à propos du théorème d'euler

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27 À PROPOS DU THÉORÈME D'EULER ET DES PARCOURS EULÉRIENS DANS LES GRAPHES Léa Cartier Institut Fourier ERTé Maths à modeler Résumé: Nous proposons dans cet article de traiter un problème classique de théorie des graphes, la recherche de parcours eulériens. Cette question peut sembler très connue, les « ponts de Kônigsberg }) par exemple, sont présents autant dans l'enseignement qu'en vulgarisation des mathématiques. Ils semblent contenir une modélisation sous forme de graphe qui va de soi, pourtant deux types de graphes apparaissent régulièrement dans les classes. Des éléments de preuve l'accompagnent souvent, pouvant faire croire que la résolution du problème est simple. Or, le travail de preuve que l'on peut entreprendre avec un tel sujet n'est pas trivial et un travail mathématique conséquent peut avoir lieu à l'occasion de sa présentation en classe. Nous montrerons dans cet article des éléments sur l'article fondateur d'Euler sur ce problème, en particulier sur le fait qu'Euler n'a pas prouvé le théorème qu'il a proposé, des pistes pour le présenter en classe, les difficultés qui peuvent alors émerger et les mathématiques qu'il permet d'aborder, que ce soit en option de Terminale ES ou dans d'autres classes. Mots-clés: q.idactique des mathématiques, preuve et modélisation, théorie des graphes, graphes eulériens, théorème d'Euler, ponts de Kônigsberg Introduction En fréquentant l'école, qui n'a pas rencontré des petits problèmes du type : « Tracer cette enveloppe sans lever le stylo et sans repasser deux fois par le même trait» ? Que le problème ait été posé par l'enseignant ou a fortiori entre élèves, la question peut sembler anecdotique, et la réponse tout autant. Si le problème est souvent classé dans les sections "casse-tête" ou "récréations mathématiques" des manuels scolaires, les mathématiques sous- jacentes appartiennent cependant à un domaine à part entière: la théorie des graphes. Celle-ci, introduite dans les programmes de Terminale ES,. fait partie des mathématiques discrètes, domaine qui s'est récemment. beaucoup développé, notamment parce qu'il est une source importante de modèles en sciences sociales et en informatique. Les objets manipulés ayant la même nature discrète que ceux rencontrés en arithmétique, théorie des groupes ou probabilités, les raisonnements mis en œuvre ont une certaine parenté avec ceux utilisés dans ces domaines. Mais l'élément le plus important à nos yeux est le caractère compréhensible d'un grand nombre de «problèmes combinatoires », ce qui permet une entrée facile dans une véritable démarche scientifique: question, expérimentation, conjecture, preuve, réfutation 14 ••• 14 Pour approfondir ce sujet, voir ROLLAND (1999) et GRENIER, PAYAN (1998). Petit x 76,27-53,2008

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document concernant le théorème des ponts d'Euler

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    PROPOS DU THORME D'EULER ET DES PARCOURS EULRIENS DANS LES GRAPHES

    La Cartier Institut Fourier

    ERT Maths modeler

    Rsum: Nous proposons dans cet article de traiter un problme classique de thorie des graphes, la recherche de parcours eulriens. Cette question peut sembler trs connue, les ponts de Knigsberg }) par exemple, sont prsents autant dans l'enseignement qu'en vulgarisation des mathmatiques. Ils semblent contenir une modlisation sous forme de graphe qui va de soi, pourtant deux types de graphes apparaissent rgulirement dans les classes. Des lments de preuve l'accompagnent souvent, pouvant faire croire que la rsolution du problme est simple. Or, le travail de preuve que l'on peut entreprendre avec un tel sujet n'est pas trivial et un travail mathmatique consquent peut avoir lieu l'occasion de sa prsentation en classe. Nous montrerons dans cet article des lments sur l'article fondateur d'Euler sur ce problme, en particulier sur le fait qu'Euler n'a pas prouv le thorme qu'il a propos, des pistes pour le prsenter en classe, les difficults qui peuvent alors merger et les mathmatiques qu'il permet d'aborder, que ce soit en option de Terminale ES ou dans d'autres classes. Mots-cls: q.idactique des mathmatiques, preuve et modlisation, thorie des graphes, graphes eulriens, thorme d'Euler, ponts de Knigsberg

    Introduction

    En frquentant l'cole, qui n'a pas rencontr des petits problmes du type : Tracer cette enveloppe sans lever le stylo et sans repasser deux fois par le mme trait ? Que le problme ait t pos par l'enseignant ou a fortiori entre lves, la question peut sembler anecdotique, et la rponse tout autant. Si le problme est souvent class dans les sections "casse-tte" ou "rcrations mathmatiques" des manuels scolaires, les mathmatiques sous

    jacentes appartiennent cependant un domaine part entire: la thorie des graphes. Celle-ci, introduite dans les programmes de Terminale ES,. fait partie des mathmatiques discrtes, domaine qui s'est rcemment. beaucoup dvelopp, notamment parce qu'il est une source importante de modles en sciences sociales et en informatique. Les objets manipuls ayant la mme nature discrte que ceux rencontrs en arithmtique, thorie des groupes ou probabilits, les raisonnements mis en uvre ont une certaine parent avec ceux utiliss dans ces domaines.

    Mais l'lment le plus important nos yeux est le caractre comprhensible d'un grand nombre de problmes combinatoires , ce qui permet une entre facile dans une vritable dmarche scientifique: question, exprimentation, conjecture, preuve, rfutation 14

    14 Pour approfondir ce sujet, voir ROLLAND (1999) et GRENIER, PAYAN (1998).

    Petit x 76,27-53,2008

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    Le problme que nous venons d'voquer en est un exemple. Dans ce cadre, une autre formulation du mme type de problme est celui des "ponts de Konigsberg". Ce problme a t formul par Eulerl5 comme suit :

    Knigsberg, en Prusse, il y a une le A appele le Kneiphof, entoure d'un fleuve qui se partage en 2 bras, comme on peut le voir sur la figure 1, mais les bras de ce fleuve sont garnis de 7 ponts a, b, C, d, e, f, g, et l'on proposait cette question sur ces ponts: Une personne peut-elle s'arranger de manire passer une fois sur chaque pont, mais une fois seulement?

    Les uns affirmaient que cela tait possible; d'autres niaient, d'autres en doutaient; mais personne ne pouvait prouver.

    Ce problme semble incontournable lors d'une prsentation de la thorie des graphes. Il semble que tout article gnralistel6 , manuel scolaire17, voire expositionI8 traitant de thorie des graphes propose ce problme, et sa rsolution par Euler est prsente comme tant l'origine de cette discipline.

