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LA PERCEPTION DE L'IMMIGRATION MAHORAISE À LA
RÉUNION :
quel avenir pour l'État-Providence au sein d'une société
multiculturelle?
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Mme Christel GRIMAUD
Directeur de mémoire : M. Solofo RANDRIANJA
Date : 2012
2
LA PERCEPTION DE L'IMMIGRATION MAHORAISE À LA
RÉUNION :
quel avenir pour l'État-Providence au sein d'une société
multiculturelle?
IEP de Toulouse
Mémoire de recherche présenté par Mme Christel GRIMAUD
Directeur de mémoire : M. Solofo RANDRIANJA
Date : 2012
3
REMERCIEMENTS
La route a été longue et les errances nombreuses avant que je ne parvienne à délimiter
proprement le thème et l'espace dans lesquels s'inscrit ce mémoire de fin d'études. Si elle a,
par essence, été un voyage solitaire, elle ne s'est pas faite seule.
Je tiens à remercier tous ceux qui m'ont accompagnée.
M. Solofo RANDRIANJA, pour sa patience, sa sollicitation et son intemporelle présence,
Mme Isnelle GOULJAR, pour son oreille attentive et ses indispensables conseils,
Mme Juliette SAKOYAN, qui, sans même s'en douter, a largement contribué à l'achèvement
de ce travail,
Mme Clémence BACHER, pour son immense soutien, son temps et pour la finesse de ses
analyses,
Et tous ceux qui m'ont écoutée, lue et corrigée.
Une pensée toute spéciale revient à ma famille sans qui les interrogations qui nourrissent les
pages suivantes ne m'auraient peut-être jamais effleurées.
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune
approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces
opinions doivent être considérées comme propres à leur auteure.
LISTE DES ACRONYMES
CMU Couverture Maladie Universelle
CREDOC Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de vie
DOM Département d'Outre-Mer
DROM Département et Région d'Outre-Mer
FEDER Fond Européen de Développement Régional
FSE Fond Social Européen
INSEE Institut National de la Statistique et des Études Économiques
PTOM Pays et Territoire d'Outre-Mer
RMI Revenu Minimum d'Insertion
RSA Revenu de Solidarité Active
RUP Région Ultra Périphérique
UE Union Européenne
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre Introductif..................................................................................................................1
PRÉAMBULE...................................................................................................................1
SECTION 1 – L'ÎLE DE LA RÉUNION, CADRE SPATIAL.........................................2
SECTION 2 - L'IMMIGRATION A LA RÉUNION, CADRE THÉMATIQUE...............8
SECTION 3 – LE MULTICULTURALISME, CADRE THÉORIQUE ET ENJEU DE
PROBLÉMATIQUE........................................................................................................12
Chapitre 1 - méthodologie de l'enquête de terrain...............................................................21
PRÉAMBULE.................................................................................................................21
SECTION 1 - LA CONSTRUCTION DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN ......................23
SECTION 2 - L'ADMINISTRATION DU QUESTIONNAIRE.....................................29
SECTION 3 - LA POPULATION OBSERVÉE, PREMIERS ÉLÉMENTS
D'ANALYSES.................................................................................................................30
Chapitre 2 – Le principe de redistribution à l'épreuve du multiculturalisme réunionnais
...................................................................................................................................................36
PRÉAMBULE.................................................................................................................36
SECTION 1 – L'ÉTAT-PROVIDENCE, UN SYSTÈME REDISTRIBUTIF EN
CRISE ?...........................................................................................................................38
SECTION 2 : L'ÉTAT-PROVIDENCE UNIVERSEL ET SOLIDAIRE À L'ÉPREUVE
DE LA MULTICULTURALITÉ RÉUNIONNAISE ......................................................45
Conclusion................................................................................................................................46
Annexes......................................................................................................................................1
Bibliographie.............................................................................................................................8
CHAPITRE INTRODUCTIF
PRÉAMBULE
L'idée de cette étude débute avec la sensation non encore intellectualisée d'un étrange
paradoxe : la Réunion, modèle de société multiculturelle semble aujourd'hui rejeter une frange
de sa population, les Mahorais. Nous choisissons de creuser autour de la question de leur
intégration à la société réunionnaise.
Cette longue introduction pose l'ensemble des champs dans lesquels s'inscrit notre réflexion.
L'île de la Réunion est notre limite spatiale (SECTION 1). Le thème du multiculturalisme est
au cœur de nos préoccupations (SECTION 2). Enfin, nous livrons notre problématique et le
plan de notre démarche ainsi que le cadre théorique de nos analyses (SECTION 3).
1
SECTION 1 – L'ÎLE DE LA RÉUNION, CADRE SPATIAL
L'île de la Réunion est un espace insulaire aux multiples dimensions. Son relief
escarpé et torturé livre à l'homme des territoires aux potentiels très variables (§1). Sa
population a, depuis le début du XXème siècle, œuvré en faveur de la départementalisation.
Devenue effective le 19 mars 1946, elle n'a plus été contestée depuis (§2). Avec un taux de
natalité nettement supérieur à celui de la métropole, les réunionnais forment une société
dynamique. Pourtant, face à un marché du travail peu ouvert et un développement
économique peu entrainant (§3), les candidats à l'exil, essentiel vers la métropole, sont
nombreux (§4).
§1. RELIEF ESCARPÉ ET INÉGALITÉS ENTRE LES TERRITOIRES
Née il y a quelques deux millions d'années de la colère d'un volcan sub-aquatique, la
Réunion est la plus haute des îles de l'océan Indien. Le Piton des Neiges, qui culmine à 3 069
mètres est entouré de trois cirques au relief tourmenté et escarpé façonné par l'érosion. De ces
cirques, seuls Salazie et Cilaos sont accessibles en voiture ; Mafate s'offre aux randonneurs
aguerris qui pratiquent ses multiples sentiers, seules portes d'entrée vers une nature préservée
et mise à l'honneur au travers notamment de l'éco-tourisme.
Les paysages du Sud-est de l'île sont marqués par le Piton de la Fournaise et ses nombreuses
éruptions. Son dynamisme rend difficilement prévisible les potentialités de développement de
cette région et confère donc à cette part de l'île un aspect très sauvage. A l'Est, la côte au vent
se caractérise par un climat très humide et pluvieux. Avec près de 700 centimètres d'eau par an
au mètre carré, Takamaka, lieu-dit situé sur la commune de Saint- Benoit (principale
commune de la côte Est) est l'un des endroits les plus arrosés au monde.
A l'inverse, la côte sous le vent qui désigne la partie Ouest de l'île manque d'irrigation. Ce
déséquilibre a conduit le gouvernement local à investir, depuis le milieu des années 1980 dans
un grand projet de transfert d'eau d'Est en Ouest, avec un soin spécifique accordé à la nappe
de la rivière des Galets. La principale commune de l'Ouest est Saint-Paul. La majorité des
stations balnéaires ainsi que le lagon sont regroupés sur le territoire de cette commune.
Saint-Denis, ville située à la pointe Nord de l'île est le chef-lieu de la Réunion. S'y concentrent
2
la majorité des services de l'État et le siège de nombreuses entreprises locales. La ville est
reliée au reste de l'île à l'est par une quatre voies aujourd'hui largement praticable. A l'Ouest,
c'est la fameuse Route du Littoral qui permet de rejoindre la ville du Port et l'ensemble des
villes de la côte Ouest ou du Sud. Parmi les plus dangereuses du territoire français, cette route
est soumise à une forte érosion du fait de l'eau de mer qui la submerge régulièrement et du fait
du ravinement de l'eau sur les falaises qui la borde tout du long. Un projet pharaonique d'une
nouvelle Route du Littoral entièrement construite sur l'eau a été validé au mois de juillet 2012
et devrait voir le jour en 2020.
Le Sud de l'île, quant à lui, s'organise autour de St Pierre. Véritable capitale du Sud, les élus
de la ville et des communes alentours (notamment la commune du Tampon) sont de fervents
partisans de la bi-départementalisation, thème qui a surgit à intervalles réguliers dans la vie
politique réunionnaise jusqu'en 2000. Il avait pour but de « mieux aménager le territoire de la
Réunion, [de] rapprocher l'administration départementale du citoyen [et de] traduire
l'émergence du sud et favoriser son développement »1. Il a été abandonné suite aux réticences
de la population qui n'a pas manqué de faire remarquer qu'une division ferait perdre à la
Réunion son identité. Pourtant, la dynamique de développement du Sud n'a pas cessé. Ainsi,
des centres de formation d'abord, puis des infrastructures de santé parmi les plus performantes
de l'île s'y sont durablement implantés. C'est à St Pierre que se termine la toute récente Route
de Tamarins (livrée en juin 2009) qui relie le Nord de l'île au Sud en quelques cinquante
minutes.
§2. STATUTS JURIDIQUES : LA PERSISTANCE DU STATU QUO INSTITUTIONNEL
Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, la Réunion est régie par le statut de
DROM, département et région d'outre-mer, défini par l'article 73 de la Constitution (annexe).
Ce nouveau statut répartit entre les différents échelons des collectivités locales les pouvoirs
décentralisés de l'État. La définition et la mise en œuvre de la politique d'action sociale sont
assurées par le Département tandis que la Région coordonne le développement économique et
la formation professionnelle.
Ce nouveau cadre prévoit également que, sous certaines « caractéristiques et
contraintes particulières »2 aux collectivités, le régime général de l'identité législative puisse
1 Extrait du discours de M. L. JOSPIN, 1er ministre, à Saint-Pierre, le 26 janvier 20012 Art. 73 de la Constitution de 1958
3
être ponctuellement adapté aux particularismes locaux. C'est dans ce cadre que le Code de
l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) diffère entre la métropole et
l'outre-mer français. La validité du droit communautaire est moins obligatoire dans ces
territoires lointains. Pour ces raisons, le droit à un recours effectif par exemple est souvent
bafoué et les reconduites à la frontière sont faites de façon « expéditive »3. C'est également le
cas dans les domaines de la fonction publique (majoration des traitements) ou de la fiscalité
(impôt sur le revenu inférieur à celui de la métropole ; défiscalisations). Cette adaptation
touche ainsi à divers domaines de la vie quotidienne qui font partie des compétences
reconnues aux DROM. Pourtant, la Réunion a refusé une évolution trop différente par rapport
à la métropole en matière de droit commun et a fait adopter par le Parlement réuni en Congrès
à Versailles, un amendement stipulant que l'auto-détermination ne serait pas usité sur son
territoire. Le département se différencie ainsi des autres DROM (Martinique et Guadeloupe
notamment) qui, en 2014, expérimenteront de nouvelles dispositions institutionnelles, avec
notamment le passage à une assemblée unique. Cette position réunionnaise relègue le débat
sur l'évolution institutionnelle de l'île au second plan, le statu quo étant le mot d'ordre. Ainsi a
été établi le statut particulier de la Réunion dans le paysage institutionnel français.
Au sein de l'Union Européenne (UE) et du fait de l'approfondissement constant de
l'intégration des Communautés, la Réunion a acquis en 1997 le statut de Région Ultra-
Périphérique (RUP). A ce titre, et au nom de l'objectif de convergence4 développé par l'UE, la
Réunion bénéficie de subventions européennes pour un total cumulé de 3 178 millions d'euros
sur la période 2007 – 20135. Ce statut est un atout majeur en période de crise car il permet
d'assurer une continuité dans de nombreux investissements en faveur du développement
économique de l'île. Toutefois, il représente également un inconvénient lorsque des normes
européennes contraignantes se voient concurrencées dans la zone Sud-Ouest de l'Océan
Indien par des législations plus souples. C'est notamment le cas dans le secteur de la pêche.
3 Régime d'exception en outre-mer pour les personnes étrangères, Gisti, Migrants Outre-Mer, La Cimade, dans Les cahiers juridiques du GISTI, juin 2012, 72 p.
4 La convergence désigne la volonté affichée de l'UE de diminuer les écarts de développement entre ses différentes composantes par une attention particulière accordée à l'amélioration des conditions de la croissance et de l'emploi. Les domaines d’action sont le capital physique et humain, l’innovation, la société de la connaissance, l’adaptabilité aux changements, l’environnement et l’efficacité administrative. L'objectif de convergence est financé par le FEDER, le FSE et le Fond de Cohésion. Les régions ultra-périphériques de l'UE bénéficient d'un financement spécifique du FEDER.
5 Source : IEDOM, rapport 2011 paru en juin 2012. Ces aides se répartissent entre différents programmes européens et fonds structurels dont le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), le fonds européen pour la pêche (FEP), le fonds social européen (FSE), et le fonds européen de développement régional (FEDER).
4
§3. UNE POPULATION DYNAMIQUE ET MOBILE
L'île de la Réunion est un espace densément peuplé. 840 000 habitants6 se répartissent
sur un territoire de 2 512 km². Avec un peu plus de 330 habitants au km², elle est la troisième
région la plus densément peuplée de France, derrière l'Ile-de-France et la Martinique.
Territoire montagneux au relief parfois hostile, l'île est inégalement peuplée. La majorité de la
population se concentre sur les zones habitables, près des littoraux.
Un taux de natalité élevé (17‰ contre 12,8‰ en métropole) assorti d'un indicateur de
fécondité supérieur au seuil théorique de remplacement des générations7 contribue à un taux
d'accroissement naturel qui ne cesse d'être positif depuis le début des années 2000. Ce
dynamisme des naissances (que l'on ne retrouve pour la France qu'en Guyane et à Mayotte) et
la concentration des habitants sur les littoraux expliquent en grande partie la pression foncière
qui s'exerce sur ces zones. Ce dynamisme de la population va de pair avec une large tendance
à l'émigration chez les 15-34 ans8. Les difficultés d'insertion professionnelle que connait l'île
expliquent dans une large mesure ces migrations. Cela se traduit par le creusement du ventre
de la pyramide des âges de l'île de la Réunion.
FIGURE 1. PYRAMIDE DES AGES DE LA POPULATION RÉUNIONNAISE
Depuis les années 1960, diverses politiques en faveur de l'émigration on été appliquées
6 L'ensemble des chiffres cités dans cette partie sont tirés du rapport 2011 de l'IEDOM, paru en juin 2012.7 Il est estimé à 2,1 enfants par femme. A la Réunion, l'indicateur de fécondité est de 2,38 enfants par femme.8 Source : Revue Économie de la Réunion, n°136, INSEE, mai 2010.
5
dans l'île. Le Bureau des Migrations d'Outre-Mer, BUMIDOM, est créé en 1961 afin d'éviter
toute explosion sociale. Vivement critiquée à la Réunion et dans l'ensemble des DOM par les
partis de gauche (certains parlent même de « déportations des populations des DOM »), cette
société d'État est remplacée en 1982 par l'Agence Nationale pour la promotion et l'insertion
des Travailleurs d'Outre-Mer (ANT). Le terme d'émigration est progressivement remplacé par
celui de mobilité, thème aujourd'hui encore très présent dans la vie politique réunionnaise.
Malgré cette promotion de la mobilité et les nombreux départs qu'elle induit, les jeunes sont
nombreux à souhaiter demeurer dans leur île natale. Lorsqu'ils s'exilent en métropole, c'est la
plupart du temps avec l'idée de rentrer le plus rapidement possible. En 2006, le solde
migratoire des natifs de la Réunion âgés de plus de 35 ans devient positif ce qui montre bien
que l'attachement à son territoire d'origine demeure très fort. La possibilité du retour agit
comme une des motivations au départ.
§4. DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE SUR FOND DE CRISE SOCIALE
La Réunion connaît une urbanisation galopante. Celle-ci s'opère au détriment des
surfaces arables consacrées à plus de 50% à la culture de la canne à sucre. Monoculture
destinée, lors de sa mise en place au début du XIXème siècle, à ravir la puissance coloniale, la
canne à sucre est aujourd'hui le second revenu agricole9. Sans ressources minérale ou naturelle
propres (à l'exception de matériaux de construction), l'île connait un développement
économique dépendant de la métropole et des échanges extérieurs très déficitaires. Le taux de
couverture des importations par les exportations est de 5,9% en juillet 201110. Les principaux
partenaires commerciaux de la Réunion, pour les importations comme pour les exportations,
sont la France métropolitaine ainsi que l'Union Européenne et plus particulièrement
l'Allemagne.
