aad 3 2009 - ethos discursif et image d'auteur

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3 | 2009 Ethos discursif et image d’auteur Sous la direction de Michèle Bokobza Kahan et Ruth Amossy Michèle Bokobza Kahan Introduction [Texte intégral] Dominique Maingueneau Auteur et image d’auteur en analyse du discours [Texte intégral] Author and Image of the Author in Discourse Analysis Ruth Amossy La double nature de l’image d’auteur [Texte intégral] The double nature of the author’s image Melliandro Mendes Gallinari La “clause auteur” : l’écrivain, l’ethos et le discours littéraire [Texte intégral] The “clause author”: The writer, ethos, and literary discourse Inger Østenstad Quelle importance a le nom de l’auteur ? [Texte intégral] What is the importance of the author’s name? Jérôme Meizoz Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur [Texte intégral] How to make silence talk… Posture, ethos, author’s image Sylvie Ducas Ethos et fable auctoriale dans les autofictions contemporaines ou comment s’inventer écrivain [Texte intégral] Ethos and authorial fable in contemporary autofictions, or the invention of the writer by himself Michèle Bokobza Kahan Métalepse et image de soi de l’auteur dans le récit de fiction [Texte intégral] Metalepsis and the author’s self-image in fictional narrative Jan Herman Image de l’auteur et création d’un ethos fictif à l’Âge classique [Texte intégral] The image of the author and the creation of a fictional ethos in the Classical Age 3 | 2009 Ethos discursif et image d’auteur http://aad.revues.org/656 1 de 2 04/02/2014 15:53

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  • 3 | 2009Ethos discursif et image dauteur

    Sous la direction de Michle Bokobza Kahan et Ruth Amossy

    Michle Bokobza Kahan

    Introduction [Texte intgral]

    Dominique Maingueneau

    Auteur et image dauteur en analyse du discours [Texte intgral]Author and Image of the Author in Discourse Analysis

    Ruth Amossy

    La double nature de limage dauteur [Texte intgral]The double nature of the authors image

    Melliandro Mendes Gallinari

    La clause auteur : lcrivain, lethos et le discours littraire [Texte intgral]The clause author: The writer, ethos, and literary discourse

    Inger stenstad

    Quelle importance a le nom de lauteur ? [Texte intgral]What is the importance of the authors name?

    Jrme Meizoz

    Ce que lon fait dire au silence : posture, ethos, image dauteur [Texte intgral]How to make silence talk Posture, ethos, authors image

    Sylvie Ducas

    Ethos et fable auctoriale dans les autofictions contemporaines oucomment sinventer crivain [Texte intgral]Ethos and authorial fable in contemporary autofictions, or the invention of the writerby himself

    Michle Bokobza Kahan

    Mtalepse et image de soi de lauteur dans le rcit de fiction [Texte intgral]Metalepsis and the authors self-image in fictional narrative

    Jan Herman

    Image de lauteur et cration dun ethos fictif lge classique [Texte intgral]The image of the author and the creation of a fictional ethos in the Classical Age

    3 | 2009 Ethos discursif et image dauteur http://aad.revues.org/656

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  • Jrgen Siess

    Y a-t-il un auteur dans la pice ? Ethos du personnage et figureauctoriale [Texte intgral]Is there an author in the play? The characters ethos and the authorial figure

    Ruth Amossy et Dominique Maingueneau

    Autour des scnographies auctoriales : entretien avec Jos-Luis Diaz,auteur de Lcrivain imaginaire (2007) [Texte intgral]Authorial scenographies: an interview with Jos-Luis Diaz, author of Lcrivainimaginaire (2007)

    Comptes rendus

    Marianne Doury

    Angenot, Marc. 2008. Dialogues de sourds. Trait de rhtoriqueantilogique (Paris : Mille et Une Nuits) [Texte intgral]

    Marc Angenot

    Meyer, Michel. 2008. Principia Rhetorica. Une thorie gnrale delargumentation (Paris : Fayard) [Texte intgral]

    Pascale Delormas

    Meizoz, Jrme. 2007. Postures littraires. Mises en scne modernes delauteur (Genve : Slatkine) [Texte intgral]

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  • Argumentation et Analyse duDiscours3 (2009)Ethos discursif et image dauteur

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    Michle BokobzaKahan

    Introduction................................................................................................................................................................................................................................................................................................

    AvertissementLe contenu de ce site relve de la lgislation franaise sur la proprit intellectuelle et est la proprit exclusive del'diteur.Les uvres figurant sur ce site peuvent tre consultes et reproduites sur un support papier ou numrique sousrserve qu'elles soient strictement rserves un usage soit personnel, soit scientifique ou pdagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'diteur, le nom de la revue,l'auteur et la rfrence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord pralable de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislationen vigueur en France.

    Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales dvelopp par le Clo, Centre pour l'ditionlectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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    Rfrence lectroniqueMichle BokobzaKahan, Introduction, Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 3|2009, mis en ligne le15 octobre 2009, Consult le 04 juin 2013. URL: http://aad.revues.org/658

    diteur : Universit de Tel-Avivhttp://aad.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne sur :http://aad.revues.org/658Document gnr automatiquement le 04 juin 2013.Tous droits rservs

  • Introduction 2

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    Michle BokobzaKahan

    IntroductionQuest-ce quun auteur?

    1 La question, dune simplicit provocante (Foucault 1994 [1968]), fait rebondir un dbat queBarthes pensait clore en tuant lauteur (Barthes 1984 [1967]). Les deux textes, on le sait,constituent le point dorgue de la fameuse querelle qui dchire le champ littraire du 20e sicleentre ceux qui attribuent lauteur la pleine matrise de son texte (les intentionnalistesdans le jargon de la critique amricaine) et ceux qui au contraire veulent penser la littrature,daucuns diront la littrarit, sans lui (les anti-intentionnalistes). La polmique tourneessentiellement autour de textes de fiction dont la spcificit ontologique dlgue lauteurdes pouvoirs sur son texte inexistants ailleurs. Comme Foucault le note, lauteur dune fictionoccupe une position privilgie par rapport celui dun texte scientifique, par exemple. Ildtient un droit dinterprtation et corrlativement une autorit auctoriale qui influencent sadouble relation avec le texte et le lecteur. Cette supriorit explique lantagonisme qui conduitBarthes prononcer en 1967, dans le magazine radical amricain Aspen, la sentence de mortde lauteur qui eut ensuite la fortune que lon connat. Destin dun court essai au dpart semi-clandestin qui a lavantage de montrer que le dcs de lauteur ne rsout pas le problme delauctorialit. Au contraire, il ne fait que le complexifier.

    2 Aussi, depuis trois dcennies, un nombre impressionnant douvrages et de colloques relvent-ils le double dfi lanc par les deux chefs de file du structuralisme franais et affrontent-ils la contradictoire injonction de penser la dissolution du sujet crateur sans renoncer ni son existence ni aux intentions qui gouvernent le texte potique. Mon propos ne vise ni unbilan des divers courants thoriques dhier et daujourdhui ni une chronique de leur gense.Il sagit de tirer une leon des apports thoriques afin de mieux rflchir sur la pertinencedu concept dethos qui, on le sait, se rapporte limage de soi que le locuteur construitvolens malens dans son discours (Amossy 1999, 2001, 2006 [2000]. Lhypothse sur laquellereposent les travaux prsents dans ce numro est que cette notion, emprunte la rhtoriqueclassique et lanalyse du discours, non seulement recoupe et roriente tout la fois lesnombreuses tudes qui remettent aujourdhui lhonneur la question de lauctorialit, maisquelle propose une assise thorique forte pour toute tentative de saisir et de comprendrepleinement lauctorialit sur le terrain de la littrature de fiction. Tout en maintenant trsclairement la distinction entre lhomme rel et son image projete par le discours, lanotion dethos revisite par lanalyse du discours permet de penser lobjet littraire et sonauteur dans ses trois dimensions possibles : limage dauteur en relation avec le texte, enloccurrence, le discours de type fictionnel avec toutes les consquences que cela implique,limage dauteur en relation avec son moi biographique et social, limage dauteur en relationavec dautres instances sociales, les mondes de ldition, des prix, des mdias, etc. (Amossy1999, 2005 [2000] ; Maingueneau 2004) et le livre, dfini comme un support matriel etconu comme un objet la fois culturel et mercantile (Chartier 1996). Lanalyse de limagedauteur en terme dethos exige de prciser les enjeux souterrains et affichs qui sous-tendentla relation complexe, argumentative ou non, qui lie les agents de la communication littraire,surtout lorsque lon se tourne vers les textes de fiction. Or, cette articulation simultane detrois niveaux, eux-mmes forms de plusieurs strates superposes, toujours dpendants lun delautre, reprsente bien des gards laboutissement dune histoire de lauteur qui commenceun sicle aprs linvention de limprim (Viala 1985, Woodmansee et Jaszi 2006 [1994]).

    3 La littrature, prise dans le sens dune structure et dune activit culturelles et sociales, etlauteur dfini en France, selon larticle 8 de la Loi du 11 mars 1957, comme personne physique sous le nom de qui (pseudonyme et anonymat relevant de la seule volont de lauteur)luvre est divulgue , sont des notions relativement rcentes dans lhistoire culturelleoccidentale (Mondelo 1991). La conscience aigu des dimensions sociale et juridique delidentit auctoriale, dune part, et du rapport troit qui se tisse entre les champs du rel

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    (mutations sociales, culturelles et conomiques), de limaginaire (reprsentations artistiques,en loccurrence invention discursive de mondes fictifs) et de lidologie (le statut ontologiquedu sujet crateur et du sujet rcepteur et la notion dautorit), dautre part, permet de rsister une drive relativiste lie la projection dans le pass de dsirs du temps prsent (Hobsbawm 1994: 61), tout en posant des bases rfrentielles solides pour une apprhensionaussi rigoureuse que possible de la problmatique de lauteur.