    Nous traiterons dans cet article la fois la rsolution historique du problme de recherche de parcours eulrien dans un graphe, et la pertinence de ce problme dans l'enseignement, dans l'option mathmatique de terminale ES ou dans d'autres classes. Nous prsenterons en ce sens une sance en classe de seconde dans l'option dmarche scientifique sur un problme de ce type, ainsi que deux autres extraits de sances en cycle II et auprs d'tudiants de PLCl.

    15 Vous trouverez l'article original d'EULER L. (1736) cette adresse: , sa traduction en franais par COUPY

    E. (1851), texte retranscrit dans l'ouvrage de COGIS O., ROBERT C. (2003) ou une traduction plus tardive dans LUCAS (1882). 16 La liste des articles voquant le problme des ponts de K6nigsberg serait bien trop longue citer ici, retenons, par exemple, le numro hors srie 12 de la revue Tangente, consacre entirement la thorie des graphes. Vous pouvez aussi faire un test sous Publimath (base de donnes bibliographiques sur l'enseignement des maths). Les expressions graphes eulriens ou parcours eulriens mnent l'un deux l'autre trois rfrences, les ponts de K6nigsberg dix-neuf. 17 C'est le cas par exemple de tous les manuels mathmatiques de terminale ES contenant la spcialit mathmatique depuis 2002 que nous avons consults. Le problme des parcours eulriens dans un graphe fait certes partie du programme, mais pas le traitement d'un parcours des ponts de K6nigsberg. 18 Citons pas exemple celle produite par le Centre Sciences et le Comit Europen de l'anne mondiale des Mathmatiques, exposition accompagne d'objets manipuler.

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    1. La rsolution historique par Euler

    En 1736, Euler publie un article, dont il nous reste aujourd'hui la trace sous la forme d'un "thorme d'Euler", traitant de l'existence d'un chemin passant par toutes les artes d'un graphe donn. Nous suivrons Euler travers cet article pour revenir ensuite aux termes utiliss, leur reprsentation ou plutt la modlisation l'aide de graphes.

    Pour replacer le problme dans le contexte de l'poque, les standards de dmonstration, les termes utiliss par Euler, la faon trs exemplifie de traiter un problme mathmatique, ne sont plus les ntres. Cet article semble la lecture, et en le comparant d'autres articles du mme auteur, tre la rsolution d'une sorte de cassette et l'illustration de ce qu'est la gomtrie de position 19 dfinie par Leibniz et traitant de problmes dont [... ] la solution ne [dpend], ni de la dtermination de grandeurs, ni du calcul de quantits . Problme relativement marginal au sein de l'impressionnante quantit de travaux majeurs publis par Euler, son traitement le serait-il galement?

    1.1 La modlisation d'Euler

    Reprenons la figure 1 reprsentant les ponts de Knigsberg. Dans cette version originale du problme, Euler propose une modlisation qui consiste dsigner chacune des berges par une lettre majuscule, les ponts par une lettre minuscule et tudier l'existence de listes d'une taille donne de lettres majuscules. Par exemple, la liste CABD peut correspondre un parcours de la berge C la berge A par le pont e, puis de A vers B par le pont a, puis de B vers D parf

    L'impossibilit de passer deux fois par le mme pont se traduit par l'impossibilit qu'une liste comporte plus de fois la squence XY ou YX qu'il n'existe de ponts entre les berges X et Y. Pour illustrer cette rgle, les squences AD et DA, par exemple, ne peuvent pas exister conjointement dans une liste solution au problme des ponts de Knigsberg, tant donn qu'il existe un seul pont entre A et D. ADA, DAD, AD...DA, AD...AD, DA...DA ou DA...AD ne peuvent tre sous squences d'une liste solution. Pour Euler, une solution est une liste comportant exactement une lettre de plus qu'il n'y a de ponts, et rpondant aux contraintes prcdentes.

    Euler propose une rgle pour rpondre au problme gnral des promenades sur des ponts:

    S'il y a plus de deux rgions auxquelles conduisent un nombre impair de ponts, vous pouvez affirmer avec certitude qu'un tel passage est impossible. lVIais si l'on est seulement conduit deux rgions par un nombre impair de ponts, le passage est possible, mais en commenant sa course par l'une ou l'autre de ces deux rgions. Enfin, s'il n'y a aucune rgion laquelle on soit conduit par un nombre impair de ponts, alors le passage pourra avoir lieu, comme on le dsire, et en commenant sa marche par telle rgion qu'on voudra.

    Si on se hasarde une "traduction" de ce paragraphe, on pourrait crire que: Un parcours eulrien est possible si, et seulement si, deux rgions au plus ont un nombre impair de ponts y conduisant. Si deux rgions ont un nombre impair de ponts y conduisant, le parcours commencera par l'une de ces deux rgions.

    19 Gomtrie de situation ou de position , selon les traductions.

    1 ; !

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    Le parcours de chaque pont de K6nigsberg, o chacune des 4 rgions conduit un nombre impair de ponts, est donc impossible. Quant la dtermination explicite d'une promenade, si elle est possible, Euler en dit, en conclusion de l'article:

    (... ] qu'on nglige par la pense, autant de fois qu'on peut le faire, 2 ponts conduisant d'une rgion une autre; par cette abstraction, le nombre des ponts se trouvera gnralement de beaucoup rduit; qu'on cherche alors, ce qui sera facile, la course demande pour les ponts qui restent, et cela trouv, les ponts enlevs par la pense ne troubleront pas beaucoup le rsultat obtenu, comme il est ais de le voir avec un peu de rflexion; et je crois inutile d'insister davantage pour trouver la marche qu'on devra suivre pour rpondre la question propose.

    Une premire remarque est que d'une faon gnrale, on ne peut pas "ngliger" deux ponts conduisant d'une rgion une autre, deux "ponts parallles", au risque de "dconnecter" les diffrentes parties de la promenade

    Configuration avec ponts parallles

    Une promenade respectant les rgles d'Euler est possible ici, en partant de D ou de E, deux rgions auxquelles mne un nombre impair de ponts. Si on "nglige par la pense" en les enlevant les ponts parallles, c'est--dire les deux ponts entre C et E, le parcours n'est plus possible: il n'y a plus de chemin entre la rgion D et les rgions A, B, C. Cela ne troublera pas beaucoup le rsultat obtenu la condition que l'on puisse et que l'on sache recoller les diffrentes promenades effectues dans chacune des rgions ainsi dconnectes. Pour reprendre les termes d'Euler, on peut ngliger par la pense, autant de fois qu'on peut le faire, deux ponts conduisant d'une rgion une autre , ds lors que trois ponts au moins relient ces deux rgions.

