l'art gothique - lucrare franceza
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AVANT-PROPOSAVANT-PROPOS
A l'époque gothique, la beauté est devenue un attribut des dieux, un signe du divin. On parle ainsi du Beau Dieu de la cathédrale d'Amiens (fig. 1) Tous les visages divins sont empreints de sérénité. Le modèle est intellectualisé : les lèvres collées dans un demi sourire disent que Dieu s'est fait homme.
Robert Philippe1
Dominant le paysage de la civilisation française du
Moyen Âge, regorgeant de beautés, si riches de
significations fécondes, les cathédrales Notre-Dame de
Paris et Notre-Dame de Chartres témoignent à travers les
siècles, non seulement de l'ardente piété médiévale, mais
aussi de l'excellence d'un art sublime à force de noblesse
et de spiritualité. Elles suscitèrent toute une littérature, de
Chateaubriand et Hugo à Proust et Claudel, en passant par
Huysmans et Péguy, s'il nous est permis de n'en citer que
les coryphées. Quoi de plus français que ces deux chefs-
d'oeuvre de l'architecture gothique, et quoi de plus
universellement humain que ces deux oraisons de pierre
lancées de la glèbe vers le ciel? Car, fruit exquis du terroir 1 PHILIPPE, Robert (dir.), Le temps des cathédrales. Les métamorphoses de l'humanité. Une histoire de l'art et du monde, Eds. Planète, Paris, 1965, p. 10.
français, l'art gothique naît dans le Domaine Royal d'Île-
de-France, à la fin du XIIe siècle. C'est alors que Paris
s'érige en pôle d'attraction et centre de rayonnement de la
culture occidentale - une culture ayant pour assise la foi
chrétienne et qui va s'exprimer magnifiquement dans la
cathédrale gothique. Son ample vaisseau accueillera la
foule fervente des fidèles au cœur des nouvelles cités. Ce
ne sera plus " la voûte écrasée sous laquelle les pauvres
gens qui vivaient à l'ombre des monastères viendraient
craintivement, à l'heure des offices, entendre la voix de
l'Église dans l’obscurité "1. " Ce sera – écrit
pathétiquement Elie Faure - " la maison commune, le
grenier l'abondance, la bourse du travail et le théâtre
populaire"2 , ce sera "la maison sonore et lumineuse que le
flot des hommes pourrait envahir à toute heure, le grand
vaisseau capable de contenir toute la ville, l'arche pleine
de tumulte les jours de marché, de danses les jours de fête,
de tocsin les jours de révolte, de chants les jours de culte,
de la voix du peuple, tous les jours"3.
De l'Île-de-France, qui connaissait l'essor de la
civilisation urbaine et bourgeoise issue du mouvement
communal, marquant l'apogée du Moyen Âge français, l'art
gothique gagnera peu à peu toute l'Europe, étant diffusé
d'abord par les ordres religieux : Cisterciens, Franciscains
et Dominicains. Ainsi entra-t-il dans le patrimoine universel
du genre humain. S'il est donc des aires thématiques à 1 FAURE, Elie, Histoire de l’art, tome II, Eds. Denoël, Paris, 1985, p. 245.2 FAURE, Elie, Ibidem.3 FAURE, Elie, op. cit;, p. 246.
2
mêrne de légitimer le choix d'un mémoire de maîtrise, en
voici l'une des plus généreuses. Et cela d'autant plus que
l'enceinte sacrée d'une cathédrale gothique à la création
de laquelle architecture, sculpture, peinture, vitrail,
orfèvrerie et orgue conjuguèrent leurs arcanes, est
organisée suivant une sémiotique du symbole qui défie et
envoûte l'homme moderne. Celui-ci essayera de saisir la
dynamique discrète mais perpétuelle et tellement
suggestive d'une multitude d'éléments fonctionnels
concourant de manière à ce que la matière se spiritualise,
se fasse tout âme, tout prière, pour s 'élancer vers le
Seigneur et le rejoindre.
L'art ogival et surtout sa quintessence - la cathédrale
gothique - représentent l'unicité d'un moment d'équilibre
du potentiel créateur des forces populaires esthétiquement
vierges avec ce projet l'un monument presque
métaphysique dont le cadre était préparé par la
philosophie chrétienne depuis douze cents ans.
L'humanité du Moyen Âge s'exprimait symboliquement
parce que le symbole était porteur des réalités morales et
spirituelles supérieures, auxquelles elle aspirait ; elle se
servait aussi du symbole pour exorciser ce qui l'entravait,
ce qui l'étouffait. De la sorte, à l'époque des cathédrales, la
symbolique et la théologie étaient infusées dans la vie
profane, vivant pour ainsi dire "de la même vie que la vie"1.
La cathédrale gothique, somme toute, est cette expression
magnifique "de la beauté qui s'évade de sa gangue 1 FAURE, Elie, op. cit., p. 243.
3
terrestre, de la beauté qui se séraphise"2 - comme la
percevait Huysrnans dans sa Cathédrale , de 1898.
Elle nous est révélée dans toute sa pureté par deux de
ses hypostases les plus éclatantes : Notre-Dame de Paris et
Notre-Dame de Chartres qui constitueront le domaine de
prédilection de nos efforts interprétatifs braqués sur deux
volets - architecture et symbole.
2 MAUGER, Georges, Cours de langue et civilisation françaises, tome IV, Eds. Hachette, Paris, 1968, p. 466.
4
CHAPITRE PREMIERCHAPITRE PREMIER
L'ART GOTHIQUEL'ART GOTHIQUE
Notre génération dispose de moyens renouvelés pour redécouvrir à son tour, en partant de données naguère ignorées, et en se plaçant à un point de vue neuf, cet art gothique dont l'immense richesse, surtout en France, jaillit toujours, source inépuisable de ravissements esthétiques et, plus profondément encore, de joies spirituelles.
Les exégètes s'accordent pour dire que jusqu'à
l'époque de l'éclosion du Romantisme - durant donc plus de
trois siècles - l'art du Moyen Âge fut considéré comme un
tout, formant un bloc indivisible par opposition à l'art de la
Renaissance. D'ailleurs les humanistes italiens du XVIe
siècle méprisaient l'art médiéval, cet art "nordique" qui ne
s'était guère acclimaté dans leur pays, et qui, par surcroît,
contredisait les canons esthétiques gréco-romains. Far
conséquent, ils l'avaient affublé de l'épithète "gothique" -
synonyme pour eux de "barbare".
La paternité du terme est attribuée à l'italien Lorenzo
Valla ( it. "gotico", fr. "gothique", du bas latin "gothicus",
c'est-à-dire "relatif aux Goths), qui l'a utilisé vers 1440
pour désigner le style de l'écriture manuscrite médiévale
(donc "gothique" employé dans le sens non-subjectif de
5
"médiéval" le syntagme "Moyen Âge" n' existant que depuis
1604).
Les Italiens du XVIe siècle, Raphaël le premier, dit-on,
appelleront péjorativement : "gotico", synonyme de
"barbare", le style des oeuvres d'art "moyenâgeuses".
Vasari (1574) a popularisé ce vocable et son acception
dédaigneuse, l'interférant avec "tedesco'1, c'est-à-dire
"tudesque" (qui dans le français d'aujourd'hui une
connotation péjorative), "germanique".
Dans ce contexte, un jésuite français a repris l'adjectif
latin "gothicus", pour traduire l'italien "tedesco" de Vasari.
C'est ce qui a facilité le premier emploi français de
"gothique" dans le sens de "médiéval". Tout en gardant la
nuance dépréciative ce mot date de 1615, étant rencontré
chez Binet. Il n'est pas dépourvu d'intérêt de remarquer
qu'aux XVII et XVIIIe siècles, les connotations de
"gothique" demeurent péjoratives : "médiéval", bien sûr,
mais surtout "suranné", "désuet", "vieillot".
Ce n'est qu'au début du e siècle, en pleine
effervescence romantique que l'art du Moyen Âge
reconquerra sa dignité, imposera ses valeurs et jouira
dorénavant du grand prestige qu'il méritait. Dès 1802,
avec Le Génie du Christianisme, Chateaubriand élargissait
les horizons du goût en attirant l'attention sur une source
de beauté à laquelle puiserait par la suite l'inspiration
romantique, et qui allait susciter l'intérêt des historiens et
des archéologues : le Moyen Âge chrétien.
6
L'ordre gothique, au milieu de ses proportions
barbares, a toutefois une beauté qui lui est particulière"1,
soulignait le grand écrivain. Cette beauté méconnue
encore à son époque où l'architecture religieuse s'inspirait
des temples grecs (voir, par exemple, l'église de la
Madeleine), Chateaubriand l'avait perçue à Saint-Malo,
révélée par la cathédrale Saint-Vincent.
"Les forêts des Gaules ont poussé à leur tour dans les
temples de nos pères et nos bois de chênes ont ainsi
maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en
feuillage, ces jambages, qui appuient les murs et finissent
brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des
voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les
passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les
labyrinthes des bois dans l'église gothique; tout en fait
sentir la religieuse horreur, les mystères et la divinite..."2
Cette interprétation symbolique de la cathédrale (dont
nous n'avons cité que deux phrases) a aidé les
contemporains de Chateaubriand et surtout les jeunes
générations a en retrouver les significations profondes et
tout à fait authentiques, a redécouvrir les significations
profondes. On ne pouvait plus entrer dans une église sans
songer à cette page d'une si grande perfection littéraire,
d'autant plus que l'écrivain leur parlait, en artiste, des
"deux tours hautaines plantées à l'entrée de l'édifice", 1 apud LAGARDE, André et MICHARD, Laurent, XIXe siècle, Eds. Bordas, Paris, p. 542 Ibidem.
7
paraissant "couronnées d'un chapiteau de nuages, ou
grossies dans une atmosphère vaporeuse"1 (Monet est déjà
là !), du charme poétique des cloches, des chants et des
prières, des solennités religieuses, de l'orgue "au bruit des
vents et des tonnerres"2. Le retour en force de l'art
gothique est définitivement consacré par la parution en
1831 de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. L'écrivain y
fait vivre le Paris du XVe siècle, grouillant et coloré avec sa
Cour des Miracles peuplée des figures inquiétantes de
truands, et dominée par la présence tutélaire de sa
cathédrale dont la masse imposante s'anime d'une vie
mystérieuse et fantastique : "...vaste symphonie en pierre,
pour ainsi dire ; oeuvre colossale d'un homme et d'un
peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades
et les Romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux
de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur
chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de
l'ouvrier, disciplinée par le génie de l'artiste; sorte de
création humaine, en un mot, puissante et féconde comme
la création divine dont elle semble avoir dérobé le double
caractère variété, éternité"3.
Si Chateaubriand a réhabilité la cathédrale gothique, si
Hugo en a fait le personnage de son fameux roman, un
historien - Michelet - célèbre le sublime élan de spiritualité
française qu'elle relève, qu'elle incarne, pour l'inscrire
dans l'universalité du devenir humain. Dans le tome II de 1 Ibidem2 Idem, p. 55.3 HUGO, Victor, Notre-Dame de Paris, Eds. du Livre de Poche, Paris, 1966, p. 146.
8
son Histoire de France, intitulé Tableau de la France et
paru en 1833, le grand historien associe, à ce dessein, une
belle envolée lyrique à la philosophie de l'histoire; "le
souffle de l'esprit" écrit-il, "mit sur cette froide pierre son
rêve, sa pensée intime. Dès qu'une fois il eut échappé aux
catacombes, à la crypte mystérieuse où le monde païen
l'avait tenu, il la lança au ciel, cette crypte; d'autant plus
profondément elle descendit, d'autant plus haut elle
monta ; la flèche flamboyante échappa comme le profond
soupir d'une poitrine oppressée depuis mille ans. Et si
puissante était la respiration, si fortement battait ce cœur
du genre humain, qu'il fit jour de toutes partis dans son
enveloppe; elle éclata d'amour pour recevoir le regard de
Dieu"1.
Quant aux archéologues, eux aussi, ils s'étaient mis à
l'œuvre. En 1825 déjà, Arcisse de Caumont avait désigné
sous le nom de "roman" l'art qui domina l'Occident après
Charlemagne. Ce terme fut choisi parce qu'il rappelait,
d'une part, les affinités de cet art avec l'art romain, et, de
l'autre, sa situation intermédiaire entre un style d'origine
étrangère et un style national.
En même temps, langue romane et art roman étaient
des phénomènes parallèles et contemporains, bien que
l'élément romain (ou si l'on veut : "latin") fortifié par le
christianisme, fût bien plus sensible dans celle-là que dans
celui-ci.
1 Apud Lagarde A. et Michard, L., op. cit., p. 369.
9
De toute façon, il y avait donc un inconvénient ce
terme de "roman" emprunté à la philologie, par
assimilation aux langues romanes dérivées du bas latin,
"impliquait que l'art du Haut Moyen Âge avait ses sources
à Rome : or, il a été démontré depuis, que l'apport syrien et
byzantin tenait, dans sa formation, une place
prépondérante, et que cet art, dont les limites ne
concordaient nullement avec celles des pays de langue
romane, était imprégné d'orientalisme. Le terme de
"roman", sans être injustement péjoratif comme celui de
"gothique", nous apparaît aujourd'hui comme tout aussi
impropre"1.
Quoi qu'il en fût, malgré les réticences d'ordre
terminologique de bon nombre de spécialistes, et bien
qu'au Moyen Âge même, on appelât la style architectural
des belles cathédrales "opus francigenum" , c'est-à-dire "le
style de France"2, les deux syntagmes : "art roman" et "art
gothique" finirent par avoir le dessus.
Un autre paradoxe apparent : "roman" et "gothique"
semblent suggérer des systèmes de référence esthétique
en rapport d'antinomie. Cette impression se trouve
renforcée quand on considère une église romane et une
église gothique, et qu'on reconnaît sans peine les
différences entre les deux styles (voir fig. 2). La première
1 RÉAU, Louis, L'art gothique en France, Eds. Guy le Prat, sine anno, p. 9-10.2 Salomon Reinach offre à ce sujet l'explication suivante "On a proposé de donner à l'art gothique le nom d'"art français" mais cette expression prête à l'équivoque si l'on n' ajoute pas : du dernier tiers du Moyen Âge, ce qui la rend longue et incommode. Mieux vaut s'en tenir à celle que l'usage a consacrée" (In REINACH, Salomon, Apollo. Histoire générale des arts plastiques, Eds. Hachette, Paris, 1938, p. 105.
10
est encore lourde et près de terre, malgré les tours qui
l'exhaussent et la dominent. La seconde surprend par sa
légèreté gracieuse et par sa hauteur. Dans la première les
pleins l'emportent sur les vides; c'est le contraire dans la
seconde, qui est toute en fenêtres, en roses, en clochetons,
en dentelle lapidaire. La décoration de la première est
conventionnelle, géométrique, celle de la seconde s'inspire
directement de la nature (voir ci-dessus l'extrait descriptif
du Génie du Christianisme). Dans la première règnent la
plate-bande et le cintre; la seconde frappe tout d'abord par
ses lignes verticales et par ses arcs en fer de lance. Enfin,
l'aspect général de l'église romane suggère l'idée d'une
majesté tranquille et consciente et sa force, alors que
l'église gothique est comme un emportement de l'âme vers
le ciel.
Malgré les différences qu'une comparaison sommaire
ne tarde pas à mettre en évidence, l'art gothique a son
origine dans l'art roman. L'un des arguments serait le fait
que bien des églises romanes de Provence et de
Bourgogne, comme la fameuse basilique de Cluny
possédaient déjà des voûtes brisées (voir fig. 3) et des
arcades aiguës. De plus, l'invention et l'emploi de la
croisée d'ogives qui caractérise l'architecture gothique
(fig. 4) et qui allait permettre aux "maîtres d'œuvre" toutes
les hardiesses de la verticalité et par conséquence
l'inondation du vaisseau par la lumière, n'entraînèrent
11
aucune innovation dans le plan des églises qui resta ce
qu'il était à l'époque romane"1.
La transition de l'art roman à l'art gothique s'est faite
dans la région formée par le Valois, le Beauvaisis, le Vexin,
le Parisis et une partie du Soissonais, durant la première
moitié du XIIe siècle. On eut l'idée, vers 1100, dans l'Île-de-
France, de renforcer les arêtes des voûtes par des arcs en
croix, jetés diagonalement au-dessus de chaque
compartiment d'arête, d'un angle à l'angle opposé. Ces
arcs qui avaient le grand avantage de consolider la voûte
d'arête et, en même temps, d'en faciliter singulièrement la
construction, furent appelés arcs ogifs ou ogives. Vers
1 Les premiers archéologues qui, à l'époque romantique, ont remis en honneur
l'architecture du Moyen Âge, avaient cru trouver un critère de délimitation des styles
roman et gothique dans le tracé des arcs : le style roman serait caractérisé par l'arc en
plein cintre, le style gothique par l'arc brisé en tiers-point. Cet arc brisé était appelé
"ogive", d'où l'appellation de style ogival. En réalité, le terme d'ogive ne s'appliquait au
Moyen Âge qu'aux arcs diagonaux bandés dans chaque travée entre les arcs
doubleaux et formerets qui constituaient l'armature de la voûte. D'ailleurs, l'arc brisé
était employé dès le XIIe siècle dans certaines écoles d'architecture romanes (comme
nous venons d'observer ci-dessus). Inversement, l'art gothique ne s'était nullement
interdit l'emploi du plein cintre auquel il revient au XVe siècle avec l'arc en anse de
panier. L'arc brisé ne définit donc pas essentiellement le style gothique. Cependant il le
caractérise en ce sens qu'il répond à une raison constructive : la diminution des
poussées. D'autre part, il correspond à l'idéal formel d'élancement des lignes qui est la
marque de ce style. La voûte en croisée d'ogives semble un caractère beaucoup plus
important. Pour les archéologues de la génération de Viollet-le-Duc (à qui on doit la
restauration d'importantes édifices civils et religieux du Moyen Âge – Saint-Germain-
des-Près, Saint-Séverin, Notre-Dame de Paris, la cité de Carcassonne), c'est avec son
corollaire, les arcs-boutants, l'essence même du gothique.
12
1125, on s'en servait déjà couramment. En outre, les
constructeurs de l'Île-de-France eurent l'idée de remédier
à la poussée des voûtes sur croisée d'ogives. A cet effet, ils
inventèrent l'arc-boutant. Celui-ci (voir fig. 5) fournit une
solution excellente du problème que s'étaient posé tout le
temps les architectes : augmenter la légèreté et la hauteur
des édifices sans en compromettre la solidité. Le principe
est celui de l'étai qu'on arc-boute contre les murs d'une
maison pour empêcher de s'écrouler. Le constructeur est à
l'aise. Puisque la solidité de l'édifice ne dépend plus que de
la bonne construction des arcs-boutants, ces étais fixes, et
des leurs supports, les contreforts extérieurs, il peut se
permettre d'élever des clés de voûte à des hauteurs
auparavant inaccessibles. Il peut pratiquer dans les murs
latéraux désormais exemptés de fonction d'équilibrer la
bâtisse, des percements immenses qui laisseront entrer à
flots la lumière, si parcimonieusement distribuée naguère
par les fenêtres ébrasées des églises romanes.
Telles étaient quelques-unes des conséquences
enfermées dans la modeste invention qui fut faite par les
maçons de l'Île-de-France au commencement du règne de
Louis VI. L'Île-de-France est encore couverte d'églises
construites pendant l'âge de formation du style gothique.
On y observe les tâtonnements, les progrès, les luttes de
l'art nouveau pour s'imposer contre la tradition ; il s'agit
des vénérables églises de Morienval, de Saint-Étienne de
Beauvais, de Cambronne-lès-Clermont, de Saint-Germer, de
13
Saint-Len d'Esserent, la chapelle de Belle-Fontaine. On
cite, à Paris même, le chœur de l'ancien prieuré de Saint-
Martin des Champs, une partie de Saint-Germain-des-Près
et l'église Saint-Pierre de Montmartre. Par la suite, cet art
"que l'on appelle à tort ogival, ou, sans raison, gothique, et
que l'on devrait appeler architecture française"1 s'est
définitivement constitué quand on prit l'habitude de voûter
sur ogives toutes les églises, de faire porter le poids de
leurs voûtes sur des arcs-boutants calés par des
contreforts extérieurs, et aussi, d'y remplacer partout le
plein cintre par le tiers-point. Ainsi commença le devenir
glorieux du style gothique, "l'opus francigenum", à partir
du gothique primitif vers le gothique lancéolé, le gothique
pur, caractérisé par simplicité, équilibre et harmonie,
s'épanouissant au XIII siècle, qui fut celui des réalisations
parfaites, surtout les quatre grandes cathédrales de
Chartres, Reims, Amiens, Beauvais et la Sainte-Chapelle du
Palais de Paris (fig. 6). On pourrait même parler, pour cette
étape historique, d'un "classicisme" sui generis, avant la
lettre. L'évolution continua avec le gothique rayonnant (fin
du XIIIe et XIVe siècles) dont les traits caractéristiques
étaient la légèreté, la verticalité audacieuse et le
raffinement, illustrés par les cathédrales de Strasbourg et
de Metz. Le XVe siècle est celui du gothique flamboyant
(fig. 7, 8) où se multiplient les lignes décoratives en
courbes et contre-courbes en forme de flammes, les
1 LARISSE, Ernest et RAMBAUD, Alfred, Histoire générale du Ive siècle à nos jours, tome II, Armand Colin éd., Paris, 1925, p. 582.
14
nervures des voûtes et l'ornementation sculptée. Il est
surtout remarquable en Normandie - Saint-Maclou de
Rouen, à Paris - Saint-Séverin et dans l'Est - Notre-Dame-
de-l'Epine, Saint-Nicolas-du-Port (fig. 9) -, mais c'est en
même temps la phase crépusculaire d'un glorieux déclin
(marqué par l'exagération et la surcharge) d'un art qui a
régné en Occident durant quatre cents ans. À cet art
architectural correspondent des arts décoratifs qui ont
adapté leurs moyens d'expression, qui ont innové en
matière de techniques et proposé une thématique
figurative en fonction de la spécificité du gothique. Tel est
le cas de la sculpture.
À l'époque romane, les premiers "imagiers" s'étaient
appliqués à copier des modèles byzantins : ruines romanes,
ivoires, joyaux de Constantinople ou de l'Extrême-Orient.
Les figures de Saint-Trophime d'Arles rappellent celles des
sarcophages gallo-romains. Les décorations du cloître de
Moissac ont imité tant bien que mal des scènes byzantines.
Partout, jusqu'au XIe siècle inclusivement, la sculpture
d'ornement s'en était tenue à la reproduction plus ou
moins fidèle des motifs traditionnels de l'antiquité ou de
Byzance : galons, torsades, bâtonnets, nattes, perles, oves,
palmettes et fleurons. On y décèle encore des motifs de
provenance barbare ou asiatique entrelacs, animaux
fantastiques et autres motifs de fantaisie.
Au XIIIe siècle, la sculpture française s'émancipe tout à
coup. Viollet-le-Duc a osé, le premier, comparer cette
15
évolution remarquable à celle qui fit sortir l'art de Phidias
de l'art de l'école d'Egine : comparaison qui causa jadis du
scandale mais qui est devenu banale aujourd'hui. L'essor
de cette sculpture originale coïncida justement avec
l'ouverture des grands chantiers de la période gothique en
Île-de-France. Les tailleurs de pierre de Île-de-France
étaient, au moment où ils mirent en pratique les artifices
de construction dont nous avons parlé plus haut, d'une rare
habilité manuelle qui leur permettait des prouesses
architectoniques. Quant à l'ornementation, ils avaient
commencé à remplacer les anciens motifs stylisés par des
motifs entièrement nouveaux. A l'ornementation
conventionnelle, presque savante, puisée à tant de sources
diverses, des édifices romans, ils substituèrent hardiment
l'ornementation après nature, après la vie. Au style
tourmenté, irréaliste et mystique de la sculpture romane,
succède un style calme, réaliste, humain. Ils copièrent
d'abord les plantes d'eau (arum, iris, nénuphar), si
simples et si largement décoratives, si communes dans les
fonds marécageux de la vallée d'Oise. Puis ils promurent
l'acanthe indigène - la fougère. Au temps de Philippe-
Auguste et de Saint Louis on rechercha les feuillages
légers et sinueux, et l'on appliqua sur la corbeille des
chapiteaux des tranches de lierre, d'érable, de houx, fies
sarments de vigne, des chardons, le persil et la chicorée
des jardins français. Rien n'égale l'élégance et la dignité
monumentale de cette décoration botanique, quand elle:
16
est traitée, comme elle l'a toujours été en France au
Moyen Âge, par des artistes sûrs de leur ciseau (fig. 10). La
statuaire proprement dite s'est dégagée moins vite, mais
aussi complètement que la sculpture d'ornement, des
traditions byzantines qui avaient nettement marqué la
sculpture romane, cet "immense ballet hiératique"1. Le
style gothique propose, au contraire, une figure humaine
individualisée, respectée dans ses caractères physiques et
psychologiques. Mais ce réalisme n'exclut pas le souffle
poétique et religieux. Le monde spirituel, moral et matériel
s'ordonne autour de la figure centrale du Christ
qu'accompagnent la Vierge, les apôtres, les prophètes,
ainsi que des figures symboliques : Vices et Vertus, Vierges
folles et Vierges sages, calendriers, travaux des mois, arts
libéraux (fig. 11). Le tout disposé selon des emplacements
et des formats savamment hiérarchisés prouve que le XIII
siècle a cherché dans l'art comme dans la pensée, l'ordre
et la rigueur2.
Il est à noter qu'on a prétendu que ces tailleurs
d'images du Moyen Âge n'avaient su faire que des corps
allongés et grêles, pareils à des gaines drapés en tuyaux
d'orgue, terminés par des têtes à l'expression ascétique,
même maladive. C'était bien à tort car le musée de
moulages du Trocadéro à Paris, a dissipé ce préjugé. En 1 BENOIST, Luc, La sculpture française, Eds. Larousse, Paris, 1945, apud BLANCPAIN, Marc et COCHOUD, Paul, La Civilisation française, Eds. Hachette, 1979, p. 97.2 De Platon et de saint Augustin, la pensée de référence passe à Aristote, au XIII siècle, et la philosophie médiévale à sa suite, revient à la nature et à l'expérience positive d'où la raison induit les vérités assurées. Ce tournant décisif dans la pensée européenne fut préparé et opéré a l'Université de Paris par Albert le Grand et saint Thomas d'Aquin.
17
regardant les statues, dont les visages éclairés d'un sourire
énigmatique sont déjà exempts de l'hiératisme traditionnel,
statues qui sont au portail principat de la cathédrale de
Chartres, on dirait que la sculpture moderne commence
avec elles. Ajoutons les vingt-deux statues colossales de la
porte centrale (les princes de ce peuple de 2500 statues)
qui animent la cathédrale de Reims1, le Beau Dieu
d'Amiens, la Vierge de la Porte Dorée (d'Amiens toujours),
les apôtres de la Sainte-Chapelle (fig. 12), les effigies
royales de Saint-Denis, pour nous rendre compte que cet
art gothique ne cède guère en vérité, en grâce et en
énergie, donc en force d'expression à ce que l'art de
l'antiquité classique a produit de plus exquis. Au XIVe et au
XVe siècles, la sculpture commence à se détacher de
l'architecture et à conquérir son autonomie. Elle reste
pourtant en grande partie d'inspiration religieuse, mais les
formes expressives de sa dévotion s'écartent de la sérénité
de l'époque précédente pour se trouver soit vers le charme
très humanisé des Vierges à l'Enfant en pierre, en bois ou
en ivoire (fig. 13), des anges musiciens et des saints ou
saintes, soit vers le thème pathétique de la mort : scènes
de la Passion du Christ, Crucifixions, Pietà, statues
funéraires exécutées parfois avec un réalisme saisissant.
Dans le premier groupe on pourrait citer au rang de chefs-
d'œuvre : la Vierge de Jeanne d'Évreux (Louvre), la Vierge
du Marthuret (à Riom), la Sainte Marthe de l'église de la
1 "… immense allegro sacré, magnifique Te Deum …" note métaphoriquement Luc Benoist (op. cit. p. 98).
18
Madeleine à Troyes; dans le second l'Ecce Homo de Saint-
Nizier de Troyes, l'Ensevelissement du Christ de Chaource,
le retable de la Passion de Tonnerre, le tombeau du roi
Philippe le Hardi à Saint-Denis par Jean d'Arras. Tout en
mettant en évidence le nom de Jean d'Arras, signalons que
les sculpteurs, devenus courtisans, cessent d'être
anonymes. Beaucoup viennent de Flandre, de Hollande ou
de la France du Nord. A la cour de Charles V travaillèrent
André Beauneveu de Valenciennes (tombeaux de Philippe
VI, Jean le Bon et Charles V à Saint-Denis) et Jean de
Liège. En Bourgogne, près des ducs Philippe le Mardi et
Philippe le Bon s'épanouit un centre prestigieux de la
sculpture de l'époque. Entre 1390 et 1406, Claus Sluter (né
à Haaelen) fit la décoration de la Chartreuse de Champmol
(fig. 14), près de Dijon, et constitua un ensemble admirable
d'expression et de virtuosité plastique. Au portail de la
chapelle, on peut contempler la Vierge entourée par le duc
et la duchesse, et, comme base du calvaire détruit en 1793,
le Puits de Noise orné de six prophètes. Après la mort de
Sluter, son neveu Claus de Werve sculpta le tombeau de
Philippe le Hardi entouré de quarante pleurants
remarquables d'émotion (fig.15). Le thème en fut repris
avec force vers 1480 dans le tombeau de Philippe Pot,
sénéchal de Bourgogne (au Louvre). Dans un esprit plus
détendu, la sculpture du XVe siècle (fig. 16) est
représentée, en dehors de l'atelier bourguignon, par le
Lyonnais Jacques Morel (tombeau de Charles de Bourbon
19
et d'Agnès de Bourgogne, à Souvigny et - probablement-
l'exquise gisante d'Agnès Sorel, à Loches). N'oublions pas
l'auteur du Sépulcre de Solesmes (fig. 17) et celui de la
clôture du chœur de la cathédrale d'Albi, qui frappent par
l'étonnant mélange de puissance et d'élégance, spécifique
du gothique tardif. Ainsi, à travers les époques, "le génie
des imagiers du XIIIe siècle, devenu seulement plus
expressif, se continua dans la grande école franco-
flamande et exerça une féconde influence sur la peinture
de ce temps"1.
Quant à la peinture gothique, elle "obéit aux mêmes
tendances que la sculpture"2, se détachant du mur pour
aboutir à vivre indépendamment, devenant mobile et
s'appliquant aussi bien à la décoration des feuillets de
manuscrits qu'aux panneaux de bois. Ses hypostases sont
la peinture murale ou la fresque avec ses "succédanés" : le
vitrail et la tapisserie, la miniature et la peinture sur
panneau. On sait que les murs intérieurs des églises
romanes étaient peints et, bien que la plupart des fresques
aient disparu, en considérant les célèbres peintures de
l'église de Saint-Savin en Poitou, du Temple Saint-Jean à
Poitiers, de la chapelle du Liget, de Tavant en Touraine ou
de Berzé-la-Ville en Bourgogne, on s'émerveille de
découvrir une entente si remarquable des lois de
l'harmonie des couleurs, de la virtuosité des dessins
1 REINACH, Salomon, op. cit. p. 125.22 Réau Louis, op. cit. p. 130.
20
enluminés et très légèrement modelés qui couvraient les
grandes surfaces, de l'habilité des touches de couleurs
destinées à faire valoir les membres de l'architecture. Les
grandes scènes décoratives, traitées avec puissance étaient
tirées de l'Apocalypse ou de la Genèse, et peintes dans des
tonalités analogues à celles des peintures byzantines :
fonds très clairs, brun rouge, gris ardoise, avec des
fermetés très vives, des rehauts blancs, et pas d'or. Ainsi la
fresque qui n'était à Byzance qu'un dérivé moins coûteux
de l'art plus somptueux et plus durable, de la mosaïque,
avait pris en France un admirable développement à
l'époque romane. En effet, les églises de ce style, dont les
murs épais n'étaient percés que de rares fenêtres, offraient
généreusement de larges surfaces à décorer.
Avec l'avènement de l'architecture gothique, les
emplacements réservés à la peinture murale furent réduits
par suite des percements si hardis, opérés par les "maîtres
de l'œuvre" qui tendaient à ajourer les surfaces non
portantes, à remplacer les pleins par les vides. Cela devait
être fatal à la fresque française. Elle s'effaça devant le
vitrail qui remplaça dans les églises transformées en cages
de verre où la lumière était renouvelée à toutes les heures.
La peinture murale ne disparut point, toutefois : pour
soutenir convenablement, par des rapports de tons, l'éclat
nouveau des verrières, elle se transforma. Les couleurs
franches (bleu, rouge) triomphèrent dans les peintures du
XIIIe siècle; elles se détachent sur des fonds très sombres,
21
avivés d'or à profusion comme, par exemple, la décoration -
restaurée par Viollet-le-Duc - de la Sainte-Chapelle du
Palais , à Paris.
Même dans les châteaux, où les murs sont moins
évidés que dans les cathédrales gothiques, les fresques
sont remplacées par des tapisseries de laines de couleur,
"fresques" mobiles qui ont un avantage utilitaire net : elles
réchauffent les murs, protègent contre les courants d'air,
et, de plus, les seigneurs peuvent emporter ces tapisseries
avec eux, dans leurs déplacements. C'est de là que vient la
rareté relative des fresques gothiques, d'autant plus que
beaucoup d'entre elles on: été détruites (il ne reste rien
des illustrations de la Vie de saint Louis, dans l'église basse
de la Sainte-Chapelle).Parmi celles des monuments
conservés du XIIIe siècle, on peut citer la décoration de la
chapelle du Petit-Quevilly, près de Rouen, dont les
médaillons se ressentent de l'influence du vitrail. Quelques
ensembles du XIVe siècle se sont conservés dans les églises
du Midi : la coupole de la cathédrale de Cahors et la
chapelle Saint-Antonin-aux-Jacobins de Toulouse. Quant
aux fresques du Palais des Papes et de la Chartreuse de
Villeneuvr-lès-Avignon (fig. 18), celles-ci ne concernent
qu'indirectement l'art français étant donné leur exécution
par Simone Martini et M.atteo di Giovanetti de Viterbe,
peintres italiens ; il se peut cependant que les fresques de
la Tour de la Garde-Robe, représentant des scènes de
chasse et de pêche (fig. 19), aient été exécutées par des
22
artistes français, parce qu'on ne trouve rien d'analogue en
Italie, tandis que ce genre de décoration était fréquent à
l'époque, en France. Il suffit de rappeler que Charles V fit
peindre, dans une salle basse du Vieux-Louvre et à l'Hôtel
Saint-Pol, des scènes de vénerie où l'on avait représenté
des cerfs et des oiseaux.
Le XVe siècle, enfin, a légué à la postérité les peintures
de la voûte de la chapelle de l'Hôtel Jacques Cœur à
Bourges (fig. 20) où plane un essaim d'anges, réalisé d'une
main de maître. Néanmoins, signe du temps, le thème qui
revient comme une obsession chez les artistes de cette
époque, est la Danse macabre. En témoignaient les
fresques du Cimetière des Innocents à Paris (qui dataient
de 1423 et qui ont disparu) ; leur souvenir s'est conservé
grâce aux gravures de Guy Marchand. Seules la Chapelle
de Kermarrin en Bretagne et l'abbaye de la Chaise-Dieu
(où l'on peut admirer la plus pathétique des Danses
macabres) nous offrent aujourd'hui le reflet ou l'équivalent.
De toute façon Xve siècle, qui marque un des grands
moments de l'art français, voit la peinture murale achever
son histoire médiévale avec ce thème caractéristique à
l'époque : la Danse macabre, expression du gothique tardif.
La supériorité du vitrail par rapport à la fresque vient
du fait que le registre chromatique et ses valeurs
expressives changent perpétuellement suivant l'inclinaison
du soleil aux différentes saisons et aux différentes heures
de la journée, étant infiniment sensible à l'éclairage, "aux
23
moindres vibrations de la lumière. Un nuage passe, le ciel
s'assombrit et voilà le vitrail qui s'éteint; les couleurs se
refroidissent et semblent se figer. Que le soleil perce à
nouveau et le vitrail ressuscité s'échauffe et flamboie. Ainsi
le vitrail est une matière vivante qui se transforme, qui
meurt et renaît au gré des rayons et des ombres»1.
Art particulièrement médiéval, le vitrail débute au XIIe
siècle par les verrières de la Trinité de Vendôme, de Saint-
Denis, des fenêtres de la façade de la cathédrale de
Chartres. Ces vitraux de la première heure, dont le moine
allemand Théophile donne les procédés de fabrication dans
sa fameuse Schedula diversarum artium sont de véritables
mosaïques de morceaux de verre diversement colorés,
rapportés et sondés avec du plomb. On commençait par
dessiner un carton sur lequel on posait les verres
découpés. On enchâssait toutes les pièces dans le plomb et
on redessinait au pinceau les ornements avec une couleur
noire vitrifiable. Après cuisson, on maintenait la mosaïque
transparente dans la baie qu'elle était destinée à fermer
par une armature en fer scellée à la muraille. Les couleurs
étaient simples et "dans la pâte": bleu, rouge, jaune, blanc
verdâtre. Jamais de demi-teintes. Le modèle n'était point
obtenu par des dégradations de lumière, mais par des
hachures nettement tracées au pinceau. De près, rien de
plus rude; mais vues de loin, d'en bas, ces verrières se
détachent élégamment par masses puissantes parce que
les détails techniques se noient dans le lointain. Les 1 RÉAU, Louis, op. cit. p. 134.
24
draperies s'accusent, les personnages apparaissent dans
des proportions harmonieuses et les parois de l'édifice,
suivant une vieille expression "semblent construites avec
de la lumière"1. C'est là que s'affirme l'instinct décoratif
des artistes d'autrefois. L'art du peintre verrier arriva au
XIIIe siècle à sa perfection, sans changements
considérables de la technique, et se diversifia. Les plus
admirables spécimens de vitraux à figures et à médaillons
se trouvent à Chartres et à la Sainte-Chapelle de Paris. Les
plus belles grisailles de ce temps (peintures monochromes
en camaïeu gris) - à Rouen, à Soissons et à Saint-Serge
d'Angers. Ces vitraux du XIIIe siècle sont composés de
petits éléments teints dans la masse, coupés au fer rouge
et assemblés dans un réseau de plombs. Les verres ne sont
pas plans, mais plus ou moins bossus ou boursouflés. Ce
qui fait jouer la lumière, car les hommes du Moyen Age,
comprenant mieux que les modernes la nécessité d'adapter
l'art aux conditions naturelles du climat, ont inventé dans
la verrière colorée, la décoration la plus convenable pour
des édifices élevés sous un ciel souvent voilé. En effet, les
mosaïques transparentes enrichissent, en la décomposant,
la lumière pâle des pays du Nord. Au XIVe siècle, la
technique se perfectionne : les plaques de verre sont de
plus grandes dimensions et coupées à la pointe de diamant
(de cette façon, la mise en plomb est facilitée). La palette
des couleurs se diversifie et se nuance grâce à l'invention
du jaune d'argent et des verres doublés (qu'on use à 1 LARISSE, Ernest et RAMBAUD, Alfred, op. cit., p. 588.
25
l'émeri). D'autre part, l'amplitude croissante des fenêtres
entraîne la suppression des médaillons remplacés par de
hautes figures sous des dais ouvragés, tandis que les fonds
de paysage remplacent, tout comme les fonds
d'architecture, les fonds unis. Tout cela concourt à faire
perdre au vitrail son caractère purement décoratif pour le
transformer en une peinture transposée sur verre. Les plus
beaux vitraux du XIVe siècle sont ceux du chœur de la
cathédrale d'Evreux, alors que le chef-d'œuvre des verriers
français du XV siècle est le vitrail de l'Annonciation, offert
par Jacques Coeur à. la cathédrale de Bourges. Un siècle
plus tard, en 1534, Jean Lescuyer exécutera le célèbre
vitrail des Tulliers qui rivalise, par l'art consommé de son
créateur, avec celui de Bourges, mais l'influence du style
de la Renaissance s'y fait déjà remarquer. Dans la région
du centre de la France, on admire encore les vitraux de la
cathédrale de Moulins et d'Ambierle. Les derniers vestiges
de cet art incomparable sont les vitraux de la chapelle
funéraire de Brou, datant du XVIe siècle, qui prouvent sans
conteste la longévité de son potentiel expressif.
Dans un autre art essentiellement français, la
tapisserie, des tempéraments vigoureux d'artistes se
révèlent et de belles œuvres s'imposeront à la postérité.
C'est dans les ateliers parisiens que fut tissée la plus
merveilleuse tenture du XIVe siècle; il s'agit de celle de
l'Apocalypse d'Angers, exécutée par Nicolas Bataille
d'après les cartons de Jean de Bruges (fig. 21).
