acides aminés et immunité

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Nutr. Clin. M6tabol. 1993 ; 7 : 183-189 Acides amines et immunit Luc Cynober 1-3, Marie-Paule Vasson 1, Marie-Chantal Farges 1, Jacques Le Boucher 3 et Jacqueline Giboudeau 2 1. Laboratoire de biochirnie, Facult~ de Pharmacie et Centre de Recherche en Nutrition Humaine, Clermont-Ferrand. 2. Laboratoire de biochimie A, H6pital Saint-Antoine. 3. INSERM U 181, CHU Saint-Antoine, Paris. R~sum~ Certains acides amines poss~dent des propri~t~s im- munomodulatrices relevant de m~canismes diff~rents. L'arginine et l'ornithine sont des r~gulateurs de la fonctionnalit~ des cellules immunitaires. L'action de l'arginine est li~e ~ son catabolisme en monoxyde d'azote radicalaire (NO°); celle de rornithine d~pend de la synth~se de polyamines. La glutamine est un substrat ~nerg~tique majeur des cellules immunitaires activ~es, a un effet trophique sur l'~pith~lium intestinal et participe ainsi aux fonctions de rintestin de lutte contre l'invasion de l'organisme par les baet~ries pr~sentes dans le tube digestif. Des ~tudes r~centes, pour la plupart exp~rimentales, soulignent l'int~r~t potentiel de l'emploi en nutrition artificielle de r~gimes enrichis en arginine, ornithine et glutamine. L'utilisation d'arginine dans eertaines eireonstanees, telles que l'infeetion s~v~re, m~rite r~flexion du fait de l'aetion d~l~t~re du NO ° produit en exc~s. Mots-cl~s : Immunite, ornithine, arginine, polyamines, mono- xyde d'azote. I1 est maintenant reconnu que la ddnutrition prot6ino- calorique entra~ne un dysfonctionnement immunitaire responsable d'une augmentation de la morbidit6 et de la mortalit6 chez les patients hypercataboliques. La d6pl6- tion prot6ique par diminution des apports, chez le pa- tient d6nutri chronique, ou par augmentation des be- Correspondance: L. Cynober, Laboratoire de biochimie, Fa- culte de Pharmacie, 28, place Henri-Dunant, BP 38, 63001 Clermont-Ferrand Cedex. Regu le 1 er fevrier 1993, accepte le 20 fevrier 1993. soins, chez le malade aigu, est probablement un 616- ment important dans la survenue de la dysimmunit6 [ 1 ]. Ainsi, apr6s 5 semaines d'un r6gime sans prot6ines, le rat devient pratiquement anergique et sa r6ponse aux tests d'hypersensibilit6 retard6e revient /l la normale deux semaines aprbs avoir r6introduit des prot6ines dans le rdgime [ 1 ]. I1 semble que certains acides aminds aient un r61e patti- culler soit en rant que pr6curseurs de m6tabolites ayant une action c16 dans l'expression de l'activit6 des cel- 183

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Nutr. Clin. M6tabol. 1993 ; 7 : 183-189

Acides amines et immunit

Luc Cynober 1-3, Marie-Paule Vasson 1, Marie-Chantal Farges 1, Jacques Le Boucher 3 et Jacqueline Giboudeau 2 1. Laboratoire de biochirnie, Facult~ de Pharmacie et Centre de Recherche en Nutrition Humaine, Clermont-Ferrand. 2. Laboratoire de biochimie A, H6pital Saint-Antoine. 3. INSERM U 181, CHU Saint-Antoine, Paris.

R~sum~

Certains acides amines poss~dent des propri~t~s im- munomodulatrices relevant de m~canismes diff~rents.

L'arginine et l 'ornithine sont des r~gulateurs de la fonctionnalit~ des cellules immunitaires . L'action de l 'arginine est li~e ~ son catabolisme en monoxyde d'azote radicalaire (NO°); celle de rornithine d~pend de la synth~se de polyamines.

