altina, la princesse à l'Épée - tome 1 - chapitre 4 : l ......
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Yukiya Murasaki
Altina, la Princesse à l’épée
Tome 1
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
Traduit du japonais par Skythewood Translations
Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub
1
CHAPITRE 4 : L’EPEE FOUDROYANTE
À la forteresse, toutes les discussions étaient tournées vers le
duel à venir. Comme on pouvait s’y attendre, la plupart pensaient
qu’il était impossible pour Altina de vaincre Jérôme… Alors
pourquoi la princesse avait lancé un tel défi ? Pensait-elle que le
Margrave reculerait si son adversaire était de sang royal ? Les
soldats colportaient rumeurs sur rumeurs.
« Est-ce qu'on aura droit à une mise en scène où le Margrave
se rendra après avoir reçu quelques coups ? Ceux qui s’en
prennent à la royauté sont punis par la peine de mort…
— Tu penses ça parce que tu n’as pas vu la scène sur la place
de rassemblement. Je me suis quasiment fait dessus quand j’ai
vu le général furieux.
— Oh, est-ce que ça va aller pour la princesse ?
— Le Margrave a dit qu’il la prendrait comme épouse, alors
il ne va probablement pas la tuer.
— Héhéhé… Quelle étrange manière de proposer un
mariage !
— Mouahahahah ! »
S’il s’agissait d’un vrai duel, Jérôme finirait vainqueur à
coup sûr. Tout l’enjeu était donc de savoir si le duel était réel ou
si ce n’était qu’une simple farce. Si celui-ci était réel… Alors
qu’infligerait Jérôme à la princesse ? Beaucoup ne voyait ce défi
que comme un conte où « la princesse, à l’abri dans son palais,
s’opposait au héros ».
Altina, la princesse à l’Épée
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Mais même ainsi, une question demeurait en suspens :
comment le Margrave allait-il gérer cette situation ? Allait-il
épouser ou non la princesse ? Toute cette histoire était devenue
le centre d’attention de la forteresse.
Régis était en train de faire le tour du secteur ouest et écoutait
tous les bruits de couloir.
« Bon, il n’y a définitivement personne pour croire à la
victoire d’Altina. »
La majorité des soldats pensaient que le Margrave et la
princesse occupaient les rôles principaux et qu’ils n'étaient que
des personnages secondaires. Mais il n’en était rien, ces soldats
discutant des rumeurs avec enthousiasme avaient un rôle bien
plus important à jouer. Altina avait provoqué le défi pour gagner
la confiance des soldats. Et Jérôme avait accepté parce que les
soldats le regardaient. Comment les 3 000 soldats du régiment le
ressentaient ? C’est ce qui préoccupait Régis pour l’heure.
Malgré lui, Régis pensait encore qu’il avait le devoir de
convaincre Altina d’abandonner son idée de duel. Il voulait se
rendre utile, alors il avait besoin d’avoir le ressenti des troupes à
propos de tout ça.
Régis retourna à la tour centrale après avoir arpenté une
grande partie de la forteresse. Il se rendit ensuite à la chambre de
Jérôme. Il se sentait nerveux. Son cœur battait à une vitesse qui
l’alarmait. Il frappa à la porte peinte en noir.
« Qui est-ce ? » demanda une petite voix derrière la porte.
Régis déglutit.
« C’est Régis. J’ai quelque chose à vous dire, Messire
Jérôme, et c’est la raison de ma venue.
— Ah… C’est encore pour un truc chiant.
— C’est probablement le cas…
— Entre. »
Jérôme ouvrit la porte. C’était une pièce d’à peu près la
même taille que celle de Régis. Ses appartements se trouvaient à
côté, derrière une autre porte au bout de cette pièce. Un bureau
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était placé devant cette porte, les étagères dans le coin étaient
pleines de livres ayant trait à l’économie et au droit.
Jérôme se situait au milieu de la pièce, tenant une courte et
lourde lance. Il était torse nu et couvert de sueur. La pointe de la
lance était couverte d’une espèce de boule qui semblait lourde.
Régis n’en restait pas moins intimidé par la prestance de Jérôme.
Il était là, silencieux.
« Hahaha… Es-tu ici pour m’empoisonner sur les ordres de
la gamine ?
— Si vous êtes inquiet à ce sujet, vous devriez plutôt faire
attention à Mlle Clarisse.
— Ah, en effet ce n’est pas à exclure. Elle en serait vraiment
capable… Elle a l'air d'être une femme sympathique, mais sa
personnalité gâche tout. Quel dommage.
— Je veux vous parler du duel…
— C’est inutile de dire quoi que ce soit désormais.
— Vous avez raison… »
Régis soupira. Si Jérôme n’avait pas été motivé, il aurait
encore pu annuler ce duel. Mais Jérôme semblait gonflé à bloc.
Tellement motivé qu’il avait immédiatement commencé à
s’entraîner pour l’occasion.
« Pff… Je ne pensais pas qu’elle me défierait de manière
aussi directe. Je pensais qu’elle allait paresser et se plaindre
jusqu’au jour où elle serait mariée à un aristocrate de haut rang.
Un déchet qui lui aurait fait perdre le reste de sa vie… On dirait
que j’ai eu tort.
— Si elle se destinait à une vie tranquille, alors ça
m’arrangerait.
— Qu’est-ce qui ne va pas, petit ? Tu crois que la gamine
peut me battre ?
— Du tout. Et il n’y a pas que moi, c’est le consensus parmi
les soldats. Seule la princesse pense qu’elle a une chance. »
Jérôme secoua la tête. Il brandit la lourde lance
d’entraînement. Les muscles de son bras et de son torse
frémissaient, ruisselant de sueur.
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« Ah… C’est faux.
— Vous voulez dire que…
— Je ne nie pas la force de la petite. Ce serait idiot de sous-
estimer quelqu’un qui peut manier une épée aussi massive.
— Je vois. »
Il prend tout ça très au sérieux, pensa Régis qui soupirait
intérieurement. Régis ne comprenait rien des prouesses
martiales, et ceux peu importe à quel point il observait. Les
mouvements de Jérôme maniant la lance d’entraînement étaient
trop rapides. Rien que de le suivre des yeux était difficile.
Jérôme allongea sa lance et dit : « Cette épée est un vrai
problème… Les épées et lances casseront si j’essaye de la
bloquer avec. Je ne peux en changer pendant le combat, alors ce
sera ma perte si mon arme se brise.
— En effet.
— La gamine avait probablement ça en tête quand elle a dit
qu’elle pouvait gagner. Elle va très probablement utiliser le
Quatuor Foudroyant de l’Empereur.
— J’ai entendu dire que vous possédiez une puissante lance
capable de combattre cette épée ?
— Ouais… Mais elle est faite pour être utilisée à cheval. Elle
est difficile à manier une fois à terre.
— Vous ne prévoyez pas de monter votre cheval ?
— Sur la place ? C’est risible. La cavalerie doit combattre
uniquement en plaine… Elle y a bien réfléchi. Je ne peux pas
utiliser ma puissante lance ou mon fidèle destrier. Et ce n’est pas
non plus un assaut que je maîtrise à la perfection. La gamine
pourrait bien être meilleure.
— Je ne pense pas qu'un tel désavantage puisse changer le
résultat. »
Plus encore, Régis sentait les chances de gagner d’Altina
fondre. Il pensait que si Altina voulait avoir la moindre chance,
il fallait que Jérôme prenne ce duel à la légère vu le fossé qui les
séparait. Il espérait qu’il se soûle avant le combat ou autre. Mais
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Jérôme ne laissait rien au hasard. Des désavantages si mineurs
rendraient un adversaire ordinaire simplement vigilant.
L’intention d’Altina n’était pas claire, mais c’était vraiment
un choix stratégique peu avisé.
« Eh Régis… Tu ne serais pas en train d’espérer que je
perde ?
— Pourquoi le penserais-je ?
— Tu ne serais pas ici si tu espérais que je gagne. Tu serais,
le sourire aux lèvres, en train de discuter des rumeurs avec les
troupes. Ne t'en fais pas, tu vas probablement continuer à faire le
travail administratif que tu affectionnes.
— Je dois corriger deux choses.
— Lesquelles ?
— J’ai l’espoir d’aboutir à une solution pacifique. »
Altina serait un pas plus près de réaliser son ambition si elle
gagnait. Mais elle s’approchait également du bord d’une falaise
très dangereuse. Régis pensait qu’il se devait de trouver une
porte de sortie, même si c’était au détriment des envies d’Altina.
« Hahaha… Je crois qu’il n'existe pas de place pour la paix
sur la ligne de front.
— Une autre chose que je souhaite corriger… Je n’aime pas
particulièrement le travail administratif. À qui penses-tu que je
dois imputer mon manque de sommeil de ces derniers jours ? »
Régis avait oublié inconsciemment de respecter l’étiquette et
avait tutoyé le Margrave. Il avait prévu de masquer ses émotions,
mais toute sa rancune s’était échappée d’un coup. Jérôme le
regarda les yeux grands ouverts et éclata de rire.
