affaire berland c. france
DESCRIPTION
CEDOTRANSCRIPT
CINQUIEgraveME SECTION
AFFAIRE BERLAND c FRANCE
(Requecircte no 4287510)
ARREcircT
STRASBOURG
3 septembre 2015
Cet arrecirct deviendra deacutefinitif dans les conditions deacutefinies agrave lrsquoarticle 44 sect 2 de la
Convention Il peut subir des retouches de forme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 1
En lrsquoaffaire Berland c France
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (cinquiegraveme section) sieacutegeant
en une chambre composeacutee de
Mark Villiger preacutesident
Angelika Nuszligberger
Boštjan M Zupančič
Ganna Yudkivska
Vincent A De Gaetano
Andreacute Potocki
Helena Jaumlderblom juges
et de Claudia Westerdiek greffiegravere de section
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 26 mai 2015
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4287510) dirigeacutee
contre la Reacutepublique franccedilaise et dont un ressortissant de cet Eacutetat
M Daniel Berland (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 21 juillet 2010 en
vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme
et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant qui a eacuteteacute admis au beacuteneacutefice de lrsquoassistance judiciaire a
eacuteteacute repreacutesenteacute par Me JC Bonfils avocat agrave Dijon Le gouvernement
franccedilais (laquo le Gouvernement raquo) est repreacutesenteacute par son agent
M Franccedilois Alabrune directeur des affaires juridiques au ministegravere des
Affaires eacutetrangegraveres
3 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention
4 Le 31 janvier 2012 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
5 Le requeacuterant est neacute en 1987 et est actuellement placeacute au centre
hospitalier speacutecialiseacute (CHS) de Sevrey
6 Le 12 septembre 2007 le requeacuterant acircgeacute de vingt ans se preacutesenta sur
le lieu de travail de CG qui avait eacuteteacute son amie et qui lui avait fait connaicirctre
agrave la suite de menaces et drsquoactes de violence qursquoelle ne voulait plus le voir
Le requeacuterant porta plusieurs coups de couteau agrave CG qui blesseacutee agrave la gorge
et au thorax deacuteceacuteda drsquoune heacutemorragie massive ainsi qursquoagrave deux autres
2 ARREcircT BERLAND c FRANCE
personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs
drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux
autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet
prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey
7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui
conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)
8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge
drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de
lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du
requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale
issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves
laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)
9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction
constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes
agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait
des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il
ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au
procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction
10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de
Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin
de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental
selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122
du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)
11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la
chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant
de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008
son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre
2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus
seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de
lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant
pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de
dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au
prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des
faits
12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara
qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir
volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable
peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son
hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la
loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort
ARREcircT BERLAND c FRANCE 3
des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute
des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler
dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une
dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir
ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du
nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la
proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur
la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et
inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure
souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication
immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation
alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention
laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de
fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()
() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la
reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement
judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la
personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute
publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations
drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera
soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et
administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute
Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute
() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18
ci-dessous) sont donc applicables raquo
13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses
moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la
Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave
lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire
encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous
lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute
commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait
pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par
lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi
peacutenale plus seacutevegravere
14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima
impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le
requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors
que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du
discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur
lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere
infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur
avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune
4 ARREcircT BERLAND c FRANCE
telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel
deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave
une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des
laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce
point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la
chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo
15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi
laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait
une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de
lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la
personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des
mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont
inscrites au casier judiciaire
Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris
aux moyens
Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que
les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre
prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent
pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale
pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()
() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
drsquoassassinat et de violences () raquo
16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec
ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de
sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS
de Sevrey est ainsi libelleacutee
laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux
expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties
Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de
M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune
sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble
indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de
sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai
pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo
Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de
M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon
pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser
agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland
Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel
de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140
du code de proceacutedure peacutenale ()
Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute
drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne
viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec
les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de
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ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
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Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 1
En lrsquoaffaire Berland c France
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (cinquiegraveme section) sieacutegeant
en une chambre composeacutee de
Mark Villiger preacutesident
Angelika Nuszligberger
Boštjan M Zupančič
Ganna Yudkivska
Vincent A De Gaetano
Andreacute Potocki
Helena Jaumlderblom juges
et de Claudia Westerdiek greffiegravere de section
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 26 mai 2015
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4287510) dirigeacutee
contre la Reacutepublique franccedilaise et dont un ressortissant de cet Eacutetat
M Daniel Berland (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 21 juillet 2010 en
vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme
et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant qui a eacuteteacute admis au beacuteneacutefice de lrsquoassistance judiciaire a
eacuteteacute repreacutesenteacute par Me JC Bonfils avocat agrave Dijon Le gouvernement
franccedilais (laquo le Gouvernement raquo) est repreacutesenteacute par son agent
M Franccedilois Alabrune directeur des affaires juridiques au ministegravere des
Affaires eacutetrangegraveres
3 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention
4 Le 31 janvier 2012 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
5 Le requeacuterant est neacute en 1987 et est actuellement placeacute au centre
hospitalier speacutecialiseacute (CHS) de Sevrey
6 Le 12 septembre 2007 le requeacuterant acircgeacute de vingt ans se preacutesenta sur
le lieu de travail de CG qui avait eacuteteacute son amie et qui lui avait fait connaicirctre
agrave la suite de menaces et drsquoactes de violence qursquoelle ne voulait plus le voir
Le requeacuterant porta plusieurs coups de couteau agrave CG qui blesseacutee agrave la gorge
et au thorax deacuteceacuteda drsquoune heacutemorragie massive ainsi qursquoagrave deux autres
2 ARREcircT BERLAND c FRANCE
personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs
drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux
autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet
prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey
7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui
conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)
8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge
drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de
lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du
requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale
issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves
laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)
9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction
constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes
agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait
des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il
ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au
procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction
10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de
Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin
de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental
selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122
du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)
11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la
chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant
de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008
son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre
2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus
seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de
lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant
pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de
dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au
prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des
faits
12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara
qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir
volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable
peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son
hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la
loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort
ARREcircT BERLAND c FRANCE 3
des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute
des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler
dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une
dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir
ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du
nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la
proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur
la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et
inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure
souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication
immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation
alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention
laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de
fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()
() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la
reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement
judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la
personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute
publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations
drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera
soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et
administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute
Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute
() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18
ci-dessous) sont donc applicables raquo
13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses
moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la
Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave
lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire
encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous
lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute
commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait
pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par
lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi
peacutenale plus seacutevegravere
14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima
impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le
requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors
que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du
discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur
lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere
infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur
avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune
4 ARREcircT BERLAND c FRANCE
telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel
deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave
une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des
laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce
point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la
chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo
15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi
laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait
une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de
lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la
personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des
mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont
inscrites au casier judiciaire
Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris
aux moyens
Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que
les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre
prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent
pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale
pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()
() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
drsquoassassinat et de violences () raquo
16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec
ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de
sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS
de Sevrey est ainsi libelleacutee
laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux
expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties
Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de
M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune
sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble
indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de
sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai
pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo
Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de
M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon
pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser
agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland
Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel
de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140
du code de proceacutedure peacutenale ()
Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute
drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne
viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec
les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de
ARREcircT BERLAND c FRANCE 5
ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
2 ARREcircT BERLAND c FRANCE
personnes Le 14 septembre 2007 le requeacuterant fut mis en examen des chefs
drsquoassassinat de son ex-compagne et de violences volontaires sur les deux
autres personnes et placeacute en deacutetention provisoire Le mecircme jour le preacutefet
prit agrave son encontre un arrecircteacute de placement drsquooffice au CHS de Sevrey
7 Le requeacuterant fut examineacute par deux collegraveges drsquoexperts psychiatres qui
conclurent qursquoil eacutetait atteint au moment des faits drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes au sens de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal (ci-apregraves laquo CP raquo paragraphe 17 ci-dessous)
8 Le 8 septembre 2008 le procureur de la Reacutepublique requit le juge
drsquoinstruction du tribunal de grande instance de Dijon de saisir la chambre de
lrsquoinstruction afin que celle-ci statue sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du
requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-20 du code de proceacutedure peacutenale
issu de la loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental (ci-apregraves
laquo la loi du 25 feacutevrier 2008 raquo paragraphes 18 et 20 ci-dessous)
9 Par une ordonnance du 30 septembre 2008 le juge drsquoinstruction
constata qursquoil reacutesultait de lrsquoinformation qursquoil existait des charges suffisantes
agrave lrsquoencontre du requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et qursquoil y avait
des raisons plausibles drsquoappliquer lrsquoarticle 122-1 alineacutea 1er du CP preacuteciteacute Il
ordonna la transmission du dossier par le procureur de la Reacutepublique au
procureur geacuteneacuteral aux fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction
10 Le 18 novembre 2008 le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de
Dijon prit des reacutequisitions tendant agrave saisir la chambre de lrsquoinstruction afin
de statuer sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale du requeacuterant pour trouble mental
selon la proceacutedure organiseacutee par les dispositions du nouvel article 706-122
du CPP lequel preacutevoit notamment une audience (paragraphe 20 ci-dessous)
11 Par une ordonnance du 25 novembre 2008 le preacutesident de la
chambre de lrsquoinstruction constata lrsquoimpossibiliteacute meacutedicale pour le requeacuterant
de comparaicirctre agrave lrsquoaudience Au cours de lrsquoaudience du 27 novembre 2008
son repreacutesentant fit notamment valoir que lrsquoordonnance du 30 septembre
2008 meacuteconnaissait le principe de non-reacutetroactiviteacute des lois peacutenales plus
seacutevegraveres Il indiqua que selon lrsquoarticle 706-122 du CPP preacuteciteacute la chambre de
lrsquoinstruction devait se prononcer sur la commission des faits par le requeacuterant
pour prononcer un internement psychiatrique ordonneacute sans limitation de
dureacutee ce qui eacutequivalait agrave une condamnation pour une infraction et au
prononceacute drsquoune peine qui nrsquoeacutetait pas applicable agrave la date de commission des
faits
12 Par un arrecirct du 18 feacutevrier 2009 la chambre de lrsquoinstruction deacuteclara
qursquoil existait des charges suffisantes contre le requeacuterant laquo drsquoavoir
volontairement donneacute la mort agrave CG raquo et qursquoil eacutetait irresponsable
peacutenalement de ces faits au motif qursquoil eacutetait atteint drsquoun trouble psychique
ayant aboli son discernement et le controcircle de ses actes Elle prononccedila son
hospitalisation drsquooffice conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-135 du CPP issu de la
loi du 25 feacutevrier 2008 (paragraphe 20 ci-dessous) au motif laquo qursquoil ressort
ARREcircT BERLAND c FRANCE 3
des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute
des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler
dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une
dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir
ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du
nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la
proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur
la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et
inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure
souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication
immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation
alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention
laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de
fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()
() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la
reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement
judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la
personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute
publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations
drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera
soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et
administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute
Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute
() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18
ci-dessous) sont donc applicables raquo
13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses
moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la
Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave
lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire
encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous
lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute
commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait
pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par
lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi
peacutenale plus seacutevegravere
14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima
impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le
requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors
que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du
discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur
lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere
infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur
avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune
4 ARREcircT BERLAND c FRANCE
telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel
deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave
une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des
laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce
point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la
chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo
15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi
laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait
une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de
lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la
personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des
mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont
inscrites au casier judiciaire
Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris
aux moyens
Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que
les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre
prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent
pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale
pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()
() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
drsquoassassinat et de violences () raquo
16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec
ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de
sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS
de Sevrey est ainsi libelleacutee
laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux
expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties
Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de
M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune
sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble
indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de
sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai
pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo
Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de
M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon
pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser
agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland
Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel
de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140
du code de proceacutedure peacutenale ()
Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute
drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne
viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec
les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de
ARREcircT BERLAND c FRANCE 5
ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 3
des deacutebats que les troubles mentaux [du requeacuterant] compromettent la sucircreteacute
des personnes et neacutecessitent des soins au long cours et devant se deacuterouler
dans un cadre hospitalier raquo Elle lui fit eacutegalement interdiction pendant une
dureacutee de vingt ans de rentrer en relation avec les parties civiles et de deacutetenir
ou porter une arme mesures de sucircreteacute preacutevues par les dispositions du
nouvel article 706-136 du CPP (paragraphe 20 ci-dessous) Elle renvoya la
proceacutedure devant le tribunal correctionnel de Dijon pour qursquoil soit statueacute sur
la responsabiliteacute civile du requeacuterant et sur les demandes de dommages et
inteacuterecircts Auparavant elle srsquoeacutetait prononceacutee sur les exceptions de proceacutedure
souleveacutees par le repreacutesentant du requeacuterant dont celle relative agrave lrsquoapplication
immeacutediate des dispositions de la loi du 25 feacutevrier 2008 et agrave la violation
alleacutegueacutee de lrsquoarticle 7 de la Convention