26
Commandée vers 1380 par le duc Louis d'Anjou, frère du
roi Charles V, pour la décoration de son château d'Anjou, et
mesurant près de 150 mètres de long, c'est un des
monuments les plus impressionnants et les plus précieux
du XIVe siècle. A la fin du siècle suivant, les artistes de
Tours étaient en pleine prospérité. La Vie du Christ (en
quatorze pièces) de la Chaise-Dieu en Auvergne, l'Histoire
de saint Gervais et de saint Protais de la cathédrale du
Mans, la Vie de saint Florent à Saint-Pierre de Saumur et,
peut-être, la célèbre tapisserie de la Dame à la licorne (se
trouvant au musée de Cluny) proviennent de là. Lyon aussi
était réputé pour la finesse incomparable de ses
tapisseries. Le parement d'autel dit des Trois
Couronnements (exécuté pour le cardinal Charles de
Bourbon, archevêque de Lyon, et offert par son neveu au
trésor de la cathédrale de Sens) est une œuvre exquise par
l'expression des figures, la richesse des détails et
l'harmonie des colorations. Cette tapisserie a la forme d'un
triptyque : au centre, on représente le Couronnement de la
Vierge; sur les côtés, deux héroïnes de l'Ancien Testament :
Bethsabée couronnée par son fils - le roi Salomon, et
Esther à laquelle Assuérus tend son sceptre. En fin de
compte, une rétrospective diachronique sur ce genre d'art
aboutira à la constatation surprenante que la tapisserie qui
naquit à Aubusson et à Feltin, et qui fleurit dans les
ateliers de Paris, d'Arras, de Tournai et de Tours resta
27
longtemps "l'élément de décoration principal des églises et
des châteaux"1.
Autant que dans les sculptures polychromes, aussi bien
que dans les vitraux et les tapisseries, on doit chercher
dans les miniatures ou les enluminures la vision picturale
de l'époque gothique. Et on l'y découvrira, marquée d'une
manière plus prégnante que dans la peinture sur panneau
(qui arriva à son apogée au XVe siècle).
A l'époque carolingienne et romane, c'étaient les
cloîtres qui avaient le monopole de l'enluminure. Celle-ci
était l'œuvre des moines travaillant en commun dans les
"scriptoria" des abbayes. A partir de la fin du XIII e siècle,
des enlumineurs laïques apparaissent. Ils renouvellent cet
art monastique et, stimulés par la concurrence, élargissent
le répertoire traditionnel par l'introduction des sujets
profanes et par le remplacement des fonds d'or auxquels
ils substituent des fonds de paysage, en semant dans la
bordure des "histoires", une décoration marginale de la
plus exquise fantaisie.
Étant donné que le caractère essentiel de l'enluminure est l'illustration du livre, on remarque une pléthore de syntagmes synonymes relevant du domaine et nuançant les valeurs fonctionnelles du genre : miniature, peinture de manuscrits, peinture sur parchemin. Pluralité de termes, mais de toute façon unicité et excellence d'un art bien français ou plus exactement parisien. La localisation de cet art ou plutôt de cette "industrie" à Paris s'explique aisément par le renom de la Sorbonne dont le
1 BLANCPAIN, Marc et COCHOUD, Jean-Paul, La civilisation française, Eds. Hachette, Paris, 1979, p. 111.
28
rayonnement, en tant que "Source de toute sapience", attirait des étudiants de toutes les nations; cela supposait la rédaction massive de livres qui occupait de nombreux artisans. Parcheminiers, copistes, enlumineurs pourvoyaient, avant l'invention de l'imprimerie, à la fabrication des bouquins. Et ces pourvoyeurs d'esprit étaient en même temps de prodigieux artistes. Dante même dans sa Divine Comédie, en parlait avec éloge : "Oh! - lui dis-je - n'est-tu pas Oderisi, l'honneur d'Agubbio, et l'honneur de cet art appelé à Paris l'enluminure?"1 Ainsi de l'aveu même du plus grand poète Italien, la miniature constituait au XIV siècle, comme les tapisseries d'Arras, l'une des plus fameuses spécialités de l'art français.
Dans son ouvrage de référence, L'Art gothique en
France, Louis Réau reconstituait ce tableau d'époque : "le
quartier général de la corporation des enlumineurs était la
rue Erembourg de Brie, appelée aujourd'hui rue Boutebrie,
près de l'église Saint-Séverin. A côté se trouvait la rue de
la Parcheminerie où demeuraient les copistes et les
libraires qui s'approvisionnaient de parchemin à la Foire du
Lendit. Le travail était spécialisé : les "histoires" étaient
réservées aux plus habiles qu'on appelait "historieurs"; les
autres se contentaient de dessiner des vignettes,
d'appliquer des fonds d'or en feuilles ou au pinceau. Les
femmes n'étaient pas exclues de la corporation : les
documents d'archives nous ont transmis les noms de
plusieurs enlumineuses ou enlumineresses dont une
certaine Anastasie, qui travaillait pour une femme de
lettres du temps de Charles V, Christine de Pisan"2.
1 DANTE, Alighieri, La Divine Comédie (traduite et commentée par A. Méliot), Le Purgatoire, XI, Garnier Frères,Paris, 1908, p. 303.2 Op. cit., p. 137-138.
29
Certes, les miniatures de la Bible moralisée et de la Vie
de saint Denis, celles du Psautier d'Ingeburge, femme de
Philippe Auguste (fig. 22) et du Psautier de Blanche de
Castille (mère de Saint Louis) appartenant au premier
quart du XIIIe siècle, ont été exécutées dans les
monastères, mais après la mort de Saint Louis, les moines
sont remplacés par les enlumineurs laïques qui impriment
à la miniature française un admirable développement
grâce au mécénat des princes bibliophiles de la Maison de
Valois : le roi Charles V, le duc Jean de Berry et les ducs de
Bourgogne, et cela à partir de la fin du XIVe siècle. Il est
bien évident que l'influence qu'avait subie l'enluminure
gothique au XIIIe siècle de la part du vitrail dans l'emploi
des couleurs et dans la composition en panneaux séparés,
comme d'ailleurs dans le dessin à trait épais (Psautier de
Saint Louis, Bréviaire de Philippe le Bel, chefs-d'oeuvre de
l'atelier parisien), diminue. L'enluminure devient plus libre,
plus variée et plus expressive, se dégageant des canons et
parvenant au sommet de son accomplissement avec les
miniatures de Jean Pucelle et de son atelier. Le raffinement
et l'élégance des formes, la douceur du modelé et le sens;
de la profondeur sont éclatants dans le charmant Bréviaire
de Belleville, où Léopold Delisle a déchiffré la signature du
maître. La même virtuosité est étalée par celui-ci dans la
Bible de Robert de Bylling. Un autre grand maître resté
anonyme et qu'on a baptisé provisoirement "le maître aux
baqueteaux" (d'après la forme arrondie de ses bouquets
30
d'arbres) a merveilleusement décoré la Bible de Jean de Sy,
commencee vers 1356 pour le roi Jean le Bon, ou, à côté
des miniatures en couleur, on trouve des grisailles (ou
"portraits d'encre). A la fin ta XIVe siècle donc,
l'enluminure n'était plus confinée dans des compositions
rigoureusement décoratives (dont le sévère encadrement
architectural rappelait l'ordonnance des verrières) et
hiératiques. Elle avait déjà rompu ces entraves. Les fonds
unis ou guilloches cèdent la place à des paysages; les
couleurs conventionnelles reculent devant des teintes plus
ou moins nuancés. La figure humaine, auparavant enserrée
et étouffée par le cadre architectural reprend toute son
importance et toute la liberté de mouvement. Ce regain de
plasticité et de vivacité expressive explique l'engouement
pour l'enluminure d'un Charles V, dont l'abondante
"librairie" installée dans une des tours du Louvre contenait
maints manuscrits inestimables; la "librairie" de son frère,
le duc de Berry était encore plus riche, et c'est pour lui
qu'André Beauneveu, peintre et sculpteur, enlumine un
Psautier, décoré de figures en grisaille des Prophètes, et
que Jacqemart de Hesdin exécute les Grandes Heures se
trouvant à la Bibliothèque Nationale. Mais le plus beau
spécimen de la fin du XIV siècle, "le chef-d'œuvre des
chefs-d'œuvre, le roi des manuscrits enluminés, est le
manuscrit des Très Riches Heures du Duc de Berry (fig.
23), joyau de la Bibliothèque du duc d'Aumale"1
actuellement au Musée Condé de Chantilly. Il est presque 1 RÉAU, Louis, op. cit;, p. 138.
31
impossible de dépeindre, de restituer en mots la finesse
prodigieuse du travail et la fraîcheur poétique des
compositions de ce livre d'Heures, enluminé par les trois
frères de Limbourg1. Il débute par un "calendrier"
justement célèbre, illustrant les travaux ou les plaisirs de
chaque mois : les Semailles, la Fenaison, etc. Ces
occupations des mois y sont représentées avec un
sentiment exquis de la nature sur des fonds d'architecture
où l'on reconnaît les châteaux de Charles V et du duc de
Berry : le Palais de la Cité, Vincennes, Poitiers, Lusignan,
Nehun-sur-Yèvre. Dans ces miniatures notamment, il faut
chercher les origines du paysage. En outre, on sent que les
Van Eyck ont passé par là, tellement elles ont introduit
dans la peinture une note nouvelle, une sève et un parfum
de jeunesse incomparables.
Vers le milieu du XVe siècle, la miniature prit encore
plus d' extension. Les productions du genre se chiffrent par
milliers. À cette époque brille la dernière école de
miniaturistes, l'école purement française de Tours, dont le
plus illustre représentant est Jean Fouquet. D'après le
témoignage d'un contemporain, on peut lui attribuer avec
certitude le livre des Antiquités Judaïques se trouvant
actuellement à la Bibliothèque Nationale. Par analogie
avec les enluminures de cet ouvrage, on lui attribue
1 Il convient de noter que si plusieurs miniaturistes étaient flamands, la plupart étaient des Français du nord; parmi ceux que Philippe le Bon avait employés, par exemple, il y avait Jean de Pestivien, Jean le Tavarnier, Loyset Lyédet, Simon Marmier et Philippe de Mazerolles. De leurs mains sont sorties les (Grandes Chroniques de France, l'Histoire de Charles Martel, les Chroniques et Conquêtes de Charlemagne et la Chronique de Froissart.
32
également le Livre d'Heures d'Etienne Chevalier (fig. 24),
acquis par le duc d'Aumale, et conservé au Musée Condé
de Chantilly, les frontispices du Boccace de Munich et les
Statuts de l'Ordre de Saint-Michel. Jean Fouquet a
adroitement assimilé aussi bien la tradition franco-
allemande des frères de Limbourg que les éléments de
décor italien, et les a intégrés dans un style incomparable,
excellant par la science de la composition, la perspective
linéaire et aérienne, par l'art de faire mouvoir les foules et
par le charme et l'harmonie du coloris de ses paysages du
Val-de-Loire, qui semblait lui avoir été si familier. Jean
Fouquet s'avère être sans rival dans sa génération et sa
supériorité éclate si l'on compare ses miniatures à celles
un peu douceâtres des Grandes Heures de la reine Anne de
Bretagne, de Jean Bourdichon qui y a représenté avec la
conscience d'un botaniste toute la flore des bois, des
champs et des jardins de la Touraine, donnant aux marges
de son Livre d'Heures l'apparence d'un herbier. Ajoutons à
ces deux noms des maîtres anonymes qui mériteraient une
place de premier rang; c'est le cas de l'auteur des
enluminures des Heures de Rohan - un visionnaire
macabre et parfois génial - ou bien celui de l'artiste qui
enlumina l'élucubration romanesque du bon roi René : Le
Livre du Coeur d'amour épris – 1457 (fig. 25), et qui se fait
remarquer par les scènes pleines d'imprévu et de
contrastes piquants (révélant l'originalité de la
conception), par la douceur du coloris et l'entente du clair-
33
obscur, dévoilant un sentiment exquis de la nature
(fraîcheur de l'aube et de la rosée).
La peinture française de chevalet, elle aussi, était là
depuis longtemps. Contrairement à un préjugé naguère
assez obstiné qui allait jusqu'à nier l'existence même des
Primitifs français (non seulement leur valeur), un pays
comme la France, qui tenait au XIV siècle le premier rang
dans tous les arts : architecture, sculpture, vitrail,
tapisserie, miniature, ne pouvait pas se montrer tout à fait
stérile dans le domaine de la peinture de chevalet ( on
pourrait l'appeler aussi pour cette époque-là, la peinture
sur panneau). Bien qu'il soit évident que la supériorité de
l'École des Pays-Bas dans la peinture à l'huile sur panneau
est aussi indéniable que celle de l'Italie dans la peinture à
fresque, ce serait une erreur choquante de faire
commencer l'histoire de la peinture française a Vouet ou à
Poussin (donc au XVIIe siècle), et de refuser tout intérêt
aux peintres qui ont animés tant de centres artistiques
comme l'École de Paris, l'École d'Avignon, l'École de Dijon
et l'École de Tours, prolongeant leur réputation jusqu'au
XVIe siècle. Il faudrait ajouter que nulle part ailleurs les
productions de la peinture, depuis les fresques
monumentales jusqu'aux tableaux de chevalet, n'ont été
aussi maltraitées qu'en France. Que le pays comptait au
XIVe siècle des peintres nombreux, que bon nombre de ces
peintres fussent célèbres, que des compositions
considérables prissent naissance, nous le savions
34
surabondamment par les documents écrits; mais la fatalité
historique qui s'est attachée aux œuvres mêmes, nous
permet à peine de deviner quelle était la valeur de ces
productions.
De toute façon, la découverte ou plutôt la révélation
qu'on a eue, de la peinture française médiévale, ne date
que du début du XXe siècle. "Il a fallu attendre l'Exposition
des Primitifs français organisée à Paris en 1904 pour
s'apercevoir que la France avait eu des peintres avant
l'arrivée du Primatice à Fontainebleau ou le retour de
Rome de Simon Vouet"1. En témoigne ce qu'on pourrait
appeler "les incunables"2 de la peinture française sur
panneau dont le plus ancien, paradoxalement, n'est pas un
tableau à sujet religieux, mais un portrait d'un réalisme
impitoyable - le profil sur fond d'or du roi Jean le Bon.
"C'est un panneau de bois recouvert de plâtre et de toile
avec fond guilloché d'or - technique qui, à travers les
siècles, est restée encore celle des peintres russes
d'icônes"3 (fig. 26). Peint vers 1360 semble-t-il, pendant la
captivité du roi à Londres, après la débâcle de Poitiers, ce
portrait exécuté probablement par Girard d'Orléans,
peintre favori de Jean le Bon, qui avait accompagné son
maître en Angleterre, faisait partie d'un quadriptyque
"cloant". Réalisé à la détrempe, de profil, le visage du
vaincu de Poitiers n'a rien d'un portrait flatté, bien au
1 RÉAU, Louis, Histoire universelle des arts, p. 222.2 Du latin incunabula, pluriel neutre de incunabulum, qui signifie berceau, commencement.3 XXX, Beaux-Arts des origines à 1800, Eds. Chartés, Paris, n° 10, 1953.
35
contraire, et il surprend par la netteté de l'expression
individuelle.
Le second monument de la peinture française sur
panneau, tout aussi représentatif pour l'École de Paris que
le portrait du roi Jean le Bon, est le Parement de Narbonne
(fig. 27), un parement d'autel peint vers 1375 et offert par
Charles V à la cathédrale de Narbonne afin de servir
pendant le Carême. Ce n'est pas à vrai dire une peinture
sur bois, mais une grisaille sur soie ou samit"1. S'
encadrant dans l'ensemble des ornements de deuil
spécifiques de la Carême, le dessin n'est pas colorié mais
tracé au pinceau avec de l'encre, tout juste comme les
grisailles des miniaturistes. La composition en est
complexe; on remarque les effigies très réalistes du roi
Charles V et de sa femme Jeanne de Bourbon, agenouillés
de chaque côté du Christ en croix. Quant à l'élégance un
peu sèche du dessin, et à la gracilité des formes, elles font
penser à André Beauneveu de Valenciennes, à la fois
peintre et sculpteur, que Froissart célèbre dans sa
chronique comme le plus grand artiste de cette époque :
"Dessus ce maistre Andrieu, n'avait pour lors meilleur ne le
pareil en nulles terres"2.
Outre cet antependium, on a attribué à André
Beauneveu le Diptyque Wilton (fig. 28) acquis en 1929
par la Galerie Nationale de Londres - National Gallery.
Appelé ainsi parce qu'il fut longtemps conservé - et il s'agit
1 La citation de Froissart figure dans Réau, Louis, Histoire universelle des arts, p. 242.2 Ibidem
36
d'une conservation exceptionnelle - au château de Wilton
dans la famille des comtes de Pembroke. L'attribution de la
paternité de cet admirable diptyque à Beauneveu a
d'autant plus de vraisemblance que, selon le témoignage
du même Froissart, plusieurs de ses "bons ouvrages étaient
passés au royaume d'Angleterre". Ce diptyque commémore
l'avènement du roi d'Angleterre, Richard Il, assisté
symboliquement par saint Jean-Baptiste et deux de ses
ancêtres canonisés : saint Edmond et saint Edouard le
Confesseur, qui le présentent à la Vierge entourée de
douze anges (symbolisant l'âge du roi) et qui portent brodé
sur leur épaule un cerf blanc, emblème du jeune roi. Le
style, tout à fait analogue à celui des miniaturistes
parisiens, a la même élégance et le même coloris limpide
que le Psautier du duc de Berry, enluminé par le même
André Beauneveu.
Après Paris, Avignon est le centre artistique le plus
important du XIVe siècle, mais la Cité des Papes cultive à
cette époque-là, sous l'influence italienne, les peintures
murales. C' est au siècle suivant que s' épanouira en
Provence une école de peinture presque exclusivement
française.
Quant à la Bourgogne, elle était devenue sous les
premiers ducs un centre artistique de premier ordre,
comparable - grâce à son école de Dijon - à Paris et à la
Provence, avec ce distinguo que les princes successeurs,
Philippe le Bon et Charles le Téméraire s'avéreront plus
37
flamands que bourguignons. En effet, la plupart des
peintres qui travaillent pour la Chartreuse de Champmol-
lès-Dijon viennent des Flandres. En 1385, Philippe le Hardi
fit venir à Dijon Melchior Broederlam d'Ypres. Celui-ci
peignit les volets latéraux du retable de cette chartreuse
de Champmol, ayant pour sujets la Présentation au Temple
et la Fuite en Egypte (entre 1394 et 1399). L'éclectisme
des influences qu'on y décèle l'inscrit dans ce qu'on
pourrait appeler le courant du "gothique international" :
recherches spatiales d'origine italienne, raffinement et
élégance graphique hérités des miniaturistes parisiens,
mais aussi le souci d'un modèle plus réaliste, le goût des
détails pittoresques et familiers, l'attention portée au
paysage - autant de traits définissant une école
bourguignonne, marquée par la prédominance de
l'influence nordique. Ce retable de Broederlam, qui se
trouve actuellement au Musée de Dijon, annonce le grand
polyptique de l'Agneau mystique de van Eyck.
Devenu en 1397 le peintre du duc de Bourgogne, le
flamand Jean Malouel de Gueldre reçut en 1398 la
commande de cinq tableaux d'autel pour la même
chartreuse de Champmol ; on lui attribue la Pietà Ronde
(datée vers 1400) où le choix du coloris (fig. 29), la
précision du dessin et le traitement réaliste du corps du
Christ dont le rendu du modelé est caractéristique pour les
artistes flamands. Son graphisme comme celui de
Broederlam avait déjà assimilé le raffinement portant la
38
marque de la miniature parisienne. Jean Malouel
commença probablement la Dernière communion de saint
Denis qui représente le martyre du saint; le tableau était
destiné également à la chartreuse de Champmol,
actuellement on peut l'admirer au Louvre. On voit à gauche
le Christ tendant une hostie à saint Denis dont la tête
mitrée apparaît derrière les barreaux de Sa prison; à droite
il y a le saint à genoux, les yeux bandés, et à côté le
bourreau qui s'apprête à décapiter. Le Christ en croix
sépare tout on les dominant les scènes jumelées de la
Dernière communion et de la Décollation. Ce tableau fut
terminé par André Bellechose de Brabant, le troisième
flamand qui, succédant à Malouel, exécuta (comme peintre
de Jean sans Peur) des peintures pour les résidences du
duc de Bourgogne et pour la Chartreuse de Champmol.
Son œuvre, de même que celle de son prédécesseur est
révélatrice de la tendance franco-flamande du "gothique
international", à la fin du XIVe et au début du XVe siècle :
la même conception narrative médiévale, la marque de l'art
italien (paysage, fond d'or), influence des miniaturistes
parisiens (gestes élégants, coloris limpide) auxquelles
s'ajoute une recherche constante de réalisme dans
l'expression et dans le modelé qui apparaît comme un
apport d'origine flamande.
Au XVe siècle l'importance des ateliers parisiens
commence a décliner. En revanche, une grande activité
continue de se développer dans les provinces moins
39
éprouvées par la Guerre de Cent ans que l'Île-de-France,
les trois foyers principaux étant l'École bourguignonne de
Dijon, l'École franco-flamande de la France du Nord,
l'École de Provence, auxquelles vient se rattacher, en
quatrième lieu - pendant la seconde moitié du siècle -
l'École de la Loire.
Nous avons déjà remarqué que les ducs de Bourgogne
avaient engagé à leur service, pour la décoration de la
Chartreuse de Champmol, des peintres qui venaient des
Pays-Bas. Toutefois il est permis d'"annexer" Melchior
Broederlam d'Ypres et le Gueldrois Jean Malouel
(Maelweel) à l'histoire de la peinture française du Moyen
Âge, non seulement parce qu'ils ont travaillé pour la Cour
de Dijon, en y épanouissant leur génie créateur, mais aussi
parce qu'ils ont assimilé l'esthétique des miniatures des
miniaturistes parisiens. Ce fut seulement après la mort de
Jean sans Peur, en 1419, que l'École flamande proprement
dite s'est nettement séparée de l'école française.
L'École de peinture bourguignonne a rayonné aussi
loin que l'art gothique en général. En 1418, lorsque le
magistrat de Bâle voulut faire décorer une chapelle, il
invita le peintre Hans Tieffental de Selestat à prendre
modèle sur "la Chartreuse de Dijon en Bourgogne". En
1473, le peintre bourguignon Pierre Spicne est appelé à
Lausanne pour exécuter le retable de la cathédrale.
On peut rattacher à cette école dijonnaise les ateliers
très actifs de la France du Nord avec lesquels elle a eu des
40
liens artistiques très étroits. C'est à l'École de Picardie
dont le centre était à Amiens qu'appartiennent les
panneaux du retable de la Chartreuse de Saint-Honoré à
Thuison-lès-Abbeville, qui font partie de la collection
Ryerson au Musée de Chicago. Les volets peints sur les
deux faces illustrent d'un côté des scènes de la vie du
Christ, de l'autre des saints de l'ordre des Chartreux : saint
Fugues de Lincoln avec le cygne qui lui sert d'attribut, et
saint Honoré d'Amiens. C'est toujours à la peinture
amiénoise qu'appartient le Sacerdoce de la Vierge (fig. 30),
daté 1437 et acquis dans les années '30 par le Louvre.
Quant à la Flandre française, dont les foyers artistiques
étaient Douai et Valenciennes, ses deux "primitifs" les plus
célèbres sont Simon Marmion (de Valenciennes) et Jean
Bellegambe (de Douai).
Marmion est considéré l'auteur présumé du retable de
saint Bertin, donné vers 1455 à l'abbaye de ce nom, à
Saint-Omer, par l'abbé Guillaume Filastre qui l'avait
commandé. Ce retable était composé de petits panneaux
formant un cycle hagiographique et constituant le pendant
français de la chasse de sainte Ursule décorée par
Memline. La plupart de ces petits panneaux, dont les
scènes étaient traitées avec l'application d'un excellent
miniaturiste, ont été acquis par le Musée de Berlin. Jean
Bellegambe a travaillé surtout pour la puissante abbaye de
Saint-Sauveur d'Anchin et c'est de la que proviennent ses
deux ouvrages les plus connus : le polyptyque de la Sainte
41
Trinité (actuellement au Musée de Douai) et le triptyque du
Saint Sang (fig. 31, Musée de Lille) - qui est une
paraphrase du Pressoir mystique. Né vers 1480, Jean
Bellegambe représente une génération postérieure à celle
à laquelle appartenait Simon Marmion. Il subit déjà,
superficiellement, l'influence de la Renaissance italienne.
Ses contemporains le. célébraient comme le "maître des
couleurs"; en effet, son coloris est chaud, doré, mais ses
figures allongées, d'une élégance conventionnelle,
semblent manquer d'accent. Il peignit aussi pour les
abbayes de Flines et de Marchiennes.
A la première moitié du XVe siècle, l'empreinte
flamande est presque aussi marquée en Provence qu'en
Bourgogne et dans la France du Nord, bien que le Midi ait
jadis passé pour une dépendance de l'École siennoise. La
réalité est même beaucoup plus complexe. Les maîtres
qu'on groupe sous le nom d'École d'Avignon (mais la Cité
des Papes n'a pas été le seul centre artistique de cette
région où il faut tenir compte aussi de Nice et d'Aix)
venaient de partout. Il y avait parmi eux des Français du
Midi comme Nicolas Froment d'Uzès, des Français du
Nord comme Enguerrand Charonton de Laon, mais aussi
des Flamands et des Catalans. Ce qui pourrait frapper c'est
que l'influence italienne (introduite à Avignon au XIV
siècle par Simone Martini et Matteo di Giovannetti) se soit,
dans leur manière de peindre, tellement affaiblie.
42
Il est dommage cependant que les deux œuvres les
plus remarquables de la première moitié du XVe siècle, qui
comptent parmi les plus brillantes réalisations de la
peinture française de tout le Moyen Âge, soient restées
anonymes. Ce sont la Pitié de Villeneuve-lès-Avignon
("émigrée" au Musée du Louvre) et le Triptyque de
l'Annonciation (fig. 32 et 33), dont le panneau central est
resté à l'église de la Madeleine d'Aix. On ne se lasse pas
de discuter sur la datation de la Pitié de Villeneuve. Son
fond d'or gaufré est archaïque et rend la date de 1430 la
plus probable. De même, il est difficile de soutenir qu'une
telle œuvre soit postérieure au retable de l'Agneau de Jan
van Eyck. L'admirable manière de peindre la personne du
donateur en surplis blanc agenouillé à gauche de la Vierge
douloureuse tenant sur ses genoux le corps raide du Christ
peut faire penser à l'image du chanoine Van der Pael du
Musée de Bruges, mais sans doute celle-ci est antérieure à
celle-là. Des discussions se sont aussi engagées sur le
maître de l'Annonciation d'Aix, sans apporter pour autant
beaucoup plus de lumière. On a déterminé quand même la
date exacte de ce triptyque (aujourd'hui dépecé, ses volets
étant partagés entre la Collection Cook à Richmond et le
Musée de Bruxelles). Il a dû être exécuté en 1443 pour être
placé au-dessus de la sépulture du drapier Pierre Corpici
dans l'église Saint-Sauveur. On a signalé ses multiples
affinités avec le Maître de Mérode, avec Jan van Eyck,
Sluter et Conrad Witz, voire avec Colantonio qui avait
43
introduit la manière flamande à Naples. A partir de la
seconde moitié du Ve siècle, les historiens de l'art
commencent à marcher sur un terrain plus solide, vu que
des documents précis nous permettent d'identifier les
œuvres de deux maîtres remarquables : Enguerrand
Charonton et Nicolas Froment.
Le premier, originaire du diocèse de Laon, travailla à
Aix-en-Provence vers 1444 et se fixa en Avignon en
1447.Deux des œuvres qui lui sont attribuées : La Vierge
de miséricorde et Le couronnement de la Vierge
contribuent à la définition du style provençal. Chez
Enguerrand Charonton, la vigueur des formes, le
traitement plastique de certaines physionomies inspirées
de l'art flamand et l'élégance stylisation du dessin sont
subordonnés à une vision d'ensemble monumentale. Sa
composition est complexe mais clairement ordonnée, et
dénote l'adaptation picturale à l'architectonique des
tympans français. Dans le paysage de la prédelle, l'emploi
de la perspective atteste l'influence italienne, pendant que
le caractère de la lumière, qui parvient à découper avec
franchise les volumes, apparaît comme typiquement
provençal. Les deux tableaux de Charonton (son non
patronymique présente encore trois autres variantes :
Quarton, Charton et Charreton) furent exactement datés :
La Vierge de miséricorde fut commandée en 1452 par
Pierre Cadart pour les Célestins d'Avignon et peut être
admirée à présent au Musée Condé à Chantilly; Le
44
couronnement de la Vierge fut peint en 1454 pour les
Chartreux de Villeneuve-lès-Avignon et se trouve au Musée
de l'Hospice.
De Nicolas Froment, on n'hérite également que de
deux triptyques dont l'authenticité soit certaine : La
Résurrection de Lazare et Le Buisson ardent. C'est en
Italie où il séjourna vers 1461 qu'il exécuta le retable de La
Résurrection de Lazare pour les Observantins de Muggello.
Le dessin en est sec et anguleux; la dureté des formes, leur
caractère tourmenté portent l'empreinte de l'art flamand.
Il est surprenant que le séjour du peintre à Florence ait
laissé Si peu de traces dans cette œuvre. Quant au Buisson
ardent (fig. 34), commandé en 1475 par le roi René pour
l'église des Carmes d'Aix, on remarque un progrès sensible
au point de vue de la composition et de l'entente du
paysage; cependant, là encore, Nicolas Froment tient
beaucoup plus de Jan van Eyck et Jean Fouquet que de
Botticelli (la minutie de la description est d'inspiration
flamande, les emprunts florentins se résumant aux
lointains du paysage). Le sujet véritable du tableau est
plutôt L'Annonciation à Joachim parce que le panneau
central du triptyque représente non la vision de Moïse,
comme on le dit généralement, mais Joachim retiré au
milieu de ses troupeaux, après le refus ignominieux de son
offrande au Temple. Un ange lui annonce que sa femme
Anne, jusqu'alors stérile, enfantera une fille conçue sans
péché d'où naîtra le fils de Dieu (le sujet est puisé dans
45
l'évangile apocryphe de Saint Jacques et illustre le dogme
de l'Immaculée Conception). Le message de l'ange se
matérialise dans le haut du panneau central par
l'apparition de la Vierge tenant dans ses bras l'Enfant Jésus
sur le buisson ardent et pourtant incombustible, symbole
de la pureté de Marie qui avait reçu la flamme divine de sa
maternité virginale, selon les conventions, le beau paysage
sur lequel se détache cette vision mystique est encadré par
les portraits réalistes des donateurs le roi René présenté
par sainte Madeleine, patronne de la Provence, et Jeanne
de Laval - la reine, à la physionomie peinte avec le même
réalisme, sans ménagements; celle-ci est recommandée par
saint Jean l'Évangéliste1.
On attribue encore à Nicolas Froment, le plus grand
nom de cette École d'Avignon, un diptyque avec les
portraits du roi René et de sa femme - réplique en petit des
portraits du triptyque d'Aix, et un retable de la Légende
de saint Mitre représenté, comme saint Denis en
céphalophore.
Actuellement, La résurrection de Lazare, se trouve
au Musée des Offices de Florence, le triptyque du Buisson
ardent à la Cathédrale Saint-Sauveur d'Aix tout comme La
Légende de saint Mitre. Ce sont, avec les deux tableaux
d'Enguerrand Charonton, les œuvres capitales de la
peinture provençale du XV siècle. D'autres retables
valeureux de cette époque peuvent être parallèlement 1 Une autre interprétation considère que sur les volets le roi René est présenté par Saint Maurice, patron de la cathédrale d'Angers, saint Antoine et sainte Madeleine, tandis que sa femme est patronnée par saint Jean-Baptiste, saint Nicolas et sainte Catherine.
46
localisés à Paris avec une entière certitude, l'École
parisienne continuant de s'avérer productive. Le Retable
du Parlement de Paris, peint vers 1460, à la fin du règne
de Charles VII est du nombre. De chaque côté du Christ
crucifié sont rangés les saints protecteurs de Paris et du
royaume de France : saint Denis décapité portant sa tête
("céphalophore"); saint Charlemagne coiffé d'un bonnet
pointu qui lui donne l'air d'un vieil enchanteur; saint Louis
en manteau fleurdelisé (symbole de la royauté française)
qui, toujours selon l'usage, est représenté sous les traits
physionomiques du roi régnant Charles VII. Ce qui est
encore plus caractéristique c'est que le fond de décor
propose des vues du vénérable Paris médiéval : derrière
Charlemagne, on découvre la Palais de la Cité et derrière
saint 'Jouis, on reconnaît la Tour de Nesle. Cela prouve que
ce retable a été peint à Paris. Une conclusion similaire a
été tirée pour un triptyque certainement commandé par le
même roi de France pour l'abbaye de Saint-Denis,
représentant, au centre, des scènes de la légende de saint
Denis et ayant pour compléments, sur les volets, les
légendes de saint Remi et de saint Gilles1. Le décor de
toutes ces scènes atteste que le Maître de Saint Gilles
(probablement formé dans les Pays-Bas) était familier avec
les monuments de Paris, étant donné que saint Remi bénit
le peuple sur le parvis de Notre-Dame et qutil baptise
1 Saint Rémi a baptisé le roi des Francs, Clovis, dans la basilique de Reims. Saint Gilles est également associé à la monarchie française pour laquelle il avait célébré la messe en présence de Charles Martel (ou de Charlemagne) qui n'osait lui confesser un péché avouable.
47
Clovis à l'entrée de la Sainte-Chapelle; quant à saint Gilles,
celui-ci célèbre la messe devant le retable crucifère en or
de Saint-Denis.
La dernière en date des Écoles de Primitifs français est
l'École de Tours1, appellation à laquelle certains critiques
d'art préfèrent celle d'École de Touraine car, si Fouquet et
Bourdichon ont vécu a Tours, le Maître de Moulins a
travaillé dans le Bourbonnais.
On suppose que Jean Fouquet (son nom patronymique
connaît aussi la variante orthographique Foucquet), né
vers 1420 à Tours, s'est formé dans les ateliers des
Limbourg. C'est dommage que nous ne puissions juger
maintenant du talent de ce grand maître que par quelques
portraits. Il a exécuté le Portrait de Charles VII (fig. 35)
avant de se rendre en Italie (vers 1445-1448). Tout jeune
encore et déjà célèbre, il a été chargé, a Rome, de peindre
le portrait (perdu) du pape Eugène IV. Lors de son séjour
en Italie, il assimile les découvertes d'Alberti sur la
perspective se lie avec Filareti et adopte les modèles
d'architecture et les motifs ornementaux italiens. Revenu à
Tours, Fouquet travaillera pour Charles VII et pour Etienne
Chevalier, puis devint le peintre officiel de Louis XI (à
partir de 1454). Parmi ses peintures qui ont été
conservées, on compte le portrait de Jurenal des Ursins et
le diptyque dit de Melum représentant Etienne Chevalier
assisté par saint Etienne et, au centre, La Vierge à
1 Elle précède de peu l'École de Fontainebleau, qui consacrera le triomphe, en France, de la Renaissance italienne.
48
l'Enfant (fig. 36), une Vierge au sein nu, figurée sans
doute sous les traits d'Agnès Sorel, la favorite de Charles
Vile L'acuité psychologique, l'attention portée au réel, la
subordination des détails à l'effet d'ensemble, le sens de
l'organisation des masses, le caractère sculptural des
formes aux volumes lisses et arrondis, tous ces traits
stylistiques s'allient dans l'expression au sentiment
religieux. Fouquet fut aussi un peintre sur émail
(Autoportrait) et, comme nous l'avons déjà remarqué, un
exceptionnel miniaturiste ; la variété de ses recherches
techniques, l'ampleur de sa vision picturale et le caractère
synthétique de celle-ci en font le plus important peintre
français du XVe siècle.
Connu lui aussi comme un grand miniaturiste, Jean
Bourdichon fut en faveur auprès de Louis XI et puis de
Charles VIII dont il devint le peintre attitré en 1484. On lui
attribue le triptyque de l'église Saint-Antoine de Loches
( provenant de la Chartreuse du Liget), une Adoration des
Mages et un second triptyque (au Musée de Naples)
représentant la Vierge entre les deux saint Jean. Dans le
domaine du portrait, on lui doit la délicieuse physionomie
du dauphin Charles-Orland, fils aîné de Charles VIII
(Collection Beistegui), et celles aussi de louis XII, d'Anne
de Bretagne et de saint François de Paule. Jean Bourdichon
cherchait surtout à rendre la grâce des gestes et des
visages. En outre, il exécuta de multiples travaux de
décoration. Il n'est pas dépourvu d'intérêt de rappeler qu'il
49
fut chargé par François Ier de la décoration du Camp du
Drap d'Or, en 1520. On voit aussi que son activité
artistique dépasse les frontières sa du XVe siècle, s'ouvrant
vers les perspectives de la Renaissance française.
Mais le plus remarquable des peintres de l'École de
Touraine après Jean Fouquet, est cet artiste qu'on a baptisé
Maître de Moulins (d'après son chef-d'œuvre qui est le
triptyque de la cathédrale de Moulins) et qui peut être
identifié avec une quasi-certitude avec Jean Perréal1. A
estimer l'âge apparent des donateurs, ce grand triptyque
se placerait vers 1498. Oeuvre capitale du "Quattrocento"2
français, il représente au centre la Vierge couronnée par
les anges ; sur les volets il y a Pierre de Bourbon et sa
femme Anne de Beaujeu (fig. 37), présentés par saint
Pierre et sainte Anne. L'attention portée au détail, les
particularités du dessin trahissent une formation flamande;
d'autre part, la composition ample, clairement ordonnée,
inspirée d'ailleurs de la tradition sculpturale médiévale, la
plasticité des formes apparentées à Fouquet, l'expression
retenue et gracieuse, somme toute - son iconographie -
constituent un ensemble de caractères typiquement
français. Il s'agit là, donc, d'une des œuvres maîtresses de
la peinture française avant l'irruption de l'italianisme.
"C'est sur ce chef-d'œuvre que s'achève l'histoire de la
1 Ce peintre a été tour à tour identifié à Jean Perréal, Jean Bourdichon, Jean Hey, Jean Prévost, à un élève de Van der Weyden.2 On a regroupé autour de cette œuvre plusieurs tableaux qui lui sont apparentés par le style, notamment la Nativité (fig. 38) dite du Cardinal de Rolin (vers 1480-1483), les Portraits de Pierre de Bourbon et Anne de France (vers 1492) et Une jeune prieuse (probablement Marguerite d'Autriche.
50
peinture française du Moyen Âge, qui va subir, à partir de
l'expédition de Charles VIII à Naples, l'assaut de la
Renaissance italienne que le roi ramena dans ses
fourgons"1.
Ces progrès artistiques enregistrés par le Moyen Âge
démontrent la vitalité intarissable de l'art gothique durant
quatre siècles. Ils ont eu une incidence féconde sur
l'évolution des industries qui ont changé, en les
embellissant, les conditions matérielles de la vie. On ne
possède malheureusement, il est vrai, qu'un très petit
nombre d'orfèvrerie et d'étoffes du XIIe et du XIIIe siècles;
peu d'objets en métal précieux ont échappé à la fonte.
Mais, quoique le patrimoine artistique légué par cette
époque ait été dilapidé, les anciens inventaires,
l'iconographie des manuscrits, les recueils de recettes
techniques tels que la Schedula de Théophile, et d'autres
"épaves" font cependant assez bien connaître le style et les
modes de fabrication de la plupart des objets dont se
servaient les Français du Moyen Âge, leur costume, leur
mobilier, leurs armes, leurs bijoux, relevant de ce qu'on
pourrait appeler, par une formule générique, les "arts
mineurs".
Parmi les industries d'art, l'une des plus florissante
était l'émaillerie, qui fut pratiquée de très bonne heure
dans la ville de Limoges et dans les vallées de la Meuse et
du Rhin. Les émaux limousins, champlevés ou en taille
1 RÉAU, Louis, op. cit., p. 253.
51
d'épargne, (fig. 39) jouissaient dès le XIIe siècle d'une
réputation européenne.
L'émail de Geoffroi Plantagenet (au Musée du Mans)
et le ciboire d'Algais (au Louvre) sont deux chefs-d'œuvre
célèbres. Les ateliers limousins ont atteint au XIIIe siècle
l'apogée de la prospérité. La tapisserie de haute lice était
déjà connue depuis longtemps au XII siècle (tapisseries du
dôme d'Halberstadt); et nous savons que Limoges et
Poitiers tissaient dès cette époque des tentures
décoratives. Au XIII e siècle, Paris et Arras avaient déjà des
fabriques renommées, mais il ne paraît pas que l'on ait
conservé aucun échantillon de leur produit. L'industrie du
tissage de la soie et de la laine ne semble pas avoir été
pratiquée en Occident, sur une grande échelle, et les
étoffes précieuses (samit, cendal, camelot) venaient en
France de Sicile ou d'Asie Mineure. Quant aux étoffes
communes, la fabrique locale suffisait largement à la
consommation.
"Au XIIe siècle, dit Quicherat, d'énormes quantités de
draps se fabriquaient en Flandre, en Picardie, en
Champagne, en Languedoc. Presque toute la population
des grandes villes, dans ces provinces, y mettaient la main.