    Mais outre ce dtail, il est surtout tonnant de constater dans cette conclusion qu'Euler ne voit pas de ncessit d'crire une stratgie gnrale de rsolution, ou bien un algorithme permettant d'exhiber un parcours rpondant la question qu'il se posait. Cela est-il rellement ais avec un peu de rflexion ? Si la configuration comporte moins de quinze ponts (ce qui est le maximum dans les exemples donns par Euler dans cet article), srement; si les ponts sont une centaine, le peu de rflexion pourrait tre quelque peu systmatis. Il semble la lecture de l'article que ce problme est de l'ordre des "rcrations mathmatiques" et que ce n'tait pas la rsolution algorithmique du problme qui tait vise par son auteur.

    1.2 La preuve d'Euler

    Comment prouver la conjecture: Un parcours eulrien est possible si, et seulement si, deux rgions au plus ont un nombre impair de ponts y conduisant ? Euler propose au cours de son article plusieurs pistes. Il voque l'application d'une mthode exhaustive, mais la rejette immdiatement:

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    Mais ce mode de solution, cause du si grand nombre de combinaisons, serait trop difficile et trop laborieux, et ne pourrait mme plus s'appliquer dans les autres questions o il y aurait beaucoup plus de ponts.

    Euler propose et montre en outre une proprit (que l'on retrouve pour les graphes) :

    Je remarque d'abord que la somme des nombres de ponts crits ct de chaque lettre A, B, C, D, ... , est double du nombre total des ponts; la raison en est que dans le calcul qui donne tous les ponts conduisant une rgion donne, un pont quelconque est compt deux fois, c'est--dire que chaque pont est rapport l'une et l'autre des deux rgions qu'il joint.

    Dans un graphe non orient, c'est--dire un ensemble de points, nomms sommets, relis entre eux par des traits nomms artes, cette proprit est une proprit sur la somme des degrs des sommets d'un graphe. Elle s'nonce: La somme des degrs des sommets d'un graphe est le double du nombre d'artes. (Le degr d'un sommet est le nombre d'artes dont il est une extrmit).

    De son thorme, Euler dmontre un sens de l'quivalence, le sens classique c'est--dire: Pour qu'un parcours eulrien soit possible il faut que 0 ou deux rgions aient un nombre impair de ponts y conduisant. Sa dmonstration repose sur le nombre de lettres ncessaires dans une liste pour que celle-ci soit solution:

    Si le nombre de ponts est p, la solution est une liste de p + 1 lettres majuscules rpondant aux contraintes dcrites prcdemment. Si iR ponts conduisent une rgion R, le nombre de fois o son nom apparatra dans la liste est gal : - la moiti des ponts y conduisant plus 1 si ce nombre est impair, c'est--dire (iR+ 1)/2 - la moiti s'il est pair, et que le parcours ne commence ou ne termine pas par cette rgion, i.e. iR/2 - la moiti plus un sinon, c'est--dire (iR/2)+1. Sachant de plus que la somme des ponts conduisant chaque rgion est gale 2p, on obtient la conclusion dsire, c'est--dire qu'il est ncessaire que 2 rgions au plus soient de degr impair pour qu'un parcours soit envisageable. En effet on doit avoir:

    ce qui n'est possible qu' la condition o deux rgions au plus aient un nombre impair de ponts y conduisant.

    On peut remarquer aussi que la ncessit de "connexit" de la configuration de ponts et de rgions n'est pas voque dans cette rgle. Cette absence rsulte srement de la gense mme de la question: implicitement on peut toujours se dplacer entre les diffrentes rgions d'une mme ville. On s'interroge alors sur l'existence d'une promenade eulrienne.

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    La connexit va donc ici de soi, ce qui ne sera pas le cas pour une "promenade" dans un graphe comme nous le verrons plus tard.

    Reste maintenant la preuve de la rciproque, soit: si une configuration de ponts et de berges est telle que soit 0, soit 2 rgions ont un nombre impair de ponts y conduisant, alors une promenade passant par tous les ponts est possible. mon sens20, cette preuve ne fait pas partie de l'article qu'Euler publie ce moment-l. La preuve complte du problme de parcours dans un graphe sans rptition et sans interruption sera apporte par Carl Hierholzer (1873), plus de 100 ans plus tard, indpendamment de l'article d'Euler sur les ponts de Konigsberg, dont il n'avait a priori pas connaissance. La reprsentation du problme des ponts de Konigsberg par un graphe apparatra quant elle en 1892 grce W.W. Rouse BalI.

    1.3 Recherche de parcours hamiltonien

    Maintenant que nous savons que les ponts de Konigsberg ne peuvent tre parcourus tous une et une seule fois, qu'en est-il d'un parcours des berges une et une seule fois? Si nous traduisons cela en terme de graphes, existe-t-if un chemin ou un circuit passant par tous les sommets d'un graphe? Ce type de parcours a t appel hamiltonien en rfrence Sir W. R. Hamilton, mathmaticien, physicien et astronome, qui s'intressa un problme de ce type au 19me sicle. Il proposait de chercher un chemin sur les artes d'un dodcadre passant une fois et une seule par chacun de ses sommets et revenant au sommet de dpart.

    Ce problme est difficile, on ne connat pas de critres simples sur la structure du graphe pour dterminer l'existence d'un parcours hamiltonien.

    2. Problme et rsolution par la thorie des graphes

    2.1 lments de thorie des graphes

    Voici quelques lments de thorie des graphes, qui permettront de modliser puis de rsoudre le problme des ponts de Konigsberg, et plus gnralement les problmes de parcours eulriens.

    Un graphe non orient est un ensemble de points, nomms sommets, chaque paire de sommets tant relis ou non par des traits, nomms artes21 Cette dfinition est non formelle, mais elle permet de se reprsenter ce qu'est un graphe, reprsentation qui nous suffira pour le problme qui nous occupe. Le degr d'un sommet d'un graphe est le nombre d'artes incidentes ce sommet. Deux sommets relis par une arte sont dits adjacents.

    Un parcours dans un graphe est une squence de sommets du graphe relis 2 2 par une arte. On parlera de sommet de dpart pour le premier sommet de la squence, sommet d'arrive pour le dernier. Un circuit (ou parcours ferm) est un parcours pour lequel les sommets de dpart et d'arrive sont confondus, si ce n'est pas le cas on parlera de parcours ouvert. Un parcours eulrien dans un graphe est un parcours contenant toutes les artes du graphe une et une seule fois.

    20 Mais cet avis est largement p31iag par les mathmaticiens, de Lucas (1882) Charles Payan (aujourd'hui) en passant par Wilson (1986). 21 Si l'on relie les points par des flches, ou arcs, alors le graphe est dit graphe orient.