laquo () La deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
reprocheacutes ne constitue nullement une condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat de
fait susceptible drsquoavoir des conseacutequences juridiques ()
() contrairement agrave ce que soutient le meacutemoire et contrairement au reacutegime de la
reacutetention de sucircreteacute la chambre de lrsquoinstruction ne prononce pas un internement
judiciaire sans limitation de dureacutee mais ordonne lrsquohospitalisation drsquooffice de la
personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du code de la santeacute
publique le reacutegime de cette hospitalisation eacutetant celui preacutevu pour les hospitalisations
drsquooffice le preacutefet eacutetant immeacutediatement aviseacute de cette deacutecision Ainsi lrsquointeacuteresseacute sera
soumis au reacutegime de lrsquohospitalisation drsquooffice ne relevant que de lrsquoautoriteacute meacutedicale et
administrative selon lrsquoeacutevolution de son eacutetat de santeacute
Degraves lors cette mesure srsquoanalyse non pas en une peine mais en une mesure de sucircreteacute
() La loi du 25 feacutevrier 2008 ainsi que le deacutecret du 16 avril 2008 [paragraphe 18
ci-dessous) sont donc applicables raquo
13 Le requeacuterant forma un pourvoi en cassation contre cet arrecirct Dans ses
moyens de cassation il fit valoir au visa des articles 6 sect 1 et 7 de la
Convention que le principe de leacutegaliteacute des peines faisait obstacle agrave
lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de lui faire
encourir des peines auxquelles son eacutetat mental ne lrsquoexposait pas sous
lrsquoempire de la loi ancienne applicable au moment ougrave les faits ont eacuteteacute
commis Il soutint que le prononceacute de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale ne pouvait
pas srsquoaccompagner de sanctions ou de mesures coercitives ordonneacutees par
lrsquoautoriteacute judiciaire sauf agrave violer le principe de non-reacutetroactiviteacute de la loi
peacutenale plus seacutevegravere
14 Devant la Cour de cassation dans son avis lrsquoavocat geacuteneacuteral estima
impossible de constater qursquoil existait des charges suffisantes contre le
requeacuterant drsquoavoir laquo volontairement raquo commis les faits reprocheacutes degraves lors
que laquo juridiquement lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale lieacute agrave une abolition du
discernement fait obstacle agrave ce que la juridiction puisse se prononcer sur
lrsquoeacuteleacutement moral de lrsquoinfraction et par voie de conseacutequence sur le caractegravere
infractionnel des faits au regard de la loi raquo Il fit valoir que le leacutegislateur
avait voulu que le juge drsquoinstruction anticipe sur la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et limite son appreacuteciation aux seuls faits laquo drsquoune
4 ARREcircT BERLAND c FRANCE
telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel
deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave
une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des
laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce
point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la
chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo
15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi
laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait
une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de
lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la
personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des
mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont
inscrites au casier judiciaire
Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris
aux moyens
Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que
les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre
prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent
pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale
pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()
() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
drsquoassassinat et de violences () raquo
16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec
ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de
sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS
de Sevrey est ainsi libelleacutee
laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux
expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties
Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de
M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune
sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble
indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de
sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai
pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo
Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de
M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon
pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser
agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland
Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel
de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140
du code de proceacutedure peacutenale ()
Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute
drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne
viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec
les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de
ARREcircT BERLAND c FRANCE 5
ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
4 ARREcircT BERLAND c FRANCE
telle anticipation ne subsiste exclusivement que lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel
deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive et son laquo imputation objective raquo agrave
une personne qui sert de support agrave la reacuteparation au beacuteneacutefice des
laquo victimes raquo et que la loi a voulu saisir en tant que tel raquo Il demanda sur ce
point par voie de retranchement la substitution du dispositif de lrsquoarrecirct de la
chambre de lrsquoinstruction pour y enlever le terme laquo volontairement raquo
15 Par un arrecirct du 14 avril 2010 la Cour de cassation rejeta le pourvoi
laquo Attendu que () la personne mise en examen a soutenu qursquoil ne pouvait ecirctre fait
une application immeacutediate de la loi du 25 feacutevrier 2008 les dispositions de
lrsquoarticle 706-136 qui en sont issues permettant de prononcer agrave lrsquoencontre de la
personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental des
mesures qui par leurs effets ont une nature de laquo quasi sanction peacutenale raquo et sont
inscrites au casier judiciaire
Attendu que pour eacutecarter cette argumentation lrsquoarrecirct prononce par les motifs repris
aux moyens
Attendu qursquoen lrsquoeacutetat de ces motifs lrsquoarrecirct nrsquoencourt pas le grief alleacutegueacute degraves lors que
les dispositions de lrsquoarticle 112-1 du code peacutenal prescrivant que seules peuvent ecirctre
prononceacutees les peines leacutegalement applicables agrave la date de lrsquoinfraction ne srsquoappliquent
pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues en cas de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale
pour cause de trouble mental par les articles 706-135 et 706-136 ()
() il existe [contre le requeacuterant] des charges suffisantes drsquoavoir commis les faits
drsquoassassinat et de violences () raquo
16 Par une deacutecision du 23 feacutevrier 2011 que le requeacuterant a produit avec
ses observations le preacutefet de Saocircne-et-Loire le deacutebouta de ses demandes de
sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur La lettre du preacutefet au meacutedecin psychiatre du CHS
de Sevrey est ainsi libelleacutee
laquo () Par courrier en date du 12082010 je vous ai informeacute que je sollicitais deux
expertises en vue de mrsquoassurer de la possibiliteacute drsquoaccorder de telles sorties
Celles-ci qui me sont parvenues concluent pour lrsquoune laquo lrsquoeacutetat de santeacute actuel de
M Berland nous permet drsquoenvisager des sorties seul agrave lrsquoexteacuterieur dans le cadre drsquoune
sortie drsquoessai avec un protocole de reacuteinteacutegration dans la socieacuteteacute qui semble
indispensable raquo Pour lrsquoautre laquo son eacutetat actuel permet drsquoenvisager la possibiliteacute de
sorties seul On devrait se diriger progressivement vers une modaliteacute de sortie drsquoessai
pour consolider les projets de reacuteinsertion raquo
Par ailleurs conformeacutement agrave ses instructions eacutedicteacutees agrave la suite du jugement de
M Berland jrsquoai pris lrsquoattache de Monsieur le procureur de la Reacutepublique de Dijon
pour lui faire part des conclusions des expertises qui pourraient mrsquoamener agrave autoriser
agrave lrsquoavenir des sorties seul agrave M Berland
Celui-ci a appeleacute mon attention sur les interdictions ordonneacutees par la cour drsquoappel
de Dijon le 18022009 agrave M Berland en application des articles 706-135 agrave 706-140
du code de proceacutedure peacutenale ()
Dans ces conditions bien que les expertises laissent entrevoir la possibiliteacute
drsquoaccorder des sorties seul agrave M Berland il mrsquoapparait impossible de garantir qursquoil ne
viendrait pas agrave entrer en contact lors de sorties seul que viendrai agrave lui autoriser avec
les personnes constituant la partie civile Par conseacutequent je tiens agrave vous informer de
ARREcircT BERLAND c FRANCE 5
ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 5
ma deacutecision () drsquoautoriser agrave lrsquoavenir exclusivement des sorties accompagneacute agrave
M Berland en fonction des eacuteleacutements drsquoappreacuteciation que vous me ferez parvenir raquo
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17 Lrsquoarticle 122-1 du CP eacutetait agrave lrsquoeacutepoque des faits ainsi libelleacute
laquo Nrsquoest pas peacutenalement responsable la personne qui eacutetait atteinte au moment des
faits drsquoun trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le
controcircle de ses actes
La personne qui eacutetait atteinte au moment des faits drsquoun trouble psychique ou
neuropsychique ayant alteacutereacute son discernement ou entraveacute le controcircle de ses actes
demeure punissable toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance
lorsqursquoelle deacutetermine la peine et en fixe le reacutegime raquo
18 La loi du 25 feacutevrier 2008 relative agrave la reacutetention de sucircreteacute et agrave la
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental comporte
deux volets
Le premier institue une reacutetention de sucircreteacute dans un centre
socio-meacutedico-judiciaire pour les personnes condamneacutees agrave une peine de
reacuteclusion criminelle drsquoune dureacutee eacutegale ou supeacuterieure agrave quinze ans et qui
preacutesentent agrave la fin de lrsquoexeacutecution de leur peine une dangerositeacute particuliegravere
Cette reacutetention de sucircreteacute preacutesente des similariteacutes avec la deacutetention de sucircreteacute
preacutevue par le droit allemand et examineacutee par la Cour dans son arrecirct
M c Allemagne (no 1935904 CEDH 2009) Dans celui-ci la Cour avait
rappeleacute que le Conseil constitutionnel franccedilais agrave propos de la nature de la
reacutetention de sucircreteacute avait jugeacute qursquoelle nrsquoeacutetait ni une peine ni une sanction
mais qursquoelle ne pouvait pas ecirctre imposeacutee reacutetroactivement agrave des personnes
condamneacutees pour des infractions commises avant son entreacutee en vigueur ou
faisant lrsquoobjet drsquoune condamnation posteacuterieure agrave cette date pour des faits
commis anteacuterieurement eu eacutegard laquo agrave sa nature privative de liberteacute agrave la
dureacutee de cette privation agrave son caractegravere renouvelable sans limite et au fait
qursquoelle est prononceacutee apregraves une condamnation par une juridiction () raquo (M
preacuteciteacute sect 75)
Le second volet de la loi seul en cause en lrsquoespegravece institue une nouvelle
proceacutedure de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental Ce texte preacutevoit que la personne atteinte drsquoun trouble mental
comparaicirct devant une juridiction drsquoinstruction ou de jugement qui se
prononce sur la reacutealiteacute des faits commis deacuteclare qursquoelle est irresponsable
peacutenalement et prononce le cas eacutecheacuteant une hospitalisation drsquooffice etou des
mesures de sucircreteacute (articles 706-135 et 706-136 du CPP paragraphe 20
ci-dessous) Auparavant ces juridictions rendaient des deacutecisions de non-
lieu de relaxe ou drsquoacquittement car la personne peacutenalement irresponsable
eacutetait assimileacutee agrave une personne contre laquelle les charges eacutetaient inexistantes
ou insuffisantes Ces mecircmes juridictions pouvaient tout au plus
lorsqursquoelles estimaient que les personnes atteintes de troubles mentaux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
6 ARREcircT BERLAND c FRANCE
risquaient de compromettre lrsquoordre public ou la sucircreteacute des personnes aviser
le preacutefet afin que celui-ci prenne une mesure drsquohospitalisation drsquooffice
19 Le projet de loi en ses dispositions relatives aux auteurs
drsquoinfractions peacutenalement irresponsables en raison drsquoun trouble mental a eacuteteacute
preacutesenteacute par le ministre de la Justice agrave lrsquoAssembleacutee Nationale comme
neacutecessaire pour laquo rendre plus coheacuterent plus efficace et plus transparent le
traitement par lrsquoautoriteacute judiciaire des auteurs drsquoinfractions deacuteclareacutes
peacutenalement irresponsables raquo avec une meilleure prise en compte de la
douleur des victimes et un renforcement de lrsquoefficaciteacute du dispositif
drsquoinjonctions de soins (sur ce dernier point la loi transfegravere la compeacutetence de
prononcer une hospitalisation drsquooffice agrave lrsquoautoriteacute judiciaire)
laquo Si le principe de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale des personnes atteintes drsquoun trouble
mental alieacutenant nrsquoest plus contestable les modaliteacutes proceacutedurales selon lesquelles les
juridictions reacutepressives deacutecident de lrsquoirresponsabiliteacute et les conseacutequences qursquoelles en
tirent font en revanche lrsquoobjet de vives critiques depuis de longues anneacutees Elles ont
deacutejagrave conduit agrave modifier agrave plusieurs reprises les textes () mais nrsquoont toutefois pas