Frappée par la crise de 2007, la croissance réunionnaise peine à se relever, le PIB
stagne. Longtemps considérée comme le symptôme d'une économie de rattrapage lors de ses
années fastes (5% de croissance par an entre 1999 et 2005), la crise atteste bien que la
croissance réunionnaise n'est pas endogène. Elle profite au contraire de liens étroits conservés
avec l'ancienne puissance coloniale et repose sur de vastes transferts sociaux. Elle constitue
ainsi une économie de rente (POIRINE, 1995), que l'on retrouve dans de nombreux espaces
9 La première source de revenu agricole est aujourd'hui le maraichage.10 Source : INSEE
6
insulaires. Le chômage atteint fin 2011 son taux le plus élevé depuis 2003 : 29,5% de la
population active est en recherche d'emploi. Ce taux exorbitant, loin devant celui de la
métropole (10% au premier trimestre 2012), fait de la politique en faveur de l'emploi le centre
des débats de nature socio-économique à la Réunion. La vie chère est également un thème
récurrent des allocutions politiques dans l'île où les récentes émeutes de février 2012 attestent
d'un climat social tendu, prêt à exploser à tout moment.
7
SECTION 2 - L'IMMIGRATION A LA RÉUNION, CADRE
THÉMATIQUE
S'intéresser à la question des migrations mahoraises à la Réunion nécessite un bref
détour par l'histoire de la construction de l'île. En effet, dès le début de son existence sur la
scène internationale au XVIème siècle, l'île de la Réunion a été un lieu de migrations. Celles de
colons et d'esclaves dans un premier temps (§1), suivies d'autres vagues correspondant
chacune à des épisodes historiques précis (§2).
§1. COLONS ET ESCLAVES
En 1642, l'île découverte un siècle plus tôt par Pedro MASCARENHAS, un navigateur
portugais, devient colonie française. Elle prend le nom d'île Bourbon, en hommage à la
famille royale alors au pouvoir en France. Cette date marque le début du peuplement de l'île,
« colonie sui generis » (G. FONTAINE, 2005) qui n'a connu aucun système traditionnel pré-
colonial.
Après une première tentative de peuplement de l'île avortée11 entre 1642 et 1660, la
colonisation prend un nouvel essor avec l'arrivée de Louis PAYEN accompagné de dix
esclaves en 1665. Jusqu'au milieu du XIXème siècle, le nombre d'esclaves et de colons ne cesse
d'augmenter. Ils arrivent de Madagascar, de la côte mozambicaine ou du golfe d'Aden. Dans le
même temps, la société évolue et l'île ne cesse de s'agrandir aux yeux de ses habitants. Les
marronages se multiplient dès le milieu du XVIIIème siècle. Les « Marrons »12, esclaves tentant
d'échapper à leurs maîtres, s'installent dans les endroits les plus reculés, aujourd'hui encore
difficilement accessibles comme les cirques de Mafate, de Cilaos et de Salazie. Ils
parviennent, malgré les chasses à l'homme menées pour les retrouver, à vivre dans des espaces
aujourd'hui encore considérés comme isolés du reste de l'île. De nombreux lieux à la Réunion
11 En 1642, des mutins sont exilés de l'établissement français de Fort-Dauphin à Madagascar. Ils survivront aux
conditions de vie à la Réunion (qui ne porte pas encore ce nom) mais n'auront pas de descendants.
12 Les noms donnés aux différents groupes ethniques de l'île sont une première fois mis entre guillemets. Cela marque leur caractère d'objet d'étude scientifique. Par la suite, ces guillemets ne seront plus utilisés. En effet, ils sont couramment utilisés dans le langage créole, et seront donc utilisés comme tels dans ce rapport.
8
trouvent d'ailleurs l'origine de leur nom dans le malgache, témoignant des liens historiques
étroits qui unissent ces deux îles voisines. A titre d'exemple, Salazie signifie le bon
campement et Cilaos vient de Tsilaosa qui désigne le pays que l'on ne quitte pas. Cette époque
marque une étape décisive dans l'histoire de l'exploration de l'île.
A partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle, certains colons, jusqu'alors petits
propriétaires terriens s'appauvrissent considérablement. Du fait de crises économiques
majeures qui frappent la culture du café d'abord puis celle de la canne à sucre, ils perdent
plantations, esclaves et revenus. Destitués, ils sont contraints de s'exiler vers les hauteurs de
l'île et vivent dès lors à la façon des Marrons. Ce sont les « Petits Blancs » ou « yab »13 de la
Réunion. Ils ont également contribué à l'exploration des terres réunionnaises.
Lorsque l'abolition de l'esclavage est proclamée à la Réunion le 20 décembre 1848,
divers groupes ethniques s'ajoutent à celui des Petits Blancs et des Marrons. Les « Gros
blancs », tout d'abord, descendent des premiers colons français de la Réunion. Tous
catholiques, ils étaient maîtres d'esclaves avant 1848. Ce sont aujourd'hui encore de grands
propriétaires terriens. Ils sont également à la tête de grandes surfaces, grandes entreprises, et
sont actionnaires de banques (MEDEA, 2003). Les « kafs »14, également catholiques
(animistes pour certains) sont issus des premiers métissages dans l'île. Ils sont descendants
d'esclaves malgaches ou africains et ont donc un phénotype afro-malgache ou négroïde.
§2. LES VAGUES SUCCESSIVES D'IMMIGRATION À LA RÉUNION
A la suite de l'abolition de l'esclavage, de grandes campagnes se mettent en place pour
organiser le recrutement de travailleurs étrangers afin de remplacer les esclaves au sein des
plantations. Dans certains cas, ce recrutement se fait par voie contractuelle. De nombreux
volontaires chinois arrivent de cette façon à Bourbon mais repartent rapidement du fait de leur
insoumission face aux mauvais traitements de leurs maîtres-patrons. C'est dans le cadre d'une
immigration libre, qui débute après la promulgation, en 1862, d'un décret permettant aux
étrangers de s'engager comme travailleurs à la Réunion, qu'arrivent les ancêtres des « Sinois »
de la Réunion (YU-SION, 2003). Dans d'autres cas, ce recrutement date de l'interdiction de la
13 Le terme de « yab » est un terme créole qui proviendrait du terme français « diable ». Les « Petits Blancs », du fait de leur exil dans les montagnes réunionnaises, n'ont pas accès aux églises et ne peuvent ainsi baptiser leurs nouveaux-nés (MÉDÉA, 2003).
14 Le terme « kaf » vient de l'arabe kaffir qui signifie infidèle, c'est à dire celui qui n'est pas musulman (MEDEA, 2009)
9
traite en 1817. Les grands propriétaires terriens pensent alors à recruter des travailleurs libres
parmi des populations qui ne sont pas représentées à la Réunion afin d'éviter la cohabitation
d'esclaves et de travailleurs libres de même nationalité (PRUDHOMME, 1985).
Bien que peu satisfaisante, cette initiative aura permis aux colons réunionnais de
prendre conscience du rôle que peuvent jouer les comptoirs français en Inde dans la fourniture
de main d'œuvre. Au lendemain de l'abolition de l'esclavage, nombreux sont les engagés
indiens invités à quitter leur Tamil Nadu natal pour s'installer de façon durable sur l'île de la
Réunion. Ils sont aujourd'hui désignés par le terme de « tamouls ». D'autres viennent de la
côte Sud Ouest de l'Inde, la côte Malabar, et forment le groupe des « malbars » de la Réunion.
Ils sont tous hindous. Leur contribution à l'arkansiel15 que compose la société réunionnaise est
considérable. Ils ont en effet coloré l'île de milles et un saris ainsi que de temples aux façades
aussi variées qu'il y a de dieux (et d'avatars de dieux) dans l'hindouisme. A partir des années
1870 ce sont des Indiens originaires de la presqu'île du Gujarat, musulmans d'obédience
sunnite, qui immigrent à la Réunion. Ils deviennent les « Z'arabes » de la Réunion. Ils
s'installent à Maurice et à la Réunion pour répondre aux besoins des nouveaux engagés. En
commerçants aguerris, les Z'arabes fournissent à une frange de la population réunionnaise, les
habits et aliments de base de la culture indienne (MOURRÉGOT, 2008). Plus récemment,
dans les années 1960, un nouveau groupe de musulmans d'obédience chiite, immigre à la
Réunion. Ce sont les « Karanes », originaires d'Inde et arrivés à Madagascar par Zanzibar. Ils
ont eux aussi fait fortune dans le commerce ou l'industrie. A la suite de l'indépendance de
Madagascar en 1960, et du fait de violences xénophobes, ils sont contraints de quitter le
territoire malgache. Si ces deux groupes ethniques ont pour point commun leur appartenance
à l'islam, chacun d'entre eux conserve des structures et une organisation propre,
caractéristiques de trajectoires différentes.
A ces migrants étrangers s'ajoutent dès 1946, date de la départementalisation de la
Réunion, ceux que les locaux nomment « Zoreys », c'est à dire les métropolitains que l'on
retrouve principalement dans des postes à responsabilité au sein de l'Administration ou dans
le secteur privé, ainsi que dans le domaine médico-social.
Enfin depuis les années 1970, de nouveaux arrivants peinent à s'intégrer à la société
réunionnaise16. Ils sont connus sous le nom de « Komors ». Ce sont les migrants provenant de
15 Terme créole largement partagé par les créolophones pour désigner la diversité de la population réunionnaise.16 Les études sur l'émigration comorienne sont rares. Malgré tout, Fouad ALI ABDALLAH prépare, depuis
2009 et sous la direction de Sudel FUMA à l'Université de la Réunion, une thèse sur l'histoire de l'immigration comorienne en France, le cas de la Réunion. Il met en évidence le manque de connaissances scientifiques sur ce fait historique car selon lui, les premiers comoriens installés à la Réunion seraient arrivés dès 1852, au moment de l'engagisme.
10
l'archipel des Comores qui est composé de trois îles, indépendantes depuis 1975 et regroupées
au sein de l'Union des Comores, et de Mayotte, territoire français dans le canal du
Mozambique, devenu Département d'Outre-Mer en 201117.
Un détour par la démographie traduit l'importance de la participation de l'ensemble des
diverses populations au peuplement de l'île. A titre d'exemple nous retenons le cas indien fort
bien documenté. En effet, au recensement de 184818, le nombre total d'habitants à Bourbon est
estimé à 105 000 parmi lesquels quelques 3 400 Indiens soit un peu plus de 3% de la
population. En 1878, les Indiens représentent 23,7% de la population réunionnaise
(LACPATIA, 1982). Ainsi, la diversité ethnique, culturelle et religieuse de la Réunion est le
fruit de son histoire. L'île est par essence une terre de multiculturalité.
17 La loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 et la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relatives au Département de Mayotte rendent la départementalisation de Mayotte effective dès mars 2011.
18 L'année 1848 marque la fin du comptage annuel effectué sur ordre du Roi afin de connaître la base de prélèvement de l'impôt. A partir de 1849, ce travail est confié aux mairies qui ont tout intérêt à réaliser de fausses collectes pour bénéficier des aides accordées par le Gouvernement local. Pour assainir cette situation, le Service des Contributions Directes est chargé des recensement dès 1873.
11
SECTION 3 – LE MULTICULTURALISME, CADRE THÉORIQUE
ET ENJEU DE PROBLÉMATIQUE
L'agencement et les branchements qui ont opéré au fils des siècles entre les
communautés présentes à l'île de la Réunion sont les fruits d'un processus socio-historique
complexe. Ils sont symptomatiques d'un multiculturalisme que l'on pourrait qualifier
d'endémique, ou du moins vécu comme tel (§1). Pourtant, au milieu de cette société
multiculturelle caractérisée par une grande tolérance, un groupe ethnique semble cristalliser
toutes les haines : les komors (§2). La sociologie des mondes créoles éclaire avec pertinence
la question des appartenances multiples dans les espaces insulaires (§3).
§1. LE MULTICULTURALISME À LA RÉUNION
Après avoir défini le multiculturalisme à la Réunion (A), nous nous attachons à le
situer dans un contexte socio-historique précis marqué par l'esclavage et la colonisation (B).
dans un troisième temps nous analysons le caractère endémique, ou novateur du
multiculturalisme réunionnais (C).
A/ DÉFINITION
Les rues de la Réunion sont peuplées d'individus aux phénotypes et habits très divers,
témoins d'une société multiculturelle, multi-ethnique et multi-religieuse.
A la suite de L. MEDEA, citant lui-même largement les travaux de M.S.
FURNIVALL19 sur la société tropicale, nous pouvons définir le multiculturalisme comme une
forme de coexistence harmonieuse de diverses minorités d'origine très distantes. Elles se
différencient dans leurs pratiques quotidiennes des institutions sociales (le mariage, la famille,
la religion, etc.). Par le terme de coexistence, nous signifions qu'il n'y a pas de rencontres
entre ces minorités. Le cas du métissage est l'exception qui confirme la règle. Il a surtout
19 M.S. FURNIVALL développe dans les années 1940-45 le concept de pluralisme pour rendre compte de la diversité qu'il observe au sein des sociétés du sud-est de l'Asie.
12
opéré entre Petits Blancs, Gros Blancs et Marrons, liste à la Prévert à laquelle s'ajoutent,
depuis 1946, les Zoreys. Le multiculturalisme est un concept à la fois d'analyse et de
militantisme. Il sert en effet la cause de minorités revendiquant le droit pour leur culture
d'exister.
A la Réunion, chaque minorité exprime des particularismes sans pourtant qu'ils n'aient la
forme de revendications, c'est-à-dire sans ostentation. Ces communautés se côtoient mais ne
se mélangent pas (ou peu). Le multiculturalisme réunionnais renvoie à l'idée de « salad bowl »
très utilisée pour décrire la réalité étasunienne. Cette notion a aujourd'hui supplanté celle de
« melting-pot » que les relents assimilationnistes trop prononcés rendaient peu populaire.
L'image d'une harmonieuse mosaïque est fréquemment usitée pour décrire le
multiculturalisme réunionnais : des cultures différentes se côtoient au sein d'une même et
unique entité politique ; à certains endroits, ces cultures se rencontrent et se juxtaposent pour
former de l'inédit. C'est le cas par exemple du créole réunionnais, mélange de genres inédits.
C'est le cas également du Séga et du Maloya dont les origines sont à chercher dans les danses
de salon des colons pour les unes, dans l'expression de la souffrance des esclaves pour les
autres.
B/ UNE SOCIÉTÉ MULTICULTURELLE CONSTRUITE PAR LA COLONISATION ET
L'ESCLAVAGE
La distinction entre chacune des minorités qui composent le paysage réunionnais est
étroitement liée au processus socio-historique de construction de l'île. Les liens créés ont été
conditionnés par l'histoire coloniale et esclavagiste de la Réunion, puis par la
départementalisation. En effet, l'économie de plantations construite au fil des siècles à l'usage
exclusif de la métropole colonisatrice a contribué à la fragmentation des groupes ethniques.
Le rapport dominant/dominé, la dialectique du maître et de l'esclave pour reprendre les thèses
de HEGEL, ont contribué à instaurer une distance entre eux.
Au cours de la période de l'immigration volontaire vers la Réunion, c'est à dire à partir de
l'abolition de l'esclavage dans l'île le 20 décembre 1848 et jusqu'à la départementalisation en
1946, la diversité des composantes ethniques de la Réunion ne cesse d'augmenter. Les
travailleurs engagés sont Chinois, Indiens hindouistes du Sud de l'Inde ou Indiens musulmans
du Nord (cf supra). De façon similaire à la période esclavagiste précédente, les liens de
solidarité et les espaces de socialisation primaire des individus - entendue au sens
13
bourdieusien de la production d'un habitus - demeurent la famille ou plus largement le clan
familial. À une époque où l'école laïque et obligatoire française20 n'est pas encore de mise, le
seul espace de socialisation primaire est la famille. Le phénomène de reproduction sociale
entrainé par l'assimilation de normes sociales dès l'enfance invite donc les habitants de l'île à
ne se créer une identité qu'en tant que membre d'une famille et d'un groupe ethnique et
culturel bien distinct, tous les deux considérés comme des communautés restreintes et
excluantes. La société réunionnaise se structure ainsi autour d'une apparente diversité et d'une
réelle distinction entre groupes sociaux, culturels et ethniques.
Dans le même temps, une vision du monde commune à l'ensemble de ces groupes
culturellement distants se forme. Malgré leur exacerbation, les différences ne sont pas
rédhibitoires. Chaque minorité, partageant un destin d'insulaire commun avec les autres,
apprend, avec justesse, à composer dans la diversité. L'abolition de l'esclavage contribue à la
coexistence et la cohabitation harmonieuses de ces différentes communautés. En effet, en
1848, ce sont des milliers21 de personnes qui deviennent et se sentent devenir réunionnaises
(MEDEA, 1999). L'unité dans la diversité prend alors tout son sens. Le créole devient la
langue unanimement partagée par ceux qui se reconnaissent dans cette identité d'insulaires.