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    Le vocabulaire utilis pour dcrire les parcours dans les graphes varie selon les ouvrages, on trouvera par exemple les termes de chemin ou de cycle, plutt que parcours et circuit.

    a.._-------:::II-----t-- e

    g {a, h, d, c, h, d, f, g} est un parcours dans le graphe. Le sommet d est de degr 7.

    Un graphe est dit connexe si pour tout couple de sommets du graphe il existe un parcours dans le graphe les reliant. Tout graphe peut tre vu comme une union disjointe de composantes connexes, union rduite un lment si le graphe est connexe.

    2.2 Modlisation du problme

    2.2.1 Les ponts de Konigsberg

    Reprenons maintenant le problme du parcours des ponts de K6nigsberg dont voici une reprsentation22 :

    Il s'agit de dterminer s'il est possible de se promener dans cette ville en passant une et une seule fois par chacun des 7 ponts.

    La premire question qui peut se poser est celle de la modlisation de la situation par un graphe. On a donc une rivire, un ensemble de 7 ponts et 4 berges (une le, une presqu'le et deux berges proprement dites).

    Deux reprsentations diffrentes sous fonne de graphes sont possibles: - Les sommets peuvent tre les berges, et les artes les ponts. - Les sommets peuvent tre les ponts et les artes les berges communes.

    22 Ce plan a t dessin en 1652 par Merian Erber.

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    Reste maintenant traduire , puis rsoudre la question pose pour chacune de ces reprsentations.

    Dans cette premire reprsentation, que nous qualifierons d'eulrienne, trouver dans la ville un parcours passant par chaque pont une fois et une seule, revient trouver dans le graphe un parcours passant par chaque arte une fois et une seule. La question devient donc : Trouver un parcours eulrien dans le graphe. La rponse est fournie par le thorme d'Euler: l'imparit des degrs des 4 sommets implique l'absence de chemin eulrien dans le graphe. En effet, si l'on considre un sommet du graphe de degr impair, il devra tre un sommet de dpart ou d'arrive du parcours, ce qui n'est pas possible ici.

    Dans cette seconde reprsentation23 , que nous nommerons hamiltonienne, les ponts tant les sommets, on recherche un parcours passant une fois et une seule par chacun des sommets du graphe. Ce problme est une version simplifie du problme dit du voyageur de commerce24, ou de recherche de parcours hamiltonien dans un graphe. On trouve facilement plusieurs parcours hamiltoniens dans ce graphe, mais ces chemins ne correspondent en fait pas des parcours dans la ville.

    En effet, mme si cette dernire reprsentation peut permettre de rpondre un certain nombre de questions (par exemple y'a-t-il des ponts parallles dans la ville ?25), elle ne permet pas de revenir la situation de dpart, ce retour , n'tant pas unique.

    23 Notez que dans cette reprsentation, certaines artes n'ont pas t traces. En effet, lorsque deux ponts sont parallles , on devrait avoir des artes doubles. Nous avons fait ce choix pour rester le plus proche des graphes effectivement tracs par les lves. 24 Le problme dit du voyageur de commerce est de minimiser la longueur d'un parcours passant au moins une fois par chacun des sommets d'un graphe dont les artes ont des longueurs pouvant tre diffrentes. 25 Il est possible de retrouver les ponts parallles dans la ville en observant qu'en superposant deux sommets du graphe, toutes les artes de ces sommets contracts concident.

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    La transformation du graphe de gauche en un graphe de droite (obtenu ici par ttonnement) est difficile. Il n'y a pas unicit des graphes obtenus, ce qui ne poserait pas de problme si ces graphes avaient les mmes proprits de parcours. Mais, le premier graphe n'admet pas de parcours eulrien, alors que le second en admet un !

    Que se passe-t-il lorsque on trouve un parcours hamiltonien dans un graphe correspondant une reprsentation hamiltonienne (graphe de gauche) ? Prenons par exemple le parcours 1236754. Ce parcours correspond bien un parcours hamiltonien dans le graphe, les 7 sommets ayant t parcourus. C'est lorsque l'on revient au dessin de la ville de K6nigsberg que les questions se posent.

    On peut commencer le parcours 1236, mais la suite n'est plus possible. La rsolution du problme avec cette reprsentation demanderait un ajout d'informations consistant par exemple entourer les ponts ayant des berges communes, puis indiquer les ponts permettant le passage entre ces diffrentes berges, ce qui complique considrablement la lecture du graphe et peut finalement revenir la premire reprsentation.

    Nous avons donc deux reprsentations sous forme de graphes, tout aussi naturelles l'une que l'autre, mais la premire peut permettre l'aller-retour de la

    26 Pour les deux graphes de droite, si l'on choisit de reprsenter chacune des sept artes par un sommet, et une arte entre deux sommets adjacents, on retrouve le graphe de gauche.

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    situation au modle et la rsolution du problme pos, alors que la seconde, ne permettra que difficilement l'un ou l'autre.

    2.2.2 Les dominos

    Dans le mme ordre d'ide, il existe un problme appelant spontanment une reprsentation hamiltonienne . Ce problme est contenu dans le document d'accompagnement des programmes de la Terminale conomique et sociale de l'option mathmatiques27 Ce problme s'intitule les dominos et s'nonce ainsi:

    Peut-on aligner tous les pions d'un jeu de domino suivant la rgle du domino? On commencera par tudier la question avec un jeu dont les dominos comportent les chiffres jusqu' n, pour n=2,3,4.

    Prenons n=2 et cherchons modliser le problme. Une premire ide pourrait tre de dessiner les dominos28 et de relier ceux qui peuvent aller ensemble. Comme chaque domino a un sens, on peut relier les cts du domino qui vont ensemble :

    Un alignement de dominos est une chane traversant un domino, passant par un trait, retraversant un domino, etc. Pour n=2 on se rend compte que la suite (0-1, 1-2, 2-0) correspond un alignement correct des trois dominos. Pour n=3 le schma se complique et on a du mal trouver un chemin correspondant aux contraintes prcdentes.

    Il n'y a pas de perte d'informations avec ce dessin. Par contre, le nombre de traits devient important quand n grandit, et il devient vite difficile lire et interprter.

    Une autre reprsentation consiste utiliser un graphe o chaque sommet est un domino et chaque arte correspond la possibilit d'aligner deux dominos. Ce graphe comprend moins d'informations que le schma prcdent, c'est une reprsentation hamiltonienne du problme qui pose le mme type de difficult que pour les ponts de Knigsberg. C'est pourtant la reprsentation qui sera le plus prsente si le problme des dominos est propos des lves ayant une connaissance des graphes et sans indication de reprsentation.

