D : Et donc toi tu disais çà rend dépressif…T : Ben ouais y’en a plein qui sont dépressifs hein sur le plateauD : Tu sens vraiment que c’est éprouvant aussi audelà du fait d’avoir à bosser tous les jours heu… à des heures fixesT : Mais nan mais c’est…c’est…c’est un boulot super difficile quoi.J : Mais c’est la nature du job plutôt qui heu… qui fait ce…T : ouais c’est la nature du jobJ : C’est le fait de devoir…qu’il y ait pas vraiment une démarche de personnalité tout çà tu crois ?T : Ouais ouais c’est çà c’est une dépersonnalisation complète donc heu… un enrôlement qu’est pas [il sourit] ouais ouais tu… franchement dès qu’on met le
casque et qu’on prend l’appel eh ben y’as tu tu incarnes ton rôle et des fois mais des fois mais enfin ce qui… ce qui est super c’est quand j’suis arrivé, çà m’a assez surpris çà c’est heu… on a une touche qui coupe le micro et on entend toujours le client mais lui il nous entend pas et heu… des fois on entend la conversation sans voir la personne c’est heu… oui heu… oui oui bien sûr heu… j’sais pas quoi heu… votre connexion ne marche pas d’accord appuyez sur le menu démarrer s’il vous plait [il reprend son souffle et élève la voix pour rejouer la scène] mais je t’ai dit appuyez sur le menu démarrer espèce de con va [rires généraux] oui c’est çà. Et en fait cette personne heu…heu… elle est un peu schizophrène quoi et c’est des doubles…Hein ?J : Tu parles d’un de tes collègues là ?T : Ouais un de mes collègues qui qui coupe le micro et qui tout d’un coup se met à l’insulter ou il dit les choses comme elle aurait envie de le dire quoi, c’est souvent comme çà en fait, c’est heu… dès que c’est dès que y’a quelqu’un s’énerve [grosse voix] espèce de gros fils de pute tu vas comprendre ce que je t’ai dis bordel de merde… [Voix douce et rapide] oui monsieur s’il vous plait alors vous recommencez vous fermez la fenêtre la croix avec le clic gauche de la souris [grosse voix] on clique gros bâtard j’t’ai dis le clic gauche de la souris alors c’est çà oui vous y êtes et tout [rires]D : Y’a pas moyen de défoulement autrement que…T : Et çà çà arrive souvent y’a des gens comme çà y’a des fois ils sont debout, ils sont debout [il se met debout] parce que ils ont pas besoin d’être sur leur table ils ont un long câble et tout ils sont là après [grosse voix en rigolant] gros con va et tout [il se rassoie et reprend une vois normale] et pis heu… donc tout le monde entend sur le plateau et heu… les clients des fois ils entendent aussi ton voisin qui gueule ils se demandent qu’estce qui se passe et tout… je leur dit nan nan il s’est coincé le doigt [rires]D : Ouais mais en fait tout le monde fait un petit peu çà quoi dans la…T : Ben moi je le faisais pas pis après je me suis aperçu que je commençais à le faire en parlant tout seul un peu en faisant [voix niaise] gnagnagna je veux des nouvelles offres et tout machin [grosse voix] putain vasy avance grouille toi t’es mon logiciel qu’est super lent alors tu cliques une fois t’attend j’sais pas vingt que la fen… la page s’affiche et pendant ce temps là t’es là t’attend [reprend sa respiration] et pis moi j’ai mis en attente le client donc je peux parler je parle tout seul et pis heu… et pis des fois je fais heu… quand c’est des vieux cons, des vieux qui entendent rien et qui sont sourds ben moi je fais pareil, en fait je fais pareil, c’estàdire je fais heu… comme j’aurai envie de lui répondre plutôt que d’être poli faire un
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chienchien quoi.D : Ouais t’as vraiment l’impression d’être heu… d’être une machine quoi dans ce boulot là quoi en fait d’être programmée comme ton ordinateur sur lequel tu bosses à répondre à donner des réponses, à être le chienchien…T : Ben on est prestataire de service ouais voilàD : Et qu’estce que…T : Ben c’est ton boulot quoiD : OuaisT : C’est ton boulot de faire çà… bah c’est… tu te dis heu… voilà tu vas tu te… déshumanise un petit peu pour… pour… pour travailler et pis heu… et pis heureusement que t’as d’autres choses pour remplir ta vie quoiD : Et toi c’est quoi ?J : Et toi çà…çà rend la définition du travail, tu…tu penses le travail comment ? T : Ah ouais ben làJ : Estce que c’est bien représentatif de ce qu’est le travailT : Ah ouais voilà c’est vraiment le travail dépourvu de sens total quoi c’est… c’est le travail tu sais même pas pourquoi tu le fais quoi à part à part pour gagner des sous parce que tu sais pas te positionner dans cette société qui demande de toi à ce que tu gagnes des sous quoi donc en entendant de pouvoir trouver des… heu… des lucratives et en même temps qui permettent de m’épanouir et ben j’suis forcé de passer par làJ : T’as un projet de…T : Ouais j’ai un projet d’avenir c’est heu… c’est heu… musique. Ouais c’est de vivre de la musique avec mon groupe et là on en est à un point où on va bientôt passer le pas de… de heu… commencer à voir ce que çà fait que d’être crédible sur heu… sur un plan régional voir national avec une démo et des bons retours qui marchent et pis et pis pourquoi pas d’autres formations à la clé que j’aimerai bien suivre pour pouvoir continuer à avancer et pis pour pouvoir me donner du temps pour travailler le saxophone ou des choses comme çà.J : Parce que là justement t’as pas le temps de t’investir dans la musique ou t’essayes quand même de garder heu…T : Moi heu si si si si, j’ai mon dimanche toujours pour répéter et je m’investi toujours dans la vie associative et là dessus y’a pas de soucis hein, je peux déplacer mes horaires pour faire des concerts ou pour aller répéter et çà ils le savent et heu jusqu’à maintenant ils ont ils ont toujours accepter mes demandes d’horaires et même à la dernière minute, alors qu’on a pas le droit, et le jour où ils accepteront plus ben je leur dirais byebye quoi.