    4 Lusage souvent anachronique du concept dauteur et son valuation laune de loutillagemental actuel, pos implicitement comme laboutissement ultime dun progrs continu de lapense, apparat dans de nombreux textes en France comme aux Etats-Unis. Il tmoigne dunecertaine crispation sur lide dune cohrence anthropologique du sujet littraire quil faut tout prix sauvegarder. Lrudite remonte aux origines du mot auteur qui permet de tracerun parcours tymologique cohrent participe de cet effort (Donovan, Fjellestad et Lundn2008; Diaz, Jacques-Lefvre 2001; Dubel & Rabau 2001). La tendance penser lauteursur le mode de luniversel dont chaque poque particulariserait le contenu, rassure tout engommant le principe de discontinuit quil convient de souligner demble pour mieux se situerdans un temps et un espace spcifiques. Il existe en effet des cultures o luvre saffranchit deson crateur, comme la culture arabe classique (Kilito 1985). En Europe, ni lade mdiateur,ni le pote choral, ni le troubadour, ni le jongleur mdival ne correspondent au sens quenous donnons lauteur tel que nous lentendons depuis quatre sicles. Le producteur detextes tablissait dans ces configurations culturelles un rapport avec son uvre et celle desautres totalement tranger aux notions doriginalit ou de proprit esthtique. Compiler,recopier, collectionner, se rapproprier des textes entiers et les mettre en circulation sanssourciller ni culpabiliser, tout cela ntonnait personne (Edelman 2004; Calame et Chartier2004). Pour leurs contemporains, des inventeurs de rcits comme Chrtien de Troyes, Villonou Shakespeare ntaient pas des auteur(s) au sens o ils le sont devenus pour nous travers les projections ultrieures et les rcuprations institutionnelles, notamment partir delpoque romantique (Bennett 2005).

    5 Le cadre chronologique, lintrieur duquel se dploie notre rflexion sur les conceptsdimage dauteur et dethos dans le discours littraire, est marqu par la naissance delcrivain au 17e sicle (Viala 1985). Loin de relever dune triviale commodit arbitraire,il prtend, au contraire, viter ces cueils pour dlimiter correctement la priode o laquestion de lauteur peut se poser sans risque danachronisme, facteur important du brouillageconceptuel qui alimente le dbat sans lclairer. En France, le remaniement smantique duterme auteur , certes dj prsent dans la langue, sopre partir du 17e sicle aveclmergence de nouveaux modes de pense. Il accompagne au fil du temps la progressivereconnaissance institutionnelle du nouveau mtier dcrivain. Ce nest quavec la Querelle desAnciens et des Modernes que des notions comme inventivit et originalit enflammentles esprits soucieux dlaborer une nouvelle grille conceptuelle opratoire pour la choselittraire et son producteur. Et ces ides prennent leur plein essor lpoque romantique etculminent dans limaginaire dun Proust, ses pastiches pouvant passer pour le point culminantde cette reprsentation de linstance auctoriale comme singularit identifiable et autoritcratrice.

    6 Si le sacre de lcrivain advient laube de lre industrielle en France (Bnichou 1973),celui de lauteur a lieu lorsque son droit de proprit sur lobjet quil a cr lui est reconnujuridiquement. Bien avant la date cite plus haut, des premiers dcrets postrvolutionnaires,ceux des 19 et 24 juillet 1793, marquent la russite dune entreprise de lgitimation dont lagense se situe un sicle plus tt avec lmergence dun champ littraire encore balbutiant(Bourdieu 1966, 1971, 1992 ; Heinich 1993, 2005 ; Viala 1985). La bataille mene parquelques hommes de lettres des Lumires comme Lesage, Voltaire, Diderot, Mercier etBeaumarchais (Baetens 2001) se focalise essentiellement sur la question des droits dauteur etla ncessit dune professionnalisation de la littrature. Elle vise la fin dune sujtion financireet symbolique lgard des forces de mcnat et/ou de clientlisme prrvolutionnaires(Rose 1993). En Angleterre, une situation plus ou moins parallle mne la promulgationdu Statut dAnne, le 10 avril 1710, qui annonce la naissance du tandem auteur/uvre

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    (Rose, Woodmansee & Jaszi 2006 [1994]). Les dcrets successifs ultrieurs peaufinentles critres fondateurs dune littrature entendue comme univers compos des auteurs, destextes rputs littraires et du public lecteur, et les adaptent aux fluctuations du temps. Cetunivers est gr par une rglementation dont les composantes engendrent un systme dedroits et dobligations qui concernent essentiellement la dpendance rciproque de luvreet de son crateur. Dsormais responsable exclusif dune production dont loriginalit, etpar consquent la marque subjective de lauteur, constitue un critre constitutif de sa valeuresthtique et de sa reconnaissance publique, lauteur (vivant) devient le gestionnaire toutpuissant, statut inimaginable parce quimpensable au temps des Chrtien de Troyes, Villon etShakespearedj voqus. Il jouit du droit moral, du droit de divulgation, du droit de retraitet de repentir, du droit au respect de son nom, de ses qualits ainsi que du droit au respectde son uvre (Travers de Faultrier 2001: 74), et, comme on la dit plus haut, dun droitdinterprtation non ngligeable qui dtermine beaucoup ses relations avec le texte et avecson public.

    7 Ltonnant dynamisme dune ralit qui se transforme aujourdhui sous nos yeux risque detout changer pour le meilleur et pour le pire. A lre de lInternet et des nouveaux produitsditoriaux comme les cdroms ou les tlchargements en ligne, face au dferlement destechniques et des nouvelles pratiques contractuelles, lexplosion internationale de la diffusiondes uvres, lauteur, tel que nous lavons dfini, voit parfois son identit juridico-littrairejusque-l privilgie se fondre tant dans une collectivit auctoriale que dans un anonymat detype nouveau, issu de la cration duvres recomposes. Sans doute, la recrudescence detravaux sur lauteur est-elle lie, en partie du moins, langoisse que provoquent la dilution dunom dauteur, la perte de son autorit somme toute rassurante et la vulgarisation de la crationouverte tout vent. Nouveau moment de crise qui, comme les prcdents dans lhistoire dumonde occidental depuis la Renaissance, conduit une rorganisation sociale et culturelle,source fconde de mutations et de transformations dans tous les champs dactivit humaine.

    Ralits et reprsentations auctoriales: correspondances,influences et alternances

    8 La comprhension des relations qui existent un moment historique donn entre lesdiffrents champs intellectuels permet de penser en termes de correspondances globalesle dveloppement de nouveaux systmes de pense et la naissance de nouvelles identitssociales. La trajectoire de la notion dauteur a t largement commande par un discoursextrieur tenu par les acteurs du champ littraire en fonction des fluctuations culturelleset idologiques que lon connat. Ces discours ont vhicul une image dauteur qui ainvitablement particip de modes dcriture et orient des modes de lectures. Cest direcomme ils prsident llaboration de la communication littraire dans toute sa complexit.Larrire-plan idologique que je me propose de retracer brivement vise jeter une lumiresur le mouvement permanent de circulation entre la ralit sociale toujours dynamique, lesprocessus de cration et dcriture, et le monde imaginaire de la digse. Une toile de fond quinous sensibilise la pertinence de lethos, dfini, rappelons-le, comme le produit dune imagediscursive et de donnes extratextuelles (Amossy 2005 [2000]), dans notre effort de rfrer lesens dune uvre son auteur en posant un principe de rsonance et non de transparence.

    9 La crise de la conscience europenne (Hazard 1961) accompagne lmergence duneconception moderne de la littrature et la naissance de lauteur. Lbranlement des certitudesdorigine religieuse, sensible ds le 17e sicle et corrlatif dune rflexion sur lorigine dessocits et des langues, ainsi que les mutations sociales et conomiques issues du processusde curialisation des guerriers, admirablement analys par Norbert Elias (1975 [1939]), demme que la floraison au 18e sicle dune idologie sensualiste prfrant lacquis linn,soulvent de nouvelles questions sur le rapport de lindividu dans la socit avec lui-mmecomme avec les autres ; cette interrogation occupe une place naturellement forte dans lalittrature de lpoque et oriente son devenir.

    10 Les forces conomiques et politiques mises en place par la monarchie absolue conduisentinvitablement une rorganisation sociale et culturelle dont les rpercussions sur la littrature

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    expliquent entre autres lapparition dagents jusque-l indits dans ce quil devient doreset dj possible de nommer un champ littraire (Viala 1985). Si les masques derrirelesquels se cache lauteur, encore rticent revendiquer la proprit matrielle et morale deson ouvrage, ne trompent quasiment personne, cest parce quils ressortissent au phnomnede lanonymat littraire, lui-mme reli un tat de socit o lauteur na pas encore acquisde statut lgitime (Lever 1973). Et si la prolifration de romans la premire personnesinscrit dans le courant des mmorialistes de la Renaissance (Kuperty-Tsur 1997), elle dsignetoutefois une responsabilit plus forte que lauteur des Lumires assume par rapport sonuvre, ses lecteurs et soi-mme (Dmoris 2002[1975]; Magnot-Ogilvy 2004; Herman, Kozulet Kremer 2008). Cette hsitation entre effacement et identification de lauteur qui sinscrit sisouvent dans les prfaces et les ddicaces exprime ltat transitoire dun moment charnire delhistoire culturelle en France (Yahalom 1980).