    27 L'option mathmatique de la Terminale ES est le seul lieu o des lments de thorie des graphes sont enseigns en France. Le document d'accompagnement des programmes est disponible l'adresse suivante: http://eduscoLeducation.fr/DOOI5/graphes.pdf 28 Nous ne faisons pas figurer les dominos doubles qui peuvent toujours s'intercaler aprs coup dans l'alignement de dominos.

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    Si on reprsente chaque chiffre par un sommet, et chaque domino par une arte, le problme se ramne la recherche d'un parcours eulrien dans le graphe ainsi construit. Voici, par exemple cette reprsentation pour n=3 (les boucles correspondent aux dominos doubles). Mais il faut bien voir que cette reprsentation n'est pas la plus naturelle qui soit. Il en en effet assez rare dans les problmes classique de graphes que les sommets ne reprsentent pas des entits matrielles, alors que les artes en reprsentent. Il n'existe ma connaissance aucun autre problme prsent dans les manuels de Terminale ES amenant ce type de reprsentation. Lorsque ce problme est pos de cette faon, sans indice particulier sur la manire de construire le graphe ou de traiter le problme, les professeurs que j'ai interrogs parlent tous de l'absence de cette reprsentation eulrienne du problme.

    2.3 Preuve du thorme d'Euler

    Il est relativement simple de prouver que, pour qu'un graphe connexe admette un parcours eulrien ferm, il faut que tous ses sommets soient de degr pair. La preuve de la rciproque est plus difficile, et peut tre traite par diffrentes approches (par rcurrence ou maximalit). Nous proposons ici ces preuves, ainsi que des lments intermdiaires de rflexion mathmatique qui, s'ils ne sont pas exhaustifs, permettront, nous l'esprons, de prendre un certain recul sur ce problme.

    L'lment cl des parcours de graphes est la connexit. On ne peut pas parcourir l'ensemble des artes d'un graphe, si celui-ci n'est pas connexe29 (autrement dit en un seul morceau). Cela semble aller de soi, pourtant ds qu'un graphe est grand , la question de dterminer s'il est connexe ou non devient non triviale car la rponse n'est plus forcment visuelle. Cette ncessit de connexit du graphe apparat aussi lors de la recherche effective d'un parcours eulrien. Lorsque l'on cherche un tel parcours, on cherche de faon intuitive parcourir le graphe sans le casser , c'est--dire sans dconnecter ses diffrentes parties. Cette ide de conservation de la connexit peut mener, mais de faon laborieuse, un algorithme de parcours que nous ne donnerons pas ici.

    Prenons un graphe connexe dont tous les sommets sont de degrs pairs. Une proprit qui nous sera indispensable par la suite est qu'un tel graphe contient au moins un chemin ferm. On peut s'imaginer se promener dans le graphe en partant d'un sommet quelconque. En entrant dans le sommet suivant, son degr tant au moins deux, on pourra en ressortir, et ainsi de suite jusqu' revenir en un sommet s dj rencontr.

    ..... ~.

    ... -----',

    .. , G .. . ... - ........

    . ,

    .. , , ~ , , ,

    "

    29 Un parcours eulrien tant un parcours des artes du graphe, quelques sommets isols ne changeront pas son existence.

  • 38

    Nous obtenons un chemin ferm dans le graphe en ne conservant que les artes parcourues entre S et S .

    G

    2.3.1 Le nombre de sommets de degr impair est pair La somme des degrs des sommets d'un graphe quelconque est le double du nombre d'artes de ce graphe. La somme des degrs est donc un nombre pair. Nous pouvons en dduire que le nombre de sommets de degr impair d'un graphe est pair. Il n'existe en particulier pas de graphe ayant un seul sommet de degr impair.

    2.3.2 Il faut que deux sommets au plus soient de degr impair Soit G un graphe connexe. Dmontrons qu'un parcours eulrien est possible seulement si deux sommets au plus (c'est--dire 0 ou 2 sommets) sont de degr impair.

    Plaons-nous en un sommet quelconque du graphe. Parcourir le graphe amnera "entrer" puis "sortir" de ce sommet jusqu' ce que toutes les artes partant de ce sommet soient parcourues. Si ce sommet est de degr impair, alors il faudra que ce sommet soit une extrmit du parcours sinon au moins une arte incidente ce sommet ne sera pas suivie. Pour qu'un parcours eulrien existe dans le graphe, il est donc ncessaire que deux sommets au plus soient de degrs impairs. Si le graphe comporte plus de deux sommets de degr impair, alors aucun parcours eulrien ne sera possible.

    Dmontrons maintenant qu'il suffit de montrer la condition rciproque sur un graphe dont tous les sommets sont de degr pair pour le prouver pour un graphe ayant deux sommets de degr impair.

    Supposons que nous ayons montr qu'un graphe ayant tous ses sommets de degr pair soit un graphe eulrien. Soit G un graphe connexe dont deux sommets, S[ et S2, sont de degr impair. Construisons une arte entre ces deux sommets. Leur degr est .maintenant pair, ainsi que tous les autres sommets du graphe. Il existe un parcours eulrien ferm dans ce graphe, ce parcours tant ferm il peut commencer en n'importe quel sommet et terminer par l'un de ses voisins, il peut par exemple commencer en S[ et terminer par l'arte S2S[. Il suffit maintenant de supprimer cette arte fictive entre SI et S2 pour obtenir un parcours eulrien ouvert dans le graphe30 qui commence en S[ et se termine en S2.

    Dmontrons maintenant que la condition de parit de tous les degrs d'un graphe suffit garantir l'existence d'un chemin eulrien ferm dans le graphe.

    30 Il se peut qu'il existe dj une arte entre SI et S2, il est donc possible que l'on transforme par cette opration le graphe simple en un graphe multiple, c'est--dire pouvant comporter plus d'une arte entre deux sommets. Mais les preuves proposes fonctionnent dans le cas de multigraphe, cela ne pose donc pas de difficult particulire.

  • 39

    2.3.3 Une preuve par maximalit Soit G un graphe connexe dont tous les sommets sont de degr pair. Prenons C le plus grand parcours dans G. Si C contient toutes les artes de G, alors le problme est rsolu. Sinon, G contient au moins une arte de plus que C et nous avons deux cas possibles:

    - C est ouvert. Les sommets l'extrmit de C sont donc de degr pair dans G par hypothse, mais de degr impair dans C. Il existe donc dans G une arte incidente a s qui n'a pas t parcourue dans C. On peut donc l'ajouter la suite du parcours de C qui n'est donc pas le plus grand parcours dans G, ce qui est en contradiction avec l'hypothse de maximalit de C.