Chacune avait son espèce particulière qu'on reconnaissait
au tissu et à la teinture"1. Par conséquent, il n'était pas
surprenant que la France fût célèbre en Europe pour ses
tissus rayés. Les arts du bois : charpenterie, hucherie,
menuiserie ont atteint au Moyen Âge un degré de
52
perfection unique. Au XIIe et au XIIIe siècles, les meubles
étaient faits en menuiserie plate, revêtue d'applications de
cuir, de toiles peintes ou de ferronneries décoratives. Tels
sont les bahuts du XIIIe siècle que l'on conserve au Musée
Carnavalet à Paris et à la cathédrale de Noyon; ajoutons-y
les armoires de Noyon, d'Obazine et de Bayeux. Vers la fin
du règne de saint Louis, la mode s'introduisit d' enrichir les
panneaux de bas-reliefs sculptés en plein bois (comme, par
exemple, le bahut du Musée de Cluny). Mais c'est dans
l'ornementation des stalles du chœur que triomphait l'art
des huchiers; les plus anciennes stalles en bois ouvré se
voient aujourd'hui encore à Notre-Dame de la Roche (en
Seine-et-Oise), à la cathédrale de Poitiers et Saint-Andoche
de Saulieu.
Les "fèvres"1 ou forgerons, qui travaillaient les métaux
au marteau, savaient les assouplir de manière à créer ces
pentures, en forme de feuillages ou de rinceaux
symétriques que les plus habiles praticiens d'aujourd'hui
admirent aux vantaux des portes de Notre-Dame de Paris
(fig. 40). Une comparaison du style de ces peintures avec
celui des ferronneries du bahut précité de Carnavalet (qui
provient, dit-on, de l'abbaye de Saint-Denis) prouve, sur le
plan créateur de l'inspiration de ces artisans d'élite, dans
le détail.
Grâce au penchant pour le faste, la magnifique et la
somptuosité, dont témoignaient non seulement les rois et
les seigneurs, mais aussi les grands bourgeois et les 1 C'est-à-dire artisan: "fèvre" dérive du lat. "faber", artisan travaillant les métaux, ouvrier.
53
chanoines, l'orfèvrerie se développe et devient vite
florissante. Les orfèvres, d'après la Schedula de 'Théophile,
savaient merveilleusement graver les métaux précieux au
burin et à la peinte; ils exécutaient au repoussé des bas-
reliefs et des figures et terminaient leurs ouvrages par la
ciselure, tout en les ornant de nielles. Ils fondaient aussi, a
cire perdue, de très grandes pièces comme l'oeuvre
capitale de la plastique en bronze - la tombe de l'évêque
Evrard de Fouilloi, exécutée en 1223, dans la cathédrale
d'Amiens. De tous les trésors créés par ces orfèvres, qu'il
s'agisse du trésor de Charles V (dont l'inventaire compre-
nait près de quatre mille numéros, ou de celui de son frère,
le duc d'Anjou, qui en comptait huit cent), qu'il s'agisse
aussi des trésors des cathédrales ou de ceux des églises de
pèlerinage, il n'en reste plus de nos jours qu'un infime
partie. N'oublions pas que "ces objets d'or et d'argent
enrichis de perles et de pierres précieuses n 'étaient pas
considérés seulement pour leur valeur d'art; ils étaient, au
vrai, une réserve de numéraire où l'on puisait lorsque
besoin était; beaucoup d'entre eux furent fondus au
moment des guerres dé religion"1.
Sans conteste, le centre principal de fabrication était
encore Paris. Au XIIIe siècle et au début du IVe, c'est
l'architecture qui impose ses formes à l'orfèvrerie (tout
comme dans le vitrail et dans la miniature); en témoignent
les ciboires de Sens et de Saint-Rémi de Reims et les
reliquaires de la Sainte-Épine d'Arras et de Saint-Maurice 1 AUBERT, Marcel, Le Gothique à son apogée, Eds. Albin Michel, Paris, 1964, p. 122.
54
d'Agaure. L'architecture fournit également des modèles
strictement imités : bon nombre de châsses (comme celles
de saint Tourin d'Evreux et de Sainte Gertrude de Nivelle)
reproduisent des chapelles avec leurs voûtes d'ogives et
leurs arcs-boutants. Plus on avance dans le XIVe siècle,
plus l'orfèvrerie s'inspire de la sculpture monumentale,
surtout si l'on prend en considération les bustes-reliquaires
(tels celui de saint Louis, jadis à la Sainte-Chapelle, ou
celui de saint Martin à Soudeilles, ou bien encore celui de
saint Agapit à Touriac. Notons aussi les belles statues de la
Vierge, des saints et des anges. Parmi les réalisations les
plus brillantes des orfèvres médiévaux, on peut rappeler
les anges agenouillés de Jaucourt et notamment cette
Vierge (aujourd'hui au Louvre) que donna en 1339 à Saint-
Denis. Jeanne d'Evreux, reine de France (de 1324 à 1328,
morte en 1371>, toujours prête à encourager les artistes.
La statuette d'orfèvrerie et émail, d'une hauteur de 40 cm.
environ est fixée sur un socle en forme de châsse, ayant
une articulation architecturale et de petits contreforts
figurent des statuettes miniaturisées. Celles-ci "encadrent
quatorze plaquettes de vermeil et d'émail représentant des
scènes de la vie et de la Passion du Christ; c'est le plus
ancien objet en émail de l'école parisienne d'orfèvrerie. La
Vierge elle-même est un anaglyphe en vermeil. L'œuvre est
parente, par le style, de la Vierge de l'entrée du chœur de
Notre-Dame de Paris..."1.A' la longue, petit à petit, dans
l'orfèvrerie on constate que les formes architectoniques 1 Ibidem.
55
(imitation d'édifices, surtout religieux) et sculpturales
cèdent de plus en plus la place, au XVe siècle, à des formes
inspirées du règne animal; de même que dans la
dinanderie de l'époque, on y trouve en foule des vases
ayant l'aspect de quadrupèdes de bipèdes; la manière et
les intentions sont souvent caricaturales, satiriques, la
ferveur religieuse étant en baisse. On énumère ainsi : "un
singe coiffé d'une mitre d'évêque et donnant la
bénédiction; une dame qui a la moitié du corps de femme
et l'autre partie de bête sauvage; un coq; un lion; un
griffon, un homme séant sur un entablement doré et ciselé;
un serpent volant"1, etc., etc.
Branche accessoire de l'orfèvrerie, la dinanderie prit
un essor tout particulier dans la vallée de la Meuse. Le plus
connu des ateliers qui fabriquèrent du XIIIe au XIVe siècle,
en production quasi industrielle, quantité d'objets en
dinanderie, fonts baptismaux, lutrins, chandeliers,
colonnettes, aiguières, aquamaniles, se trouvait à Namur
et était patronné par Hugues d'Oignies.
L'ivoirerie; l'un des multiples avatars de l'art gothique
rayonnant - tenait également la première place à la fin du
XIII e siècle et au début du XIVe siècle. Un grand nombre
de petits autels portatifs et de statuettes d'ivoire sont
aujourd'hui conservés au Musée du Louvre et au Musée de
Cluny. Avec ces objets d'art fonctionnel, la religion entrait
dans l'intimité des foyers et rejoignait une certaine forme
de piété intérieure. Ces statuettes que les croyants 1 Inventaire du Duc d'Anjou, n°77, 302, 305, 306 …, cité par Larisse &Rambaud, op. cit., p. 280.
56
admirent tant étaient, au fond, la réduction des figures et
des groupes statuaires qu ils vénéraient au portail des
cathédrales et à l'intérieur des églises, taillés dans la
pierre, le marbre et le bois. Elles représentaient la Vierge à
l'Enfant, le Couronnement de la Vierge, la Crucifixion, la
Descente de croix, et, sur des diptyques, triptyques et
polyptyques d'un exquis raffinement artistique, les scènes
de l'enfance du Christ et sa Passion. Mais les ivoiriers
produisaient aussi de banales valves de miroir, des coffrets,
des peignes, décorés - on le devine - de scènes d'amour, de
chasse et de tournois, prises aux romans courtois les plus
célèbres et traitées avec une délicatesse égale à celle des
plus charmants miniatures de la même époque.
Dans ce grand système de référence historique qu'est
l'apogée du Moyen Âge, on ne saurait ignorer un autre art
révélateur de la sensibilité esthétique de l'Homme
médiéval, l'art musical. Sa transformation capitale fut
déclenchée par la polyphonie qui avait commencé de façon
très rudimentaire par l'emploi d'instruments comme la
cornemuse, la vielle à manivelle et l'orgue portatif qui
permettaient de faire entendre deux ou plusieurs sons
simultanés, dont l'un restait fixe. Rudimentaires aussi
furent les premiers essais de polyphonie vocale apparus
dès le IXe siècle dans l'organum où deux chants
marchaient ensemble, note contre note à intervalle de
quarte ou de quinte, forme primitive du contrepoint.
57
Mais c'est au milieu du XII e siècle à la fin du XIII e
siècle que la maîtrise de Notre-Darne de Paris, avec
l'organiste Lèonim et son disciple Pérotin, en développant
les organa et en y ajoutant les formes du motet et du
conduit, fondèrent les règles de la polyphonie auxquelles
fut donné plus tard le nom d'ars antiqua. Trois ou quatre
lignes mélodiques, de plus en plus variées et souples, se
marièrent alors en une musique austère et émouvante.
Parallèlement à cette musique d'église courait
librement la très ancienne chanson populaire associée à la
danse et accompagnée d'instruments, avec sa coupe
traditionnelle : couplet - refrain. Il est possible en revanche
de dater la naissance de la chanson aristocratique qui
participe de l'esprit courtois, oeuvres des troubadours du
Midi, puis des trouvères du Nord. Son "mysticisme
amoureux"1 a dicté de bien délicates mélodies. Consé-
quence naturelle - au nord et notamment à Arras, la
chanson de trouvère prit au XIIIe siècle un caractère
bourgeois, ironique et satirique. Le plus inspiré de ces
"trouvères urbains"2 fut Adam de la Halle, dit le Bossu,
auteur du texte et de la musique du Jeu de Robin et de
Marion.
Les XIVe et XVe siècles voient s'enrichir et atteindre les
plus hauts sommets de virtuosité la polyphonie vocale. A
l'ars antique des créateurs de l'époque précédente succède
l'ars nova élaboré par Philippe de Vitry qui affirme le
1 BLANCPAIN, M. et COUCHOUD, Jean-Paul, op. cit., p. 100.2 Ibidem.
58
langage par l'emploi de la "sensible", ouvrant la voie aux
tonalités majeure et mineure, et par celui des accords de
tierce et de sixte. Le maître de la nouvelle technique
musicale est le poète musicien Guillaume de Machaut
(1300-1377>, auteur d'une Messe a quatre voix.
Au XVe siècle, la musique rayonne d'un foyer d'une
étonnante vitalité à la partie septentrionale de l'Etat
bourguignon, Artois et Flandres. Une belle pléiade de
maîtres franco-flamands jalonne tout le siècle et au-delà ;
Guillaume Dufay, Gilles Binchois, Jan van Ockeghem, Jacob
Obrecht et le plus grand de tous : Josquin des Prés. Leurs
oeuvres, qui s'apparentent par le style (mais avec des
profondeurs diverses) se divisent en musique religieuse
(messes, motets, psaumes) et musique profane (chansons
polyphoniques). A l'usage d'un contrepoint atteignant un
raffinement extrême, des trouvailles harmoniques subtiles,
ils joignent une sensibilité, une émotion mystique, une vie
foisonnante qui font de cette période un grand moment de
l'histoire de la musique universelle, ce "langage naturel de
l'âme", comme disait Romain Rolland dans son Jean-
Christophe.
En parcourant, de la sorte, domaine après domaine, on
est tenté de dire qu'au Moyen Âge, non seulement l'Église
est riche et puissante, mais elle domine et dirige presque
toutes les manifestations de l'activité créatrice humaine. Il
semble qu'il n'y ait d'art proprement dit que celui qu'elle
encourage, que celui dont elle a besoin pour construire,
59
orner et faire briller ses édifices, pour ciseler ses ivoires et
ses reliquaires, peindre ses vitraux ou ses missels, faire
vibrer ses chants liturgiques et, à la fois, l'âme des fidèles.
Certes, au premier rang. de ces arts est l'architecture, qui
n' a jamais tenu dans aucune société une place aussi
grande. Dès 1833, d'ailleurs, Jules Michelet y faisait écho
dans les pagés de son Histoire de France, qu'il consacrait à
l'église du Moyen Âge: l'église était alors le vrai domicile
du peuple... Il n'y avait qu'une maison, à vrai dire, la
maison de Dieu"1. Aujourd'hui encore et toujours il suffit
d'entrer dans une de ces cathédrales mondialement
connues comme celles de Chartres, Paris, Reims, Amiens,
Bourges et Beauvais, pour recevoir l'impression de la force
énorme qui s' y manifeste et qui, pendant des siècles, a
façonné les destinées de l'Europe.
Il en va de même de la matrice esthétique de cette
force créatrice étant sous le pouvoir de tutelle de l'Église,
le style gothique. Son empreinte, ses caractéristiques
peuvent être décelées partout au Moyen Âge, dans
l'architecture militaire, par exemple, qui, par suite de sa
destination est plus robuste et plus simple que celle des
cathédrales. Elle est, en outre, beaucoup moins
conservatrice et astreinte à se renouveler constamment, à
se "mettre à jour" pour neutraliser et déjouer par une
défense appropriée les progrès de l'attaque. Le Château-
Gaillard en Vexin (puissante forteresse construite en 1197
par Richard Cœur de Lion, sur une falaise crayeuse 1 Cité par Marcel Pobé in Splendeur gothique en France, Eds. Braun et Cie,Paris, 1960, p. 8.
60
dominant le cours de la Seine, véritable "verrou de
Rouen"), le château d'Angers (ancienne forteresse des
comtes d'Anjou au bord de La Maine, rebâti et agrandi par
saint Louis), le château de Coucy (commencé vers 1230 par
Enguerrand III et remanié au XIVe par Louis d'Orléans,
ayant son énorme donjon circulaire éventré par les
Allemands en retraite à la fin de la première guerre
mondiale), le château de Vincennes (moins maltraité, élevé
par l'architecte favori de Charles V, Raymond du Temple),
la célèbre Cité de Carcassonne (acropole féodale dont
l'enceinte wisigothique du Ve siècle fut complétée au XIIIe
siècle sous Saint Louis et Philippe le Hardi) constituent
autant de témoins en pierre de l'omnipotence du gothique.
Cet art a aussi l'apanage des résidences royales et
princières et même de simples habitations bourgeoises.
Elles conservent pendant tout le Moyen Âge une certaine
apparence militaire qui survivra jusque dans les châteaux
de la Renaissance (tels que Chambord et Langeais). Le
Palais de la Cité et le Vieux Louvre de Charles V à Paris, le
Palais des papes d'Avignon, bien qu'ayant des allures de
forteresse, appartiennent, comme les hôtels de ville, dont
le beffroi est à la fois clocher et donjon, à l'architecture
civile gothique. Il en ressort donc qu'il n'y avait pas de
cloison étanche entre ces divers types de constructions, et
que les architectes n'étaient: pas spécialisés dans un seul
genre. Tel d'entre eux qui avait construit une église était
tout aussi capable de construire un château fort ou un
61
palais. Les bâtiments monastiques tenaient, on s'en
aperçoit facilement, à la fois de l'architecture religieuse et
civile, car des abbayes fortifiées, comme la cathédrale
d'Albi et le Mont Saint-Michel, pouvaient servir à l'occasion
de forteresses. Si l'église, qui est "la maison de Dieu", s'
avère comme il se doit, plus haute, plus vaste, plus
fastueuse que les divers types d'habitations profanes (logis
bourgeois, châteaux seigneuriaux ou même palais royaux),
les principes de construction dérivant de la matrice
gothique restent les mêmes. Seules les proportions
diffèrent ainsi que les plans nécessairement adaptés aux
fonctions liturgiques, et régis par le symbolisme chrétien.
Cette grande envergure de l'art gothique, véritable art
national, explique la résistance obstinée qu'il opposa à l'art
"ultramontain"1. Avant l'expédition de Charles VIII en Italie
(495) on ne constate que des traces sporadiques de
l'influence italienne en France. Le roi René d'Anjou (en
même temps comte de Provence et roi de Sicile) en fut un
des premiers fourriers.
Il attira en Provence Francesco Laurana qui décora, à
la Major de Marseille, la Chapelle Saint-Lazare et exécuta
de 1478 à1480 un grand bas-relief en marbre du
Portement de croix pour les Célestins d'Avignon. D'autre
part, Jean Fouquet fit vers 1445, nous l'avons déjà vu, un
séjour à Rome d'où il rapporta le goût de l'ornementation à
1 Du latin médiéval "ultramontanus", signifiant "qui est au-delà des montagnes", et spécialement au-delà des Alpes par rapport à la France; le sens restreint de cette expression est "qui soutient la position traditionnelle de l'Église italienne (pouvoir absolu du pape), sens opposé à "gallican". Dans notre texte, il s'agit d'un sens figuré: "l'art italien de la Renaissance".
62
l'antique. En 1461, Nicolas Froment se trouvait à Florence.
Cependant ces peintres ne sont pas à vrai dire
italianisants. C'est seulement pendant les guerres de
magnificence, après 1495, que les rois de France et leurs
courtisans s'engouent de l'art italien et engagent à leur
service des artistes d'outre-monts. Mais le style gothique
ne se laisse pas éliminer sans résistance. Les architectes
français restent longtemps encore fidèles su style
flamboyant. C'est même l'époque où Jean Texier de Beauce
élève de 1507 à1515 le clocher neuf de la cathédrale de
Chartres, et où s'achèvent à Rouen la Tour de Beurre de la
cathédrale et le Palais de Justice (qui n'ont à coup sûr rien
d'italien). A Paris, de toute évidence, la Tour de Saint-
Jacques la Boucherie qui date de 1509-1523 est encore
gothique. A Troyes, en Champagne, le groupe de la
Visitation et la statue de sainte Marthe restent toujours
fidèles au réalisme bourgeois de vieille souche gothique.
Ce n'est qu'après 1530 que l'école locale se laisse
contaminer par le voisinage de la colonie d'artistes italiens
de Fontainebleau. Suite de l'influence flamande, la Picardie
résiste mieux encore à l'italianisme, et la façade de Saint-
Vulfran d'Abbeville, achevée en 1536, est conçue dans le
plus pur style flamboyant. De surcroît, les stalles de la
cathédrale d'Amiens, exécutées de 1508 à 1522,
représentent un des exemple des plus convaincants de la
résistance du gothique dans le premier quart du XVIe
siècle, devant l'offensive de l'art italien de la Renaissance.
63
Néanmoins, la Renaissance continue à s'infiltrer en France
et gagne peu à peu du. terrain, parce que le roi lui-même
introduit "l'ennemi" dans son château de Fontainebleau, en
y créant un poste avancé de Rome. C'est à peine alors que
l'art gothique - art national par excellence - lâchera pied,
trahi après avoir épuisé tous ses moyens de résistance.
Pourrait-on répondre tout simplement par un oui ou par un
non à la question, si souvent débattue, de savoir si la.
révolution artistique amenée par la Renaissance a eu des
conséquences favorables ou néfastes pour l'art français, si
elle l'a régénéré ou dévoyé. Louis Réau a formulé aussi
bien la question que sa réponse dans ces termes
inoubliables : "Peut-être l'art gothique arrivait-il au bout de
sa course? Peut-être avait-il dit son dernier mot et était-il
condamne à se répéter? Même s'il en est ainsi, on ne peut
s'empêcher de regretter qu'un art de Cour, raffiné, mais
conventionnel, ait étouffé l'art populaire et qu'un fossé se
soit creusé entre l'art et le peuple. Mais la rupture est
peut-être plus apparente que réelle. Chez nos grands
artistes classiques du XVIe et du XVIIe siècle l'esprit du
Moyen Âge reste toujours vivant. Malgré le retour à
l'antique, qui est d'ailleurs conforme au génie latin, le
passé gothique survit inconsciemment en chacun de nous,
latent, mais indestructible"1.
Nous ne saurions conclure, à la fin de ce périple à travers
l'art gothique, sans rendre hommage au génie d'une
pléiade d'esprits visionnaires et novateurs dans le domaine 1 RÉAU, Louis, op. cit., p. 162.
64
de l'archéologie, de l'histoire des civilisations et de
l'histoire de l'art en particulier, qui ont marqué de façon
indéniable la redécouverte et la consécration du potentiel
esthétique du Moyen Âge, l'indéniable authenticité de ses
chefs-d'œuvre et leur réverbérations symboliques. C'est à
ces esprits que l'on doit des interventions décisives, suivies
de résultats tangibles et durables : la sauvegarde de
monuments menacées, la restauration d'édifices médiévaux
tombés en ruine. Ajoutons que la plupart des églises et des
châteaux du Moyen Âge restés debout jusqu'à maintenant,
le sont ainsi grâce aux soins que l'autorité officielle
responsable et l'initiative privée généreuse leur ont
accordés non seulement pour assurer leur survie, mais
encore pour remettre en lumière leur valeur patrimoniale
et spirituelle intrinsèque, et leur beauté. Tous ces
monuments "ressuscités" ont dû être, en outre, restaurés à
la longue, de plus en plus fidèlement, et étudiés, élucidés
par des monographies spéciales, à l'aide d'un imposant
appareil scientifique, mis en œuvre pour en explorer les
moindres détails, la chronologie minutieuse de leur
construction, en passant de la plus sèche mensuration
technique, par les particularités expressives de leur forme,
et aboutissant à la plus sublime interprétation
philosophique. De la sorte, la longue patience de l'érudition
a répondu aux pressentiments de quelques visionnaires du
début du XIXe siècle, tels Chateaubriand et Victor Hugo,
qui ont su déterminer un changement de sensibilité, de
65
mentalité et, en dernier ressort, de perspective esthétique.
Cet immense travail de redécouverte, de réhabilitation et
restauration inspirée des pionniers : Viollet-le-Duc,
Quicherat, Lefèvre-Pontalis, Lasteyrie - explorateurs et
commentateurs de l'art gothique, jusqu'aux synthèses de
référence de leurs successeurs : Mâle, Focillon, Louise
Lefrançois Pillon, Réau, Aubert et tant d'autres. Monteront
sur le même podium leurs collègues étrangers : Dehio,
Bezold, Vöge, Gall, Baum, Dvorak, Worringer, Kunze,
Sedlmayr, Bauch, Jantzen, Panofsky et Moore qui peuvent
également et constamment nous servir de guide quand il
faudra nous orienter et faire un choix significatif dans la
surabondance de monuments qu'ils ont inventorié et
classifiés. Grâce au rayonnement de leur pensée efficace
"le trésor longtemps enfoui de notre patrimoine gothique
est redevenu une richesse vivante, féconde, indispensable
à la vie présente et future de l'occident, car, selon le mot
sévère de Santayana : «qui ignore le passé est forcé de le
répéter». Fort heureusement, de jeunes savants font la
relève"1.
Tout cela prouve que la prodigieuse renaissance du
gothique en pleine ère positiviste et pragmatique a fini par
déterminer dans la modernité qui nous est propre une
restructuration de notre fonds spirituel, influençant
conséquemment notre physionomie culturelle. Aussi ne
pouvons-nous plus aujourd'hui aborder les œuvres
engendrées entre le milieu du XIIe siècle et le début du 1 POBÉ, Marcel, op. cit., p. 9.
66
XVIe siècle, sans être tout de suite assaillis par une
multitude de réminiscences artistiques et littéraires,
foisonnant de connotations symboliques et de valeurs
spirituelles, justement parce que ces générations de
chercheurs nous ont devancés et nous ont légué leurs
conquêtes.
Un témoignage sui generis, étant donné qu'il vient d'un
horizon culturel adjacent à celui français, nous est porté
par l'écrivain allemand Ernest Jünger. De retour dans la
France de sa jeunesse, mais cette fois dans une posture
ignoble, avec les armées d'invasion en 1940, il s'est vu
confier pour quelques jours la surveillance de la cathédrale
de Laon qui dressait ses flèches au-dessus des champs
dévastés. Se dérobant à la salle besogne à laquelle il était
contraint de participer, la guerre, l'auteur de Jardins et
routes (Gärten und Strassen) après une longue visite au
monument dont il avait la garde, nota dans son journal :
"Aujourd'hui, j'ai pressenti que ces cathédrales étaient des
œuvres, des œuvres de vie, loin des mesures mortes du
monde des musées. La pensée y était pour quelques chose
que cette église fut commise a ma protection ; comme si
elle était devenue toute petite, je l'ai serrée contre ma
poitrine"1.
Il ne nous reste qu'a faire de même.
1 Cité par Marcel Pobé, op. cit., p. 9; cf. l'édition roumaine, Jurnale pariziene, Ed. Humanitas, Bucuresti, 1997, p. 45 et passim (traduction de l'allemand de Das Erste pariser Tagebuch et de Das Zweite pariser Tagebuch, Ed. Klett-Cotta, Stuttgart, 1979).
67
CHAPITRE IICHAPITRE II
LA CATHEDRALELA CATHEDRALE
« Les chefs-d'oeuvre de l'art, ceux où se reconnaît une synthèse exemplaire de force créatrice et d'élan spirituel, ne naissent point par hasard, en n'importe quel lieu, en n'importe quel moment. Précédée d'une lente et secrète germination, leur éclosion se produit quand la race dont ils révèlent l’âme a acquis de soi-même une pleine conscience, quand une foi la soulève au-dessus des intérêts égoïstes et des calculs sordides, quand elle porte en soi la certitude en travaillant à s'exprimer soi-même, de témoigner pour l'universel et l'éternel"
Daniel Rops, Comment s’éleva à Chartres le Portail Royal 1
1 In Miroir de l'histoire n° 37, février 1953, p. 61.
68
Etymologiquement parlant, "la cathédrale" est une
abréviation du syntagme "église cathédrale" où l'épithète,
empruntée au latin médiéval cathedralis, dérive de
cathedra, siège épiscopal. Si l'adjectif "cathédral" est
attesté dans la langue française à partir de 1180 , le nom
"la cathédrale" est certifié dès 1666, donc environ cinq
siècles plus tard1.
Du point de vue de la signification, la cathédrale c'est
l'église épiscopale d'un diocèse; dans ce sens, Notre-Dame
est la cathédrale de Paris. Un second sens, connotation du
premier ou, si l'on veut, une acception largo sensu du
terme, serait "grande église monumentale de l'architecture
chrétienne du Moyen Age", dont le synonyme serait "une
cathédrale gothique".
Si on les envisage sous l'angle de l'histoire, les
cathédrales avaient à l'origine un caractère à la fois
religieux et civile; on ne s'y réunissait non seulement pour
assister aux offices divins; on y tenait aussi des assemblées
à dominante politique sous la présidence de l'évêque.
Jusque vers le milieu du XIIe siècle, les cathédrales ne se
distinguent pas par leur ampleur. Elles sont le plus souvent
dépassées à cet égard par les églises abbatiales, oeuvres
de communautés très puissantes. Mais grâce au
développement de la richesse laïque ou, mieux, populaire,
dans la seconde moitié du siècle, un désir irrésistible fait 1 Cf. Nouveau dictionnaire étymologique par A. Dauzat, J. Dubois et H. Mitterand, Librairie Larousse, Paris, 1980, p. 143.
69
irruption, dégorge par les ruelles des jeunes villes et
submerge la France tout entière pour déboucher sur les
pays voisins. C'est l'élan irrépressible de foi, d'espérance et
d'enthousiasme vers l'élévation en chaque diocèse d'un
monument qui soit l'oeuvre de tous. Ainsi se fondent les
cathédrales gothiques.
Ce désir fougueux d'édifier qui jeta l'âme du peuple hors de la sphère du traintrain des événements ordinaires, fut poussé au paroxysme par l'orgueil communautaire, par la concurrence sui generis surgie entre les diocèses, la compétition entre les villes et les rivalités de prestige entre les pays. "Nous élèverons une cathédrale si grande que ceux qui la verront achevée croiront que nous étions fous", vaticinait en 1402 le chanoine de la cathédrale de Séville1 . Des projets si ambitieux ne pouvaient se matérialiser du jour au lendemain, l'édification d'une cathédrale gothique étant un travail de longue haleine. "Le mouvement se ralentit dès la fin du XIIe siècle, et la plupart des cathédrales ne furent achevées qu'au XVIe siècle, et seulement celles dont la fondation remontait au XIIe siècle (Paris, Reims, Chartres, Amiens, Bourges, etc.)2.
Le rythme de leur construction se ralentissait mais la
détermination des bâtisseurs était inébranlable, l'élan et
l'enthousiasme ne tarissaient pas; quant aux ressources
matérielles on arrivait à en découvrir de nouvelles; tous
étaient convaincus de faire oeuvre durable, oeuvre de foi,
d'espérance et d'amour, telle que les trois vertus
théologales exigeaient. "Prodigieuse conception
architecturale, la cathédrale est un miroir du monde selon
1 Cité par Alain Erlande-Brandenburg dans La Cathédrale, monographie parue chez Fayard, en 1989, édition roumaine Catedrala, Meridiane, Craiova, 1993, p. 72 Larousse du Xxe siècle en six volumes, publié sous la direction de Paul Augé, tome deuxième, Paris, Eds. Larousse, 1929, p. 47.
70
la doctrine chrétienne, où le passé, le présent et le futur
sont lisibles dans la pierre pour les plus humbles, grâce
aux figures précises ou symboliques qui l'ornent et qui sont
souvent d'admirables chefs-d'oeuvre. Certaines oeuvres de
la statuaire du XIIe siècle n'ont d'égales que celles de l'art
grec du Ve siècle av. J.-C., conclut le Larousse du Xxe
siècle en soulignant par cette dernière comparaison le
double potentiel expressif de la cathédrale gothique où le
particulier et l'universel s'entrelacent. A l'origine de la
cette comparaison et de l'idée qu'elle infère, se trouve la
métaphore d'Auguste Rodin qui, en parlant de la
cathédrale de Chartres la désignait comme "l'Acropole de
la France". Peut-être faudrait-il ajouter que "c'est la
Cathédrale médiévale tout entière, dans la variété même
de ses aspects, tout ensemble Paris et Sens, et Laon et
Reims, et Amiens et tant d'autres, qui dresse, sous tous les
cieux de France, une multiple Acropole où se manifeste le
génie du pays"1.
Mais où est-ce que cette "acropole",
topographiquement parlant était située? Dès son origine, la
cathédrale sera bâtie à l'intérieur de la cité, intra-muros,
en dedans des murs de la ville. Son importance, son
prestige augmenteront au fur et a mesure que le
christianisme triomphant étendra son influence. Les cadres
que l'Eglise avait construits sous le Bas Empire romain en
les adaptant à la structure de ce dernier étaient les seuls à
avoir résisté à la tornade des grandes invasions. Pendant le 1 Daniel Rops, op. cit.
71
Haut Moyen Âge (Ve - Xe siècles), elle bénéficia d'abord de
la générosité des rois mérovingiens qui multiplièrent les
donations et accordèrent aux établissements religieux le
privilège de l'immunité, c'est-à-dire l'exemption des
charges fiscales. Cependant cette première alliance du
trône et de l'autel ne fut pas au seul bénéfice de l'Eglise. Si
jusqu'au VII siècle, recrutant ses dignitaires dans les
familles nobles gallo-romaines, elle était demeurée un asile
de moralité et de culture, la rapide décadence
mérovingienne l'entama avec elle. En se faisant
l'inspiratrice, chaque fois qu'elle le pouvait, de la politique
royale, et en tirant de substantiels profits, elle perdit de
son prestige et de son indépendance, car les évêques
furent de plus en plus souvent choisis par les rois pour des
motifs politiques. Il fallut l'intervention provoquée par
Pépin le Bref, d'un réformateur venu d'Angleterre, saint
Boniface, pour la sortir de cette impasse. Elle devint alors
la principale bénéficiaire de la renaissance carolingienne.
Avec Pépin et Charlemagne, l'alliance de la monarchie
franque et de cette nouvelle Eglise militante, aboutit à une
conception que l'on pourrait appeler "biblique"1 de la
royauté affirmée par le Sacre, étant donné que les
premiers sacres royaux ont été ceux de Saul, David et
Salomon, tels qu'ils sont narrés dans la Bible (le premier
livre de Samuel). A la suite de cette cérémonie par laquelle
l'Eglise sanctionnait la souveraineté royale, le roi,
devenant l'oint du Seigneur, était inviolable et saint ; en 1 Blancpain, M. et alii, op. cit. , p. 80.
72
contrepartie, il devenait aussi le serviteur de l'Éternel, son
Dieu. Ainsi, l'institution du sacre des rois francs du VIIIe
siècle par Pépin le Bref (751, puis 754) était-elle une copie
de l'onction sainte des rois bibliques. Quant au lieu du
sacre - et là encore la cathédrale fournira à nouveau un
repère définitoire - bien que la tradition veuille que Reims
fût choisi à cause du baptême de Clovis (vers 496), en
réalité il s'agit (comme nous l'avons souligné ci-dessus)
d'une tradition carolingienne. En effet, l'archevêque
Hincmar de Reims a joué un rôle prépondérant dans le
remplacement des rois mérovingiens par Pépin le Bref. La
bulle pontificale désignant Reims comme lieu des sacres
est de 1509. Sur 64 rois de France, seuls 16 ont été sacrés
hors de Reims, notamment à Soissons, Compiègne, Metz
(Carolingiens) et à Chartres (Henri IV)1.
Avec le renaissance carolingienne, l'Eglise commença à
jouer son rôle spirituel, intellectuel et artistique sous sa
double vocation, pastorale et monastique. Les évêques,
réformés par saint Boniface, redevinrent des chefs
spirituels et des éducateurs dans les écoles épiscopales. Et
le monarchisme, adoptant peu à peu la règle bénédictine,
prit sa part, de plus en plus importante, dans le travail
d'apostolat et d'éducation. Sur le plan architectural, à cette
renaissance correspond l'art roman, sobre et harmonieux,
qui crée la basilique romane, "un immense reliquaire"2
ouvert à tous, moines et pèlerins, définie actuellement 1 Frémy, Dominique et Michèle, Quid, Eds. Laffont, Paris, 1991, p. 689.2 Michaud, Guy, Guide France. Manuel de civilisation française, Eds. Hachette, Paris, 1968, p. 90.
73
comme étant une "église chrétienne du haut Moyen Âge,
bâtie sur le plan des basiliques romaines"1. Ce terme
ecclésiastique venait du latin "basilica", emprunté du grec
basilikê, qui signifiait portique royal, édifice à portique
devenu en latin chrétien l'équivalent d'église, à la suite de
la fondation de la Basilica Constantini sur le tombeau du
Christ au IV siècle2.
Les basiliques utilisées par le culte catholique, sont
remplacées peu à peu par des cathédrales, édifiées au
début et en principe sur les martyriums ou tombeaux des
martyrs ; ne possédant pas de reliques de martyrs, les
églises du "regnum Francorum" les feront venir le plus
souvent d'Italie. A l'époque, la cathédrale était désignée
par ecclesia (rappelons que le terme de cathédrale n'est
attesté que depuis 1666). Ecclesia appartient au latin
ecclésiastique : il fut emprunté au grec ekklesia, signifiant
assemblée au sens de assemblée des fidèles en grec
chrétien. Il a pris le sens de maison du culte, rendu
auparavant par basilica. Le correspondant français,
église, est pour la première fois attesté dans le Poème de
saint Alexis à la fin du XIe siècle3. C'était le temps où le
chroniqueur Raoul Glabber signalait dans un passage
célèbre : "On eût dit que le monde, secouant ses vieux
haillons, voulait partout revêtir un blanc manteau d'églises
neuves"4.1 Robert, Paul, Le Petit Robert 1, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, rédaction dirigée ar A. Rey-Debove, Eds. Le Robert, Paris, 1991.2 Cf. Dauzat, A., Dubois, J., Mitterand, H., op. cit., p. 76.3 In Reinach, Salomon, op. cit., p. 76.4
74
Ecclesia était un mot suffisamment clair pour les
contemporains; il n'y avait pas la moindre ambiguïté : il
s'agissait de l'église de l'évêque, l'église du diocèse. Le
terme est révélateur de la réalité qu'il synthétise :
l'assemblée, la communauté des chrétiens réunie autour de
son évêque. Le sens en a évolué par la suite cour inclure le
lieu où se déroulait cette réunion en vue de la célébration
de l'Eucharistie. Ultérieurement il s'est étendu pour
désigner tous les édifices culturels, devenant tout.
simplement église. Désormais, besoin était de disposer
d'un mot nouveau, propre à préciser à l'origine, le symbole,
le pouvoir spirituel de l'évêque. Et ce fut cathedra, le
trône épiscopal, qui était placé dans les églises primitive
au fond de l'abside, dans l'axe de l'édifice; l'autel s'élevait
en avant de la tribune de façon que l'évêque se trouvant
ainsi derrière l'autel, isolé, pût. voir l'officiant en face1. En
même temps, il pouvait voir l'assemblée des fidèles, et
ceux-ci voyaient leur évêque, ce qui explique cette
évolution sémantique..
En outre, ecclesia et ensuite la cathédrale" ne
signifiaient pas un seul édifice, mais un ensemble de
bâtiments, un complexe auquel on a prêté récemment
attention grâce à une analyse plus rigoureuse, plus
approfondie des textes et des plans anciens. Cette nouvelle
approche a été favorisée aussi par les résultats
1 Saint-Pierre de Rome conserve encore le siège du Prince des Apôtres, enfermée dans une chaire de bronze, au fond de l'abside.
75
surprenants des fouilles effectuées en milieu urbain; celles-
ci ont mis en évidence l'importance, la complexité, la
diversité des établissements chrétiens primitifs. Dans ce
sens, la cathédrale synthétise, à certains égards, l'histoire
de telle ou telle ville française. On affirmait, d'ailleurs, par
tradition, qu'au dessous de la cathédrale gothique, il y
avait, cachée, l'église romane, et que si, par hasard, les
investigations avaient continué, la basilique aurait apparu,
puis le temple même, comme on le pensait au XVIe siècle
à Chartres, des profondeurs de la terre et de l'histoire, la
grotte druidique aurait-elle émergé aux grand jour.
Abstraction faite de son caractère poussé jusqu'aux limites
du paradoxe, ce schéma est assez plausible, eu égard
surtout aux fouilles effectuées à l'intérieur des cathédrales
ou dans les zones attenantes, qui ont prouve que celles-ci
contenaient dans leurs entrailles de nombreux vestiges
antiques. Au fond, la légende même, comme en témoignent
des découvertes plus anciennes, datant, par exemple, du
XVIIIe et du XIXe siècle, était ancrée dans une réalité assez
souvent palpable. C'est ainsi qu'en 1711, lorsqu'on eut
commence à notre-Dame de Paris, la construction ou
caveau des archevêques placé dans le sanctuaire, on
découvrit des fragments antiques parmi lesquels le fameux
"pilastre des navigateurs", orgueil, aujourd'hui, du musée
de Cluny. A Chartres, également, jusqu'au XVIIIe siècle, on
pouvait voir dans la crypte, des pans de murs antiques qui
ont permis de formuler bon nombre d'hypothèses.
76
Au XIXe siècle, les découvertes fortuites dues, par
exemple, à l'installation d'un système de chauffage, et plus
récemment les fouilles effectuées suivant des exigences
scientifiques ont confirmé pertinemment que l'ecclesia
était implantée dans un quartier ayant une forte densité de
population et situé généralement dans le voisinage des
murs de la ville. Il est évident que sa construction
provoquait la transformation presque complète d'un
quartier, impliquant la suppression de bon nombre de
maisons et de rues. Il est possible aussi que les
traumatismes n'aient pas manqué. De toute façon, le
phénomène prenait chaque fois des aspects différents en
fonction de la topographie des lieux , de la personnalité de
l'évêque et des moyens dont ce dernier disposait. Les
fouilles de Trèves, d'Arles, d'Aix, de Genève, de Cimiez et
de Riez ont fourni des renseignements précieux pour la
compréhension des caractéristiques fonctionnelles des
établissements chrétiens primitifs, à la fin du Bas Empire
et à l'époque du Haut Moyen Âge. Signalons au passage
que l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme de ces
premiers temps chrétiens, si difficile à élucider, doit
énormément à des savants tels A. Blanchet (Les enceintes
romaines en Gaule, Paris, 1907), P. A. Février Le
développement urbain en Provence, de l'époque romaine à
la fin du XIVe siècle, Paris7 1964), J. Hubert, Art et vie
sociale de la fin du onde antique à la fin du Moyen Âge,
Paris, 1977) et C. Heitz (L'architecture religieuse
77
carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, 1980)1,
dont les investigations ont permis toute une série d'
extrapolations visant les origines de la cathédrale.
Les siècles passent et l'importance du complexe
religieux a l'intérieur de la cité s'accroît, entraînant une
translation vers le coeur de la ville. En même temps, les
fonctions exercées par l'évêque, à ces époques anciennes,
se diversifient et s'amplifient, comme le démontre J. S.
Durliat dans son étude Les attributions civiles des évêques
mérovingiens : l'évêque de Didier, évêque de Cahors (630-
652)2. Ce complexe était invariablement constitué de trois
ensembles : la cathédrale proprement dite (incluant deux
édifices et le baptistère), domus episcopi (la maison de
l'évêque) et, enfin, les annexes3.