    11 Tel un sismographe, le discours littraire enregistre les effets de ces mutations qui leconstruisent et le faonnent. Llargissement du cercle intime des initis, la monte delimprim due une technologie de plus en plus performante et les nouveaux rseaux dediffusion et de circulation dstabilisent les modes de communication littraire antrieurs. Leremaniement des relations entre lauteur et son public invite un engagement plus prononcdu premier lgard de ce quil crit pour le second. La littrature romanesque nest plus cetobjet de divertissement dont lauteur pouvait se dissocier idologiquement, comme lobservaitquelques annes auparavant Charles Sorel dans sa Bibliothque franaise (1667): Il ny ajamais eu dobligation de se dire lauteur des livres quon dsavoue en les donnant, et quonne donne que comme des livres trangers, des sentiments et de la mthode desquels on nedemeure point daccord. Ce serait trop de violence de forcer quelquun les reconnatre quandils ne contiennent rien sur quoi on soit oblig de rpondre (Lever 1973 : 13). Lattitudede lauteur change ds lors quune reconnaissance institutionnalise prend forme pour lesmultiples raisons dj voques.

    12 Au 18e sicle, le roman, genre littraire le plus vis par le modle reprsentatif, sadaptele mieux aux exprimentations dcriture les plus audacieuses que pratique lauteur et auxnouvelles questions quil pose. Linventeur de mondes possibles favorise les mises en scne deparcours tortueux et de hros dcals et marginaux, souvent en qute dune identit inconnue.Candide, Jacob et Marianne, Tom Jones, Suzanne Simonin, Tristram Shandy, et bien dautrestres de langage et de papier dsormais clbres, ne remplacent pas les certitudes dun mondegr par dieu par un rationalisme confiant. Ils donnent dj voir linintelligibilit de la vie etttonnent dans les labyrinthes de lexistence reproduisant une ide forte des Lumires voquepar dAlembert dans le discours prliminaire de lEncyclopdie. Des auteurs comme Furetireet Bayle la fin du 17e sicle, Voltaire et Diderot, quelques dcennies plus tard, pour ne citerque les plus connus qui consacrent une vie entire lcriture, sinvestissent entirement dansune exploration du moi ouverte un questionnement du rle et des devoirs de lhomme delettres dans la cit en se tournant souvent du ct de la fiction. Ils remettent en cause lide dunsujet plein, autoritaire, sr de soi, dune part, et dune philosophie hgmonique et dogmatique,dautre part, alors que ce mme sujet endosse une responsabilit nouvelle. Les ancestralesquestions sur le pouvoir de lcriture et les fonctions de celui qui la pratiquese teintent dela tonalit inquite du monde moderne, et lauteur engag et responsable, rflchissant etintrospectif, qui se pose comme philosophe institue dj de son sens aujourdhui reconnu unmot qui nexiste pas encore: lintellectuel (Masseau 1994).

    13 La prise de conscience dune vocation nouvelle transforme les enjeux premiers de laRpublique des Lettres tout en alimentant les discours rdigs la gloire des hommes delettres de reprsentations imaginaires indites. Lre postrvolutionnaire se rapproprie cesimages dauteur/homme de lettre/philosophe pour reconstruire une ralit historique o lesrfrences empiriques se mlent avec des dsirs et fantasmes de rorganisation sociale etculturelle. Ainsi, dans le prolongement du processus de lacisation de la littrature, LAncienrgime et la Rvolution de Tocqueville, publi en 1856, prsente les agissements politiques desphilosophes comme des actes prmdits et consciemment assums, et ce faisant, propose unevision souveraine de lhomme de lettres que rend possible, dans un second temps, sa destine

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    politique. La construction discursive de limage dun corps intellectuel prrvolutionnairepermet sans doute Tocqueville dexprimer dans le sillage de Mme de Stal et de son ouvragefondateur De la littrature dat de 1800, une ide gnrale sur la littrature et ses acteurs quiconfirme indubitablement la croyance de lhomme moderne en la dpossession de la religionpar la littrature (Bnichou 1973: 473). Promue au rang de pouvoir spirituel des tempsmodernes (Bnichou 1977: 7), la littrature impose dsormais au regard critique le respectvoire la dvotion travers la conscration de lcrivain.

    14 Les multiples scnographies auctoriales essaimes dans les rcits de fiction au 19e siclesont analyses avec une grande finesse dans louvrage rcent (2007) de Jos Luis Diaz(sur lequel on trouvera un entretien fourni en fin de numro). Elles tmoignent de la prisede conscience de lauteur sur son travail dcriture, dvoilent lauto-questionnement quasi-obsessionnel qui le sous-tend et rvlent une crise identitaire de nature diffrente que celle quiavait agit les romanciers philosophes des Lumires. Propuls au fate de la gloire culturelle,lauteur cherche se redfinir. Dans ses discours fictionnels et paratextuels, il pose dsormaisun moi devenu sujet extrieur, observable, analysable et rpertori (Goulemot & Oster 1992:103). Ce processus de rification de lauteur devenu pour les uns un objet de culte, et pour lesautres un objet dexcration, favorise lidentification de lauteur avec son uvre et renforce larelation symbiotique qui imprime ses traces dans la digse.

    15 Avec lenvahissement graduel de la presse dans le champ littraire du 19e sicle, le processusdinterdpendance entre lauteur et son uvre mne un vritable rapport dalination dontMarie-Eve Threnty a mesur justement les consquences tant potiques, que sociales etconomiques (Threnty, 2003). La prolifration de portraits dcrivains dans la petite et lagrande presse, la naissance de linterview dans le dernier quart du sicle destine en premierlieu dvoiler lintimit de lhomme - comme en tmoigne la clbre Enqute sur lvolutionlittraire de Jules Huret de 1892 - constituent autant de phnomnes permettant de situer lacritique biographique quincarne Sainte-Beuve dans un contexte particulier. Elles font aussimesurer sa juste valeur le rejet dOctave Mirbeau accusant lcrivain dexhibitionnismeobscne et davilissement social (Goulemot et Oster 1992 : 180), et, quelques annes plustard, celui de Proust dnonant lillusion de la transparence du discours littraire (Proust 1908[1954]).

    16 Une volont dassainissement littraire, dune redfinition de concepts tels que ceuxd auteur , uvre , littrature , critique littraire , mne des auteurs commeMallarm, Valry, Proust, etc. dnoncer la fabrique dune image trompeuse et soulignerlartificialit dun sujet matre de soi, de son destin, de son criture. Lie au procs intent la notion dautorit politique et sociale, dans le contexte catastrophique des deux guerresmondiales (Arendt 1951, Marcuse 1955), linterrogation de la critique littraire de la secondemoiti du 20e sicle porte sur les implications idologiques de lauteur dmiurge. La remiseen cause de lautonomie et de la suprmatie du sujet libre lauteur, une fois de plus mais dansun tout autre contexte, dune pleine responsabilit en faisant planer par ailleurs les ombres delinconscient et les forces inluctables de la socit remises jour par la psychanalyse et lemarxisme. Lre du soupon dtrne lauteur dont lunit brise jette un doute sur ses propresintentions, pour faire place lautonomie du texte, la puissance du langage et la clbrationde lcriture. Or, aujourdhui ces certitudes longtemps partages vacillent et un retour verslauteur sopre.

    17 Pour rsumer, la naissance de lauteur laube du capitalisme occidental, comme sa mise mort trois sicles plus tard (Mallarm, Blanchot, Valry, Barthes) ne constituent pasuniquement des points de repre essentiels dans lhistoire de la critique littraire. Ces momentsforts quintensifie le verbe percutant dcrivains (philosophes, potes, romanciers, thoriciens)reconnus, rendent compte galement de lacheminement existentiel de lhomme occidental la recherche dune identit nouvelle dans un monde de plus en plus htroclite et clat dontles frontires et les marques morales autrefois mieux dfinies disparaissent progressivement.Indices de positionnement idologique, ces jalons articulent aussi un contexte social enmutation constante sur des modes de reprsentations imaginaire et symbolique qui eux-mmesnourrissent le rel do luvre merge. De lanonymat auctorial dans la socit de lancien

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    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    rgime lexhibitionnisme mdiatique de lauteur-personnage caractristique dune socit despectacle, de lomniscience du dmiurge dans le texte raliste une dsintgration quasi-totaledu sujet crateur lre du soupon, de sa mise mort jusqu sa rsurrection spectaculairedans le champ de la recherche actuelle, lauteur dans son apparition, sa prsence, son absence etses intrusions en pointills (autant de mots qui renvoient des degrs divers dinvestissement,dimplication, dengagement et de responsabilit lgard du texte quil crit) se situe toujoursentre les deux mondes du rel et du fictif, toujours la recherche dinsignes (Mallarm1890 [1965]) qui sont et des faits et des reprsentations.

    Les doubles, les voix, les moi de lauteur: limpassethorique

    18 Pour avoir cristallis la controverse sur lauteur selon le principe dialectique de plnitudedu sujet responsable, puissant, conscient, intentionnel vs vacuit auctoriale, absence,dpossession et inconscient, la critique des annes cinquante et soixante du 20e sicle sestengouffre dans une impasse thorique que les thoriciens postmodernes ont pu dynamiteraisment. Si lapocalyptique annonce barthsienne na pas rsolu la querelle entre les deuxcamps antagonistes, elle a toutefois provoqu, on la dit, une nouvelle vague douvrages quise sont engags vers dautres voies. Lerreur principale rsidait dans ltroitesse dun regardqui nabordait la question de lauteur qu laune des plansdu texte et de son producteur.Dans le champ du cinma, des ralisateurs et/ou des metteurs en scne comme Truffauttombent lpoque dans le mme pige en ouvrant une polmique sur la production et laproprit artistiques qui ne sappuie que sur les deux axes de lauctorialit et de loriginalit(Caughie 1981). Ce nest quaccessoirement que les dimensions sociologique et intertextuelleapparaissaient. Une brve description du dbat dsormais classique mais combien tenace,vise souligner la dialectique autarcique qui le gouverne tout en montrant combien lesquestionnements renouvels sur les concepts dautorit, dintention, domniscience et decrativit ont ressourc les sciences humaines dune vitalit extraordinaire qui se rpercutesur la pense actuelle.