La glutamine est un substrat ~nerg~tique majeur des cellules immunitaires activ~es, a un effet trophique sur l'~pith~lium intestinal et participe ainsi aux fonctions de rintestin de lutte contre l'invasion de l'organisme par les baet~ries pr~sentes dans le tube digestif.

Des ~tudes r~centes, pour la plupart exp~rimentales, soulignent l'int~r~t potentiel de l 'emploi en nutrition artificielle de r~gimes enrichis en arginine, ornithine et glutamine. L'util isation d'arginine dans eertaines eireonstanees, telles que l'infeetion s~v~re, m~rite r~flexion du fait de l 'aetion d~l~t~re du NO ° produit en exc~s. Mots-cl~s : Immunite, ornithine, arginine, polyamines, mono- xyde d'azote.

I1 est maintenant reconnu que la ddnutrition prot6ino- calorique entra~ne un dysfonctionnement immunitaire responsable d'une augmentation de la morbidit6 et de la mortalit6 chez les patients hypercataboliques. La d6pl6- tion prot6ique par diminution des apports, chez le pa- tient d6nutri chronique, ou par augmentation des be-

Correspondance: L. Cynober, Laboratoire de biochimie, Fa- culte de Pharmacie, 28, place Henri-Dunant, BP 38, 63001 Clermont-Ferrand Cedex. Regu le 1 er fevrier 1993, accepte le 20 fevrier 1993.

soins, chez le malade aigu, est probablement un 616- ment important dans la survenue de la dysimmunit6 [ 1 ]. Ainsi, apr6s 5 semaines d 'un r6gime sans prot6ines, le rat devient pratiquement anergique et sa r6ponse aux tests d'hypersensibilit6 retard6e revient /l la normale deux semaines aprbs avoir r6introduit des prot6ines dans le rdgime [ 1 ].

I1 semble que certains acides aminds aient un r61e patti- culler soit en rant que pr6curseurs de m6tabolites ayant une action c16 dans l'expression de l'activit6 des cel-

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L. CYNOBER et coll.

lules immunes, soit parce qu'ils constituent le substrat 6nerg6tique essentiel de ces cellules ou d'autres cel- lules qui constituent une barri6re ~ l'infection.

Rdgulateurs de la fonctionnalit(~ des cellules immunitaires

Arginine

L'arginine est un acide amin6 semi-essentiel selon la classification de Rose, c'est-~t-dire que les apports assu- r6s par l'alimentation ainsi que les synth6ses endog6nes sont suffisants chez l'adulte, mais ne le sont ni chez l'enfant en croissance, ni dans certaines situations telles que les 6tats hypercataboliques [2]. Plusieurs 6quipes [3, 4] ont ainsi montr6 que l'arginine 6tait indispensa- ble ~t la cicatrisation et /~ la survie des rats agress6s. C'est au d6cours de ces 6tudes que l'effet de l'arginine sur l'involution postagressive du thymus fit soup~olmer que cet acide amin6 pouvait exercer une action immu- nordgulatrice.

Donndes expdrimentales (tableau I)

Chez le rat maintenu pendant 7 jours sous nutrition pa- rentdrale totale (NPT), l'utilisation d'une solution enri- chie en arginine (1,8 contre 0,37 g/kg/24 h dans une so- lution conventionnelle) permet une augmentation du poids du thymus et du hombre de lymphocytes conte- nus dans cet organe. En outre, la rdponse aux mitog6nes (concanavaline A et phytoh6magglutinine) est sup6- rieure ~ celle obtenue pour des lymphocytes provenant de rats soumis/l une NPT classique [5]. Des r6sultats identiques ont 6t6 obtenus chez le rat traumatis6 par fracture du fdmur [6]. Chez le cobaye bn]16, l'enrichis- sement en arginine de la nutrition ent6rale augmente l'hypersensibilit6 retard6e au dinitrofluorobenzbne et

diminue la mortalit6 [7]. Cette derni6re action est 6galement retrouv6e chez le rat septic6mique [8].