    - C est ferm. Par connexit on peut commencer le parcours partir d'un sommet quelconque. Par connexit de G, il existe dans C un sommet s interceptant une arte a non couverte par C. Choisissons ce sommet comme s sommet de dpart du parcours. Alors C commenant et se terminant en s peut tre prolong par l'arte a. C n'tait donc pas le grand chemin dans G, ce qui est en contradiction avec l'hypothse de maximalit de C.

    Le plus grand parcours C dans G contient donc toutes les artes de G, c'est un parcours eulrien.

    2.3.4 Une preuve par rcurrence Dmontrons, par rcurrence sur le nombre d'artes, que tout graphe G connexe dont tous les sommets sont de degr pair admet un cycle eulrien. Si G ne contient pas d'arte alors il admet un cycle eulrien. Sinon tous les sommets de G sont de degr gal ou suprieur 2. Il existe donc un parcours ferm C dans G.

    ..

    a

    tons les artes de C du graphe G. Nous obtenons un graphe partiel G' dont tous les sommets sont de degr pair et form d'un ensemble de composantes connexes Gi

    G'2

    Chaque composante connexe Gi de G' a un nombre d'artes strictement plus petit que celui de G. Tous les sommets de Gi sont de degr pair et, par induction, Gi contient un

  • 40

    parcours fenn C; contenant toutes les artes de G; (notons que G; et donc C; peuvent ne contenir aucune arte).

    c-:.

    Reste reconstruire le graphe G partir des ces composantes connexes. Pour cela parcourons C, lorsque nous rencontrons un sommet s appartenant G; ajoutons notre parcours C le parcours C; si celui-ci n'a pas dj t parcouru. Nous obtenons alors un parcours eulrien fenn dans G ce qu'il nous fallait dmontrer.

    3. Construction et rsultats de sances en classes

    Nous analysons ici des sances de classe en cherchant mettre en lumire les difficults qui se sont poses sur les parcours eulriens dans un graphe. La faon dont nous avons propos ces problmes a t sensiblement la mme dans les diffrents niveaux. Les lves et les professeurs stagiaires ont travaill par groupes de 3 ou 4. Les enseignants et nous-mme sommes rests observateurs du travail des lves, ne rpondant qu'aux difficults techniques qui se posaient, mais n'intervenant pas dans le processus de rsolution du problme. Ces phases en groupe ont t suivies de mises en commun o les arguments des uns et des autres ont t dbattus. Cette organisation convient particulirement aux prsentations de nouveaux concepts mathmatiques. Une squence en classe incluant une recherche sur les parcours dans les muses suivie de parcours dans les graphes nous parait une bonne introduction la thorie des graphes.

    3.1 Un extrait de sance l'IUFM

    Nous avons propos le problme des ponts de K6nigsberg trois groupes de PLC1 31 , en changeant le nom de la ville par son nom actuel. La sance comportait ensuite d'autres problmes de thorie des graphes, comme la coloration et le couplage. Les tudiants,

    . organiss en petits groupes, devaient pour chaque exercice prparer un transparent afin de pouvoir expliquer leur dmarche aux autres groupes.

    31 Anne de prparation au concours de professeur de mathmatique au collge et au lyce.

  • 41

    Ponts de Kaliningrad Les habitants souhaitent faire une promenade passant une et une h

    seule fois par chaque pont. Vont-ils y parvenir?

    Ce problme tant relativement classique, nous ne nous attendions pas ce qui s'est pass. Les tudiants avaient au moins, pour la grande majorit, une reprsentation du graphe comme ensemble de points relis ou non par des traits , et le nom de la sance (

  • 42

    toujours se dbrouiller pour ne pas laisser d'artes isoles, pour qu'il reste des artes que l'on peut (ou pourra) parcourir.

    (j? ~~ be:. ~

    II faut se dbrouiller pour qu'il reste un trait.

    On a pu constater de relles difficults chez les lves pour reproduire les graphes, lorsque les feuilles mises leur disposition taient puises.

    Graphe et des tentatives de reproduction: l'ordre des lettres correspond un ordre de parcours du graphe, convention que les lves de ce groupe ont adopt d'eux-mmes.

    Il semble que, dans un premier temps au moins, les lves n'ont pas de stratgie pour ce type de reproduction de figure.

    Hormis cette difficult, beaucoup d'ides ont t dbattues dans les groupes et la sance a t riche de propositions et de conjectures. La principale de ces propositions a t que le point de dpart du chemin tait important dans la rsolution du problme. Certains groupes ont formul l'ide qu' un parcours commenant au point A et finissant au point B, correspond un parcours identique commenant en B et terminant en A. La symtrie a t utilise pour viter de recommencer une recherche partir d'un sommet dont on connaissait le parcours partir d'un sommet symtrique (ou suppos tel). Dans un groupe, l'ide de parit a t propose, mais le temps n'a pas permis de savoir si celle-ci tait une tentative creuse ou l'amorce d'une vraie recherche. Dans les problmes de mathmatiques discrtes que nous proposons, nous avons toujours au moins un lve qui proposera l'ide c'est parce que c'est pair! ou bien c'est parce que c'est premier ! comme si ces phrases taient le ssame de la rsolution de tout problme de mathmatiques, mme sans avoir compt quoi que ce soit. Dans le problme qui nous intresse la parit est en effet la clef, reste voir o et en quoi elle entre en jeu dans le problme. Il nous semble donc primordial que cette

  • 1

    43

    tape soit la charge de l'lve et non induite par l'enseignant. Une simple rponse de type pourquoi? de l'enseignant peut suffire relancer le travail de l'lve.

    3.3 Sances au lyce en option sciences

    Nous avons propos en option sciences au lyce de Cluses (Haute-Savoie) deux sances sur les parcours eulriens dans un graphe. Le but tait de voir comment les lves pourraient s'investir dans ce problme, et quelles seraient les conjectures et les preuves qu'ils pourraient tablir. Le travail s'est effectu par groupes de trois ou quatre lves. Aprs avoir prsent les consignes, nous exposerons succinctement le droulement de ces sances. Nous vous proposons, en annexe de cet article, des fiches reprenant ces problmes dont la prsentation a t modifie.

    3.3.1 Prsentation des problmes Dans chaque groupe taient fournies successivement quatre feuilles contenant le plan d'un muse. L'ordre des feuilles et l'orientation des muses taient diffrents selon les groupes pour viter les transmissions d'un groupe l'autre. Voici un exemple de feuille:

    Au muse (1)

    Voici le plan du muse de la ville d'Izis : ,-------r--~------,-lr-----,

    f-----1 r---I r

    I

    T Un visiteur se promne et se rend compte qu'il peut choisir un itinraire passant une seule fois par chaque pice. Mais peut-il trouver un chemin passant une seule fois par chacune des portes? Peut-il trouver un circuit passant une seule fois par chacune des portes? (Un circuit est un chemin qui revient son point de dpart.)