Leurs plans, leur organisation intérieure, certains
détails et particularités des bâtiments représentaient
autant de variables qui différenciaient les complexes
religieux suivant les conditions topographiques très
diverses de chaque ville, et les facteurs contraignants
parmi lequel celui financier s'avérait déterminant. Ce qui
surprend, néanmoins, sur le plan architectural, c'est qu'à
cette époque tellement reculée, la cathédrale était doubler,
formée de deux basiliques parallèles, ayant; trois nefs et
étant terminées à l'est par une abside sans transept. C'était
leur axe transversal qui les liait. L'exemple le plus
imposant est l'ensemble de Trèves qui s'inscrivait dans un 1 Cités maintes fois par les spécialistes. Cf. Alain Erlande-Brandenbourg, op. cit., p. 415.2 Apud Annales du Midi, vol. 91, n° 143, 1979, pp. 237-254.3 Elles constituaient l'équivalent de l'hôtel-Dieu, à la fois hôpital, hospice, pension et orphélinat.
78
rectangle de 170 mètres sur 110 mètres. L'une des
interprétations hypothétiques les plus plausibles y voit
l'empreinte constantinienne. En effet, l'empereur avait
dédié, à Constantinople, l'un des édifices à la sainte Irène-
la Paix, et le second, à la sainte Sophie - la Sagesse;
symboliquement parlant, les toits jumeaux de ces deux
édifices suggéraient l'Ancien et le Nouveau Testament,
dont la liaison est assurée par le baptistère placé entre
eux. On a avancé l'hypothèse complémentaire, séduisante
elle aussi, selon laquelle la fonction de ces deux édifices
etait différente : l'un avait pour destination l'accueil des
catéchumènes, l'autre recevait les chrétiens confirmes
après leur baptême effectué dans l'édifice intermédiaire.
Les fouilles entreprises récemment à Lyon (l'ancienne
Lugdunum fondé en 43 av. J.C. par les Romains, devenue
capitale de la Gaule lyonnaise on 27 av J.IC., une des
principales résidences des empereurs romains, où fut
fondée la première église chrétienne de la Gaule et où, on
177 furent martyrisés saint Pothin et sainte Blandine), au
nord de l'église archidiocésaine de Saint-Jean, ont fourni à
cet égard des arguments probants.
Sous Charlemagne, le site cathédral, c'est-à-dire le
quartier religieux, est considérablement amplifié et
restructuré grâce aux donations de cet empereur et de ses
successeurs, devenant une sorte de ville sainte à
l'intérieur de la communauté urbaine. A l'ensemble
constitué par écclesia, domus episcopi et les annexes vient
79
s'ajouter l'enceinte canoniale, le claustrum, où la vie des
chanoines se déroulait suivant le rythme monastique.
Dans la vision de l'époque, ce claustrum devait être
une construction qualitativement sans reproche,
comportant un petit jardin, des galeries (comme a Metz, à
Mans, à Chalons et à Lyon) et même un caldarium - un
tain de vapeur tel celui dont l'archevêque de Reims avait
doté l'enceinte canoniale, qui se transformait ainsi en une
insolite abbaye urbaine. La présence des murs d'enceinte
achevait d'imposer cette ressemblance. Ces nouvelles
constructions n'ont pas eu seulement les conséquences
topographiques que l'on devine, mais elles ont nécessité
aussi des fonds importants que l'histoire, pudique, passe
sous silence. De toute façon, il est certain que les
ressources étaient insuffisantes. Rien qu'un seul exemple :
la pierre et son extraction soulevaient des problèmes
particulièrement difficiles à résoudre si l'on prend en
compte également son transport ; assez souvent, pour en
diminuer le coût, on demandait aux autorités la permission
de récupérer les pierres des murs antiques. L'archevêque
de Cens, Wenilon, a obtenu l'autorisation d'utiliser pour les
constructions de l'ensemble cathédral, les pierres de mur
d'enceinte de Melun. Une impulsion supplémentaire est
transmise à cet effort constructif par Admonitio generalis
du 23 mars 789, émanant du souverain et rappelant à
toute la population de l'empire carolingien le devoir
chrétien de la charité. Cet appel général s'appuyait sur les
80
paroles du Christ : "j'ai eu faim et vous m'avez donné à
manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais
étranger et vous m'avez accuei ; nu et vous m'vez vêtu,
malade et vous m'avez visité, en prison et vous êtes venus
vers moi"1. Il fallait dorénavant veiller pour que les
déshérités disposent de centre d'accueil et d'aide
inconditionnée ; et non seulement eux, mais encore les
pèlerins et les voyageurs. Toutes les charges qui en
découlaient furent transférées au clergé ; l'effort entrepris
dans ce domaine fut gigantesque : en quelques années,
l'empire d'un réseau d'institutions hospitalières dont la
responsabilité incombait à l'évêché et à ses chanoines; le
mérite leur en revenait aussi ; le concile d'Aix, en 816,
précisa parmi les obligations de l'évêque celle de posséder
un local dans le voisinage immédiat de la cathédrale afin
de recevoir les mendiants. Les religieux pouvaient ainsi y
aller pour laver les pieds de ces malheureux. Les
documents l'attestent : au Mans, l'évêque Aldric avait
installé un hôtel-Dieu à l'intérieur de la cité, tout près de la
cathédrale, bien qu'il y en eût un à la périphérie ; une
partie des biens ecclésiastiques étaient réservée à
l'entretien de ces institutions philantropiques. En outre, il y
avait les donations. L'évêque Aderic avait légué aux
pauvres le neuvième du blé, du vin, du foin et des légumes
de ses domaines. A travers cet exemple, une conclusion
s'impose à l'époque carolingienne, le centre religieux de la 1 Evangile selon Mathieu, 25, 35-36, in La Sainte Bible, nouvelle édition publiée sous le patronage de la Ligue catholique de l'Evangile et la direction de son éminence le cardinal Lienart, Paris, 1951, p. 37-38 du Nouvel Testament.
81
ville, complété par le claustrum et l'institution de charité,
étroitement liés sur le plan topographique et
institutionnel, jouit d'un dynamisme admirable.
Hélas, quoique Charlemagne eût donné une
administration solde en légiférant (par les capitulaires), en
déléguant ses pouvoirs dans les provinces aux comtes,
mais en les contrôlant par ses envoyés (les missi dominici,
un comte et un évêque et en assurant le concours de
l'Eglise, sous son fils Louis le Pieux la vieille tradition
franque des partages reprit le pas sur la mystique
impériale et unitaire. En 343, le traité de Verdun partagea
l'Empire entre les trois fils du successeur de Charlemagne.
Lothaire, l'aîné, qui gardait officiellement le titre
d'empereur, reçut l'Italie, la vallée du Rhône et celle de la
Saône, la rive gauche du Rhin. Les pays situés sur la rive
droite de ce grand fleuve allaient à Louis. Les bassins de
l'Escaut, de la Seine, de la Loire et de la Garonne
revenaient à Charles. De la sorte, ce traité séparait
définitivement la Germanie. – l'Allemagne - de la France,
tout en vouant la Lotharingie à leurs convoitises et au
démembrement inévitable. Plus encore les partages et les
luttes entre les successeurs de Charlemagne, les désastres
des nouvelles invasions ruinèrent pour longtemps l'autorité
royale : des expéditions de rapine lancées par les Hongrois
et par les Sarrasins (de la Méditerranée) ravagèrent la
France de façon sporadique et créèrent l'insécurité, mais le
plus dangereuses et les plus durables furent celles des
82
Normands (Vikings danois) qui, des premières années du
IXe siècle jusqu'à 911, attaquèrent les ports de la mer du
Nord, de la Manche et de l'Atlantique, et remontèrent les
fleuves pour piller et incendier. Finalement le roi Charles le
Simple concéda en 911 au chef Rollon la province qui allait
porter leur nom la Normandie. Ces invasions furent le
signe évident de la faiblesse monarchique et accélérèrent
la décomposition de l'autorité centrale au profit des
pouvoirs locaux, plus efficaces et, par la suite, germes de
nouvelles évolutions. En 987, le dernier carolingien fut
déposé, et le duc de l'Île-de-France, Hugues Capet, fonda
une nouvelle dynastie. Il recueillait un royaume où
l'autorité, an dehors de son domaine héréditaire autour de
Paris, appartenait aux seigneurs féodaux. La civilisation
carolingienne, épuisée par l'effort permanent de lutter
contre les forces de dislocation, disparaissait malgré ses
performances indéniables. Avec l'avènement de Hugues
Capet un nouvel espoir naissait, confirmé par les trois
siècles suivants : le XIe, le XIIe et le XIIIe siècles qui
marquèrent l'apogée du Moyen Âge.
Après avoir subi, elle aussi, le contrecoup de
l'effondrements de l'Empire carolingien, l'Eglise de France
montra une remarquable capacité de renouvellement à la
fois spirituel, intellectuel et artistique. Le nouvel élan fut
donné, dès le Xe siècle, par l'abbaye de Cluny, fondée en
910 selon la règle bénédictine.
83
Elle essaima dans une grande partie de la France et de
Europe chrétienne. L'ordre clunisien, rattaché directement
à l'autorité pontificale et indépendant des évêques,
échappait ainsi à l'intervention directe des laïcs dans la vie
religieuse, cette intervention qui, en la politisant, avait tant
contribué à l'usure graduelle de l'autorité ecclésiastique à
la fin de l'époque carolingienne. L'ordre clunisien fut le
ferme soutien de la reforme entreprise par le pape
Grégoire VII qui allait dans le même sens que celui de la
rigueur bénédictine. Non seulement les monastères, mais
aussi le clergé séculier, revint à une certaine austérité et à
une ferveur spirituelle plus édifiante. La conception
clunisienne de la vie monacale, jugée a priori trop
"aristocratique", fut plus tard dépassée par de nouveaux
ordres plus rigoristes : les Prémontrés fondés par saint
Norbert; les Chartreux, disciples de l'Italien sait Lunule ; et
surtout l'ordre des Citeaux fondé en 1098 par Robert de
Molesmes. Les premiers, dont la vocation était
d'enseignement et de prédication, vivaient dans le siècle,
pendant que les Chartreux et les Cisterciens formèrent des
communautés isolées du monde, dans des lieux inhabités et
joignirent le travail manuel aux exercices spirituels.
Cependant ces retours à la pauvreté évangélique et à la
pureté des moeurs étaient (est et sera) toujours à
recommencer, d'autant plus que l'église établie, trop riche,
trop engagée dans les ambitions temporelles, trop soumise
aussi au gouvernement autoritaire de la papauté, prêtait le
84
flanc à la critique et, de surcroît, à des tentatives, moins
orthodoxes, de mysticisme déviant du dogme catholique
virent le jour au XIIe siècle, en réaction contre un clergé
trop administratif, fut le catharisme qui se développa dans
le Sud de la France. Sot trait caractéristique était
justement l'absence de prêtres. En revanche, une petite
élite de "parfaits" vivant dans l'ascétisme assurait la pureté
évangélique et transmettait aux simples fidèles, par des
lectures en langue vulgaire, le message du Nouveau
Testament. Ceux-ci pouvaient alors goûter la paix des
plaisirs terrestres. Une telle doctrine avait de quoi plaire à
la noblesse et au peuple méridionaux restés plus proches
des traditions de l'antiquité latine et où s'était épanouie
une civilisation raffinée et hédoniste. À la même époque, le
Lyonnais Pierre Valdo et ses disciples prêchaient l'absolue
pauvreté et, sans médiation de clergé, commentaient, en
traduction, l'Evangile. La réplique de l'église menée par le
pape Innocent III s'avéra véhémente l'hérésie vaudoise fut
extirpée par la force et, en 1208, se déclencha la croisade
contre les Albigeois, nom sous lequel on désignait les
cathares du Languedoc. Parallèlement, la papauté favorisa
l'action de deux nouveaux ordres religieux dont les buts
étaient de revenir à l'ascétisme mystique, mais dans le
respect de l'autorité romaine et du dogme catholique : les
Dominicains (que l'Espagnol saint Dominique fonda à
Toulouse. pour combattre les cathares) et les Franciscains
(disciples de saint François d' Assise). Nonobstant leur
85
ferveur missionnaire, la fin du XIIIe siècle vit apparaître un
certain esprit anticlérical en France. D'un côté l'allure
théocratique des papes (et notamment de Boniface VIII,
contemporain de Philippe le Bel) entraîna un progrès de
l'esprit laïque dans l'entourage royal. D'autre part le clergé
et même certains Franciscains peu fidèles à leur idéal
primitif de pauvreté, soulevèrent des critiques, soit
ironiques, soit franchement hostiles. Quoi qu'il en fût, la
dominante de cette toile de fond figurant la vie religieuse
reste l'épanouissement de la foi, du potentiel intellectuel et
de l'esprit créateur aux XIe et XIIe siècles, suivi de la belle
floraison du XIIIe siècle dans tous les domaines d'activité :
économique, politique, social, intellectuel et artistique,
effet aussi de l'émergence des villes, du vigoureux
mouvement communal.
Remontant à l'origine de cette émergence des villes,
force est de constater qu'à la fin du IXe siècle, l'abandon
des centres urbains - conséquence de l'effondrement de
l'empire carolingien - avait pris des proportions
dramatiques. Les comtes se retirant à la campagne, ou se
trouvaient les sources de subsistance, l'autorité civile
disparut. Dans les villes presque vidées d'habitants, les
évêques représentaient la seule autorité. A la fin du Xe
siècle, les grandes villes antiques n'étaient plus que leur
ombre. A Beauvais, par exemple, on ne comptait que 50
foyers1. Après cette période d'effondrements successifs, un
mouvement dé redressement est annoncé pendant les 1 Cf. Alain Erlande-Brandenbourg, op. cit., p. 113.
86
dernières années du V siècle, suivi d'une brusque et forte
relance à partir du XIe siècle, grâce à un développement
économique de plus en plus marqué, généré par l'extension
des terres cultivées, une véritable révolution technique et
une poussée démographique continue.
A l'intérieur de la nouvelle ville persistaient deux
réalités très anciennes : le château et la "ville sainte",
double symbole de l'autorité civile et spirituelle. Le
château urbain qui allait, par la suite, devenir palais,
attestait la présence du seigneur; celui-ci établissait à
nouveau sa résidence et cette dernière donnait une
nouvelle image de la balance des pouvoirs, eu égard à son
caractère défensif, fortement marqué. Paris en offrait
l'exemple, un exemple un peu particulier, certes, si nous
pensons à la signification du palais royal, mais qui a
l'avantage d'être très bien connu et daté. Ainsi le roi
Robert le Pieux (996-1030); commençant la reconstruction
de sa résidence vers la fin de son règne, lui avait-il donné
l'aspect d'un quadrilatère fortifié, défendu par des tours et
mesurant intra-muros jusqu'à 135 mètres de côté. Sans
atteindre des dimensions aussi considérables, la plupart
des châteaux comtaux ont subi des transformations
similaires. De toute façon, il faut ajouter que le château
était situé très près de l'ensemble cathédral. Ce schéma
peut être retrouvé à Angers, Orléans, tours, Auxerre,
Dijon, Toulouse, Poitiers, Senlis - toutes villes d'origine
antique.
87
Quant à l'ensemble cathédral, la nouvelle génération
d'architectes a dû réapprendre à bâtir. Le monde
carolingien d'essence impériale et théocratique avait
succombé la suite de violentes attaques venues de
l'extérieur; son art succomba avec lui. Le renouveau que
vivait l'ensemble de l'église après la réforme grégorienne
corrobora le renouveau laïque et sublima, sur le plan
architectural, en art roman, qui correspondait aux
nouvelles réalités émergentes. Il restait, bien sûr, bon
nombre de monuments carolingiens stimulants, mais les
exigences des nouveaux commanditaires ne s'en
contentaient plus. Une nouvelle technique, de nouveaux
outils, des mains plus habiles, des solutions architecturales
sui generis imposèrent la maîtrise des nouvelles
générations de constructeurs. La cathédrale double n'est
plus qu'un vestige. Elle appartient plus à la dynamique de
la cité épiscopale. Le baptistère, par exemple, n'était plus
nécessaire, le baptême par l'immersion des catéchumènes
dans un basin n'étant plus pratiqué. Par conséquent, cet
édifice annexe disparut de l'ensemble cathédral. Pour ce
qui est du second édifice principal de la cathédrale double,
l'évêque de Meaux, Nicolas Saveyr, en reconstruisant la
cathédrale épiscopale, vers 1080, s'en dispensait. C'était
déjà une tendance plus marquée dans le Midi où l'édifice
principal, consacré en général à la Vierge (Notre-Dame-de-
la-Sed, Notre-Dame-des-Doms en Avignon), se singularisait
en devenant la vraie et l'unique cathédrale à l' époque
88
gothique. Dans cette perspective, la cathédrale romane
peut être considérée comme un édifice unique,
synthétisant les intérêts spécifiques du trinôme: évêques,
chanoines et fidèles. Si l'on y rattache le culte des reliques,
qui s'emparait alors de l'Occident chrétien, au circuit
intense, rétabli par les Croisades, entre la Terre Sainte et
le monde catholique, on aura l'image presque complète de
la fonction multiple remplie par la cathédrale romane. Les
effets architecturaux, qui découlent de cette nouvelle
conception : édifice culturel unique - multiplicité
fonctionnelle, sont intéressants a déceler. Le
déambulatoire à têtes rayonnantes, cette longue galerie,
qui tourne autour du choeur de l'église et qui relie les bas-
côtés, est une conséquence du culte des reliques, parce
qu'il permettait aux fidèles de contempler et de se
recueillir devant les dépouilles mortelles et les reliques
conservées dans les chapelles rayonnantes du
déambulatoire ; l'église cathédrale du diocèse devient ainsi
une église-reliquaire qui détermine implicitement les
dimensions spectaculaires de la nef, caractéristique qui
s'accentuera à l'époque gothique, étant donné aussi la
croissance subite de la population urbaine. La deuxième
grande innovation de l'architecture romane est
représentée par la "façade harmonique", mise au point par
les architectes normands dans la seconde moitié du XIe
siècle; il s'agit là du traitement architectural inédit du
fronton occidental. Son schéma consiste en un rectangle
89
divisé en trois parties, dont la partie centrale était plus
imposante que les latérales qui, elles, sont pourvues de
tours situées dans le prolongement des murs. Les tours
abritaient les cloches qui rythmaient de leur glas la vie
religieuse, et non seulement de la communauté. Ce fronton
plat percé de trois portails, dont le centre s'avérait,
évidemment, plus important que les deux autres, parce
qu'il permettait l'accès des fidèles. Le perfectionnement de
la "façade harmonique" sera l'oeuvre des architectes
gothiques. Les autres éléments constituant l'ensemble de
la "ville sainte" le palais épiscopal, l'enceinte canoniale, le
claustrum devenu cloître (contigu à l'église cathédrale ou
collégiale, et comportant une galerie à colonnes qui
encadre une cour ou un jardin carré; à ce sens; le cloître
roman de Saint-Trophime à Arles est célèbre), les écoles
épiscopales et l'Hôtel-Dieu, subissent, eux aussi, des
aménagements, des modifications, une nouvelle
organisation globale de l'espace, portant l'empreinte de la
nouvelle technique de construction qui remplace le bois -
matériau jugé périssable, par la pierre; d'ailleurs, dans la
symbolique du Moyen Âge, une symbolique qui
concurrençait par sa force de suggestion la réalité
quotidienne que l'on essayait de transgresser par son
truchement, la pierre symbolisait le pouvoir créateur
circonscrit à la permanence, à l'éternité. Ce jour venu où la
salle des fidèles dut être couverte non de toits en
charpente dont on ne voulait plus, parce que trop exposés
90
à l'incendie, mais d'un toit en pierre, on eut alors recours a
la voûte, qui permettait l'emploi de petites pierres
assemblées.
Le profil d'une voûte peut être demi-circulaire. Il peut
aussi dessiner un arc brise, c'est-à-dire un angle formé de
deux arcs qui se coupent. De même, le linteau qui
surmonte une porte ou une fenêtre peut être remplacé par
un cintre ou par un arc brisé. C'est le cintre qui a été le
principe générateur de l'architecture romane; c'est l'arc
brisé qui sera de l'architecture gothique. Mais ce n'est pas
seulement la forme de la voûte qui importe, c'est aussi le
mode de construction, puisqu'il y a, de ce point de vue,
deux types de voûte : la voûte "en berceau" (demi cylindre
creux, avec ou sans arcs doubleaux) et (fig. 41) "la voûte
d'arête" (dont l'extérieur ou entredos présente quatre
arêtes et qui est formée par l'intersection à angle droit de
deux voûtes en berceau). Une variante fréquente de la
voûte d'arête, telle que la connaissaient les Romains, était
la voûte d'arête "à nervures", dont les arêtes formaient des
cintres bâtis. Alors que la voûte d'arête romaine est une
calotte homogène, qui doit sa solidité à celle de ses points
d'appui, la voûte d'arête à nervures, caractéristique de
l'art romain, doit la sienne à son ossature d'arceaux qui la
maintient comme en équilibre. Employée d'abord en Italie,
par les architectes lombards (dont l'art se constitua sous
l'influence de Byzance), la plus spectaculaire de ces formes
de voûte, la voûte d'arête à nervures saillantes finit par
91
s'implanter en France. Le même chroniqueur, Paul Glaber,
disait aussi que, quelques temps après l'an 1000, "tous les
édifices religieux, cathédrales, moustiers des saints,
chapelles des villages, furent convertis par les fidèles en
quelque chose de mieux"1. Ce "quelque chose de mieux"
c'était sans doute la construction voûtée en pierre, c'était
l'architecture romane.
L'église romane, dont dériva l'église gothique, provient
en dernière analyse de la basilique romaine du IVe siècle,
mais elle en diffère par plusieurs caractères. Elle est
construite en forme de croix latine, c'est-à-dire que la
longue nef est coupée , aux deux tiers de sa longueur, par
un transept perpendiculaire. Sa toiture est voûtée, ses
fenêtres sont généralement, cintrées, enfin elle est
pourvue d'une ou de plusieurs tours - comme nous l'avons
déjà mentionné - qui font corps commun avec elle. Il est
naturel que ces modifications et d'autres encore, au plan
primitif, n'aient pas été introduites en un jour. Chose
surprenante : on peut en suivre l'évolution jusqu'au milieu
du XIIe siècle et même au-delà. La conception générale
resta invariable : une nef centrale terminée par une abside,
éclairée latéralement, et des bas-côtés d'ordinaire au
nombre de deux. Pour supporter le poids de la voûte, les
architectes romans durent fortifier les murs et les piliers.
Les murs épais et solides ne comportent que peu
d'ouvertures; l'éclairage des églises romanes est, par suite,
toujours insuffisant. Les mêmes exigences de solidité 1 Apud Salomon Reinach, op. cit., p. 109
92
portèrent à augmenter la largeur et à diminuer la hauteur
des édifices ; de là, un caractère de lourdeur inséparable
de ce genre de construction. En France, les plus anciennes
et les plus belles églises romanes sont au sud de la Loire.
Ce style architectural fût surtout propagé par le moines de
Cluny, dont l'immense église abbatiale, détruite sous le
premier Empire, a été imitée un peu partout, même en
Terre Sainte. Il se forma de nombreuses écoles locales en
Bourgogne, en Auvergne, en Périgord. A Paris, on peut
citer comme exemple, malgré de nombreux remaniements
qu'elle a subis, l'église Saint-Germain-des-Près qui compte
parmi les chefs-d'œuvre de l'architecture religieuse, à côté
- car l'art roman s'est épanoui à travers toute l'Europe - des
grandes églises de Spire, Mayence, Worms, Bambery (dans
la vallée du Rhin) et de celles d'Angleterre où le style
roman, qualifié de "normand" est plus lourd et plus massif
que dans son pays d'origine, la Normandie ; en Italie, le
monument capital de l'art roman est le Dôme de Pise (fig.
42), construit de 1063 à 1118. Dans ce contexte
architectural, la cinquième décennie du XIIe e siècle
apparaît comme un carrefour de l'histoire des formes c'est
à cette époque-là qu'on achève la façade occidentale de
l'église abbatiale de Saint-Denis1. Il n'est pas dépourvu
d'intérêt de rappeler qu'elle fut, selon la tradition, élevée
par sainte Geneviève à la fin du Ve siècle à l'emplacement
1 Actuellement, chef-lieu de canton de la Seine Saint-Denis, arrondissement de Bobigny, au Nord de Paris, sur le canal de Saint-Denis; centre industriel important (96759 habitants); la vieille ville, en cours de rénovation, est entourée de quartiers modernes. L'édifice le plus célèbre de Saint-Denis est justement cette ancienne église abbatiale, devenue basilique.
93
où avaient été ensevelis; en 273, saint Denis et ses
compagnons Rustique et Eleuthère. Vers 630, Dagobert fit
rebâtir l'église primitive qui devint la nécropole du roi et
de la plupart de ses successeurs; commencée sous Pépin le
Bref en 754, sa troisième transfiguration architecturale fur
consacrée par Charlemagne en 775 (témoins de la
prospérité de l'abbaye à cette époque, des sarcophages
mérovingiens et carolingiens renfermant des bijoux d'or
ont été exhumés).
A partir de 1122, grâce à l'abbé Suger – ce moine et
homme politique d'exception, condisciple, ami et conseiller
de Louis VII, qui développa l'autorité royale en favorisant
la naissance des communes urbaines contre le pouvoir des
nobles et en assurant une meilleure justice1 - et une
importante rénovation fut entreprise, formant le premier
exemple de cette amplleur du style gothique auquel il
donna une impulsion décisive. Cette révolution de style, qui
a pour date fondamentale l'année 1144 – marquant la
reconstruction de l'église de Saint-Denis, concerne aussi
bien l'architecture que la sculpture, le vitrail et les arts
décoratifs, étant associée à d'autres mutations esthétiques
de premier ordre. A Saint-Denis, le chœur à déambulatoire
voûté d'ogives (la croisée d'ogives deviendra
caractéristique constante du style gothique ) fut orné de
superbes verrières, dont quelques-unes subsistent encore,
provenant des célèbres ateliers de peinture sur verre de
1 On doit à l'abbé Suger quelques ouvrages hiustoriques dont une Vita Ludovici regis (Vie de Louis VI) et une Historia gloriosi regis Ludovici (Vie de Louis VII).
94
l'Île-de-France, devenue le berceau de l'art gothique. Parce
que son destin est exemplaire, ajoutons que, favorisée par
Saint-Louis, agrandie de 1231 à 1281 sur les plans de
Pierre de Montreuil, puis dans une seconde étape, au XIVe
siècle, enrichie de chapelles, et, enfin, au XVIe siècle,
pourvue de la nécropole des Valois, la basilique fut mutilée
pendant la Fronde, ensuite plus gravement pendant la
Révolution. La restauration des bâtiments fut menée à bien
par Viollet-le-Duc de 1858 à sa mort. Il rétablit cet édifice –
repère originaire de l'architecture gothique, dans son état
actuel (trois portails, des parapets crénelés, une tour de
style roman à double étage, à droite) et remplaça les
mausolées, chefs-d'œuvre de la sculpture funéraire. Le
destin exceptionnel de cette basilique, qui semble vaincre
le temps, est confirmé aussi par son élévation au rang de
cathédrale d'évêché en 1966. Le renouvellement
architectural initié sous l'égide de l'abbé Suger à Saint-
Denis se propagea en milieu urbain dans tous les diocèses
de l'Île-de-France. Il gagna ensuite à un rythme accéléré la
France toute entière pour s'étendre au XIIIe siècle aux
pays voisins : l'Angleterre, le Saint-Empire, l'Italie et
l'Espagne; par la croisée d'ogives, le nouvel art - l'art
gothique - venait de faire son entrée triomphale dans
l'histoire.
Déjà au début du XIIIe siècle, les principales
cathédrales gothiques du royaume de France sont
construites ou en cours de construction. Au fur et à mesure
95
que s'étend l'influence stabilisatrice de l'autorité royale, la
prospérité s'installe, les moeurs s'adoucissent, les arts et
métiers se raffinent, les talents artistiques s'épanouissent
dans la confiance, la langue elle-même évolue devenant
riche, expressive et plastique, tandis que s'ouvrent de
nouveaux chantiers qui donnent à la France entière "les
deux instruments de sa civilisation et de sa prépondérance
en Europe : une langue littéraire d'une incomparable clarté
et une formule d'art originale"1. L'enthousiasme des foules
pour la nouvelle "maison de Dieu", qui est à la fois la
maison commune de tous les fidèles et leur foyer sacré, ou'
ils se réunissent aux jours de fête pour rêver au Paradis
dans le décor merveilleux, est sans limites.
Cette ferveur constructive devait être entretenue par
des moyens financiers appropriés. Par conséquent, toutes
les ressources sont mises en valeur: on installe des boîtes
de quête dans l'église en construction et chez les
principaux commerçants de la ville; on collecte
inlassablement des fonds même dans les diocèses voisins
et on prélève des sommes importantes sur les revenues de
l'évêché et du chapitre. Le roi et les seigneurs, les riches
marchands et les, bourgeois plus ou moins pourvus,
groupés en confréries d'œuvre, ne se lassent pas de faire
des offrandes; les pauvres aussi apportent leur denier à
Dieu. Quelle que soit la condition sociale des donateurs, on
est ébloui par la générosité de tous. Malgré cette foi
1 Robert de Lasteyrie : L'Architecture religieuse en France à l'époque gothique, Eds Les Ducs de France, Paris, 1965, p. 292.
96
ardente, l'argent recueilli n'est pas suffisant et les travaux
des bâtisseurs ne peuvent avancer que très lentement,
année après année, travée par travée. On arrive même,
faute des ressources, à fermer souvent les chantiers. C'est
ce qui explique le fait, apparemment surprenant, que les
cathédrales sont si longues a construire : 50 ans pour
Chartres et 90 ans pour Notre-Dame de Paris. Et cela
d'autant plus qu'à Paris, par exemple, la même caisse
servait à construire presque simultanément la cathédrale
et l'Hôtel-Dieu dont les premières pierres étaient posées le
même jour que celles de la cathédrale. Cette très longue
durée de l'édification atteint son niveau record dans le cas
de la cathédrale de Strasbourg dont les travaux ont
commencé au XIIe siècle : elle n'a pris sa forme définitive
que trois siècles plus tard. Aux problèmes posés par le
financement s'ajoutaient ceux relevant de l'envergure des
projets architecturaux, toujours ambitieux. Rien qu'un seul
exemple : la cathédrale d'Amiens, la plus vaste de France,
peut contenir 10000 personnes - chiffre éblouissant - soit la
totalité de la population de cette ville au Moyen Age. Outre
l'ampleur considérable et la complexité technique de
l'œuvre, qui réclamaient un budget de temps toujours en
déficit, toujours rectificatif, l'engendrement d'un chef-
d'œuvre obéit au premier aphorisme, contraignant
d'Hippocrate : "Ars longa, vita brevis", "L'art est long, la
vie est courte". Qu'importe! Une fois donné le signal de la
campagne de construction le chantier palpitait d'une vie
97
intense. Souvent, le maître maçon ou "le maître d'œuvre",
qui était l'âme de la construction et qui voulait que celle-ci
fût encore plus belle, plus subtilement éclairée, plus
richement décorée que les autres, se trouvait excédé par le
travail. Qu'à cela ne tienne! Les fidèles organisés en
confrérie venaient sur le chantier. En témoigne Robert de
Thorigny ; contemporain de la construction de la
cathédrale de Chartres, au XIIe siècle : "cette même année,
les hommes commencèrent à tirer à bras, jusqu'à Chartres,
des chars chargés de pierres et de bois, de vivres et
d'autres choses pour l'église dont on construisait alors les
tours. Vous auriez vu des femmes et des hommes tirer, les
genoux dans les marais profonds …"1.
Le chantier était une vraie ruche (fig. 43). Sous le
direction du maître d'œuvre travaillaient d'arrache-pied
d'autres maîtres maçons, des tailleurs de pierre, dés
charpentiers, les forgerons, des couvreurs, des peintres
verriers et des sculpteurs. Dans l'album si bien conservé de
Villard de Honnecourt, datant du XIIIe et plein de dessins
de machines, de plans, d'ébauches de sculptures et de
notes, il est question même du statut du maître maçon.
Après six ans d'apprentissage chez un maître consacré
devait parcourir la France, continuer à apprendre sur
d'autres chantiers et, surtout, noter en passant d'un
chantier à l'autre, le progrès de son art. Tous ces métiers
qui concouraient au même but, c'est-à-dire à élever la
1 XXX Documents et Civilisation, du Moyen Âge au 20e siècle, Classiques Hachette, Paris, 1975, p. 21.
98
cathédrale, n'avaient pas de secrets pour lui. Son art, ses
habilités pratiques, sa technique fondés sur une expérience
maintes fois vérifiée s' appuyaient sur des formules
scientifiques, géométriques et algébriques. Le plan de la
nouvelle cathédrale accepté par l'évêque et les chanoines,
le maître d'œuvre traçait avec des cordeaux les fondations
sur un terrain embarrassé, de règle, de constructions
diverses. Avec celle-ci, il devait démolir encore d'autres
constructions environnantes pour percer des rues d'accès.
On conservait souvent en partie l'ancienne église qui
abritait les reliques et où l'on continuait d'officier le culte
jusqu'au jour où le nouvel édifice, se trouvant à un stade
avancé de sa construction, était à même de recevoir l'autel
et les reliques. L'édification de la nouvelle façade venait en
priorité ; elle présentait déjà l'image de marque de
l'ensemble architectural de la cathédrale. Il fallait un accès
aisé à cette nouvelle façade pour assurer une liaison
étroite entre toute la communauté de la ville et ce nouveau
cœur du diocèse. Quelquefois les bâtisseurs se heurtaient à
des difficultés causées par la configuration du terrain.
Dans le cas de Notre-Dame de Paris, l'évêque Maurice de
Sully, pour gagner du terrain a l'ouest, destiné à
aménager .un parvis imposant, avait proposé de repousser
vers l'est le chevet de la nouvelle cathédrale au-delà même
du mur antique qui marquait alors la limite orientale de la
Cité. La construction du parvis a nécessité d'importants
travaux de stabilisation du sol, impliquant une fouille de
99
quelques mètres de profondeur, afin de prévenir les
infiltrations des eaux de la Seine. La tâche du maître
d'œuvre était donc particulièrement difficile. Après avoir
dressé les plans, préparé les dessins indispensables, tracé
les épures à grandeur, il devait surveiller la taille des
pierres et les divers assemblages de la charpente, tout en
intervenant personnellement pour résoudre les problèmes
techniques compliqués; il donnait les esquisses des statues
et le profil des moulures. Il mettait au point les machines
de levage et installait ses ouvriers dans la loge -
compartiment cloisonné, atelier où les tailleurs de pierre,
par exemple, pouvaient travailler toute l'année tandis que
d'autres ouvriers du bâtiment étaient arrêtés par l'hiver. Ce
maître d'œuvre, nommé aussi maître maçon, disposait
d'une "chambre aux traits" où il dressait ses plans; c'était
son poste de commande. Le maître maçon remplissait ses
multiples fonctions assisté d'un surveillant du contremaître
qui dirigeait les compagnons, et d'un "clerc de la fabrique"
qui réglait les questions d'argent.
La complexité des problèmes techniques posés par un
tel chantier stimulait l'inventivité, la capacité d'innover.
Ainsi, après que les équipes de démolisseurs eurent
déblayé le terrain, il fallut trouver un moyen de transport
plus efficace pour les matériaux des constructions
démolies. On transporta les énormes tas de gravats par la
Seine et l'Eure, mais aussi par les chariots tirés par les
chevaux, en remplaçant la sangle par le collier d'épaules,
100
ce qui augmenta la force de traction du cheval et permit
l'emploi des attelages en file. Un autre problème épineux
était celui du levage des pierres taillées à hauteur des
croisées d'ogive, à trente-trois mètres du sol, comme ce fut
le cas de la cathédrale de Paris. Comme les treuils et les
cabestans ne suffisaient plus pour élever les divers
éléments compacts de la construction on eut recours à des
"écureuils" (fig. 44) ou "cages à écureuils" actionnés par
des hommes qui marchaient pour entraîner les poulies et
hisser les gabarits de bois massifs, fabriqués au sol. Une
fois ceux-ci dressés sur les chapiteaux des colonnes, on les
garnissait de pierre jusqu'à ce que la chef de voûte bloquât
solidement l'appareillage. D'ailleurs, cette "pierre d'angle"
rappelle spontanément l'expression du Nouveau Testament
qui en fait le symbole de Christ dont l'image, dans sa
splendeur omnipotente, peinte sur le chef de voûte, domine
l'autel. C'est toujours sur les chantiers des cathédrales
qu'est inventée la brouette (fig. 45) par un inconnu génial.
Ce nouvel instrument de travail permet désormais à un
seul ouvrier de porter un poids qui nécessitait jusque-là
une double main-d'œuvre. Pour des raisons de
promptitude, étant donné qu'il fallait façonner sur place les
clous et les ferrures nécessaires l'assemblage des
planches, des chevrons et des poutres, on est arrive à tenir
un four de forgeron (fig. 46) sur le chantier, ce qui met en
lumière la conception créatrice, orientée vers la
complétude, du maître d'œuvre. Un autre aspect
101
significatif, révélé déjà par Robert de Thoigny1 , est la
présence des femmes sur les chantiers en tant que
"plâtrières", "mortel-lières'1 et, même, maçons. On les y
rencontrait aussi dans la posture de propriétaires de
carrières de gypse ou d'entreprises de "mortellerie"
(fabrique de mortier).En extrapolant, on pourrait y voir un
symptôme positif pour l'implication des femmes dans la vie
active à l'intérieur des communautés urbaines pendant le
Moyen Âge.
Revenant à la personne clé qui met en mouvement
l'engrenage du chantier de la cathédrale, le maître
d'œuvre ou maître maçon, on doit faire ressortir
l'importance de son statut social par ces données
supplémentaires : il recevait un fixe annuel, une maison,
parfois on lui faisait don aussi d'un enclos et d'une vigne;
on lui offrait des gants et une robe, plus une somme
d'argent par jour de travail effectif, y compris des vivres
pour lui, son valet et son cheval. En échange, il ne pouvait
plus quitter son chantier pour aller travailler ailleurs sans
avoir reçu l'autorisation formelle de ses employeurs. Si,
pendant son activité professionnelle, tellement exigeante et
à longue terme, il tombait malade ou qu'il fût arrêté par
l'âge, on lui assurait une pension. Grand personnage
protégé par les évêques, les abbés, les seigneurs et autres
puissants du jour, le maître maçon jouissait quelquefois
non seulement de la protection, mais encore de l'amitié
1 Cf. sup.
102
royale, comme Budes de Montreuil, compagnon du roi
Robert à Chartres.
La personnalité des commanditaires, constructeurs de
cathédrale laissait des traces visibles de leur passage à
travers l'histoire, tandis que les maîtres d'œuvre restaient,
pour la plupart, anonymes. A Notre-Dame de Paris, les
statues des commanditaires - le roi et l'évêque - sont
érigées au tympan de la porte Sainte Anne, , celle de Saint
Louis au tympan de la de service du flanc Nord de l'église.
Quant aux maîtres d'œuvre, on ignore les noms des
premiers en date, peut-être un Ricardius, dont on a
retrouvé le nom sur un acte de l'an 1164. On voit aussi, à
la base du portail sud l'inscription : "En l'année du
Seigneur 1237, le mardi 12 février, cette œuvre a été
commencée en l'honneur de la mère du Christ, du vivant
Jean de Chelles, maître maçon"1. D'autres maîtres, tel
Pierre de Montreuil, ont pris part à cet ouvrage immortel,
porté par cinq générations successives. Les autres
compagnons bâtisseurs laissent leur empreinte sur le
produit partiel de leur travail: ça et là, on découvre soit la
signature d'un tailleur de pierre (ainsi à la galerie
intérieure de la façade nord de Notre-Dame de Paris), soit
celle d'un maître verrier (à la rose sud de Notre-Dame) ou
bien des marques de tâcherons : anagrammes ou initiales.
A Chartres, le dernier maçon, Villard de Honnecourt, a
rendu hommage a son illustre prédécesseur, en sculptant
1 apud Marie-Jeanne Coloni, Notre-Dame de Paris, cathédrale témoin de l'histoire, Eds. du Signe, Paris, 1996, p. 7
103
sur le mur sud de La cathédrale, le nom de celui-ci. Eudes
de Montreuil. Cela équivalait à un honneur exceptionnel à
une époque où les artistes ne signaient pas leurs œuvres,
partageant avec tous les membres du chantier dans une
humble solidarité, la dignité d'un travail effectué pour la
gloire de Dieu.
Quatorze générations de maîtres d'œuvre, bâtisseurs
de cathédrales se sont succédé - comme dans les
généalogies bibliques du premier chapitre de l'Evangile
selon saint Mathieu, depuis la naissance de l'art gothique
jusqu'au seuil de la Renaissance. En parcourant plus de
quatre siècles, ce style architectural a sensiblement évolué,
influencé par les changements de goût esthétique, de
mentalité, et, surtout, par les circonstances. Ainsi, la pitié,
aussi intense qu'auparavant, prend aux XIVe et XVe siècles
un caractère plus exalté, plus démonstratif et, à la fois plus
tragique. Elle s'extériorise par une multitude de pratiques
rituelles culte des reliques et des images, fête, saints et
dévotions spéciales en nombre croissant; la liturgie
s'allonge et se complique, les théologiens admettent des
écrits religieux apocryphes , les ordres monastiques
d'hommes et de femmes se multiplient. Les effets sont
paradoxaux : en pénétrant par l'imagination et la pratique
dans le détail de la vie quotidienne, en perdant de son
mystère, la religion finit par se banaliser. L'art même
n'évite plus le mélange du profane et du sacré et les
représentations de la Madone comme la musique d'église
104
se laissent contaminer jusque par l'érotisme. L'église est
souvent un lieu public qui n'est plus toujours à l'abri des
profanations et les mœurs cléricales se dégradent.