Chez des souris canc6reuses, l'ajout d'arginine ~ la nu- trition orale diminue la croissance tumorale, augmente le poids du thymus, la r6ponse des lymphocytes spl6ni- ques aux mitog6nes, ainsi que leur production d'inter- leukine-2 (IL-2). Enfin, elle accroit le pouvoir lytique des cellules natural killer activdes [9, 10]; en re- vanche, l'arginine n'a aucun effet sur la dysimmunit6 due au vieillissement [11].

Les effets de l 'arginine sur l ' immunit6 sont doses d6pendants [5, 6] ou non [7, 12]. Dans certains cas d 'agression s6v6re [7, 12], des apports 61ev6s (> 2g/kg/j) abolissent les effets sur l'immunit6 [7] voire m~me augmentent la mortalit6 [12]. Ceci pourrait atre expliqu6 par une production excessive de mono- xyde d'azote radicalaire (cf. infra). L'am61ioration du brian d'azote sous arginine n'est jamais dose d6pen- dante, ce qui laisse supposer que les diff6rents effets de cet acide amin6 ne d6pendent pas du m6me m6canisme [2].

Donndes cliniques

Chez le volontaire sain, l 'apport d'arginine (25 g/j pen- dant 2 semaines) augmente la r6activit6 des lympho- cytes aux agents mitog6nes sans modification de la r6- partition des sous-populations lymphocytaires ni de la synth~se d'IL-2 par ces cellutes [13].

Lorsque l'arginine eonstitue le seul apport azot6 d'une NP hypocalorique, les effets immunitaires de cet acide amin6 ne sont pas retrouv6s [14]. Ajoutge h la nutrition ent6rale de patients ayant subi une op6ration chirurgi- cale, l'arginine (25 g/j) augmente la r6ponse des lym- phocytes aux mitogbnes et l'expression du ph6notype CD4 [15].

Tableau I : Modulation de l'immunitO exerc~e par l'arginine.

R~f~rence ModUle Apport Dur~e

Nutrition arginine traitement Bilan N g/kg/24 h (J)

Param~tres immunitaires

5 rat NPT 1,8 7 = 6 rat NPT 1,9 5 ,,"

(fracture f6mur)

7 eobaye ent6rale 1,1 14 = (brfilure)

," poids thymus ," lympho thymiques • " r6ponse/PHA et Con A

,," hypersensib, retard6e (DNFB)

11 rat orale 1,0 15 -" r6ponse/PHA et con A (sepsis) ," hypersensibilit6 retardde

(DNFB)

N P T : nu t r i t ion parent6rMe tota le ; P H A : p h y t o h 6 m a g g l u f i n i n e ; C o n A : o o n c a n a v a l i n e A ; D N F B : d in i t ro f luo robenz6ne .

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ACIDES AMINI~S ET IMMUNITI~

L'approche la plus r6cente consiste/t inclure l'arginine, /l concentration 61ev6e, au sein d'une formule pr&e /l l 'emploi (Impact ®, Sandoz) 6galement enrichie en ARN et en acides gras co-3 polyinsatur6s qui seraient aussi des modulateurs de l ' immunit6 [16]. De sorte que, en ce qui concerne les 6tudes portant sur ce m61ange, il n 'est pas possible d'attribuer /t la seule arginine les effets positifs obtenus : r6ponse des lymphocytes aux mitog~nes [17, 18], diminution de la fr6quence des complications infectieuses et de la dur6e d'hospita- lisation de patients de chirurgie digestive [18] ou de r6animation [17]. De plus, dans l 'une des deux 6tudes [18] les deux r6gimes compar6s n'6taient pas isoazo- t6s (Impact ® : 15,6 + 2,8 ; nutrition conventionnelle : 9 + 2,8 gN/jour : p < 0,001).