    19 La premire position, lancienne, demeure fidle lhistoire littraire qui, on le sait, tient lehaut du pav universitaire en France lheure prcise o la Troisime Rpublique investitla littrature denjeux politiques exceptionnels (Compagnon 1982). La seconde position,moderne, ne sintresse quau texte et sa littrarit. Les dmarches formalistes dsacralisentlimage de lauteur en raction contre le positivisme biographique et lhistoricisme quifaisait de lauteur un nouveau dieu. Dans le prolongement du Formalisme russe (Todorov1965), de la stylistique allemande (Spitzer 1970), de la Nouvelle Critique franaise et suisse(Starobinsky 1961, Poulet 1952) et du New Criticism amricain (Eliot, Empson, Frye), lestructuralisme entend sparer lobjet littraire, le texte potique, de la conscience subjective deson producteur, pour mieux identifier les structures qui commandent les pratiques narrativeset linguistiques indpendamment des perceptions et des intentions auctoriales. Il extirpe lalittrature des spculations biographiques et psychologiques qui ltouffaient au nom delintransitivit du rcit fictionnel et de la neutralit du langage soutenu par un sujet vide endehors mme de lnonciation qui le dfinit (Barthes 1967 [1984]: 66).

    20 Si le positivisme des premiers demande se rfrer au crateur comme vecteur duneintentionnalit et comme garant suprme du sens, en reliant sans mdiation lhommeet luvre , lindividu biographique et le monde fictionnel quil invente, le formalismedes seconds se targue daffronter la problmatique laboration formelle de luvre et soninterprtation en interdisant tout brouillage de frontires entre textuel et rel et, corollairement,en excluant totalement lauteur de leur champ de recherche. Le raidissement thorique pousseparfois les uns et les autres se retrancher dans des positions souvent paradoxales, et parfoismme extrmes.

    21 Au nom dune esthtique organique de luvre et dune vision idaliste de la littrature,la critique thmatique proclame linstar de Proust la ncessaire dissociation du moi pote(profond, intrieur, vrai) et du moi social (extrieur, artificiel, mondain) et adopte lide dunesource cratrice responsable de ldification du texte et de sa cohsion globale. Lobjectif

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    consiste rejeter les prsupposs dune psychologie populaire, dune intentionnalit et duneprmditation consciente de lauteur, dune part, et penser lcriture littraire comme uneactivit dtache de son environnement immdiat, institutionnel et technologique, dautre part.Jean Starobinski voque la naissance dune nouvelle hermneutique, dune nouvelle exgse,orientes vers la ralit psychique drobe [de lauteur] (Starobinski 1989: 77), vers ce queGeorges Poulet nomme un moi sans cause, cest--dire une moi crateur qui par unacte dannihilation [fait] son propre nant pour se donner un tre (Poulet 1952: 46). Dansses tudes sur Mallarm ou Proust, Jean-Pierre Richard (1961, 1974) cherche dgager uneconfiguration thmatique qui renvoie lunivers imaginaire du signataire de luvre. Ilsagit pour les fondateurs de lcole de Genve comme pour Richard dexplorer un espacescriptural o se dit avec prdilection linconscient dun crivain donn, et qui le dsigne plussrement que toute donne biographique.

    22 Les structuralistes marxistes sinscrivent dans une vision quelque peu similaire de la crationlittraire lorsquils transforment lcrivain en lincarnation dun sujet collectif dont il seraitlexpression. Pour Lucien Goldmann, lauteur devient linterprte privilgi de la consciencecollective, le porte-parole et/ou la conscience des forces et des affects dun groupe, une structure mentale cohrente correspondant une vision du monde (Goldmann 1964).Le problme est que collective ou individuelle, lide dune conscience cache et secrte delauteur demeure un concept labile quil est ais de fondre au gr des analyses dans la personnemme de lauteur. De plus, cette ide maintient un rapport de sujtion dun texte son crateur.Les critiques thmatique et marxiste demeurent enfermes dans la problmatique quellesprtendent rsoudre. Sappuyant chacune leur manire sur une vision du monde commeprincipe de structuration du roman, elles posent la subjectivit de la conscience cratricecomme principe majeur de leur dmarche et dlguent, par le biais de linconscient ou desforces sociales, un pouvoir considrable lauteur, cet tre exceptionnel quelles souhaitaientoublier pour mieux rflchir les uns sur la cration littraire, les autres sur les forces du march.

    23 Isolant lespace textuel pour explorer les structures et les stratgies narratives mises en uvredans un rcit, la narratologie, quant elle, entend se dmarquer de la querelle de lauteur.Lanalyse en termes de points de vue, de voix, d instance narrative et de narrateurlui permet de parler de luvre sans passer par la personne de lauteur. Lorsque WayneC. Booth recourt la fois la rhtorique pour penser la communication littraire et auxnotions dsormais clbresde lauteur implicite, du narrateur digne de confiance et dunarrateur non fiable, il propose de reconstituer le sujet susceptible de prendre en chargele rcit partir des lments de loeuvre (Booth 1961). Loin dtre identifi la personnebiographique qui sexprime ailleurs, lauteur implicite est sans aucun doute une instance depapier qui se compose dune slection de donnes et de lorganisation textuelle. Tout endlimitant son champ dinvestigation lespace discursif de la fiction, Booth nignore pas(comme le montre larticle Mtalepse et image de soi de lauteur dans le rcit de fictiondans le prsent numro) le rapport de rciprocit permanent et dynamique entre le texte et sonhors-texte (Booth 2005).

    24 La notion dauteur implicite suggre en filigrane dans le texte de fiction la prsence dunefigure dauteur, ce que Booth appelle the second self de lauteur, mais de quoi sagit-il exactement ? Lauteur implicite se rfre-t-il au bout du compte au narrateur premier durcit ou bien la personne biographique qui signe le livre ? Cest la question de GrardGenette qui doute de la ncessit dune notion supplmentaire susceptible de brouiller un peuplus le dbat par un surcrot terminologique superflu (Genette 1983). Ce dernier na pourtantpas peu contribu lenrichissement souvent rabelaisien du jargon thorique. Cest contre cepch que se dressent des thoriciennes du discours de fiction comme Kte Hamburger (1986[1957, 1968]) et, sa suite, Ann Banfield (1995 [1982]), pour ne citer que les plus connues.Elles dnoncent lusage du terme si usit de narrateur et dmontrent sa caducit dans lesrcits de fiction la troisime personne. Ainsi, la notion de narrateur omniscient fausse leurs yeux la spcificit de la fiction en dlguant un pouvoir exorbitant une instanceinexistante qui risque de brouiller compltement la diffrence entre le discours de la fiction et

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    celui de lhistoire. Dans ce dbat strictement potique, lauteur est convoqu pour rcuprerla responsabilit directe des vnements raconts en tant quinventeur de ces vnements.

    25 Pour se dbarrasser de laller-retour tautologique entre limaginaire et le rel, le structuralismelittraire coupe court aux tergiversations et se fait le chantre du sujet grammatical et de luvreouverte. Se situant dans la filiation des courants nonciatifs et pragmatiques inaugurs entreautres par les travaux de Benveniste, de Jakobson et dAustin, le structuralisme littrairesubstitue le Je interchangeable de lnonciation au sujet crateur toujours reli un individuparticulier. Il vacue lauteur pour faire place au pronom personnel, lectron libre riche enpotentialits dinterprtation parce que dconnect de toute origine premire. Ce faisant, ilprtend isoler luvre qui se donne lire chaque fois autrement par le lecteur devenu du coupcritre dinterprtation (Fish 1980).

    26 Mais lautonomie de luvre repose paradoxalement sur une relation interpersonnelle. Lathorie de lnonciation ntait pas au dpart un formalisme et pour Benveniste, le Je dsignetoujours celui qui parle. De mme, les querelles narratologiques voques plus haut ne peuventse rduire des querelles de mots. Pour Hamburger comme pour Banfield, il sagit desopposer violemment un formalisme mortifre qui dnie la ralit dun tre de chair etdos quil convient de substituer aux narrateurs fantmes chers Genette (Patron, 2009).Remarquons lair de famille qui rgne entre leur positionnement et celui de Mikhal Bakhtinequi, dans son analyse de La potique de Dostoevski (1970 [1929, 1963]), sinterroge toujourssur lattitude de lauteur lgard de la vision artistique quil reprsente travers laconstruction de ses rcits. Les fortifications thoriques demeurent vulnrables aux forcesdynamiques de la cration et de lchange qui les fissurent. Aussi, soumettre le texte au bonvouloir du lecteur nefface-t-il pas pour autant lauteur.