A l'inverse, la départementalisation de l'île en 1946 agit comme une négation de la
culture des Marrons et des Métis, en leur refusant le statut d'anciens colonisés descendants
d'esclaves. Nombreux sont ceux qui se laissent alors séduire par l'idéologie du rastafarisme et
son discours africaniste teinté de nostalgie (MEDEA, 2003).
Dans le même temps le modèle occidental, déjà largement diffusé au travers des siècles de
domination européenne, s'internationalise. La métropole, si elle demeure un eldorado lointain,
est concurrencée par le grand vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale, les États-Unis
(BERTILE, 1987). Cette concurrence prend la forme d'une forte attraction et d'une réelle
admiration chez les jeunes réunionnais pour la superpuissance d'alors. Les États-Unis
deviennent ainsi un modèle pour de nombreux individus, toute considération sur
l'appartenance culturelle mise à part. Cette tendance perdure jusqu'à nos jours. Ainsi de
nombreux réunionnais se sentent bien plus proches de Malcolm X ou de Martin Luther King
que de Nelson Mandela qui a pourtant mené son combat dans le même espace océanique
(MEDEA, 2003). Dans le même esprit, on peut rencontrer dans les rues de la Réunion, une
mode vestimentaire « à l'américaine » (pantalon large, casquette de marque, tee-shirt tombant
20 Dans la sociologie de P. BOURDIEU, l'école est en effet le second canal de socialisation primaire. Elle joue un rôle crucial du fait des alternatives de perceptions et de visions du monde qu'elle véhicule chez l'enfant.
21 Pour être exact, l'île compterait environ 60 000 réunionnais à cette époque là.
14
sur le pantalon) ainsi qu'un goût très développé pour les boissons gazeuses en général et le
Coca-Cola en particulier (à ce titre l'obésité ainsi que le diabète sont des maladies beaucoup
plus développées à la Réunion qu'en métropole. En 2010, l'Agence Régionale de Santé de
l'Océan Indien affirmait que 7,9% de la population réunionnaise est touchée par le diabète de
type 2 contre 3,9% en France).
Dans les cas de l'attrait pour le rastafarisme ou de l'admiration pour le modèle américain, ce
n'est plus l'identité du groupe d'appartenance qui est questionnée mais celle des individus qui
le compose. Les trajectoires individuelles sont mises à l'honneur. S'il nous a semblé important
de les évoquer ici, ils ne sont pas l'objet de notre analyse.
C/ LE MULTICULTURALISME RÉUNIONNAIS : UNE TROISIÈME VOIE INNOVANTE
Nous sommes à la Réunion en présence de ce que J. BENOIST appelle une « société
créole ». C'est à dire que le multiculturalisme y prend la forme d'une troisième voie, entre le
melting pot assimilationniste français et le salad bowl holiste mis en œuvre aux États-Unis.
« À partir de leurs tensions anciennes [les minorités de la Réunion ont atteint] des équilibres
et des échanges rarement aussi bien aboutis ailleurs » (BENOIST, 1999). Ainsi la
segmentation entre les minorités ethniques présentes à la Réunion ne signifie pas
nécessairement fragmentation culturelle. Il y a des branchements (AMSELLE, 2001) entre les
cultures. En d'autres termes il y a de l'interculturalité à la Réunion.
La pratique courante du créole par l'ensemble de la population réunionnaise en est une
première illustration. Cette langue est née du besoin des esclaves de ne pas être compris par
leurs maîtres. Elle est un savant mélange de français, d'anglais (influences indiennes), et de
langues africaines (malgache essentiellement). Elle est aujourd'hui la langue des échanges
quotidiens entre réunionnais. L'Administration est l'unique (mais importante) sphère dans
laquelle le français demeure la langue majoritaire. Cela est en partie dû au fait que le créole
est toujours perçu comme une « langue basse dominée » et le français comme une langue
haute (ADELIN, 2009). Depuis la loi d'Orientation pour les Outre-Mer de 2002, le créole est
officiellement reconnu comme langue régionale. Ce statut résulte d'un long combat pour sa
reconnaissance et son introduction dans les écoles.
Les danses et chants traditionnels de la Réunion sont une seconde illustration de l'absence de
coupure culturelle entre toutes les franges qui composent la société réunionnaise. Le séga est
né d'un mélodieux mélange de danses de salon européennes en vogue au XIXème siècle
15
(quadrilles) et de rythmes et instruments africains. Il est écouté, dansé, chanté et joué par
l'ensemble des groupes culturels de la Réunion.
L'île de la Réunion apparaît alors comme un modèle de la nation au sens développé
par E. RENAN à la fin du XIXème siècle, c'est-à-dire qu'elle est perçue comme un « vouloir
vivre ensemble ». Le multiculturalisme n'enferme pas les différents groupes culturels dans des
représentations étroites du monde social. Il permet a contrario à chaque groupe culturel de
maintenir des spécificités propres au sein d'une culture plus englobante que chacun d'eux
façonne. C'est en ce sens que l'expérience réunionnaise de la mixité culturelle a opéré comme
dans un véritable laboratoire.
L'innovation réside dans la proximité et la sensation partagée par tous d'un destin commun,
sensation accentuée par la condition d'îliens que partagent tous les réunionnais. Les
différentes communautés réunionnaises semblent unies dans un projet sociétal commun. Ce
dernier agit comme un ciment entre tous les individus et les groupes culturels auxquels ils
appartiennent. Les différences semblent transcendées par ce destin commun au contenu
variable en fonction des époques. Depuis la départementalisation et jusqu'à ce jour, la
question fondamentale qui unit l'ensemble de la société réunionnaise est celle du
développement endogène de l'île. Comment parvenir à sortir d'une économie de rente
(POIRINE, 1995) qui est comparée tantôt à de l'assistanat, tantôt à de la solidarité ? Quelles
sont les potentialités de développement endogène de l'île ?
Les média, principalement la radio et les journaux quotidiens, sont le principal canal par
lequel est façonné le sentiment de partager un destin commun. Ils instaurent en effet une
proximité entre individus qui dépasse les segmentations sociales et culturelles. Ils sont
vecteurs d'une solidarité inégalée dans des espaces non insulaires.22
A ce sentiment d'un destin commun s'ajoute celui d'appartenir à une société créole. Là encore,
les média, et plus spécifiquement la radio, jouent un rôle clé. Radio FREEDOM est la radio la
plus écoutée de l'île et totalise près de 37% des parts d'audience pour une moyenne journalière
d'écoute de deux heures et quarante-sept minutes23. Les émissions sont animées en créole et la
libre antenne est un lieu d'expression privilégié pour tous les sujets de la vie quotidienne ou de
l'actualité. Cette communauté partagée est très approfondie car il n'est pas rare d'entendre des
témoignages de personnes en remercier d'autres (qu'elles ne connaissent pas) pour leurs appels
téléphoniques ou messages de soutien diffusés à l'antenne.
22 Cela ne signifie pas pour autant que l'ensemble des îles ont un fonctionnement social similaire à celui qui prend corps à la Réunion.
23 Source : enquête Médiamétrie publiée en juillet 2012 et concernant la période janvier/juin 2012. Disponible à l'adresse suivante : http://www.mediametrie.fr
16
§2. LES KOMORS À LA RÉUNION, UNE MINORITÉ CULTURELLE REJETÉE
Le rejet des Komors revet plusieurs formes (A). Chacune d'elle participe à la
formulation d'interrogations quant à l'intégration de ce groupe culturel à la Réunion (B). Ces
considérations nous conduisent naturellement à formuler notre problématique et à proposer un
plan de notre argumentation (C).
A/ LES FORMES DU REJET
Le rejet massif dont les Mahorais et Comoriens font l'objet vient radicalement
bousculer la conception multiculturelle de la Réunion que nous avons jusqu'à présent
démontrée.
Comme mentionné précédemment, le terme Komor désigne à la Réunion « les musulmans
noirs immigrants des îles des Comores et de Mayotte » (MÉDÉA, 2003). Nous notons un
amalgame entre Mahorais et Comoriens dans l'imaginaire populaire réunionnais. Il s'agit là de
la première forme que revêt le rejet des Mahorais et des Comoriens.
La distinction entre les uns et les autres est pourtant conséquente : les premiers sont Français,
les seconds sont citoyens d'un État proclamé indépendant en 1975. Cet amalgame nous
semble symptomatique d'un manque de connaissance sur l'histoire de ces communautés et sur
l'histoire du peuplement de l'île24.
Le rejet se perçoit également à travers des propos populaires acerbes à l'encontre des
Mahorais et des Comoriens. Parfois simplement négatifs, il peuvent aller jusqu'à mériter le
qualificatif de propos racistes.
B/ L'INTÉGRATION EN QUESTION
La question de l'intégration n'a jusqu'à présent pas été posée. Mais dans le cas des
Komors, le salad bowl local ne semble pas fonctionner. Pourtant la vague d'immigration la
plus importante en provenance des Comores et de Mayotte et à destination de la Réunion s'est
développée à la même période que celle des Karanes venus de l'île voisine de Madagascar.
24 Fouad ALI ABDALLAH interviewé dans le documentaire sur la condition des Comoriens à la Réunion de …........................... revient sur ce manque d'intérêt des historiens pour la question comorienne à la Réunion.
17
Ces derniers se sont réfugiés à la Réunion suite à l'indépendance de Madagascar en 1960. Ils
font aujourd'hui partie intégrante de la vie économique et sociale de l'île (MOURRÉGOT,
2010). L'hypothèse d'un essoufflement du modèle réunionnais de multiculturalisme est donc
dès à présent écartée.
L'intégration peut être entendue sous deux sens. L'un politique renvoie à ce que la
Documentation Française qualifie de « dynamique d'échanges ». Un individu peut appartenir
à un groupe ethnique ou culturel propre. Il accepte dans le même temps les règles et valeurs
de la société dans laquelle il s'inscrit. Il est alors un individu intégré à la société dans laquelle
il vit. L'autre, sociologique, renvoie a ce que D. SCHNAPPER décrit comme un « processus
social susceptible d'avancées différentes selon les domaines de la vie collective, de décalages,
de retournements, d'invention de modalités nouvelles ou de contre-tendances »25. L'intégration
envisagée comme un processus laisse une large place à la prise en compte des aléas et permet
ainsi de rendre compte de la complexité du monde social. Nous considérons essentiellement,
dans la présente étude, la dimension sociologique du terme, bien que l'intégration considérée
comme un but à atteindre pour la société, c'est à dire l'intégration politique, ne puisse être
complètement écartée.
Pour de nombreux Mahorais et Comoriens, la question de leur intégration comme but
à atteindre ne se pose pas. Ils considèrent en effet qu'ils sont la société réunionnaise, au même
titre que les Sinois, les Z'arabes, ou les Zoreys. Leur intégration à la vie de la cité, leur
intégration politique est donc effective. Les arguments avancés sont principalement liés à
l'histoire de l'immigration mahoraise à la Réunion, aussi ancienne que toutes les autres. Leurs
interrogations tournent en fait autour du problème du vivre-ensemble multiculturel. Comment
accepter de vivre tous ensemble tout en conservant chacun ses particularités ? A l'inverse, une
part de la population réunionnaise considère les Komors comme extérieur à la société
réunionnaise. C'est ce que nous avons montré plus haut par le détail des formes de rejet qui les
visent. L'intégration sociale considérée comme un but politique est donc perçue de façon
antagoniste par les réunionnais et résidents de l'île selon le groupe social et culturel auquel ils
appartiennent.
C'est à la lumière de ce paradoxe qu'apparait le caractère subjectif de l'intégration.
Cette dimension est essentielle et peut être abordée grâce à l'intégration comme processus
social. En effet, les « décalages » peuvent être aussi nombreux que le nombre d'individus qui
composent la société. Le niveau micro-social dont il est question jusqu'à présent ne doit pas
nous faire oublier que c'est au niveau de ses expressions macro-sociales que le malaise envers
25 D. SCHNAPPER,
18
les Komors est le plus perceptible. Les opinions individuelles viennent en réalité éclairer un
phénomène d'ampleur régionale.
C/ PROBLÉMATIQUE ET PLAN
Dans ce contexte, nous nous demandons pourquoi, alors même qu'elle s'est construite
par vagues successives d'immigration, la société réunionnaise ne parvient-elle pas/plus à
intégrer l'ensemble des composantes de sa diversité ? Qu'est ce qui, chez les Komors, pose
problème aux réunionnais ou résidents de l'île ? D'où vient l'intolérance soudaine des
réunionnais envers la diversité culturelle ?
Afin de travailler avec des matériaux inédits, nous choisissons de mener une enquête de
terrain auprès des résidents de l'île dont le protocole est décrit dans le chapitre 1. Nous y
livrons également les premiers résultats de l'analyse des données ainsi récoltées.
Le chapitre 2 est consacré à une réflexion approfondie sur le thème de l'État social ou État
Providence face à la diversité ethnique et culturelle.
L'enchaînement des parties de ce plan s'est imposée à la suite du traitement des résultats de
l'enquête de terrain, sans anticipation de la part du chercheur. Cela garantie l'objectivité de la
démarche de recherche en sciences sociales.
§3. LES APPORTS DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
A l'heure actuelle, les travaux universitaires qui intéressent la question de
l'immigration à la Réunion sont essentiellement ceux qui traitent de l'identité et des mondes
créoles.
Les recherches sur l'identité à la Réunion sont nombreuses, voire incontournables. Les
séminaires, les colloques, les conférences sur la pluriculturalité, la multiculturalité, l'identité,
l'ethnicité n'ont de cesse de se multiplier.
Les travaux de psychologie s'intéressent aux stratégies mises en œuvre par les acteurs du
monde social afin de s'adapter aux changements des sociétés contemporaines. Elles
questionnent alors des échelles individuelles de construction de l'identité. D'autres études
abordent ces questions d'un point de vue anthropologique ou ethnographique. L'identité y
19
apparaît comme une entité mouvante, en constante redéfinition et très subjective.
Mais c'est la sociologie qui a nourri la présente contribution, et plus particulièrement les
travaux de L. MÉDÉA. Sociologue d'origine réunionnaise formé à l'université de Warwick en
Grande-Bretagne, il s'est intéressé très tôt à la question de l'identité du peuple réunionnais. Il
l'étudie dans une perspective socio-historique. Ses travaux s'attachent ainsi à définir l'impact
du colonialisme, de l'esclavage puis de la départementalisation sur la construction de l'identité
locale. Les questions de l'immigration et du multiculturalisme parcourent de façon
transversale l'ensemble de son œuvre publiée avant le milieu des années 2000, date à partir de
laquelle il oriente sa réflexion sur la question de la délinquance, et particulièrement la
délinquance juvénile à la Réunion.
Les travaux sur le monde créole sont le second volet qui intéresse cette étude.
Nombreuses et anciennes (S. M. FURNIVALL définissait dès 1948 les « sociétés tropicales »
comme des espaces de cohabitation interculturelle et inter-ethnique spécifiques aux mondes
colonisés), elles se focalisent essentiellement, pour les contributions francophones, sur les
Antilles et la Réunion.
Le cadre théorique qui nourrit ce mémoire de fin d'étude nous est fourni par J. BENOIST.
Médecin et anthropologue français professeur des universités aujourd'hui à la retraite, il s'est
intéressé tout au long de sa carrière aux sociétés de plantation et aux syncrétismes religieux
spécifiques aux sociétés créoles.
Ce travail est également influencé par les travaux d'E.GLISSANT, chercheur d'origine
martiniquaise qui nous a quitté en 2011. Il est notamment passé à la postérité pour sa
conception du multiculturalisme qu'il nomme créolisation. Selon lui, les sociétés créoles
jusqu'à présent entendu seulement au sens d'expériences insulaires sont amenées à se
généraliser dans le monde. La mixité, les branchements et l'interculturalité qui en découle sont
en effet un ciment idéal pour de l'inédit et selon sa formule de « l'inattendu » dans lequel
chacun se retrouve. Elles seraient ainsi à l'origine d'une harmonie spécifique du monde social.
20
CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE DE
L'ENQUÊTE DE TERRAIN
PRÉAMBULE
L'enquête de terrain présentée dans cette étude a été construite en tenant compte de
contraintes.