M~canisme d'action

Jusqu'~t r6cemment, te m6canisme d'action de l 'argi- nine 6tait peu clair. Les travaux de Salvator6 Moncada ont permis une avanc6e d6cisive dans la compr6hension de ce m6canisme [19]. I1 semble en effet que l 'action de cet acide amin6 soit due ~ u n de ses m6tabolites, le monoxyde d'azote radicalaire (NO °) form6 par l 'action de l'arginine d6siminase. Cette enzyme s'exprime de fagon native dans l'endoth61ium vasculaire [20] et est induite dans de nombreux autres types cellulaires dont les macrophages [ 19].

Le lipopolysaccharide (LPS) est un puissant inducteur de la synth~se de NO ° [21] et l'interf6ron y agit de fa- 9on synergique [20]. L'arginine d6siminase est 6gale- ment induite par l'interkeuline-1 (IL-1), l ' IL-6 et le tu- mor necrosis factor (TNF ~t) [221.

Le NO ° exerce de nombreuses fonctions :

- c'est un agent vasodilatateur des cellules endoth6- liales vasculaires (on sait maintenant que le Facteur Re- laxant D6riv6 de l'Endoth61ium - ou EDRF - est en fait le NO°). Cet effet passe par l 'activation de la guanylate cyclase qui transforme le GTP en GMPc. I1 est probable que la production excessive de NO ° lors du choc septi- que soit responsable de l 'hypotension caract6ristique de cet 6tat [23]. On peut donc s'interroger sur la perti- nence de l'administration d'arginine lors d'infection s6- v~re (cf. infra) ;

- d a n s les macrophages [24, 25], le NO ° a une fonction cytotoxique, notamment vis-g-vis des cellules tumo- rales. Cette action d6pendrait 6galement de la produc- tion de GMPc [20]. Parall~lement, le NO ° produit /t partir de l'arginine inhibe le m6tabolisme oxydatif des cellules macrophagiques et leur production d'ions su- peroxyde [26] ;

- de faqon g6n6rale, NO ° apparait ~tre un m6diateur de l ' inflammation : sa production est bloqu6e par les st6- ro'fdes anti-inflammatoires [27].

O r n i t h i n e

L'ornithine pr6sente la particularit6 de ne pas ~tre un constituant des prot6ines e t a longtemps 6t6 consid6- r6e seulement comme le ~< starter >> de l'ur6og6n6se. Des travaux r6cents (r6f6renc6s en [28]) montrent son r61e r6gulateur important sur les s6crdtions hor- monales (notamment sur celle de l 'hormone de crois- sance) et au niveau m6tabolique via la synth~se de polyamines.

Donndes expdrimentales et cliniques

La pr6sence d'ornithine (sous forme d'et-c6toglutarate), /t faible concentration (10 ~tmol/1), dans le milieu d'in- cubation de lymphocytes provenant de sujets d6nutris, augmente la r6ponse des cellules aux mitog6nes en terme de production d'immunoglobulines [29].

L'administration d'ornithine, ~ la souris traumatis6e [30] ou immunod6prim6e [31], restaure le poids du thy- mus et son contenu en lymphocytes [30], et augmente la r6ponse aux mitog~nes [31 ].

Mdcanisme d'action

L'explication la plus simple de l 'action de l'ornithine serait sa transformation en arginine suivie de la produc- tion de NO °. En r6alit6, except6 le role, aucun tissu ne poss~de toutes les enzymes n~cessaires/l cette conver- sion [32] et il a 6t6 montr6 (J. Albina et coll., donn6es non publi6es) que les macrophages activds incub6s en pr6sence d'ornithine ne produisent pas plus de NO ° que les t6moins.

Une autre explication doit doric ~tre recherch6e ; la r6ponse des lymphocytes aux agents mitog6nes n6ces- site l 'expression de l'ornithine d6carboxytase [33]. Ceci sugg6re que l'ornithine exerce ses propri6t6s immuno- rdgulatrices par l'interm6diaire des polyamines.