    27 Loin de prtendre lexhaustivit, ce bref parcours vise souligner les points communs quirunissent les approches les plus diverses: on voit comment les travaux relatifs la littraturequi prennent en compte lauteur sans tomber dans lillusion biographique, conoivent la notiondauteur comme une production discursive (ou textuelle, selon le vocabulaire employ). Sicette perspective a permis de sortir dune conception reprsentative de la littrature et delauteur, elle risque de tomber dans le pige du dualisme qui prtend dissocier ce qui est delordre de lindissociable, ou de diluer la question dans un relativisme suicidaire, ou encoredenterrer lauteur sous une myriade de doubles. Obnubile par Saint-Proust (Simion1996; Maingueneau 2006), la critique sest le plus souvent limite au ddoublement de lauteuren un Je biographique et un Je textuel (auquel Proust na jamais pens!), lui-mme atomisen une varit de doubles.

    28 La troisime dimension intrinsquement lie aux deux autres, celle du Je institutionnellementreconnu comme auteur avec toutes les consquences (juridiques, culturelles, conomiques,sociales) qui sensuivent (Rose 1988; Hesse 1990; Jaszi 1991), a souvent t nglige. Or,la relation entre un sujet et son acte ou sa production est partout en dbat dans notre universculturel: lducation, la famille, la justice, lart se la posent en termes de responsabilits, demdiations, de traces. De plus, au plan juridique, lauctorialit demeure un concept qui serfre lactivit solitaire dauteur qui produit une uvre littraire originale, et la questionde savoir qui des deux engendre lautre nintresse aucun des agents conomiques du champlittraire. On constate que, sous une forme ou une autre, lauteur revient la charge, quentrecelui qui crit et celui qui vit, il ny a pas dabme infranchissable, que lclat de luvre nenous fait pas passer lenvie de connatre lauteur qui la crite. Il nous faut donc penser lanotion dauteur dans une perspective globalisante en prservant le rapport dynamique etincessant qui se tisse entre les trois dimensions biographique, textuelle et sociale.

    Image dauteur et ethos29 La priorit du texte et son autonomie par rapport une vie dauteur reprsentent la victoire

    provisoire et jamais complte de la critique formaliste sur le biographisme littraire. Mais si lestextes ne demandent plus tre lus ni compris comme expressions vivantes de la subjectivit delauteur, ce dernier nen meurt pas pour autant. Les mots crits et le monde invent proviennentdune source dnonciation originelle, leur mise en scne et en intrigue relve dun projet de

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    vie qui nourrit et se nourrit de luvre dont il mane (Borges 1982 [1960]; Calvino 1993[1990]; James 1982 [1962]; Kundera 2005; Lodge 2009 [1992]; Rouaud 2004; Woolf 1992[1929]). Nullement disparu, lauteur se fait voir et entendre travers une image, la sienne, quiest ncessaire tout acte de lecture.

    30 Lorientation du prsent numro concerne deux points essentiels: en premier lieu, aborderlauctorialit dans un texte de fiction, espace discursif o lauteur se diffracte en de multiplesvoix et chappe toute possibilit de rfrentialit explicite, do la difficult de le penser enterme de locuteur face un partenaire dchange. En second lieu, penser lauctorialit dans lesrapports qui sinstaurent entre les images dauteurs extra- et intra-textuelles. La notion dethos,dj abondamment sollicite mais sans doute insuffisamment confronte au problme pineuxde lcriture fictionnelle, sera donc tudie pour repenser linstance auctoriale, redfinir sesfonctions et en clairer les enjeux qui, comme on a pu le voir, sont encore loin dtre bienprciss.

    31 Plutt que de passer indiffremment de limage dauteur lethos, il convient au contrairede marquer la distinction qui les spare pour mieux les rapprocher ensuite. Malgr leurressemblance, ces concepts ne peuvent pas se confondre demble car limage dauteur mergedes dbats littraires voqus plus haut tandis que lethos appartient au champ de la rhtoriqueet de largumentation. Dfini comme une construction discursive, lethos tablit lorigineune distinction trs claire entre lhomme et son image dans le discours. Sa nature premireest de dterminer la russite du locuteur dans son entreprise de persuasion: cest pour cetteraison que lethos est considr comme une composante majeure de lart de la persuasion.Dans lintroduction dun ouvrage collectif fondateur pour les tudes de lethos, Ruth Amossydsigne le dbat ancien entre Grecs et Romains sur lexistence ou labsence dun rapportde causalit entre lhomme et son image dans le discours comme le tremplin dune analysedu discours ouverte une exploration plus complexe de lethos (Amossy 1999: 26). Pourelle, lethos qui se construit dans le discours se nourrit la source dune histoire de vie etdune situation empirique de lauteur dans le champ politique, littraire, etc. Il convient doncde situer lethos au carrefour des disciplines , pour encourager llargissement fconddu concept (Amossy dans Amossy (d.) 1999). Incorporant dans sa rflexion les travauxde Bourdieu, les approches de la sociocritique et les apports de la nouvelle rhtorique dePerelman, Amossy propose une approche intgrative originale qui se rclame la fois dela rhtorique aristotlicienne et de lanalyse du discours. Dotant lethos dune dimensionsocio-historique, prdiscursive, mais restant par ailleurs fidle une conception rhtoriquede lefficacit, elle articule la dimension discursive sur la dimension dynamique de la ralitsociale (1999: 154). Ce glissement de lethos dune image discursive une convergence defacteurs textuels et de facteurs extratextuels signale un changement de vision dans les sciencesdu langage. Pour les analystes de discours comme pour les linguistes de lnonciation et dela polyphonie, lethos ne se rduit plus uniquement un outil rhtorique de persuasion maisdevient dans le sens large du terme un moyen dinfluence. Il ne sagit plus de savoir si lobjectifde persuasion a t atteint, comme cest le cas pour les rhtoriciens classiques, mais de sedemander quels sont les moyens que lethos mobilise dans le discours pour remplir son rlede funambule entre le monde du rel et celui des mots (Amossy 2006 [2000]).

    32 Lethos se distingue aussi dautres dispositifs dnonciation intemporels parce quil inscrit lesuvres dans leur contexte. Il rend ainsi possible larticulation du corps et du discours, ce quipermet de parler non seulement en terme de statut mais galement en terme de vocalit, decorporalit (Maingueneau 1993 ; 2004). Du coup, la comparaison de lethos un noyaugnrateur dune multitude de dveloppements possibles (Maingueneau 2004: 207) souligneson rare talent dincorporer et non dexclure les composantes multiples de lauctorialit. Aussi,lorsquils abordent un rcit de fiction travers par une srie dinstances nonciatives, lesanalystes du discours sattachent-ils distinguer lespace littraire de lespace social pourmieux mettre en valeur la dpendance rciproque du crateur, son existence et son identit, etde son uvre, accomplie et en cours daccomplissement. Insistant sur le rapport de rciprocitet de complmentarit permanent entre ce quil nomme la personne (sujet biographique),lcrivain (acteur de lespace littraire) et linscripteur (sujet de lnonciation), Maingueneau

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    prcise la manire dont sopre larticulation des diffrents rgimes (extrieur, intrieur)et dont se mesure le degr de prsence dans luvre de la personne, de lcrivain et delinscripteur, selon que lauteur tend seffacer, se montrer, affirmer une prsence ou aucontraire souligner une absence dans son texte.

    33 Limage dauteur est, elle aussi, un concept multiples facettes. Comme DominiqueMaingueneau le rappelle dans ce numro, il convient de ne pas confondre la notion dauteuravec celle d image dauteur . La question quil pose dans son article concerne lescritres permettant de lgitimer le rattachement dun nom une uvre . LarticledInger stenstad contribue une complexification de la mme interrogation en soulignantlimportance du nom dauteur considr comme un facteur majeur de la production de sens deluvre. La notion dimage dauteur, loin de couler de source, demande donc tre manieavec prcision. Il faut prendre en compte les diffrents paramtres qui la sous-tendent pourmieux la dfinir. Cest une notion qui sadapte et se rfre aux reprsentations dauteur dansla digse, qui se nourrit la source du livre objet, qui se construit enfin travers les diversesstratgies mdiatiques qui soffrent la disposition de lauteur et des agents qui lentourent.Pour le premier point, je renvoie aux travaux dj cits de Diaz (2007) et de Couleau-Maixent(2007). Pour le second, je rappelle les travaux de Roger Chartier qui montre comment lepassage du livre au lire sinscrit de plein pied dans la problmatique de lauteur (Chartier1996, ainsi que St 2002), car ds lors que le livre se trouve entre les mains du lecteur, ilfaonne son horizon dattente (Chartier 2009 [1998]): la couverture, le format, le papier, lamaison ddition, toutes les composantes du support imprim jouent un rle dans ldificationdune image dauteur. Le troisime point enfin ouvre un ventail de possibilits sur lesquellesje mattarderai brivement.

    34 Les premires stratgies qui soffraient lauteur et son diteur pour promouvoir le livrerelevaient de lcriture paratextuelle : prfaces, ptres et ddicaces, ont t tudies danscette perspective surtout aux poques antrieures lre du mdiamat (Herman, Kozul etKremer 2008; Maclean 1991). Dans le prsent numro, Jan Herman analyse les modalitsdiscursives choisies par lesquelles lauteur de lAncien Rgime construit une image de soiqui lgitime son apparition sur la scne publique. Il nous montre comment les rcits defiction paratextuels servent essentiellement dalibi identitaire pour se dire publiquement.Aujourdhui, lre de la publicit et de la consommation rapide, de la diffusion pirate et de lavulgarisation de luvre littraire qui rivalise avec les feuilletons tlviss et les programmesralit, les questions changent. Dautres discours daccompagnement sont favoriss commeles entretiens, les interviews, les reportages, les blogs, etc. (Kroker 2008; Yanoshevsky 2006),dune part, et de la critique savante et les discours biographiques (Chamarat et Goulet 1996,Potique 1985, Revue des Sciences Humaines 1991, 2001), dautre part. Les choix ditoriauxet les stratgies de diffusion marquent galement une empreinte dterminante sur limagedauteur qui doit satisfaire les gots toujours inconstants de laudimat et sadapter au rythmefrntique de la production et de la distribution de masse (Bernas 2007).