L'incrédulité latente chez beaucoup, se montre pour la
première fois, mais exceptionnellement, à visage
découvert. Dans les limites mêmes de la foi, le recours a la
religion pendant cette période troublée de la Guerre de
Cent ans a pour objet plutôt la Vierge et les saints que
Dieu, parce que l'appel des fidèles se fait moins tendu, plus
familier. Néanmoins, chez certains, la foi retrouve une
unité brûlante, soit dans la terreur du péché et de la Mort –
effrayante rançon de toute gloire humaine, guetté dès
l'origine par l'oeil cauchemardesque de l'enfer, soit dans
l'extase d'un mysticisme qui, issu de Bernard de Clairvaux,
se nourrit au XVe siècle de la leçon des mystiques
allemands et néerlandais tels Eckhard Tauler et Ruysbroek,
pour se transformer en un mouvement spirituel - la
"Devotio Moderna" - représenté en France par un Jean de
Garson. Le désarroi de la vie religieuse et ses
conséquences défavorables à l'ensemble de la société
furent abondamment alimentés par la crise de la haute
hiérarchie catholique, comprise par le grand Schisme et
divisée politiquement par l'occupation anglaise ( le procès
de Jeanne d'Arc en témoigne). La multiplication des ordres
mendiants la décadence intellectuelle et morale des
franciscains et des dominicains amplifièrent encore ce
désarroi.
105
Quant aux cathédrales, après avoir culminé dans les
chefs-d'œuvre qui font partie du trésor indéfectible de
l'humanité, l'art gothique inévitablement retombe. Les
facultés créatrices des bâtisseurs les plus dorées, la
volonté d'ériger des œuvres qui vainquent le temps, l'élan
et la capacité d'effort des meilleures équipes rassemblées
autour des maîtres sachant les entraîner se relâchant à la
longue. "L'essentiel a été fait. N'est-il pas étonnant que
cette joie de construire, cette activité pleine d'ardeur aient
duré pendant plusieurs générations? Qu' il se soit trouvée
une telle série ininterrompue d'artistes prêts et capables
de se relayer?"1 .L'architecture gothique glisse vers la
complication du langage des formes, la virtuosité du détail
technique et la richesse ornementale; c'est ainsi qu'au
XIVe siècle, comme nous l'avons mentionné, on voit
s'affirmer le gothique rayonnant, caractérisé par des piliers
à faisceaux de colonnettes, des murs plus ajourés, des
chapiteaux à bouquet de feuillages, des moulures en saillie
pour la façade et des statues dégagées dans des niches2;
en ce qui concerne l'ensemble architectural, la verticalité
poussée et la géométrie axiale, fortement centrée, confè-
rent au style un caractère assez abstrait, comme dans le
cas des cathédrales de Strasbourg et de Metz.
1 Marcel Pobé, op. cit., p. 40.2 On retrouve de tels éléments, souvent comme des ornements surajoutés, à Saint-Ouen de Rouen (le chœur), à la cathédrale de Rouen (les portails de la Calende et des Libraires), à Clermont-Ferrand (la nef), à Saint-Vincent d'Auxerre, à Saint-Nazaire de Carcassonne, à Nevers et à Evreux (les chœurs), à Saint-Jean de Lyon, à Sainte-Cécile d'Albi (pas d'arcs-boutants ni de bas-côtés, contreforts pénétrant à l'intérieur) et à Saint-Jean de Perpignan.
106
Le XVe siècle est celui du gothique flamboyant. Malgré
tant de bouleversements (une France toujours occupée par
l'ennemi, un royaume livré aux actions des Armagnacs et
des Bourguignons, l'avènement de Jeanne d'Arc qui semble
être descendue du piédroit d'une cathédrale, le drame de
l'unité nationale joué entre Louis XI et Charles le
Téméraire), on construit toujours. Ou plutôt on complète,
par des façades flamboyantes, des églises jusqu'alors
inachevées. La France des bâtisseurs de cathédrales
appartient au passé ; désormais, on ne surpassera jamais
les chefs-œuvre du XIIIe siècle. Par des lignes étrangement
mouvementées - courbes et contre-courbes décoratives
suggérant des flammes (qui semblent s 'inspirer des
incendies à peine éteintes), on veut animer toutes les
parties de l'édifice qui succombe, esthétiquement parlant,
sous la profusion des détails. Ce que les maîtres d'œuvre
du XIIIe siècle avaient su si bien ramasser et ordonner
autour des portails triples et quintuples, voilà qu'on le
disperse au gré d'une inspiration de moment, plus ou
moins heureuse. Cependant, quelques traits définitoires du
gothique flamboyant doivent être mis en évidence : des
piliers monocylindriques, des arcs pénétrants dans le des
chapiteaux disparus, remplacés parfois par une bague, des
voûtes à petits panneaux, à multiples nervures7 d'autres
arcs en accolade et en anse de panier, un éclairage plus
intense, des fenêtres hautes, descendant jusqu'au sommet
des grandes arcades, un décor très chargé (choux, frises)
107
ou, parfois, presque absent. De remarquables exemples du
gothique flamboyant fournissent Saint-Maclou et Saint-
Ouen (la nef) à Rouen, la Trinité de Vendôme (en Loir-et-
Cher), Saint-Séverin et Saint-Germain-l'Auxerrois de Paris ;
à Lisieux : Saint-Jacques ; à Dieppe : Saint-Jacques aussi ; à
Abbeville (en Somme) : Saint-Vulfran et à Metz, le chœur
de la cathédrale. Dans son ouvrage de référence Splendeur
gothique en France, Marcel Pobé dresse un tableau imagé
de cette dernière hypostase de l'art gothique, parvenu au
crépuscule : "Les meneaux des fenêtres se mettent à
onduler, leurs encadrements se perdent dans
l'enchevêtrement des courbes et des contre-courbes. Les
socles, les baldaquins, les rampes, les gables et les pina-
cles prennent plus d'importance que les statues qu'ils
portent et qu'ils abritent, que les escaliers qu'elles bordent,
que les façades et les contreforts qu'ils surmontent. Des
murs entiers disparaissent sous les ornements. Les motifs
purement décoratifs encerclent et écrasent le statuaire qui
se complaît dans la multiplication de ses thèmes. Les jubés
et les clôtures de chœur se couvrent d'une sculpture
foisonnante. Des tabernacles tiennent toute une travée. Les
chefs de voûtes, obligés de faire contrepoids aux nervures
surajoutées, aux liernes et aux tiercerons, s'élargissent
démesurément et pendent des voûtes en stalactites
tarabiscotées …"1. Et pourtant l'art gothique garde,
jusqu'à la fin de son destin historique, une force
d'expansion qui lui permet de maintenir ses structures et 1 Op. cit., p. 41-42.
108
ses formes, les empêchant de se dissoudre dans des
raffinements superflus. C'est que l'artiste gothique
continue de croire, jusqu'au bout de sa carrière, en la
réalité transcendante qu'il ne se lasse pas de représenter
avec toute sa foi inébranlable.
Et si, maintenant, après ce tour d'horizon, on nous
proposait de choisir de cette floraison d'œuvres gothiques,
celles qui possèdent vraiment la valeur intégrale d'un
paradigme, nous jetterions notre dévolu sur deux
cathédrales : Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de
Chartres.
109
CHAPITRE IIICHAPITRE III
NOTRE-DAME DE PARISNOTRE-DAME DE PARIS
"Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église entière; et ce que nous disons de l'église de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au Moyen Âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est mesurer le géant"
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris1
Par sa situation au cœur de la capitale, son rang de
cathédrale témoin des événements majeurs qui y ont été
célébrés ou dont elle a subi le contrecoup, Notre-Dame
s'identifie à la chronique étroitement imbriquée des arts et
des hommes à travers plus de huit siècles d'histoire de
France.
La capitale s'est développée autour de l'île de la Cité
déjà au temps des Romains. Habitée par la tribu celte des
Parisii, cet espace, bien que réduit, était au croisement de
la partie navigable de la Seine - qui reliait les marchés de
l'Est aux voies maritimes vers l'Angleterre - et la route
Nord-Sud devenue la suite des rues Saint-Martin et Saint –
1 Victor Hugo, op. cit., p. 146.
110
Jacques. Au IIIe siècle, des soldats et des commerçants de
passage, avaient fait partager leur foi à quelques habitants
de l'Île-de-France, alors appelée Lutèce. Mais l'ensemble
de la tribu des Parisii adoraient encore les dieux celtes ou
romains. La communauté chrétienne de Lyon leur envoya
donc un évêque, Saint-Denis, pour y fonder une église. Il
devait les rencontrer au port, près d'un pilier ou bien aux
thermes. Rapidement arrêté parce que chrétien, il fut
décapité avec ses compagnons, probablement vers 257.
Mais l'église de Paris était définitivement fondée. La statue
de l'évêque Denis se trouve au pied droit de la porte du
Couronnement de la Vierge de l'actuelle cathédrale Notre-
Dame de Paris, une autre sculpture rappelle l'origine de
l'évêque de Paris à côté du siège de l'évêque au chœur.
Mais alors que l'œuvre de Coustou au XVIIIe siècle, sur le
portail de la Vierge montre un orateur, celle de l'entrée
rappelle le récit de sa décapitation, décrivant Denis la tête
coupée à la main pour montrer que la mort n'a pas privé
l'évêque de son influence.
Au IVe siècle l'Île de la Cité se trouvait protégée depuis
peu par un mur, solidement construit, qui la rendait
imprenable. L'empereur Julien y avait résidé à deux
reprises et Valentin s'y fixa pendant quelque temps. Ce rôle
devait bouleverser profondément la cité. Une basilique
civile fut construite à l'emplacement du marché aux fleurs.
A la pointe occidentale, s'édifie ou se transforme le palais
destiné à devenir la résidence royale. Quant à la pointe
111
orientale, la transformation n'est pas moins totale a' l'ouest
du mur d'enceinte, dont le passage se situait au centre de
la deuxième travée du chœur. C'est là que s'était installé
l'évêque de Paris, c'est là que s'édifia après la
reconnaissance du christianisme par Constantin, en 313, la
première cathédrale. Comme dans toutes les villes de
Gaule, l'ecclesia se constitue sur le plan institutionnel com-
me dans le domaine architectural. Dans ce dernier, on
construit la cathédrale, qui comprend en principe deux
édifices, la Domus episcopi, parfois même ce qu'il est
convenu d'appeler un hôtel-Dieu. Pour permettre la réa-
lisation de tels ensembles, l'administration impériale avait
mis à la disposition du clergé un terrain, situé à l'intérieur
des murs de la cité. Les fouilles du milieu du XIXe siècle et
reprises au XXe siècle par Michel Fleury ont mis au jour un
édifice gigantesque avec ses cinq vaisseaux et ses 36
mètres de façade. On n'en connaît pas la longueur, puisque
toute la partie orientale s'est trouvée engloutie sous la
cathédrale gothique. On peut en mesurer toute
l'importance dans une île relativement réduite, grâce au
dessin qui en a été reproduit au sol. Le plan est celui des
grandes édifices de culte construits par Constantin. Ses
dimensions ainsi que l'importance du palais, auxquelles il
faut ajouter la présence de bâtiments civils nouvellement
édifiés, mettent en évidence que, dès cette époque, Paris
est devenu l'une des villes importantes de la Gaule
romaine. On comprend mieux ainsi les raisons qui
112
poussèrent le roi franc Clovis à en faire sa capitale. Cette
décision est intervenue à la suite d'un certain nombre
d'événements qui l'éclairent de façon significative :
succession de victoires sur le dernier bastion roman (486);
sur les Wisigoths, à Vouillé (508), la conversion du roi
païen au catholicisme, grâce à l'intercession de sa femme
Clotilde ; son baptême à Reims. Celui-ci fut aussitôt jugé
par la population romaine, convertie au catholicisme, mais
en butte aux vigoureuses attaques des Ariens, comme aussi
miraculeuse que la conversion de Constantin au pont
Milvius1. Le point d'orgue a été la fameuse cérémonie de
Tours qui "légitima" le barbare. L'empereur Anastase2 lui
avait adressé de Constantinople une ambassade, chargée
de lui remettre le manteau de pourpre et les diptyques
consulaires. C'était la reconnaissance officielle. Au
lendemain de cette manifestation publique, Clovis décida
d'affermir son pouvoir en le fondant sur l'existence d'une
capitale, centre administratif et symbole de son pouvoir.
Mais au même siècle, la ville était troublée de divers
désordres. L'évêque Marcel délivra les Parisii de leurs
peurs en leur proposant de vivre avec le Christ grâce aux
sacrements (fig. 47 a, b) : le Baptême, la Messe qu'il leur
expliqua. Marcel est un des trois saints protecteurs de la
capitale avec saint Denis et sainte Geneviève. Les hauts-
1 Dans le Petit Larousse en couleurs, Eds. Larousse, Paris, 1994, p. 1521, on trouvel'explication suivante de pont Milvius : pont sur le Tibre à 3 kms. Au Nord de Rome, où Constantin battit Maxence (312 ap. J. C.) 2 Le Petit Larousse en couleurs, op. cit., p 1132, Anastase Ier fut empereur d'Orient entre 491 et 518 et il soutint le monophysisme.
113
reliefs de saint Marcel à la porte rouge de l'actuelle
cathédrale de Paris racontent l'œuvre de cet évêque
comme une bande dessinée. Il prêche, baptise, célèbre la
messe et vainc le dragon de la peur pour la proclamation
de la foi en Jésus Sauveur. À la porte Sainte-Anne, un autre
haut-relief représente saint Marcel, comme l'évêque
responsable du peuple de Dieu à Paris. La crosse avec la-
quelle il ouvre la gueule du dragon rappelle comment il
délivra le quartier qui porte aujourd'hui son nom des
troubles qui effrayait les gens. L'action de saint Marcel est
aussi racontée aux voussures de la porte de service du
flanc nord de l'édifice où on le voit distribuant les sacre-
ments.
Vers 430, saint Germain (fig. 48), évêque d'Auxerre,
était de passage à Nanterre. Il y remarqua la petite
Geneviève et la bénit : "Elle sera grande devant le
Seigneur"1. Elle consacra sa vie à Dieu seul. Ayant sauvé
Paris de l'invasion d'Attila, elle est devenue sa protectrice.
En effet, lorsque Attila menaça la ville en 451, les gens
voulaient fuir, mais Geneviève les réunit au baptistère pour
prier. On défendit la ville et Attila partit sans attaquer. Elle
était bien vieille quand elle ouvrit les portes de Paris au roi
des Francs, Clovis, et à son épouse, sainte Clotilde.
Plusieurs vitraux de la cathédrale de Paris racontent la vie
de sainte Geneviève.
Au VIe siècle saint Germain fit construire la cathédrale
de Paris (fig. 48 bis ) au cœur de l'île, avec l'aide du roi 1Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit., p. 5.
114
Childebert dont il était devenu l'ami. Cette cathédrale
réunissait trois édifices : Sainte Marie, destinée à la prière
quotidienne des prêtres, le baptistère Saint Jean et une
construction plus vaste, Saint Etienne. Aujourd'hui on
trouve les restes de celle-ci dans la crypte archéologique.
Ce grand évêque a été enterré dans l'église qui porte son
nom, Saint Germain des Prés qu'il avait fondée et confiée à
des moines pour en faire un centre de prière pour la ville.
Saint Landry fut évêque de Paris au milieu du VII siècle.
Selon la tradition, il vendit ses meubles et jusqu'aux calices
de la cathédrale pour soulever les pauvres. On l'a appelé le
saint Vincent de Paul du VIIe siècle On lui attribue la
fondation du premier hôtel-Dieu.
Plusieurs fois endommagée au cours des siècles, les
églises Sainte-Marie et Saint Etienne (fig. 48 III), œuvres
de saint Germain de Paris, durent être reconstruites en un
seul bâtiment : la cathédrale actuelle. Maurice de Sully,
enfant pauvre, protégé par les moines de Saint-Benoît-sur-
Loire qui l'envoient poursuivre ses études de théologie à
l'université de Paris, devint en 1160 l'évêque de cette ville,
succédant à Pierre Lombard. Aidé par son camarade de
classe, le roi Louis VII, il entreprit la construction de 15
cathédrale en 1163.Epris de pastorale, il chercha à donner
à l'édifice une disposition originale. Aussi adopta-t-il un
plan à cinq vaisseaux, une façade à trois portails. La
cathédrale est avant tout l'église du diocèse, destinée aux
fidèles. Par là même les rapports avec le pouvoir temporel
115
demeurent ambigus. En France, tout se passe comme si la
séparation entre l'autorité politique et la foi était admise.
Elle est nette encore à Paris, alors qu'elles ne se trouvent
éloignées que de quelques mètres et par quelques maisons.
Palais et ensemble cathédrale s'équilibrent déjà dans leur
masse, même si Philippe le Bel n'a pas encore donné un
aspect définitif au palais. La pointe occidentale de l'île qui
s'est, depuis antiquité, agrandie de quelques îlots et élargie
par la récupération de terrain sur les marécages, est
occupée par la cathédrale de Sully, le palais épiscopal au
sud, l'enclos canonial au nord qui tend à se développer vers
l'est ; l'hôtel-Dieu au sud-ouest. Une très large rue (6
mètres) percée par Maurice de Sully dans l'axe du parvis
(40 mètres de profondeur le relie au petit pont et au pont
Notre-Dame, et de là à l'ensemble du diocèse. Ainsi
s'explique-t-on que Notre-Dame de Paris ne fut pas l'un des
grands sanctuaires de la monarchie française : la
cathédrale de Reims en faisait fonction pour le sacre,
Saint-Denis pour la mort. Elle jouera cependant à certaines
occasions le rôle de substitut. Après Maurice de Sully, le
seigneur Eudes de Sully continua la construction de la
cathédrale entre 1195 et 1208. Il ne reste pas d'images de
Maurice et Eudes de Sully sur les murs, mais seulement le
rite de l'élévation de l'hostie à la messe que l'évêque
Maurice de Sully institua à Notre-Dame. Le poète Etienne
de Tournai composa l'épitaphe pour la tombe de l'évêque :
116
"Ayant édifié un temple magnifique et de nombreux
monuments en demeurant pauvre lui-même, et ayant
préparé des refuges pour les divers pauvretés et ayant
gardé sa main ouverte à tous...il est devenu une pierre
vivante de la Cité éternelle..."1
La cathédrale de Paris devait être achevée qu'en 1272,
grâce à la générosité du peuple de Paris, de Blanche de
Castille et de Saint Louis.
Comme plusieurs autres cathédrales de France, Notre-
Dame de Paris fut construite comme un immense reliquaire
pour abriter diverses reliques et objets personnels des
saints. Les plus importantes pièces sont le reliquaire de la
couronne d'épines, un autre reliquaire contenant un
morceau de la vraie Croix et un des Clous de la passion,
une croix palatine renfermant un autre morceau de la
même Croix et des pièces d'orfèvrerie religieuse.
En 1237, au moment de la visite en France de
l'empereur byzantin Beaudouin de Courtenay, Saint Louis
entreprit avec lui des tractations en vue d'acquérir la
relique de la Sainte Couronne d'épines (fig. 49) et quelques
autres reliques de la Passion, autrefois conservées
Byzance, mais alors déposées en gage chez un banquier de
Venise. Deux ans plus tard, le roi de France désintéressa le
patricien vénitien pour l'énorme somme de cent trente cinq
mille livres et envoya des dominicains en prendre
possession. Lui-même et son frère Robert d' Artois
l'accueillirent en grande pompe à Villeneuve et la 1 Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit. p. 5
117
conduirent à Paris. La Cité la reçut le 18 août 1239. Aux
yeux du roi Louis elle était plus précieuse qu'une couronne
d'or et que son royaume parce qu'elle symbolisait le
royaume de Dieu. Elle fut gardée pendant les siècles
suivants à la Sainte Chapelle qui fut construite comme un
somptueux reliquaire à cet effet. Peu après le
rétablissement du culte catholique qui fut interrompu à
Notre Dame de 1793 à 1801, la Sainte Couronne fut
confiée au chapitre des chanoines de la cathédrale et aux
chevaliers du Saint Sépulcre. Il est impossible de se
prononcer avec certitude sur son authenticité, bien que des
indices historiques puissent être trouvés dès le IVe siècle.
Matériellement, la relique consiste en un anneau de joncs
tressés auquel des épines auraient été attachées pour
former la couronne de dérision l'histoire des fragments de
la Croix qu'à possédés le trésor de la cathédrale est assez
déconcertante. On n'y compte pas moins de neuf parcelles
"authentiques" du XIIe au XIXe siècle : la "croix d'Anseau"
(quatre fragments), envoyée au chapitre en 1109 par un
ancien chanoine de Paris, nommé Anseau, et devenu
chantre à Jérusalem; la "croix palatine" (une portion), qui
appartient notamment à l'empereur Manuel Comnène, puis
à Anne de Gonzague de Clèves, princesse Palatine, relique
entrée à Notre-Dame le 22 février 1828 ; la "croix de saint
Claude" (une portion), que le roi René avait d'abord remise
aux Célestins d'Avignon; les reliques saintes "de Saint
Louis" (trois fragments), enfin, que le roi obtint de
118
Beaudouin et déposa a Sainte Chapelle. C'est l'un de ces
trois derniers fragments, et le plus considérable (sa
longueur atteint 22 cm), qui est aujourd'hui offert à la
vénération des fidèles, à l'intérieur d'un reliquaire de
cristal, de vermeil et de bronze, dessiné par Viollet-le-Duc.
Quant aux Clous, la France en possède deux : celui de
Notre-Dame et celui de Carpentras1. Ils ne se ressemblent
pas. Le Clou de la Cité, après une existence mouvementée,
entra au trésor de Notre-Dame en 1824. Long de 9 cm et
dépourvu de tête, il est enfermé dans le reliquaire de
bronze et de vermeil qui contient également le bois de la
Croix. Mais alors que le saint Clou de Carpentras,
étonnamment inoxydable, a résisté à toutes les injures du
temps, le Clou de Notre-Dame est, au contraire, fort
rouillé. D'autre part, alors que la relique de la cathédrale
Saint-Siffrein était invoquée avec succès contre la rage, le
frère parisien ne semble pas avoir joué un rôle de
guérisseur miraculeux. Il y a là des variations de degré,
comme de nature, que ne suffisent pas à expliquer
l'optimisme thaumaturge de la Provence.
Pourtant, le premier trésor de la cathédrale est
l'Eucharistie célébrée chaque jour et conservée dans la
chapelle axiale pour la dévotion des fidèles. Parce que le
Christ a donné sa vie pour les hommes, les saints qui ont
vécu dans la diocèse de Paris sont le vrai trésor de la
1 cf. Guide de Provence mystérieuse, réalisé sous la direction de François Caradec et Jean Robert Masson, Eds. Tchou, Paris, 1965, p. 104. Les deux autres clous officiels de la Croix sont à Rome et à Monza (Italie).
119
cathédrale, le signe le la puissance du Salut offert par
Jésus. Leurs images de pierre ou de verre font de la
cathédrale un grand trésor qui accueille les fidèles comme
les membres du Christ, comme les demeures du Christ, les
demeura de Dieu qui habite en eux.
La troisième par la date de construction des grandes
cathédrales gothiques françaises, après Saint-Denis et
Sens, Notre-Dame de Paris est peut-être la plus proche de
la perfection et, à coup sûr, la plus racée et la plus
admirée. Imposante et majestueuse dans son unité
stylistique et formelle, la façade de la cathédrale se
présente divisée verticalement en trois parties par les
piliers, et disposée horizontalement sur trois plans, celui
du rez-de-chaussée à ouvrant par trois portails en
profondeur. Les portails de la cathédrale, remarquables
par leur diversité et la richesse de leur iconographie, ont
pour vocation l'évangélisation des fidèles. Parmi les autres
cathédrales, celle de Paris présente une particularité
étonnante : aucun portail ne montre la profession de foi
des chrétiens comme cette affirmation : "Je crois en Dieu le
Père, Créateur... ". Par contre, trois de ces cinq portails
sont consacrés à Marie et à son Fils. "Le gothique de ces
portails est caractérisé par une façon plus tendre et plus
directe de regarder la nature et de l'interpréter, en pliant
la matière en des formes plus délicates et en faisant
circuler librement l'espace entre une figure et l'autre"1.
1 Marcel Aubert, Notre-Dame de Paris, Eds. A. Michel, 1972, p. 132.
120
Les travaux de Notre-Dame commencèrent par la porte
de la Vierge (fig. 50), au côté gauche de la façade. Ce
portail a été posé entre 1210 et 122o. Il y reste encore
quelques traces des peintures d'origine, sans doute bleu
azur pour le fond, blanc et or pour les personnages.
Consacrée à Marie et à son Triomphe au Paradis, elle est
"le plus magnifique chant de gloire à la Vierge qu'ait
imaginé le XIIIe siècle"1. Le thème gracieux dont la
composition fut fixée a Senlis en 1185, et que nous
retrouvons à Jantes, Laon, Braisne, Chartres et bientôt à
Amiens, se présente ici sous un aspect unique. Les scènes
traditionnelles, la mort, la résurrection, le couronnement
de la Vierge avec leurs détails pittoresques ou émouvants,
leurs nombreux personnages, ne pouvaient convenir à
l'esprit noble et calme qui a dicté la composition de la
façade de Notre-Dame : la sculpture a réuni ici en une
seule scène la Mort et la Résurrection de Marie et
conservé à toutes les statues du trumeau et des
ébrasements et une partie des statues et statuettes des
une échelle grandiose digne de l'architecture. Les
tympans, les statues des voussures, les nombreux bas-
reliefs de la porte de la Vierge et de la porte centrale sont
anciens et d'une qualité de composition et d'exécution
remarquable que faisaient encore mieux valoir autrefois les
ors et les couleurs dont ils étaient revêtus.
La porte centrale (fig. 51), porte du Jugement Dernier,
fut sculpté vers 1220: le Christ-Juge encadré de la cour 1 Marcel Aubert, Le Gothique à son apogée, Eds. A. Michel, Paris, 1963, p. 73.
121
céleste domine la Résurrection des morts et le Pèsement
des âmes. La sculpture du tympan manifeste la victoire de
Dieu sur le mal. Jésus trône au centre de la Jérusalem
céleste descendue du ciel pour abriter tous les hommes
dans la sécurité de ses murs. Sur les soubassements sont
figurées en bas-relief les vertus qui conduisent au Paradis,
les vices qui précipitent en enfer.
La porte de droite est la porte Sainte-Anne (fig. 52).
L'architecte a ici remployé le tympan et l'un des linteaux,
les statues du trumeau et des ébrasements7 et une partie
des statuettes des voussures d'un portail préparé vers
1165-117o dans l'esprit des portails de Saint-Denis et de
Chartres. Vers 1225, pour donner à cet ensemble un
volume suffisant dans la nouvelle façade, on dut ajouter un
deuxième linteau portant l'histoire d'Anne et de l'une
d'entre elles s'ouvrait justement à cet endroit. Le linteau
du tympan montre le rôle de Marie dès l'enfance du
Sauveur. Elle offre son fils à Dieu et l'accompagne lorsqu'il
est persécuté, profondément unie à sa maison. Au-dessus
de cette porte se trouve la grande rose élevée vers 125o
par Jean de Chelles qui a créé ici une œuvre d'une
hardiesse et d'une légèreté sans précédent. Cette rosace
est la plus grande avec la rosace sud. C'est aussi la mieux
conservée : la moitié de ses vitraux sont encore ceux du
XIIIe siècle.
Face au Quartier latin (fig. 53), celui des étudiants qui
parlaient latin, Saint Louis a fait dresser un portail
122
consacré au premier martyr chrétien saint Etienne, patron
de la primitive cathédrale. De la gauche vers la droite et
d'en bas vers le haut on voit Saint Etienne enseignant aux
autorités juives et au peuple, puis jugé, lapidé, enseveli et
béni par le Christ. Dans la scène de l'ensevelissement,
deux clercs portent l'eau bénite, emprunté au rite
traditionnel.
A son époque, la cathédrale de Paris (fig. 54) a été le
plus grand bâtiment construit depuis les Romains. La
cathédrale a 130 mètres de long, 1o8 de large, 35 de
hauteur sous la voûte et 69 au sommet des tours et peut
contenir facilement 9ooo personnes. Elle possède un grand
vaisseau coupé par un transept et entouré de doubles
collatéraux; le déambulatoire est double également, mais
primitivement sans chapelles rayonnantes. Les grandes
arcades retombent uniformément dur des colonnes; au-
dessus, les tribunes, ensuite des roses ouvrant sur les
combles et les fenêtres hautes, assez petites et sans
meneau - on les agrandira vers 123o, aux dépens des roses
du triforium. L'élévation sera alors ramenée a trois étages.
Viollet-le-Duc a rétabli dans la première travée de la nef,
au-delà de la croisée du transept, l'élévation primitive de
quatre étages. L'alternance subsiste dans l'épine des
colonnes, qui séparent les doubles collatéraux de la nef; les
piles fortes, colonnes entourées de colonnettes en délit,
correspondent à la retombée des doubleaux et des ogives
principales des voûtes sexpartites du vaisseau central.
123
L'église est divisée en cinq nefs par des piliers cylindriques
de cinq mètres de diamètre.
La longue allée qui va d'Ouest en l'est vers l'autel et le
soleil levant s'appelle nef parce que sa voûte, fichée dans
le ciel comme un bateau renversé, rappelle le symbole de
la barque de l'apôtre Pierre miraculeusement remplie de
poissons à la voix de Jésus. L'invention de la croisée
d'ogives rendait moins nécessaire le soutient des
contreforts de pierre pour affermir la voûte enfin
supportée par les piliers. Ce sont les menuisiers amateurs
de bateaux, les "nefs", qui ont montré comment bâtir la
toiture de bois et de métal des églises doute avaient-ils
profité du savoir des Normands qui tenaient des Vikings
une compétence maritime inconnue en France.
Joachin et le mariage de la Vierge et de Joseph, d'une
délicatesse charmante. Les attitudes et les draperies plus
souples, les portions plus trapues tranchent avec la raideur
des figures du linteau supérieur, longues et minces, vêtues
de robes collantes aux plis réguliers et cassants, qui
représentent les scènes de l'Enfance du Christ, et au-
dessus, la Vierge en Majesté, comme à Chartres, entre
l'évêque Maurice de Sully et le doyen du chapitre d'un
côté, le roi Louis VII de l'autre.
Au-dessus des portails se trouve la galerie dite des rois
(fig. 55) avec ses vingt-huit statues représentant les rois
d'Israël et de Juda. Mais, d'après la Bible, il n'y auraient eu
que dix-huit ou dix-neuf rois. On peut alors dire que la
124
galerie des rois reprend le cycle lunaire de Vénus ou d'Isis,
parce que le mois lunaire a vingt-huit jours. Le peuple qui
avait cru y voir les rois de France détestés, les abattit en
1793; par la suite, au cours des restaurations, elles furent
remises à leur place originelle.
La partie centrale s'ouvre par deux grandioses fenêtres
géminées qui encadrent la grande rosace datant des
années 1220-1225, de 10 mètres de diamètre environ. Elle
est repartie en trois cercles, dont le deux plus grandes sont
divisés en douze et vingt-quatre parties. Les statues de la
Vierge à l'enfant entre deux anges au centre, d'Adam et
d'Ève sur les côtés constituent l'élément plastique de cet
étage intermédiaire. Au-dessus de celui-ci court une
galerie d'arcatures entrelacées, véritable dentelle en
pierre, trait d'union entre les deux tours latérales. La
galerie ajourée est surmontée d'une balustrade, royaume
de chimères, striges, démons, monstres, oiseaux aux
formes fantastiques ou fabuleuses, des figures grotesques
de monstres grimaçants, nés aux endroits les plus sombres
et inattendus de la cathédrale. Elle même est dominée par
les deux tours d'où on peut admirer le célèbres gargouilles.
Perchées sur un pinacle gothique, à demi cachées par une
flèche ou en équilibre sur un prolongement du mur, toutes
ces figures de pierre semblent être là depuis des siècles, à
méditer sur le destin de l'humanité qui grouille là, très loin
en bas.
125
Les tour latérales n'ont jamais été terminées et même
sans les flèches conservent toute leur séduction due aux
immenses fenêtres géminées. La tour sud renferme un
bourdon de 13 tonnes dont la sonorité exceptionnelle serait
due aux bijoux d'or et d'argent qui furent mêlés au bronze
lorsqu'il fut fondu. Il date de Louis XIV et fut baptisé
Emmanuelle-Louise Thérèse. Elle est considérée la plus
vieille et la plus grosse cloche de Notre-Dame puisqu'elle
date de 1631).
Le portail du bras nord (fig. 56) de la cathédrale porte
aussi le nom de la rue de Cloître, ainsi dénommé parce que
le quartier qui bordait la cathédrale de ce côté constituait
un enclos auquel plusieurs portes donnaient accès.
Le plan primitif de la cathédrale Notre-Dame de Paris
ne prévoyait pas les chapelles qui rayonnent tout autour de
l'édifice. C'est Saint Louis qui fit reculer les murs des
allées latérales entre les contreforts à partir de 1235 pour
donner ces nouvelles chapelles aux confréries de
travailleurs. Les 128 corporations de la fin du XIIIe siècle
se montraient très généreuses envers la cathédrale : celle
des orfèvres, surtout, très illustre dans toute l'Europe,
offrait des "Mays" à la Vierge Marie, le premier Mai de
chaque année, d'abord des fleurs ou un bouquet de
verdure, puis de petits tableaux devant l'église, puis des
oeuvres d'art. Notre-Dame de Paris (fig. 57) est sombre,
l'histoire de sa construction nous l'a fait comprendre. On
est ravi par l'éclat d'un grand mur de lumière colorée, la
126
rose nord. À gauche, la rose ouest semble saillir du buffet
des orgues. A l'arrière on aperçoit la rose du midi qui
flamboie. Serait-il là dans "la Ville sainte, Jérusalem qui
descendait du ciel, avec ses murailles grandes et hautes,
parées de toute pierre précieuse, jaspe, saphir, émeraude
etc."1 douze couleurs au total, ainsi que les présente
l'Apocalypse.
Toute la richesse lumineuse de Notre-Dame est là! Des
vitraux, il y en eut bien plus, sans doute des meilleurs, mais
le siècle des lumières est passé par là. Seules les roses ont
échappé, en 1753, au vandalisme des chanoines qui firent
casser cette vitrerie "barbare" pour la remplacer par de
fades verrières qui ne survécurent pas à quelques
décennies de manque d' entretien.
Architecturalement, les trois roses de Notre-Dame sont
des tours de force de leurs architectes. Les signes du
zodiaque des vitraux de la grande rosace centrale, et ceux
sculptés, du portail de la Vierge sont généralement
considérés comme des représentations du cycle annuel. Il
est remarquable, cependant, que le cercle céleste de la
rosace de la façade ne commence pas par le signe du
Bélier, ainsi que le voudrait l'astrologie occidentale, mais
par les Poissons, comme dans la tradition hindoue. Signe
astrologique de la vie mystique, de l'union intime de l'âme
individuelle avec l'âme du monde, les Poissons sont le
signe de Vénus dans la mythologie grecque. L'élément
1 Marie-Jeanne Coloni, Au cœur de la cité; vivante cathédrale, Eds. du Signe, Paris, 1995, p. 39.
127
aqueux des Poissons complète l'élément terrestre de la
Vierge, la conscience de l'universel complétant la
conscience de sa propre matière.
Là Vierge placée au centre de la rose d'ouest porte une
robe verte sous un manteau rouge, alors qu'en symbolique
chrétienne on lui attribue toujours la couleurs bleue. Dans
toutes les traditions initiatiques, on retrouve une valeur
symbolique affectée au rouge. Et, dans le cas de la Vierge
de la rosace, l'image du manteau est elle-même une arme
parlante. Dans la franc-maçonnerie de "rite écossais ancien
et accepté", le temple où l'on confère le titre de Chevalier
d'Orient et d'épée" (15e degré, premier grade reçu par
l'initié venu des loges de perfection) est divisé en deux
appartements, l'un vert, l'autre rouge1. Pour Fulcanelli2 le
rouge est la couleur de la pierre philosophale: "… Quant au
rouge, symbole du feu, il marque l'exaltation, la
prédominance de l'esprit sur la matière, la souveraineté, la
puissance et l'apostolat. Obtenue sous forme de cristal ou
de poudre rouge, volatile et fusible, la pierre philosophale
devient pénétrante et susceptible de guérir les lépreux,
c'est-à-dire de transmuer en or les métaux vulgaires que
leur oxydation rend inférieurs, imparfaits, malades ou
infirmes". La rose de l'ouest (fig. 58), en partie cachée par
les orgues, nous rappelle que Viollet-le-Duc, son
restaurateur, devançant la théorie baudelairienne des
correspondances, imaginait, enfant, que la musique des 1 Cf. Guide du Paris mystérieux, p. 563.2 A. Fulcanelli, Le Mystère des cathédrales, Eds. Denoël, Paris, 1957, p. 129.
128
orgues naissait de la lumière rayonnante à travers les roses
de Notre-Dame. Ainsi, une cathédrale sans voix et sans
musique ne serait qu'un vaisseau vide et sans âme. Dès son
origine, la cathédrale de Paris et la Musique ne firent
qu'un. A la fin du XIIe siècle, les voûtes en ogive, toute
nouvelles, lancées en plein ciel pour constituer le choeur
de l'église, rappelaient une musique, toute nouvelle aussi.
Les maîtres de chartreuses de l'époque mirent au point un
style audacieux de chant à. plusieurs voix superposées, qui
fit le renom de l'Ecole Notre-Dame, avec Léonin, Pérotin et
leurs célèbres "organa". C'est à la même époque que fut
mis en service le premier orgue de la cathédrale. C'était un
petit orgue, qui se mêlait au choeur pour soutenir la teneur
du plain-chant.
L'architectonie propre à Notre-Dame de Paris, cette
organisation spécifique de l'espace cathédral
correspondant à sa triple fonction de Maison de Dieu,
Maison du Peuple et Maison de l'évêque, est porteuse aussi
d'une autre haute signification spirituelle. De ce point de
vue , cette cathédrale représente aussi un autel dressé à la
Sainte Vierge à laquelle on a rendu un culte ardent à
travers tant d'âges et de générations de Rutebeuf et de
Villon à Péguy et à Claudel, de saint François de Sales à
Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et à Jean-Paul II. Et nous
n'avons cité que quelques-uns de ceux qui ont donné à la
dévotion mariale une force d'expression, une piété et un
lyrisme inoubliables.
129
Dans sa prière devant Notre-Dame de Paris, récitée le
30 mai 1980, le pape Jean-Paul II lui adressait cette
supplication fervente, caractéristique pour la sensibilité du
chrétien contemporain :
Vierge Marie, au cœur de la Cité
Nous te prions pour notre ville capitale.
Toi, l'Intacte, garde-lui la pureté de la foi!
Vierge Marie, depuis ce bord de Seine,
Nous te prions pour le pays de France.
Toi, Mère, enseigne-lui l'espérance!
Vierge Marie, en ce haut lieu de chretienté,
Nous te prions pour les peuples de la terre.
Toi, pleine de grâce, obtiens qu'ils soient un dans l'Amour!"1
Pôle magnétique de la spiritualité française, repère
emblématique de tout un pays, Notre-Dame de Paris est
plus vivante aujourd'hui que jamais. Et son âge compte
huit siècles! Tout au long de l'année, les communautés de
fidèles se succèdent pour célébrer l'unité de l'Eglise dans
sa diversité : étudiants au départ de la route de Chartres,
jeunes confirmés, catéchistes, mouvements de jeunes et
d'aînés, ordinations diaconales ou sacerdotales. La
cathédrale reste ainsi une église ouverte sur le monde
contemporain dont l'universalité est signifiée dans toute
liturgie : fêtes solennelles et dimanches rassemblent des
chrétiens de tous les points cardinaux qui peuvent, chacun
dans sa langue, proclamer la gloire de Dieu. De toute
façon, pour quiconque franchit son seuil, Notre-Dame se
1
? Apud Marie-Jeanne Coloni, op. cit., p. 47.
130
fait maternelle : on ne la visite pas, il faut y entrer et se
laisser habiter par une présence. Le poème si connu que
Paul Claudel a dédié à Marie garde toujours, toute fraîche,
l'émotion frémissante d'un tel instant :
"Il est midi, je vois l'église ouverte. Il faut entrer
Mère de Jésus, je ne viens pas prier.
Je n'ai rien à offrir et rien à demander.
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
Que je suis votre fils et que vous êtes là…"1
CHAPITRE IVCHAPITRE IV
NOTRE-DAME DE CHARTRESNOTRE-DAME DE CHARTRES
"En somme, avec la teinte de ses pierres et de ses vitres, Notre-Dame de Chartres était une blonde aux veux bleus. Elle se personnifiait en une sorte de fée pâle, en une Vierge mince et longue, aux grands yeux d'azur ouverts dans les paupières en clarté de ses roses ; elle était la mère d'un Christ du Nord, d'un Christ de primitifs de Flandres, trônant dans l'outremer d'un ciel et entourée, ainsi qu'un rappel touchant des Croisades, de ces tapis orientaux de verre."