Menée dans l'optique d'une meilleure connaissance et compréhension de la société
réunionnaise, l'enquête de terrain ne pouvait être administrée depuis la métropole. Nous avons
donc organisé, combiné à un stage de fin d'études, un voyage sur l'île. Nous avons ainsi
disposé de cinq mois entre février et juillet 2012 pour la mener à terme. L'essentiel a été
formalisé au cours du dernier mois, qui lui a été entièrement consacré. La contrainte de temps
a joué en faveur d'une étude quantitative plutôt que qualitative.
L'enquête, réalisée dans le cadre d'un mémoire de fin d'étude à l'IEP de Toulouse,
devait également répondre à des exigences de moyens à la fois financier et humain. Sans
financement, les coûts induits se devaient d'être les moins onéreux possibles. L'enquête par
questionnaire s'est révélée être un excellent compromis entre résultats exploitables et faible
coût. Le mémoire de fin d'études étant un travail strictement personnel, les moyens humains
dont nous avons disposé se limitent à une étudiante. Là encore, l'enquête qualitative, qui
nécessite un lourd travail d'intendance (prise de rendez-vous, rencontres, retranscription des
entretiens à l'écrit), était trop ambitieuse.
21
Enfin, l'expérience et les connaissances sociologiques à notre disposition ont
définitivement écarté l'optique d'une enquête par entretiens. Seule la technique du
questionnaire nous est familière, du fait d'enquêtes précédemment menées au cours de la
scolarité à l'Institut d'Études Politiques de Toulouse. De l'élaboration du questionnaire au
traitement et à l'analyse des données recueillies, les méthodes théoriques ont pu être
éprouvées à l'aune d'un cas pratique dont l'objet était la compréhension de la consommation
de produits halal chez les musulmans alors âgés de moins de 35 ans et vivant à Toulouse.
D'autres méthodes sont applicables (notamment l'observation participante ou les récits de vie)
mais n'ont pas été envisagées car l'intérêt du chercheur est de s'accrocher aux discours et
associations d'idées provoquées par des sollicitations extérieures.
Une fois le choix du questionnaire comme mode d'enquête appouvé, les étapes jusqu'à
l'obtention d'un questionnaire scientifiquement valide et des premiers résultats sont
nombreuses. Nous vous les présentons dans ce chapitre en insistant dans un premier temps sur
la construction du questionnaire (SECTION 1). Dans un second temps nous évoquons
rapidement l'administration du questionnaire (SECTION 2). La troisième et dernière partie
du présent chapitre livre les premiers résultats de notre analyse (SECTION 3).
22
SECTION 1 - LA CONSTRUCTION DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN
Nous retraçons ici les différentes étapes qui nous ont permis d'arriver à la formulation
d'un questionnaire révélateur sur la société réunionnaise. Les questions de recherche sont les
premiers éléments à avoir été formulés dans une perspective de recherche sociologique (§1).
La réflexion sur l'échantillon le plus représentatif possible s'est révélée être un arbitrage entre
moyens à déployer et ressources disponibles (§2). L'administration du questionnaire a été
décisive et a fortement influencé la formulation définitive de notre enquête (§3).
§1. QUESTIONS DE RECHERCHE
Dans cette étude, nous affirmons que le multiculturalisme réunionnais est le fruit de
vagues successives d'immigration qui ont débuté avec la découverte de l'île. Nous partons à ce
propos du postulat que le niveau d'intégration des différentes minorités n'est pas fonction de
l'ancienneté de leur installation. C'est à dire que nous ne faisons pas d'autres constats que celui
de la différence ethnique et culturelle entre un Gros blanc, descendant des premiers colons de
l'île et un Karane arrivé après 1960.
Les présupposés de recherche ont largement contribué à la construction de l'enquête de
terrain. Ils ont été rédigés dans l'optique d'être empiriquement vérifiables. Le point de départ
des présupposés que nous présentons ici est l'expérience faite du discours de résidents
réunionnais sur l'immigration mahoraise à la Réunion et l'étonnement qui en découle. Alors
que l'île se revendique (et demeure pour nombre d'individus) un modèle en matière de
coexistence de minorités, l'ensemble des Mahorais est rejeté du simple fait de leur
appartenance à ce groupe ethnique. Cet étrange paradoxe soulève alors de vastes questions
quant à la perception de l'immigration mahoraise par les résidents de l'île de la Réunion.
Nous nous interrogeons dans un premier temps sur l'immigration telle qu'elle est vécue
de façon générale à la Réunion. A quoi l'immigration est-elle associée dans l'imaginaire
collectif local ? Y-a-t-il un amalgame entre immigration légale et immigration illégale ?
Quelle différence est faite entre ces deux modalités d'immigration ?
23
Dans un second temps, c'est la problématique de l'immigration mahoraise qui est
posée. Il s'agit alors de parvenir à saisir l'ampleur qu'elle revêt aux yeux des résidents de l'île.
Cette perception est-elle en accord avec la réalité des chiffres officiels ? La pression
migratoire que subit Mayotte, eldorado (ou du moins appel d'air) au sein de l'archipel des
Comores, influence-t-elle la vision des Réunionnais sur l'immigration mahoraise à la
Réunion ? Il s'agit également de saisir les motifs du rejet de l'immigration mahoraise à la
Réunion. La question du pourquoi les discours de rejet se focalisent sur les Mahorais figure
donc inévitablement dans nos présupposés bien que nous soyons conscients de la difficulté à
trancher cette question. C'est aussi la banalité des paroles de rejet qu'il s'agit ici d'interpréter.
Le sujet de l'immigration est-il récurrent dans la vie quotidienne ? Dans quelles sphères ce
sujet est-il principalement débattu ?
Dans un dernier temps, c'est le multiculturalisme tel qu'il a pris corps dans le monde
social réunionnais qui est questionné. Le rejet dont sont l'objet les Mahorais remet-il en cause
le multiculturalisme de la troisième voie ? En d'autres termes, s'agit-il d'une « coupure
culturelle » (BENOIST, 1999) qui remet en cause l'idée d'unité dans la diversité que nous
avons, jusqu'à ce stade de notre étude, démontrée ?
§2. L'ÉCHANTILLON
La population ciblée par cette enquête est large. Il s'agit de l'ensemble des personnes
nées avant 1997 et résidant actuellement à l'île de la Réunion. C'est volontairement que le
spectre est demeuré si vaste. En effet, l'objectif de l'enquête est de comprendre la société
réunionnaise dans son ensemble, non de cibler l'analyse sur des tranches d'âges, des catégories
sociales ou autres. Ces données sont pourtant essentielles et figurent comme paramètres du
profil de l'enquêté. Les analyser à l'aide de tris croisés à l'issue de l'administration du
questionnaire s'est révélé une riche source d'informations.
La limite des quinze ans a été fixée de façon arbitraire, à partir du constat que les plus jeunes
ne s'intéressent pas aux questions posées.
La population observée26 est composée d'un échantillon de cent-dix personnes.
Résultat d'un arbitrage entre ressources disponibles et objectifs scientifiques de la présente
26 La population observée est l'échantillon qui a été questionnée. Elle est la population que nous pouvons observer. Elle se différencie de la population cible, qui renvoie à la population que nous voulons observer.
24
étude, il n'écarte pas de façon certaine le risque d'erreurs d'échantillonnage27. Il s'agit en effet
d'un échantillon restreint dont se méfie la statistique, considérée comme science de
l'intelligibilité des grands nombres. Pourtant, à la suite de Philippe CIBOIS nous affirmons
qu'« il ne faut pas avoir peur des faibles effectifs car on peut faire une bonne description
d'une centaine d'individus. Même si on ne peut pas généraliser les résultats obtenus à la
population de référence d'une manière certaine, si la cohérence des résultats est grande, leur
valeur probatoire apparaitra aux lecteurs qui les considèrerons comme des pistes à
poursuivre, des tendances intéressantes à explorer par d'autres enquêtes »28. « La cohérence
des résultats » renvoie à l'homogénéité du profil des enquêtés décrite dans la section suivante.
Brièvement, cette homogénéité tient au fait que la majorité des personnes interrogées sont
natives et résidentes permanentes de la Réunion (79,1% ou 87 personnes). Ces 87 personnes
ont entre 35 et 50 ans et, parmi elles, 58 sont catholiques (soit 66,7% de notre échantillon).
Ces mêmes personnes associent toutes le terme d'immigration à l'image des mahorais et
comoriens (cette analyse renvoie à la question 11 de notre questionnaire).
Cette « cohérence des résultats » révélé lors de l'analyse de notre enquête nous autorise
d'intéressantes et pertinentes analyses sur le monde social réunionnais livrées dans les
chapitres 2 et 3.
§3. LE QUESTIONNAIRE-TEST, ÉTAPE DÉCISIVE DANS LA FORMULATION DU QUESTIONNAIRE FINAL
L'enquête menée dans le cadre de cette étude a pour objectif d'ouvrir une réflexion sur
le rejet massif dont les mahorais sont l'objet. Le questionnaire a sciemment été construit pour
une enquête rapide. Le nombre total de questions ne dépasse donc pas un recto-verso (vingt
questions). Au cours de sa rédaction, le questionnaire s'est organisé autour de trois axes : le
profil de l'enquêté (A), la perception de l'immigration légale et illégale à la Réunion (B) et
enfin l'opinion sur la minorité mahoraise à la Réunion (C).
A la suite de l'administration du questionnaire-test, chacun de ses axes a été revu en fonction
de ses objectifs propres. Pour des raisons pratiques, le questionnaire-test a été administré à St
Denis, dans le courant du mois de juin. Il représente un échantillon de dix personnes.
27 « Les erreurs aléatoires - ou erreurs d'échantillonnage - résultent du fait que le statisticien travaille sur un échantillon et non sur l'intégralité de la population de référence », source INSEE,
28 Philippe CIBOIS, développeur du logiciel libre de statistique « Trideux », dans son ouvrage Méthodes d'analyses d'enquêtes (« Que sais-je? »), p 14, version téléchargeable en ligne à l'adresse suivante : http://classiques.uqac.ca/contemporains/cibois_philippe/metho_analyse_enquetes/metho_analyse_enquetes.html
25
A/ LE PROFIL DE L'ENQUÊTÉ
Indispensable source de connaissances sur l'enquêté, la partie qui ouvre le
questionnaire se doit d'être la plus exhaustive possible, sans pour autant devenir intrusive. Le
risque en effet, est de rebuter les enquêtés par des questions trop abruptes ou personnelles.
Des questions ouvertes (« en quelle années êtes-vous né ? ») se mêlent à des questions
fermées (« appartenez-vous à une religion? »). L'objectif est de disposer d'indicateurs à
croiser avec les titres suivants du questionnaire.
A l'issue du questionnaire-test, il nous est apparu important de rajouter une question
relative à l'engagement associatif. En effet, les personnes militantes (au nombre de deux dans
l'échantillon) précisaient d'elles-mêmes cet engagement. Il était alors présenté comme une
source d'informations alternative. Par souci de faciliter le traitement des données, nous avons
préféré faire de cette hypothèse une question fermée (« Êtes vous militant au sein d'une
association de droits de l'homme? »). La question de la date de naissance a également été
reformulée. D'une question à réponse unique à partir d'une liste de tranches d'âges, elle est
devenue une question ouverte. En effet, la pertinence des catégories retenues n'était pas
évidente. Nous avons opté pour le formulation de ces tranches d'âges lors de la phase
d'analyse des données si cela se révélait d'un quelconque intérêt.
B/ L'IMMIGRATION LÉGALE ET ILLÉGALE À LA RÉUNION
L'enquête de terrain a pour objectif de recueillir l'opinion d'un échantillon. Pour y
parvenir nous avons alterné questions ouvertes et questions fermées, tout en privilégiant ces
dernières dans l'optique du traitement des données. Les questions de cette partie s'attachent à
identifier la perception qu'ont les habitants de la Réunion de l'immigration légale et illégale et
recouvrent divers aspects du rapport des individus à l'immigration. Partie la plus conséquente
du questionnaire, elle permet d'analyser de multiples pistes. La première question a
essentiellement pour but de fixer le cadre de l'enquête. La deuxième question, « Choisissez
deux mots qui vous font penser à l'immigration », invite l'enquêté à livrer les premiers mots
qui lui viennent en tête. Elle fait la part belle à l'association d'idées comme méthode
d'investigation. Elle est essentiellement utilisée en psychologie par les adeptes d'un courant de
pensée qualifié d'associationniste à la suite des travaux de Hume. Selon eux, le complexe est
révélé par l'affect (mesuré grâce à des électrodes et par observation des modifications du
26
comportement) qu'induisent des associations d'idées. Nous n'allons pas si loin mais retenons
que les associations d'idées peuvent faire l'objet d'analyses scientifiques pertinentes. Comme
nous le verrons lors de l'analyse des résultats, cette question s'est révélée fort instructive et a
nettement différenciée les natifs de la Réunion des individus installés ici depuis quelques
années.
Cette partie du questionnaire permet ensuite d'aborder la question des sources d'informations
sur l'immigration (question 12) et celle de la place de la question migratoire dans la vie
quotidienne (questions 13 et 14). Les trois dernières questions de cette partie (questions 15, 16
et 17) s'intéressent aux connaissances des enquêtés sur le phénomène migratoire à la Réunion.
A partir de questions ouvertes ou à choix unique dans une liste, les enquêtés étaient invités à
estimer la nationalité des immigrés (clandestins ou non) et le nombre d'immigrés clandestins.
Il s'agissait pour nous d'obtenir des données exploitables sur la perception de l'immigration
par les habitants de l'île.
La formulation de deux questions a été revue. La question 12 était au départ une
question à choix multiples ainsi formulée : « Parmi les qualificatifs suivants, lesquels vont à
l'immigration ? Retenez en deux par ordre de préférence. » Les choix possibles étaient :
positive, subie, choisie, clandestine. Elle était inefficiente pour plusieurs raisons, en tête
l'incompréhension de l'enquêté. En effet, elle a été perçue comme une question de
connaissance et non d'opinion. Le terme de « préférence » était également inapproprié car la
question ne renvoyait à aucun élément entrant dans le registre des goûts. Enfin, elle ne
permettait pas l'association d'idées tant recherchée et les résultats obtenus n'avaient pas de
sens du point de vue de l'analyse. Elle est donc devenue la question clé de l'enquête
« Choisissez deux mots qui vous font penser à l'immigration ».
La question 15 ainsi formulée « Pensez-vous qu'il y ait beaucoup d'immigration clandestine à
la Réunion? » était vague. Elle est devenue « Selon vous, les immigrés clandestins sont-ils
nombreux à la Réunion? » avec un choix à effectuer entre les différentes possibilités
suivantes : peu nombreux, moyennement nombreux, très nombreux.
C/ LA MINORITÉ MAHORAISE À LA RÉUNION
La dernière partie, composée de trois questions a pour objectif d'évoquer la minorité
mahoraise à la Réunion. Cette partie arrive en dernière position afin de ne pas orienter
l'ensemble des questions de l'enquête sur la seule problématique mahoraise.
27
Deux des questions de cette partie ont été reformulées à l'issue de l'administration du
questionnaire test afin de gagner en clarté et par le même coup en richesse d'informations. La
question n°18 a ainsi repris le schéma de la question n°11, dans une formulation légèrement
différente. De même pour la question n°20 qui est passé d'une question ouverte à une réponse
à choix unique parmi une liste de possibles et ce dans un souci de faciliter le traitement des
données collectées.
La troisième question, n°19, a du être complètement repensée. Il s'agissait de saisir le moment
où la présence de mahorais et comoriens à la Réunion s'est constituée en problème public. La
question à choix unique parmi une liste ne laissait guère de place à l'expression d'une opinion
personnelle, du moins pas celle recherchée. De plus, les périodes retenues étaient arbitraires et
partaient d'un biais de la part du chercheur. La date charnière avait arbitrairement été fixée à
1995. Cette année correspond à la date de mise en place du visa Balladur entre les Comores et
Mayotte. Nous souhaitions vérifier si cela avait eu un impact sur les migrations et leur
caractère plus ou moins temporaire. Sans succès. Le passage a une question ouverte nous a
permis de réaliser combien nous faisions fausse route. En effet, la date déterminante ici n'est
pas 1995 mais le milieu des années 2000, soit quelques dix ans plus tard.
A la suite de toutes ces reformulations nous avons pu procéder à l'administration du
questionnaire définitif.