reacutepondu agrave la principale critique qui est que le juge reacutepressif lorsqursquoil applique les
dispositions de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal soit rend une ordonnance de non-lieu qui
met fin aux poursuites sans deacutebat preacutealable sans se prononcer sur les faits sans
informer les victimes des mesures prises ensuite agrave lrsquoeacutegard de lrsquoauteur et sans statuer
sur les conseacutequences civiles de lrsquoacte commis soit prononce une relaxe ou un
acquittement qui sont perccedilus comme niant totalement la reacutealiteacute des faits qui ont eacuteteacute
mateacuteriellement commis Afin de reacutepondre agrave ces critiques le preacutesent projet propose de
revoir dans son entier le traitement judiciaire de lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental par les juridictions reacutepressives raquo
20 La proceacutedure que le juge drsquoinstruction doit suivre et celle devant la
chambre drsquoinstruction devant laquelle se deacuteroule une audience sont
organiseacutees par les dispositions du CPP suivantes
Article 706-120
laquo Lorsqursquoau moment du regraveglement de son information le juge drsquoinstruction estime
apregraves avoir constateacute qursquoil existe contre la personne mise en examen des charges
suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes qursquoil y a des raisons plausibles
drsquoappliquer le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal il ordonne si le
procureur de la Reacutepublique ou une partie en a formuleacute la demande que le dossier de
la proceacutedure soit transmis par le procureur de la Reacutepublique au procureur geacuteneacuteral aux
fins de saisine de la chambre de lrsquoinstruction Il peut aussi ordonner drsquooffice cette
transmission
Dans les autres cas il rend une ordonnance drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental qui preacutecise qursquoil existe des charges suffisantes eacutetablissant que
lrsquointeacuteresseacute a commis les faits qui lui sont reprocheacutes raquo
Article 706-122
laquo Lorsque la chambre drsquoinstruction est saisie en application de lrsquoarticle 706-120 son
preacutesident ordonne soit drsquooffice soit agrave la demande de la partie civile du ministegravere
public ou de la personne mise en examen la comparution personnelle de cette
derniegravere si son eacutetat le permet () Les deacutebats se deacuteroulent en audience publique ()
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 7
Le procureur geacuteneacuteral lrsquoavocat de la personne mise en examen et lrsquoavocat de la partie
civile peuvent poser des questions agrave la personne mise en examen agrave la partie civile
aux teacutemoins et aux experts () raquo
Article 706-125
laquo Dans les autres cas [autres que ceux dans lesquels il nrsquoexiste pas de charges
suffisantes contre la personne mise en examen ou le premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1
du code peacutenal nrsquoest pas applicable] la chambre de lrsquoinstruction rend un arrecirct de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental par lequel
1o Elle deacuteclare qursquoil existe des charges suffisantes contre la personne drsquoavoir
commis les faits qui lui sont reprocheacutes
2o Elle deacuteclare la personne irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le controcircle de ses actes
au moment des faits
3o Si la partie civile le demande elle renvoie lrsquoaffaire devant le tribunal
correctionnel compeacutetent pour qursquoil se prononce sur la responsabiliteacute civile de la
personne () et statue sur les demandes de dommages et inteacuterecircts
4o Elle prononce srsquoil y a lieu une ou plusieurs des mesures de sucircreteacute () raquo
Article 706-135
(agrave lrsquoeacutepoque des faits)
laquo Sans preacutejudice de lrsquoapplication des articles L 3213-1 et L 3213-7 du code de la
santeacute publique lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement
prononce un arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental elle peut ordonner par deacutecision motiveacutee lrsquohospitalisation drsquooffice
de la personne dans un eacutetablissement mentionneacute agrave lrsquoarticle L 3222-1 du mecircme code
srsquoil est eacutetabli par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la proceacutedure que
les troubles mentaux de lrsquointeacuteresseacute neacutecessitent des soins et compromettent la sucircreteacute
des personnes ou portent atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public Le repreacutesentant de
lrsquoEacutetat dans le deacutepartement ou agrave Paris le preacutefet de police est immeacutediatement aviseacute de
cette deacutecision Le reacutegime de cette hospitalisation est celui preacutevu pour les
hospitalisations ordonneacutees en application de lrsquoarticle L 3213-1 du mecircme code dont le
deuxiegraveme alineacutea est applicable Lrsquoarticle L 3213-8 du mecircme code est eacutegalement
applicable raquo
Article 706-136
laquo Lorsque la chambre de lrsquoinstruction ou une juridiction de jugement prononce un
arrecirct ou un jugement de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble
mental elle peut ordonner agrave lrsquoencontre de la personne les mesures de sucircreteacute suivantes
pendant une dureacutee qursquoelle fixe et qui ne peut exceacuteder dix ans en matiegravere
correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un deacutelit puni
de dix ans drsquoemprisonnement
1o Interdiction drsquoentrer en relation avec la victime de lrsquoinfraction ou certaines
personnes ou cateacutegories de personnes et notamment les mineurs speacutecialement
deacutesigneacutees
2o Interdiction de paraicirctre dans tout lieu speacutecialement deacutesigneacute
3o Interdiction de deacutetenir ou de porter une arme
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
8 ARREcircT BERLAND c FRANCE
4o Interdiction drsquoexercer une activiteacute professionnelle ou beacuteneacutevole speacutecialement
deacutesigneacutee dans lrsquoexercice de laquelle ou agrave lrsquooccasion de laquelle lrsquoinfraction a eacuteteacute
commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs sans faire preacutealablement
lrsquoobjet drsquoun examen psychiatrique deacuteclarant la personne apte agrave exercer cette activiteacute
5o Suspension du permis de conduire
6o Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la deacutelivrance
drsquoun nouveau permis
Ces interdictions qui ne peuvent ecirctre prononceacutees qursquoapregraves une expertise
psychiatrique ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est
susceptible de faire lrsquoobjet
Si la personne est hospitaliseacutee en application des articles L 3213-1 et L 3213-7 du
code de la santeacute publique les interdictions dont elle fait lrsquoobjet sont applicables
pendant la dureacutee de lrsquohospitalisation et se poursuivent apregraves la leveacutee de cette
hospitalisation pendant la dureacutee fixeacutee par la deacutecision raquo
Article 706-137
laquo La personne qui fait lrsquoobjet drsquoune interdiction prononceacutee en application de
lrsquoarticle 706-136 peut demander au juge des liberteacutes et de la deacutetention du lieu de la
situation de lrsquoeacutetablissement hospitalier ou de son domicile drsquoordonner sa modification
ou sa leveacutee Celui-ci statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministegravere
public le demandeur ou son avocat entendus ou ducircment convoqueacutes Il peut solliciter
lrsquoavis preacutealable de la victime La leveacutee de la mesure ne peut ecirctre deacutecideacutee qursquoau vu du
reacutesultat drsquoune expertise psychiatrique En cas de rejet de la demande aucune demande
ne peut ecirctre deacuteposeacutee avant lrsquoexpiration drsquoun deacutelai de six mois raquo [le mot
laquo interdiction raquo a eacuteteacute remplaceacute par le mot laquo mesure raquo agrave la suite de lrsquoentreacutee en vigueur
le 1er octobre 2014 de la loi du no 2014-896 du 15 aoucirct 2014 relative agrave
lrsquoindividualisation des peines et renforccedilant lrsquoefficaciteacute des sanctions peacutenales] raquo
Article 706-139
laquo La meacuteconnaissance par la personne qui en a fait lrsquoobjet des interdictions preacutevues
par lrsquoarticle 706-136 est punie sous reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de
lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal de deux ans drsquoemprisonnement et 30 000 euros
drsquoamende raquo
Article D 47-29-1
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice prise en application de
lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code est immeacutediatement exeacutecutoire sans preacutejudice de la
possibiliteacute de saisine du juge des liberteacutes et de la deacutetention conformeacutement aux
dispositions de lrsquoarticle L 3211-12 du code de la santeacute publique afin qursquoil soit mis fin
agrave lrsquohospitalisation
Agrave peine drsquoirrecevabiliteacute cette ordonnance ne peut faire lrsquoobjet drsquoun appel ou drsquoun
pourvoi en cassation qursquoen mecircme temps qursquoun appel ou qursquoun pourvoi formeacute contre la
deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental
Lrsquoappel ou le pourvoi formeacute contre lrsquoordonnance aux fins drsquohospitalisation drsquooffice
nrsquoest pas suspensif () raquo
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 9
Article D 47-29-3
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions de lrsquoarticle 706-135 du preacutesent code le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice ordonneacutee par une juridiction en application de cet article est
srsquoagissant des conditions de leveacutee et de prolongation de cette mesure identique agrave celui
de lrsquohospitalisation ordonneacutee par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat en application des articles
L3213-1 et L 3213-7 du code de la santeacute publique agrave lrsquoeacutegard drsquoune personne deacuteclareacutee
peacutenalement irresponsable en raison drsquoun trouble mental En particulier il ne peut ecirctre
mis fin agrave cette hospitalisation que selon les modaliteacutes preacutevues par lrsquoarticle L 3213-8
du code de la santeacute publique et les dispositions de lrsquoarticle L 3213-4 de ce code
exigeant sous peine de mainleveacutee automatique de lrsquohospitalisation le maintien de
cette mesure par le repreacutesentant de lrsquoEacutetat agrave lrsquoissue des deacutelais preacutevus par cet article ne
sont par conseacutequent pas applicables raquo
Article D 47-29-6
Creacuteeacute par deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Les mesures de sucircreteacute preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 ne peuvent ecirctre prononceacutees par
la juridiction que srsquoil apparaicirct au moment ougrave la deacutecision est rendue et au vu des
eacuteleacutements du dossier et notamment de lrsquoexpertise de lrsquointeacuteresseacute qursquoelles sont
neacutecessaires pour preacutevenir le renouvellement des actes commis par la personne
deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable pour proteacuteger cette personne pour proteacuteger la
victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre public
reacutesultant de la commission de ces actes
Ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute raquo
Article D 47-29-8
Creacuteeacute par Deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010
laquo Conformeacutement aux dispositions du 11o bis du I de lrsquoarticle 23 de la loi
no 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure le ministegravere public informe
le gestionnaire du fichier des personnes rechercheacutees des interdictions prononceacutees en
application de lrsquoarticle 706-136 raquo
Article D 47-31
laquo Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral avise le service du casier
judiciaire national automatiseacute des jugements et arrecircts de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale pour cause de trouble mental rendus par la chambre de lrsquoinstruction et les
juridictions de jugement dans les cas ougrave il a eacuteteacute fait application des dispositions de
lrsquoarticle 706-36
Dans ce cas lorsqursquoil est informeacute de la leveacutee drsquoune hospitalisation drsquooffice
conformeacutement agrave lrsquoarticle D 47-30 le procureur de la Reacutepublique en avise le service
du casier judiciaire national automatiseacute afin que celui-ci puisse en tirer les
conseacutequences sur la dureacutee de validiteacute de lrsquointerdiction et sur sa mention aux bulletins
no 1 et no 2 du casier judiciaire raquo
21 Lrsquoarticle 5 du deacutecret no 2008-361 du 16 avril 2008 dispose que les
articles D 47-27 agrave D 47-32 sont immeacutediatement applicables aux proceacutedures
en cours Dans une circulaire du 8 juillet 2010 relative agrave la preacutesentation des
dispositions du deacutecret no 2010-692 du 24 juin 2010 preacutecisant les
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
10 ARREcircT BERLAND c FRANCE
dispositions du CPP relative agrave lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental il est preacuteciseacute ceci
laquo Nature et fondement des mesures de lrsquoarticle 706-136
Lrsquoarticle D 47-29-6 indique expresseacutement qursquoil srsquoagit de mesures de sucircreteacute
Il preacutecise qursquoelles ne peuvent ecirctre prononceacutees par la juridiction que srsquoil apparaicirct au
moment ougrave la deacutecision est rendue qursquoelles sont neacutecessaires pour preacutevenir le
renouvellement des actes commis par la personne pour proteacuteger cette personne pour
proteacuteger sa victime ou la famille de la victime ou pour mettre fin au trouble agrave lrsquoordre
public reacutesultant de la commission de ces actes Il est preacuteciseacute qursquoelles ne peuvent ecirctre
prononceacutees agrave titre de sanction contre lrsquointeacuteresseacute
Srsquoagissant de mesures de sucircreteacute et non de peines ces dispositions sont
immeacutediatement applicables mecircme si la personne a eacuteteacute deacuteclareacutee irresponsable agrave la
suite de faits commis avant la loi du 25 feacutevrier 2008 (Crim 16 deacutecembre 2009) raquo
22 Dans sa deacutecision no 2008-562 DC du 21 feacutevrier 2008 le Conseil
constitutionnel srsquoeacutetait prononceacute sur la constitutionnaliteacute des dispositions
preacuteciteacutees
laquo () les requeacuterants () critiquent () le fait que la chambre de lrsquoinstruction