C o o p e r a t i o n m ~ t a b o l i q u e et c e l l u l a i r e

L'administration d 'arginine entraine une forte aug- mentation de l 'ornithin~mie aussi bien par voie pa- rent6rale [5, 14] qu'orale [7, 10, 13, 17], chez l 'ani- mal [5, 7, 10] comme chez l 'homme [13, t4, 17]. La citrulline peut remplacer l 'arginine pour maintenir la croissance d 'animau× carenc6s. En revanche seule l 'ornithine permet de mimer Faction de l 'arginine sur le thymus [2].

L'ornithine 6tant m6taboliquement li6e /l l 'arginine au sein d 'un cycle, chacune de ces mol6cules est le m6ta- bolite de l'autre ; de sorte qu'il est tr6s difficile de dire laquelle des deux mol6cules est immunor6gulatrice. Probablement les deux : l 'arginine en tant que source de monoxyde d'azote radicalaire, l'ornithine comme pr6curseur des polyamines (cf. infra). Le problbme est tr6s complexe car les effets immunor6gulateurs impli-

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L. CYNOBER et coll.

LPS

II_-1

arginine ) NO °

macrophage ,L

inhibition aconitase

mort cellulaire

,quioe [ extracellulaire liberation arginase

4, arginine

t"

lymphocyte T

ornithine ( 4,

captation lymphocytes T

l ODC

polyamines , $

activation lymphocytes

Figure 1 : Relation m4tabolique entre arginine et orni- thine dans le cadre de la coop4ration entre macro- phages et lymphocytes. ODC : ornithine d4carboxylase.

quent une coopdration intercellulaire (figure 1) [34] : les macrophages activds synth6tisent du NO ° et, au mo- ment de leur lyse [35], lib6rent de l'arginase au niveau du foyer d'agression. I1 en r6sulte, dans le liquide extra- cellulaire, une augmentation de la synth6se d'ornithine qui est capt6e par les lymphocytes pour la synth6se de polyamines. Dans ce sch6ma, la production d'ornithine sert donc de signal envoy6 par les macrophages activ6s aux lymphocytes T [1].

Un substrat ~nergdtique des cellules immunitaires • la glutamine

Rappels m~taboliques

La glutamine poss6de de nombreuses propri6t6s mdta- boliques qui ont 6t6 pr6cis6es ces derni6res ann6es (r6f6renc6es dans [36]). Parmi celles-ci, il faut insister sur le fair que la glutamine est un substrat 6nerg6tique privil6gi6 des cellules/~ vitesse de renouvellement 61e- v6e : ent6rocytes [37, 38], fibroblastes [39], cellules m- morales [40]. C'est aussi un substrat important des cel- lules/~ activit6 m6tabolique 61ev6e que sont les cellules du systbme immunitaire lorsqu'elles sont activ6es (lym- phocytes [36, 40], maerophages [40]). Au repos, ces cellules utilisent pr6f6rentiellement le glucose ; lors de

leur activation, i'utilisation de glucose reste relative- ment constante ou augmente mod6r6ment tandis que la consommation de glutamine s' accroit considdrablement [41]. I1 s'agit d'une oxydation incompl6te, appel6e glu- taminolyse, livrant du pyruvate [42, 43].

Par ailleurs, la glutamine est un pr6curseur des bases puriques et pyrimidiques et est donc n6cessaire ~ la synth6se d'ARN et d'ADN [44].

Action directe

Lors des 6tats de d6nutrition aigu~, la glutamine est uti- lis6e pr6f6rentiellement au maintien de l'hom6ostasie acide-base [45] et probablement comme substrat ndo- glucog6nique [46]. De sorte que les cellules immunes se voient progressivement priv6es d'un substrat essen- tiel/~ leur fonctionnalit& La diminution de l'immunit6 observ6e dans les 6tats hypercataboliques serait, au moins en partie, li6e g la d6pl6tion en glutamine [40].