« Hahaha ! Désolé pour ça ! Je vais donc corriger ce que j’ai
dit : je vais gagner à coup sûr et tu t’occuperas de faire le travail
administratif que tu détestes ! Pour moi !
— C’est trop méchant. » répondit-il, les épaules tombantes.
Jérôme changea de ton et parla moins fort : « Dis-moi,
Régis… tu l’as remarqué, n’est-ce pas ?
— Vous parlez du budget ? »
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Jérôme hocha la tête, silencieux. Régis sentit un frisson le
long de son cou. Il avait découvert quelque chose après avoir
feuilleté les volumes de documents.
« La vraie raison pour laquelle vous avez chassé les
officiers… c'est que vous ne vouliez pas qu'ils découvrent que
vous manipuliez le livre de comptes.
— C’est bien ça.
— Pourquoi me faites-vous confiance ?
— Parce que… Tu n'as pas besoin de le savoir.
— Quand nous nous sommes vus la première fois, vous avez
essayé de me soudoyer, puis m’avez menacé d’une fourche. Est-
ce là la raison ? »
Une partie du budget du régiment frontalier de Beilschmidt
n’était pas divulgué au Département militaire. L’usage de ces
fonds n’était pas spécifié. Mais si quiconque examinait le cas de
Jérôme, il pourrait comprendre.
Jérôme sourit d’un air satisfait.
« En fait… cette question a été mise en suspens depuis que
tu es occupé avec la paperasse.
— Est-ce lié à ma commandante ?
— N'en parle pas à la gamine. Après le duel dans trois jours,
le petit drame entre elle et moi sera terminé. Et tu travailleras
sous mes ordres. »
Régis avait l’air mécontent.
« Je ne pense pas être assez précieux pour que le Margrave
se préoccupe de moi.
— Ne va rien t’imaginer. Tu es juste un lot complémentaire.
Se débarrasser de la commandante au titre vide de sens, la
famille Beilschmidt qui se marie avec une personne de la famille
royale… Et toi, tu es la cerise sur le gâteau.
— Ah… Alors c’est donc ça, je suis la cerise. »
Il était peut-être juste une mise auxiliaire, mais Régis n’était
vraiment pas à l’aise à l’idée d’être le sujet de motivation d’un
combat. Le Margrave ne prenait pas la chose à la légère. Il était
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gonflé à bloc pour le combat et confiant en sa victoire. Il avait
ses propres objectifs.
Régis pris sur lui pour cacher ses inquiétudes. Ça va être
violent. Altina, pourquoi as-tu provoqué un tel duel ?
Il lui restait des choses à faire, peu importe le résultat du duel
prévu dans trois jours. Si les commissaires aux comptes venaient
à visiter le régiment et regardaient l’état des livres de comptes,
les comptables et les commandants seraient réprimandés. Quand
bien même le commandant n’ait qu’un titre vide, ça augmenterait
les chances que les secrets soient découverts.
Après avoir quitté la chambre de Jérôme, Régis retourna en
vitesse finir le travail administratif. La fatigue l’ayant rattrapé à
plusieurs reprises, il perdit du temps à la tâche, mais il réussit
finalement à boucler les documents et à les sceller. Régis quitta
ensuite sa chambre.
Le soleil était haut dans le ciel. La matinée était nuageuse,
mais le temps était suffisamment clément pour faire fondre la
neige. Il faisait assez chaud pour ne pas avoir à porter un
manteau.
Une foule entourait la porte Sud. Le courrier était arrivé. La
plupart de ceux que l'on voyait heureux d'avoir reçu une lettre,
étaient des chevaliers. La majorité des soldats était illettré et
envoyait donc rarement des lettres.
« Le chariot s’en va… »
Une cloche sonnait bruyamment. Régis accourut.
« Attendez ! Arrêtez-vous, s’il vous plaît ! Je serai bien
embêté si elle n’est pas envoyée ! »
Le coursier venait une fois par semaine. Régis se plaça
devant le chariot et remit le colis au coursier.
« Mais c’est… C’est pour le Département militaire ? Eh mec,
n’y a-t-il pas un coursier spécial pour les documents militaires ?
— Ce sont des documents urgents, ce serait très mauvais s’ils
n’étaient pas envoyés. C’est une lourde responsabilité, mais je
vous la confie.
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— Houlà ! Nous sommes des coursiers civils, on ne fait pas
dans le militaire ! Tu dois envoyer un messager spécial pour
délivrer quelque chose d’aussi important.
— Messire Jérôme n’aime pas envoyer ses soldats pour livrer
des documents, ce qui ne m’aide pas.
— Hmm, le Département militaire a ses bureaux à la
capitale, j’imagine que je peux y faire un saut.
— Merci infiniment. »
Régis lui donna une pièce de monnaie de cuivre en
remerciement. Le coursier sourit et entreposa le colis dans son
sac postal.
Je vais réclamer le remboursement, en tant que dépense de
fonctionnement, décida Régis qui était financièrement un peu
juste.
Le coursier s’en alla à travers la porte Sud.
Régis pouvait finalement dormir. Il bailla longuement. Il
entendit un gloussement à côté de lui. Il se retourna et vit Clarisse
portant une grande pile de draps s’approchant de lui.
« Vous semblez fatigué.
— Ah… S’occuper de la paperasse est un calvaire, et des
affaires que je ne peux ignorer n’arrêtent pas de s’imposer à moi.
— Vous parlez de la princesse ? Vous n’avez pas besoin de
vous inquiéter à ce propos.
— Avez-vous un peu de temps à me consacrer, maintenant ?
— Quelle idée de croire que j’ai tout mon temps ! »
Clarisse pinça un coin de ses lèvres alors qu’elle tenait une
grande quantité de linge entre ses mains.
À la capitale impériale, les vêtements étaient lavés avec du
détergent, mais à la forteresse, la lessive était habituellement
faite en utilisant de traditionnelles planches à laver. Par ici, le
détergent était considéré comme un bien de luxe.
« Désolé, vous semblez bien occupée… Mais c’est rare de
vous voir faire la lessive à une telle heure. D’habitude, vous le
faites le matin.
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— C’est parce que du lait a été renversé sur la nappe. Si je
ne la lave pas maintenant, elle va sentir mauvais.
— Ah, je vois. C’est vous qui l’avez renversé ?
— Non. C'est juste que j’étais libre à ce moment-là. Si ça ne
vous dérange pas de me parler pendant que je fais la lessive, alors
je peux écouter ce que vous avez à dire.
— Pas de souci. Laissez-moi en prendre la moitié pour vous
aider. »
Clarisse sourit malicieusement quand Régis tendit les bras.
« En êtes-vous certain ?
— Je suis peut-être faible, mais aider une femme à porter la
moitié de son linge doit être dans mes cordes.
— Ce n’est pas ce que je veux dire. C’est taché avec du lait,
d’accord ?
— Ah… Mais qu’importe. J’essuierai avec un chiffon
humide plus tard.
— Hihihi… »
Clarisse remit un drap légèrement humide à Régis. Il sentait
le lait. Régis se dirigea vers la buanderie en compagnie de
Clarisse. Pour une servante, la lessive était une corvée aussi
pénible et importante que la cuisine ou le nettoyage.
Dans un coin du secteur ouest, où les soldats résidaient, se
trouvait un lieu un peu en-dessous du niveau du sol. La neige
fondue s’y écoulait au travers des conduites, alimentant les dix
lavoirs.
Clarisse mit le linge dans l’eau. Elle le trempa autant que
possible, afin d’enlever un maximum de saleté. Ses fines mains
pâles devinrent rouges immédiatement après avoir plongé dans
l’eau glacée.
« Brrr…
— Laissez-moi vous aider.
— Ça va aller. Vous vouliez me parler de la princesse ?
— En effet… Mais je vous vois occupée à une tâche pénible
alors que je ne fais que parler. Ça me met mal à l’aise.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
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— Quelle étrange réaction. C’est ce qu’on appelle le statut
social.
— Si je suis votre logique, donner un coup de main lorsque
j’en ai envie correspond à mon statut social. Je dois faire comme
ça ? »
Régis prit une nappe de la pile de linge et l’immergea dans
l’eau, imitant Clarisse.
« Ouah ! »
Ses mains souffraient de l’eau gelée.
« Vous êtes vraiment… Retirez vos mains de l’eau de temps
en temps quand vous lavez. Vous aurez des engelures si vous
trempez vos mains trop longtemps.
— Ah, c’est donc ça. Tout va bien pour vous ?
— J'ai l'habitude.
— Je vois.
— Quand je lave beaucoup de linge le matin, j’utilise la
casserole là-bas pour y faire bouillir de l’eau. C’est aussi utile
pour me réchauffer les mains que pour enlever des taches
facilement. »
Il y avait une grosse casserole dans le coin de la buanderie.
Régis comprit de suite. C’était impossible de laver autant de
linge sans faire bouillir de l’eau. Un débutant comme lui souffrait
juste en lavant un seul linge.
« Vous ne faites pas bouillir d’eau aujourd’hui ?
— Il n’y a pas grand-chose à laver. C’est tout ce dont vous
vouliez me parler ?