28
SECTION 2 - L'ADMINISTRATION DU QUESTIONNAIRE
L'échantillon est composé de 110 enquêtés. L'administration du questionnaire a eu lieu
à diverses heures et en divers lieux, en fonction des disponibilités de l'enquêteur. Parmi les
lieux, les villes réunionnaises principalement concernées se situent sur la côte Ouest : Étang-
Salé, St Paul, St Pierre. Les habitants de St Denis ont également été mis à contribution. Il est
essentiel de signaler le manque de représentation de la côte Est et du Sud dans cette étude.
Cette absence est encore une fois liée à des contraintes budgétaires. Les temps consacrés aux
questionnaires étaient principalement répartis sur nos jours de repos et sur les fins de journées
(entre 16h00 et 19h00). Ce manque de constance a pour avantage de nous offrir un large
éventail de représentations : des jeunes, des personnes âgées, des natifs de la Réunion, des
résidents, des travailleurs, des actifs en recherche d'emplois...
Pour garantir l'impartialité de la méthode d'enquête, nous nous sommes attelés à
interroger à la fréquence régulière d'une personne sur trois. Malheureusement, face aux
réticences et refus nous avons fini par ne plus appliquer cette règle. En guise d'introduction
auprès des enquêtés, nous avons présenté ce projet comme l'aboutissement d'un travail sur
l'immigration, sans préciser qu'il était particulièrement axé sur l'immigration mahoraise à la
Réunion. Nous pensons en effet qu'il est important pour l'analyse des résultats de ne pas
influencer sur les réponses de la partie qui concernent l'immigration en générale.
Il est également important de signaler que nous avons procédé à une prise de notes des
informations délivrées par les enquêtés lorsqu'elles n'entraient pas dans le cadre du
questionnaire. C'est là que la question sur la départementalisation de Mayotte a pris une autre
tournure. En effet, quelques-unes des personnes interrogées qui se sont dites favorables à la
départementalisation de Mayotte ont précisé les motifs. « Pour qu'ils restent chez eux » a été
prononcé à deux reprises. C'est également de cette source d'informations que proviennent
certains propos cités dans les chapitres suivants.
L'analyse des données brutes, étape qui suit celle de l'administration du questionnaire
est la plus longue, en même temps que la plus stimulante.
29
SECTION 3 - LA POPULATION OBSERVÉE, PREMIERS
ÉLÉMENTS D'ANALYSES
Avant de procéder à l'analyse des données, il fallait élaborer un outil de traitement des
données (§1). Une fois son efficacité attestée, les résultats les plus évidents de notre enquête
sont rapidement apparus. En premier lieu, nous avons constaté une sur-représentation des
enquêtés de religion catholique ou non-croyants (§2). Dans un second temps c'est la nette
dichotomie entre natifs de l'île et résidents non natifs qui nous a frappée (§3).
§1. LE TRAITEMENT DES DONNÉES BRUTES ET L'ANALYSE
Comme nous l'avons évoqué supra, le choix d'une enquête dépend des moyens tant
humains que financiers dont les chercheurs disposent. Dans notre cas, le dépouillement des
questionnaires n'a pas pu faire l'objet d'un traitement par un logiciel spécialisé dans la
statistique et l'enquête quantitative. En effet, il n'en existe que peu accessibles en licence libre
adaptables à Linux. Seul « R »29 aurait pu nous satisfaire mais son utilisation sous forme de
codes informatiques à partir d'une console de programmation est très vite devenue laborieuse.
A défaut d'une véritable formation sur le logiciel, il nous faudra nous appliquer avec le
programme Calc proposé dans le pack Open Office. Précisons à ce propos que de nombreux
tutoriels sont disponibles en ligne pour s'approprier au mieux le potentiel de ce logiciel.
Nous avons conçu un tableur très simple. La première colonne est consacrée aux
enquêtés. Les vingt suivantes reprennent une à une les questions de notre enquête. Les
question ouvertes sont les cases contenant des mots entiers. Le reste est géré par un système
de codes qui renvoient chacun à une des réponses possibles parmi celles proposées. Une
capture d'écran d'une part infime de notre tableur permet d'illustrer cette brève description.
29 R est un logiciel
30
FIGURE 2. MODÈLE DE TABLEUR POUR LE TRAITEMENT DES DONNÉES
Source : enquête personnelle
Puis, à l'aide de formules décrites dans des tutoriels, nous avons pu réaliser essentiellement
des tris à plat et des tris croisés.
Les principales difficultés rencontrées sont liées à la complexité de réaliser seule une
telle démarche d'apprentissage. Se confronter, pendant des heures, à un ordinateur afin de
parvenir à en tirer un graphique ou un pourcentage pourrait abrutir le plus persévérant d'entre
nous. Mis à part ces quelques obstacles, nous soulignons l'incroyable source d'informations
que sont les forums d'aide en ligne.
§2. LA SUR-REPRÉSENTATION DE LA RELIGION CATHOLIQUE ET DES NON-CROYANTS
73 des 110 personnes interrogées sont d'obédience catholique et 32 ont déclaré
n'appartenir à aucune religion30. Il est intéressant de noter que, parmi les compléments
d'informations fournis par les enquêtés, le fait d'être pratiquant ou non est mentionné à 22
reprises. La majorité des enquêtés qui le précisent (15 sur 22) se disent non pratiquant. La
société réunionnaise multiculturelle est composée de plusieurs religions. L'appartenance
religieuse résulte en grande majorité d'une initiative familiale ou parentale (le rituel qui fait
que nous appartenons à une religion, comme le baptême pour le catholicisme, est donné aux
enfants par leurs parents). Mais que dans le même temps, l'appartenance religieuse peut être
choisie. Nous faisons dans ce cas référence aux phénomènes observables de double
30 La question de savoir s'ils sont agnostiques ou non-croyants n'a pas été tranchée. Elle ne concerne pas directement cette étude.
31
N°
répondant
04 C
SP
06 S
exe
07 N
iv d
'étu
de
08 R
elig
ion
09 M
ilita
nt
Individu 1 1 3 1963 1 4 1 0 1
Individu 2 1 4 1975 1 5 1 1 2 mahorais
Individu 3 1 3 1965 2 3 1 0 1
Individu 4 3 ans 9 1978 2 2 1 0 2
Individu 5 1 5 1954 2 2 1 0 2 mahorais
Individu 6 1 8 1994 1 3 1 0 2
01 v
ille d
e n
ais-
sance
02 s
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e-puis
toujo
urs
03 s
i aill
eurs
depuis
cb d
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nssce
10 P
our
l'im
mi
-gra
tion ?
11 2
mots
qui
évoquent
imm
i-
gra
tion
Saint denis
mahorais, comorien
Saint denisSaint Joseph
mahorais, alloc
Tou-louse
pauvreté, mobilité
Saint PierreLes avi-rons
misère, mahorais
appartenance religieuse ou de conversions.
Malgré l'absence de statistiques publiques -interdites par la loi-, Nicolas WALZER,
docteur en sciences sociales nous propose, dans son cours d'anthropologie religieuse dispensé
à l'Université de la Réunion, une estimation de la répartition de la population réunionnaise en
fonction des religions.
FIGURE 3. RÉPARTITION DE LA POPULATION RÉUNIONNAISE EN FONCTION DE
L'APPARTENANCE RELIGIEUSE
*les hindouistes dans la classification que propose N. WALZER sont les Malbars non baptisés. Le nombres de Malbars dans l'acception ethnique du terme sont plus nombreux (environ 200 000 individus). L'occurrence des doubles religions et des conversions justifie ce chiffre.
Bien que les catholiques soient largement majoritaires à la Réunion et dans les
résultats de notre enquête, les points communs s'arrêtent là. Notre enquête ne reflète pas
l'ensemble de la société réunionnaise. En effet, les catholiques représentent 66,4% de notre
population étudiée, les musulmans 2,7% (3 personnes interrogées se sont dites musulmanes)
et les hindouistes 1,8% (2 personnes interrogées). Aucun protestant n'a été interrogé. Les non-
croyants représentent quant à eux 29,1% de la population étudiée.
32
56%
9%9%
4%
23%
CatholiquesHindouistes*
Musulmans
ProtestantsAutres (bouddhistes, athées, juifs, bahaïs)
FIGURE 4. RÉPARTITION DE LA POPULATION OBSERVÉE EN FONCTION DE
L'APPARTENANCE RELIGIEUSE
L'échantillon obtenu à l'issue de l'administration de notre questionnaire n'est pas représentatif
de l'ensemble de la société réunionnaise puisque les différentes confessions ne s'expriment pas
dans les proportions qui leur correspondent. La sur-représentation des catholiques et des non-
croyants constitue donc un biais d'enquête. Plusieurs raisons expliquent cette tendance. La
première est la proximité des espaces d'enquêtes avec les lieux de culte du catholicisme.
Malheureusement cette évidence n'a été comprise que lors de l'analyse des questionnaires.
Une seconde raison peut justifier ce résultat. Il s'agit de l'utilisation du français comme langue
de l'enquête et non du créole, langue régionale parlée couramment et quotidiennement par une
large majorité de la population. Nombreux sont ceux que cela a découragé ou rebuté. Cela ne
signifie pas que seuls les catholiques ou les non-croyants savent parler français, mais
simplement que la langue a constitué une barrière lors de nombreuses entrevues.
Ce premier résultat de l'enquête invite les lecteurs à ne pas généraliser des propos circoncis à
un lieu et une époque donnés.
§3. UN CLIVAGE FORT ENTRE LES NATIFS DE L'ÎLE ET LES RÉSIDENTS INSTALLÉS À LA RÉUNION
DEPUIS MOINS DE NEUF ANS
Lors de l'analyse des résultats, les questions relatives aux lieux de naissance et à la
durée de résidence à la Réunion se sont révélées particulièrement significatives. En effet, les
associations d'idées, qui s'expriment au travers de la question 11 de notre enquête
(« Choisissez deux mots qui vous font penser à l'immigration ») ont nettement différenciées
33
66% 2%3%
29%
CatholiquesHindouistes*
MusulmansAutres (bouddhistes, athées, juifs, bahaïs)
les natifs de l'île des résidents installés à la Réunion depuis moins de neuf ans31. Ces deux
groupes ne pensent pas l'immigration de la même façon.
Les natifs de l'île représentent 79,1% de notre échantillon (87 personnes sur les 110
interrogées). Les résidents nés ailleurs (principalement en métropole) sont au nombre de 23 et
représente donc les 20,9% restants. Chez les personnes nées à la Réunion, le terme de
comorien est cité 62 fois en réponse à la question 11. Autrement dit, cela représente 71,4%
des personnes nées dans l'île et interrogées dans le cadre de notre étude. Le second terme
associé à l'immigration est plus varié. Nous avons eu plusieurs occurrences de « mahorais »
(16 occurrences), « pauvreté » (11 occurrences), « saleté » (9 occurrences) ou encore
« kwassa-kwassa »32 (4 occurrences). Par ailleurs, 54% des natifs de l'île considèrent, en
réponse à la question n°16 de notre enquête (« Selon vous les immigrés clandestins sont-ils
nombreux à la Réunion? ») que le nombre de Komors à la Réunion est trop élevé. Ce résultat
provient d'un tri croisé entre la question 16 et la question n°17 (« Selon vous de quelle
nationalité sont la majorité des immigrés clandestins à la Réunion? »). Or l'INSEE, dans une
étude parue en mai 2010, affirme que les mahorais figurent parmi les seuls migrants de l'île à
quitter massivement la Réunion. Ainsi « les départs ont été plus nombreux que les arrivées
depuis 1999. L’effectif de ce groupe a perdu 2 500 personnes. »33C'est donc une vision
déformée de la réalité que perçoivent les personnes que nous avons interrogées.
Ce résultat contraste nettement avec les réponses apportées par les résidents non natifs de l'île.
Dans l'esprit de ces enquêtés qui représentent environ 20% de notre échantillon, la question
migratoire n'est pas directement corrélée aux enjeux de la présence mahoraise à la Réunion.
Les mots recensés sont d'une grande diversité ce qui limite l'occurrence multiple du même
terme. Nous nous contenterons d'en citer quelques uns que nous considérons comme les plus
évocateurs de la perception globale de l'immigration qui émane de ce groupe. Deux
dimensions des migrations sont particulièrement mises en avant par le groupe des résidents
non natifs de l'île. Le terme le plus fréquent est « pauvreté » (4 occurrences). L'idée a par
ailleurs été exprimée de nombreuses fois par des périphrases telles que « recherche d'une vie
31 Nous précisons « moins de neuf ans » car l'essentiel des résidents non natifs de la Réunion s'y sont installés entre 2003 et aujourd'hui. Un cas fait cependant exception : un jeune homme né en métropole en 1979 (il a donc trente-trois ans) et installé à la Réunion depuis vingt-huit ans (il avait alors cinq ans). Ces propos sont similaires à ceux des réunionnais nés dans l'île. Ce cas est par ailleurs très intéressant car il confirme l'hypothèse de l'influence du milieu sur la façon de penser.
32 A l'origine, ce terme désigne une danse congolaise très rythmée inventée dans les années 70 par Pepe Kalle. Des mouvements de hanches d'avant en arrière s'accompagnent de mouvements de mains allant dans le même sens. La musique voyage, s'exporte et se mélange. Le terme a trouvé un nouvel emploi aux Comores où le roulis des canots tangueurs évoque les mouvements des danseurs.
33 Economie de la Réunion n°136, mai 2010
34
meilleure ». L'immigration est directement liée à l'idée d'une fuite ou du moins d'un départ
teintés d'espoir. La seconde idée la plus unanimement répandue au sein de ce groupe est celle
d'ouverture associée à la mobilité. La capacité à se déplacer et entreprendre la migration est
perçue comme un acte courageux.
Cette forte dichotomie entre résidents permanents natifs de l'île d'une part et résidents
permanents installés depuis moins de neuf ans non natifs de la Réunion nous invite à
considérer chacun des deux groupes comme des profils types au sein de notre population
observée.
Ces deux façons radicalement différentes d'appréhender et de se figurer l'immigration
sont symptomatiques de ce que de nombreux chercheurs en sciences sociales ont baptisé
l'insularité ou l'îléité. Ce concept se définie comme un mode spécifique de socialisation.
L'individu, même s'il connait le reste du monde (pour y avoir vécu un temps ou simplement
du fait de voyages ou par l'influence de la télévision), est marqué par l'étroitesse de l'univers
dans lequel il a grandi. Cela ne signifie pas qu'à l'étroitesse du lieu de l'enfance correspond
nécessairement l'étroitesse d'esprit. Cela signifie plutôt que la socialisation dans un espace
isolé (c'est le cas d'une île) se passe comme dans un huis-clos. Les références et repères
directs sont beaucoup plus homogènes que ceux dont bénéficient les individus naissant dans
des espaces géographiques sans limites imposées par le relief. Par ailleurs, le terme
d'insularité est utilisé en sociologie pour désigner l'éloignement associé à des difficultés
d'insertion. L'insularité des travailleurs immigrés par exemple reviendra à considérer ce
groupe social comme isolé et rencontrant des barrières symboliques, culturelles ou sociales au
cours du processus d'intégration ou du moins d'appropriation du territoire sur lequel il vit.
Parmi ces obstacles figurent notamment la langue, la pratique religieuse. Cette notion
d'isolement, plus symbolique que physique, traduit avec justesse ce que nous voulons signifier
ici. L'îléité ou l'insularité agit donc comme un réducteur des écarts sociaux en homogénéisant,
au regard du monde extérieur, l'ensemble de la population de l'île.
Ces résultats sont les plus frappants de notre étude. Nous ne pouvons cependant nous
contenter de ces analyses. En effet, le dilemme que mettent en évidence les différentes
méthodes de traitement des données mises en application nous invite surtout à nous interroger
sur les liens possibles entre État-Providence et diversité culturelle et ethnique.
35
CHAPITRE 2 – LE PRINCIPE DE
REDISTRIBUTION À L'ÉPREUVE DU
MULTICULTURALISME RÉUNIONNAIS
PRÉAMBULE
56,4% de la population enquêtée associe directement le terme d'immigration à celui de
« Komor » (62 personnes sur 110 enquêtes). C'est ce que mesure la question n°11 de notre
enquête de terrain. En réponse à la question n°18 (« A quelles image(s)/idée(s) associez-vous
l'immigration mahoraise à la Réunion? ») la totalité de ces mêmes personnes associent
l'immigration mahoraise à la Réunion au terme de « prestations sociales ». Les mahorais
immigreraient donc à la Réunion pour bénéficier des allocations chômage, vieillesse et santé.