    Ce problme est quivalent au problme de recherche eulrien dans un graphe dans lequel chaque pice est un sommet et chaque porte entre deux salles une arte entre deux sommets. Pour le plan ci-dessus on obtient ce graphe:

    Seuls deux sommets du graphe tant de degr impair, il existe un chemin dans le graphe partant de l'un de ces sommets et arrivant l'autre.

  • 44

    Voici un exemple33 de tel parcours :

    ---~) ) 4

    ~ot~ < 6 ( 1 )

    Un plan particulier a t distribu l'ensemble des groupes. Ce plan correspond en fait au mme graphe que celui des ponts de K6nigsberg. Il n'existe donc pas de parcours eulrien de ce muse.

    l.

    --l H rI :E------i 1-

    T

    La prsentation, dans un premier temps, de muses34 plutt que de graphes, nous semblait justifie par deux raisons principales. L'ide d'entre/sortie d'une pice est naturelle et peut tre rinvestie directement dans une preuve. Il n'y a pas ncessit d'introduire d'lments nouveaux, mme si le vocabulaire (en particulier le terme de circuit) doit tre prcis.

    Dans une deuxime sance, nous avons propos le mme travail avec des graphes. Nous voulions voir si les conjectures tablies lors de la premire sance pourraient tre traduites et rinvesties lors de la seconde sance. Nous avons propos deux petits graphes permettant de se familiariser avec ce nouvel objet, puis deux grands graphes . Vous remarquerez que les noncs sont sensiblement les mmes pour les muses et les graphes, le but tant un rinvestissement rapide des conjectures de la premire sance.

    Avec des graphes (1)

    Voici deux graphes composs de points, appels sommets, relis ou non par des traits, appels artes.

    Pour chacun des graphes, existe-t-il un chemin, ou un circuit, qui passe une seule fois par chacune des artes? Expliquez pourquoi.

    33 Ce parcours n'est pas unique, seuls les sommets de dpart et d'arrive sont fixs. 34 Nous avons choisi de prsenter des muses pour lesquels le nombre de portes par pices parat plus raliste que pour d'autres btiments.

  • 45

    L'nonc n'a pas t rpt sur les deuxime et troisime feuilles distribues. La consigne orale tait de rpondre aux mmes questions, toujours en prenant des notes sur les conjectures et les raisonnements.

    Avec des graphes (2)

    ( \ 1

    ~~ i i 1

    /

    Avec des graphes (3)

    Ces deux derniers graphes ont t choisis pour dstabiliser les conjectures mises dans les groupes. Le graphe (2) n'est pas connexe. Il n'existe donc pas de chemin dans le graphe bien que tous ses sommets soient de degr pair. Le graphe (3) comporte un isthme, c'est--dire une arte qui relie deux composantes connexes. Si l'isthme est parcouru avant que l'une des composantes connexe ne le soit compltement, alors l'ensemble des artes du graphe ne pourra tre suivi, bien que cela soit possible, le graphe tant connexe, et deux sommets seulement tant de degr impair.

    3.3.2 Les conjectures avec les muses Nous avons demand chaque groupe d'crire ses conjectures au fur et mesure de la sance. Voici par exemple celles mises par un groupe, qui pour nous, attestent de la bonne dvolution du problme et de la richesse du travail fourni par les lves:

    Si toutes les pices ont un nombre pair de portes, alors on peut faire un circuit passant par toutes les portes (mais pas de chemin qui ne revient pas son point de dpart). Si un muse comporte uniquement deux pices ayant un nombre impair de portes (l'une sert l'arrive, l'autre de dpart), on peut faire un chemin mais pas de circuit passant par toutes les portes. Si un muse comporte plus de deux pices ayant un nombre impair de portes on ne peut ni faire de chemin, ni de circuit passant par toutes les portes.

    s; tc~\:..Q.. '-su. ~'-~ ~\;. ,," l'IC,Qi ec;Il\\(\M..~.!;/ ~ .;; .A l"I\:)re -U'I\~ Q.. ~~, A).. cQ. ),n\. ~ ..l' g.::o.i..~,,- 1 e.'aJ.A~ ole QQ~ ) 01\ ~\.. \~ .w" cftQ.""\U\.. ."""~

    'PJ' ..Q..... t.eu.i~ ~.....l ~~a ~~ - Si v(\

  • 46

    Voici une synthse des conjectures tablies dans les diffrents groupes: Le nombre de salles avec un nombre de portes impaires est pair , s'il y a deux salles avec un nombre pair de portes alors on peut faire un chemin , pour qu'un chemin existe il faut qu'il y ait plus de salles avec des portes paires que de salles avec des portes impaires , plus il y a un nombre de salles au nombre de portes impaires important, plus il est difficile d'tablir un chemin . D'autres conjectures ont t tablies dans les diffrents groupes, mais les lves ont remarqu qu'elles taient quivalentes aux prcdentes.

    Des contradictions entre conjectures ont t remarques rapidement par les lves qui ont cherch comment les lever, le plus souvent en essayant de prouver que les conjectures contradictoires avec les leurs taient fausses. Le temps a malheureusement manqu, pour qu'un dbat sur les conjectures et sur leurs ventuelles contradictions, soit men. Ce dbat a en fait commenc l'initiative de l'un des groupes qui a propos un contre-exemple la conjecture pour qu'un chemin existe il faut qu'il y ait plus de salles avec des portes paires que de salles avec des portes impaires :

    ~--'1(-1. J-. (i ~~ ....--f l ~t:'.!:__, (

    I(~,..... \. .

    _,.'. ~-",...... 1j----"- .--J

    Ce contre-exemple comprend deux salles avec un nombre impair de portes et une seule salle avec un nombre pair de portes, et pourtant il existe un chemin.

    3.3.3 Les conjectures avec les graphes Lors de la sance suivante, les conjectures sur les muses ont t transcrites pour

    les graphes en un temps record dans quatre groupes. Un cinquime groupe n'a pas fait le rapprochement. Voil un exemple de lgende (sommet pour pice, arte pour porte) qui a t ajout dans un groupe:

    CJ -j r-

    Le graphe non connexe a t vu par les lves comme un pige . Ils ont pour la plupart considr la question comme existe-t-il un chemin (ou un circuit) dans chacune des composantes connexes du graphe considr , et ont donc considr que le premier grand graphe comportait deux circuits. Certains sont alls plus loin dans cette interprtation de l'nonc : on ne peut pas se satisfaire du dcompte global du nombre d'artes par sommet. En effet, si le graphe possde plusieurs composantes connexes, il faut faire le dcompte du nombre d'artes par sommet pour chacun de ces morceaux de graphe. Sinon on pourrait avoir plus de deux sommets de degr impair et pourtant des chemins dans chacune des composantes connexes du graphe.