— Pas vraiment, je commence tout juste… Aïe… »
Régis massa ses doigts qui souffraient du froid afin de
réchauffer ses mains. Mais les taches ne partaient pas. Alors
Régis répéta les trois étapes : laver le linge, retirer ses mains et
les frotter pour les réchauffer.
« Est-ce que ça va ?
— Glagla… Pourquoi Altina a provoqué un duel à un
moment pareil ?
Altina, la princesse à l’Épée
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— La princesse n’a probablement pas réfléchi aussi loin.
C’était quelque chose qui lui trottait dans la tête depuis quelques
temps.
— C’était trop précipité. »
Il réussit finalement à enlever l’odeur de lait de la nappe. Une
grande portion de la nappe devint lentement jaune, celle qui était
marron était devenue blanche.
« Mais ça va bien se passer si c’est l’idée de la princesse.
— Je sais qu’il est trop tard pour qu’elle abandonne… Mais
je ne pensais pas que vous seriez si optimiste.
— Ne faites-vous pas confiance à la princesse, M. Régis ?
— Je n’ai pas le talent de reconnaître les compétences
guerrières d’un individu. Mais en y pensant de manière
objective, il est impossible qu’Altina gagne. Si Messire Jérôme
était du genre à perdre contre une petite fille inexpérimentée de
14 ans, il serait mort sur le champ de bataille il y a déjà
longtemps de ça.
— Je vois, des gens interprètent les choses ainsi.
— S’il est différent, expliquez-moi votre point de vue… »
Clarisse sortit la nappe de l’eau gelée. On entendait le son de
l’eau éclaboussant le sol à travers toute la buanderie.
« La princesse m’a dit toute joyeuse : « Il n’y a pas de quoi
s’inquiéter ».
— Vous ne cherchez même pas à avoir un argumentaire
réfléchi. Ce que vous « croyez » et les « faits » sont très
différents.
— Dans ce cas, que prévoyez-vous de faire ?
— Il n’y a probablement aucune mesure appropriée à
prendre. »
Après avoir fini la lessive, corvée à laquelle il n’était pas
habitué, Régis fit ses adieux à Clarisse et se dirigea vers sa
chambre.
Son pas était-il hésitant à cause du manque de sommeil ou
était-ce parce qu’il avait trop de problèmes en tête ?
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
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Il entendit le son d’une épée fendre l’air dans la cour. C’était
Altina qui maniait un grand fauchard1. Altina balançait le
fauchard d’une main comme une brindille, alors même que deux
mains étaient habituellement requises pour le manier. Une fille
normale ne pourrait jamais faire une chose pareille. Altina
bénéficiait d’une force spectaculaire dans son bras, qui ne
correspondait pas du tout à son apparence.
Elle avait probablement remarqué la présence de Régis.
Altina lui sourit.
« Eh, tu veux essayer ?
— Je ne le veux pas et ne le peux pas. Loin de moi l’idée de
m’en vanter, mais…
— Tu ne peux même pas le soulever ?
— Probablement... »
Régis haussa les épaules alors qu’Altina souriait
maladroitement. Elle recommença à faire ses mouvements.
« Tu es… incroyable.
— C’est juste la force de mon bras… J’ai confiance en lui.
Je maniais des épées d’adultes quand j’étais toute petite.
— Eh bien, il n'y a pas que ça… Mais pour gagner contre
Jérôme, franchement… Je veux dire… Ça ne sera pas trop
difficile ?
— Bien sûr que si. Si on pouvait facilement le battre, nos
ennemis ne connaîtraient pas des temps si difficiles.
— As-tu un plan en tête ? Tu as été suffisamment confiante
pour le défier. »
Régis pariait sur cette mince chance. Altina le regarda d’un
air déconcerté.
« Quel plan ? Un duel n’est-il pas juste remporté par le plus
fort ?
— Ah… Tu ne réfléchis donc vraiment à rien… Il y a des
préparatifs que tu peux faire pour augmenter tes chances de
victoire.
1 Fauchard : Arme d'hast, dérivée de la faux.
Altina, la princesse à l’Épée
14
— Eh, je ne suis pas stupide !
— Alors t’y as réfléchi ?
— La lance est plus adaptée pour frapper en premier. Après
avoir été bloquée, je dois faire attention aux attaques car mon
épée est lourde. Est-ce que lui donner un coup de pied dans le
genou quand il compte reculer est contre les règles ? »
Régis soupira de désespoir.
« Mais… Tu prévois vraiment de le combattre à la loyale ?
— Si je ne remporte pas ce duel à la loyale, cela n’aurait
aucun sens. Mon objectif n’est pas seulement de gagner.
— Hein ?
— Mon objectif est de prouver que je suis la plus forte. Je ne
gagnerai pas la confiance des soldats si je ne gagne pas à la
loyale. Et la tienne non plus. », expliqua calmement Altina.
Régis ne put que reconnaître qu’elle avait raison.
« Mais il n’est pas quelqu’un que tu peux vaincre sans plan.
— Gagner avec un plan n’aurait pas plus de sens.
— Ah, hmm…
— Est-ce que tu penses à quelque chose en particulier ? »
Altina le regardait de manière intense. Régis détourna son
regard.
« Il y a de nombreuses manières de faire quelque chose sans
que les autres ne le remarquent, non ? Comme réfléchir la
lumière du soleil dans ses yeux, par exemple avec du verre, ou
avec des pièges au sol. »
Après avoir dit cela calmement, le sifflement du vent se fit
entendre.
Le fauchard s’écrasa dans un bruit fracassant juste à côté du
pied de Régis. Il avait fait une profonde entaille dans le sol.
« Te fous pas de moi !
— Eh oh, Altina ?
— Oh… Désolée. J’étais trop nerveuse…
— Moi aussi ! » répondit Régis. « Mes excuses, je ne voulais
pas t’énerver.
— Oui, je sais.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
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— Je comprends que tu veuilles un duel à la loyale. Mais
l’objectif n’est pas toujours atteint après une série de victoires.
Nous avons parfois besoin de prendre des chemins détournés. »
Comme on pouvait s’y attendre, c’était trop cruel pour une
gamine de quatorze ans. En réalité, Altina, qui était la quatrième
princesse, n’avait aucune chance d’hériter du trône. L’unique
manière pour elle de s’en emparer serait de l’usurper. Mais Altina
avait un cœur juste et pur, alors elle n’emprunterait pas un tel
chemin boueux jonché de morts.
Ses yeux ne pouvaient qu’entrevoir un chemin juste et
propre. C’était donc à Régis de jouer le rôle du méchant. Il serra
ses poings. Des petites mains blanches se posèrent sur les siennes
à cet instant.
« Hein ? »
Ses doigts, encore chauds d'avoir manié le fauchard,
caressaient ceux de Régis. Altina s’était retrouvée à ses côtés
avant qu’il ne s’en rende compte. Elle leva la tête pour regarder
Régis. Ses magnifiques yeux vermeils le fixaient intensément.
« Je sais que tu t’inquiètes pour moi. Je sais aussi que tu sais
beaucoup de choses.
— Oui, je suis inquiet… Mais je ne sais rien
d’extraordinaire…
— Je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée de penser
tactique. Mais parfois, il nous faut faire face à l’adversité sans
détour.
— Tu veux dire que c’est le scénario retenu ici ?
— Oui. Tu peux faire ça ? »
Régis ferma les yeux. Il feuilletait les livres dans son esprit
et en extrayait les connaissances utiles. Mais il décida finalement
d’en faire fi.
« Si je t’aide à remporter ce duel avec un plan… tu ne suivras
plus le chemin vertueux que tu empruntes. Tu perdrais ta voie et
tu ne deviendrais que le pion d’autrui.
— Euh… Je ne comprends pas tout, mais mon instinct me dit
que je dois me battre et gagner à la loyale !
Altina, la princesse à l’Épée
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— Je dois te faire confiance ?
— Je vais te prouver que j’en suis digne. Attends un peu et
constate ! »
Altina frappa son poing contre la main de Régis qu’elle
tenait. Régis acquiesça de la tête, dans un signe de véritable
amitié.
Pour l’heure, une stratégie ne serait pas efficace et aurait
même des conséquences néfastes. Cependant, il ne pouvait rester
planter là à ne rien faire.
Régis frotta ses yeux lourds de sommeil quand il arriva au
réfectoire des officiers. Mais la personne qu’il cherchait n’y était
pas, alors il se dirigea vers les écuries. Alors qu’il errait dans les
écuries, la personne qu’il cherchait le salua de manière fort
bruyante.
« Oh, M. Régis !
— Vous êtes là, Commandant Evrard…
— Je vous cherchais justement !
— Est-ce que vous… me cherchez au sujet de la
princesse ? » lui demanda Régis.
« Hum ? Vous voulez dire pour le duel ? Hahaha ! Je savais
que ça allait se produire tôt ou tard, mais je ne pensais pas que la
petite allait le faire à un moment pareil ! J’ai été très surpris !
— Vous saviez que ça allait se produire ?
— Elle avait besoin d’agir pour mettre fin à cet encombrant
statu quo.