Cette perception majoritairement partagée par l'ensemble des individus auprès desquels nous
avons enquêté oppose la population mahoraise au principe redistributif qui caractérise l'État-
Providence en France. Le principe redistributif en quelques mots repose sur l'idéologie du
solidarisme. Popularisée en France à la fin du XIXème siècle par les textes de Léon Bourgeois,
il s'agissait alors de proposer des réformes fiscales afin d'éviter des révoltes sociales.
Cette réponse en soi n'est pas un souci mais un indicateur relevant d'une perception possible
de la réalité. Le problème est qu'elle est exprimée de façon très violente par la population que
nous avons pu observer. Les fronts se plissent, les lèvres marmonnent, les propos d'exclusion
fusent. Nous avons, à plusieurs reprises, entendus « komor dehors » au moment de
l'administration du questionnaire. Les mahorais sont exclus de la société multiculturelle
réunionnaise par des mots (quelques fois violents) qui revêtent la triste teinte du racisme.
Ainsi il est su que les individus d'origine mahoraise ou comorienne immigrent à la Réunion
36
avant tout pour des motifs sociaux-économiques mais ils ne disposent pas, aux yeux des
enquêtés, de la légitimité suffisante pour être bénéficiaires d'aides sociales.
Cette illégitimité, selon notre même question n°18, tient à plusieurs critères directement
associés aux mahorais. En effet, la réponse ouverte de la question n°18 permet d'associer
jusqu'à trois idées ou images à l'immigration mahoraise à la Réunion. Les termes alors les plus
récurrents sont « assistés », « saleté », « pauvreté », « insécurité » et « irrespect » (nous ne
citons que ceux qui sont apparus au minimum cinq fois sans tenir compte de l'ordre dans
lequel ils ont été prononcés par les enquêtés).
Dans une telle logique, les mahorais forment un tout homogène implicitement assimilé
à une catégorie au plus bas de l'échelle sociale. Ils sont également l'objet d'un rejet massif de
la part de nos enquêtés. Ce sentiment d'exclusion à l'égard des mahorais et des comoriens va à
l'encontre de la description du multiculturalisme réunionnais inclusif et tolérant que nous
avons établi jusqu'à présent. Elle prend corps dans la revendication d'un État-Providence plus
sélectif, moins universel.
Ce sur quoi met le doigt cette enquête est la légitimité du principe redistributif au sein d'une
société multiculturelle. Jusqu'à quel point la diversité est-elle tolérée dans les États à fort
engagement social ? Ou dit autrement, jusqu'à quel point faut-il que les individus faisant corps
au sein d'une même société soient semblables pour que vive la solidarité?
Dans ce chapitre nous analysons les évolutions de l'État-Providence et les crises qui le
traversent, tout en le mettant en perspective avec le contexte propre à la Réunion afin de
proposer des pistes de réflexion sur les discours d'exclusion à l'encontre des mahorais.
37
SECTION 1 – L'ÉTAT-PROVIDENCE, UN SYSTÈME
REDISTRIBUTIF EN CRISE ?
L'État-providence en France a évolué de telle sorte qu'il est aujourd'hui un État-
Providence assistanciel et non plus assuranciel. La solidarité est alors mise à l'honneur au
détriment du concept de responsabilité sociale (§1). En terme de partage des ressources, la
solidarité assure la participation de ceux qui le peuvent aux mécanismes de redistribution. A
ce titre, le Revenu de Solidarité Active (RSA) fait partie des allocations chômage relevant du
régime de la solidarité. Pourtant le terme de solidarité peut être perçu comme incorrect. Il
serait alors un moyen de ne pas appeler cette solidarité de l'assistanat. La Réunion est
particulièrement concernée par cette problématique (§2).
§1. ÉVOLUTION DE L'ÉTAT-PROVIDENCE EN FRANCE
L'État-Providence s'est construit à la fin du XIXème siècle grâce à une révolution tant
sociale, que politique et intellectuelle. La perception de l'impôt a évolué et rendu possible
l'acceptation de l'idée d'interdépendance entre les individus d'une même société (A). Le
premier choc pétrolier en 1974 puis la crise économique de 2007 ont considérablement
modifié la société française et ont contribué à orienter l'État social vers des mécanismes
d'assistance aux plus démunis (B).
A/ LE SOLIDARISME ET L'AVÈNEMENT DE L' « IMPÔT-REDISTRIBUTION »
L'idée d'État-Providence (bien que le terme n'existe pas encore) nait au tournant du
XIXème siècle, dans un contexte socio-économique complexe. En effet la Révolution
Industrielle est, comme son nom l'indique, un processus historique révolutionnaire qui marque
durablement les modes de production, de consommation mais aussi les mentalités. Diverses
mutations viennent bousculer le paysage français : la croissance des villes, la circulation des
populations, capitaux et marchandises, la croissance démographique, le développement d'un
38
système bancaire et financier. Parmi les conséquences de la Révolution Industrielle figure
également la constitution des ouvriers en une classe sociale consciente d'elle-même et
partageant une même vision du monde.
Les inégalités criantes les opposent radicalement à la classe bourgeoise à qui profite le
développement économique de la France. Ce fait devient un véritable enjeu de société. En
1896, Léon Bourgeois publie son ouvrage Solidarité dans lequel il théorise le concept passé à
la postérité sous le nom de solidarisme. Afin d'éviter une révolte sociale, il propose d'engager
l'État dans la voie d'une réforme fiscale en faveur de la redistribution des revenus. Il
revendique l'influence de Pasteur sur sa pensée : « C'est grâce à Pasteur que la notion d'une
humanité nouvelle a pu se révéler et a passé dans les esprits. C'est lui qui a fait concevoir
plus exactement les rapport qui existent entre les hommes ; c'est lui qui a prouvé d'une façon
définitive l'interdépendance profonde qui existe entre tous les êtres ; c'est lui qui, en
formulant d'une façon décisive la doctrine microbienne, a montré combien chacun d'entre
nous dépend de l'intelligence et de la moralité de tous les autres. »34
L'idée d'un « impôt-redistribution » destiné à atténuer les inégalités sociales devient
peu à peu acceptable pour une majorité d'acteurs du monde social. En effet jusqu'au début du
XXème siècle l'impôt est connoté négativement et essentiellement perçu comme une
contrepartie. Il est alors le prix à payer pour des services rendus. Le calcul des contributions
se fait alors sur le modèle proportionnel : ne paient que ceux qui possèdent, et le taux est
unique et semblable pour tous.
En 1914 et après d'âpres controverses, le Parlement français vote le passage à un impôt
progressif c'est à dire individualisé et dont le montant est indexé sur le niveau de revenus. Le
taux maximal est alors fixé à 2%. Ce changement de paradigme en matière de fiscalité érige la
redistribution entre catégories sociales en principe directeur d'un État social et
interventionniste.
B/ DE L'ÉTAT-PROVIDENCE ASSURANCIEL À L'ÉTAT-PROVIDENCE ASSISTANCIEL
La réforme de l'impôt s'accompagne de mesures modifiant en profondeur la condition
ouvrière. Le premier pas est marqué par l'adoption d'une législation sur les accidents du
travail. La loi du 9 avril 1898 fixe un cadre de responsabilité sans faute, c'est à dire que les
ouvriers victimes d'accidents du travail n'ont désormais plus à prouver la responsabilité de
34 L. BOURGEOIS, La politique de prévoyance sociale, t.I, Paris, Fasquelle, 1913, p. 68.
39
leurs patrons. Le deuxième pas est fait en 1928 avec la première loi sur les assurances sociales
qui couvre alors les salariés dans les domaines de la maladie, la maternité, l'invalidité, la
vieillesse et le décès35. A la suite de ces premières avancées, la loi du loi du 11 mars 1932 met
en place des allocations familiales financées par des versements patronaux. En parallèle de
ces mécanismes assuranciels, l'État nationalise progressivement les différents organismes en
charge de collecter les cotisations et de les redistribuer. Il devient le principal acteur de la
solidarité sociale et intervient dans un nombre croissant de la vie quotidienne : classiquement
l'éducation mais aussi le logement ou les transports.
La mesure la plus emblématique de cette dynamique est prise en 1945 en France. La fin de la
Seconde Guerre Mondiale a contribué à la création d'un vif élan de solidarité (ou de fraternité
selon les plumes) de la population qui partage alors la sensation d'un destin commun. Les
ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 marque la création de la Sécurité Sociale française,
financée par les cotisations des employeurs et des salariés. Divers approfondissements de la
Sécurité Sociale se mettent en place tout au long de la deuxième moitié du XXème siècle parmi
lesquels l'extension des allocation familiales à la quasi-totalité de la population française et
l'intégration des accidents du travail à la Sécurité Sociale.
Depuis la fin des Trente Glorieuses et le choc pétrolier de 1974, l'État-providence entre
en crise. Le chômage est de plus en plus massif, la population française est vieillissante. Le
rapport entre les actifs et les non-actifs s'en trouve considérablement transformé. Cela signifie
dans les deux cas que le nombre des cotisations diminue alors que dans le même temps les
charges sociales directes et indirectes que l'État doit assumer augmentent. Le poids du
chômage dans l'allocation des ressources de l'État-Providence est demeuré, comme nous le
montre le schéma suivant, décisif. Le chômage massif des années 1970 s'est en effet
durablement stabilisé autour d'un pourcentage élevé : 10% pour l'ensemble du territoire
français, 29,5% pour le seul département de la Réunion.
35 La mise en place de représentation des ouvriers dans leur travail au travers de syndicats structurés joue également un rôle clé dans l'amélioration de la condition des ouvriers en France et plus généralement en Europe. En effet, le mouvement de socialisation de l'État que nous décrivons depuis tout à l'heure parcoure l'ensemble du Vieux Continent dans la même période.
40
FIGURE 5. VENTILATION DES PRESTATIONS DE PROTECTION SOCIALE PAR
RISQUES (EN %)
Source : Les comptes de la protection sociale 2009, publiés en juin 2011
Nous observons également la place qu'occupent les dépenses maladies. Cela s'explique par
l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom au milieu des années 2000. L'État
social et redistributeur en vient petit à petit à se concentrer sur des situations d'urgence plutôt
que sur sa fonction initiale, l'assurance. La solidarité sociale prend de plus en plus
couramment la forme de l'assistance, c'est à dire qu'elle s'exerce vis à vis de ceux qui ne
peuvent contribuer à son financement. En 1988, le Revenu Minimum d'Insertion (RMI) est
créé. En 1999, c'est la Couverture Maladie Universelle (CMU) qui vient remplacer au niveau
national les aides médicales dont disposaient alors les départements. Enfin, la crise financière
de 2007 contribue également à dégrader considérablement le marché du travail et inscrit
encore davantage le chômage dans une logique d'exclusion et d'assistance.
Ces mesures ainsi que les mutations de la société française expliquent en grande partie « le
trou de la Sécu », c'est à dire la crise de finance que traversent de façon chronique les budgets
sociaux en France depuis plusieurs années.
§2. SOLIDARITÉ VS ASSISTANAT
La solidarité définie comme la forme la plus aboutie des mécanismes d'assistance
sociale est aujourd'hui au cœur de débats de société en France. Elle pose la question à l'échelle
41
nationale de la légitimité des prestations pour des territoires ultramarins qui participent dans
une moindre mesure à son financement et sont perçus comme des gouffres pour les budgets
sociaux (A). A l'échelle de la Réunion, la solidarité introduit une réflexion sur la légitimité des
différents groupes ethniques à percevoir des prestations sociales. Elle met ainsi en évidence
les inégalités sociaux-économiques entre ces groupes (B).
A/ ENTRE SOLIDARITÉ ET ASSISTANAT À L'ÉCHELLE NATIONALE : LA LÉGITIMITÉ
DES PRESTATIONS SOCIALES À LA RÉUNION EN QUESTION
Une publication de l'INSEE parue en juillet 2012 titre « Les allocataires de minima
sociaux n'ont jamais aussi nombreux ». Le niveau d'allocataires a augmenté de 4,1% entre
2011 et 2012 (contre une progression de 1,5% de la population). « Le nombre de demandeurs
d'emploi non indemnisés ayant augmenté en 2011, les allocations chômage du régime de
solidarité ont bondi de 16%. Parallèlement le montant des allocations versées augmente de
5,5% ».
Ce sont ces allocations du régime de la solidarité qui évoque pour certains l'assistanat. Elles
sont présentées comme l'illustration de la dépendance du département vis à vis de la
métropole. En effet, la majorité des prestations sociales est financée par les transferts de fonds
publics. Cette tendance est caractéristique des « économies de rente » de B. POIRINE dont la
Réunion, petite économie insulaire, est une déclinaison. Ces transferts sociaux n'ont cessé de
croître depuis 1975.
FIGURE 6. SOLDE NET DES TRANSFERTS EN PROVENANCE DE MÉTROPOLE ET
DE L'UE ET À DESTINATION DE LA RÉUNION
Source : IEDOM
42
La figure ci-dessous indique l'évolution des transferts nets36 en provenance de la métropole
(fonds européens inclus) entre 1975 et 2008. Ils incluent le budget des administrations d'État
ainsi que les prestations sociales et atteignent en 2007 le montant de 5,7 milliards d'euros.
Nous pouvons observer deux périodes bien distinctes symbolisées par des flèches rouges. La
première s'étend de 1975 à 1994 et est marquée par une progression constante de transferts à
taux modérés. La seconde période est celle d'une accélération des transferts à partir de 1994.
Cela s'explique par l'importance croissante des financements en provenance de l'Union
Européenne vers la Réunion du fait de l'objectif de convergence (pour une définiton, voir en
p. 3 du présent rapport). Ces transferts représentent une large partie des sources de
financement des mesures sociales à la Réunion.
En effet, sur les quelques 264 701 ménages fiscaux recensés par l'INSEE en 2009, seuls
34,7% sont imposés. Ils contribuent à une part d'autant plus infime des revenus redistribués
que ce sont les impôts indirects qui génèrent le maximum de recettes publiques à la Réunion.
Les impôts directs (impôt sur le revenu et impôt sur les société) bénéficient d'abattements
conséquents. Ce sont les impôts indirects (octroi de mer, TVA, taxe sur la consommation de
tabac) qui complètent les transferts de la métropole et de l'Union Européenne.
L'assistanat est ici entendu à une échelle macro-économique et est connoté négativement. Le
territoire ultramarin est considéré comme un fardeau pour la métropole. C'est comme si,
déclarait N. DINDAR, présidente du Conseil Général de la Réunion en 2011, les réunionnais
devaient « s'excuser » de bénéficier d'allocations. Les élus locaux opposent largement le
terme d'assistanat à celui de solidarité nationale, et ce malgré les attaques répétées des élus
des îles voisines37. Pourtant, en faisant le choix de le départementalisation en 1946, la
métropole et la Réunion ont également choisi de considérer les habitants de territoires si
lointains comme égaux. Si l'égalité sociale n'est pas encore atteinte aujourd'hui, elle doit
demeurer un cap à maintenir dans les politiques de l'île. A ce titre, ce que nous nommons le
complexe de l'assistanat vis à vis de la métropole n'a pas lieu d'être. Ce complexe souligne par
ailleurs la spécificité de la départementalisation comme mode spécifique de décolonisation
ainsi que la persistance de sociétés post-coloniales.
36 Les transferts nets sont calculés à partir des dépenses et des recettes.37 Voir à ce sujet les propos du 1er Ministre mauricien, Navin Rangoolam, en avril 2011.
43
B/ LES INÉGALITÉS SOCIO-ÉCONOMIQUES À L'ÉPREUVE DE LA SOLIDARITÉ
RÉUNIONNAISE
Au niveau local, la dialectique assistanat/solidarité est assortie d'une dimension
ethnique. La question de la légitimité de la perception de prestations sociales quitte la sphère
économique pour se confronter à la problématique de l'identité des groupes qui composent la
société multiculturelle réunionnaise. Dans une enquête publiée en mai 2010, l'IEDOM étudie
de près les différents groupes de migrants qui composent la société réunionnaise. Ce que nous
en retenons est la place toute particulière des Mahorais dans les statistiques. Ils illustrent
régulièrement la pire des situations.