J : Tu te priveras jamais d’un concert parce que t’as prévu…tu sais que…T : Non non de toute façon de toute façon dès mon entretien d’embauche je l’ai dit, et pis heu…et pis avec mon chef de plateau on a parlé et pis heu… j’ai argumenté autour de la démo et tout pour lui faire sentir que c’était un projet sérieux nan la démo est toujours pas sorti mais des fois il me relance alors euh… çà va ton disque il est tou... toujours pas heu… tu vois un peu je le sens un peu sur la tangente quoiJ : Sceptique ouais comme si euh…T : Ouais comme si j’étais un peu un J : tu fais des rêves euh… comme tout le monde…T : ouais voilà, un peu sorti de la réalité qui…qui fantasme sur un truc alors queJ : et lui il appuie un petit peu ce coté euh… irréaliste de la chose, il te rappelle euh… par rapport au job parce que eux ils savent enfin t’es euh… les superviseursT : Les superviseurs euh… J : Ils savent que le boulot il est perçu euh… çà fait des dépressifs…T : Ouais ouais … eux ils savent que c’est de la merde et que c’est un boulot qui a beaucoup de turnover et donc çà c’est compris quoi c’estàdire euh… ils te payent une misère mais ils savent qu’ils payent beaucoup de gens en intérim très cher et ils savent qu’ils payent beaucoup de gens dans les formations donc heu… donc çà çà se ressent sur les salaires et quand ils demandent une facture à C. tout çà c’est pris en compte, le fait qu’ils forment souvent, euh… qu’ils payent les gens pour la formation quoi et qu’il y a beaucoup d’intérim si ils faisaient en sorte de garder les gens sur le plateau, eh bien on pourrait être payé mieux mais eux ils préfèrent euh… ils préfèrent faire çà parce que c’est un boulot difficile et que euh… y’a une lassitude qui s’installe et donc tu tu perds un peu du dynamisme quoi euh… quand t’arrives et tout y’en a qui sont vraiment motivés tout çà qui sont hyper réactifs heu et qui après se lassent et commence par plus ben par ne plus jouer le jeu quoi et à et à pas être dans la compétitivité dans l’ascension essayer de progresser puisqu’on se rend compte en fin de compte que… que même si on rend un service de qualité sur le long terme et bah [rires] on va rester au même salaire et au même poste à faire le glandu.J : Y’a pas de promotionT : Y’a… y’a pas… très très peu de progression quoi très très peu, à moins vraiment de rester là, y’en a ils sont là depuis quatre ans mais qui veulent passer sup mais ils peuvent pas alors ce qu’ils font c’est qu’ils sont au poste vigie ou alors au poste aide volante ou alors ils font des tâches administratives à leur vigie tu sais… c’est le petit local qui… qui est heu… à
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l’intersection de deux grands couloirs puisque je vous ai expliquez qu’il faisait le tour du bâtiment donc ils ont pratiquement cinquante pour cent de en vue du plateau quoi avec ils ont un poste avec heu… les plannings tout çà pis c’est c’est à eux que tu vas demander tes pauses donc ils savent un peu ils ont tous en temps réels en fait les statistiques les machins les trucs D : C’est pas le boulot de superviseur çà ?T : Non c’est un poste à part, ce sont des gens qui prennent des appels qui sont là depuis longtemps et qui ont une certaine ancienneté qui, des fois, occupent un qui des fois sont en poste vigie ils se loguent quand même sur une poste heu… téléphonique comme tout le monde mais ils vont occuper un poste de vigie et après des fois ils peuvent reprendre des appels.J : Pour toi c’est une vraie stratégie d’entreprise ce manque de… de gestion de… du côté pénible du travail, ce turnover il leur est… estce qu’il leur est…T : Ben ouais ouais il pourrait carrément…J : il leur fait perdre de l’argent dans la formation tout çà…T : Ben ouais ils pourraient faire le choix d’essayer de garder les gens en… en s’autonomisant en laissant euh en laissant libre cours à les propositions de venir parce que y’en a beaucoup des propositions mais le problème c’est que comme nous on est prestataire de C. on est obligé de se fier à la règle de C. qui eux –mêmes embauchent des boites qui euh… de