— Euh…
— Et la seule manière qu’elle connaisse est de le faire à
l’épée ! »
Régis secoua la tête de dépit. Ça signifiait que la manière de
penser d’Altina n’était pas différente de celle de ce commandant
des chevaliers ultra-musclés.
Du moins, lorsqu’ils maniaient une épée. Sa tête lui faisait
mal. Non, c’était précisément pour cette raison qu'elle avait
besoin de Régis en tant que stratège.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
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« Pourquoi cela a-t-il donc tourné ainsi… » lâcha Régis. « Le
vainqueur est déjà tout désigné…
— Hahaha ! M. Régis, vous savez bien parler ! Comme on
peut s’y attendre d’un tacticien !
— Faux. Je ne suis pas tacticien.
— Oh ? N’avez-vous pas proposé un excellent plan pour
coincer les bandits ?
— Non, ça c’est juste parce que… La princesse m’a demandé
d’expliquer ce que je savais… Je n’ai pas les compétences pour
mettre au point des plans de bataille.
— Où est le problème ? Utiliser un savoir que les autres
n’ont pas est une bonne manière de contribuer.
— Ah… »
Mais que se passerait-il si son savoir faisait défaut à un
moment critique ? C’est dans ces moments-là qu’ils auraient
besoin d’un vrai tacticien et de sa sagesse. Comme pour la
situation actuelle…
Evrard donna une grande tape dans le dos de Régis. L’impact
le fit sortir de ses pensées.
« Ça fait mal ! » s’exclama Régis.
« Grâce à toi, la vie d’honnêtes gens a été sauvée.
— Ah ?
— Mon petit-fils ! Il faisait partie de l’armée du Marquis
Thénezay et a été secouru quand ils ont été vaincus.
— Eh bien, le quartier général a été anéanti après une attaque
sournoise, mais la majorité de nos forces a pu s'échapper. Mais
je ne pense pas que ce soit grâce à moi…
— Vous parlez des personnes qui s’en sont tirées de justesse
face à l’attaque des barbares ?
— Oui.
— Mon petit-fils était avec vous dans l’armée de réserve
quand vous avez été envoyés à l’arrière du contingent principal.
— Ah, il était dans l’armée de réserve.
Altina, la princesse à l’Épée
18
— Au final, il n’est pas ressorti honteux après cette défaite.
Il a plutôt été loué pour avoir aidé ses camarades tombés à
s’échapper. »
Régis se remémorait ce qu’il s’était passé. Ce souvenir lui
était douloureux. « Avant même d'avoir remarqué leur attaque
sournoise, le quartier général était déjà en feu… Alors j’ai
suggéré de ne pas aller à leur secours, mais de préparer la contre-
attaque… Mais c’était tout ce que nous pouvions faire.
— Ne soyez pas modeste. Le quartier général était détruit et
l’armée en déroute. La raison principale qui explique que
l’armée n’a pas été anéantie est l’intervention de l’armée de
réserve pour stopper l’avancée des barbares, sous le
commandement de l’officier administratif de cinquième classe
Régis Auric.
— Je ne commandais rien du tout. La réserve comptait des
officiers de combat de haut rang, c’est eux qui ont fait tout le
boulot.
— Ce n’est pas ce qui y est dit. »
Evrard lui tendit une lettre. Régis la prit.
Le petit-fils d’Evrard avait écrit de manière extrêmement
formelle ce qu’Evrard venait de dire : comment il avait été sauvé
par les efforts de Régis lorsque l’armée du Marquis Thénezay
était en déroute. Il mentionnait également comment Régis avait
secouru de nombreux autres soldats. Ainsi que comment il avait
découvert que Régis avait dû assumer toute la responsabilité en
tant que seul survivant du quartier général et qu’il avait été banni
à la frontière. Et ainsi de suite…
« Pour vous rembourser sa dette, mon petit-fils est volontaire
pour rejoindre ce régiment. Bonne nouvelle ! C’est une bonne
manière de vivre sa vie !
— Mais ce n’est pas possible ! Le taux de survie de ce
régiment est, certes, un petit peu supérieur aux autres lignes de
front… Mais être affecté à la capitale le multiplierait par dix.
Pourquoi serait-il volontaire pour venir ici ?
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
19
— Mon petit-fils veut probablement vous protéger de tout
danger.
— Je ne le mérite pas.
— Hahaha ! Vous dites des trucs bizarres. Seul celui qui
risque sa vie comprend pourquoi il la fait ! »
Régis dut reconnaître que l’affirmation d’Evrard était
probablement vraie. Mais il ne pensait pas pour autant avoir
sauvé de nombreuses vies, ou que sa vie méritait d’être protégée.
« Commandant Evrard, pouvez-vous vraiment l’accepter ?
Accepter que votre petit-fils chéri soit volontaire pour être
affecté à une position si dangereuse ?
— Si c’est ce qu’il veut, je ne peux rien y faire.
— Suis-je digne de sa protection ?
— Hmm… Étant donné ma situation, je ne peux pas le lui
reprocher. »
Evrard afficha un sourire satisfait. Régis, lui, penchait la tête,
ne comprenant pas où il voulait en venir.
« Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire que si mon petit-fils meurt de manière stupide
à cause de votre incompétence, alors je viendrai vous parler
« responsabilité » avec ma hallebarde !
— Vous êtes en colère ?
— Je ne suis pas furieux.
— Ce que vous dites n’a aucun sens ! »
Régis aurait dû se sentir heureux que quelqu’un de son
ancien régiment lui soit reconnaissant. Mais à cause de lui, Régis
sentait que son espérance de vie s’était encore raccourcie. Enfin
bref.
« Laissons ça de côté pour l’heure… Je voulais vous parler
de la princesse.
— Oui ?
— Pensez-vous que la princesse peut gagner ?
— Ce serait déjà formidable si elle pouvait endurer dix
coups, vous ne pensez pas ? »
Altina, la princesse à l’Épée
20
Evrard jugeait que Jérôme gagnerait en dix coups. Voilà à
quel point l’écart entre leurs prouesses au combat était grand.
« Cela pourrait aller à l’encontre du code de la chevalerie…
mais puis-je vous demander de sauver la princesse si elle se
retrouvait en très mauvaise posture ?
— Oh ? Dites-moi à quoi vous pensez. »
***
Trois jours plus tard.
La cloche de midi était sur le point de retentir. Un grand
nombre de soldats étaient déjà réunis sur la place de
rassemblement. La neige n’avait pas cessé de tomber depuis le
matin. Si le vent s’en mêlait cela tournerait au blizzard. Mais
aucun des deux camps n’avait prévu de repousser le duel à cause
du mauvais temps.
Régis était dans la chambre d’Altina. L’incident qui s'était
produit quelques jours auparavant était oublié. Elle attendait
calmement son duel, assise sur une chaise élégamment décorée.
Elle portait des protège-bras, des genouillères et une armure au-
dessus de sa robe. Un service à thé était disposé sur la table.
« Tu n’as pas l’air d’aller bien, Régis.
— Tu en seras l’unique responsable si je tombe malade pour
m’être trop inquiété, Altina.
— Ce n'est pas toi qui vas te battre, alors respire. D’accord ?
— Penses-tu vraiment que tu peux gagner ? Contre le « héros
d’Erstein » ?
— Sans aucun doute ! Je n’arrête pas de le répéter. Mais vous
ne me croirez pas tant que je ne vous l’aurai pas prouvé.
— Faire des paris aussi osés sur son propre avenir… »
Altina se leva. Elle faisait une tête de moins que Régis, mais
son aura la rendait suffisamment grande pour qu’il ait à lever les
yeux.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
21
« Si je suis inutile même dans un endroit sans violence,
comment puis-je être impératrice ?
— Tu n’en serais pas capable… Mais il y a en ce monde une
notion qu’on appelle « la gestion du risque »…
— Il y a beaucoup de choses en ce monde que tu ne peux
réussir sans être victorieux.
— Tu te précipites trop.
— Tu ne me croiras pas, quoi que je fasse. »
Altina sourit timidement. Régis, lui, était stupéfait. Devait-il
croire qu’Altina gagnerait, quand bien même elle n’avait aucun
autre camarade sur qui se reposer ?
Tu perdras quelque chose d’irremplaçable si, guidée par tes
émotions, tu prends une mauvaise décision. Pensa Régis. C’était
les mots du Marquis Thénezay. Je ne peux plus me permettre
d’échouer.
Jamais il n’oubliera son erreur : il aurait dû faire sa
suggestion une troisième fois et oublier la fierté mal placée des
nobles. Le savoir seul ne suffit pas. Il faut agir. Ce fait était gravé
en son cœur.
« Comptes-tu m’arrêter ? Se pourrait-il que tu prévoies de
t’enfuir avec moi ? Ce serait très romantique ! » dit Altina.
« Je ne peux pas faire ça. J’y ai pensé, mais tu es
suffisamment forte pour que Jérôme soit sur ses gardes. S’enfuir
avec toi sans provoquer une révolte est impossible. Et si tu étais
du genre à t’enfuir, tu aurais déjà stoppé ce duel.
— Tu as raison. C’est dommage que le romantisme n’ait pas
sa place.
— Mais j’ai bien réfléchi à une option si tu venais à
perdre… »
Elle fronça les sourcils.