44
SECTION 2 : L'ÉTAT-PROVIDENCE UNIVERSEL ET SOLIDAIRE
FACE À LA DIVERSITÉ
Il s'agit ici, à l'aune des éclairages précédents, de s'interroger sur les liens possibles
entre diversité culturelle et ethnique et État-Providence. Il s'agit d'une des lectures possibles
des mutations actuelles de l'État-Providence. Cette analyse est relativement inédite en France
(§1). Dans le contexte local réunionnais cette analyse invite à mettre en perspective la
diversité de la population largement évoquée jusqu'à présent avec le sentiment d'une illégitime
concurrence des usagers du service public dans leurs pratiques des institutions (§2).
§1. LA DIVERSITÉ CONTRE LA SOLIDARITÉ ?
L'axe solidarité-diversité s'est progressivement constitué en un véritable domaine de
recherche en sciences sociales (A). En France, ce sont principalement le changement d'époque
et l'individualisation des pratiques sociales qui expliquent la réticence face aux mécanismes
de redistribution (B).
A/ UNE ANALYSE RÉCENTE EN FRANCE
La légitimité du principe redistributif lorsqu'il est mis en œuvre dans une société
multiculturelle a été discutée par un économiste italien, professeur à Harvard et spécialiste
d'économie politique, A. ALESINA. Son travail couvre une vaste panoplie de thèmes parmi
lesquels l'analyse des différences entre les États-Providence d'Amérique du Nord et ceux qui
se sont développés en Europe. Il publiait ainsi en 2004 Combattre les inégalités et la
pauvreté, les États-Unis face à l'Europe. Il met en évidence ce que David Willets, quelques
semaines après l'écrasante victoire travailliste de 1998 et alors qu'il était membre du contre-
gouvernement conservateur, a nommé « le dilemme progressiste » : « Si vous voulez prélever
des niveaux élevés d'impôts et de cotisations sociales et les redistribuer en prestations, vous
devez vous assurer que la plupart des gens pensent que les bénéficiaires seront des gens
45
comme eux, confrontés à des difficultés qui pourraient leur arriver à eux aussi. Si les valeurs
divergent exagérément, si les styles de vie se diversifient excessivement, il devient difficile de
légitimer un État-Providence universel et assuranciel ». En d'autres termes, il ne semble pas
envisageable de combiner le niveau de redistribution de la Suède avec la société états-
unienne. L'État-Providence suédois est puissant car sa société homogène avec des valeurs
communes intensément partagées. A l'inverse, dans société diverse et individualiste telle celle
qui caractérise les États-Unis, les individus se sentent moins d'obligations les uns envers les
autres. Le paradoxe des progressistes est qu'ils sont favorables à la diversité mais ils minent
par là leurs aspirations à un État-Providence fort.
En France, plusieurs économistes se sont inspirés de ses travaux (qui peuvent parfois choquer
par leur libéralité à l'américaine). En septembre 2010 un article de D. THESMAR et A.
LANDIER paru dans le quotidien Les Échos et intitulé Diversité ou solidarité : le dilemme
inavouable de l'Europe, reprend largement les idées d'A. ALESINA. Ce que mettent en
évidence ces diverses contributions c'est que les clivages raciaux limitent les possibilités de
redistribution. C'est finalement la différence qui est au centre de leurs préoccupations. Jusqu'à
quel point pouvons nous être différents tout en restant solidaires ? A l'inverse jusqu'à quel
point devons nous nous ressembler pour accepter de payer pour les autres ? Peut-être
finalement, est-ce cette différence qui dérange vis à vis des komors à la Réunion. Ils
appartiennent à une culture différente certes. Mais ils sont surtout associés à l'une des classes
les plus défavorisées de l'île. Les komors renverraient ainsi aux réunionnais des images peu
réjouissantes de sous-développement, des images d'eux-mêmes dans les années 1940/1950,
époque où le développement de l'île n'avait rien de comparable à ce qu'il est aujourd'hui.
B/ LES FACTEURS DU PROCESSUS DE DÉSOLIDARISATION
Cette tendance au refus de la redistribution face à la diversification ethnique d'une
société s'explique par des mutations sociales différentes selon les trajectoires des États. C'est à
dire que la révolution du rapport à la redistribution s'est opérée dans des conditions
historiques et politiques précises. En France, P. ROSANVALLON identifie plusieurs facteurs
essentiels.
Le premier tient à la perte de conscience d'un destin unanimement partagé par les individus
faisant corps au sein d'une même société. Cette construction historique est l'un des effets
psychologiques qu'ont eu les guerres mondiales au cours du XXème siècle. Cette sorte de
46
solidarité forcée est passée à la postérité sous le terme d' « esprit de Dunkerque »38. Georges
Orwell, combattant lors de la Guerre D'Espagne écrivait dans ses Réflexions sur la guerre
d'Espagne en 1942 que « si la guerre ne vous avait pas tués, elle vous amenait à réfléchir ».
S'il est très complexe d'analyser la mémoire du sacrifice des vies et la fraternité dans le
combat, il n'en reste pas moins vrai qu'elles ont préparé les esprits à plus de solidarité dans la
vie civile. Aujourd'hui le souvenir des guerres demeurent mais leur réalité nous échappe en
grande partie. Se sentir solidaire les uns des autres, avoir le sentiment de partager un destin
commun ou de former une « communauté de semblables », pour reprendre les termes de P.
ROSANVALLON, n'est plus une évidence.
Le deuxième point intéressant pour expliquer les mutations sociales est le rôle qu'a joué la
diffusion dans la société des savoirs scientifiques la concernant. Le « voile de l'ignorance »
qui recouvrait jusqu'à une période récente les règles de fonctionnement de la société a été
déchiré. « Chacun a par exemple pris conscience de son espérance de vie, et les liens entre
les comportements individuels et les situation objectives ont été de plus en plus précisément
appréhendés (en matière de santé, mais aussi de recherche d'emplois par exemple) »39. Cela
signifie que les individus ont progressivement pris conscience de ce qu'est l'État-Providence,
de qui sont les autres qui en bénéficient au même titre qu'eux. Cette dimension est accentuée
par les effets du paradigme néo-libéral dans lequel nous vivons. Les mécanismes qui en
découlent et particulièrement dans notre cas la concurrence inhérente à un monde que l'on
souhaite concevoir comme un marché unique incitent à agir d'une façon de plus en plus
individualiste.
§2. LA COMPLEXITÉ DE LA DIVERSITÉ RÉUNIONNAISE : ENTRE FIERTÉ ET SENTIMENT DE
CONCURRENCE
A la Réunion, cette problématique de l'antinomie entre diversité et redistribution se
cristallise sans dire son nom, autour de la figure du mahorais. Les réunionnais réagissent au
sentiment d'une concurrence illégitime au sein des institutions par l'exclusion d'un frange de
leur population (A). Dans le même temps, la diversité réunionnaise demeure une valeur à
laquelle l'ensemble des réunionnais est attaché. Elle serait alors l'exemple d'un discours
38 Cette notion renvoie à une perception britannique de la seconde guerre mondiale. Le journal The Times titrait en juin 1940 « l'esprit de Dunkerque »
39 P. ROSANVALLON, ibid.,
47
performatif en quête de renouveau dans le sens où affirmer la diversité locale ne suffit plus à
rendre à la société réunionnaise sa cohésion sociale (B).
A/ LE SENTIMENT DE CONCURRENCE AU SEIN DES ESPACES DE REDISTRIBUTION
Les espaces de redistribution correspondent aux différentes caisses en charge des
différents risques que nous avons mentionnés jusqu'à présent. Ils sont fréquentés par une large
part de la population réunionnaise et constitue ainsi des espaces où les relations sociales
peuvent se révéler significatives. A titre d'exemple, les chômeurs inscrits à Pôle Emploi sont
au nombre de 123 810 à la fin du mois de juin 2012. Le sentiment de concurrence vécu par les
Réunionnais et exprimé essentiellement en marge des questionnaires prend d'abord la forme
d'une concurrence physique. Les espaces de redistribution sont, aux yeux de cinq enquêtés
natifs de l'île, « envahis » par les komors. La référence a l'invasion peut paraître violente et
exagérée. Pourtant nous ne faisons ici que retranscrire des propos pris en note au cours de
l'administration du questionnaire. Ces cinq personnes ont toutes évoquées l'état de léthargie
des komors attendant leur tour dans ces espaces de redistribution. « Au lieu de s'assoir comme
tout le monde, ils s'allongent et bloquent trois sièges » ou une périphrase exprimant une idée
similaire ont été entendus à trois reprises. La concurrence physique prend la forme d'un
dégout, d'une aversion et d'un profond énervement face aux attitudes du groupe rejeté.
Elle se double d'une forme symbolique de concurrence qui est l'une des déclinaisons
du rejet des komors à la Réunion. Elle prend la forme de l'expression d'une illégitimité des
komors à percevoir des prestations sociales. Il sont considérés comme la cause d'une
dépossession des réunionnais. Dépossession d'autant moins acceptée qu'elle est est tourné vers
un groupe ethnique qui se situe au bas de l'échelle sociale.
B/ LA SCHIZOPHRÉNIE RÉUNIONNAISE
A l'opposé de ce que nous venons de décrire, nous trouvons la fierté des réunionnais
pour la diversité culturelle et ethnique de leur île. Elle s'exprime tout d'abord dans les média,
dans les spots touristiques et dans les discours des acteurs du secteur touristique. Y sont mis
en avant le métissage et les saveurs culinaires aussi variées que la population. La fierté ainsi
exprimée se confondrait alors presque avec une stratégie marketing. Elle s'exprime également
48
dans la sphère privée, dans la littérature locale et dans la multitude des travaux de recherches
scientifique que nous avons consultés pour mener à bien cette étude. Elle prend alors la forme
d'une éloge à la capacité et à la volonté de vivre-ensemble dont la Réunion semble avoir fait
son crédo depuis plus de trois siècles.
Nous parlons de schizophrénie pour désigner cette ambivalence entre d'une part un
rejet des komors quasi-institutionnalisé et d'autre part la perception subjective de la Réunion
comme une société multiculturelle inclusive. Cette idée d'une irrationalité dans le rapport
qu'ont les réunionnais à la question des komors nous tient à cœur. Elle corrobore le manque de
fondements d'arguments tellement répétés qu'ils ont été déformés par l'usure. L'unité dans la
diversité à la façon réunionnaise serait donc une conception fantasmée ? La fierté locale vis à
de la diversité serait un leurre pour rendre attractive une terre en quête de développement
endogène ? Nous ne pouvons cependant simplifier à l'extrême la complexité du monde social
et affirmer que l'idée d'unité dans la diversité n'est qu'une mystification instrumentalisée par
des agents économiques ou des pouvoirs publics. Sans aller jusque là donc, nous évoquons la
possibilité d'une connaissance superficielle des réunionnais de leur propre culture qui
conduirait à des méprises aux conséquences sociales désastreuses comme celle dont les
komors sont l'objet.
49
CONCLUSION
Nous nous sommes posés la question de l'intégration (ou du rejet, c'est selon) d'une
minorité au sein d'une société multiculturelle. Nous savons désormais qu'une réponse
univoque n'est pas possible. Au fils de notre enquête, les problématiques se sont bousculées,
téléscopées, ont parfois fusionné. Nous avons ainsi pu dire combien la diversité est inhérente
à la construction de l'île : diversité des peuples, diversité des motivations, diversité des
mélanges, diversité des syncrétismes. Cela nous a aussi permis une incursion au coeur des
mots et maux de la société réunionnaise. Le thème de l'intégration s'est également peu à peu
écarté au profit d'une interrogation autour de l'axe diversité-redistribution. Nous retenons ainsi
que la redistribution ne peut faire l'unanimité dans une société marquée su sceau de la
diversité. Le besoin de ressemblance se fait sentir, il faut que ce qui arrive aux autres puisse
également nous arriver pour que nous acceptions pleinement de financer un système
redistributif.
Mais à l'heure de conclure, la question de l'intégration revient et réclame quelques
éclaircissements. Nous pouvons affirmer qu'il n'est finalement pas le thème au centre de la
question du rejet des komors à la Réunion. En tant qu'objectif politique et but à atteindre pour
une société égalitariste, il est appréhendé par les pouvoirs publics locaux au travers de
différents dispositifs axés essentiellement sur les classes sociales défavorisées. Par ailleurs, le
nombreux centres de formations de l'île proposent désormais des stages courts en initiation au
shimaoré et à la culture mahoraise à destination principalement des travailleurs sociaux. Des
mesures en faveur de la prise en compte des critères ethniques d'inégalités s'ajoutent donc aux
dispositifs sociaux. L'intégration au sens de processus sujet à des retournements, des
tendances et des contre-tendances tel que défini par D. SCHNAPPER ne peut quand à lui faire
l'objet d'une étude quantitative si brève. Elle nécessite une observation participante, des
entretiens et tout un ensemble de techniques dites qualitatives pour signifier véritablement
quelque chose. Mais surtout l'intégration au sens de processus n'est plus à faire aux yeux de
nombreux komors qui se considère comme une part toute aussi fondamentale que les autres de
l'identité de l'île.
Ce qui nous reste en tête est finalement cette schizophrénie locale, cet oscillement risqué entre
attraction et répulsion vis à vis de la diversité. L'un de nos enquêtés à dit : « En métropole, ils
50
ont les arabes. Peut-être qu'il nous manquait un bouc-émissaire à nous. » Ces propos
éclairent avec humour l'ensemble de cette réflexion. Ils expriment le racisme et l'exclusion, le
doute et la schizophrénie.
Pouvons-nous pour autant dire que le modèle du vivre-ensemble réunionnais est en
panne ? Rien n'est moins sûr. En effet, ce que met également en évidence notre étude est la
diversité des phénomènes sociaux à l'œuvre dans le racisme ambiant qui sévit envers les
mahorais et comoriens de la Réunion. Ce qui dérange ? Nous pouvons le résumer en un mot :
la différence. Et si la différence la moins acceptée n'était pas celle de la « saleté », de la
« pauvreté » ou de l' « irrespect » des komors mais celle d'un décalage complexant avec la
métropole largement fantasmée depuis les tropiques ? Et comment même ne pas complexer
vis à vis de cette métropole lorsque l'on sait que ses représentants réunis à l'Assemblée
Nationale rient à gorge déployée à l'évocation d'un problème de requins à la Réunion ? Et si
alors, le rejet des komors de la Réunion n'était qu'un révélateur d'un malaise social dont les
racines seraient aussi anciennes que la colonisation et l'esclavage ?
Face à ces constats, nous proposons l'action et la discussion : comprendre pour prendre
conscience. Les issues de secours (au vue de l'urgence de la nécessité d'une prise de
conscience collective, nous pouvons parler d'issues de secours), sont nombreuses. Nous
pensons par exemple à l'instauration d'un véritable espace de débats publics citoyens où
l'argumentation serait nourrie des apports de chaque résident de l'île mais aussi, et surtout,
d'idées empruntées aux sciences sociales. Ce débat public pourrait prendre corps dans les
média locaux. Les journaux comme les radios locaux favorisent l'évènementiel et l'instantané
au détriment d'une réflexion de fond et suivie dans la durée. Nous signalions au chapitre
introductif (p.16) que Radio Freedom est la plus écoutée des radios de l'île. Nous notons
également qu'à l'exception des pages d'actualité, l'ensemble des émissions tourne autour d'une
libre antenne. À aucun moment il n'est prévu d'inviter des intervenants locaux ou étrangers,
spécialistes d'une question de société (environnementale, politique, etc...) pour les faire
interagir avec les auditeurs.
Nous proposons également de revisiter une piste quelque peu explorée mais dont la mise en
œuvre est trop aléatoire. Il s'agit d'une réforme des programmes scolaires d'histoire et de
géographie. Comment apprendre que nos ancêtres sont Gaulois lorsque nous sommes
marrons, noirs et jaunes ? Comment rendre les différences naturelles lorsqu'elles ne sont pas
expliquées et décrites ? La Réunion a une histoire propre, différente de celle de la métropole
avec malgré tout des branchements indéniables du fait de l'appartenance à un même État.
51
Mais comment, à l'heure du soixantième anniversaire des accords d'Évian, nier l'importance
du travail de mémoire qu'une société doit faire pour parvenir à vivre en paix avec ses
blessures ? La colonisation et l'esclavagisme sont, quelque soit le côté dans lequel nous range
notre couleur de peau, des plaies aujourd'hui toujours quasi-béantes dans nos chairs.