lorsqursquoelle est saisie puisse deacuteclarer agrave la fois qursquoil existe des charges suffisantes
contre une personne drsquoavoir commis les faits qui lui sont reprocheacutes et qursquoelle est
irresponsable peacutenalement qursquoils deacutenoncent dans cette proceacutedure une confusion des
fonctions drsquoinstruction et de jugement portant atteinte agrave la preacutesomption drsquoinnocence
de la personne concerneacutee () qursquoils deacutenoncent enfin comme eacutetant contraire au
principe de neacutecessiteacute des deacutelits et des peines la creacuteation drsquoune infraction reacuteprimant la
meacuteconnaissance drsquoune mesure de sucircreteacute par une personne deacuteclareacutee peacutenalement
irresponsable
Consideacuterant drsquoune part qursquoil reacutesulte de lrsquoarticle 706-125 du code de proceacutedure
peacutenale que lorsque agrave lrsquoissue de lrsquoaudience sur lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental la chambre de lrsquoinstruction estime que les charges sont suffisantes
contre la personne mise en examen et que cette derniegravere relegraveve de lrsquoarticle 122-1 du
code peacutenal cette chambre nrsquoest compeacutetente ni pour deacuteclarer que cette personne a
commis les faits qui lui sont reprocheacutes ni pour se prononcer sur sa responsabiliteacute
civile ()
Consideacuterant () que les dispositions de lrsquoarticle 706-139 du code de proceacutedure
peacutenale qui reacutepriment la meacuteconnaissance des mesures de sucircreteacute ordonneacutees agrave lrsquoencontre
drsquoune personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable ne deacuterogent pas aux dispositions
de lrsquoarticle 122-1 du code peacutenal en vertu desquelles lrsquoirresponsabiliteacute peacutenale drsquoune
personne agrave raison de son eacutetat mental ou psychique srsquoappreacutecie au moment des faits
que degraves lors le deacutelit preacutevu par lrsquoarticle 706-139 nrsquoaura vocation agrave srsquoappliquer qursquoagrave
lrsquoeacutegard de personnes qui au moment ougrave elles ont meacuteconnu les obligations reacutesultant
drsquoune mesure de sucircreteacute eacutetaient peacutenalement responsables de leurs actes ()
Consideacuterant que la deacutecision de deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de
trouble mental ne revecirct pas le caractegravere drsquoune sanction que lorsque aucune mesure
de sucircreteacute preacutevue par lrsquoarticle 706-136 du code de proceacutedure peacutenale nrsquoa eacuteteacute prononceacutee
cette information ne peut ecirctre leacutegalement neacutecessaire agrave lrsquoappreacuteciation de la
responsabiliteacute peacutenale de la personne eacuteventuellement poursuivie agrave lrsquooccasion de
proceacutedures ulteacuterieures que degraves lors eu eacutegard aux finaliteacutes du casier judiciaire elle
ne saurait sans porter une atteinte non neacutecessaire agrave la protection de la vie priveacutee
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 11
qursquoimplique lrsquoarticle 2 de la Deacuteclaration de 1789 ecirctre mentionneacutee au bulletin no 1 du
casier judiciaire que lorsque des mesures de sucircreteacute preacutevues par le nouvel
article 706-136 du code de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute prononceacutees et tant que ces
interdictions nrsquoont pas cesseacute leurs effets que sous cette reacuteserve ces dispositions ne
sont pas contraires agrave la Constitution raquo
23 La Cour de cassation par un arrecirct du 21 janvier 2009 (Cass crim
no 08-83492) avait estimeacute que laquo le principe de la leacutegaliteacute des peines faisait
obstacle agrave lrsquoapplication immeacutediate drsquoune proceacutedure qui a pour effet de faire
encourir agrave une personnes des laquo peines raquo preacutevues agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP
que son eacutetat mental ne lui faisait pas encourir sous lrsquoempire de la loi
ancienne applicable agrave la date agrave laquelle les faits ont eacuteteacute commis raquo Cette
jurisprudence fut modifieacutee par un arrecirct du 16 deacutecembre 2009 rendue en
formation pleacuteniegravere de la chambre criminelle (No 09-85-153) dans lequel la
Cour de cassation a jugeacute que le principe de la leacutegaliteacute des peines ne
srsquoapplique pas aux mesures de sucircreteacute preacutevues par les articles 706-135 et
706-136 du CPP Cette solution a eacuteteacute confirmeacutee dans lrsquoarrecirct rejetant le
pourvoi du requeacuterant et maintenue ulteacuterieurement (Cass Crim
no 10-88126 12 octobre 2011) Par ailleurs le 14 janvier 2014 la Cour de
cassation a deacutecideacute qursquoil nrsquoy avait pas lieu de renvoyer au Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnaliteacute portant sur
lrsquohospitalisation drsquooffice preacutevue par lrsquoarticle 706-135 du CPP
laquo Les dispositions contesteacutees destineacutees agrave concilier la protection de la santeacute des
personnes souffrant de troubles mentaux la preacutevention des atteintes agrave lrsquoordre public
neacutecessaire agrave la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et
lrsquoexercice de liberteacutes constitutionnellement garanties ne meacuteconnaissent en
elles-mecircmes ni le principe selon lequel lrsquoautoriteacute judiciaire est gardienne de la liberteacute
individuelle ni le principe drsquoeacutegaliteacute devant la loi ni lrsquoobjectif constitutionnel de
sauvegarde de lrsquoordre public lrsquointeacuterecirct des victimes eacutetant pris en compte en application
des articles 706-135 et suivants du code de proceacutedure peacutenale raquo (No 13-82787) raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 7 DE LA
CONVENTION
24 Invoquant lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention le requeacuterant se plaint de
lrsquoapplication reacutetroactive de la loi du 25 feacutevrier 2008 La partie pertinente de
cette disposition est ainsi libelleacutee
laquo 1 Nul ne peut ecirctre condamneacute pour une action ou une omission qui au moment ougrave
elle a eacuteteacute commise ne constituait pas une infraction drsquoapregraves le droit national ou
international De mecircme il nrsquoest infligeacute aucune peine plus forte que celle qui eacutetait
applicable au moment ougrave lrsquoinfraction a eacuteteacute commise raquo
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
12 ARREcircT BERLAND c FRANCE
A Sur la recevabiliteacute
25 Le Gouvernement estime que les mesures prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du
requeacuterant en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP ne
constituent pas des laquo peines raquo au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention et que
la requecircte devrait ecirctre deacuteclareacutee irrecevable comme incompatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention en application de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
26 Le requeacuterant ne partage pas lrsquoavis du Gouvernement et soutient que
la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sucircreteacute qui
lrsquoaccompagnent constituent une laquo peine raquo agrave laquelle le principe de non
reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase a vocation agrave
srsquoappliquer
27 La Cour estime que lrsquoexception drsquoincompeacutetence ratione materiae
dans les circonstances de lrsquoespegravece est eacutetroitement lieacutee agrave la substance du
grief du requeacuterant au titre de lrsquoarticle 7 de la Convention Elle deacutecide donc
de la joindre au fond La Cour constate par ailleurs que la requecircte nrsquoest pas
manifestement mal fondeacutee au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention
Elle relegraveve par ailleurs qursquoelle ne se heurte agrave aucun autre motif
drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de la deacuteclarer recevable
B Sur lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 7 de la Convention
1 Thegraveses des parties
28 Le Gouvernement soutient que lrsquohospitalisation drsquooffice et les
mesures prononceacutees en application des articles 706-135 et 706-136 du CPP
ne constituent pas des peines au sens de lrsquoarticle 7 de la Convention car elles
nrsquointerviennent pas agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale La deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et le constat de lrsquoexistence de charges suffisantes
contre la personne drsquoavoir commis les faits reprocheacutes par la juridiction
drsquoinstruction nrsquoeacutequivalent pas agrave une appreacuteciation de culpabiliteacute seule
lrsquoimputabiliteacute mateacuterielle des faits agrave la personne poursuivie est rechercheacutee
Crsquoest ce qui diffeacuterencie selon le Gouvernement ces mesures de la deacutetention
de sucircreteacute en droit allemand examineacutee par la Cour dans lrsquoarrecirct M preacuteciteacute
29 Le Gouvernement estime par ailleurs que les mesures litigieuses ne
reacutepondent pas aux autres critegraveres deacutegageacutes par la Cour pour caracteacuteriser une
peine (Welch c Royaume-Uni 9 feacutevrier 1995 seacuterie A no 307-A M
preacuteciteacute) En effet elles sont qualifieacutees en droit interne de laquo mesures de
sucircreteacute raquo et lrsquoensemble des travaux ayant abouti agrave leur adoption deacutemontre
que ce terme eacutetait utiliseacute degraves le deacutepart Le Conseil constitutionnel et la Cour
de cassation ont eacutegalement confirmeacute que ces mesures nrsquoavaient pas le
caractegravere drsquoune sanction (paragraphes 20 et 23 ci-dessus) De plus selon le
Gouvernement cette qualification correspond au but et agrave la nature de ces
mesures Il srsquoagit laquo drsquoameacuteliorer la prise en charge meacutedicale et judiciaire des
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 13
auteurs drsquoinfraction atteints de troubles mentaux ou qui preacutesentent un profil
dangereux raquo (Assembleacutee Nationale rapport fait sur le projet de loi relatif agrave
la reacutetention de sucircreteacute et agrave la deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause
de trouble mental 12 deacutecembre 2007) et de garantir la seacutecuriteacute des
personnes ainsi que de preacuteserver lrsquoordre public Le Gouvernement souligne
que contrairement agrave une peine ces mesures nrsquoont pas de fonction
reacutepressive mais preacuteventive et curative cette finaliteacute ressort agrave lrsquoeacutevidence de
la seule reacutedaction de lrsquoarticle 706-135 du CPP Ainsi en lrsquoespegravece la mesure
drsquohospitalisation drsquooffice a eacuteteacute prononceacutee au regard de deux expertises
psychiatriques concluant agrave lrsquoabolition du discernement du requeacuterant et la
chambre de lrsquoinstruction lrsquoa justifieacutee par les troubles mentaux du requeacuterant
qui laquo compromettent la sucircreteacute des personnes et neacutecessitent des soins au long
cours agrave lrsquohocircpital raquo Ces mesures visent non agrave punir mais agrave preacutevenir la
commission drsquoune nouvelle infraction et agrave proteacuteger la socieacuteteacute impeacuteratif
conventionnel rappeleacute par la Cour agrave plusieurs occasions selon le
Gouvernement (Mastromatteo c Italie [GC] no 3770397
CEDH 2002-VIII) Il compare ces mesures aux ordonnances de mise agrave
disposition avec internement dans un eacutetablissement de soins existant aux
Pays-Bas (Morsink c Pays-Bas no 4886599 sect 66 11 mai 2004)
30 En ce qui concerne le reacutegime juridique des mesures de sucircreteacute le
Gouvernement fait valoir qursquoil nrsquoest pas le mecircme que celui des peines Tout
drsquoabord le reacutegime de la mesure drsquohospitalisation est strictement identique agrave
celui drsquoautres hospitalisations sous contraintes prononceacutees dans un cadre
non peacutenal Ainsi contrairement agrave la situation jugeacutee dans lrsquoaffaire M la
preacutesente espegravece nrsquoa pas trait agrave une peine drsquoemprisonnement drsquoune dureacutee
illimiteacutee Lrsquohospitalisation dans un eacutetablissement speacutecialiseacute tout comme les
autres mesures preacutevues agrave lrsquoarticle 706-36 sont strictement encadreacutees agrave la
diffeacuterence des peines elles ont un caractegravere provisoire et peuvent ecirctre
modifieacutees ou leveacutees en cours drsquoexeacutecution si les raisons qui ont justifieacute leur
prononceacute ont disparu Leur leveacutee est conditionneacutee au reacutesultat drsquoune
expertise psychiatrique ce qui deacutemontre leur finaliteacute curative et preacuteventive
Enfin le Gouvernement souligne que le manquement aux obligations
reacutesultant de ces mesures fait lrsquoobjet non pas drsquoune reacutevocation comme dans
le cas drsquoune peine mais drsquoune infraction autonome
31 Le Gouvernement deacuteduit de ce qui preacutecegravede que les mesures
litigieuses nrsquoeacutetaient pas soumises au principe de non reacutetroactiviteacute
32 Le requeacuterant soutient que la deacuteclaration preacutevue agrave lrsquoarticle 706-125 du
CPP avoisine une deacuteclaration de culpabiliteacute Avant la loi du 25 feacutevrier 2008
il nrsquoy avait aucune forme de jugement puisque lrsquointeacuteresseacute eacutetait reconnu ne
pas pouvoir ecirctre coupable le juge drsquoinstruction deacuteclarant nrsquoy avoir lieu agrave le
poursuivre devant aucune juridiction De mecircme aucune interdiction
judiciaire passible drsquoune sanction ne pouvait ecirctre prononceacutee en cas
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale Depuis lrsquointeacuteresseacute est renvoyeacute devant une
juridiction pour un procegraves public au terme duquel il est deacuteclareacute qursquoil existe
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
14 ARREcircT BERLAND c FRANCE
des charges suffisantes contre lui drsquoavoir commis les faits et cette
deacuteclaration fait lrsquoobjet drsquoune inscription au casier judiciaire en cas de
prononceacute de mesures de sucircreteacute Le requeacuterant estime qursquoil srsquoagit bien drsquoune
condamnation peacutenale Agrave cela il ajoute que la chambre de lrsquoinstruction est
deacutesormais tenue par la loi drsquoordonner lrsquohospitalisation drsquooffice de
lrsquointeacuteresseacute sans limitation de dureacutee alors qursquoil srsquoagissait drsquoune simple
faculteacute pour le preacutefet sous lrsquoancien reacutegime
33 Quant agrave la possibiliteacute de demander le relegravevement des mesures de
sucircreteacute au juge de la liberteacute et de la deacutetention le requeacuterant explique qursquoil