1 A ses dix-huit ans éclate "la crise", dont la solution va fixer une fois pour toutes le sens de la vie et de l'œuvre de Claudel. Il devait faire le récit de cette transfiguration en ces termes : "Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire, et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérés avec un dilettantisme supérieur, je traversais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C'est dans ces dispositions que … j'assistai, avec un plaisir médiocre, à la Grand Messe. Puis … je reviens aux Vêpres. Les enfants de la Maîtrise … étaient en train de chanter ce que je sus plus tard être le Magnificat. J'étais moi-même debout dans la foule près du second pilier à l'entrée du chœur, du côté de la Sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée n'ont pu ébranler ma foi ni, à vrai dire, la toucher …" (Contacts et circonstances, 1940). In Collection littéraire Lagarde et Michard, Xxe siècle, p. 188) Les vers cités se trouvent dans le livre de Jeanne Marie Coloni, op. cit., p. 46.
131
J.-K. Huysmans, La Cathédrale
A l'extrémité de la Beauce, au bord du plateau
brusquement interrompu, Chartres est à la fois une ville de
plaine, avec son vaste horizon de blés, et une ville en
hauteur, où monte la progression des toits, le long des
pentes raides et des ruelles à pignons. A l'est, le socle de
l'église est coupé par une faille, et l'abside domine le vide ;
à l'ouest, le plateau penche avec douceur. La cathédrale,
comme une place d'armes, commande et possède la ville.
Depuis les bras de l'Eure qui coulent au pied de l'escarpe
et qui dessinent des îlots de jardins, on dirait qu'elle attire
Chartres pour le prolongement dans les cieux, avec ses
ponts, ses moulins, son boulevard d'arbres, sa porte
fortifiée, ses églises, Saint-André, Saint-Pierre, Saint-
Aignan. Ces sites, ces paysages où s'est développée la
pensée gothique font partie d'elle-même.
C'était là, un siècle avant Jésus Christ, l'Autricum de
César, un important nœud routier dans une boucle de
l'Eure, sur un promontoire de 160 mètres altitude, hauteur
considérable pour la région de Beauce. Christianisée dès le
Ier siècle par des saints fabuleux, Altin et Eodald, la ville
une évêché au IVe siècle avec saint Aventin qui y éleva la
première église. Au même siècle, le martyr saint Georges
se fit remarquer. Son culte fut très populaire, dans le
Moyen Age, aussi bien en Occident, qu'en Orient. Mais on
ne sait rien de sa vie. On l'identifie parfois avec le jeune
132
homme qui déchire de ses mains l'édit de persécution
contre les chrétiens, comme un vitrail de la cathédrale le
montre. Un autre vitrail de la cathédrale de Chartres
représente son combat contre le Dragon qui est le symbole
de son triomphe contre le paganisme. La statue de saint
Georges du portail sud incarne la force virile en chevalier
du temps de Saint Louis (vers 12407). Il est représenté à
pied, armé comme un croisé, prêt de combattre contre le
paganisme. A côté de cette statue on remarque celles du
saint Vincent, saint Denis et saint Piat. Saint Vincent,
d'origine espagnole, est représenté avec ses ornements de
diacre, portant le gril de son supplice. Les épisodes de sa
vie sont contés sur les vitraux. Saint Piat évangélisa la
région de Beauce et sa statue le représente bénissant le
peuple.
La fortune de cette ville vient du culte d'une vierge
noire dite Notre-Dame-Sous-Terre, dont l'origine est
païenne et d'une relique de la chemise de la Vierge donnée
vers 876 par Charles le Chauve. Très importante ville
médiévale de pèlerinage, puis de métiers d'eau (moulins et
tissages), elle révèle de son évêque, prince du plus grand
évêché de France, contenant dix-sept cents paroisses entre
Seine et Loire. Le plus riche aussi, avec les fermes de blé
de la Beauce. Tout cela justifie la construction d'un premier
sanctuaire monumental par l'évêque Gislebert, puis sa
reconstruction après l'incendie de 1020, par l'évêque
Fulbert, au XIe siècle, quand la ville était déjà célèbre en
133
Europe et surtout en Angleterre par ses écoles de théologie
et de philosophie. L'évêque Fulbert dit aussi saint Fulbert
de Chartres, fut très important pour l'histoire de la ville.
Venu vers 984 à Reims pour suivre l'enseignement de
Gislebert, il devint l'ami du futur roi de France, Robert. En
992 il étudia la médecine à Chartres où il fut élu évêque en
1006. Il devint le conseiller du roi Robert, dont il défendit
les intérêts avec rigueur, notamment à l'assemblée de
Chelles (1008). Grâce à l'amitié de Guillaume V, duc
d'Aquitaine, il entreprit la cathédrale de Chartres.
Malgré trois incendies et une reconstruction partielle,
la cathédrale de Chartres reste encore d'une admirable
sobriété. Le 5 septembre 1134, la façade de la cathédrale,
construite au XIe siècle par Fulbert, fut détruite par un
incendie. Aussitôt, les deux grandes tours sont
commencées, d'abord celle du Nord, puis vers 1145 celle
du Sud. La façade, prévue un peu en arrière de ces tours,
avancée, vers 1150, leur niveau occidental et enrichi d'une
magnifique décoration sculptée, le Portail Royal. Les
travaux avancèrent rapidement grâce à l'enthousiasme de
la foule qui aida les ouvriers à amener des carrières de
Berchères les beaux blocs de pierre dont elle est
construite.
"Le vendredi 11 juin 1194, le feu démoniaque
réapparut. La charpente, comme toujours nourrit son
appétit. Le toit était en plomb, et le métal fondu, tombant
dans le brasier, rendait tout secours impossible.
134
Impuissant, le peuple fidèle vit, des heures durant, les
verrières éclater, les murailles chères crouler, cependant
que le vent jetait les flammèches sur tous les quartiers de
la ville. Cette fois, il s'en fallut de peu que le désespoir eût
raison de toute confiance en la Sainte Providence. Puisque
Dieu lui-même semblait ne pas vouloir protéger sa
demeure, pourquoi les hommes s'obstinent-ils à la
réédifier?"1 A la suite de cet incendie, seules les parties
voûtées, cryptes et narthex furent protégées. Restèrent
intactes aussi les deux clochers et la façade occidentale, le
Portail Royal avec ses verrières.
A la Révolution, le mobilier fut brisé, le trésor fondu,
bien des motifs mutilés, nais, heureusement, sculptures et
vitraux furent épargnées.
Un nouvel incendie, le 4 juin 1836, détruit beffrois et
charpentes, mais les voûtes résistèrent et la cathédrale fut
sauvée. Une charpente de fer la protège aujourd'hui. Après
cet incendie on restaura le clocher Vieux et la seule grande
flèche authentique de France.
Chartres est un important centre de pèlerinage dû au
culte de la Vierge, dès le VIIe siècle. Il est vraisemblable
que son développement prit une certaine importance sous
l'évêque Fulbert, qui prît à cœur de développer le culte de
la Vierge, en donnant à la fête de la Nativité de la Vierge (8
septembre) une solennité particulière. Elle devint aussitôt
L'un des jours où les pèlerins affluaient, avec le 15 août,
l'Assomption. C'est en fait au cours des XIIe et XIIIe 1 Daniel Rops, op. cit., p. 61
135
siècles que le pèlerinage prit une ampleur exceptionnelle,
comme l'atteste d'ailleurs, en 1260, le pape Alexandre IV
qui évoque la "multitude innombrable des fidèles"1.
Simples fidèles, puissants seigneurs s'y côtoyaient. Henri
III d'Angleterre y vint à plusieurs reprises et Saint Louis s'y
rendit pieds nus de Nogent-le-Roi. La Révolution
interrompit provisoirement ce flot humain qui reprit dans
la seconde moitié du XIXe siècle. Péguy s'y rendit en 1912,
et sur ses traces les étudiants dont le nombre ne fit que
s'amplifier, pour atteindre en 1995 le chiffre de 30 000.
Cette célébration de la Vierge, qui prend au cours du XIIe
siècle une ampleur spectaculaire, a'appuyait en outre sur
la présence d'une statue de bois et d'une sainte relique.
Cette statue de bois figurant la Vierge assise tenant son
Fils sur ses genoux soulève un certain nombre de
difficultés d'interprétation qui expliquent le halo
mystérieux dont elle est entourée très tôt. Sa disparition en
1793 oblige à se référer aux quelques documents
graphiques (fig. 59) qui la représentent et à la copie qui en
est effectuée sans doute au XVIIe siècle, conservée depuis
1897 par le Carmel de Chartres. L'original, dont on peut
dire qu'il a été taillé dans du bois de poirier est entouré dès
le Moyen Age d'une signification particulière, dont on
trouve le premier témoignage en 1389, mais qui remonte à
une date plus ancienne. La statue, antérieure au
christianisme serait une préfiguration, à l'époque païenne,
de la venue de Messie. Elle serait l'œuvre des druides qui 1 apud Alain Erlande-Brandenburg, Chartres. Dans la lumière de la foi, p. 11
136
lui auraient rendu un culte spécial sous le nom de "Virgo
paritura", la Vierge parturiente, la plaçant au-dessus d'un
autel abrité dans une grotte. Mais il est sûr qu'elle existait
bien avant et qu'en arrivant en ce lieu, avec leurs
évangéliaires et leurs capsules à reliques, les porte-parole
du Christ, reconnaissant en ces mythes l'obscur
pressentiment des vérités chrétiennes, n'avaient dû faire
selon le conseil du grand pape Grégoire que les baptiser".
l'originalité de l'œuvre, son aspect extérieur - le bois est
mangé - les vers et son aspect rendu noirâtre par la fumée
des cierges - expliquent aisément que le sentiment
populaire n'a pas hésité à en faire remonter l'exécution
dans le temps. Il s'agit en fait d'une statue du XIIe siècle
dont on trouve de très nombreux témoignages en
Auvergne, mais aucun dans la France du Nord. On
s'explique aisément l'incompréhension dont elle est
entourée et son exégèse. C'est cette Vierge – aujourd'hui
remplacée par une copie - dont s'inspira le sculpteur qui
exécuta le tympan du portail sud, à la façade occidentale.
En 876, Charles le Chauve fit don de la "Sainte-
Chemise" de la Vierge qui a été envoyée à Charlemagne
pour Aix-la-Chapelle par l'empereur byzantin. La présence
de cette importante relique doit avoir un rôle primordial
dans le culte de la Vierge. Elle passa pour être la robe
qu'elle a portée le jour de l'Annonciation et se trouve
précieusement conservée au Xe siècle dans une châsse de
bois revêtue de plaques d'or. Au XIVe siècle, Charles V
137
l'enrichit du fameux camée antique figurant Jupiter et son
aigle qui passe pour représenter saint Jean et son symbole
de la cathédrale et est censée la protéger de tous les
drames. Il s'agit d'une pièce d'étoffe orientale qui pourrait
remonter au premier siècle chrétien.
A ces deux précieux reliques s'ajoute un élément
architectural qui prend dès l'origine une profonde
signification symbolique : les Puits des Saints Forts (fig.
60). Comblé au milieu du XVIIe siècle, il est découvert lors
des fouilles effectuées en 1901 par René Merlet, dans le
mur sud de l'avant-dernière travée du bas-côté nord de la
crypte. "Les païens l'avaient-ils - cet usage était répandu
chez eux - entouré de vénération, comme ils faisaient de
sources et des fontaines sacrées, en qui ils voyaient les
gîtes de déesses liquides?"1. Au XIIe siècle il porte le nom
de Puits des Saints Forts, par référence à la Passion de
Saint Savinien. Elle affirma que les corps des premiers
chrétiens - les saints Forts - y seraient précipités après leur
martyre. Dès cette date, le puits jouit d'une grande
réputation et le moine qui rédige vers 1080 le Cantulaire
de Saint-Pierre assure qu'il est l'objet d'un pèlerinage très
fréquent depuis 858, et que l'eau puisée opère de
nombreux miracles. Sa réputation fut telle qu'un hôpital fut
installé à proximité dans une des galeries des cryptes, pour
y soigner les malades pris de ce qu'on appelle, au Moyen
Âge, "le Mal des Ardents"2. Des religieuses leur assurèrent
des soins attentifs durant neuf jours. La liaison étroite 1 Daniel Rops, op. cit.
138
entre un puits dont l'eau est jugée miraculeuse et le culte
des martyrs n'a rien d'exceptionnel à l'époque. Il en existe
de nombreux exemples, ainsi à Saint-Médard de Soissons,
à Saint-Germain-des-Près à Paris, à Saint-Géréon de
Cologne, à Saint-Pierre-le-Vif à Sens, à Saint-Martin de
Tours. Il semble bien que la présence de puits creusés à
proximité d'une tombe sainte soit une indication de haute
antiquité, même s'il existe des exemples tardifs. Ainsi, à
Lagny, le puits n'a été creuse qu en 1074. A Chartres, il
prend une signification particulière parce qu'il paraît être
associé très tôt non pas tant au culte des martyrs qu a celui
de la statue de la Vierge parturiente. Il semble bien que
l'évolution architecturale de la cathédrale soit liée à cette
jonction exceptionnelle: la statue de la Vierge et l'eau
miraculeuse se trouvent étroitement associées
topographiquement depuis une date qu'il n'est pas possible
de fixer et qui doit se prolonger jusqu'au milieu du XVII e
siècle.
Depuis les temps les plus anciens, les chrétiens se sont
acheminés sur les routes pour venir prier à l'intérieur de la
cathédrale, unissant leur prière pour exprimer leur foi et
leur vénération envers la Mère du Christ. Les pèlerins
modernes sont les héritiers de ceux qui ont découvert au
début du XIII siècle, la cathédrale éclatante dans sa
parure de pierre.
2 Le mal des ardents était une maladie présentant les caractères de l'ergotisme, quisévit sous forme d'épidémie du Xe au XIIe siècle (apud Le Petit Larousse en couleurs, Eds. Larousse, 1994.)
139
Les sculpteurs qui venaient d'achever à Saint-Denis la
tâche que leur avait assignée Suger furent sollicités de
travailler au milieu du XIIe siècle au Portail Royal de
Chartres, sur la façade occidentale d'une cathédrale que
l'incendie détruisit quelques décennies plus tard. L'édifi-
cation de ce front occidental (fig. 61) prend une
signification particulière, "étroitement liée à la réflexion
métaphysique d'un certain nombre de religieux"1 .Pour la
première fois dans l'histoire, le front occidental d'une
cathédrale adopte une partie sculptée que les bénédictins
avaient répandu à Cluny, à Noissac, Saint-Denis. Le thème
fut repris aussitôt dans toutes les cathédrales de l'Île-de-
France, puis bientôt dans sa périphérie. Grâce à sa largeur
le transept put recevoir des portails sculptés rivalisant
d'ampleur avec ceux de la façade principale. Ainsi, à
Chartres, on peut voir pour la première fois trois portails à
chaque bout du transept. Ce qui explique que la surface
sculptée, auparavant réservée au portail d'entrée, fut
multipliée par trois. Parallèlement à cette amplification du
programme sculpté apparut un changement de style. On
passa d'une conception seulement dynamique de la
sculpture romane, animée mais plate, à une conception
plus plastique : la sculpture se libéra de l'architecture.
L'art gothique ainsi défini alliait le sens du monumental à
la souplesse des attitudes, et prit toute son ampleur avec la
prodigieuse équipe réunie sur le chantier de Chartres. Les
1 Alain Fulcanelli, L"e Mystère des cathédrales, Eds. Denoël, Paris, 1957, p. 87.
140
différents portails de la cathédrale permettent de suivre les
étapes de cette transformation"1.
Certains archéologues s'accordent à considérer le
Portail Royal postérieur à la construction des deux tours.
Ils observent que la liaison de maçonnerie, qui n'existe pas
au rez-de-chaussée, se trouve au-dessus; elle se fait à nord,
dès la troisième assise qui sépare le niveau inférieur de
celui des trois baies; au sud, au-dessus du premier cordon
horizontal de la tour sud. A la différence de Saint-Denis, à
Chartres les trois ouvertures correspondent au seul
vaisseau central. Les divisions verticales disparaissent au
niveau inférieur derrière les statues-colonnes qui tapissent
les six pieds droits et se retournent sur les faces.
"L'impression ressentie devait être plus forte à l'origine,
lorsque les vingt-quatre statues se trouvaient présentes,
soulignant avec force l'horizontalité, la volonté d'
enchaînement plus affirmée que celle de division"2.
Dans le projet de relèvement de la cathédrale détruite
par l'incendie de 1194, on avait décidé de maintenir le
Portail royal au pied de la façade occidentale de la nouvelle
cathédrale entre les deux tours également conservées - on
fut amené à reporter le programme iconographique que
l'on s'habituait à développer à la façade des cathédrales
aux portails latéraux du transept qui prirent, de ce fait, une
importance considérable. Au nord la porte centrale (fig.
62 ) est consacrée au triomphe de la Vierge qui est aussi 1 Alain Erlande-Brandenburg, La sculpture gothique, p. 120.2 Alain Erlande-Brandenburg, Chartres. Dans la lumière de la foi, Eds. Robert Laffont, Paris, 1986, p. 37.
141
l'Eglise, la porte de gauche aux scènes de l'Enfance du
Christ, et la porte de droite aux grandes figures de la Bible.
Au sud règne le Nouveau Testament (fig. 63) : à la porte
centrale le Jugement Dernier, la glorieuse phalange des
martyrs à la porte de gauche et celle des confesseurs à la
porte de droite. Cet ensemble magnifique, un des plus
considérables qu'ait créés le Moyen Âge, ne fut pas
exécuté d'un seul coup; l' étude de la statuaire et de la
décoration des portails et des deux grands porches qui les
précèdent permet d'entrevoir la suite dos travaux qui se
sont succédé, à peu près sans interruption, pendant plus
de cinquante ans, de l200 à 1260.
Les deux portes centrales représentant le Triomphe de
la Vierge au nord et le Jugement au sud sont les plus
anciennes. Dans les deux, les grandes statues des
ébrasements, patriarches et prophètes au nord, apôtres au
sud sont encore raides, allongées contre les colonnes
comme au Portail royal, mais le sculpteur leur a donné la
vie; les proportions sont bonnes, les têtes sont tournées à
droite, à gauche, inclinées en avant, rejetées en arrière; les
bras cependant restent collés au corps, les pieds sont
ballants, les plis sont raides et parallèles, ces nombreux
plis minces et peu profonds qui sont une des
caractéristiques de l'art de Chartres; une lumière douce,
blonde, enveloppe ces statues taillées dans le beau liais de
Senlis"1.
1 Marcel Aubert, Le gothique à son apogée, op. cit., p. 66.
142
Au nord sont représentés, comme a Senlis et surtout à
Laon et à Mantes les patriarches et prophètes (fig. 64 a et
b), préfigures du Christ qu'ils annoncent par leurs actes et
leurs paroles : à gauche David, Samuel, Moïse, Abraham et
Melchisédech, à droite Isaïe, Jérémie, le vieillard Siméon,
saint Jean Baptiste et saint Pierre, le rational d'Aaron sur la
poitrine. Ces figures "à l'ovale allongé, aux traits
sommairement accusés, aux yeux peu marqués sous
l'orbite peu saillante et arrondie, aux visages étonnés,
sévères"1 sont parmi les plus belles qu'ait imaginées le
Moyen Âge de ces grands personnages de la Bible. On les
imitera, à la façade ouest de la cathédrale de Reims
notamment, mais sans les égaler jusqu'au moment où
Claus Sluter, au puits de la Chartreuse de Champmol, les
recréera en des types inoubliables.
Les figures du portail sud sont du même type, peut-
être un peu plus récentes, avec quelque chose de plus
accentué dans les traits. La plus belle, celle du Christ
enseignant, au trumeau, a beaucoup de traits commun
avec une statue du portail nord, celle de Jérémie, mais
traitée par un artiste plus sûr de ses moyens. "Les yeux
peu creusés, le nez fort, les lèvres épaisses, les pommettes
saillantes, il n'a pas la grandeur noble et simple du Beau
Dieu d'Amiens qui domine et plane au-dessus des foules.
Sa figure douce, calme, sensible, sa bouche pitoyable, un
peu douloureuse, le rapproche de cette humanité vers
1 Henri Focillon, Moyen Âge roman et gothique, Eds. Livre de poche, Librairie Armand Colin, Paris, 1992, p. 419.
143
laquelle il semble incliner sa belle tête"1. La statue de
sainte Anne portant la Vierge au trumeau de la porte nord
est, peut-être la plus récente de ce groupe, n'ayant pu être
exécutée qu'après l'arrivée en 1204 du chef de la sainte
conservé jusque-là à Constantinople.
Le tympan de la porte nord représente la Mort, la
Résurrection et le Couronnement de la Vierge, comme à
Senlis, mais ici le thème s'est ordonné simplifié et a pris
cette magnifique grandeur qui gardera dans toute la
France aux XIIIe et XIVe siècles. Au tympan de la porte
sud est sculpté le Jugement Dernier. Ce thème est
représenté dans tous ses détails : Résurrection des Morts,
Pèsement des âmes, Séparation des élus et des damnés,
récompenses et supplices, mais le sculpteur n'a pas su le
faire tenir tout entier dans son cadre; l'unité de la
composition en souffre, et la scène n'a pas la grandeur des
Jugements derniers de Paris, Amiens ou de Bourges. Le
Christ-Juge assis entre la Vierge et Saint Jean, et les anges
portant les instruments de la Passion, occupe presque
toute la hauteur du tympan. Dans la foule des élus et des
damnés, les femmes portent déjà le couvre-chef et le touret
du temps de Saint Louis. Les neufs chœurs des anges
accompagnent la scène dans les voussures.
Les portes latérales ont été ajoutées après coup : la
chose est nettement visible du côté nord; celles du sont
plus anciennes que celles du nord. Au sud, la porte des
martyrs, de gauche, est antérieure à celle des confesseurs, 1 Henri Focillon, op. cit., p. 67.
144
à droite (fig. 65). Les trois dernières statues de chaque
côté de la porte des martyrs, saint Etienne, saint Clément
et saint Laurent d'un côté, saint Vincent, saint Denis et
saint Piat à droite, relèvent encore du type des statues
appuyées aux colonnes; elles sont très différentes des
statues de saint Georges et de saint Théodore, nettement
plus récentes, détachées de la colonne, "souples et
vivantes, de bonnes proportions, et bien campées sur leurs
jambes"1.
Les six grandes statues au fond des ébrasements de la
porte des confesseurs appartiennent au même type que
celles de la porte des martyrs, mais on peut y noter la
transformation de la statue colonne en statue
indépendante ; à gauche, un pape, un archevêque et un
évêque, saint Léon ou saint Sylvestre, saint Ambroise et
saint Nicolas. "Grands, élancés, le geste identique, la tête
droite, un peu hautains dans leurs lourdes ornements, ils
ont la réserve, la dignité, la noblesse des princes de
l'Eglise"2. Les trois statues de droite sont particulièrement
remarquables ; saint Grégoire, "rayonnant d'une vie
intérieure intense"3 écoute la colombe qui lui dicte les
paroles du Saint-Esprit; saint Jérôme, le savant du cabinet,
le traducteur de la Bible, petit, timide, craintif presque,
semble s'abriter sous la protection de son puissant voisin,
saint Martin. Le corps dressé, comme tendu, plus grand
que les autres, les traits violents, thaumaturge et apôtre, 1 Georges Duby, Le temps des cathédrales, Eds. Gallimard, Paris, 1981, p. 81.2 Georges Duby, op. cit., p. 82.3 Henri Focillon, op. cit., p. 421.
145
celui-ci parcourt la Gaule sans relâche, chassant les
démons, renversant les idoles, baptisant les foules"1. Deux
de ces statues, celles Je saint Nicolas et de saint Jérôme,
bien campées sur leurs jambes, les pieds posés sur la
tablette horizontale, ne sont plus des statues-colonnes,
elles sont vivantes.
Au tympan de la porte de gauche est sculpté l'histoire
de saint Etienne, le premier martyr; à la porte des
confesseurs, des scènes de l'histoire de saint Nicolas et de
saint Martin.
Aux portes latérales de la façade nord, les statues des
ébrasements sont également bien campées et pleines de
vie : l'Annonciation et le prophète Isaïe, la Visitation et le
prophète Daniel à la porte de gauche; Balaam, Salomon et
la reine de Saba; Jésus, Judith et Joseph à celle de droite.
Aux tympans sont représentés, à gauche la Nativité, à
droite le Jugement de Salomon et les souffrances de Job.
Encadrées dans les voussures, de charmantes scènes
prises aux histoires de Samson, de Gédéon, de Judith et
d'Esther.
Les porches ont été ajoutés en avant des portails et
sont ornés de bas-reliefs et de statues d'un style plus
avancé qui annonce les jolies figurines de l'ancien jubé
dont on a retrouvé quelques fragments.
La cathédrale de Chartres est la première grande
cathédrale gothique libérée de l'encombrement des
tribunes, désormais remplacées par les arcs-boutants qui 1 Ibidem.
146
permettront toutes les audaces de construction. Le
constructeur sûr de lui n'hésitant plus sur les moyens
d'équilibrer les voûtes hautes grâce aux arcs-boutants
appuyés sur de hautes culées, supprime les tribunes et
ouvre des larges fenêtres aux vitraux étincelants où les
hommes du Moyen Âge aimaient voir vivre dans l'azur du
ciel les saints de la Légende dorée. Le sculpteur, fort d'une
technique jeune encore, mais déjà parfaite, prend
connaissance de la nature, donne la vie à la pierre, sans
cependant s'écarter du programme architectural, de la
tenue nécessaire à la noblesse de la statuaire
monumentale.
Le vaisseau central, long de 130,2 m - 154,5 m -, et
large de 13,85 m, est couvert de voûtes d'ogives
barlongues - elles sont encore sexpartites à Paris - lancées
a 37 m de haut et épaisses de moins d'un pied,
contrebutées par des groupes de trois arcs-boutants, le
troisième ajouté après coup dans la nef, construit avec les
deux autres dans le chœur plus récent. Ces voûtes
reposent sur de puissants piliers entourés de quatre
colonnes (fig. 66) ; l'alternance a disparu, ou plutôt elle
n'est plus que décorative : à une pile ronde entourée de
colonnes polygonales succède une pile polygonale entourée
de colonnes rondes, et la lumière, s'accrochant
différemment aux unes et aux autres, rompt la monotonie
que présente la succession de piles toutes semblables. Les
collatéraux s'élèvent à 14 m de haut. L'élévation n'a plus
147
que trois étages, les grandes arcades, le trifolium aux
arceaux brisés portés par des colonnettes et les fenêtres
hautes, divisées en deux formes portant une rose à huit
lobes. Ces fenêtres qui occupent près de la moitié de la
hauteur totale - grandes arcades 3 septièmes, triforium 1
septième et fenêtres hautes 3 septièmes - ainsi que les
fenêtres des collatéraux et les grandes roses de 13,35 m de
diamètre montées sur des claires-voies au fond des bras du
transept, versent à l'intérieur de la cathédrale cette
abondante lumière enrichie par les couleurs éclatantes des
verrières, qui crée cette atmosphère chaude et dorée
unique dans l'art du Moyen Âge. Chartres, la première des
grandes cathédrales gothiques triomphant, est peut-être la
plus attirante par la beauté de ses vitraux et aussi par la
noblesse et le charme tout humain de son architecture.
Avec le sens du volume s'affirme celui de la couleur :
à l'époque gothique, le vitrail couvre d'immenses surfaces
pour fermer les baies, plus amples, percées dans les
édifices gigantesques. A Chartres, on compte plus de cent
cinquante baies et près de 2600 mètres carrés de
verrières. Chartres était au début du XIIIe siècle le centre
le plus important de peinture sur verre.
Cet ensemble, le plus vaste aujourd'hui conservé, a été
exécuté par une seule génération de plusieurs maîtres
verriers. Tous ces artistes voyagèrent et répandirent en
France le style des maîtres de Chartres que l'on reconnaît
aux coloris éclatants, aux dominantes rouges et bleus, à la
148
division harmonieuse des surfaces en figures
géométriques, à l'élégance des compositions s'adaptant
toujours à la forme des encadrements.
Les vitraux des fenêtres hautes (fig. 67), destinés à
être vus de loin, présentent de grandes figures de saints et
d'apôtres, tandis que dans les fenêtres basses, les vitraux
sont composés de petits médaillons comportant des scènes
de la Bible, de la vie des saints, et des images familières
rappelant les travaux de la composition qui a fait don de la
verrière.
Dès le Moyen Âge, la cathédrale a servi de cadre à
des concerts d'orgues de très haute qualité. Les grands
orgues de Chartres sont l'une des richesses de la
cathédrale qui sert aujourd'hui de cadre à de remarquables
concerts.
Mais au-delà de ces investigations techniques et
documentaires, il faudrait écouter aussi la voix des poètes
pour saisir les liens intimes qui se forment ineffablement
entre la sensibilité moderne et ce qu'on pourrait appeler
l'âme immortelle de la cathédrale de Chartres. Ainsi, par
delà la "lourde nappe" des blés, comme les pèlerins qui,
avec Charles Péguy, s'avancent vers la cathédrale, "nous
naviguons" - périple imaginaire - vers cette Notre-Dame,
dont nous apercevrons au loin les contours :
Tour de David, voici votre tour beauceronne,C'est l'épi le plus dur qui soit jamais montéVers un ciel de clémence et de sérénitéEt le plus beau fleuron dedans votre couronne.
149
Un homme de chez nous a fait ici jaillir,Depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix,Plus haut que tous les saints, plus haut que tous
les roisLa flèche irréprochable et qui ne peut faillir"1.
Ces vers si purs, rythmant une méditation spirituelle,
transforment l'ample poème déjà en une prière; il semble
qu'un vœu soit exaucé et que la Vierge elle-même se
manifeste à la fois à l'âme du poète et à celle du lecteur,
lorsque apparaît, symboliquement, à l'horizon, une
révélation - cette "flèche irréprochable et qui ne peut
faillir".
En guise de conclusion, à quel autre jugement de
valeur aurions-nous recours sinon à cette insolite et
mordante interrogation de Francis Carco, véritable défi
jeté à tout homme d'esprit : "Est-ce que la cathédrale de
Chartres a été dépassée par le Palais de Versailles?"2.
1 Charles Péguy, "La tapisserie de Notre-Dame, Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres", in Lagarde et Michard, Littérature française, le Xxe siècle, Bordas, Paris, 1991, p. 172.2 Francis Carco, Nostalgie de Paris, Eds. du Milieu du Monde, Genève, 1941, p. 38.
150
CHAPITRE VCHAPITRE V
LA SYMBOLIQUE DE LA CATHÉDRALELA SYMBOLIQUE DE LA CATHÉDRALE
"… et la vision de Dieu engendre la vie éternelle …"
Paul Claudel, Cinq Grandes Odes1
L'exégèse de l'art du Moyen Âge ne peut se faire que
par le secours au symbolisme. Le symbolisme éveille l'idée
d'un langage occulte, ésotérique, à la fois mystérieux et
révélateur, clair pour les initiés, obscur pour le vulgaire.
Les origines du symbolisme sont très anciennes : elles
remontent à la préhistoire. Dans les peintures rupestres
des cavernes magdaléniennes on voit souvent l'empreinte
d'une main humaine enduite d'ocre sur le flanc d'une bête
qu'il s'agit de capturer : c'est le geste symbolique de la
prise de possession. Du domaine de la magie, le
1 In Lagarde et Michard, Xxe siècle, Bordas, Paris, 1991, p. 200.
151
symbolisme passe à celui des religions. Dans l'art égyptien
tout prend une valeur symbolique. Le sphinx
métamorphique qui a une tête d'homme, des pattes de lion,
une croupe de taureau, des ailes d'aigle, symbolise les
quatre éléments ; la croix ansée est le signe de la vie
éternelle : le scarabée amulette est l'emblème de la
résurrection.
Le christianisme des temps de la persécution a eu, par
nécessité d'y échapper, son langage symbolique (poisson =
Christ, agneau = victime offerte pour le rachat de
l'humanité, cerf = ennemi du serpent qui est le démon, pôn
ou phénix = résurrection) Au moyen Âge, ce symbolisme
prend un développement prodigieux. Pour un penseur du
Moyen Âge, expliquer une chose consiste toujours à
montrer qu'elle n'est pas ce u'elle paraît être, qu'elle est le
signe d'une réalité plus profonde, qu'elle annonce et qu'elle
signifie autre chose. L'idée dominante de la pensée
médiévale est que le monde visible, perçu par nos sens,
n'est que symbole ou préfigure d'un monde invisible. Les
objets, les faits ne méritent pas d'être étudiés par eux-
mêmes et pour eux-mêmes dans leur essence et dans leurs
rapports : ils ne valent pour nous que comme signes de la
réalité suprasensible qu'il s'agit de discerner et
d'interpréter.
Qu'on déplore ou non cet état d'esprit le fait est là et il
faut s'y plier avec docilité si l'on veut pénétrer
profondément dans la pensée de l'art du Moyen Âge. Il faut
152
dépouiller l'homme moderne, remplacer la raison par la foi,
essayer de regarder le monde avec les mêmes yeux
candides et éblouis que ceux des théologiens du XIIIe
siècle qui, derrière chaque apparence, entrevoyaient des
réalités invisibles. L'ésotérisme, doctrine ou enseignement,
était dans l'antiquité le degré, le niveau réservé aux
disciples de choix des grandes écoles philosophales. A
l'ésotérisme s'oppose l'exotérisme, qui est le niveau
commun et banal.
Quatre systèmes de référence symboliques
s'interfèrent dans l'espace sacré de la cathédrale
gothique : le symbolisme biblique et celui liturgique, le
symbolisme architectural et celui des autres arts plastiques
qui concourent à faire de l'édifice un correspondant
terrestre de la Jérusalem céleste. Dans ce réseau complexe
de significations, ainsi créé et qui enveloppe les fidèles, le
rôle de symbole est celui d'un véhicule sui generis:
"L'homme ne voit pas Dieu, mais peut aller à Lui"1 nous
assure Victor Hugo dans Ce que dit la bouche d'ombre. La
dynamique du symbole en tant que véhicule spirituel ne
devient manifeste et effective que si le symbole est vivant,
ayant cette force de suggestion qui puisse propulser l'âme
vers la Transcendance :
"Envolez-vous! envolez-vous!N'est-ce pas que c'est ineffable
De se sentir immensité,D'éclairer ce qu'on croyait fable
A ce qu'on trouve vérité
1 Victor Hugo, Poésies, tomme I, Collection du Flambeau, Hachette, Paris, 1950, p. 277.
153
De voir le fond du grand cratère,De sentir en soi du mystère
Entrer tout le frisson obscur,D'aller aux astres, étincelle,Et de se dire : Je suis l'aile!Et de se dire : J'ai l'azur!"1.
Cette strophe tirée du poème Les Mages et surtout les
deux vers soulignés nous permettent, par le truchement de
l'auteur de Notre-Dame de Paris, de nous faire une image
de ce que pourrait être l'état de grâce vécu par certains
fidèles, à certains moments, quelle que soit l'époque
historique, dans l'enceinte sacrée de la cathédrale. C'est ce
que Paul Claudel a dû éprouver ce jour de 25 décembre
1886 quand il se rendit à Notre-Dame pour y suivre les
offices de Noël. Dans sa vieillesse, il se confesse en
insistant sur l'instant, le caractère fulgurant de cette
conversion, et par la douce émotion où se mêlait aussi le
sentiment d'épouvante et presque d'horreur quant à son
état passé : "J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant
de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation
ineffable. En essayant, comme je l'ai fait souvent, de
reconstituer les minutes qui suivirent cet instant
extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui
cependant ne formaient qu'un seul éclair, une seule arme,
dont la Providence divine se servait pour atteindre et
s'ouvrir enfin le cœur d'un pauvre enfant désespéré : "Que
les gens qui croient sont heureux! Si c'était vrai, pourtant?
C'est vrai! Dieu existe ! Il est là. C'est quelqu'un, c'est un
1 Cf. supra, op. cit., p. 271 (Les Mages)
154
être aussi personnel que moi! Il m'aime, il m'appelle ! Les
larmes et les sanglots étaient venus et le chant si tendre de
l'Adeste ajoutait encore à mon émotion" (Contrastes et
Circonstances, 1946). Maintes conversions et illuminations
ont eu lieu à l'époque moderne, notamment le long du XX
siècle, sous les voûtes de la Maison de Dieu. Le
témoignage le plus édifiant pour l'homme contemporain
est, sans aucun doute celui porté par André Frossard,
membre de l'Académie française, dans son livre. Dieu
existe, je L'ai rencontré, dont la vingt-septième édition
paraissait chez Fayard en 19911. Si de tels miracles, de
telles transfigurations continuent à se produire
aujourd'hui, huit cents ans après leur fondation, dans ces
enceintes sacrées, c'est que l'espace circonscrit à la
cathédrale relève d'un autre monde que celui ordinaire. Il
possède tous les attributs d'un champ énergétique sublime,
destiné à spiritualiser celui qui y pénètre. Une fois là,
même si auparavant on avait affecte le détachement à
l'égard de ces "fables" ou "mythes" (perception
désacralisée des mystères de la foi), on les sentira se
transmuer en richesse, en vérité intérieure, fortifiante, en
nourriture de l'âme. Et "bien que toutes les âmes ne se
sanctifient pas de la même manière"2 - comme disait
Anatole France - on s'apercevra, du moins, que la
Cathédrale, imago mundi et archétype céleste, sanctifie en
permanence le monde parce qu'elle le représente et, en
1 La version roumaine de ce livre, Dumnezeu exista, eu L-am întîlnit2 Apud Petit Robert 1, Dictionnaire de la langue française, Eds. Le Robert, Paris, 1991, p. 1759.
155
même temps le contient. "Quel que soit son degré d'
impureté, le Monde est continûment purifié par la sainteté
des sanctuaires"1. Cette différenciation ontologique et
fonctionnelle qui distingue nettement le Monde de son
image sanctifiée - la Cathédrale, nous infuse aussi la
conviction que la sainteté de cette dernière est à l'abri de
toute corruption terrestre parce que son plan architectural
même a été inspiré par Dieu. Qu'on ouvre l'Ancien
Testament, le livre de l'Exode, et on y lira : "Yahwel parla à
Moïse disant : Vois, j'ai appelé par son nom Béséléel, fils
d'Uri, fils de Hur, de la tribu de Juda. Je l'ai rempli de
l'esprit de Dieu, d'habileté, d'intelligence et de con-
naissances pour toutes sortes de travaux, pour faire des
inventions artistiques et les réaliser avec de l'or, de
l'argent et de l'airain, pour tailler les pierres à enchâsser,
travailler le bois et exécuter toutes sortes de travaux. Et
voici que je lui ai adjoint Ooliab, fils d'Achisameh, de la
tribu de Dan, et j'ai doué d'habilité tous ceux qui se
connaissent en art, pour qu'ils exécutent tout je t'ai
ordonné : la tente de réunion, l'arche de témoignage, le
propitiatoire qui est sur elle, et tous les objets de la tente ;
la table et ses accessoires, le chandelier d'or pur et
tous ses accessoires, ainsi que l'autel des parfums, l'hôtel
des holocaustes et tous ses accessoires et la cuve avec son
support; les vêtements somptueusement tissés : les
vêtements sacrés pour le prêtre Aaron et les vêtements de
1 Mircea Eliade, Le sacré et le profane, Eds. Gallimard, Paris, 1965, p. 55.
156
ses fils pour les fonctions du sacerdoce, l'huile d'onction et
l'encens d'agréable odeur pour le sanctuaire. Ils feront tout
selon les ordres que je lui ai donnés"1 (l'Exode, 31, 1-11).
Une première analogie s'impose tout naturellement on
peut regarder ces deux personnages bibliques, Béeséléel et
Ooliab, comme des archétypes du maître d'œuvre et du
contremaître, constructeurs de la cathédrale. La seconde
analogie, non moins intéressante, découle des instructions
du roi David à son fils Salomon : "...Considère donc que
Yahweh t'a choisi afin de construire une maison gui serve
de sanctuaire. Sois courageux et mets-toi à l'œuvre"; David
donne ensuite à son fils Salomon le plan des portiques du
temple, de ses chambres du trésor, de ses chambres hautes
et de ses chambres inférieures, et de la demeure du
propitiatoire, et le plan de tout ce qui était en l'Esprit avec
lui pour les parvis de la maison de Yahweh..." (Premier
livre des Chroniques, 28, 1o-12). .Du Tabernacle de Moïse
au Temple de Salomon et de celui-ci à la Basilique, pour
aboutir à la Cathédrale, on reprend à travers les
millénaires un principe architectural symbolique dont la
mise en oeuvre génère d'autres systèmes symboliques
adjacents. La cathédrale gothique reprend, elle aussi, et le
principe architectural et le réseau de systèmes
symboliques en les repensant théologiquement,
esthétiquement et fonctionnellement. Evidemment, depuis
l'Antiquité chrétienne, l'église en tant qu'édifice sacré était
1 La Sainte Bible, Nouvelle Edition publiée sous le patronage de la ligue Catholique de l'Evangile et la direction de S. EM. Le cardinal Lienart, Paris, 1951, p. 95.