    35 Parfois, devenu une clbrit sulfureuse, scandaleuse, politiquement engage, une figure quienflamme les esprits, lauteur est identifi une image dauteur qui na plus grand-chose voir avec son uvre. Lon se demande par exemple si les rglements de compte de lamre de Michel Houellebecq avec son fils en mai 2008 ne participent pas dune stratgiepublicitaire. Laffaire a incontestablement ranim les anciennes polmiques provoques parun auteur qui entretient un rapport dambigut avec son uvre et son public. Travaillspar quelques thmes phares rcurrents, les livres de Houellebecq jouent de rapprochementsbiographiques et produisent diverses scnographies auctoriales offertes au lecteur comme pourmieux brouiller les frontires entre ce qui serait de lordre du possible et ce qui relverait durel (Meizoz 2007). Le site officiel dHouellebecq fond par lassociation des amis delauteur et parfaitement organis en rubriques- actualit, biographie, uvres, photographies,liens, tmoignages, etc. - incarne une politique savamment mene pour construire partirde luvre une image qui cherche smanciper du discours littraire et aspire atteindredautres sphres plus prestigieuses au plan de la visibilit et de la popularit. Dans le sensinverse, ceux qui refusent de jouer le jeu des mdias et prtendent vivre en reclus dans

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    une bulle intime, construisent galement une image dauteur. Face des stratges de lacommunication comme Houellebecq ou Bernard Henri-Levy qui ont un fivreux soucide leur image (Garcin 2008), un candide comme le Clzio qui se cache pourcrire (Garcin 2008), gre lui aussi une image dauteur - de nomade, de marginal, danti-mondain. On connat les rpercussions du refus de Sartre au prix Nobel de 1964 et les motsdsormais clbresquil envoie au secrtaire de lAcadmie sudoise: Ce nest pas la mmechose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre prix Nobel. [] Lcrivain doitdonc refuser de se laisser transformer en institution mme si cela a lieu sous les formes les plushonorables comme cest le cas. []1. Quelle soit sincre ou stratgique, la revendication delabsence et du retrait produit une image qui peut se modifier au fil du temps et des publications.Melliandro Galinari montre ici mme comment lauctorialit nat au cur dun processuscomplexe dnonciation partir de contrats tacites de communication. Son analyse taie lefait que le lien entre limage et luvre ne se rompt pas: clbre ou rvant de ltre, humbleou arrogant, lauteur construit toujours une image de soi ds lors quil signe un livre. Cestdans une perspective similaire que Sylvie Ducas relie le renouveau de la figure auctorialedans les autofictions contemporaines dautres formes de ngociation de lcrivain (Rouaudet Michon) dans son rapport lcriture et au champ littraire contemporain.

    36 La problmatisation de la notion dimage dauteur dsigne donc lindissoluble relationentre les trois dimensions du social, du biographique et du textuel, ce qui la rapprocheunivoquement de la notion dethos telle que nous lavons dcrite. Une difficile ngociationsopre entre les multiples configurations imaginaires et leurs porte-parole prsupposs (auteuret lecteur). Aussi, en concentrant ses efforts sur la question de limportance de savoir qui parledans le texte littraire, Foucault a-t-il le mrite davoir suggr ces deux points essentiels. Lesquelques lignes o il esquisse une histoire sociologique de lauctorialit montrent demblelimportance du statut de lauteur dans le champ littraire pour la construction dune imagedauteur et offrent une assise thorique sur laquelle lanalyse du discours a pu sappuyer:

    le fait que lon puisse dire ceci a t crit par un tel, ou un tel en est lauteur, indique que cediscours nest pas une parole quotidienne, indiffrente, une parole qui sen va, qui flotte et passe,une parole immdiatement consommable, mais quil sagit dune parole qui doit tre reue surun certain mode et qui doit, dans une culture donne, recevoir un certain statut. (Foucault 1994[1969]: 798)

    37 Penser lauteur en termes de producteur de discours institutionnellement reconnus commelittraires ouvre la voie une rflexion globalisante sur la spcificit de luvre littraire et,partant, sur la lgitime reconnaissance de son signataire et sur la ncessaire responsabilitquil se doit dendosser. Mais parce que le propre de la communication littraire de typefictionnel repose sur linvitable exclusion dans le texte de celui qui en est la source, mieuxvaut parler, conseille Foucault, en termes de fonctions pour localiser ce par quoi passe la voixde luvre. Or cette voix ne se situe pas uniquement dans luvre: La fonction auteur estcaractristique du mode dexistence, de circulation et de fonctionnement de certains discours lintrieur dune socit (ibid.). Lauteur ne reprsente pas la source de luvre mais lun desmoyens par lesquels luvre signifie et la construction de son image est tout aussi dpendantede luvre et de son statut dans la socit que celle-ci dpend de limage dauteur qui enmane, et ces oprations varient selon les poques et les types du discours (Foucault 1994[1969]: 801). Enfin, lune des particularits du discours de fiction est de comporter unepluralit dego. Tout en insistant sur lide dune fonction auteur qui serait dconnectedun individu, dun nom particulier, pour devenir un concept partir duquel il serait possiblede dterminer la spcificit dun discours, Foucault pose donc le doigt sur les questions lesplus brlantes de lauctorialit. Sil naborde pas franchement le problme du discours de typefictionnel, Foucault a nanmoins le mrite de nous convaincre que tout lintrt rside dans lacomprhension profonde dune ralit multiple.

    38 En pensant en termes dimage dauteur, la critique entend sinscrire dans le prolongementde Foucault et creuser ltude sur la fonction-auteur qui sarrte assez abruptement justeaprs lvocation dune pluralit dego. Mais comment transformer limage dauteur, notionissue de dbats littraires, dont la caractristique principale rside dans sa polyvalence en

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    outil danalyse opratoire et efficace ? Cest ce quont tent de faire la sociocritique et lasociologie de la culture. Sinspirant de la pense de Pierre Bourdieu, Alain Viala propose leterme de prisme pour illustrer lide que les formes et les contenus des crits dun auteurdpendent entre autres de deux lments constitutifs de son identit, la psych individuelle etle statut social, et que ces deux lments sont ancrs dans une ralit sociale (Viala 1988;Molini & Viala 1993). La psych individuelle de lauteur, son imaginaire, qui relvent duneinterrogation sociale, dune part, et sa position dans le champ littraire de son temps, dautrepart, dterminent limage de soi que lauteur construit dans le discours. Ds quun crivainest socialement qualifi comme tel par ses publications, il devient tributaire des ouvragesantrieurs qui ont lgitim son statut dcrivain et il est tenu de prendre en compte ce capitaldans ses uvres futures. Le long de sa trajectoire dcrivain, il sera jug en fonction de limagedauteur qui lui est attribue et qui peut bien sr changer et voluer au fil de sa carrire. Unerelation de rciprocit stablit donc entre la position objective de lcrivain dans le champlittraire et la manire singulire doccuper cette position dans lespace de lcriture, ce queViala nomme un positionnement.

    39 Le terme de posture, qui a dj t utilis par Bourdieu, puis par Viala, demeure assezproche du concept de positionnement, malgr les nuances introduites par Jrme Meizoz(2003; 2004; 2007). Il sagit doprer autour du terme posture une rencontre entre lapotique et la sociologie de la culture. A la diffrence de ses prdcesseurs, Meizoz insistesur la convergence de conduites non verbales de prsentation de soi appartenant au champde la sociologie de la culture, dune part, et, dautre part, de lethos discursif inscrit dans lelangage et appartenant selon lui une potique. Il souligne ainsi le caractre isotopique duconcept de posture sur lequel il entend sappuyer pour apprhender luvre dans sonrapport entre lethos dun locuteur et sa position dans le champ littraire. Dans le prsentnumro, Meizoz dveloppe une rflexion dj mre sur linterpntration du versant extrieur,visible, socialement conditionn et du versant discursif de la posture, quil propose dappelerla posture dnonciation auctoriale. Larticle de Ruth Amossy sinscrit dans ce mme effort deconceptualisation et sattache une minutieuse analyse des composantes du dispositif discursif lintrieur et lextrieur du texte de fiction. Il vise mieux distinguer ce qui relve de lethosdu narrateur dans le rcit et de limage dauteur labore par les tiers en dehors de lchange.Une analyse fine des interactions des deux niveaux extra et intratextuel mne au conceptdethos auctorial qui, tout en demeurant un effet de texte, vient prciser une dimensionparticulire de lchange verbal. Il a le double avantage dancrer lexploration hermneutiquedans le texte tout en permettant la prise en compte simultane des strates constitutives dudiscours.