« Et quelle est-elle ?
— Je retarderai Jérôme et pendant ce temps-là, tu
t’échapperas de la forteresse avec un certain chevalier. Mais je
ne peux pas te dire qui est ce chevalier… »
Altina, la princesse à l’Épée
22
Régis s’était préparé à ce qu’Altina soit en colère pour avoir
planifié sa fuite en cas de défaite. Mais elle se mit plutôt à rire
de manière inattendue. Elle se tenait le ventre tellement elle riait.
« Non, non… Hahahaha… Régis, t’es trop fort ! Hahahaha !
T’as vraiment cru que j'allais perdre ! Aaaah… On arrête cette
blague, d’accord ?
— Je me sens mal de t’infliger ça. Mais la relation que
j’entretiens avec toi et mon jugement objectif sont deux choses
différentes. Je me dois de faire les préparatifs nécessaires dans
l’éventualité du pire scénario…
— Hahahaha, t’as raison ! Je pense que tu m’es nécessaire
parce que tu es justement ce type de personne. C’est le
discernement d’un stratège.
— Pas le discernement d’un stratège. C’est… que…
Comment devrais-je l’appeler ? »
C'était trop de responsabilités pour un sous-officier
administratif de cinquième classe. Du coup, en tant qu’ami
d’Altina ? Quand était-il devenu ami avec la « commandante »
Altina ? Penser qu’il était son ami parce qu’il était autorisé à
s’adresser à elle par son surnom était trop présomptueux. Régis
était troublé et devint silencieux.
Altina rigolait si fort que ses épaules en tremblaient. Son rire
était tellement fort qu’elle en eut le souffle coupé.
« Haha… J’ai cru que j’allais mourir de rire avant le duel. Je
ne pensais pas que tu avais prévu ma fuite en cas de défaite…
Ah… T’es trop fort.
— Je ne vais pas chercher d’excuse. Je ne crois pas que tu
puisses gagner. »
Régis l’avoua, une fois de plus. Altina n’était pas en colère
et hocha simplement la tête.
« Je sais. Il n’y a qu’une personne qui croit en ma victoire,
dur comme fer.
— C’est Clarisse…
— Ouais. Mais pour atteindre mon but, une personne qui ne
me voue pas une confiance aveugle m’est également nécessaire.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
23
— Et cette personne, c’est moi ?
— Tu viens de me le confirmer. Dans le but de gagner ta
confiance, je vais remporter ce duel. »
Altina avait défié Jérôme pour gagner la confiance du
régiment. Ce qui incluait Régis.
« Est-ce que ce duel peut être annulé à cause de mon
comportement ?
— Hmm… peut-être ?
— Ah… »
Sa fatigue mentale augmenta de 30 % d’un coup. Altina posa
sa main sur lui. Elle touchait la poitrine gauche de Régis, juste
au-dessus de son cœur.
« Hein ?
— Je veux devenir impératrice… Si mon rêve ne devient pas
réalité, il est certain que j’en mourrai. Et le stratège suivra. »
Peu importe quelles mesures ils prendraient, Altina ne serait
certainement pas la seule à en assumer la responsabilité. Son
cœur battait à tout rompre.
Altina n'avait pas fini.
« Placer mes espoirs en toi en tant que stratège signifie mettre
ta vie en jeu.
— En effet… »
Régis l’avait bien compris. C’est pourquoi il était hésitant.
« Puisque je te demande de risquer ta vie, c’est normal que
je risque également la mienne. Je ne souhaite pas être une reine
stupide espérant la loyauté de mes sujets simplement parce que
je serais assise sur le trône. »
Altina fit glisser sa main de la poitrine de Régis à son cou,
puis à son visage. Sa main était froide.
« Regarde bien, je vais te prouver ma résolution… Et tu
pourras réfléchir à ce que je t’ai dit l’autre nuit.
— Quand on s’est juré de croire l’un en l’autre, même
lorsque l’un de nous aura perdu toute confiance en lui-même ?
Je dois te faire confiance, c’est ça ? »
Altina, la princesse à l’Épée
24
Altina acquiesça et retira sa main. Elle s’approcha de l’épée
colossale appuyée contre le mur et saisit la poignée fermement.
« Il est temps. »
***
Altina et Jérôme se faisaient face au centre du cercle formé
par les soldats. Ils étaient distants d’environ dix pas.2 La neige
couvrait le sol. La visibilité était mauvaise et tout était blanc. Ils
étaient en plein blizzard.
Altina portait des protège-bras et des genouillères par-dessus
sa robe. Dans sa main, elle tenait le Quatuor Foudroyant de
l’Empereur. Il s’agissait d’une épée gigantesque qui ne
correspondait pas du tout à la jeune fille.
Jérôme, pour sa part, ne portait aucune armure, seulement
une tenue conventionnelle, composée d’une chemise noire et
d’un pantalon militaire. Il tenait une courte lance, utilisée par les
fantassins en forêt. Elle devait faire dans les quatre-vingt pouces3
de longueur, soit environ la taille de l’épée qui lui faisait face.
Régis se tenait au milieu de la foule de personnes encerclant
les duellistes. Evrard vêtu de son armure s’approcha de lui et lui
dit : « Ils sont tous les deux calmes.
— Oui… Où en sont les préparatifs ?
— C’est prêt, Mlle Clarisse attend au chariot.
— Merci. »
Ils cessèrent de parler du plan de fuite en cas de défaite
d’Altina. Evrard caressait sa barbe.
« Le Margrave a finalement fait son choix. Il n’a pas choisi
une épée pour gagner en vitesse, ou une longue lance pour avoir
une meilleure allonge. Il a choisi une arme qui ne lui confère
aucun avantage.
2 10 pas = environ 7,5 mètres 3 80 pouces = environ 2 mètres
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
25
— Je ne comprends rien aux affrontements entre épées et
lances… Mais la courte lance du Margrave le met en position
désavantageuse ?
— Cette arme n’est ni légère ni longue et peut se briser au
moindre choc avec l’épée géante.
— Il n’oserait pas utiliser ça… comme excuse s’il perdait ?
— C’est son choix. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.
C’est plutôt le cas inverse.
— Pour éviter que la princesse ne puisse trouver d'excuse ?
— Oui ! De la même manière que la princesse n’a pas donné
l’occasion au Margrave de trouver une excuse en fixant le duel
trois jours plus tard. Le Margrave utilise une arme qui lui est
désavantageuse pour faire taire toute contestation de la part de la
princesse. Ça va commencer. »
Régis fut surpris. La cloche de midi sonnait comme pour
annoncer le début du combat. L’entrechoc du métal sur le métal
résonna à travers toute la place. La plupart pensaient que ce serait
la jeune princesse qui abattrait son épée sur le Margrave tandis
qu’il esquiverait.
Mais ce fut Jérôme qui, dans un hurlement, frappa en
premier. Jérôme, sans s’embarrasser de la neige sous ses pieds,
avait chargé sur elle.
Altina n’avait pas bougé. Peut-être qu’elle n’avait tout
simplement pas pu. Le Margrave avait parcouru la distance qui
les séparait en un instant et avait projeté sa lance.
« Ah ! »
Le combat était-il terminé en une attaque ? Les soldats
étaient stupéfaits.
« Quelle attaque ! »
Altina expira. Elle utilisa le corps de l’épée pour bloquer la
pointe de la lance. Jérôme poussa un grognement. Les deux
pièces de métal s’entrechoquèrent dans un fracas. La courte
lance visant l’épaule de la fille avait été déviée.
Jérôme soupira.
« Ah… Ma lance ne l’érafle même pas ! »
Altina, la princesse à l’Épée
26
Régis se demanda à voix basse : « Est-elle faite en argent
spirituel de Tristei ? »
Pendant les guerres fondatrices de l’empire, des légendes
circulaient sur les puissantes épées de l’Empereur en argent de
Tristei.
Les quelques chercheurs, qui avaient eu le privilège de les
étudier, en avaient déduits que les épées n'étaient pas faites d’un
métal pur mais d'un alliage. À cette époque, des matériaux plus
résistants, comme l'acier, pouvaient être forgés en fondant des
métaux différents ensembles. La technique était répandue. Mais
on n'avait encore jamais découvert un alliage rivalisant avec de
l’argent elfe, alors nombreux étaient ceux qui croyaient que ces
épées avaient été bénie par les Elfes.
L’épée massive était devenue le bouclier protégeant la frêle
Altina. Après que son attaque fut parée, Jérôme retira sa lance
pour se remettre en position. Mais Altina s’était déjà mise en
mouvement. Un bruit sourd retentit à travers la place.
« Argh… »
Elle donna un puissant coup de pied dans le genou de Jérôme.
La posture de l’homme robuste se brisa.
La gamine lui cria : « Combattez sérieusement, Jérôme !
— Hein ? »
Elle donna alors un coup d’épée, bien qu’elle ne s’abattit pas
sur le sol, la neige qui s'y trouvait fut dispersée. La puissance de
l’épée était suffisamment forte pour que les soldats autour la
ressentent.
Jérôme effectua une roulade au sol pour éviter ce coup fatal.