srsquoagit du reacutegime de droit commun de toutes les peines accessoires
drsquointerdiction en matiegravere peacutenale dont le condamneacute peut toujours demander
le relegravevement en cours drsquoapplication agrave la juridiction qui a prononceacute la
condamnation
34 Le requeacuterant conteste que lrsquohospitalisation serait de droit commun et
deacutependrait uniquement du corps meacutedical Il en veut pour preuve la deacutecision
du preacutefet du 23 feacutevrier 2011 (paragraphe 16 ci-dessus) Il affirme que
celle-ci deacutemontre que son reacutegime de deacutetention est tregraves proche drsquoune
incarceacuteration puisqursquoil ne deacutepend plus uniquement du corps meacutedical mais
est au contraire soumis au veacuteto du procureur son adversaire par
lrsquointermeacutediaire du preacutefet Il dit se incarceacutereacute meacutedicalement selon un concept
nouveau creacuteeacute par la loi du 25 feacutevrier 2008
35 Enfin le requeacuterant estime que le fait que la violation des mesures de
sucircreteacute est assortie drsquoune peine fixeacutee agrave lrsquoavance est au contraire de ce qui est
soutenu par le Gouvernement le critegravere deacuteterminant pour consideacuterer que ces
mesures sont des peines au sens de la Convention
2 Appreacuteciation de la Cour
36 La Cour rappelle que la notion de laquo peine raquo contenue dans lrsquoarticle 7
sect 1 de la Convention possegravede comme celles de laquo droits et obligations de
caractegravere civil raquo et drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6
sect 1 une porteacutee autonome Pour rendre effective la protection offerte par
lrsquoarticle 7 la Cour doit demeurer libre drsquoaller au-delagrave des apparences et
drsquoappreacutecier elle-mecircme si une mesure particuliegravere srsquoanalyse au fond en une
laquo peine raquo au sens de cette clause (Welch preacuteciteacute sect 27)
37 Le libelleacute de lrsquoarticle 7 sect 1 seconde phrase indique que le point de
deacutepart de toute appreacuteciation de lrsquoexistence drsquoune laquo peine raquo consiste agrave
deacuteterminer si la mesure en question a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune
condamnation pour une infraction peacutenale Drsquoautres eacuteleacutements peuvent ecirctre
jugeacutes pertinents agrave cet eacutegard la nature et le but de la mesure en cause sa
qualification en droit interne les proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution ainsi que sa graviteacute (Welch preacuteciteacute sect 28 et M preacuteciteacute
sect 120) La graviteacute de la mesure nrsquoest toutefois pas deacutecisive en soi puisque
de nombreuses mesures non peacutenales de nature preacuteventive peuvent avoir un
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 15
impact substantiel sur la personne concerneacutee (Welch preacuteciteacute sect 32 et
Van der Velden c Pays-Bas (deacutec) no 2951405 CEDH 2006-XV)
38 La Cour a pu eacutetablir dans sa jurisprudence une distinction entre une
peine telle que la deacutetention de sucircreteacute preacutevue en droit allemand (M preacuteciteacute
et paragraphe 18 ci-dessus) et une mesure de sucircreteacute eacutechappant agrave lrsquoarticle 7
de la Convention comme lrsquoinscription drsquoune personne sur un fichier
judiciaire drsquoauteurs drsquoinfractions sexuelles ou violentes (Gardel c France
no 1642805 CEDH 2009) Elle rappelle qursquoelle a jugeacute que la deacutetention de
sucircreteacute eacutetait une peine en retenant notamment qursquoelle avait eacuteteacute ordonneacutee
apregraves une condamnation pour tentative de meurtre et vol qualifieacute et qursquoelle
visait davantage un but punitif que preacuteventif ainsi qursquoen attestent son
exeacutecution dans une prison ordinaire lrsquoabsence de soins speacutecialiseacutes pour
reacuteduire la dangerositeacute de la personne concerneacutee la dureacutee illimiteacutee de la
deacutetention son prononceacute par les tribunaux et son exeacutecution deacutetermineacutee par
les tribunaux de lrsquoapplication des peines qui font partie du systegraveme de la
justice peacutenale (M preacuteciteacute sectsect 124 agrave 131)
Cette distinction doit cependant ecirctre utiliseacutee avec prudence tant les
leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute
contre les risques poseacutes par les deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme
type de mesure peut ecirctre qualifieacute de peine dans un Eacutetat et de mesure de
sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le principe de leacutegaliteacute des peines dans un
autre (M preacuteciteacute sectsect 74 et 126)
39 En lrsquoespegravece la Cour doit rechercher si les mesures litigieuses agrave
savoir lrsquohospitalisation drsquooffice et les mesures de sucircreteacute ordonneacutees
conformeacutement agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP doivent srsquoanalyser comme des
peines auxquelles le principe de non reacutetroactiviteacute eacutenonceacute par lrsquoarticle 7 sect 1
seconde phrase a vocation agrave srsquoappliquer
40 Eu eacutegard aux critegraveres eacutetablis dans sa jurisprudence il incombe
drsquoabord agrave la Cour de deacuteterminer si les mesures litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees agrave
la suite drsquoune condamnation pour une infraction Agrave cet eacutegard la Cour note
drsquoembleacutee que ces mesures ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction
apregraves que celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental Si elle a deacutejagrave consideacutereacute qursquoune deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale prononceacutee par une cour drsquoassises nrsquoempecircchait pas
que lrsquointeacuteresseacute puisse se preacutevaloir de la qualiteacute de victime pour faire valoir
son droit agrave un procegraves eacutequitable au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
(G c France no 2724409 sect 46 23 feacutevrier 2012) il faut rappeler que sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 7 sect 1 lrsquoappreacuteciation drsquoune peine deacutepend du point de
savoir si la mesure imposeacutee lrsquoest agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale En
lrsquoespegravece la Cour observe que la chambre de lrsquoinstruction a rendu un arrecirct
par lequel elle a deacuteclareacute drsquoune part qursquoil existait des charges suffisantes
contre le requeacuterant drsquoavoir commis les faits reprocheacutes et drsquoautre part qursquoil
eacutetait irresponsable peacutenalement en raison drsquoun trouble psychique ayant aboli
son discernement et le controcircle de ses actes Cette juridiction a pris soin de
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
16 ARREcircT BERLAND c FRANCE
preacuteciser que laquo () la deacuteclaration de lrsquoexistence de charges suffisantes
drsquoavoir commis les faits reprocheacutes ne constitue nullement une
condamnation mais la constatation drsquoun eacutetat susceptible drsquoavoir des
conseacutequences juridiques () raquo (paragraphe 12 ci-dessus) Auparavant le
Conseil constitutionnel avait consideacutereacute que la laquo deacuteclaration de lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits reprocheacutes raquo ne constitue pas
une laquo appreacuteciation sur la commission de ces faits raquo et que laquo la deacutecision de
deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute peacutenale pour cause de trouble mental ne revecirct
pas le caractegravere drsquoune sanction raquo (paragraphe 22 ci-dessus voir
a contrario la deacutetention de sucircreteacute qui est prononceacutee laquo apregraves une
condamnation par une juridiction raquo paragraphe 18 ci-dessus et
a contrario par exemple lrsquoaffaire Achour c France [GC] no 6733501
CEDH 2006-IV dans laquelle le requeacuterant alleacuteguait que sa condamnation
pour reacutecidive se fondait sur une application reacutetroactive de la loi peacutenale
contraire agrave lrsquoarticle 7 de la Convention)
41 La Cour observe eacutegalement que le deacutebat qursquoont eu les juridictions
internes sur le constat par la chambre de lrsquoinstruction de laquo lrsquoexistence de
charges suffisantes drsquoavoir commis les faits raquo lorsque celle-ci appliquait
lrsquoarticle 706-125 du CPP a eacuteteacute reacutegleacute par la Cour de cassation qui a
consideacutereacute neacutecessaire de soustraire le mot laquo volontairement raquo de cette
deacuteclaration de maniegravere agrave ce que lrsquoeacuteleacutement moral normalement constitutif
drsquoune infraction ne puisse pas entrer en ligne de compte en cas drsquoabolition
du discernement de la personne poursuivie Lrsquoavocat geacuteneacuteral avait en effet
fait valoir que lrsquoeacutetat drsquoirresponsabiliteacute peacutenale faisait obstacle agrave ce que la
juridiction puisse se prononcer sur le laquo caractegravere infractionnel raquo des faits au
regard de la loi il ajoutait que seul lrsquoeacuteleacutement mateacuteriel de lrsquoinfraction
laquo deacutepouilleacute de sa connotation reacutepressive raquo pouvait ecirctre appreacutecieacute dans une
telle situation (paragraphe 14 ci-dessus)
42 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour estime que les mesures litigieuses
prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour
cause de trouble mental nrsquoont pas eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour
une laquo infraction raquo Elle rappelle agrave cet eacutegard qursquoelle a deacutejagrave consideacutereacute que les
internements preacutevus par la loi de deacutefense sociale en Belgique agrave lrsquoeacutegard des
personnes atteintes de troubles mentaux et deacuteclareacutees peacutenalement
irresponsables ne pouvaient ecirctre appreacutehendeacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 sect 1
a) de la Convention faute de laquo condamnation raquo (Claes c Belgique
no 4341809 sect 110 10 janvier 2013 Moreels c Belgique no 4371709
sect 43 9 janvier 2014)
43 En outre pour ce qui est de la qualification en droit interne des
mesures prononceacutees agrave lrsquoencontre du requeacuterant conformeacutement agrave lrsquoarticle
706-135 et 706-136 du CPP la Cour relegraveve qursquoen France elles ne sont pas
consideacutereacutees comme des peines auxquelles srsquoapplique le principe de non
reacutetroactiviteacute Si la mesure drsquohospitalisation drsquooffice preacutevue agrave
lrsquoarticle 706-135 du CPP nrsquoest pas explicitement deacutesigneacutee par la loi comme
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 17
une mesure de sucircreteacute le leacutegislateur a qualifieacute comme telles celles qursquoinstitue
lrsquoarticle 706-136 La circulaire du 8 juillet 2010 a preacuteciseacute que les mesures
viseacutees agrave lrsquoarticle 706-136 du CPP ne peuvent ecirctre prononceacutees agrave titre de
sanction (paragraphe 20 ci-dessus) La Cour de cassation juge depuis son
arrecirct du 16 deacutecembre 2009 que ces mesures ne sont pas des peines
(paragraphe 23 ci-dessus)
44 En ce qui concerne la nature et le but de lrsquohospitalisation drsquooffice la
Cour observe qursquoelle ne peut ecirctre ordonneacutee que si une expertise
psychiatrique a eacutetabli que les troubles mentaux de la personne deacuteclareacutee
irresponsable laquo neacutecessitent des soins et compromet la sucircreteacute des personnes
ou porte atteinte de faccedilon grave agrave lrsquoordre public raquo Il srsquoagissait donc en
lrsquoespegravece agrave la fois de permettre au requeacuterant admis dans un centre hospitalier
speacutecialiseacute et non dans une prison ordinaire (a contrario M preacuteciteacute arrecirct
dans lequel la Cour rappelle qursquoatteindre lrsquoobjectif de preacutevention de la
criminaliteacute implique des soins particuliers dans des eacutetablissements
speacutecialiseacutes sectsect 127-129) de se soigner et de preacutevenir le renouvellement de
son acte La Cour note au surplus que comme lrsquoindiquent les
articles 706-135 D 47-29-1 et D 47-29-3 du CPP le reacutegime de
lrsquohospitalisation drsquooffice est le mecircme que celui preacutevu pour les admissions en
soins psychiatriques sur deacutecision du repreacutesentant de lrsquoEacutetat dans le
deacutepartement (voir par exemple Patoux c France no 3507906 sect 45 14
avril 2011) Elle retient eacutegalement que la leveacutee de lrsquohospitalisation peut ecirctre
demandeacutee agrave tout moment au juge des liberteacutes et de la deacutetention
conformeacutement aux dispositions du code de la santeacute publique (article D
47-29-1 du CPP paragraphe 20 ci-dessus) Ce juge statue alors sur avis
drsquoun collegravege constitueacute de deux psychiatres et drsquoun repreacutesentant de lrsquoeacutequipe
hospitaliegravere prenant en charge le patient et apregraves avoir en outre recueilli
deux expertises eacutetablies par des psychiatres La Cour en deacuteduit que
lrsquohospitalisation drsquooffice dont la dureacutee nrsquoest pas deacutetermineacutee agrave lrsquoavance a un
but preacuteventif et curatif deacutenueacute de caractegravere reacutepressif et que cette mesure ne
constitue pas une sanction La Cour nrsquoa releveacute agrave cet eacutegard aucune indication
de la part du requeacuterant qui pourrait lrsquoincliner agrave qualifier une telle mesure de
peine En effet la seule lettre du preacutefet adresseacutee aux meacutedecins du CHS dans
lequel il est interneacute (paragraphe 16 ci-dessus) deacutemontre avant tout que son
eacutetat a eacutevolueacute et que sa dangerositeacute est eacutevalueacutee reacuteguliegraverement par ailleurs il
nrsquoa pas justifieacute avoir saisi le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander la leveacutee de cette mesure
45 Concomitamment agrave sa deacutecision portant deacuteclaration drsquoirresponsabiliteacute
peacutenale la chambre de lrsquoinstruction a prescrit deux autres mesures de sucircreteacute
agrave savoir lrsquointerdiction pendant vingt ans drsquoentrer en contact avec les parties
civiles et de deacutetenir une arme Agrave ce titre la Cour note qursquoen vertu de
lrsquoarticle D 47-29-6 du CPP ces mesures ne peuvent ecirctre prononceacutees que si
elles sont neacutecessaires pour la preacutevention du renouvellement des actes
commis par la personne deacuteclareacutee peacutenalement irresponsable la protection de
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
18 ARREcircT BERLAND c FRANCE
cette personne celle de la victime ou de la famille de la victime ou la