    40 Revisit par lAnalyse du discours, lethos implique non seulement une approche discursiveet communicationnelle qui appelle lexamen du dispositif nonciatif, mais aussi, etessentiellement, la notion dimage de soi. Dans le sillage de la rhtorique, lAnalyse dediscours pose que, dans la parole crite, une srie de marques discursives permettent de(re)construire un ensemble de traits partir desquels slabore le profil identitaire de celui quiest la source de lnonciation. Cette image de soi est un effet de lnonciation: elle se situedans le dire aussi bien, et plus encore, que dans le dit, si bien que le locuteur na pas besoindexprimer son moi, de parler de soi ni mme dinscrire explicitement sa prsence dans lediscours pour projeter un ethos. Celui-ci simpose mme en labsence de premire personneou de marques patentes de subjectivit. Ainsi dfini, il remplit une fonction centrale dans lacommunication. En effet, il contribue modeler le rapport qui stablit entre lallocutaire et lelocuteur en loccurrence, dans la fiction littraire, entre le lecteur virtuel et lauteur. Cestpar ce biais particulier, et bien dlimit, de la construction dune image verbale de sa personneque lethos permet de reprendre la question de lauctorialit dans le texte fictionnel, o il doittre analys dans ses rapports complexes et souvent problmatiques avec les eth discursifsque produisent les narrateurs et les personnages dans leur discours. Cest dans cette perspectiveque Michle Bokobza Kahan propose une tude des mtalepses qui fracturent le rcit de fictionpour mieux mettre en lumire la spcificit de la relation causale qui unit lauteur son uvre.Cest partir de ces mmes prmisses que Jrgen Siess dfend lide que le texte dramatique,

  • Introduction 14

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    activ par le lecteur seul, ne confronte celui-ci quaux personnages et leur dialogue, et quilny a pas de place pour une instance auctoriale dans le discours dramatique.

    41 Y a-t-il place, ou ncessit, de rechercher derrire lethos discursif du ou des narrateurs quiparticipent de lespace intra-digtique de la fiction, un autre ethos, celui de lauteur dontle nom apparat sur la couverture ? Quel est le bnfice que procure la prise en comptedun ethos auctorial qui, dans un dispositif dnonciation complexe, se situerait derrireles eth discursifs appartenant au monde de la fiction ? Ce sont ces questions quon sepropose ici dexplorer sous des angles divers, tout en confrontant les travaux centrs sur lanotion dethos, cest--dire dimage discursive, ceux qui investiguent principalement desproblmatiques connexes, comme lexpression du moi dans ses avatars textuels et historiques,ou les modalits quimpriment les codes ambiants aux possibilits de se dire crivain dans lafiction. Lhypothse fondatrice de lensemble des travaux runis ici que nous soumettons aulecteur critique, est que lethos, constitutif de toute relation dchange, reprsente un conceptdune fcondit rare pour une rflexion sur limage dauteur de textes fictionnels.

    Bibliographie

    Loin de prtendre lexhaustivit, la bibliographie qui suit dpasse toutefois la seule liste des ouvragescits dans lintroduction pour proposer une grande partie des travaux publis sur la question de lauteurdepuis les annes 1980. Pour la complter, je renvoie celle tablie par Andrew Bennett (2005) quirassemble essentiellement la littrature critique de langue anglaise.

    Amossy, Ruth. 2006 [2000]. Largumentation dans le discours (Paris: Armand Colin)

    Amossy, Ruth (dir.). 1999. Images de soi dans le discours. La construction de lethos (Genve :Delachaux et Niestl)

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    Banks, David (d.). 2005. Les marqueurs linguistiques de la prsence de lauteur (Paris: LHarmattan)

    Barthes, Roland. [1967] 1984. La mort de lauteur, Le bruissement de la langue (Paris: Seuil)

    Barthes, Roland. 1970. Lancienne rhtorique Aide-mmoire, Communications 16, 172-227

    Bennett, Andrew. 2005. The Author (London: Routledge)

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    Bnichou, Paul. 1977. Le temps des prophtes. Doctrines de lge romantique (Paris: Gallimard)

    Bernas, Steven. 2007. Limpouvoir de lauteur(e), Cration et mdias (Paris: LHarmattan)

    Bernas, Steven. 2001. Archologie et volution de la notion dauteur (Paris: LHarmattan)

    Bonnet, Jean-Claude. 1985. Le Fantasme de lcrivain, Potique 63, 259-277

    Bony, Alain. 1978. La notion de persona ou dAuteur implicite : problme dironie narrative ,Linguistique et Smiologie 2, 87-103

    Booth, C. Wayne. 1961, The Rhetoric of Fiction (Chicago: Chicago University Press)

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  • Introduction 15

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

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    Couleau-Maixent, Christle. 2007. Balzac Le roman de lautorit. Un discours auctorial entre srieuxet ironie (Paris: Champion)

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    Cycnos, La problmatique de lauteur 1997,14

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    Dubel, Sandrine & Sophie Rabau (dir.). 2001. Fiction dauteur? Le discours biographique sur lauteurde lAntiquit nos jours (Paris: Champion)

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    Goulemot, Jean-Marie & Daniel Oster. 1992. Gens de lettres, crivains et bohmes. Limaginairelittraire 1630-1900 (Paris: Minerve)

    Hayez, Ccile & Michel Lisse (dir.). 2005. Apparitions dauteur (Berne: Peter Lang)

  • Introduction 16

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

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    James, Henry. 1980 [1962]. La cration littraire (Paris: Denol-Gonthier)

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    Kindt, Tom et Mller, Hans-Harald (dir.). 2006. The Implied Author. Concept and Controversy (Berlin/New-York: de Gruyter)

    Kroker, Arthur et Kroker, Marilouise (dir.). 2008. Critical Digital Studies: A Reader (Toronto: PressesUniversitaires de Toronto)

    Kundera, Milan. 2005. Le rideau (Paris: Gallimard)

    Kuperty-Tsur, Nadine. 1997. Se dire la Renaissance: les mmoires au 16ime sicle (Paris: Vrin)

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  • Introduction 17

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    Richard, Jean-Pierre. 1974. Proust et le monde sensible (Paris: Seuil)

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    Sit, Yannick. 2002. Du livre au lire: La Nouvelle Hlose roman des Lumires (Paris: Champion)

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    Notes

    1 pagesperso-orange.fr/mondalire/Sartre

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Michle BokobzaKahan, Introduction, Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 3|2009,mis en ligne le 15 octobre 2009, Consult le 04 juin 2013. URL: http://aad.revues.org/658

    propos de l'auteur

    Michle BokobzaKahanUniversit de Tel-Aviv, Dpartement de Franais, ADARR

    Droits d'auteur

    Tous droits rservs

  • Introduction 18

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    Entres d'index

    Mots-cls :analyse du discours, auctorialit, auteur, ethos, fiction, image dauteurKeywords :author, authorship, authors image, discourse analysis, ethos, fiction

  • Argumentation et Analyse duDiscours3 (2009)Ethos discursif et image dauteur

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    Dominique Maingueneau

    Auteur et image dauteur en analysedu discours................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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    Rfrence lectroniqueDominique Maingueneau, Auteur et image dauteur en analyse du discours, Argumentation et Analysedu Discours [En ligne], 3|2009, mis en ligne le 15 octobre 2009, Consult le 04 juin 2013. URL: http://aad.revues.org/660

    diteur : Universit de Tel-Avivhttp://aad.revues.orghttp://www.revues.org

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  • Auteur et image dauteur en analyse du discours 2

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    Dominique Maingueneau

    Auteur et image dauteur en analyse dudiscours

    1 Quand on veut tudier la notion dimage dauteur, on se heurte a priori trois difficults:- Comme le souligne la syntaxe, cette notion mobilise non pas une mais deux problmatiques:celle de lauteur, et celle de limage dauteur. La solution de facilit consiste se focaliser surlimage, en prenant lauteur pour une donne stable. Malheureusement, il nen est rien: on estbien oblig de se demander de quelle instance limage dauteur est suppose tre limage.- Si la notion dauteur est tablie depuis longtemps dans le vocabulaire de la thorie littraire1

    et a fait lobjet dintenses rflexions, celle dimage dauteur est rcente. Certes, on na pasmanqu demployer et l lexpression image dauteur, quoique plutt sous la formelimage de tel auteurdans tel lieu et/ou telle poque, mais ces tudes taient menesdu point de vue de la rception. Les questions que lon peut poser aujourdhui partir de lanotion dimage dauteur taient auparavant disperses dans diverses rubriques de lhistoirelittraireet ntaient pas intgres dans un cadre thorique cohrent.- La problmatique de limage dauteur, mais aussi et surtout celle de lauteur, se sontdveloppes presque exclusivement sur des corpus littraires. Il nest donc pas vident dentraiter dans une perspective plus large danalyse du discours.

    2 Autant dire que le texte qui va suivre ne prtend pas dvelopper une thorie constitue, maismettre en place un certain nombre de repres.

    Un tournant dans les tudes littraires3 Le fait que la problmatique de limage dauteur soit rcente dans les tudes littraires

    peut sexpliquer. On peut y voir une manifestation parmi beaucoup dautres dun tournant quiest en train de soprer autour des courants pragmatiques et de lanalyse du discours. Commejai essay de le montrer diverses reprises (Maingueneau 2004; 2006),ce tournant impliqueune mise en cause la coupure immmoriale entre le Texte, ncessairement majuscule,et son contexte, coupure qui fondait tacitement la sparation entre histoire littraireet tude immanente des uvres, que celle-ci soit thmatique, stylistique, narratologique...Cette coupure a t radicalise partir du 19e sicle dans le rgime esthtique qui trouvson couronnement dans le Contre Sainte-Beuve de Proust, qui tablit une opposition quasisacre entre moi crateur et moi social. Une telle esthtique ne peut que rejeter uneproblmatique de llimage dauteur.