Son corps et sa lance auraient probablement été écrasés s’il avait
tenté de faire bloc.
Les soldats regardant le combat furent stimulés suite à cette
entrée en matière imprévue.
L’épée de la princesse avait forcé le Margrave à se rouler au
sol, tachant ses vêtements de boue et de neige. Personne ne
l’aurait imaginé.
« Peut-être… qu’elle peut gagner ? »
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
27
Mais ces quelques mots d’espoir sortis du cœur de Régis
furent vite relativisés par Evrard.
« Ça ne fait que commencer ! »
Jérôme continuait de sourire alors qu’il se remettait en
position.
« Tu es trop naïve, gamine. Tu vas regretter de ne pas en avoir
fini avec ton coup à l’instant.
— Mon but est de démontrer que je suis la plus forte, pas de
réduire le corps de mes subordonnés en lambeaux.
— Peux-tu vraiment te permettre ce luxe ?
— Vous aussi vous visiez mon épaule. Vous inquiétez-vous
que je ne puisse pas devenir votre femme si je mourrais ?
— Hahaha… Ça m’a traversé l’esprit.
— Battez-vous de toutes vos forces !
— Hmm, intéressant ! »
Ils se ruèrent alors l'un sur l'autre. Jérôme attaquait coup sur
coup, tandis que Altina bloquait avec son épée. Qu’Altina puisse
manier cette gigantesque pièce métallique de son bras fin
semblait totalement irréaliste et absurde. Mais elle commençait
à frapper de plus en plus souvent et Jérôme ne pouvait
qu’esquiver ses coups.
« Jérôme est acculé ? » s’écrièrent les soldats.
La main d’Evrard tremblait.
« Oh… Qui eut cru que la princesse soit si forte… C’est une
déesse !
— Peut-elle gagner ?
— Ah, ça… Hmm… le Margrave est hésitant dans ses
attaques. Il ne veut pas tuer la princesse. Il faut absolument que
le Margrave libère sa force quand l’épée bloque ses attaques, ou
sinon la lance va se briser. En revanche, le Margrave a besoin de
parer et de dévier les coups d’épée.
— Parce que la lance va se briser s’il bloque directement ?
— C’est ça. Le Margrave protège sa lance à la fois en attaque
et en défense, alors la princesse prend l’avantage.
— Du coup pourquoi ne gagne-t-elle pas ?
Altina, la princesse à l’Épée
30
— C’est dommage que la princesse ne soit pas un homme.
— Hein ? Pourquoi ? »
Au fur et à mesure, les cas où Jérôme attaquait et Altina se
défendait devenaient de plus en plus fréquents. Il avait encore de
l’énergie à revendre. Il faisait tournoyer sa lance de temps à autre
pour montrer qu’il était loin d’avoir dit son dernier mot.
De l’autre côté, Altina était épuisée. Elle manquait
d’endurance. Elle avait peut-être la force de mouvoir cette épée
colossale, mais elle n’était pas de taille face au héros Jérôme qui
avait l’endurance nécessaire aux longues batailles. La lame
géante était trop lente. Elle ne pouvait suivre la vitesse de la
courte lance.
Une partie de sa robe fut déchirée par la pointe de la lance.
Jérôme était toujours en position dangereuse dans ce duel où
son arme pouvait se briser au moindre faux mouvement, comme
s’il marchait sur une mince corde. Mais cela évoluait lentement
en sa faveur, où il acculait Altina avec ses attaques.
La robe au niveau de son épaule était percée, l’épaule
d’Altina était dénudée. Le sang coulait sur sa peau blanche.
« Ah… ah…
— Tu es plutôt douée. Je pensais que tu allais t’essouffler
plus tôt, petite.
— Je ne vais pas me rendre juste parce que ma respiration
s’accélère.
— Pff, je vais te reconnaître à ton juste niveau en ce cas. Il
n’y a pas grand monde dans cette forteresse qui puisse me
combattre ainsi. Et tu es encore jeune. Tu seras probablement une
excellente épéiste dans trois ans.
— Ah, ah… Me reconnaître en tant qu’épéiste ? Vous n’avez
donc rien compris de ce que j’ai dit ? Ce que je souhaite, c’est
être reconnue comme votre commandante.
— Les soldats seront davantage prêts à écouter tes ordres
après un tel spectacle. Tu n’es pas encore à mon niveau, mais tu
es suffisamment forte pour être une vice-commandante.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
31
— C’est donc ça… alors soit… Je ne peux pas abandonner
maintenant ! »
Altina leva son épée. Elle dégagea la neige de son pied,
chargea et abattit l’épée à terre.
« Ouah !
— Ah là là… À être trop gourmande, cela va causer ta
perte. »
L’épée fracassa le sol. Un écran de neige s’envola du sol. Un
son puissant comme le tonnerre retentit. Jérôme esquiva
l’attaque et plongea avec sa lance.
Altina leva son épée enfoncée dans le sol. Elle la redirigea
vers la lance qui se précipitait sur elle. Mais juste avant que
l’épée n’eût contré la lance, Jérôme recula et battit en retraite.
C’était un coup dans l’eau. Il avait deviné son intention et avait
pu esquiver son attaque qui avait demandé à Altina toute sa force.
Sa garde devenait instable.
Jérôme ne manqua pas cette occasion et chargea Altina de sa
lance. Incapable d’esquiver, la courte lance frappa son bras
gauche et la renversa.
« Argh ! »
Le protège-bras d’Altina se brisa. Régis se pencha en avant
et cria « Altina ! », mais il ne pouvait guère faire plus.
La jeune fille roula sur le sol enneigé. C’en est fini, pensèrent
tous ceux présents. Mais la main d’Altina ne lâchait pas la
poignée de l’épée. Et elle se releva sur le champ.
« Ah… ah… ah… ah… ah… »
Les yeux enflammés d’Altina fixaient son adversaire. Le
sang jaillissait de son bras gauche, teignant de rouge son armure
et la manche de sa robe. Son bras gauche pendait mollement. Il
était probablement cassé, ou tout du moins engourdi par la
douleur.
Seule sa main droite tenait l’épée. Il ne faisait aucun doute
qu’elle n’était pas en capacité de continuer le combat. Mais elle
ne semblait pas vouloir abandonner.
Altina, la princesse à l’Épée
32
Jérôme recula et enfonça sa lance dans le sol, adoptant une
pose plus détendue. Il n’en restait pas moins alerte. Il demanda :
« Veux-tu vraiment continuer ?
— Absolument… ah… Jamais je n’abandonnerai…
— Il ne te reste qu’un bras, tu sais ?
— Si vous… argh… perdiez juste un bras sur le champ de
bataille… ah… abandonneriez-vous ?
— Hmm, ta combativité est louable. Mais que prévois-tu de
faire après être devenue commandante ? Petite, peux-tu assumer
la vie des 3 000 hommes de ce régiment frontalier ?
— Ah… ah… Vous croyez que je vous ai défié sans avoir la
résolution nécessaire… Argh… Est-ce que vous me regardez de
haut ? Je porterai même cette nation toute entière, vous allez
voir ! »
Altina souleva l’épée colossale de sa seule main droite.
Il n’y avait pas que Régis qui se rappela de l’homme
légendaire maniant le Quatuor Foudroyant de l’Empereur à cette
vue. Les soldats devinrent tapageurs.
Mais Jérôme ne réadopta pas une position de combat. Il
demanda aussi fort qu’il pouvait :
« Tu crois… qu’une amatrice comme toi est plus apte à
commander que je ne le suis ? Il ne s’agit pas de problèmes que
tu peux régler avec uniquement de la résolution. Je te demande
si tu as les compétences nécessaires ! Une erreur et des milliers
d’hommes mourront en vain. Comprends-tu vraiment ? »
Même si la douleur et la fatigue dépassaient les limites de
son corps, Altina était encore mentalement alerte. Pourtant, elle
fut déconcertée par cette question. Il y avait des doutes dans les
yeux vermeils de la jeune fille.
Ses yeux parcoururent la foule et s’arrêtèrent en un point bien
précis. Jérôme suivit le regard d’Altina. Les soldats qui
regardaient le duel firent de même. Un nombre incalculable de
paires d’yeux étaient posés sur Régis. Même Evrard qui se tenait
à côté de lui le regardait.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
33
Régis se sentit comme écrasé par l’immense pression qui
pesait sur lui. Il pouvait ressentir le poids des regards de toute la
foule. Le chahut qui l’entourait s’estompa au loin. Régis plaça sa
main sur son cœur. Il ne pouvait qu’entendre son cœur battre la
chamade.
Pourquoi cela a-t’il tourné ainsi ? Pourquoi ? Était-ce cette
nuit-là ? C’est à cause de la trop grande confiance qu’elle porte
en moi ! Voilà pourquoi ! Voilà la raison pour laquelle elle se
dévoue autant pour une personne aussi inutile que moi. Je n’ai
jamais étudié une telle situation. Je ne la comprends pas. Je n’ai
jamais rien lu à ce propos. Je ne peux rien y faire. Même respirer
m’est difficile. Je suis sur le point de m’évanouir.