157
conçue. comme une reproduction, pour ne pas dire une
copie, de la Jérusalem céleste, y compris du Paradis ; en
même temps, elle constituait une sorte de miroir
réfléchissant l'harmonie de la structure du Cosmos, tel
qu'il fut bâti par le Verbe de Dieu. Cette structure
"cosmologique" de l'édifice sacré se conserve toujours dans
la conscience de la chrétienté, s'imposant de toute
évidence, par exemple, dans la basilique de style byzantin.
Les quatre parties de l'intérieur de l'église représentent les
quatre directions cardinales. L'ensemble de l'intérieur, lui-
même, symbolise l'Univers. L'autel est le correspondant du
Paradis situé à l'est. La porte royale du sanctuaire
proprement dit était désignée aussi par le syntagme "la
Porte du Paradis". Durant la Semaine Sainte, cette porte
restait ouverte tout le long du cérémonial liturgique. Le
sens de cette coutume est clairement expliqué dans le
Canon pascal : le Christ, ressuscité de son tombeau, nous a
ouvert les portes du Paradis. Dans ce même contexte,
l'Ouest symbolise au contraire le territoire des ténèbres,
de la douleur et de la mort; c'est la demeure des trépassés
qui siègent là dans l'attente terrifiante et indéterminée de
la résurrection de la chair et du Jugement dernier. Le
milieu de l'édifice sacré représente la Terre. Selon Kosmas
Indikopleustès1 , elle était figurée symboliquement par une
aire rectangulaire, délimitée par quatre murailles au-
dessus desquelles trône une voûte. Comme image symboli-
que du Cosmos, l'église byzantine est censée représenter 1 Cf. supra op. cit.
158
et, grâce à l'origine divine du plan d'édification
(Tabernacle de Moïse, Temple de Salomon), sanctifier ce
bas monde où, selon le dire de Renan, "tout n'est...que
symbole et songe" La translation de l'art byzantin à l'art
roman et, ensuite, de celui-ci à l'art gothique met en
lumière des modifications sensibles dans les registres des
symboles opératoires. Les évolutions multiples
enregistrées dans la vie religieuse, dans la mentalité et
dans la sensibilité des générations qui se sont relayées à
travers le Moyen Âge ont nettement influé sur le type, les
formes et les motifs architecturaux, entraînant ainsi une
régénération du symbolisme.
Dans le second tome de sa Trilogie de la culture,
consacré aux traits spécifiques de "l'espace de Mioritza",
Lucian Blaga - qui connaissait à fond le domaine - établit
un triple comparaison, sur le plan de l'architecture
religieuse, entre la basilique byzantine, celle romane et la
cathédrale gothique. Selon le grand poète et philosophe
roumain, l'architecture religieuse illustre d'une manière
presque parfaite la vocation sublime de l'art, parce que,
peu ou nullement touchée par des intérêts pratiques, elle
extrait de la matière toutes les résonances expressives,
exclusivement spirituelles. Les édifices sacrés qu'elle
engendre représentent, par la mise en jeu d'une
symbolique appropriée, une manifestation sensible de la
vérité de la foi. Métaphoriquement parlant, l'art
architectural religieux parvient à donner, suivant l'un des
159
trois styles, une forme concrète, spectaculaire et
émouvante, du Dogme ou, si l'on préfère, de la
métaphysique religieuse. Le point de repère central de
l'exégèse de Blaga, auquel se rapporte constamment
l'argumentation comparative, parfois analogique, le plus
souvent différentielle, est l'église Sainte Sophie (Hagia
Sophia, en grec – fig. 68 a, b, c), l'ancienne basilique de
Constantinople, érigée par l'empereur byzantin Justinien
Ier sur les fondations de la basilique de Constantin Ier
(incendiée en 582) et dédiée à la "Sagesse divine" - l'un des
monuments les plus représentatifs de l'art byzantin.
Dans la construction de "Hagia Sophia", la masse
architecturale n'est pas excessivement amincie ; elle
n'arrive pas, comme dans l'art gothique, jusqu'aux simples
lignes dynamiques. Cependant, en dépit de son allure
massive, elle possède "d'évidents attributs aériens"1. Dans
la distribution spatiale de es éléments structuraux,
prédominant indiscutablement la coupole et les arcs. Par
conséquent, les lignes droites, c'est-à-dire l'horizontale et
la verticale, acquièrent plutôt la valeur d'intermédiaires de
tensions arrondies en elles mêmes, ce qui est moins
perceptible dans l'architecture religieuse romane, et
anciennement dans celle gothique. Hagia Sophia, comme
impression globale, n'est ni horizontalement assise sur la
terre, ni perpendiculairement élancée vers le ciel ; elle
flotte, en quelque sorte, pareille à un monde en soi, limitée
seulement par ses propres voûtes. L'historien Procope de 1 Cf. Le Petit Robert 2, Dictionnaire universel des noms propres, rédaction dirigée par Alain Rey.
160
Césarée, secrétaire de Bélisaire et historien personnel de
Justinien, parlait avec raffinement de la coupole dans son
Traité des édifices (vers 560) : "Elle semble ne pas reposer
sur des fondations et des soubassements solides, mais,
comme suspendue et accrochée au ciel, au bout d'une
corde en or, elle paraît recouvrir l'espace"4.Ces mots de
Procope pourraient se reporter sur l'église tout entière, car
elle symbolise, par sa rythmique spatiale, où la tension
entre l'horizontale et la verticale est tempérée
harmonieusement grâce aux voûtes et aux arcs, un monde
parfaitement équilibré, qui se suffît à lui-même et qui se
révèle tout simplement. La signification symbolique en est
que le transcendant descend pour se rendre palpable, pour
nous persuader, comme le Christ l'avait fait, qu'une
Révélation de haut en bas est possible, que la Grâce
prend corps du haut, en devenant sensible, et qu'enfin la
descente parmi nous du Saint-Esprit vient d'avoir lieu ou
arrivera de façon imminente. Cette symbolique du
Transcendant, qui descend pour se révéler en se
matérialisant, est potentialisée par la lumière. En entrant
dans une église de style byzantin, on est frappé par
l'obscurité de l'espace fermé, transpercée par des
faisceaux de lumière qui jaillissent des fenÊtres découpées
à la base de la coupole, tels des glaives d'archanges. Il y a
là comme une lumière supraterrestre, envahissant de haut
en bas le temple, une lumière dont la matérialité est plus
marquée par celle omniprésente du jour. De ce point de
161
vue encore, le contraste avec la lumière tamisée par les
vitraux de la cathédrale gothique, relevant d'une
symbolique autrement orientée, est saisissant.
A la différence des églises orientales, les édifices
romans ne se coupent pas du modèle antique de la
basilique. Ce sont "des architectures de parcours"1, des
édifices conçus selon un plan longitudinal avec une nef
longue et large destinée à ressembler les fidèles et
pèlerins. Alors que dans les églises d'orient, l'espace
intérieur est perçu d'emblée, globalement, comme un "don
parfait descendant d'en haut"2, dans l'église romane, il se
découvre dans une progression; c'est un parcours
initiatiquE comparable au "chemin de la Croix":
cheminement du portail au choeur le long de la nef et des
collatéraux, circulation dans le déambulatoire autour du
choeur, montée vers l'étage des tribunes, descente dans la
crypte où sont abritées les reliques. Le parcours se
poursuit à l'extérieur dans le cloître carré du monastère
(c'est pourquoi d'ailleurs , plus que les constructeurs
byzantins, les maîtres d'oeuvre d'occident ont multiplié les
inventions techniques. A son tour, donc., l'église romane
(fig. 69) est un champ de symboles. Le plan en croix latine
est un écartèlement, image au sol de l'Incarnation du
Christ et de sa crucifixion : le chevet est sa tête, le transept
- ses bras, la nef - son corps. Fermé de murs compacts, cet
1 F. Lebrun, V. Zangtettini, Histoire et civilisation, classe seconde, Librairie classique Eugène Belin, Paris, 1981, p. 56.2 Cf. Epître de Saint-Jacques, 1, 17, in La Sainte Bible, Ligue catholique de l'Evangile, Paris, 1951, p. 276.
162
espace est une forteresse pour le pèlerin sur la route,
image du chrétien sur le chemin du salut. Le chevet de
l'église romane donne son sens symbolique au vecteur de
la foi. C'est le point de mire vers lequel la communauté a
les yeux tournés lorsqu'elle prie. Il est orienté vers l'est,
vers l'aurore, vers la lumière. Ainsi, l'église romaine
traduit-elle l'espoir d'une société à la recherche du salut,
mais qu'entourent des forces obscures, oppressantes.
Réaction impétueuse contre cette angoisse diffuse, la
croisée d'ogives commence l'aventure gothique – rêve de
supprimer le mur et tentation d'élever la voûte jusqu'à
l'inaccessible.
Bien que ces nouveautés techniques se soient situées
dans le sillage des inventions romanes, l'édifice gothique
marque cependant une rupture dans la conception de
l'espace et dans ses significations symboliques. La nouvelle
architecture extériorise, avec une prodigieuse audace
technique, un élan vertical et un défi à la matière. Le
maître d'œuvre gothique ne cesse d'imaginer un espace
intérieur toujours plus grand, plus haut et plus clair. Il ne
saurait s'y prendre autrement. En son âme et conscience il
est persuadé que son vrai commanditaire est Dieu ; quant
à ses guides, ce sont l'Imagination, l'Intuition et
l'Inspiration. Il dresse un plan téméraire : le
développement des collatéraux donne une caractère plus
homogène à l'espace intérieur : l'étage des tribunes
disparaît ; la petite galerie étroite appelée triforium,
163
d'abord aveugle, est ajourée avant de disparaître à son
tour. Le mur évolue vers la verrière, espace de lumière que
les couleurs du vitrail ont rendu féerique, et signe
d'illumination divine : "Je crois me voir en quelque sorte
dans une étrange région de l'Univers qui n'existe tout à fait
ni dans la boue de la Terre ni dans la pureté du Ciel, et je
crois pouvoir par la grâce de Dieu être transporté de ce
monde inférieur à ce monde supérieur" avouait Suger,
l'abbé de Saint-Denis, au XIIe siècle1. Tout se passe comme
si les bâtisseurs des cathédrales avaient voulu
^patérialiser, par leur œuvre en pierre, le rêve éblouissant
du patriarche Jacob relaté dans la Genèse : "Il prit une
pierre de l'endroit pour s'en servir d'osciller et se couche
en cet endroit. Il eut un songe : voici qu'une échelle,
appuyée sur la terre, avait son sommet qui touchait les
cieux et que les anges de Dieu montaient et descendaient
sur elle. Et voici que Yahweh qui se tenait debout sur elle
dit : Je suis Yahweh, le Dieu d'Abraham ton père et le Dieu
d'Isaac ; la terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à
toi et à ta postérité …"2. Cette "pierre de l'endroit", qui
suggère, inspire et illumine, symbole du devenir de l'autel
et du temple, métamorphose miraculeusement l'espace
environnant et transfigure celui qui y pénètre : "Jacob
s'éveilla de son sommeil et dit : Vraiment Yahweh est en ce
lieu, et je ne le savais pas. Il fut saisi de frayeur et dit :
Combien ce lieu est effrayant ; c'est bien ici la maison de
1 Cité par F. Lebrun et alii, op. cit., p. 59.2 La Sainte Bible, op. cit., p. 33.
164
Dieu et la porte des cieux. Jacob se leva de bonne heure,
prit la pierre qu1il avait placée sous sa tête et l'érigea en
stèle; puis versa de l'huile sur sa pointe. Il appela le nom
de ce lieu : Béthel..."1 (en hébreu "maison de Dieu").
Symbole du fondateur impérissable et inébranlable de la
foi, la pierre sacrée transfère cette valeur symbolique du
"Béthel" au temple, à la cathédrale. Quant au symbolisme
de la stèle et de l'échelle, il est incorporé de la façon la
plus spectaculaire dans l'architectonie de la cathédrale
gothique et cela d'autant plus que celle-ci lui confère une
suggestivité percutante en ayant recours à la flèche. Ainsi
jaillit une gerbe de significations qui s'infusent dans
l'esprit et dans le coeur dés fidèles : élan et ascension de
l'âme vers la Transcendance, délivrance des liens
matériels, et progression sur l'échelle mystique qui unit la
Terre aux Cieux, invitant les humains à parcourir
graduellement la voie si difficile parce qu'ascendante, de la
purification charnelle, de l'illumination psychique et de
l'union spirituelle avec le Divin, en accomplissant l'ana-
bathmon"2 (c'est-à-dire "l' ascension").
Mais la flèche ne symbolise pas seulement la direction
verticale de l'ascensus" ("la montée) ; elle est aussi rayon
de soleil, fil de lumière, le signe de la pensée lumineuse3,
porteuse de la vérité rédemptrice. Vue sous cet angle
1 La Sainte Bible, op. cit, p. 33.2 Jean Chevalier et alii, Dictionnaire des symboles, Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, Collection "Bouquins", Eds. Robert Laffont, Paris, 1969, tome 3, p. 205.3 André Virel, Histoire de notre image, Genève, 1965, p. 194.
165
interprétatif, la croisée d'ogives - caractéristique constante
du style gothique - représente un autre avatar architectural
du symbole; de la flèche de lumière qui perce l'opacité des
murs en découpant des fenêtres de plus en plus larges,
fleurissant en vitraux et rosaces ( aux tons bleus et rouges
lumineux au XIIe siècle, aux couleurs vives des bleus
profonds, des rouges ardents et violacés qu'accompagnent
les verts vifs et les ors rutilants au XIII siècle). Certes,
depuis toujours et partout, les couleurs ont constitué l'un
des principaux supports de la pensée symbolique. Les sept
couleurs de l'arc-en-ciel, où l'oeil peut distinguer plus de
sept cent nuances, entrent d'ailleurs en relation synergique
et significative avec leurs correspondants sensoriels,
psychiques, cosmologiques ou mystiques tels les sept notes
musicales de la gamme heptacorde, les principaux états
d'âme, les sept planètes visibles à l'oeil nu, les sept jours
de la semaine, les sept cieux, etc. Dans la tradition
chrétienne, la lumière et la couleur y compris leur synthèse
- l'arc-en-ciel relèvent des énergies incréées.
Les repères bibliques sont lumineux, au propre et au
figuré, à commencer par la Genèse : "...Alors Dieu dit :
Qu'il y ait de la lumière et il y eut de la lumière"1. Au
quatrième jour de la Création, Il ajouta : "Qu'il y ait dés
luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la
nuit et qu'ils servent de signes et pour les époques et par
les jours et par les années..."2. Après le déluge, au moment
1 La Sainte Bible, op. cit., p. 5.2 La Sainte Bible, p. 6.
166
de l'alliance noachique, quand le violet, l'indigo, le bleu, le
vert, le jaune, l'orange, le rouge de l'arc-en-ciel éblouirent
la vue et l1esprit de Noé et des siens, Dieu prononça : "J'ai
mis mon arc dans la nuée; il servira de signe d'alliance
entre moi et entre la terre"1. D'autre part le Psalmiste a la
révélation que "Dieu lui-même est lumière : "Tu te revêts
de majesté et de gloire, Tu t'enveloppes de lumière comme
d'un manteau, Tu déploies les cieux comme une tente !"2.
Et on arrive enfin au jour où cette lumière divine prit corps
dans la personne de Jésus-Christ, "lumen gentium" : "Jésus
leur parla une autre fois et leur dit : Je suis la Lumière du
monde; celui qui me suit ne marchera pas dans les
ténèbres, mais il aura la lumière de la vie"3. Suprême
image de Dieu, la Lumière Christique deviendra le
symbole leitmotive dominant l'iconographie de la
cathédrale gothique. Expression architectonique d'une
théologie de la lumière et de l'ascension, la cathédrale de
Paris répond (et avec elle, les autres cathédrales gothiques
aussi) à la lancinante question ; "Dieu est-il connaissable?".
Question qui pourrait sembler superflue étant donné que
"Dieu, personne ne l'a jamais vu". Mais Jésus nous rassure :
"Celui qui m'a vu a vu le Père". Cette réponse fulgurante
faite par la bouche du Sauveur, les théologiens et les
artistes qui ont conçu et érigé Notre-Dame-de-Paris l'ont
détaillée en s'inscrivant dans la pierre et dans l'histoire : la
galerie des Rois la raconte tout comme les patriarches aux 1 Idem, p. 13.2 Idem, p. 725.3 Idem, p. 800.
167
voussures du portail qui détaille la vie de sainte Anne et
l'enfance de Marie pour mieux placer la naissance de Jésus
dans notre terre, le Seigneur épousant notre condition
humaine, ayant à ses côtés la Vierge couronnée. D'autre
part, les capacités de l'esprit humain a accéder à la Vérité
sont aussi montrées à travers les médaillons consacrés aux
sept arts libéraux, sur le socle du Christ du portail et
surtout dans les bas-reliefs des étudiants (fig. 70) qui
encadrent le portail de saint Etienne à la façade sud. Et
parce que l'intelligence ne va pas sans le coeur s'il s'agit de
recevoir la révélation du mystère de Dieu, les arts libéraux
sont encadres par les vertus et les vices. De la même façon
les "vierges sages" et les "vierges folles" font pendant aux
travaux des mois sous le tympan du couronnement de
Marie.
Expression d'une théologie de la lumière et de
l'ascension, la cathédrale gothique ne l'est pas
exclusivement par les flots irisés qui la baignent à travers
les vitraux, et par la verticalité téméraire de son
architecture. Elle devient sainte demeure de la Lumière et
de l'Ascension par tout ce que son bâtisseur - "homo
significans" (hypostase spiritualisée de l'"homo religiosus")
- y a mis de symbolique. S'il nous est permis de
paraphraser Charles Baudelaire, "L'homme y passe à
travers des forêts de symboles qui l'observent avec des
regards familiers"1. Ainsi, en ayant recours au symbole, "le
1 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Classiques Larousse, Librairie Larousse, Paris, 1973, p. 19. (Correspondances)
168
mouvement de la pensée médiévale va à chercher à
comprendre ce que la foi affirme" , a "éclairer" par son
entremise ce lieu de culte pour faire sentir que "Dieu est
Lumière" et que l'âme humaine, repentante, allégée du
péché, se doit de s'élever à pic au-dessus
de sa matérialité bourbeuse, et, telle la flèche de la
cathédrale, d'aller à la rencontre du Très Haut. C'est selon
Charles Péguy, "l'unique montée ascendante et profonde /
Et nous serons recrus et nous contemplerons"1. Cette
contemplation a cependant son support ici-bas, dans la
cathédrale; il s'agit du symbole qui a été depuis toujours
"le fils aime de l'église, son truchement, celui qu'elle
chargeait d'exprimer ses pensées"2. En témoignent le
Symbole des Apôtres et le Symbole de la Foi.
Si l'on se reporte, par exemple, au chapitre 13 (versets
23 et 24) de l'Evangile selon saint Luc ("Quelqu'un lui dit:
Seigneur, est-ce qu'il n'y aura que peu de sauvés? Il leur
répondit : Faites effort pour entrer par la porte étroite, car
beaucoup je vous le dis, chercheront à entrer et ne le
pourront pas"), on s'apercevra aisément que le portail de la
cathédrale symbolise cette porte étroite, exigeant de
multiples sacrifices qui conduit au Paradis céleste. Ainsi,
face au Quartier latin, le portail de Notre-Dame de Paris
narre-t-il le martyre de saint Etienne qui, au moment de sa
lapidation, s'est écrié : "Je vois les cieux ouverts et Jésus
trônant avec Dieu, son Père!". Pour franchir "la porte
1 Marie Jeanne Coloni, Notre-µDame de Paris … , op. cit., p. 4.2 Charles Péguy, Présentation de la Beauce … , op. cit., p. 172.
169
étroite" et accéder dans le royaume des cieux, saint
Etienne a fait plus que de voir Jésus: il a livré son sang
pour le faire voir et, à ce prix, il a vu le Père1. Symbole
plurivalent, la porte devenue le portail du Jugement, au
centre de la façade de Notre-Dame, développe l'expérience
cruciale d'Etienne, car c'est à tous les hommes qu'est
proposée la faveur accordée : voir Dieu dans la gloire du
Ciel tel qu'il est figuré aux voussures. A ceux qui ne
savaient pas encore, Jésus dévoile que ce qu'ils ont fait
pour leurs semblables c'est Lui qui l'a reçu. Leurs yeux de
créatures pourraient être ainsi accommodés à la lumière
divine et la recevoir, même si l'ange devait un peu infléchir
le fléau de la balance. Si, par contre, ils ne voulaient pas
regarder le seigneur et l'accueillir dans leurs âmes, celui-ci
ne les forcerait pas : il étaient libres de recevoir le salut
comme ils le sont aussi de se damner. De toute façon, il
leur suffirait de lâcher la charge des péchés capitaux à
laquelle ils se cramponnent pour éviter de se retrouver
dans les situations grotesques et effrayantes à la fois,
figurées aux voussures de droite.
Outre cette signification eschatologique suggérant aux
fidèles la fin du monde, la résurrection et le jugement
dernier, la porte, donc le portai d'une cathédrale gothique
aussi, représente le passage sacré, ouvrant la voie vers la
Transcendance et la Révélation divine. L'abbé Suger disait2
aux fidèles et aux pèlerins, qui entraient émerveillés dans
1 Petit Robert 2, Eds. Le Robert, Paris, 1991, p. 2033.2 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., tome 3, p. 115.
170
la cathédrale de Saint-Denis, que ce qui s'avérait digne
d'admiration était le sens sublime de cette oeuvre
architecturale parfaite, et non la matière, bien
qu'artistiquement ciselée, dont son portail principal avait
été fait. Et il ajoutait que cette beauté visible et périssable,
émanant de la cathédrale, qui éclairait leurs âmes, devait
conduire celle-ci vers la Beauté divine et éternelle où l'on
n'entre que par "Christus Janua vera", par l'intermédiaire
du Christ - "la vraie porte" - la porte de la Rédemption : "Je
suis la Porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant
moi ce sont des voleurs et des brigands; mais les brebis
ne les ont pas écoutés. Je suis la Porte : si quelqu'un entre
par moi il ira sain et sauf; il entrera et il sortira et il
trouvera des pâturages"1. Par conséquent, si Jésus-Christ
dans sa gloire est représenté sur le tympan des portails des
cathédrales, cela est dû au fait qu'il est lui-même, par le
mystère de la Rédemption, la Porte par laquelle on entre
dans le Royaume des cieux. Pour tout fidèle qui franchit le
seuil du portail d'une cathédrale, l'exhortation et la
bénédiction du Psalmiste sont plus suggestifs que nulle
part, plus stimulants que jamais auparavant : "Ouvre-moi
les portes de la justice : J'entrerai, je louerai l'Eternel. Voici
la porte de l'Eternel. C'est par elle qu'entrent les justes. Je
te loue, parce que tu m'as exaucé, parce que tu m'as
sauvé"2.
1 La Sainte Bible, L'Evangile selon Jean, chapitre 10, versets 7-9.2 La Sainte Bible, Psaume 118, versets 19-21.
171
Un autre élément symbolique d'une force suggestive tout à fait particulière et d'un effet spectaculaire incomparable, spécifique de l'art gothique est la rosace ou la rose (fig. 71), grand vitrail de forme circulaire éclairant généreusement la nef. "Les cathédrales avec leurs rosaces toujours épanouies et leurs verrières en fleurs" émerveillent un Théophile Gauthier1. Et à propos de Notre-Dame, un Victor Hugo écrivait : "La grande rose de la fa-çade représentait à l'autre bout de la nef son spectre éblouissant"2. L'audace des constructeurs de ces rosaces ou roses a été rarement égalée. Elles peuvent atteindre treize mètres de diamètre, et par surcroît ces grandes et fascinantes fleurs de pierre et de verre sont passées sur une claire-voie qui peut mesurer sept mètres de haut. Les dimensions vont de pair avec la hardiesse du dessin qui réunit les pétales ouvragées autour d'un coeur précieux. Aucun artiste et architecte n'avait jamais tenté une aventure pareille dans les siècles passés : l'originalité de la conception architecturale et de la maîtrise artistique et technique du maître d'oeuvre "gothique" étaient sans conteste impressionnantes. On arrive même à se demander : pourquoi cette obstination créatrice à figurer la complexité de la rose. Pourquoi un jeu si savant des colonnes et des plombs qui enchâssent le chatoiement des morceaux de verre? Au-delà des interférences et des impli-cations profanes, relevant du domaine symbolique de la rose chantée par les troubadours et les trouvères à l'époque de la cavalerie courtoise (voir leur quintessence, Le Roman de la Rose, où elle symbolisait la beauté féminine de l'amour (au point qu'aux fêtes de mai les jeunes filles couronnaient d'un "chapelet de roses leur chevalier servant), c'est la "rose mystique" que le maître d'oeuvre figure là, et pour laquelle on composait des litanies en Île-de-France. C'est avant tout la représentation symbolique de la Sainte Vierge, la mère divine qui a porté
1 Le Robert 1, p. 17292 Idem, p. 1730.
172
dans son sein le Christ comme la rose cache son pistil sous ses pétales. Extrapolant les significations du symbole de la rose (pureté, beauté, amour, perfection) et infusé de cette mystique ardente et visionnaire propre au Moyen Age, Dante qui a édifié, avec l'habilité d'un maître d'oeuvre, La Divine Comédie - sa cathédrale gothique à lui, voit, dans son Paradis, chant XXX, le lieu où siègent les âmes comme une immense rose, dont les pétales forment des gradins célestes s'élargissant en amphithéâtre: "Alors Béatrice, m'attirant jusqu'au coeur jaune de la rose éternelle dilatée en gradins, d'où s'exhalent en parfum les louanges qui glorifient le soleil des éternels printemps, me dit : Regarde comme il est vaste le couvent des robes blanches! Regarde l'immense enceinte de notre Cité"1. Par ce "coeur jaune" des pistils qui occupent le centre de la rose, Dante désigne le milieu de l'enceinte où l'amène Béatrice, le centre de la Jérusalem céleste, centre cosmique et centre mystique à la fois. Toujours dans le Deuxième Ciel l'Empyrée, II", le grand poète a une révélation analogue : "Sous la forme pure d'une rose blanche, m'apparut donc la sainte milice que le Christ épousa dans son sang. L'autre de ces deux choeurs célestes ressemblait à un essaim d'abeilles, plongeant dans le calice des fleurs et, tour à tour portant à la ruche leur butin parfumé. Ainsi, tout en chantant la gloire de Celui qui les remplit d'amour et ravit leurs yeux, ces esprits, portés par leurs ailes, descendaient dans la grande fleur aux mille pétales, puis remontaient au séjour éternel de leur joie ... Entre les pétales de la fleur et la lumière d'en haut, ni les rayons n'étaient interrompus par cette volante multitude ; car la lumière divine pénètre sens obstacle dans tout l'Univers, selon le mérite de ceux qu'elle touche"2.
Toutes les connotations florales métaphoriques et
allégorique, dérivées du symbole de la rose mystique chez
1 Dante Alighieri, La Divine Comédie, traduite et commentée par A. Meliot et ornée de protraits d'après Giotto et Masaccio, Garnier frères libraires-éditeurs, Paris, 1908, pp. 592-593.2 Idem, p. 596.
173
Dante, nous persuadent que le but du grand poète
médiéval, tout comme celui du maître d'oeuvre qui a conçu
la splendide rosace, était de suggérer à leurs
contemporains la complexité harmonieuse du plan divin, la
plénitude, la perfection de l'oeuvre du Créateur. Vue sous
cet angle, la rosace et ses réverbérations symboliques se
passent aussi comme une surprenante réplique de l'artiste
gothique au mandala1- cette magnifique image peinte,
groupant des figures géométriques (cercles et carrés
principalement et illustrent symboliquement dans le
bouddhisme du Grand Véhicule et le tantrisme, l'unité de
l'Univers spirituel et matériel, et la dynamique des
relations unificatrices qui gouvernent les trois plans divin,
cosmique et anthropologique. La contemplation d'une
rosace, comme celle d'une mandala, s'avère en outre
psychothérapique elle inspire un calme serein et induit le
sentiment que la vie de l'individu et de la collectivité à
laquelle il appartient ont retrouvé leur sens et leur ordre.
Ainsi, par la magie de sa symbolique, la rosace stimule le
dépassement de soi-même, des oppositions entre la
multiplicité individuelle et l'unité harmonisée du monde;
image et moteur de l'ascension spirituelle elle procède
graduellement a une concentration de la multiplicité dans
l'unité : le moi réintégré dans le tout, le tout réintégré
dans le moi.
Pour Carl Gustav Jung (dans Métamorphoses de l'Âme
et ses symboles et L'homme et ses symboles) les rosaces 1 Mor sanscrit signifiant "cercle" ou "groupe".
174
des cathédrales illustrent le "ça" (correspondant à
l'allemand "Es", concept psychanalytique freudien
désignant l'ensemble des pulsions impersonnelles,
inconscientes) - une des instances psychiques de l'individu
- transposé symboliquement sur le plan cosmique, image
complexe de l'unité dans la diversité. Selon Jung, le "ça"
individuel est connecté à l'âme collective. De là découle
l'idée la plus originale de la théorie du grand psychiatre et
psychologue suisse (disciple de Sigmund Freud à partir de
1906, dont il se sépara en 1913), celle d'"inconscient
collectif". Fonds commun de toute l'humanité, celui-ci est
structurée par des "archétypes" (ceux des parents, de
l'"animus" et de l'"anima"), schèmes éternels de
l'expérience humaine, qui s'expriment dans les images
symboliques collectives (mythes, religions, folklore) ainsi
que dans les œuvre d'art, y compris dans les cathédrales.
Considérant la rosace un mandala sui generis, Jung ajoute
que nous pourrions également interpréter comme des
mandalas, les auréoles de Jésus-Christ, de la Vierge et des
saints, noyaux énergétiques des peintures religieuses. En
corrélation avec le symbolisme du disque (symbole solaire
figurant la force ascendante, unificatrice du "mental" qui
pulvérise les ténèbres de l'ignorance), les auréoles aidant,
la symbolique de la rosace interfère celle de la roue. En
effet, la superposition du centre mystique et du centre
cosmique, suggéré par le noyau de la rosace conduit
inévitablement à l'analogie avec le moyeu de la roue. De
175
plus, ce rapprochement est imposé par la plénitude
significative de ces deux symboles. Leur symbolisme radial
et rotatoire agit en vertu du double courant significatif qui
jaillit à partir du centre vers la circonférence et
inversement, la roue s'inscrivant tout comme la rosace
dans un système référentiel dynamique : flux roulant,
émanant d'un point originaire versus reflux, retour aux
origines - expression schématique mais révélatrice de la
mouvance, de l'évolution cyclique et progressive de
l'univers d'une part, du devenir de la personne humaine de
l'autre. Cette interférence si évidente des symbolismes sur
ce plan, leur caractère protéiforme relèvent en dernière
instance de la spécificité du domaine qui fait l'objet de
notre démarche - celui de l'art religieux. Dans ce domaine,
on opère moins par des applications bijectives, par des
correspondances biunivoques (relation du type : un seul
signifiant se rapportant à un seul signifié, et
réciproquement). Par conséquent, la définition
traditionnelle du symbole, telle quelle est donnée par le
Petit Robert ou le Concise Oxford Dictionnary et suivant
laquelle celle-ci est un objet de caractère imagé qui, en
vertu d'une convention arbitraire correspondant à une
chose, à une idée ou à une opération qu'il désigne, est
opérationnelle notamment dans les domaines des sciences
et de la philosophie analytique (où la distinction claire
entre l'objet symbolisé et le symbole lui-même est
nécessaire et formelle). Lorsqu'il s'agit cependant du
176
symbolisme religieux, du symbolisme de la Bible, par
exemple, ou bien de celui implicite de la cathédrale
gothique, l'efficacité du symbole n'est plus dans la relation
conventionnelle entre l'objet et le signe, mais, comme le
démontrait Malinowski1 dans A Scientific Theory of
Culture (1944), dans son potentiel expressif, dans
l'influence suggestive qu'il exerce sur l'esprit récepteur (ce
qui implique plus de variables et moins de constantes).
"Après les angoisses de l'an 1000 où, pendant un
temps, l'homme oppressé par sa finitude n'a cherché que
de refuges, le temps des cathédrales le porte avec une
soudaine hardiesse à goûter aux voies de l'éternité. Quels
moyens de se convertir à l'éternel? Le mouvement ou
l'immobilité? L'extase ou l'action?"2. En réalité, les deux
chemins sont explorés. Le XIIIe siècle est l'époque des
grands mystiques et c'est aussi le temps des grands
voyages. Triompher de l'espace c'est en quelque manière
triompher du temps. Jusqu'alors les distances sont perçues
par leur durée :on est à tant de jours de quelque chose, il
faut tant de mois de navigation. Effacer les distances par la
connaissance des pays et des hommes, c'est se nouer à
l'immensité du monde. Mais cette immensité est sentie
contenue, finie, c'est pourquoi le symbole du monde est le
cercle. L'universel est sphérique, replié sur lui-même. Et
l'éternité s'exprime aussi par un symbole circulaire. 1 Bronislaw Kaspar Malinowski s'est illustré en tant que théoricien du fonctionnalisme selon lequel chaque élément constitutif d'un système culturel s'explique par son rôle, sa fonction, dans cet ensemble. Il a tenté parmi les premiers un rapprochement entre psychanalyse et anthropologie2 Robert Philippe, Le temps des cathédrales, Eds. Planète, Paris, 1965, p. 193.
177
Comme il faut rendre le mouvement du temps, c'est la
roue. Pendant le XIIe et le XIIIe siècles, l'iconographie s'est
enrichie des roues de fortune, des globes, des cages
circulaires et transparentes qui sont comme l'écorce du
monde à travers laquelle se lit la vie des êtres. La roue (fig.
72), qui est symbole d'éternité, est aussi instrument de
supplice, comme on peut voir dans le Martyre de saint
Georges à la cathédrale de Chartres. Roue de fortune, roue
de torture, le sens symbolique est voisin. Il s'agit de
signifier le recommencement perpétuel du bien comme du
mal. Il y a dans le choix du mouvement circulaire clos une
volonté de nier le changement.
C'est alors que tout se convertit au cercle ou au
mouvement du cercle. La danse, qu'elle soit jeu pur ou
technique d'extase est devenue circulaire. Au mouvement
linéaire des défilés ou des processions se substitue la
ronde qui est à la fois l'image perpétuelle du monde et de
son recommencement.
Le renoncement à l'ordre des choses exprime un
désarroi qui, sans avoir l'importance des angoisses de l'an
1000, est cependant fondé sur la crainte du dépérissement
et même d'une fin du monde. Pour chaque conjoncture
apocalyptique (car il en est plusieurs) on avance des
explications événementielles, anecdotiques : presque
toujours les invasions, la guerre, la mortalité. En réalité ce
contexte appartient, comme la prise de conscience, à un
moment du cycle de métamorphose. De la fin du XI à l'an
178
1300 l'humanité a refait son chemin puis, comme l'arche
d'un projectile, est retombée dans les craintes de sa propre
fin. "Il faut faire un cercle en forme de roue, au milieu
placer l'essieu. Puis faire cinq rayons pour séparer les
représentations des cinq voies : en bas de l'essieu et, des
deux côtés, les démons affamés et les animaux1 au-dessus,
il faut peindre les hommes et les dieux"1. C'est le système
du monde que définit le Vinaya, la discipline, deuxième
corbeille des saintes écritures du bouddhisme. Les cinq
voies de régénération : infernale, démoniaque, bestiale,
humaine, divine, selon les démérites et les mérites de
l'Être, tournant à l'intérieur du Samsara, la roue du cycle
infini de la Vie. L'essieu contient une bouddha,
accompagnée de trois formes : un pigeon symbolise la
convoitise, lin serpent la colère, un porc l'ignorance.
Sur le modèle de cette cosmographie bouddhique,
toute représentation de l'univers est désormais circulaire.
La complexité des mondes s'exprime par la multiplication
des cercles, concentriques ou sécants, égaux ou
hiérarchisés mais de toute façon, l'enveloppe du monde est
une circonférence. Au moment où les volumes et les
ouvertures s'affranchissent du plein cintre, le monde; au
contraire, épouse la perfection de la courbe.
Dans les arts du monde entier, toute une série de
formes tendent vers le rond : les unes se rattachent à un
artifice de représentation de l'objet ou de l'être; ainsi les
mandorles qui sont comme des incisions en amande dans 1 Apud Robert Philippe, op. cit., p. 194.
179
un espace décoratif où logent les sujets principaux, le
Christ ou la Vierge dans l'art chrétien, les autres
fournissent des attributs conventionnels aux personnages
sacrés : ainsi les auréoles, ces disques dont les visages
n'occupent jamais le centre et qui font à l'esprit une
couronne de lumière.
Maître des distances et conscient du temps, l'homme
du XIIIe siècle fait l'apprentissage de la troisième
dimension du monde : son épaisseur, ce qui lui donne un
volume, une masse. Du cercle on passe ainsi à la sphère,
pleine à l'origine et portant la vie sur son écorce, puis
creuse et fermée comme une prison sur le cloaque d'une
biologie trouble. La première vision est d'optimisme, la
seconde de désespoir.
A l'image de l'espace, la figuration du temps est
également circulaire. Cette transcription graphique a pris
corps avec les premiers zodiaques. Elles s'est épanouie
dans l'Orient, puis s'est répandue dans l'Occident. Pendant
les XIIe et XIIIe siècles, le zodiaque (fig. 73 ) est le
mouvement annuel du temps et les cadrans solaires qui en
inscrivent le mouvement quotidien se multiplient. Au
zodiaque sont attachés les travaux et les mois et le
symbolisme astrologique qui lui est propre. La préférence
est toujours accordée aux travaux agricoles intimement liés
au rythme des saisons (fig. 74, 75 a, b, c). Ainsi se déroule
sous nos yeux le mouvement utile du temps.
180
Toute la vie de l'homme prend place dans un espace
symboliquement circulaire. Qu'il s'agisse de confronter des
mouvements parallèles – la terre, l'enfer et le paradis, qu'il
s'agisse de juxtaposer les moments d'un drame enchaînés
dans le temps, l'artiste gothique recourt avec insistance au
cercle. Image de la vie des hommes, image du monde
aussi, le cercle est présent avec son symbolisme
intrinsèque dans chaque cathédrale gothique. Tout ce qui
touche à la cathédrale est symbole. D'ailleurs ne l'appelle-t-
on pas la Maison de Dieu? Jésus lui-même n'a-t-il pas eu
recours au symbole inaugurant ainsi l'emploi de ce
procédé dans le Nouveau Testament, fondement de loi
chrétienne, le jour où il a parlé du "Signe de Jonas" (le
prophète englouti par un grand poisson, durant trois jours
et ensuite échappé de ses entrailles) pour signifier sa
propre mort, son séjour dans la terre et sa résurrection le
troisième jour ? Dans cette même perspective, l'Eglise
exalte Marie, mère de Dieu fait homme, par les mots que la
Bible applique à la Sagesse "créée dès le commencement
et avant tous les siècles" (aux premiers siècles ud
christianisme, les Pères de l'Eglise l'ont fait avec ferveur)
et identifier sur le plan symbolique la destinée de l'homme
aux faits mêmes dont la Bible relate le déroulement
progressif. : "c'est nous que la traversée de l'eau
baptismale rend à la vie comme celle de la mer Rouge
pour les gens de Moïse les rendait à leur destin … "La
liturgie, l'art de nos cathédrales, fait largement appel à
181
l'interprétation de la Bible par le symbole et l'image
significative"1. Et cela d'autant plus que tous les livres de
l'Ancien Testament convergent vers l'Incarnation du Fils de
Dieu avec une éblouissante évidence, étant en harmonie
symbolique avec le Nouveau Testament. Passer de l'Ancien
au Nouveau Testament ce n' est donc pas changer de livre,
ce n'est pas en fermer un pour ouvrir un autre,
radicalement nouveau, et ce serait une erreur de
considérer la Bible comme la juxtaposition de deux parties
sans liaison étroite entre elles. "Dans maintes oeuvres d'art
du Moyen Âge par exemple sur un vitrail de Chartres, on
voit les quatre grands prophètes portant sur leurs épaules
les quatre évangélistes : image exacte; le Nouveau Tes-
tament a pour soubassement l'Ancien... "2. L 'image
significative du vitrail de la cathédrale de Chartres a un
sens tropologique : elle symbolise l'évolution progressive,
ascendante de l'esprit humain qui va se perfectionnant
depuis la Création jusqu' à la Parousie, à travers "les
espérances messianique du peuple élu et son attente du
Sauveur que Jésus a reprises et assumées, en les
spiritualisant, en les dépouillant de leurs caractères trop
nationalistes et trop temporels"3 , pour leur conférer la
vraie signification universelle et surnaturelle.
Si les fidèles qui priaient dans la cathédrale dirigeaient
leurs regards vers les fenêtres des chapelles, ils y
1 Daniel Rops, "Introduction générale à la lecture et à la méditation des textes sacrés", in La Sainte Bible, op. cit., p. XXIV.2 Ibidem, p. XXV.3 Ibidem.
182
voyaient, racontée, la vie exemplaire de justes, rechaussée
par des touches de lumière. Cette alliance de l'élément
architectural et de l'image significative renforçait le
potentiel symbolique de la fenêtre. "Et il fit à la maison des
fenêtres à grillages"1, lit-on dans le Premier Livre des Rois.