    4 Cette coupure a su perdurer sans difficult dans les approches de type nonciatif. Ilsuffit dobserver lobstination avec laquelle on sattache communment bien sparer lenarrateur et lcrivain, lintratextuel et lextratextuel. Elle peut mme passer lintrieurde la notion dauteur. On le voit dans ces quelques lignes extraites dun document prsentpar le futur Pape, le Cardinal Ratzinger, au nom de la Commission biblique pontificale quisynthtise et vulgarise diverses approches de la Bible; dans la rubrique analyse narrativeon trouveces lignes:

    Plusieurs mthodes introduisent une distinction entre auteur rel et auteur implicite ,lecteur rel et lecteur implicite. Lauteur rel est la personne qui a compos le rcit. Parauteur implicite on dsigne limage dauteur que le texte engendre progressivement au coursde la lecture (avec sa culture, son temprament, ses tendances, sa foi, etc.)[http://www.portstnicolas.org/Interpretation-de-la-Bible-dans-l.html, accd le 8/12/2008].2

    5 Une telle distinction est indiscutable, mais on voit que, prise dune certaine faon, elle confortela topique immmoriale dun intrieur et dun extrieur du texte. En tmoigne linterprtationde la notion dimage dauteur, qui est enferme dans lespace du texte. Les choses neseraient sans doute pas si simples si lon sinterrogeait sur lauteur en tant quinstance quisigne le texte: dans ce cas, en effet, il ne sagit ni de la personne de lauteur rel ni delauteur implicite.

  • Auteur et image dauteur en analyse du discours 3

    Argumentation et Analyse du Discours, 3 | 2009

    6 En fait, les notions dauteur et dimage dauteur excdent les catgorisations traditionnelles.Lauteur celui dont traite Foucault dans son fameux texte de 1969 nest ni lnonciateur,corrlat du texte, ni la personne en chair et en os, qui serait renvoye au contexte. Quant limagedauteur, elle nappartient ni au producteur3 du texte ni au public; elle constitueune ralit instable, le produit dune interaction entre des intervenants htrognes.

    7 Si lon peut dvelopper aujourdhui une rflexion sur limage dauteur, cest que la miseen scne discursive de lcrivain nest plus apprhende comme un ensemble dactivits quidemeureraient lextrieur de lenceinte sacre du Texte, mais comme une dimension partentire la fois de la communication littraire comme co-nonciation et du discours littrairecomme activit dans un espace social dtermin. On retrouve un niveau de complexitsuprieur le principe mme dune scne dnonciation des uvres (Maingueneau 1993,2004): noncer en littrature, ce nest pas seulement configurer un monde fictionnel, cestaussi configurer la scne de parole qui est la fois la condition et le produit de cette parole. Desproblmatiques troitement lies comme celles de lethos (Maingueneau 1987, Amossy(d.) 1999), de la posture (Viala 1993, Meizoz 2002) ou, plus rcemment, de limagedauteur, chacune dans leur ordre propre, vont dans le mme sens.

    8 La difficult consiste videmment ne pas passer dun textualisme un sociologismequi nous ramnerait, sous un visage diffrent, au dispositif traditionnel.

    En analyse du discours9 En matire de rflexion sur lauteur lanalyse du discours souffre dun dficit certain. Dans

    leur grande majorit, ceux qui sen rclament ont lud la fameuse question pose par MichelFoucault la fin des annes 1960 (Quest-ce quun auteur?). Pourtant, une analyse dudiscours qui assume pleinement la diversit des genres de discours ne devrait pas luder cettequestion, quelle rencontre sans cesse.

    10 La rticence des analystes du discours peut se comprendre, si lon considre les conditionsdans lesquelles sest dvelopp leur champ de recherche.

    11 Je ninsisterai pas sur les recherches menes en Amrique du Nord, o ce sont de manireprivilgie les corpus conversationnels qui ont t pris en compte; pour ce type de corpuslanalyste peut avoir limpression que la question de lauctorialit est dpourvue dintrt: leslocuteurs sont l, en chair et en os, les paroles qui sortent de leur bouche sont leurs paroles.Ici lauteur sabsorbe dans le locuteur.

    12 En revanche, le dficit de rflexion sur lauctorialit peut sembler plus surprenant danslanalyse du discours europenne, et surtout francophone, o lon accorde une grandeimportance aux corpus crits.

    13 On pourrait expliquer cette rticence par le fait que lanalyse du discours, dans la mesure oelle a occup les corpus laisss libres par les facults de lettres traditionnelles, a largementvit aborder des types de discours comme le discours littraire, religieux ou philosophique,domaines o la question de lauctorialit est difficilement ludable.

    14 Mais il est aussi permis de se demander si la problmatique de la polyphonie linguistique,et plus largement tout ce qui tourne autour de lhtrognit ou de la modalisation, na pasfait obstacle une rflexion sur lauctorialit. Ces travaux posent en effet la question de lapluralit des sources nonciatives, mais en demeurant dans un espace linguistique. Ce faisant,ils se placent dans le prolongement de certains prsupposs de la linguistique moderne, quiprfre loralit et souscrit spontanment la mfiance que Socrate exprimait dans le Phdre lgard de lcriture: un critna pas de pre pour lassister. De fait, par nature un crit aun auteur, pas un locuteur. Lauctorialit vient miner la transparence du langage, elle excdela stricte communication linguistique.

    Auteur et image dauteur15 La notion dauteur se construit sur deux restrictions successives. La premire ne retient parmi

    les emplois du motauteur que ceux qui ont trait la production dun texte. La notiondauteur nest en effet nullement rserve aux productions verbales. On ne dira pas, sauf dansdes contextes trs particuliers, lauteur de la voiture ou lauteur du bricolage, mais onvoit prolifrer dans les mdias des dsignateurs tels que lauteur des injures, lauteur

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    des coups de couteau, lauteur de lagression, etc., qui relvent clairement de la sphrejudiciaire. Cette catgorisation judiciaire peut concerner tout aussi bien des noncs, commeon le voit dans ces deux exemples pris au hasard sur Internet:

    Titre sur Internet: Ligue 1: lauteur des propos racistes sera jug le 18 mars.[http://www.europe1.fr/Sport/Football/L1-L2, consult le 31/10/08] Lors du procs devant les assises des Alpes-Maritimes, au mois de fvrier 1994, lesgraphologues Florence Buisson-Debas et Gilles Gessner, asserments auprs du tribunal de Nice,ont affirm que Ghislaine Marchal tait bien lauteur de la phrase fatale.[http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/, consult le 31/10/08]

    16 Ici la phrase fatale ou les propos racistes ne sont pas envisags comme des entitslinguistiques seulement mais au mme titre que des coups de couteauou un vol : il sagitdimputer une responsabilit dans un cadre judiciaire.

    17 Mais la notion dauteur qui nous concerne ici nest pas proprement parler dordre judiciaire mme si elle renvoie elle aussi une origine et une responsabilit , mais dordre textuel. Leproblme est alors de savoir quelles conditions un texte est susceptible davoir un auteur.A lvidence, on dira difficilement quune conversation a des auteurs: on prfrera parlerde participants. Une production textuelle, semble-t-il, nest auctorisable que si elle faitlobjet dune re-prsentation qui permet de lapprhender de lextrieur, comme un tout. Ce quinest pas le cas dans un change verbal en cours. Il y a auctorisation si lnonc, ft-il oral,est dlimit et introduit dans un espace o il y a ncessit de dterminer une attribution parmiun ensemble dorigines possibles, une responsabilit. Dans ce terme se mlent intimementassignation dorigine (X est la cause de lnonc) et dimension thique (X doit pouvoir enrpondre).

    18 La seconde restriction fait passer le terme auteur du fonctionnement relationnel aufonctionnement rfrentiel. La problmatique de limage dauteur ne vaut que pourle second. Le fonctionnement relationnel institue en repre le texte produit : lauteurde ce tract, de cette lettre, de ce manuel, de cet article... En revanche, le fonctionnement rfrentiel autonomise syntaxiquement lauteur : lauteur dun tract publicitaire nest pas, sauf situation exceptionnelle, un auteur, pas plus quun percepteur qui criraitbeaucoup de lettres aux contribuables qui relvent de sa comptence. Le Trsor de la LangueFranaise met en vidence cette restriction, quil aggrave mme, en restreignant les domainespour lesquels lauteur sautonomise:

    [Sans compl. de n., absol. ou suivi dun adj. dterminant lorig., le genre, la qualit de lauteur]1. LITTRATUREa) Celui ou celle dont la profession est dcrire des romans, des pices de thtre, des uvresdimagination en vers ou en prose. Synon. crivain, romancier, dramaturge.

    19 Ainsi, alors quil ny a aucune difficult dire par exemple quune image dauteur est attache quelquun qui crit des ouvrages religieux, politiques, philosophiques..., ilsemble, comme le montre le TLF, que le fonctionnement rfrentiel soit plutt focalis surles producteurs de littrature. On notera cependant que, dans lusage, auteur et imagedauteur sappliquent aussi diverses sortes de producteurs esthtiques : photographes,cinastes en particulier (on parle ainsi de film dauteur) Tout se passe donc comme silauteur et limage dauteur tendaient se spcialiser dans la sphre esthtique.

    20 Pour autant, il reste dterminer o passe la frontire entre les deux fonctionnements, partirde quand lauteur de X devient un auteur tout court. On est tent dinvoquer un critrecomme la qualit, comme semble le faire G. Leclerc:

    Pour tre considr comme un auteur, le sujet nonciateur doit avoir donn ses paroles, sontexte, une marque propre qui les distingue des noncs courants, des propos de la vie quotidienne.Luvre textuelle est un nonc original, innovationnel, qui, la diffrence des poncifs, desclichs, des strotypes, des ides reues, renferme une ide neuve, indite, jamais dite dansla culture (1998: 50-51).

    21 Mais on ne voit pas pourquoi un producteur peu original ne serait pas un auteur. En fait, ilsemble bien quici deux acceptions dauteur interfrent. Lune rfre plutt un statut

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