Régis regarda Altina d’un air stupéfait. Ses lèvres
bougeaient. Il y avait trop de bruit, alors il ne pouvait pas
l’entendre. Mais le mouvement de ses lèvres faisait clairement
sens à ses yeux.
« Je. Crois. En. Toi. »
Ah, vraiment… Il n’y a rien à faire, c’est la princesse, mais
franchement… Régis fit un pas en avant. La neige sous ses pieds
craqua. Ce n’est pas uniquement parce que tu crois en moi. C’est
aussi parce que tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez.
Tu es déraisonnable à vouloir porter l’espoir du monde. Tu as
des exigences trop élevées. Tu demandes aux autres de dépasser
leurs limites… Tout ça va finir en tragédie. Des exemples comme
ça ne manquent pas à travers l’Histoire.
On dénombre de nombreux cas où des personnes ont dû
relever des défis qui ne correspondaient pas à leurs talents. Tout
ça à cause de croyances totalement dépassées qui leur étaient
imposées, et qui avait conduit à de nombreux désastres.
Ses soupirs étaient mélangés aux gémissements.
« C’est tellement déprimant… Je dois à mon tour relever des
défis qui ne me correspondent pas. Cette folie me donne les
larmes aux yeux. »
Régis sortit alors du cercle des soldats et alla se poster aux
côtés d’Altina. Elle lui sourit et répondit d’une voix enrouée.
Altina, la princesse à l’Épée
34
« Merci, Régis.
— C’est encore trop tôt pour ça. »
Jérôme libéra son envie de meurtre et demanda d’une voix si
basse qu’on aurait cru qu’elle venait d’outre-tombe : « Qu’est-ce
que tu fais là ? Tu n’es qu’un agneau perdu bien loin de chez lui !
— Mes excuses, je ne suis peut-être qu’un menu fretin pour
vous, Margrave, mais quelqu’un ici ne le pense pas… » dit-il en
regardant la princesse. « Laissez-moi lui faire une promesse, je
vais l’aider. Si vous, princesse, gagnez ce combat, moi, Régis
Auric, deviendrai votre stratège ! »
Stratège ? La surprise se diffusa à travers les soldats. Depuis
qu’il avait résolu les problèmes de banditisme, plus personne ne
remettait les compétences de Régis en cause. Certains pensaient
même que le rang de sous-officier administratif de cinquième
classe était trop bas, mais ils étaient minoritaires. Après tout,
celle qui détenait le plus haut rang était la princesse et elle n’avait
aucun pouvoir dans la forteresse.
Jérôme pointa sa lance vers Régis.
« En es-tu capable ? Tu n’as ni la volonté, ni le courage, ni
même l’esprit.
— En effet, j’ai moi-même du mal à me l’imaginer. Je n’ai
aucune confiance en moi. Mais quand bien même, il y a
quelqu’un qui croit en moi. Aussi longtemps qu’elle continuera
d’y croire, alors je m’y emploierai. »
Régis n’était pas suffisamment bête pour revenir sur sa
parole après avoir fait une déclaration aussi audacieuse. Il n’avait
aucun autre but que d’aider Altina. Il tenait plus que tout à
l’aider, du plus profond de son cœur.
« Je vais assumer ce rôle. Et plus important encore, Messire
Jérôme, vous avez promis de suivre la princesse et de travailler
sous son commandement si elle gagne. Ainsi donc, son autorité
de commandement n’affectera pas l’actuelle structure de
commandement du régiment.
— Pff, encore à balancer des grandes phrases. Je sais ce que
tu vas dire alors recule, le combat n’est pas terminé. »
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
35
Régis retourna sans précipitation vers la foule. Jérôme se mit
en position avec sa courte lance.
« Fini de se reposer, petite.
— Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je n’avais pas
l’intention de gagner du temps pour me reposer. C’est vous qui
avez commencé à parler à tort et à travers sur les qualités d’un
commandant.
— En effet, ça a été plus long que je ne le pensais…
Personnellement, je préférais résoudre ça pacifiquement… Mais
plus maintenant. Tu as la volonté, la résolution ainsi qu’un
stratège, petite. Je reconnais que tu as le potentiel pour devenir
vice-commandante. Mais jamais je ne perdrai !
— Depuis le début, ce que je veux démontrer ce n’est ni ma
volonté, ni ma résolution… mais ma force ! »
Tous deux se mirent à crier. La pression qu’ils dégageaient
faisait trembler l’air. Le bras d’Altina pendait toujours, privé de
sa force, même après ce court repos. Elle utilisait son bras droit
pour manier son épée. Ce fut la première à bouger.
« Ouaaah ! »
Elle balança son épée avec suffisamment de puissance pour
couper n’importe quoi, mais cette fois-ci non pas à la verticale,
mais à l'horizontale. L’épée allait frapper Jérôme au niveau de la
taille. Un coup qu’il était difficile de bloquer ou d'éviter.
Jérôme hocha la tête.
« En effet, c’était ta seule option. Tu n’as plus assez
d’endurance pour manier cette épée avec agilité. »
Le coup menaçait de couper le Margrave en deux. Mais
Jérôme montra ses exceptionnelles capacités de saut. Il sauta au-
dessus de la taillade horizontale pour l’esquiver.
S’il s’était penché en bas pour esquiver, Altina aurait été en
mesure d’utiliser le poids de l’épée pour bifurquer vers le bas.
Alors qu'avec une arme si lourde, il était difficile de réagir à
temps pour remonter son attaque vers le haut.
Altina, la princesse à l’Épée
36
Pour ramener son épée vers elle après cette attaque manquée,
Altina fit un demi-tour sur elle-même, exposant son dos sans
défense à son adversaire.
« Le duel est terminé » pensèrent probablement la majorité
des personnes présentes. Pas seulement les troupes, même
Jérôme y pensa. Il avait juste besoin de pointer sa lance vers le
cou d’Altina pour finir le duel. Mais alors, quelque chose
d’inattendue se produisit…
Altina ne s’arrêta pas après avoir fait demi-tour.
« Aaah !
— Quoi ? »
L’épée dessinait un cercle et repartait vers Jérôme. Et
beaucoup plus rapidement que pour la précédente attaque, grâce
à l’élan et à son poids, elle se dirigeait droit sur le flanc de
Jérôme.
Jérôme grinça des dents.
« Tss ! »
Avec sa lance, il tenta de parer le puissant coup selon un
angle bien précis. Éclata alors un bruyant son de métaux
s’entrechoquant. L’épée glissa le long de la lance et le coup fut
dévié. Le bras droit d’Altina craqua. Il s'était légèrement
déformé suite au violent effort.
« Ah ! »
L’épée colossale ne s’était pas fracassée contre la lance. Elle
avait simplement glissé le long. Suite à l’impact, la pointe de la
lance se brisa et tomba à terre. Néanmoins, la hampe1 de la lance
pouvait encore être utilisée en tant qu’arme.
Altina perdit l’équilibre et tomba à terre, son visage face
contre terre. La neige au sol s'éparpilla. Jérôme attrapa des deux
mains sa lance sans sa pointe. Il n’avait plus qu’à l’abaisser sur
la tête d’Altina et la stopper avant qu’elle ne la touche. C’est tout
ce qu’il fallait. Il n'avait nul besoin de frapper la jeune fille qui
1 Hampe : long manche, généralement en bois, sur lequel est fixé le fer.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
37
était couchée sur le sol. Les soldats déglutirent alors qu’ils
regardaient la scène.
À ce moment-là… La courte lance levée en l’air se cassa en
deux comme une brindille.
« Quoi ? »
Les mots manquaient. Pas seulement pour Jérôme, tous ceux
qui assistaient à cette scène perdirent leur voix. Dans ses mains
se trouvaient deux bâtons de la taille d’une épée courte. Il aurait
encore pu les utiliser pour combattre même dans cet état, mais la
lance n’en était pas moins brisée.
Altina était toujours allongée dans la neige.
« Ah… ah… argh… »
Elle essayait de se lever, mais elle ne pouvait pas bouger le
bras gauche et son bras droit n’avait plus la force suffisante pour
l’aider à se relever. Ses jambes et ses épaules tremblaient, elle
n’arrivait plus à saisir la lourde épée.
Les soldats regardaient sans cligner des yeux. Jérôme jeta la
hampe brisée.
« Pff… Briser son arme en duel. La manière la plus misérable
de perdre. »
Les soldats devinrent très bruyants lorsque Jérôme admit sa
défaite.
« Le général a perdu ?
— La princesse a gagné ? »
Est-ce qu’Altina, qui était couchée dans la neige, comprenait
la situation ?
Evrard demanda à Jérôme confirmation :
« Messire Jérôme… la princesse est victorieuse ?
— C’est embêtant. »
Le commandant des chevaliers baissa la tête aux mots du
Margrave. Les soldats autour des deux combattants criaient et
gémissaient face au constat de cette conclusion inattendue. Il y
avait aussi des acclamations. Le bruit secouait la forteresse toute
entière.
Régis se précipita aux côtés d’Altina.
Altina, la princesse à l’Épée
38
« Princesse, vous avez gagné. S’il vous plaît, levez-vous…
C’est le moment tant attendu.