diagnostic et de euh… de expertise ou de qui qui passent des appels et qui nous notent et qui nous testent et qui proposent qui font des propositions, on a des appels mystère sur le…D : Estce que euh… tu peux nous réexpliquer ce que c’est les appels mystères.T : Alors euh… l’appel mystère, c’est quelqu’un euh… quelqu’un se fait passer pour un client c’est à... c’estàdire il prend la fiche euh… il… c’est C. qui lui fournit les fiches clients existantes et donc ils…ils ont toutes les coordonnées… mais ils se font passer pour untel en disant bonjour voilà je voudrais euh… ils simulent une panne, ils simulent une panne alors des fois ils savent que le client a déjà eus ce type de panne et euh… ou alors ils te demandent un renseignement sur les offres commerciales très précises sur l’option machin truc bidule que personne demande, bon des fois tu des fois t’as des fois tu t’en rend pas compte hein ,des fois tu… tu soupçonne tu dis tiens çà ressemble à un appel de type mystère parce qu’il y a une question technique et une question commerciale dans ces cas là t’es vachement prudent tu respectes la charte et tout tu sais euh… tu fais pas de zèle tu fais pas de feintes parce que des fois je me permet de blaguer un peu m pis voilà quoi et pis euh tous les
mois t’as un résultat qui s’affiche en fonction du pourcentage donc tu sais jamais tu sais jamais en fin de compte si t’as été noté par un appel mystère ou pas en fait euh…D : Vous avez aucun retour ?T : Non on a aucun retour.D : C’est juste un truc tu sais que çà peut exister quoi.T : OuaisD : Parce que qui c’est qui te qui t’as dit que çà existait c’est euh… c’est le superviseur ou c’est euh…T : Oh ben c’est dès la formation on le sait quoi, et pis tous les mois on a les résultats de ce teste, qui est affiché sans dire le nom quoi.J : Estce qu’il y a d’autres formes de contrôle de votre travail que…T : Ouais le chef de plateau une fois il euh… il est venu me voir, alors que mon superviseur n’était pas là donc j’me disais c’est bon y’aura pas d’écoute aujourd’hui il est venu me voir en disant alors euh… j’ai écouté ton appel hein mais tu vois le client là t’aurais pu le retenir sur le modem, c’est vrai euh… toi tu peux argumenter sur le fait que machin modem [ ??] serait bien en maintenance toujours au top et tout euh et pis euh… sinon ton appel étais dynamique euh… enjoué tout çà donc j’suis content continu comme çà et tout j’fais ah ok [rires] un peu dégoûté quoi.D : Parce que lui tu le vois jamais autrementT : Nan, nan nan et je... et voilà quoi même quand t’as même quand ton superviseur n’est pas là t’as quand même le poids du contrôle qui…D : … qui se fait ressentir ? qui rentre en jeu ?T : Ouais J : Et toi tu pars du principe que…T : Ouais j’fais du commercial, j’ai pas eus de formation commerciale mais heu… J : Tu connais les forfaits tu peux orienter les clients heu…T : J’connais j’connais les forfaits pis heu… et pis si il faut ben il… si on a des… si on a des perches si ils nous lancent des perches il faut proposer les options machin leur dire ah ! J : Vous avez des bonus tout çà si vous arrivez à faire vendre quelque chose ?T : Que dalle… rien du tout c’est pour çà t’as pas trop de…t’as pas… t’as pas trop de carottes au bout du bâton quoi… donc heu… des fois je le fais parce que…parce que heu… voilà je me suis fais heu… je me suis fais accroché làdessus par mon chef de plateau quoi… sur une offre commerciale que j’ai pas essayer de retenir parce que j’ai pas reçu euh… enfin… faire basculer l’offre au client quoi… donc des fois ben des fois je… des fois je… j’argumente et heu… en gros ouais des fois je les arnaque… je leur