    Quelques lves ont affirm que les sommets de degr deux ne servaient rien , qu'on pouvait les enlever ou en ajouter autant que l'on voulait sur chacune des artes sans que le parcours ne soit modifi.

  • 47

    Le graphe (3) n'a pas dstabilis les lves, certains ont emprunt l'isthme trop tt dans leur recherche de parcours, mais aprs un retour arrire ils ont surmont la difficult sans qu'elle ne remette en cause leur stratgie.

    3.3.4 Argumentations des lves et bilan des sances Plusieurs arguments ont t proposs par les lves pour dfendre leurs conjectures. L'un d'eux a par exemple dfendu la ncessit de parit ainsi: si tu entres, tu dois sortir, donc sauf au dbut ou la fin, le nombre de portes par pices doit tre pair . Cet argument a t dbattu et accept dans tous les groupes.

    Lors de la premire mise en commun des conjectures, seul un groupe a propos l'ide de parit du nombre de salles avec des portes impaires. Son argument tait que chaque porte est compte deux fois, une pour chaque pice o elle mne. Si on ajoute une porte entre deux pices, ces deux pices vont changer de parit; de mme si on enlve une porte entre deux pices, les deux pices vont changer de parit, donc le nombre de salles avec des portes impaires est pair. (Cet argument est en fait le cur d'une induction laquelle il manque un cas de base).

    Le fait que la condition de parit des degrs suffise garantir l'existence d'un chemin dans le graphe n'a pas t argument, ni mme questionn. Loin d'tre dstabiliss par nos tentatives d'introduction de graphes non connexes ou avec isthme, certains lves ont ajout la connexit dans leurs hypothses, d'autres ont modifi la question devenue existe-t-il un chemin dans chaque composante connexe du graphe .

    Une diffrence notoire entre les deux sances a t l'utilisation de dessins pour se convaincre ou convaincre ses voisins de la vracit ou non d'une conjecture. Les dessins de muses ont t relativement peu nombreux, alors que les lves ont couvert des feuilles entires de graphes. La facilit de la recherche d'exemples et de contreexemples grce aux graphes me semble prouve par le nombre impressionnant de graphes dessins par les lves par rapport aux quelques muses.

    L'quivalence entre la reprsentation sous forme de muses ou sous forme de graphes est devenue une vidence dans les groupes. Pourtant les muses sont reprsents par des graphes particuliers, les graphes planaires (c'est--dire des graphes qui peuvent se dessiner sans que leurs artes ne se croisent). Voulant leur faire remarquer que cette quivalence posait question, je demandai aux lves quel muse correspondait ce graphe, non planaire:

    La rponse a t rapide: c'est un muse avec des tunnels ou des ponts !

    Si ces sances taient refaire, nous proposerions des graphes plus grands , plus complexes, car visiblement les procdures des lves n'ont pas t remises en cause.

  • 48

    Conclusion

    La recherche de parcours eulriens dans un graphe, ou les tracs de figures sans lever le stylo sont devenus des problmes classiques dans l'enseignement et en vulgarisation des mathmatiques. Pourtant des questions nous semblaient rester ouvertes: Comment ne pas masquer l'importance du choix du graphe pour modliser les problmes? , Quel travail de modlisation proposer? , Comment proposer le problme pour que condition ncessaire et condition suffisante soient diffrencies pour les lves? . Pour cette dernire question nous pouvons imaginer que ce problme n'est pas le plus idal pour faire travailler cette diffrence. Mais que se passerait-il pour des lves ayant auparavant suivi des activits portant sur un travail entre condition ncessaire et condition suffisante? Une autre piste serait de proposer ce problme en demandant une rsolution algorithmique. On pourrait par exemple demander aux lves d'crire une procdure pour trouver un chemin eulrien dans un graphe qu'ils ne peuvent pas voir, un autre lve appliquant cette procdure sur des graphes bien choisis.

    Une activit autour de la recherche de parcours eulriens dans les graphes, tel que l'ensemble propos en annexe, nous parait bien adapte une introduction des graphes en classe. Nous proposons dans les pages suivantes, des fiches avec des dessins de muses et graphes pour les lves.

    Bibliographie

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    COUPY E. (1851) Solution d'un problme appartenant la gomtrie de situation par Euler, Nouvelles annales de mathmatiques, tome 10, 1851, pp 106-119.

    EULER L. (1736) Solutio problematis ad geometriam situs pertinentis, Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae 8, pp 128-140.

    FLEURY G., COGIS O. (2002) Graphes deux voix, APMEP.

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  • 49

    ROLLAND Julien (1999) Pertinence des mathmatiques discrtes pour l'apprentissage de la modlisation et de l'implication Thse de l'universit 1. Fourier, Grenoble.

    ROUSE BALL W.W. (1892) Mathematical recreations and problems of Past and Present times, Macmillan, Londres.

    WILSON R. J. (1986) An eulerian trail through K6nigsberg, Journal ofgraph theory, Vol. 10, pp 265-275.

  • 50

    AU MUSE Voici le plan d'un muse:

    l I

    -

    -'

    -

    Un visiteur se promne et se rend compte qu'il peut choisir un itinraire passant par chaque pice. Mais peut-il trouver un chemin passant une seule fois par chacune des portes? Peut-il trouver un circuit35 passant une seule fois par chacune des portes?

    Et dans ces muses-l ?

    35 Un circuit est un chemin qui revient son point de dpart.

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    Avec des graphes

    Voici deux graphes composs de points, appels sommets, relis ou non par des traits, appels artes. Pour chacun des graphes, existe-t-il un chemin, ou un circuit, qui passe une seille fois par chacune des artes? Expliquez pourquoi.

    quelle(s) condition(s) peut-on tracer un graphe en passant une et une seule fois par chacune de ses artes ?

  • 52

    Avec des graphes

    Existe-t-il un chemin, ou un circuit, qui passe une seule fois par chacune des artes de ce graphe? Expliquez pourquoi.

    ~ --

  • 1

    i

    53

    Avec des graphes

    Existe-t-il un chemin, ou un circuit, qui passe une seule fois par chacune des artes de ce graphe? Expliquez pourquoi.

    1 \ \