— Aïe… »
Altina hocha la tête. Elle s’était dépensée bien au-delà de ses
limites. Son épaule gauche saignait encore. Toutefois, le duel
serait dénué de sens si elle perdait connaissance maintenant.
Altina se redressa.
« Ah… Ah… En effet… Jérôme qui a perdu est encore
debout… Aïe… Moi, victorieuse à terre… ce serait la risée. »
Régis acquiesça silencieusement.
Les efforts d’Altina et sa volonté sans faille lui réchauffaient
le cœur. Il n’avait pas eu tort de croire en elle. Exprimer ses
sentiments à l’apogée du duel était également une bonne idée. Il
lui avait simplement fait confiance. « Continue de croire en
elle » se dit-il. Régis essuya les larmes au coin de ses yeux.
Altina se releva. Elle tendit vers le ciel ses doigts fins et
blancs. C’était une manière silencieuse et magnifique
d’annoncer sa victoire. Et le vacarme tout autour d’eux devint
plus intense. Dans cette grande éruption auditive, Altina dit à
Régis qui se tenait derrière elle :
« Eh…
— Oui ? »
Elle agrippa l’épaule de Régis avec sa main droite
tremblotante.
« Et maintenant ? Es-tu prêt à me faire confiance ? »
Régis acquiesça. Plus aucun doute possible.
« Oui, je vais croire en toi. Promis.
— D’accord, c’est une promesse. »
Altina avait un grand sourire. L'expression sur son visage
inspirait un jour de soleil printanier. La poussée d’adrénaline de
la foule leur faisait des plus plaisir. La place de rassemblement
ressemblait à un festival sans fin. Le chaos qui avait pris place
semblait être éternel.
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
39
Altina, la princesse à l’Épée
40
Soudainement, la cloche retentit. La raison ne faisait pas de
mystère. Dans la plus haute tour de garde de la forteresse, la
cloche retentissait sans interruption. Les soldats étaient
stupéfaits, incapables de comprendre ce qu’il se passait à ce
moment précis. La place de rassemblement devint silencieuse et
le son venant de la tour de garde devint clair.
« Attaque ennemie ! Nous sommes attaqués ! En provenance
du nord, ce sont les barbares ! »
Les barbares attaquaient sous le couvert du blizzard.
L’inquiétude se répandit parmi les troupes. Ils se mirent à
regarder Jérôme.
« Margrave ! » cria Régis.
C’était le moment ou jamais de changer la relation entre ces
deux-là. S’ils ne montraient pas maintenant le changement de
position qui devait s’être opéré, le duel d’Altina au risque de sa
vie aurait été inutile.
« Ne t’inquiète pas… Je sais. »
Jérôme marcha jusqu’à Altina. Il s’agenouilla face à elle, un
genou dans la neige.
« Princesse, l’ennemi est à nos portes ! Veuillez donner les
instructions ! »
Les soldats regardèrent la scène, surpris… Et ils imitèrent
alors Jérôme, s’agenouillant à leur tour. Telle une ondulation à la
surface de l’eau, les soldats s’agenouillèrent autour d'Altina et
baissèrent la tête. Les soldats exprimaient là leur changement de
mentalité. La résolution de la jeune fille avait porté ses fruits.
Evrard était parmi eux, agenouillé. Il souriait avec satisfaction.
Altina qui était le centre d’attention était épuisée et ses
jambes tremblaient. Elle continuait d’agripper l’épaule de Régis,
car si elle le lâchait, elle tomberait.
Régis murmura à l’oreille d’Altina. Elle hocha la tête et
annonça les ordres, comme proposés par Régis :
« Je vous ordonne Messire Jérôme, de mener cent cavaliers
pour intercepter l’ennemi. Découvrez combien ils sont et
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
41
engagez le combat si possible… S’ils sont trop nombreux,
retirez-vous avec pour priorité la sécurité de nos hommes !
— Bien compris ! »
Le général se leva après avoir acquiescé.
« Vous tous, les ordres de l’avant-garde ont été donnés,
préparez les chevaux ! Et apportez-moi ma lance ! Je vous
briserai le cou si vous prenez votre temps ! »
Les soldats s'activèrent de toute part comme demandé par
Jérôme. Ça fonctionnait. La princesse avait démontré sa nouvelle
position publiquement. Régis supportait d’une main le dos de la
chancelante Altina.
« Allez, encore un petit effort… Peux-tu marcher jusqu’à la
tour centrale ?
— Bien... bien sûr… »
Ce n'était pas pensable que le perdant du duel mène l’attaque
tandis que la princesse victorieuse était transportée en civière.
C’était là aussi, le moment ou jamais de démontrer sa volonté
indomptable. Evrard se précipita vers eux.
« Dois-je emmener la princesse à l’infirmerie ? » demanda-
t-il à Régis.
« Ce serait honteux de l’emmener à l’infirmerie
maintenant… On va l’emmener à ses quartiers, prétextant un
changement de tenue comme excuse. Veuillez appeler le
médecin qu’il soigne ses blessures.
— Je vais le chercher.
— Ah, et si nous ne prenons pas l’épée…
— Je vais dire à mes hommes de s’en occuper.
— Merci… L’ennemi attaque sous le couvert du blizzard,
alors ils ne doivent pas être nombreux. En plus, nous réagissons
rapidement, on peut peut-être les repousser juste avec l’avant-
garde, avec un peu de chance…
— Que dois-je faire ?
— Messire Evrard, veuillez préparer la seconde vague.
Tenez-vous prêt avec deux cents cavaliers.
Altina, la princesse à l’Épée
42
— Se tenir prêt ? Nous ne devons pas attaquer une fois nos
préparatifs terminés ?
— Nous ne sommes pas encore certains du déroulement de
l'attaque de front. L’avant-garde peut être forcée de battre en
retraite, ou ça pourrait aussi tourner en une bataille désastreuse…
Veuillez n'attaquer qu’une fois la situation clarifiée. Autrement,
vous risqueriez d'embrouiller l’avant-garde.
— Je vois, laissez-moi faire ! »
Evrard rassembla les chevaliers.
Il fallait également organiser les fantassins en une troisième
vague. Quant à la défense de la forteresse, il n'était pas nécessaire
de donner de nouveaux ordres. Pour être franc, il aurait aimé
consulter Jérôme qui était familier de ce type d’opération avec
ce régiment. Mais dans le but de mettre en place la nouvelle
relation entre Jérôme et la princesse, il n’avait pas d’autre choix
que d’envoyer manu militari Jérôme dans la première vague.
Son jugement était fortement influencé par des valeurs
politiques, cette fois-ci. En effet, la meilleure décision tactique à
prendre aurait été de rester pour protéger la forteresse et
d’envoyer des troupes seulement après avoir fait la lumière sur
les forces ennemies. Mais les exemples dans les manuels et les
stratégies aux échecs ne pouvaient pas être utilisés aveuglément
dans une vraie bataille.
L’avant-garde de Jérôme était en train de sortir par la porte
principale. La plupart des hommes armés était en train d’accourir
à leur poste. Les chevaliers qui avaient reçu pour ordre de porter
l’épée colossale, entrèrent rapidement dans la tour centrale.
Seule Altina qui était gravement blessée et Régis qui la
supportait, marchaient lentement. Altina lui dit d’une voix
faiblarde :
« Je vais bien… alors… s’il te plaît, concentre-toi sur le
régiment, Régis… »
Son visage faisait peur, à cause de la fatigue, du froid et de la
perte de sang. Régis afficha un sourire confiant. Pour mettre
Altina à l’aise, il exagéra :
Chapitre 4 : L’épée foudroyante
43
« Ne t’inquiète pas, Altina. J’en sais un rayon à ce sujet.
Laisse-moi gérer ça.
— Tu as l’air… sérieux.
— Bien sûr.
— Ça ne te ressemble pas.
— Ah… »
Elle avait lu à travers lui sans mal. Régis ne semblait pas être
un bon acteur. Peu importe, pensa-t-il.
« Eh bien, j’aurais préféré avoir du temps pour mieux
connaître nos troupes. Et les envoyer une fois avoir jaugé
l’importance de l’attaque barbare… Mais envoyer l’unité de
Messire Jérôme avant que les troupes postées à la porte
principale ne tirent leurs premières flèches ne constitue pas un
mauvais plan. Je pense que nous devrions être capables de
repousser l’attaque ennemie. Ça va fonctionner d’une manière
ou d’une autre… Probablement.
— Je vois, c’est génial.
— Assez parlé de ça, comment vas-tu ?
— Ça va. Je vais vraiment bien… Eh, Régis…
— Oui ?
— Merci. Quand il m'a posé la question lors du duel… tu as
exprimé ta volonté d’accepter ta nomination en tant que
stratège… Ça m’a rendue vraiment heureuse.
— C’est moi qui devrais te remercier. Je voulais te le dire
depuis tout ce temps… Altina, merci de croire en moi. »
La porte principale s’ouvrit bruyamment. Les cornes
signalant l’arrivée de la seconde vague retentirent et les soldats
se mirent à rugir.
De leur position, Régis et Altina observèrent les soldats
charger sur le champ de bataille.
FIN DU TOME 1
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