Dans le domaine des sciences sociales, nous proposons la vulgarisation du monde d'idées qu'a
développé P. ROSANVALLON tout au long de son oeuvre. Son dernier ouvrage, La société
des égaux, est un hymne en faveur d'une terrible humanité. Terrible parce que réalisable mais
au prix d'une prise de conscience indivudelle que conbien d'entre nous sont prêts à assumer ?
Qui peut supporter la douleur de la mise en mots de ce qu'est devenu notre humaine
condition ? A sa suite, il s'agirait d'envisager une refondation de la notion d'identité au profit
du concept de singularité. Moins statique que l'idée d'identité, il est fondé et inclus donc
inévitablement une relation avec l'autre. La différence n'est plus alors ce qui divise mais ce
qui rapproche.
52
ANNEXES
1/ Cadre institutionnel de l'île de la Réunion
• La loi de départementalisation du 19 mars 1946
Loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français
de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française
Version consolidée au 20 mars 1946
Article 1
Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et la Guyane française sont
érigées en départements français.
Article 2
Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas
encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1er janvier 1947, l'objet de décrets
d'application à ces nouveaux départements.
Article 3
Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles applicables à la métropole le seront
dans ces départements, sur mention expresse insérée aux textes.
La présente loi, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale constituante, sera exécutée
comme loi de l'État.
FELIX GOUIN Par le président du Gouvernement provisoire de la République :
Le ministre de la France d'outre-mer,
MARIUS MOUTET
Le ministre de l'intérieur,
ANDRÉ LE TROQUER
Source : Légifrance
i
• Articles 72 et 73 de la Constitution de 1958 qui régissent les DOM
Article 72
« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les
régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par
l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et
place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon.
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des
conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences.
Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les
conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement
garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la
loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée
limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs
compétences.
Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant,
lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités
territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser
les modalités de leur action commune.
Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant
de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle
administratif et du respect des lois. »
Article 72-1
« La loi fixe les conditions dans lesquelles les électeurs de chaque collectivité territoriale
peuvent, par l’exercice du droit de pétition, demander l’inscription à l’ordre du jour de
l’assemblée délibérante de cette collectivité d’une question relevant de sa compétence.
Dans les conditions prévues par la loi organique, les projets de délibération ou d’acte
relevant de la compétence d’une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis,
ii
par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité.
Lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou
de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits
dans les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales
peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la
loi. »
Article 72-2
« Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer
librement dans les conditions fixées par la loi.
Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi
peut les autoriser à en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine.
Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales
représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de
leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en
œuvre.
Tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités territoriales s’accompagne de
l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute
création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des
collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.
La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les
collectivités territoriales. »
Article 72-3
« La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans
un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-
Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont
régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer et pour les collectivités
territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour
iii
les autres collectivités.
Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.
La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et
antarctiques françaises et de Clipperton. »
Article 72-4
Aucun changement, pour tout ou partie de l’une des collectivités mentionnées au deuxième
alinéa de l’article 72-3, de l’un vers l’autre des régimes prévus par les articles 73 et 74, ne
peut intervenir sans que le consentement des électeurs de la collectivité ou de la partie de
collectivité intéressée ait été préalablement recueilli dans les conditions prévues à l’alinéa
suivant. Ce changement de régime est décidé par une loi organique.
Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des
sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut
décider de consulter les électeurs d’une collectivité territoriale située outre-mer sur une
question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Lorsque la
consultation porte sur un changement prévu à l’alinéa précédent et est organisée sur
proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est
suivie d’un débat. »
Article 73
« Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables
de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et
contraintes particulières de ces collectivités.
Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent
leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement.
Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités
régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le
règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre
limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.
Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des
iv
libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit
pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la
monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être
précisée et complétée par une loi organique.
La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à
la région de La Réunion.
Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de
la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi
organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles
d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.
La création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région
d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne
peut intervenir sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article
72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. »
• Articles 349 et 355 du TCE régissant le statut de Région Ultra Périphérique (RUP) de
la Réunion
Article 349 du traité instituant la Communauté européenne
« Compte tenu de la situation économique et sociale structurelle de la Guadeloupe, de la
Guyane française, de la Martinique, de la Réunion, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des
Açores, de Madère et des îles Canaries, qui est aggravée par leur éloignement, l'insularité,
leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis
d'un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent
gravement à leur développement, le Conseil, sur proposition de la Commission et après
consultation du Parlement européen, arrête des mesures spécifiques visant, en particulier, à
fixer les conditions de l'application des traités à ces régions, y compris les politiques
communes. Lorsque les mesures spécifiques en question sont adoptées par le Conseil
conformément à une procédure législative spéciale, il statue également sur proposition de la
Commission et après consultation du Parlement européen.
« Les mesures visées au premier alinéa portent notamment sur les politiques douanières et
commerciales, la politique fiscale, les zones franches, les politiques dans les domaines de
v
l'agriculture et de la pêche, les conditions d'approvisionnement en matières premières et en
biens de consommation de première nécessité, les aides d'État, et les conditions d'accès aux
fonds structurels et aux programmes horizontaux de l'Union.
« Le Conseil arrête les mesures visées au premier alinéa en tenant compte des
caractéristiques et contraintes particulières des régions ultrapériphériques sans nuire à
l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique de l'Union, y compris le marché intérieur et
les politiques communes. »
Article 355 du traité instituant la Communauté européenne
« Outre les dispositions de l'article 52 du traité sur l'Union européenne relatives au champ
d'application territoriale des traités, les dispositions suivantes s'appliquent :
« 1. Les dispositions des traités sont applicables à la Guadeloupe, à la Guyane française, à la
Martinique, à la Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, aux Açores, à Madère et aux
îles Canaries, conformément à l'article 349.
« 2. Les pays et territoires d'outre-mer dont la liste figure à l'annexe II font l'objet du régime
spécial d'association défini dans la quatrième partie.
« (...)
« 6. Le Conseil européen, sur initiative de l'État membre concerné, peut adopter une décision
modifiant le statut à l'égard de l'Union d'un pays ou territoire danois, français ou néerlandais
visé aux paragraphes 1 et 2. Le Conseil européen statue à l'unanimité, après consultation de
la Commission. »
vi
2/ Questionnaire administré à l'île de la Réunion entre avril et juillet 2012
I/ PROFIL
1. Dans quelle ville êtes vous né ?
2. Si vous êtes né à la Run, y avez vous toujours vécu ?
3. Si né ailleurs, depuis combien de temps habitez-vous à la Run ?
4. Quel est votre CSP ?
– Agriculteur
– Artisans, commerçants, chef d'entreprise
– Cadres et professions intellectuelles supérieures (ds des entreprises ou administrations)
– Professions intermédiaires
– Employés (militaires, policiers ou employés des administrations et entreprises)
– Ouvriers
– Retraité
– Étudiant/lycéen
– Chômeur
5. En quel année êtes vous né ? 19
6. Êtes vous un homme ? Une femme ?
7. Quel est votre niveau d'étude ?
– Brevet
– CAP/BEP
vii
– Bac
– Bac +2/3
– Bac +4/5
– Docteur
– Autre : (précisez)
8. Appartenez vous à une religion ? Si oui, laquelle ?
OUI NON NE SAIS PAS
9. Etes-vous militant au sien d'une association ?
OUI NON NE SAIS PAS
II/ L'IMMIGRATION LÉGALE ET CLANDESTINE À LA RÉUNION
1. Etes-vous pour l'immigration ?
OUI NON NE SAIS PAS
2. Choisissez deux mots qui vous font penser à l'immigration :
- déplacement
- travail
3. Quelles sont vos sources d'informations sur l'immigration ?
• Internet
• Radio
• Télévision
(Précisez les sites, chaines et/ou émissions)
4. Discutez vous d'immigration avec vos amis ?
OUI NON NE SAIS PAS
5. Avec votre famille ?
viii
OUI NON NE SAIS PAS
6. Selon vous, de quelle nationalité sont la majorité des immigrés à la Réunion ?
7. Selon vous, les immigrés clandestins sont-ils nombreux à la Réunion ?
– Peu nombreux
– Moyennement nombreux
– Très nombreux
8. Selon vous, de quelle nationalité sont la majorité des immigrés clandestins à la
Réunion?
III/ LA MINORITÉ MAHORAISE À LA RÉUNION
1. À quelle(s) idée(s)/image(s) associez vous l'immigration mahoraise à la Réunion ?
(citez en 3 au maximum)
-
-
-
2. Depuis quand la minorité mahoraise est-elle visible selon vous ?
3. Si vous vous êtes intéressé à l'actualité ces dernières années, étiez-vous pour la
départementalisation de Mayotte ?
OUI NON NE SAIS PAS
ix
BIBLIOGRAPHIE
I. OUVRAGES
J.L. AMSELLE, 2001, Branchements : anthropologie de l'universalité des cultures, Paris,
Flammarion, 265 p.
P. CIBOIS, 2007, Les méthodes d'analyse d'enquêtes, Paris, Les Presses universitaires de
France, 127 p.
A.E. HOAREAU, 2010, Concepts pour penser créole, St Denis de la Réunion, Zarkansiel,
141 p.
F. LACPATIA, 1982, Les Indiens de la Réunion, 1ère partie : origine et recrutement, Saint
Denis, N.I.D., 104 p.
L. MEDEA, 2009, Kaf, étude pluridisciplinaire, Saint Denis, Zarlor édition, 235 p.
M.F. MOURREGOT, 2010, L'islam à l'île de la Réunion, Paris, L'Harmattan, 532 p.
B. POIRINE, 1995, Les petites économies insulaires. Théories et stratégies de
développement, Paris, L'Harmattan, 279 p.
P. ROSANVALLON, 2011, La société des égaux, Paris, Seuil, 427 p.
D. SCHNAPPER, 2007, Qu’est-ce que l’intégration ?, Paris, Gallimard, « folio », 240 p.
II. DÉCRETS, LOIS, ORDONNANCES
Loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la
Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française
Loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte
Loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte
III. ARTICLES
J. BENOIST, 2000, « Les mondes créoles comme paradigme de la mondialisation? », dans S.
ABOU et K. HADDAD dir., Universalisation et différenciation des modèles culturels,
x
Beyrouth, Aupelf-Uref/ Université St Joseph, pp. 96-104
W. BERTILE, 1987, « La Réunion sur la voie du développement? », dans Annales de
Géographie, t. 96, n°533. pp. 33-51
R. BOUDON, 2003, « Anomie », dans Encyclopedia Universalis, www.universalis.fr,
consulté le 12 mars 2012
L. LABACHE, 2009, « De la communauté réunionnaise en migration », dans L. MÉDÉA
dir., Identité et société réunionnaise, nouvelles perspectives et nouvelles approches,
Zarlor éd., pp. 89-107
L. MEDEA, 2003, « La construction identitaire dans la société réunionnaise », dans Journal
des anthropologues, n°92-93, pp. 261-281
B. POIRINE, 1993, « Le développement par la rente : une spécialisation internationale
logique et viable à long terme pour les économies micro-insulaires », dans Journal de la
société des océanistes, n°96, pp. 3-10.
C. PRUDHOMME, 1985, « L'immigration indienne à la Réunion : un modèle d'intégration
réussi? », dans Omaly Sy Anio, pp. 361-378
C. RAFIDINARIVO RAKOTOLAHY, 1998, « Empreintes de l'esclavage dans les relations
internationales de la zone océan Indien », dans Esclavage et colonisation, 150e
anniversaire de l'abolition de l'esclavage, Commission Culture Témoignage, Le Port, pp.
67-103
L. YU-SION, 2003, « Illusion identitaire et métissage culturel chez les « Sinoi » de la
Réunion », dans Perspectives chinoises [En ligne], 78 | mis en ligne le 02 août 2006,
consulté le 30 juin 2012. URL : http://perspectiveschinoises.revues.org/160
IV. ACTES DE COLLOQUES
Mouvements de populations dans l’océan Indien, 1979, actes du IVème colloque de
l’Association Historique Internationale de l’océan Indien, Paris, Champion, 459 p.
V. DOCUMENTAIRES
La Réunion : terre d'asile ou terre hostile ?, par Saïd Ali SAÏD MOHAMED, juin 2012
xi
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre Introductif..................................................................................................................1
PRÉAMBULE...................................................................................................................1
SECTION 1 – L'ÎLE DE LA RÉUNION, CADRE SPATIAL.........................................2
§1. Relief escarpé et inégalités entre les territoires................................................2
§2. Statuts juridiques : la persistance du statu quo institutionnel..........................3
§3. Une population dynamique et mobile..............................................................5
§4. Développement économique sur fond de crise sociale....................................6
SECTION 2 - L'IMMIGRATION A LA RÉUNION, CADRE THÉMATIQUE...............8
§1. Colons et esclaves............................................................................................8
§2. Les vagues successives d'immigration à la Réunion .......................................9
SECTION 3 – LE MULTICULTURALISME, CADRE THÉORIQUE ET ENJEU DE
PROBLÉMATIQUE........................................................................................................12
§1. Le multiculturalisme à la Réunion.................................................................12
A/ Définition...............................................................................................................12
B/ Une société multiculturelle construite par la colonisation et l'esclavage...............13
C/ Le multiculturalisme réunionnais : une troisième voie innovante.........................15
§2. Les Komors à la Réunion, une minorité culturelle rejetée............................17
A/ Les formes du rejet.................................................................................................17
B/ L'intégration en question........................................................................................17
C/ Problématique et plan.............................................................................................19
§3. Les apports de la recherche scientifique........................................................19
Chapitre 1 - méthodologie de l'enquête de terrain...............................................................21
PRÉAMBULE.................................................................................................................21
SECTION 1 - LA CONSTRUCTION DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN ......................23
§1. Questions de recherche..................................................................................23
§2. L'échantillon...................................................................................................24
§3. Le questionnaire-test, étape décisive dans la formulation du questionnaire
final........................................................................................................................25
A/ Le profil de l'enquêté.............................................................................................26
B/ L'immigration légale et illégale à la Réunion........................................................26
C/ La minorité mahoraise à la Réunion......................................................................27
xii
SECTION 2 - L'ADMINISTRATION DU QUESTIONNAIRE.....................................29
SECTION 3 - LA POPULATION OBSERVÉE, PREMIERS ÉLÉMENTS
D'ANALYSES.................................................................................................................30
§1. Le traitement des données brutes et l'analyse................................................30
§2. La sur-représentation de la religion catholique et des non-croyants..............31
§3. Un clivage fort entre les natifs de l'île et les résidents installés à la Réunion
depuis moins de neuf ans.......................................................................................33
Chapitre 2 – Le principe de redistribution à l'épreuve du multiculturalisme réunionnais
...................................................................................................................................................36
PRÉAMBULE.................................................................................................................36
SECTION 1 – L'ÉTAT-PROVIDENCE, UN SYSTÈME REDISTRIBUTIF EN
CRISE ?...........................................................................................................................38
§1. Évolution de l'État-Providence en France......................................................38
A/ Le solidarisme et l'avènement de l' « impôt-redistribution ».................................38
B/ De L'État-Providence assuranciel à l'État-providence assistanciel........................39
§2. Solidarité vs Assistanat..................................................................................41
A/ Entre solidarité et assistanat à l'échelle nationale : la légitimité des prestations
sociales à la Réunion en question...............................................................................42
B/ Les inégalités socio-économiques à l'épreuve de la solidarité réunionnaise..........43
SECTION 2 : L'ÉTAT-PROVIDENCE UNIVERSEL ET SOLIDAIRE FACE À LA
DIVERSITÉ.....................................................................................................................45
§1. La diversité contre la solidarité ?...................................................................45
A/ Une analyse récente en France...............................................................................45
B/ Les facteurs du processus de désolidarisation........................................................46
§2. La complexité de la diversité réunionnaise : entre fierté et sentiment de
concurrence............................................................................................................47
A/ Le sentiment de concurrence au sein des espaces de redistribution......................48
B/ La schizophrénie réunionnaise...............................................................................48
Conclusion................................................................................................................................50
Annexes......................................................................................................................................1
Bibliographie...........................................................................................................................10
xiii
RÉSUMÉ
Le racisme envers les komors (terme créole qui désigne les mahorais et les comoriens)
de la Réunion pose la question du modèle multiculturel qui vit aujourd'hui dasn cette île
française de l'Océan Indien. Un travail d'enquête mené au coeur de la société
réunionnaise révèle les dynamiques à l'oeuvre dans ce processus d'exclusion sociale.
Mots clés : multiculturalisme, île de la Réunion, komors, redistribution, diversité
xiv
xv
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