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propose pour cinq euros plus cher l’option qu’est complètement inutile [blanc de trois secondes] j’en suis conscient quoi.D : Et heu… estce que tu sens que y’a un… quoi… à part justement ton chef de plateau estce que sinon t’as un discours d’entreprise ? salariés ? chefs T : Non… nan à part lui cette fois là mon superviseur une fois qui m’a dit heu… parce qu’une fois dans un appel j’ai dit heu… ah ouais çà vous coûteras moins cher de résilier que plutôt que de… de vous réengager sur une nouvelle offre pendant un an ou un truc comme çà [rires de tous]D : D’accord, t’avais été suivisT : Ouais j’avais été noté sur cet appel là et il m’a dit heu…heu…si C. avait écouté cet appel là heu… on aurait été obligé de te virer alors heu… plus jamais quoi [rires à nouveau] D : Et t’as pas le droit de donner un avis personnel ?T : Nan c’est pas çà mais tu dis pas à quelqu’un de résilier quoi parce que c’est moins cherD : Ouais c’est sûrJ : Mais t’aimerais dire plus souvent [rires] aux gens ou heu…T : Ouais des fois…J : Toi ton avis personnel sur C. par exemple c’est, estce que c’est le fournisseur d’accès que, personnellement tu conseilles à tes amis en dehors du boulot ?T : Bah bien sûr que non, ils sont chers [rires] c’est, c’est bah çà dépend si… c’est une offre d’accès euh… vraiment pour les personnes euh… assistées quoi, qui n’ont pas…J : HummT : Qu’ont besoin d’être assistées, ouaisJ : Et çà te, çà te, çà t’es pénible aussi de devoir conseiller des choses que personnellement tu conseilles pasT : Bah nan pas à ce niveau là, nan j’prend du recul, ouais ouais pis les clients ils me demandent vous êtes chez C. mais bien sûr [rires] mais oui j’en suis très satisfait mais moi je j’ai ce modem là et tout il marche super bien [rires]D : Bon chez moi, y'a autre chose de marqué dessus, mais...T : Ah oui j’ai… eus l’occasion de tester la qualité est optimale heu… le téléphone le son est vraiment bien alors qu’on l’a essayer une seule…J : Vous parlez entre vous à la pause clope sur ces…T : Ah oui énormément J : Vous tournez à la dérisionT : Ouais on a, on fait un petit bêtisier des fois on se
raconte nos appels bidons… parce que des fois c’est marrant çà fait rigoler quoiD : J’pense que c’est bon làJ : Ouais c’est pas malT : Bon ben c’est coolJ : T’as rien à ajouter toi qui a fait un peu de socio, qu’on aurait oublié sur un aspect de ton travail… toi une réflexion que t’as, que t’as nourrit sur définition du travailleur ?T : HummJ : Ce qui est propre à ce boulot ou ce qui nouveau par rapport aux anciennes, aux autres boulots que t’avais fait avant, tiens tu peux nous rappeler vite fait tes anciennes expériences professionnelles ,T : Alors euh… j’ai travaillé heu… à l’occasion pour mon oncle heu… pendant plusieurs années donc un travail informel pas trop, pas trop dirigé où j’étais plutôt autonome à faire heu multitâches, donc entre l’informatique et pis fabrication assemblage confection de drapeaux des trucs comme çà ou alors rangement du classement enfin vraiment des trucs pas très heu… qui demandent pas beaucoup de facultés intellectuelles, ensuite heu… j’étais moniteur étudiant à la bibliothèque de Lille 3, donc là je renseignait sur euh… l’utilisation des cdroms de recherche des bases de données, sur euh… je surveillais la salle, je rangeais la salle, je faisais du classement un peu… donc là rapport avec le travail vraiment euh… vraiment cool hein euh… possibilité d’arriver à l’heure qu’on…un… les retards sont tolérés euh…beaucoup de souplesse on est pas obligé de…J : Et tu peux plus euh… y retourner à la place de ton…T : Ben j’ai plus le temps quoi.J : Mais à la place du boulot que tu ferais, parce que c’était moins bien payé ou parce qu’on peut pas te proposer autant d’heures de travail ?T : Parce qu’il peut pas me proposer autant d’heures de travail et que j’suis payé au black donc j’ai pas vraiment de salaire donc euh il me paye en… en payant mes factures, donc c’est comme çà que, j’ai pu m’équiper informatiquement avec du euh… du gros matos quoi parce que mon salaire c’est, justement, mon ordinateur, donc en plus c’est con quoi parce que je… j’ai pas eus besoin, enfin, j’ai pas eus besoin d’avoir une config enfin un pc aussi cher mais j’ai… j’ai dû… j’ai dû dépenser l’argent qu’il me devait.J : Et pour finir çà fait combien de temps que t’es euh… que tu bosses à C.T : Depuis août, la formation a commencé août, début août.
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