Plusieurs 6tudes rapportent l'importance de la gluta- mine dans les fonctions des cellules immunitaires. La production in vitro d'interleukine-2 par des lympho- cytes activ6s est d6pendante de la concentration en glu- tamine du milieu d'incubation [47].

De m~me, la production d'IL-1 et la phagocytose d'dry- throcytes opsonisds par des macrophages en culture n6- cessitent la pr6sence de glutamine dans le milieu d'in- cubation, g des concentrations physiologiques [48].

Action indirecte : du maintien de la trophicit~ intestinale ~ la protection contre l'endotox~mie

R6cemment, Souba et coll. [49, 50] ont propos6 une hypoth6se selon laquelle la d6pl6tion en glutamine ob- servde lors des 6tats posttraumatiques 6tait responsable d'une atrophie intestinale. Celle-ci favoriserait la trans- location bact6rienne d'ofl une endotox6mie, qui, d'une part, stimulerait la production de cytokines, augmente- rait l'hypercatabolisme et les flux de glutamine, et d'autre part, majorerait la perm6abilit6 intestinale [51] et la translocation bact6rienne [52]. L'ensemble concourerait /t l'aggravation du d6fieit immunitaire. Dans ce contexte, le maintien de la trophicit6 intesti- hale appara~t une priorit6 afin de rompre le cercle vi- cieux d6crit ci-dessus.

Plusieurs 6tudes ont 6t6 r6alis6es chez l'animal infect6 [53, 54], op6r6 [55] soumis ~ une NPT prolong6e [56], /~ une irradiation [57, 58] ou ~ une chimioth6rapie [59]. Elles montrent que l'administration de glutamine par voie parent6rale [53-56] ou orale [57-59] protege l'in- testin de l'atrophie [55, 57-59] et limite la translocation bact6rienne [56-58]. La diminution de la translocation est associ6e ~ une normalisation des concentrations en immunoglobulines A s6cr6toires et/t une diminution de l'adh6sion bact6rienne aux ent6rocytes [56]. Ceci laisse

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ACIDES AM1NI~S ET IMMUNITI~

penser que l ' adminis t ra t ion de glutamine am61iore les fonctions immunitaires intestinales.

Cependant, il faut souligner que si les solutions de NPT enrichies en glutamine sont plus efficaces que les solu- tions conventionnelles, les performances obtenues res- tent trbs en delft de celles relev6es lorsque les animaux sont nourris par voie orale [55]. De plus, afin de rdali- ser des apports isoazot6s, les s6ries t6moins re~oivent, dans la plupart des 6tudes, de la glycine en quantit6 im- portante, laquelle pourrait avoir un effet ddldt6re, ce qui expliquerait les r6sultats posit ifs obtenus dans les groupes trait6s par la glutamine. On peut notamment s ' in terroger sur la valeur d 'exp6r iences au cours des- quelles 100 % de l ' appor t azot6 est constitu6 de gluta- mine comparat ivement /~ un apport 6quivalent de gly- cine [59].

Conclusion

Les donn6es pr6sent6es ici sugg6rent tout l ' intdr~t que l ' on peut avoir fi enrichir les formules de nutrition avec certains acides amin6s dou6s de propri6t6s pharmacolo- giques particulibres.

Cette d6marche nous fait entrer dans une nouvelle 6re, celle de la (~ nutrition pharmacologique >> ou de ~ l ' im- munonutri t ion )>. Si les donn6es disponibles sont pro- metteuses, il faut cependant se garder d ' un enthou- siasme excess i f tant que les indications (et les contre-indications) et les posologies de cette thdrapeuti- que n 'on t pas 6t6 pr6cis6es par des 6tudes chez l 'homme.

Remerciements

Nous remercions Mile P. Jue pour son aide lors de la r6daction de ce texte.

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