"Il" c'est le roi Salomon et "la maison" c'est le Temple, "la
maison que le roi Salomon construisit à Yahweh"2. Pour le
maître de l'oeuvre, les trois grandes fenêtres du temple de
Jérusalem symbolisaient les trois stations du Soleil,
correspondant à l'est, au sud et à l'ouest; il n' y avait
aucune ouverture vers le nord parce que les rayons du
Soleil ne pouvaient pas éclairer par là la maison de Dieu.
Par contre, les disciples, assis au nord, dans la posture
spécifique de récepteurs de la lumière, la recevaient avec
une intensité maximale par la fenêtre sud qui positionnait
le foyer de connaissance où était censé se trouver leur
Maître (ce symbolisme s'est conservé dans là tradition
maçonnique). En tant qu'ouverture vers la lumière et le
grand air la fenêtre symbolise tout naturellement la
réceptivité, la soif de connaissance et de communication.
Si elle est ronde, elle suggère la voûte céleste et induit un
état de réceptivité analogue à celui de l'oeil et de la
conscience ; si elle est carrée, elle suggère la terre ferme
et induit une réceptivité particulièrement accrue par
rapport à tout ce qui appartient à l'horizon terrestre.
Combinant à sa manière ces deux paramètres symboliques,
1 La Sainte Bible, op. cit., Premier livre des Rois, chap. 6, vers. 4, p. 371.2 Ibidem, vers. 2.
183
le maître d'oeuvre a découpé les fenêtres de sa cathédrale,
en ogive, tout comme les voûtes, en les harmonisant avec
les lignes de force, verticales, de l'édifice. A cette étape
finale de notre démarche, nous ne saurions nous empêcher
de revenir à Lucian Blaga et à sa Trilogie de la culture
pour citer ce profond et synthétique jugement de valeur
sur la symbolique métaphysique, latente, du paradigme
architectural, offert par la cathédrale gothique : "Le
gothique avec ses formes tendant vers l'abstraction avec sa
manière sublimée, avec ses lignes jaillissant vers le ciel,
avec son articulation spatiale dépouillée de substance, avec
sa frénésie de la verticalité perdue à l'infini, signifie avant
toute chose un élan spirituel de bas en haut, une
transformation de la vie dans le sens de la transcendance,
une transfiguration, dynamique et par l'effort humain, de la
réalité. La dynamique verticale du gothique symbolise
l'homme qui recrée en lui-même le ciel par une sublimation
tout intérieure ... L'homme gothique a le sentiment de sa
possibilité d'accéder à la transcendance de bas en haut. Il
la réalise par le dépuration du moi et par la
dématérialisation"1.
C'est ce que nous avons tenté de démontrer en
esquissant cette symbolique de la cathédrale, car son
architecture tend toujours et réussit à se poser comme
Porte sacrée entre l'espace réel et l'ouverture de l'espace
spirituel et transcendant, tout en proposant une iconologie
architecturale caractérisée. En vertu de celle-ci la figure 1 Lucian Balga, Trilogia culturii, op. cit., p. 157 (notre traduction).
184
spatiale devient le symbole d'une fonction qui surpasse
l'acte concret du bâtisseur : à la fonction réelle succède
ainsi la fonction symbolique. Et le symbole, signe
d'entente, subordonne, nécessairement et de manière
efficace, à la valeur spirituelle, la valeur pratique de
communion. Leur résultante est une troisième valeur -
celle de représentation. La tendance profonde dé
l'architecture gothique à assumer une valeur de
représentation ne saurait s'expliquer par le seul désir de
manifester l'autorité divine en tant qu'instance souveraine.
Elle parvient aussi à imposer une qualité maîtresse de
l'homme son génie créateur bénéfique. Son oeuvre ne doit
pas contrarier celle de Dieu (le leitmotive de la Création fut
: "Et Dieu vit que cela était bon"1). Opérant sur les voies
tracées par la Providence, elle doit la continuer, de la
prolonger, de l'exalter. Et en effet, l'architecture gothique,
spirituellement, veut rejoindre le ciel et relier la société
des vivants à celle des élus. C'est un art "édifiant" par
excellence et qui a charge de préparer l'âme humaine à
une existence où l'espace terrestre et ses dimensions sont
abolies, où il n'y aura qu'ascension. A la fois "elocutio1' et
"dispositio", la cathédrale, envisage simultanément les
deux fins du "delectare" et du "docere". Cependant, si son
herméneutique est productive, une poétique et une
rhétorique modernes de l'art gothique restent à élaborer.
Et même si cela se faisait, l'interprétation du mystère
éclatant de la cathédrale gothique en serait-elle plus 1 La Sainte Bible, op. cit., "La Genèse", chap. 1, vers 1-31, pp. 5-6.
185
éloquente que "la Cathédrale" d'un Auguste Rodin (fig. 76)
ou que celles d'un Claude Monet (fig. 77)? Car, en dernière
analyse, ce n'est que l'Art qui peut rendre l'ineffable de
l'Art.
186
EN GUISE DE CONCLUSIONSEN GUISE DE CONCLUSIONS
S'il est un type d'édifice qui légitime le sujet d'un
mémoire de maîtrise c'est bien la cathédrale gothique. Car
une construction comme Notre-Dame de Paris ou Notre-
Dame de Chartres n'est pas seulement une prouesse
architecturale, mais une oeuvre où se conjuguent, pour la
gloire de Dieu et la joie des hommes, la multiplicité des
arts.
Certes, l'architecture est première, prodigieusement
audacieuse, inventive et mesurée. Les cathédrales Notre-
Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres sont vastes :
elles ne sont pas gigantesques. Leurs piliers sont puissants
: ils ne sont pas massifs. Leurs voûtes montent hautes :
elles ne sont pas écrasantes. Voilà le premier miracle de
ces cathédrales : l'harmonie, l'équilibre , la proportion. La
cathédrale est la maison de Dieu et des hommes. L'homme
y est élevé, mais Dieu ne l'écrase pas. Le génie des
architectes a ainsi exprimé la justesse de la foi chrétienne.
En importance, les sculpteurs ne viennent pas loin derrière
les architectes. Comme eux, ceux qui ont taillé la pierre ou
187
le bois sont aussi théologiens, par eux-mêmes ou par leurs
conseillers. Des hommes d'église dont certains très
illustres - Albert le Grand, Thomas d'Aquin - enseignaient
non loin de là. Bien des thèmes proprement chrétiens
peuvent être étudiés aux cathédrales : ce qui concerne la
Vierge Marie elle-même bien sûr, mais aussi la
Résurrection du Christ ou le Jugement dernier. La
sculpture a été peut-être le chantier le plus connu de ces
cathédrales, puisque certain éléments visibles aux façades
sont même antérieurs aux édifices actuels.
Aux cathédrales la pierre sert d'écrin à la lumière ;
tous les vitraux ne sont pas d'égale qualité, mais les trois
roses magistrales font oublier les fenêtres dont certaines
sont assez "médiocres" comme reconnaît Jacques Perrier,
évêque de Chartres, ancien curé de Notre-Dame1. Par le
symbole de la rose, nous plongeons en pleine culture
médiévale profane – pensons au Roman de la Rose - mais
aussi en pleine mystique musulmane, puis chrétienne.
Marie n'est-elle pas appelée "Rose mystique"?
L'homonymie de ce vocable avec la forme des grandes
verrières n'est pas un effet du hasard. Avec l'architecture,
la sculpture et le vitrail, croit-on avoir épuisé les arts qui se
sont exprimés aux cathédrales? Les peintres ont accroché
leurs toiles que restaurations progressives font émerger
des ténèbres. Les orfèvres se sont surpassés en de
multiples autels, châsses et reliquaires: ce sont eux qui ont
1 Apud Jacques Perrier, Les Cathédrales de France, Eds. Les Ducs de France, Paris, 1996, p. 14.
188
le plus souffert des vandales de toutes sortes. La
renommée de ces deux cathédrales vient peut-être autant
de leurs précieuses reliques que de leurs propres mérites:
d'autres voûtes, d'autres tympans, d'autres bleus ou
d'autres rouges peuvent rivaliser avec les leurs. Mais il ne
faudrait pas oublier, pour leur notoriété exceptionnelle , les
voix qui s'y sont fait entendre : voix du plein chant ou de la
polyphonie, voix des orgues, voix de ceux qui ont fait
retenir le message de Celui dont Marie est la mère. Au
service de la musique, la maîtrise de ces deux cathédrales,
les organistes célèbres ont mis leur art et leur sens de la
liturgie. Au service de la parole, les orateurs sacrés ont mis
toute leur science et leur foi. Tous ceux-là ont, eux aussi,
construit la cathédrale. Il est vrai qu'aucun palais, aucun
musée, aucun théâtre, et peut-être aucun temple au
monde, ne joue sur des registres aussi divers qu'une
cathédrale gothique. En cela, peut-être est-elle déjà un
édifice catholique ; son génie est assurément de
rassembler le divers dans l'unité, pour la haute joie de
l'homme. Que représente une cathédrale dans la
conscience française? Il serait facile de le dire pour le XIXe
siècle de Victor Hugo ou de Michelet : l'incarnation
toujours vivante du génie d'un peuple, du génie du Peuple.
Tel est au moins le stéréotype que nous a transmis la
littérature romantique. Aujourd'hui, quel seraient les
résultats d'un sondage? Sans doute seraient-ils fort
composites. Pour chacun la cathédrale symbolise quelque
189
chose de différent et en même temps de commun. Pour le
citoyen français, la cathédrale est un symbole de son
histoire. Plus encore dans l'imaginaire que dans la réalité.
Au temps des rois, Notre-Dame de Paris notamment, était
la cathédrale de la ville capitale, où les rois y allaient
entendre le Te Deum après leurs victoires.
Prise dans le réseau des édifices qui l'entoure, la
cathédrale se doit à sa vocation chrétienne, c'est-à-dire
pleinement humaine. Elle tourne vers Dieu et unit en lui les
réalités humaines qui la bordent. Elle est le symbole d'une
cité dont Dieu n'est pas absent. Pour le visiteur privilégié,
c'est-à-dire celui qui se lève tôt et y entre, la cathédrale est
un vaisseau de paix où les pierres font entendre leur chant
puissant et mesuré. Aux premières heures du matin, la
cathédrale est le symbole de recueillement et d'intériorité.
Pour le catholique français c'est la cathédrale de son
diocèse. Il y vient pour les grandes heures de vie
ecclésiale, mais aussi pour des rassemblements solennels
ou festifs.
Pour le pèlerin, la cathédrale est le reliquaire qui
conserve soit la Couronne d'épines comme Notre-Dame de
Paris, soit la tunique de la Vierge comme Notre-Dame de
Chartres.
Pour le mélomane, ce sont les orgues les plus riches de
France où plusieurs noms célèbres les ont illustrées au
long des siècles. La musique d'orgue, essentiellement
190
religieuse dans sa destination, trouve dans les cathédrales
le cadre le plus accordé dans la signification.
D'autres perceptions de ces cathédrales pourraient
encore être ajoutées Pour leurs architectes et maîtres
d'oeuvre, ce sont les cathédrales telles qu'elles auraient dû
être. Pour le choriste ce sont le berceau du chant liturgique
en terre de France. Pour l'homme de mémoire, ce sont des
scènes où se sont déroulés les actes de l'histoire.
Du Moyen Âge à nos jours la cathédrale parle à
chacun. Pour chacun elle est symbole. Le propre du
symbole est de réunir. Le 30 mai 1980, le pape Jean-Paul II
disait sur le parvis de Notre-Dame de Paris : "Ce lieu est un
lieu historique, un lieu sacré. Ici nous rencontrons le génie
de la France, génie qui s'est exprimé dans l'architecture de
ce temple il y a huit siècles, et qui est toujours là pour
témoigner de l'homme"1.
1 Apud Jacques Perrier, Les cathédrales de France, p. 170.
191
GLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUESGLOSSAIRE DES TERMES TECHNIQUES
ABSIDE = Extrémité circulaire d'une église, derrière le chœur (à
l'origine : sorte de niche circulaire à l'extrémité des basiliques de
la Rome antique). Son orientation vers l'est est en rapport étroit
avec le symbolisme du soleil.
ARC = Elément de construction de forme courbe, reposant sur
deux points d'appui. Les pierres qui le composent s'appellent des
claveaux, celle du centre la clef. L'extérieur de l'arc s'appelle
extrados, la partie intérieure intrados. La courbe varie selon les
époques.
ARC BOUTANT = Arc enjambant le bas-côté destiné, dans la
construction gothique, à reporter sur la culée de la poussée de la
voûte.
ARC DOUBLEAU = Arc en saillie soutenant une voûte.
ARC EN ACCOLADE = Arc caractéristique des XIVe et Xve
siècles, formé de deux contre-courbes appuyées l'une contre
l'autre et couronnant portes et fenêtres.
ARC SURBAISSE OU EN ANSE DE PANIER = Arc dont la
hauteur est inférieure à la moitié de sa largeur.
ARC EN CROIX = Arc à l'angle droit ou presque droit.
ARC TRILOBE = Arc découpé en trois lobes.
ARCADE = Ouverture en arc; ensemble formé d'un arc et de ses
montants ou points d'appui.
192
ARCATURE = Série de petites arcades décoratives, réelles ou
simulées.
ARCEAU = Désigne un motif représentant les mois, les saisons ou
les signes du zodiaque, inscrit dans un trèfle à quatre feuilles.
ARCHIVOLTE = Moulure ornée des voussures d'une arcade.
ARRÊTE D'UNE VOÛTE = Angle qu'elle forme avec un mur ou
une autre voûte.
AUTEL = Table où l'on célèbre le sacrifice chrétien, où l'on
célèbre la messe.
BANDEAU = Saillie de pierre horizontale courant autour d'un
édifice. Destiné d'abord à protéger les façades des eaux de pluie,
il marque ensuite le rythme horizontal entre deux étages.
BAPTISTERE = Edifice de plan circulaire ou polygonal où se
pratiquait le baptême par immersion. Sa forme est directement
liée à l'idée de vie éternelle conférée par la cérémonie, le cercle
n'ayant ni commencement ni fin.
BARLONG = Dont un côté est plu long que l'autre.
BAS-CÔTÉ = Nef latérale d'une église dont la voûte est moins
élevée que la nef principale.
BAS –RELIEF = Sculpture de faible relief exécutée sur une
surface dont elle ne se détache pas; le fond est abaissé par le
sculpteur qui modèle ensuite le volume gardé en réserve.
BERCEAU = Voûte engendrée par un arc en plein cintre.
BOSSAGE = Revêtement de façade en pierre formant un relief.
Les bosses peuvent être arrondies, taillées en pointes de diamant,
vermiculées ou laissées brutes. Le bossage permet d'animer des
surfaces par le jeu de l'ombre et de la lumière.
BUTÉE = Massif de pierre destiné à supporter une poussée.
CARRÉ DU TRANSEPT = Intersection du transept et de la nef
d'une église. On dit aussi "croisée du transept".
CATACOMBES = Galeries souterraines servant de cimetière. Ce
mode de sépulture, originaire d'Orient, a été adopté par les
premiers chrétiens qui y abritaient leurs réunions.
CATHÉDRALE = Eglise épiscopale d'un diocèse, celle où se
retrouve la cathèdre (le siège) de l'évêque.
193
CHAMPLEVER = Enlever au burin le champ autour d'un motif,
d'une figure que l'on réserve, pour obtenir des blancs, des reliefs.
Travailler l'émail en pratiquant des alvéoles pour incruster la
pâte.
CHAPELLE = Partie d'une église où se dresse un autel
secondaire.
CHAPITEAU = Partie supérieure de la colonne ou du pilastre
supportant l'entablement ou le départ d'un arc. Il est composé de
plusieurs parties : l'abaque, la corbeille, (ou l'échine pour
l'ordre dorique), l'astragale. Ces éléments changent de
proportion, de forme et de décor selon les ordres.
CHÂSSE = Reliquaire de grande taille renfermant d'importantes
reliques d'un saint.
CHEVET = Chœur d'une église, vue de l'extérieur.
CHŒUR = Partie de l'église où se trouve l'autel et où se tient le
clergé. A partir du XIIe siècle le chœur fut isolé des fidèles par
une clôture qui en faisait le tour et à laquelle s'adossaient les
rangées de stalles.
CHOEUR TRICONQUE = Pour une église, forme de
construction à plan cruciforme où le bras du transept, ainsi que le
chœur se terminent par une abside. Si les bras du transept sont
peu saillants et les trois absides proches les unes des autres, on
dit que le chevet est tréflé.
CINTRE = Courbure hémisphérique concave de la surface
inférieure d'une voûte, d'un arc. Figure en arc de cercle.
PLEIN CINTRE = Dont la courbure est en demi-cercle.
CINTRE SURBAISSÉ = Dont la courbure elliptique repose
sur le grand axe.
CLAIRE – VOIE = Rangée de fenêtres en haut de la nef.
CLEF = Claveau central d'un arc, parfois plus grand que les
autres et décoré.
CLEF DE VPOÛTE = Pierre la plupart du temps décorée de
feuilles ornementales ou de bustes de saints qui forme le point où
se croisent les nervures dans la voûte croisée d'arêtes ou
d'ogives, et qui pousse par son poids la voûte et la relie aux
194
butées latérales. Plus l'ogive s'élèvera, plus la clef devra faire
contrepoids. Les clefs pendantes, outre leur fonction
architectonique, deviennent un élément décoratif très soigné du
gothique flamboyant.
CLOCHER = Bâtiment élevé d'une église dans lequel on place les
cloches.
CLOÎTRE = Partie d'un monastère interdite aux profanes et
fermée par une enceinte. Lieu situé à l'intérieur d'un monastère
ou contigu à une église cathédrale, et comportant une galerie à
colonnes qui encadre une cour ou un jardin carré.
CLÔTURE = Enceinte d'un monastère interdite aux laïques, où
les moines vivent cloîtrés.
COLONNE = Pilier circulaire supportant l'entablement d'une
architecture. La colonne est formée de deux ou trois parties selon
les ordres : le chapiteau, le fût et la base quand elle existe .
COLONNE ENGAGÉE = Dans un mur ou dans un pilier
sous la forme d'un quart, d'une moitié ou de trois quarts de tare
qui sert de support à l'arc doubleau ou aux nervures de la voûte.
Si un grand nombre de colonnes engagées ensserrent le pilier au
point que son fût ne soit plus visible, on dit que c'est un pilier
fasciculé.
COLLATERAL = Vaisseau latéral, bas-côté d'une nef d'église.
COMBLES = Construction surmontant un édifice et destinée à en
supporter le toit.
CONTREFORT = Pilier, saillie, mur massif servant d'appui à un
autre mur qui supporte une charge.
CORBEAU = Élément de pierre ou de bois soutenant les
corniches, les poutres et les encorbellements. Au Moyen Âge, les
corbeaux étaient souvent sculptés de personnages humoristiques
ou d'animaux fabuleux.
CORNICHE = Moulures saillantes couronnant un édifice pour le
protéger du ruissellement des eaux de pluie.
CROISÉE D'OGIVES = Élément d'une voûte gothique obtenu par
le croisement de deux arcs (les ogives) qui servent d'armature,
l'intervalle étant rempli d'un matériau plus léger. L'origine de la
195
croisée est incertaine : France ou Angleterre? Elle semble en tout
cas avoir été inspirée par les coupoles à nervures de l'Orient.
CROISILLON = Bras du transept d'une église, de chaque côté du
carré. L'église étant orientée est-ouest, on parle de croisillon
nord ou de croisillon sud.
CRYPTE = Construction souterraine placée sous le chœur d'une
église et abritant les reliques de saints. A l'époque carolingienne,
la crypte prend la forme du confesio romain puis, à l'époque
romane, elle adopte à peu près le plan de l'église qu'elle supporte.
On a construit peu de cryptes à l'époque gothique.
CUL-DE-LAMPE = Petit support en encorbellement destiné à
recevoir la retombée d'un arc ou à soutenir une statue ; les culs-
de-lampe sont sculptés de feuillages ou de motifs allégoriques.
CULÉE = Massif de maçonnerie contenant la poussée d'un arc.
DÉAMBULATOIRE = Galerie qui tourne autour du chœur d'une
église et relie les bas-côtés.
DÉLIT = Joint ou veine d'un bloc d'ardoise ou de pierre.
EN DÉLIT = Se dit d'une pierre posée de telle manière que
ses lits de carrière se retrouvent verticaux.
DÉTREMPE = Couleur délayée dans l'eau additionnée d'un
agglutinant (gomme, colle, œuf). Ouvrage fait avec cette couleur.
DOSSERET = Pilastre ou pile de maçonnerie en saillie servant
d'assise à un arc doubleau ou à l'arc d'une ouverture.
ÉBRASSEMENT = Partie du renforcement d'une fenêtre entre le
plan de l'ouverture et le parement intérieur de la salle.
ENTABLEMENT = Partie de l'édifice au-dessus des colonnes.
FENÊTRES HAUTES = Étage des fenêtres hautes dans la nef
centrale d'une église à plan basilical.
FLAMBOYANT = Phase tardive du style gothique en France et en
Angleterre, appelé ainsi d'après la forme, semblable à des
flammes, du remplage des fenêtres.
FLÈCHE = Partie supérieure d'un clocher, de forme pyramidale
ouconique. Par mesure d'économie, les flèches furent souvent
reconstruites en charpentes recouverte de plomb, mais il existe
des flèches de pierre d'une très grande audace.
196
FLEURON. Fleur ou bouton accompagné d'un feuillage
cruciforme placé au sommet d'une tour gothique, d'une gâble ou
d'un clocheton.
FORMERET = Arc parallèle à l'axe de la voûte.
FRONTON = Couronnement d'un édifice ou d'une ouverture
(porte ou fenêtre). Dans l'architecture du Moyen Âge, les frontons
très pointus et décorés s'appellent gâbles.
FRISE = Partie de l'entablement comprise entre l'architrave et la
corniche.
FÛT = Corps d'une colonne entre la base et le chapiteau.
GÂBLE = Surface décorative pyramidale à rampants moulurés
qui couronne certains arcs (portails gothiques).
GAINE = Piédestal se rétrécissant vers le bas et supportant une
sculpture. Si la gaine et a sculpture sont d'une seule pièce,
l'ensemble est appelé terme.
GARGOUILLE = Extrémité des gouttières dépassant de l'édifice
gothique afin d'écarter du mur l'écoulement des eaux et figurant
la tête d'un animal ou d'un monstre.
GOUTTIÈRE = Canal semi-cylindrique, fixé au bord inférieur des
toits.
GUILLOCHIS = Ornement formé de traits gravés entrecroisés
avec régularité.
HAUT - RELIEF = Sculpture dont les figures se détachent
presque entièrement du fond, où elles adhèrent cependant.
JAMBAGE = Montant vertical encadrant l'ouverture d'une porte
ou d'une fenêtre. Pile de maçonnerie soutenant le manteau d'une
cheminée.
JUBÉ = Tribune formant une clôture entre le chœur et la nef
d'une église. On ychantait autrefois la formule : "Jube, domne,
benedicere", dont le nom de cette galerie surélevée. Comme ils
gênaient la vue du chœur, les jubés furent, au XVIIe siècle,
remplacés par des chaires à prêcher.
LANCÉOLÉ = Qui a l'aspect d'un fer de lance ; arc lancéolé.
LIERNE = Nervure de la voûte dite "en étoile", du gothique
flamboyant, joignant le tierceron de la nef.
197
LINTEAU = Traverse de pierre au-dessus du portail pour
décharger l'ouverture du poids du mur ou du tympan qui la
surplombe.
MANDORLE = Grande auréole en forme d'amande entourant le
Christ dans les représentations du Jugement dernier ou de la
Transfiguration.
MENEAU = Montant ou traverse de pierre partageant une
fenêtre gothique en compartiments.
MOULE = Empreinte en creux, que l'on remplit d'une matière
malléable (terre, verre, bronze, matière plastique) qui s'y solidifie
en épousant la forme désirée.
MOULURE = Ornement linéaire, en relief ou en creux, présentant
un profil constant et servant à souligner une forme
architecturale, à mettre en valeur un objet.
NARTHEX = Vestibule de l'église, distinct du porche en ce qu'il
est compris sous la même couverture que la nef, souvent
surmonté d'une tribune.
NEF = Espace compris entre le chœur et l'entrée principale
d'une église. Sa forme allongée et les voûtes qui la couvrent la
font ressembler à un vaisseau retourné, d'où son nom.
Nervure = Arête saillante des arcs de la voûte d'ogives.
NICHE Renforcement ménagé dans un mur et pouvant recevoir
une statue, un meuble, etc.
OGIVE = Arc diagonal bandé sous une voûte et en marquant
l'arête.
OVE = Motif ornemental ayant la forme d'un œuf. Les oves sont
souvent séparés par des feuilles pointues.
PALMETTE = Ornement en forme de feuille de palmier.
PERLE = Ornement en forme de gain, taillé dans les moulures
dites baguettes.
PIEDROIT (PIED DRPOIT) = Montant vertical sur lequel
retombent les voussures d'une arcade ou d'une voûte.
PILASTRE = Pilier engagé, colonne plate engagée dans un mur
ou un support et formant une légère saillie.
198
PILIER (PILE) = Support de maçonnerie de formes variées ; mais
s'il est rond, on parle de colonne. Il peut être carré ou formé d'un
noyau central, caontonné d'un faisceau de colonnettes.
PINACLE = Clocheton pointu, très décoré à l'époque gothique,
servant d'amortissement au contrefort ou à la butée d'un arc-
boutant.
PLATE-BANDE = Couronnement d'une ouverture rectangulaire,
construit en pierres taillées de façon à s'appuyer les unes sur les
autres, la clef du centre bloquant le tout.
PORCHE = Construction en saillie qui abrite la porte d'entrée
d'un édifice.
PORTAIL = Grande porte d'une église. Le portail comprend la
porte proprement dite – quelquefois partagée en deux parties par
un trumeau, deux piédroits souvent décorés de sculptures, un
tympan historié ou non selon les régions et surmonté de
voussures.
PORTIQUE = Galerie de rez-de-chaussée couverte, dont les
voûtes ou le plafond sont soutenus par des colonnettes.
PREDELLE = Panneau en longueur placé sous le retable.
RELIQUAIRE = Objet destiné à recevoir des reliques. Il peut
affecter des formes très variées : châsse, coffret ou statue.
Certains reliquaires épousent la forme de la relique qu'il contient,
comme la main-reliquaire.
REPOUSSÉ = Façonné par repoussage. Relief obtenu par
repoussage.
RETABLE = Tableau peint ou sculpté appuyé au mur sur lequel
s'adosse l'autel d'une église.
RONDE-BOSSE = Statue en plein relief dont on peut faire le
tour.
ROSACE = Motif ornemental en forme de rose servant surtout à
ponctuer en leur centre les voûtes, les coupoles, les plafonds.
ROSE = Grande verrière circulaire de l'époque gothique,
occupant tout le mur de fond de la nef ou des croisillons. La
dimension de ses ouvertures en a nécessité la découpe par des
199
"ramplages" de pierre, véritable armature qui, grâce à son
destin, joue un très grand rôle décoratif.
SEXPARTITE = Se dit d'une voûte gothique partagée en six
parties, pour la réparation des poussées et la résistance des piles.
TIERCERON = Nervure supplémentaire des voûtes gothiques
flamboyantes.
TIERS-POINT = Point d'intersection de deux arcs qui se coupent
pour former une ogive.
TORSADE = Motif ornemental imitant une frange torse.
TOUR-LANTERNE = Tour de carré du transept, en parrticulier
dans les églises normandes.
TRANSEPT = Partie de l'église formant une croix avec la nef
principale.
TRAVÉE = Espace compris entre deux piles supportant les arcs
doubleaux d'une voûte.
TRIBUNE = Galerie élevée au-dessus des bas-côtés d'une église.
Réservée aux femmes, cette galerie permettait de rassembler une
assistance plus nombreuse lors des pèlerinages. Elle a
l'inconvénient de supprimer la possibilité d'éclairage de la nef
autrement que par les fenêtres hautes et de créer une
horizontalité en contradiction avec l'effort des architectes
gothiques pourlancer la cathédrale vers le ciel. Aussi a-t-elle
disparu au XIIIe siècle.
TRIBUNE SIMULÉE OU AVEUGLE = Ouvertures dans le
mur de la nef, au-dessus des grandes arcades, qui servent
seulement à l'articulation du mur, mais ne sont pas reliées à un
espace réel.
TRIFORIUM = Petite galerie de circulation, ménagée au-dessus
des bas-côtés d'une église gothique en remplaçant les tribunes.
TRIPTIQUE = Panneau peint ou sculpté comprenant un tableau
central à deux volets.
TRUMEAU = Pile de pierres supportant le linteau d'une porte en
son milieu. Ceux des portails d'église sont souvent sculptés.
TYMPAN = Partie plate et sculptée d'un portail, comprise entre le
linteau et les voussures. Si le tympan est de grandes dimensions,
200
il peut être à registres.
VAISSEAU = Espace allongé que forme l'intérieur d'un grand
bâtiment, d'un bâtiment voûté ; nef.
VERRIÈRE = Grande fenêtre. Vitrail de grandes dimensions.
VIERGE DE PITIÉ = Représentation de la vierge enceinte par la
douleur avec son Fils mort sur les genoux.
VISITATION = Visite faite par la Sainte Vierge à Sainte Élisabeth.
VITRAIL = Fenêtre garnie de verres colorés.
VOLÉE = Partie d'un escalier comprise entre deux paliers
successifs.
VOUSSURE = Épaisseur de l'intrados de plusieurs arcs accolés
en voûte au-dessus du portail.
VOÛTAIN = Un des compartiments d'une voûte d'ogives.
VOÛTE = Maçonnerie en forme de cintre couvrant un édifice et
constituée d'arcs de pierre s'appuyant les uns sur les autres. On
distingue plusieurs sortes de voûtes :
LA VOÛTE EN PLEIN CINTRE =faite d'arcs en plein cintre,
d'une semi-rond.
LA VOÛTE EN BERCEAU = Voûte en plein cintre, mais au
moins deux fois plus large que longue, souvent soutenue à des
intervalles réguliers par des arcs doubleaux.
LA VOÛTE D'ARRÊTES = formée du croisement de deux
voûtes en berceau.
LA VOÛTE D'OGIVES = construite par l'intersection de
deux arcs, l'intervalle étant rempli d'un matériau léger.
LA VOÛTE RAMPANTE = dont les naissances ne sont pas
au même niveau.
201
GLOSSAIRE DES NOMS PROPRESGLOSSAIRE DES NOMS PROPRES
Pierre ABELARD = Chanoine de Notre-Dame. Il entra à l'abbaye
de Saint-Denis après son histoire d'amour avec Héloïse, puis au
Peraclet, après la condamnation de son traité sur la Sainte Trinité
(1121).
André BEAUNEVEU = Sculpteur et miniaturiste français, né à
Valenciennes, mentionné de 1360 à 1400. Il travailla pour
Charles V puis pour Jean de Berry.
Jean BELLEGAMBE = Peintre flamand (Douai v. 1470 – id? 1543),
auteur des volets d'un des retables de la chartreuse de
Champmol.
202
Bernard DE CHARTRES = Il enseigna à Chartres autour de 1120.
Il ne nous reste rien de lui, mais il nous est connu par Jean de
Salisbury, qui signale sa réputation dans l'enseignement de la
grammaire et de sa connaissance de Platon.
Jean DE BERRY = Prince capétien (Vincennes 1340 – Paris
1416);, troisième fils de Jean II le Bon. Il fut l'un des régents de
son neveu Charles VI pendant la minorité, puis la folie de celui-ci.
La célèbre "librairie" de ce prince fastueux contenait quelques-
uns des plus beaux manuscrits du siècle, notamment les Très
riches heures du duc de Berry commandé aux frères de
Limbourg.
Jean BOURDICHON = Peintre et miniaturiste français (Tours? V.
1457 – id 1521), auteur des Heures d'Anne de Bretagne.
Melchior BROEDERLAM = Peintre flamand (Douai, 1470 – id?
1534/1540), auteur du Polyptyque d'Anchin (v. 1510, musée de
Douai).
CHAMPMOL = Monastère fondé près de Dijon par Philippe le
Hardi (1383) pour servir de nécropole à sa lignée. Rares vestiges
sur place (aujourd'hui dans un faubourg) dont les Puits de
Moïse de Sluter.
La CHARTREUSE = Monastère fondé par Saint Bruno, en 1084,
dans les Préalpes françaises.
Christine de Pisan = femme de lettres française (Venise v. 1365 –
v. 1430). Elle a laissé des ballades, des écrits historiques (Livres
des faits et des bons moeurs du roi Charles V) ainsi qu'un poème,
Pitié de Jeanne d'Arc, témoignage sur l'état des esprits lors de la
guerre de Cent Ans.
CLUNY = Ecole d'arts et de métiers. C'est là que fut fondée en
910 une abbaye de Bénédictins, d'où partit le mouvement de
réforme clunisien. L'abbatiale romane entreprise en 1088, le plus
vaste monument de l'Occident médiéval, a été démolie au début
du XIXe siècle.
LIVRE DU CCOEUR D'AMOUR EPRIS = Manuscrit à peintures
de la Bibliothèque nationale de Vienne (v. 1465). Le texte
allégorique, écrit par le roi René le Bon, est illustré de miniatures
203
remarquables par leur usage de la lumière et de la couleur et par
leur monumentalité. Le peintre en serait un Flamand au service
du roi d'Anjou et de Provence (Berthélémy d'Eyck ?); auquel on a
tendance à attribuer aussi la célèbre Annonciation de l'église de
la Madeleine d'Aix (1443-1445).
Cour de Miracles = Ancien quartier du centre de Paris (jusqu'au
XVIIIe siècle) où vivaient les mendiants et les voleurs, ainsi
appelé parce que les infirmité des truands disparaissaient dès
qu'ils avaient regagné leur repaire.
Le COURONNEMENT DE LA VIERGE = Grand retable dÉ.
Quaronton (1453-1454, musée de Villeneuve-lès-Avignon), qui
témoigne de l'impact des modèles flamands et italien sur une
sensibilité française dans la lignée de l'art gothique du Nord,
aboutissant à un langage plastique spécifique du Xve siècle
provençal.
Saint Denis = Premier évêque de Paris (IIIe s.). Il a été décapité
sur la colline de Montmartre. Dagobert lui dédia une abbaye
célèbre.
Saint Etienne = Diacre et premier martyr chrétien (m. à
Jérusalem v. 37). Sa lapidation marqua le début d'une violente
persécution contre l'église de Jérusalem.
Jean FOUQUET = Peintre et miniaturiste français (1415-1481). Il
s'initia aux nouveautés de la Renaissance italienne lors d'un
séjour prolongé à Rome où, déjà très estimé, il fit un portrait du
pape Eugène IV. La maturité de son style, monumental et
sensible, apparaît dans le diptyque, aujourd'hui démembré, qui
comprend la Vierge et Etienne Chevalier avec Saint Etienne, ainsi
que dans les miniatures, comme celles des Heures dÉ. Chevalier
ou des Antiquités judaïques.
Jean FROISSART = Chroniqueur français (Valenciennes 1333 –
Chimay 1404). Ses chroniques forment une peinture vivante du
monde féodal entre 1325 et 1400.
Nicolas FROMENT = Peintre français, sans doute originaire du
nord de la France (m. en Avignon en 1483-1484). Installé dans le
204
Midi à partir de 1465, il fut au service du roi René (triptyque du
Buisson ardent, 1476, cathédrale d'Aix).
Saint FULBERT = Evêque de Chartres (960 env. – 1028), né près
de Rome. Il vint en 984 à Reims pour y suivre les cours de Gilbert
d'Aurillac, futur Silvestre II. En 992 il se rend à Chartres pour y
apprendre la médecine. Il fut bientôt maître, chancelier et
chanoine. En 1006 il fut nommé évêque. Il entreprit la
reconstruction de la cathédrale dont il subsiste la crypte. Il donne
un enseignement à Chartres marqué par l'intérêt pour les arts
libéraux.
Sainte GENEVIÈVE = Patronne de Paris (Nanterre v. 422 –
Lutèce v. 502). Elle soutient le courage des habitants de Lutèce
lors de l'invasion hune d'Attila.
Jacquemart de HESDIN = Miniaturiste français, au service du
Duc de Berry de 1384 à 1409, auteur d'une partie des images en
en plein rouge des Petites heures de ce prince.
Simone MARTINI = Peintre italien (v. 1284 – 1344). Un des
maîtres de l'école de Sienne. Fresques au dessin et aux couleurs
raffinés.
Hans MEMLING = Peintre flamand (v. 1433 – 1494). Exerçant à
Bruges, comme Van Eyck, il représente l'aboutissement serein,
médité, harmonieux, de l'art primitif flamand.
Jean PERREAL = Peintre, dessinateur, décorateur et poète
français (connu à partir de 1493, m. en 1530). Il fut employé par
la ville de Lyon ; peintre en titre de trois rois de France et
conseiller de Marguerite d'Autriche dans son entreprise de Brou ;
mais on n'a de lui presque aucune œuvre certaine.
Claus SLUTER = Sculpteur néerlandais (Haarlem v. 1340/1350 –
Dijon 1405/1406). Installé à Dijon en 1385, il succède à Jean de
Merville comme imagier du Duc Philippe le Hardi. La plus célèbre
de ses œuvres conservées est l'ensemble des six prophètes du
Puits de Moïse (anc. Chartreuse de Champmol), sans douté
achevée par son neveu Claus de Werve (1380-1439). Le génie de
Sluter réside dans une puissance dramatique et un réalisme qui
exerceront une influence notable sur l'art européen du Xve siècle.
205
SUGER = (vers 1086 – 111). Abbé de Saint-Denis en 1122 où il
avait été élevé avec le futur Luis VI. Il joua un rôle politique sous
ce roi et sous son successeur Louis VII. Il assura la régence au
cours de la deuxième croisade (1147-1149). Il entreprit
également la reconstruction de son abbatiale dont il n'acheva que
le massif occidental et le chevet. Auteur de plusieurs ouvrages
dont deux consacrés à l'abbaye.
TRES RICHES HEURES= Manuscrit enluminé par les frères de
Limbourg, de 1413 à 1416, pour le Duc Jean de Berry (Château
de Chantilly) ; livres d'heures célèbre pour ses peintures en pleine
pages qui unissent des qualités flamandes (observation précise du
réel, apportant sur la vie de l'époque un témoignage captivant) et
italiennes (valeurs plastiques nouvelles).
Lorenzo VALLA = Humoriste italien (Rome 1407 – Naples 1457).
Il chercha à concilier la sagesse antique et la foi chrétienne (De la
volupté, 1431).
VAN DER WEYDEN = Peintre des Pays-Bas du Sud (Tournai v.
1400 – Bruxelles, 1464), le plus célèbre des "primitifs flamands"
après Van Eyck (Descente de Croix, v. 1435?, Prado, Saint Luc
peignant la Vierge, retable du Jugement dernier, v. 1445 – 1550,
Hôtel-Dieu de Beaune; portrait de l'Homme à la flèche,
Bruxelles).
Jan VAN EYCK = Peintre flamand (v. 1390 – Bruges 1441). Le
fondateur de l'école flamande. Il fit des découvertes techniques
capitales qui l'aidèrent à représenter le monde sensible avec une
fascinante vérité. Portraits (Les époux Arnolfi) et scènes
religieuses (L'Agneau mystique).
Giorgio VASARI = Peintre, architecte et historien de l'art italien
(Arezzo 1511 – Florence 1574), auteur d'un précieux recueil de
Vies d'artistes qui privilégie l'école florentine.
VILLARD DE HONNECOURT = (première moitié du XIIIe siècle).
Très célèbre par le carnet qu'il réalise. On y trouve des dessins
qui touchent à tous les domaines : architecture, sculpture,
technique … reproduisant monuments, sculptures, machines qu'il
a pu voir au cours d'un périple qui l'a conduit jusqu'en Hongrie.
206
Malgré des études récentes, sa personnalité nous échappe. Il
marque cependant une vaste curiosité, qui demeure pour
l'époque un témoignage unique.
Eugène VILLET-LE-DUC = Architecte et théologien français
(Paris 1814 – Lausanne 1879). Il restaura un grand nombre de
monuments du Moyen Âge, notamment l'abbatiale de Vézelay,
Notre-Dame de Paris et d'autres cathédrales, le château de
Pierrefonds, la cité de Carcassonne. Il est l'auteur, entre autres
ouvrages, du monumental Dictionnaire raisonné de l'architecture
française du Xie au XVIe siècle (1854 1868) et des Entretiens sur
l'architecture, qui ont défini les bases d'un nouveau rationalisme,
incluant l'emploi du métal.
Simon VOUET = Peintre français (Paris 1590 – id. 1649). Après
une importante période romaine (1614 – 1627), il fit à Paris, grâce
à son style aisé et décoratif (coloris vif, mouvement des
compositions) une carrière officielle brillante (Le Temps vaincu
par l'Amour, Vénus et l'espérance, Musée de Bourges,
Présentation au temple, allégorie dite La Richesse, Louvre).
Konrad WITZ = Peintre d'origine suave installé à Bâle en 1431
(m. en 1445 à Bâle ou à Genève). Sous l'influence des arts
bourguignon et flamand il a composé des panneaux de retables
remarquables par la force plastique et par l'attention portée au
réel. (Pêche miraculeuse, Musée d'Art et d'Histoire, Genève).
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