cessation du trouble agrave lrsquoordre public (paragraphe 20 ci-dessus) Ces mesures
sont prononceacutees agrave lrsquoissue drsquoune expertise psychiatrique et ne doivent pas
empecirccher les soins dont la personne beacuteneacuteficie La Cour note encore que si
ces mesures sont limiteacutees dans le temps ce qui en ferait des peines selon le
requeacuterant ce dernier peut saisir le juge des liberteacutes et de la deacutetention pour
demander leur mainleveacutee ou leur modification lequel se prononce au vu des
reacutesultats drsquoune expertise psychiatrique (article 706-137 du CPP
paragraphe 20 ci-dessus) Il en reacutesulte pour la Cour que le prononceacute des
mesures litigieuses et le controcircle de leur application par le juge ont un
objectif preacuteventif Le requeacuterant nrsquoa au demeurant apporteacute aucun eacuteleacutement
concret de nature agrave deacutemontrer que ces mesures auraient pour but de le
punir il nrsquoa pas justifieacute de la saisine du juge ou a fortiori drsquoun refus de
celui-ci de prendre en compte lrsquoeacutevolution de son trouble mental et drsquoen tirer
les conseacutequences qui srsquoimposent Enfin la Cour relegraveve que si le requeacuterant
srsquoexpose agrave une peine drsquoemprisonnement de deux ans et au paiement drsquoune
amende en cas de meacuteconnaissance des mesures litigieuses une autre
proceacutedure doit alors ecirctre engageacutee (mutatis mutandis Gardel preacuteciteacute sect 44)
et les sanctions ne srsquoappliquent selon lrsquoarticle 706-139 du CPP que laquo sous
reacuteserve des dispositions du premier alineacutea de lrsquoarticle 122-1 du code
peacutenal raquo crsquoest-agrave-dire agrave lrsquoeacutegard des personnes qui au moment ougrave elles ont
meacuteconnu les interdictions sont peacutenalement responsables de leurs actes
(paragraphe 22 ci-dessus)
46 Eu eacutegard agrave tout ce qui preacutecegravede la Cour estime que la deacuteclaration
drsquoirresponsabiliteacute peacutenale et les mesures de sureteacute qui lrsquoaccompagnent ne
constituent pas une laquo peine raquo au sens de lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention et
doivent ecirctre analyseacutees comme des mesures preacuteventives auxquelles le
principe de non-reacutetroactiviteacute eacutenonceacute dans cette disposition nrsquoa pas vocation
agrave srsquoappliquer
47 Lrsquoarticle 7 sect 1 de la Convention ne trouve pas agrave srsquoappliquer en
lrsquoespegravece et la Cour retient lrsquoobjection du Gouvernement En conseacutequence il
nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave la majoriteacute la requecircte recevable
2 Joint au fond agrave lrsquounanimiteacute lrsquoexception souleveacutee par le
Gouvernement de lrsquoincompatibiliteacute ratione materiae de la requecircte avec la
Convention
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE 19
3 Dit par cinq voix contre deux que lrsquoarticle 7 nrsquoest pas applicable et
qursquoil nrsquoy a pas eu violation de cette disposition
Fait en franccedilais puis communiqueacute par eacutecrit le 3 septembre 2015 en
application de lrsquoarticle 77 sectsect 2 et 3 du regraveglement de la Cour
Claudia Westerdiek Mark Villiger
Greffiegravere Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du
juge Zupančič agrave laquelle se rallie la juge Yudkivska
MV
CW
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
20 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ Agrave
LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE YUDKIVSKA
(Traduction)
I
1 Je regrette de ne pas pouvoir suivre mes collegravegues de la majoriteacute dans
cette affaire certes limite
2 En surface lrsquoaffaire deacutepend de la question de savoir si la reacutetroactiviteacute
concernait une sanction peacutenale crsquoest-agrave-dire une peine ou si elle concernait
seulement une mesure de seacutecuriteacute theacuterapeutique imposeacutee au requeacuterant Dans
le second cas la mesure aurait eacuteteacute prise dans lrsquointeacuterecirct du requeacuterant et
srsquoapparenterait agrave lrsquohospitalisation sans consentement dont peut faire lrsquoobjet
un malade mental ordinaire raison pour laquelle la question de la
reacutetroactiviteacute ne se poserait pas
3 La majoriteacute estime que la reacutetroactiviteacute de la loi adopteacutee le 25 feacutevrier
2008 eacutetait acceptable cette loi concernant selon elle un traitement plutocirct
qursquoune peine ndash bien qursquoelle soit entreacutee en vigueur quatre mois et treize jours
apregraves la commission de lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale
commis par le requeacuterant dans un eacutetat de deacutemence Il semble donc que tout
deacutepende de la question de savoir si la mesure en cause eacutetait ou non une
sanction peacutenale
4 Le requeacuterant soutenait en revanche (voir le paragraphe 13 de lrsquoarrecirct de
la majoriteacute) que le principe de leacutegaliteacute consacreacute agrave lrsquoarticle 7 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme (CEDH) devait ecirctre
consideacutereacute comme un obstacle agrave la mesure prononceacutee agrave son eacutegard ndash qursquoil
consideacuterait comme une sanction ndash eacutetant donneacute que lrsquoancienne loi en vigueur
au moment de la commission de lrsquoinfraction ne preacutevoyait pas un tel
internement direct en hocircpital psychiatrique
5 Il est bien sucircr eacuteminemment acceptable que une fois eacutetabli qursquoun
malade mental a commis un acte qui lui est objectivement imputable le
systegraveme juridique reacuteagisse Dans la plupart des autres pays il existe des
dispositions preacutevoyant lrsquoapplication de mesures de seacutecuriteacute lorsque la
personne est deacuteclareacutee non coupable pour cause de deacutemence Il est mecircme
surprenant que le systegraveme franccedilais nrsquoait pas mis en place de telles
dispositions avant le 25 feacutevrier 2008 Le systegraveme en vigueur jusqursquoagrave cette
date eacutetait lourd lrsquoindividu eacutetait drsquoabord acquitteacute par le juge drsquoinstruction et
ce nrsquoeacutetait qursquoapregraves cela que le preacutefet pouvait prononcer son internement en
hocircpital psychiatrique
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 21
6 En drsquoautres termes je nrsquoai rien agrave redire aux paramegravetres de la loi du
25 feacutevrier 2008 Il semblerait que le seul leacuteger obstacle dans cette affaire
concerne la reacutetroactiviteacute de cette loi Comme crsquoest bien souvent le cas les
questions de droit eacutepineuses ne se posent qursquoune fois que lrsquoon a deacutetermineacute
que lrsquoaffaire repose sur drsquoautres preacutemisses tacites
7 En lrsquoaffaire Achour c France (citeacutee dans lrsquoarrecirct) jrsquoavais souscrit agrave
lrsquoavis de la majoriteacute Il srsquoagissait aussi dans cette affaire drsquoun problegraveme de
reacutetroactiviteacute mais la reacutetroactiviteacute eacutetait celle drsquoune loi sur les conseacutequences
du multireacutecidivisme La Cour de Cassation avait alors eacutetabli de maniegravere tregraves
pertinente une distinction entre reacutetroactiviteacute in rem et reacutetroactiviteacute
ad hominem En drsquoautres termes elle avait estimeacute que la reacutetroactiviteacute qui
portait sur le fait que lrsquoindividu soit multireacutecidiviste concernait lrsquointeacuteresseacute
personnellement (ad hominem) et non ses infractions (ad rem) et que degraves
lors il fallait distinguer le fait drsquoecirctre un multireacutecidiviste du fait drsquoavoir
commis plusieurs infractions peacutenales en reacutecidivant Elle pouvait ainsi
consideacuterer qursquoil nrsquoy avait pas de reacutetroactiviteacute eacutetant donneacute que entre la
derniegravere infraction qursquoil avait commise et lrsquoentreacutee en vigueur de la loi le
requeacuterant eacutetait resteacute un multireacutecidiviste reacutecidiviste un jour reacutecidiviste
toujours
8 Il semble donc que nous soyons face agrave un problegraveme sous-jacent qui
nrsquoa pas encore eacuteteacute traiteacute dans la doctrine peacutenale ndash et encore moins reacutesolu La
question reacutecurrente est en effet celle de savoir si le criminel est puni
seulement pour lrsquoacte qursquoil a commis ou au contraire parce qursquoil est un
meurtrier un incendiaire un violeur etc
II
9 Crsquoest agrave ce stade que la question prend son eacutepaisseur Il y a une
diffeacuterence essentielle entre les implications de la proceacutedure peacutenale et celles
drsquoune proceacutedure civile ordinaire Dans le second cas il est aiseacute de seacuteparer
lrsquoobjet du litige civil de la subjectiviteacute du deacutefendeur Mecircme dans les cas de
responsabiliteacute deacutelictuelle pour prendre un exemple plus difficile
srsquoapprochant du droit peacutenal le deacutefendeur peut devoir verser des dommages
et inteacuterecircts parce qursquoil a eacuteteacute neacutegligent imprudent etc mais cela nrsquoemporte
pas de conclusions sur lrsquoensemble de sa personnaliteacute Ainsi lrsquoenjeu dans les
proceacutedures civiles est clairement dissociable de la personnaliteacute du deacutefendeur
(lrsquoauteur du fait dommageable) Dans les autres cas de proceacutedure civile
lrsquoenjeu objectif du procegraves a peu ou pas de lien avec la subjectiviteacute (la
personnaliteacute) du deacutefendeur
10 Il en va diffeacuteremment dans les proceacutedures peacutenales Dans ces
proceacutedures la responsabiliteacute peacutenale la culpabiliteacute lrsquoimputation de
lrsquoinfraction etc sont directement lieacutees agrave la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute Le
droit peacutenal explore meacuteticuleusement la question de savoir si lrsquoacte
objectivement imputable agrave lrsquoaccuseacute est reacuteellement lrsquoexpression subjective de
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
22 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
sa personnaliteacute dans son ensemble leacutegitime deacutefense de soi ou drsquoun tiers
contrainte deacutemence erreur de fait etc sont autant de raisons qui comme
en lrsquoespegravece brisent le lien de causaliteacute entre la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute et
lrsquoacte constitutif en principe drsquoune infraction peacutenale Pour revenir agrave la
comparaison avec la responsabiliteacute civile mecircme la responsabiliteacute civile
deacutelictuelle est plus objective car il nrsquoest pas neacutecessaire pour qursquoelle soit
eacutetablie qursquoexiste un lien eacutetroit entre le dommage et la personnaliteacute de son
auteur Pour cette raison on dit parfois que lrsquoinfraction peacutenale est un deacutelit
civil auquel srsquoajoute le peacutecheacute Ainsi bien des actes aujourdrsquohui constitutifs
drsquoinfractions eacutetaient par le passeacute des deacutelits civils La somme agrave payer en
reacuteparation de ces actes eacutetait appeleacutee wergeld1
11 De plus dans les proceacutedures civiles lrsquoauteur du dommage peut ecirctre
jugeacute coupable et condamneacute agrave verser une reacuteparation mais une fois cette
reacuteparation verseacutee lrsquoaffaire est deacutefinitivement close Il ne peut donc pas y
avoir de reacutecidivisme ou de multireacutecidivisme dans le cadre de la
responsabiliteacute civile deacutelictuelle quand bien mecircme lrsquoauteur du dommage
reacuteiteacutererait sa conduite reacutepreacutehensible En droit on ne le considegravere jamais
comme eacutetant intrinsegravequement un auteur de dommage
12 En droit peacutenal et en proceacutedure peacutenale la personnaliteacute de lrsquoaccuseacute
(lrsquoauteur de lrsquoacte) et la question de sa responsabiliteacute peacutenale sont
inextricablement lieacutees Agrave son stade monocentrique dans la proceacutedure la
responsabiliteacute peacutenale deacutepend exclusivement de lrsquoattitude (personnelle)
subjective dans lrsquoaffaire de lrsquoaccuseacute (attitude qui nrsquoest mecircme pas examineacutee
dans les affaires civiles) De plus au stade polycentrique du prononceacute de la
peine tout deacutepend des circonstances atteacutenuantes ou aggravantes et drsquoautres
traits de la personnaliteacute de la personne reconnue coupable
13 Pour cette raison il est parfois difficile en droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale de distinguer la responsabiliteacute peacutenale de la personne pour
lrsquoacte en lui-mecircme (per se) de sa personnaliteacute Drsquoune part nous avons lrsquoacte
peacutenal qui doit ecirctre solidement lieacute agrave la personnaliteacute de son auteur et drsquoautre
part nous avons la personnaliteacute en elle-mecircme De mecircme que la preacutesente
affaire lrsquoaffaire Achour c France illustre cette question insaisissable in
rem ou ad hominem
14 La sanction peacutenale lato sensu elle aussi qursquoelle soit punitive ou
autre deacutepend largement de la personnaliteacute mecircme de lrsquoaccuseacuteauteur de
lrsquoacte Si elle est en fait punitive le gouvernement ne peut preacutetendre qursquoelle
ne lrsquoest pas (Blokhin c Russie no 4715206 arrecirct de section du
14 novembre 2013 affaire pendante devant la Grande Chambre) De plus
si dans les proceacutedures civiles le paiement de dommages et inteacuterecircts met
deacutefinitivement fin agrave lrsquoaffaire dans les proceacutedures peacutenales le criminel
1 Je dois cette ideacutee agrave feu le professeur Harold Berman de la faculteacute de droit de Harvard
Pour plus de deacutetails voir son livre LAW AND REVOLUTION THE FORMATION OF THE
WESTERN LEGAL TRADITION Harvard University Press Cambridge Massachusetts 1985
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 23
condamneacute doit aller en prison Ainsi lagrave encore la sanction peacutenale quelle
qursquoelle soit est indissociable de la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoinfraction
15 La situation dans ce cas preacutecis est donc ambiguumle Lrsquolaquo imputation
objective raquo des faits par le juge drsquoinstruction deacutependait de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute
en lui-mecircme Puis une fois cet acte (actus reus) objectivement eacutetabli la
laquo deacutemence raquo au sens peacutenal du terme (mens rea) deacutependait de la personnaliteacute
de lrsquointeacuteresseacute (maladie mentale) Pour autant ce nrsquoest lagrave que lrsquoexacerbation
de la dualiteacute de la proceacutedure peacutenale elle-mecircme ougrave le constat de culpabiliteacute
est strictement distinct des critegraveres drsquoimposition de la peine
16 Il ne fait aucun doute dans mon esprit qursquoen droit peacutenal et en
proceacutedure peacutenale les accuseacutes sont punis non seulement pour ce qursquoils ont
fait (lrsquoacte) mais aussi et surtout pour ce qursquoils sont (lrsquoecirctre)
17 Dans lrsquoaffaire fameuse Robinson v California que jrsquoai deacutejagrave eacutevoqueacutee
dans Achour c France lrsquoordonnance de la ville de Los Angeles incriminait
(ad hominem) lrsquoeacutetat (status) de toxicomane La Cour suprecircme des
Eacutetats-Unis a alors jugeacute qursquoil eacutetait inacceptable de consideacuterer un eacutetat comme
une infraction (status crime) il doit toujours y avoir un acte de lrsquoaccuseacute
entraicircnant sa responsabiliteacute peacutenale Ainsi la question de savoir si quelqursquoun
est puni pour ce qursquoil est (lrsquoecirctre) ou pour ce qursquoil a fait (lrsquoacte) a eacuteteacute reacutegleacutee ndash
en surface Cependant ni la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis ni aucune autre
juridiction ni mecircme la doctrine peacutenale ne sont jamais parvenues agrave expliquer
pourquoi le principe de leacutegaliteacute des peines et des deacutelits consacreacute par
lrsquoarticle 7 de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme deacutepend
toujours de lrsquoacte de lrsquoaccuseacute et semble ne pas tenir compte du fait eacutevident
que la personnaliteacute de lrsquoauteur de lrsquoacte est au cœur de la proceacutedure peacutenale
18 La raison agrave cela comme je lrsquoai expliqueacute dans Achour c France est
pragmatique Lrsquoacte de lrsquoaccuseacute est deacutetermineacute en termes de lieu de temps et
de mode opeacuteratoire Il nrsquoen va pas de mecircme de son eacutetat Celui-ci perdure
nrsquoa pas de lieu si ce nrsquoest au sein de la personnaliteacute de lrsquointeacuteresseacute et nrsquoa pas
forceacutement de mode opeacuteratoire coheacuterent
19 Ainsi lrsquoacte peut aiseacutement ecirctre poursuivi deacutefendu contesteacute etc au
contraire de lrsquoeacutetat (Ce constat vaut mecircme pour la question preacutedeacutetermineacutee de
la deacutemence en tant que maladie mentale cause de lrsquoacte laquelle peut
donner lieu agrave une querelle drsquoexperts psychiatres qui ne parviennent pas agrave
une conclusion certaine) Sans cette raison il serait bien plus senseacute de
deacuteclarer lrsquoaccuseacute innocent ou coupable strictement non quant agrave son acte
instantaneacute mais quant agrave sa personnaliteacute sur la dureacutee Apregraves tout crsquoest la
personnaliteacute qui est punie Pour le formuler autrement crsquoest cette
laquo personnaliteacute durable raquo qui est envoyeacutee en prison lrsquoacte nrsquoen est que le
symptocircme Or la maladie ne peut pas ecirctre traiteacutee seacutepareacutement du corps du
patient
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
24 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
III
20 Le problegraveme se pose dans toutes les affaires qui se trouvent pour
ainsi dire agrave la frontiegravere entre des affaires de responsabiliteacute classique pour
lrsquoacte drsquoune part et des affaires ougrave lrsquoessence de lrsquoauteur de lrsquoacte est
deacuteterminante drsquoautre part Pour nrsquoen citer que quelques unes les affaires
Blokhin c Russie (susmentionneacutee) et De Tommaso c Italie (no 4339509)
toutes deux pendantes devant la Grande Chambre ou encore M
c Allemagne (citeacutee dans lrsquoarrecirct) et avant elle Achour c France
(susmentionneacutee et citeacutee dans lrsquoarrecirct) entre autres eacutetaient des affaires dans
lesquelles la dangerositeacute de lrsquoauteur de lrsquoacte eacutetait le facteur deacuteterminant
Dans les affaires de deacutelinquance juveacutenile comme lrsquoaffaire Blokhin la
doctrine parens patriae preacutetend cibler la personnaliteacute du jeune deacutelinquant
pour le reacuteadapter (reacuteadapter sa personnaliteacute son ecirctre) Dans la preacutesente
affaire aussi lrsquoEacutetat preacutetend que lrsquointernement forceacute en hocircpital psychiatrique
pour une dureacutee indeacutetermineacutee est au beacuteneacutefice du requeacuterant Cette theacuteorie de
lrsquoassistance profitable (parens patriae) repose sur lrsquoideacutee qursquoil nrsquoy a pas de
conflit entre lrsquointeacuterecirct de lrsquoEacutetat et celui de la personne laquo beacuteneacuteficiant raquo de cet
internement Agrave mon avis la Cour devrait regarder au-delagrave de ces
apparences Ces affaires montrent aussi agrave lrsquoeacutevidence que la frontiegravere entre
lrsquoacte et lrsquoecirctre est floue
21 Ce type drsquoincertitude nrsquoest pas acceptable et il se pose donc la
question de savoir comment le meacutecanisme de sauvegarde des droits de
lrsquohomme doit reacuteagir pour proteacuteger le requeacuterant et lrsquoeacutetat de droit Drsquoune
maniegravere ou drsquoune autre toutes ces affaires ont trait agrave lrsquoarticle 7 de la CEDH
crsquoest-agrave-dire au principe de leacutegaliteacute Ce principe concernant pour les raisons
exposeacutees ci-dessus le temps le lieu et le mode opeacuteratoire de lrsquoinfraction il
neacutecessite expresseacutement un acte pour que la sanction soit leacutegale et
acceptable
22 La position prise dans lrsquoaffaire M c Allemagne consistant agrave dire
que la prolongation reacutetroactive de mesures de seacutecuriteacute nrsquoest pas acceptable
au regard de lrsquoarticle 7 de la CEDH eacutetait parfaitement correcte Toutefois
bien que la preacutesente affaire et lrsquoaffaire M c Allemagne soient
essentiellement les mecircmes lrsquoarrecirct adopteacute par majoriteacute en lrsquoespegravece srsquoeacutecarte
de ce preacuteceacutedent en son paragraphe 38 en estimant sans plus drsquoexplication
que le cas drsquoespegravece srsquoen distingue ndash alors que crsquoest lagrave qursquoaurait ducirc reacutesider le
cœur de lrsquoappreacuteciation du grief Ainsi ce qui est punitif de lrsquoautre cocircteacute du
Rhin est de maniegravere surprenante curatif de ce cocircteacute-ci du fleuve
23 De plus dans des deacutecisions deacutejagrave posteacuterieures agrave la loi du 12 feacutevrier
2008 et au deacutecret du 16 avril de la mecircme anneacutee (qui rendait les dispositions
de la loi applicables immeacutediatement) la Cour de Cassation a estimeacute le
21 janvier 2009 que la mesure eacutetait punitive avant drsquoopeacuterer un soudain
revirement de jurisprudence neuf mois et vingt-deux jours plus tard le
16 deacutecembre 2009
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 25
24 Cela atteste de lrsquoopaciteacute chronique et geacuteneacuteraliseacutee de la situation
juridique Dans le contexte de cette fiction clairement la laquo sanction raquo est
permise pour lrsquoacte peacutenalement reacutepreacutehensible de lrsquoaccuseacute tandis que seul le
laquo traitement raquo est admissible en ce qui concerne son ecirctre (sa personnaliteacute)
25 Crsquoest donc la logique inverse qui srsquoest appliqueacutee logique par
laquelle la majoriteacute maintient avec son arrecirct le fiat leacutegaliste crsquoest-agrave-dire
que en srsquoappuyant sur des motifs tregraves formalistes elle conclut que la
situation subie par le requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas une sanction mais un
traitement Consideacuterant donc que la situation est diffeacuterente de celle de
lrsquoaffaire M c Allemagne elle juge la reacutetroactiviteacute admissible Ainsi elle
deacuteclare au paragraphe 38 de lrsquoarrecirct laquo Cette distinction doit cependant ecirctre
utiliseacutee avec prudence tant les leacutegislations peacutenales des Eacutetats membres
eacutetablies en vue de proteacuteger la socieacuteteacute contre les risques poseacutes par les
deacutelinquants dangereux diffegraverent Le mecircme type de mesure peut ecirctre qualifieacute
de peine dans un Eacutetat et de mesure de sucircreteacute agrave laquelle ne srsquoapplique pas le
principe de leacutegaliteacute des peines dans un autre (M c Allemagne preacuteciteacute
sectsect 74 et 126) raquo
26 On srsquoattendrait donc agrave un raisonnement convaincant qui permettrait
de comprendre pourquoi cette diffeacuterence si difficile agrave expliquer et agrave justifier
srsquoapplique en France alors qursquoelle ne srsquoappliquait pas en Allemagne Or aux
paragraphes 40 41 et 42 la seule explication que lrsquoon trouve est que laquo la
Cour estime que les mesures litigieuses prononceacutees agrave lrsquoeacutegard du requeacuterant
deacuteclareacute peacutenalement irresponsable pour cause de trouble mental nrsquoont pas
eacuteteacute ordonneacutees apregraves condamnation pour une lsquoinfractionrsquo raquo
27 En drsquoautres termes la doctrine de la Cour selon laquelle les droits ne
doivent pas ecirctre illusoires et theacuteoriques et son intention de voir au-delagrave des
apparences ont eacuteteacute sacrifieacutees pour un monument de formalisme juridique
reposant sur lrsquoabsence du mot laquo infraction raquo alors mecircme que laquo ces mesures
ont eacuteteacute ordonneacutees par la chambre de lrsquoinstruction [criminelle ] apregraves que
celle-ci eut deacuteclareacute le requeacuterant peacutenalement irresponsable pour cause de
trouble mental raquo (paragraphe 40) Compte tenu de cette distinction
formaliste il nrsquoest pas eacutetonnant que la Cour de Cassation ait changeacute drsquoavis
en moins de dix mois
IV
28 Il reste agrave expliquer pourquoi jrsquoeacutetais drsquoaccord avec la majoriteacute pour
conclure que la reacutetroactiviteacute nrsquoeacutetait pas un problegraveme dans lrsquoaffaire Achour
c France contrairement agrave ce qui est le cas ici Dans lrsquoaffaire Achour on a
consideacutereacute que le fait que le deacutelinquant soit toujours (demeure) un
multireacutecidiviste permettait lrsquoapplication reacutetroactive de la loi sur le
multireacutecidivisme
29 Pourquoi alors suis-je drsquoavis qursquoen lrsquoespegravece le fait que le requeacuterant
soit malade mental ndash puisqursquoil semble qursquoil eacutetait malade depuis le deacutebut ndash
ne devrait pas permettre agrave la Cour drsquoaccepter les quatre mois et treize jours
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
26 ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
de reacutetroactiviteacute Tout drsquoabord parce que srsquoil srsquoeacutetait agi purement et
simplement drsquoune hospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation
forceacutee dont peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) il ne se serait
eacutevidemment pas poseacute de problegraveme quant au moment preacutecis de
lrsquointernement Ensuite parce que contrairement agrave ce qui fut le cas dans
lrsquoaffaire Achour la question nrsquoa jamais eacuteteacute poseacutee en termes de continuiteacute
(poursuite dans le temps) de lrsquoeacutetat de dangereux malade mental du requeacuterant
(argument ad hominem) Enfin et surtout parce que dans lrsquoaffaire Achour
le fait que le requeacuterant eacutetait toujours un multireacutecidiviste deacutecoulait de ce qursquoil
avait commis agrave plusieurs reprises des actes peacutenalement reacutepreacutehensibles et
que cela avait eacuteteacute juridiquement eacutetabli par plusieurs condamnations
deacutefinitives
30 Dans notre affaire premiegraverement lrsquointernement prononceacute par la
chambre drsquoinstruction criminelle nrsquoeacutetait pas une hospitalisation sans
consentement crsquoest une mesure qui a eacuteteacute imposeacutee au requeacuterant par une
instance peacutenale Deuxiegravemement la Cour de Cassation nrsquoa jamais raisonneacute en
termes drsquohospitalisation sans consentement (lrsquohospitalisation forceacutee dont
peut faire lrsquoobjet nrsquoimporte quel malade mental) lrsquointernement deacutecoulait
clairement de lrsquolaquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant crsquoest-agrave-dire
du constat fait par le juge peacutenal que le requeacuterant avait effectivement commis
les actes en question Troisiegravemement alors que dans lrsquoaffaire Achour il y
avait plusieurs actes prouveacutes constitutifs drsquoinfractions peacutenales il nrsquoy en a
aucun dans la preacutesente affaire le requeacuterant nrsquoa agi qursquoune fois et il avait
lrsquoexcuse de la maladie mentale de sorte qursquoil nrsquoa eacuteteacute reconnu coupable
drsquoaucune infraction
31 De surcroicirct la simple conclusion drsquoun juge drsquoinstruction et drsquoune
chambre drsquoinstruction ne vaut pas condamnation La question de lrsquoeacutequiteacute de
la proceacutedure nrsquoa pas eacuteteacute souleveacutee mais puisque laquo lrsquoimputation objective raquo a
eacuteteacute deacuteterminante pour lrsquoissue de lrsquoaffaire (internement en hocircpital
psychiatrique) il faut bien voir qursquoil y a lagrave aussi un problegraveme majeur
32 En toute hypothegravese tant qursquoil nrsquoy a pas eu de procegraves eacutequitable
conforme agrave lrsquoarticle 6 de la Convention on ne peut consideacuterer que la simple
laquo imputation objective raquo des faits au requeacuterant suffit agrave eacutetablir qursquoil a commis
un acte peacutenalement reacutepreacutehensible la preacutesomption drsquoinnocence tient
toujours Pareil acte nrsquoayant donc pas eacuteteacute eacutetabli par un juge dans le cadre
drsquoun procegraves eacutequitable il demeure impossible de dire que le requeacuterant a eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute en conseacutequence drsquoune infraction
33 De plus les juges franccedilais et la Cour ont consideacutereacute que la mesure
prise (pour employer un terme neutre) nrsquoeacutetait pas une sanction Or si lrsquoon
va au-delagrave des apparences et que lrsquoon accorde au requeacuterant un droit qui nrsquoest
pas seulement theacuteorique et illusoire force est de conclure que lrsquointernement
dans un service psychiatrique pour criminels alieacuteneacutes est souvent bien pire
qursquoune simple incarceacuteration de nombreuses affaires dans notre
jurisprudence en attestent (voir par exemple la reacutecente affaire Zaichenko
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux
ARREcircT BERLAND c FRANCE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 27
c Ukraine (no 2) no 4579709) De surcroicirct la dureacutee de cet internement est
contrairement agrave une incarceacuteration de droit commun illimiteacutee Compte tenu
de cela dire en lrsquoespegravece que le requeacuterant nrsquoa pas eacuteteacute puni est tout
simplement faux