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Etude mandatée par la Banque Julius Baer & Cie SA
A l’ère de la transparence, quelles conséquences sur la gestion du patrimoine des fondations ?
Etude sur les pratiques de gestion du patrimoine des fondations d’utilité publique basées en Suisse romande en 2014
2
Le souhait d’une société davantage solidaire et pérenne suscite plus que jamais l’engagement d’acteurs
déterminés. En Suisse notamment, véritable berceau d’une tradition humanitaire, nous avons vu les
fondations se rapprocher pour partager leurs bonnes pratiques et maximiser ainsi la portée de leurs
actions. Une impulsion nouvelle a été donnée dans ce secteur aux efforts de collaboration, de
transparence et de professionnalisation.
Fidèle à son positionnement innovateur face aux attentes d’une clientèle toujours plus sensible à la
durabilité de ses placements, Julius Baer a résolument pris le chemin d’une intégration systématique des
critères d’investissements responsables mesurant l’implication et le développement social, éthique et
environnemental dans son processus d’analyse financière (critères ESG).
Consciente de la valeur ajoutée qu’un conseil intégré peut offrir à des fondations, qui n’ont pas encore fait
évoluer la gestion de leur portefeuille vers plus de cohérence avec leur mission, tout en minimisant aussi
bien les risques financiers que les risques d’image, Julius Baer a voulu en savoir plus sur les mécanismes
et les enjeux de ce secteur. C’est pourquoi elle a confié à deux partenaires de premier ordre dans le
domaine du conseil en philanthropie et des investissements responsables, WISE et Conser, le soin de
cerner les enjeux d’aujourd’hui.
Cette première étude menée en Suisse romande complète une enquête similaire conduite sur
les fondations en Suisse allemande. Il en résulte d’ailleurs une concordance dans les conclusions.
Nous espérons que cet éclairage apporté grâce à la précieuse contribution des fondations et des experts
interrogés, que nous remercions chaleureusement, puisse être une base de discussion et de réflexion pour
les fondations et leurs partenaires dans leur approche concernant la gestion de leur patrimoine.
Que ce monde des fondations en mouvement puisse évoluer vers une participation encore plus efficace au
bien-être des bénéficiaires et de la population en général.
Giovanni M.S. Flury Membre du Comité Exécutif
Responsable Région Suisse
Banque Julius Baer & Cie SA
Pourquoi cette étude ?
3
Les fondations d’utilité publique participent large-
ment à la qualité sociale, culturelle ou environne-
mentale de notre société. Leur réputation dépend
aussi de l’adoption de bonnes pratiques en termes
de gouvernance, de transparence et de gestion.
Désireux de faire reconnaître et valoriser leur bon
fonctionnement, ainsi que de soutenir leur évolu-
tion par un partage de connaissances, Conser et
WISE, avec le soutien de la Banque Julius Baer, se
sont associés pour réaliser une étude approfondie
sur le sujet.
Les pratiques de gestion du patrimoine de ces
fondations sont au cœur de cette enquête.
Un comité d’experts ad hoc a été constitué afin
d’enrichir le débat et d’accompagner le processus
de réalisation de l’étude :
Bernard Vischer
(Avocat, associé Schellenberg Wittmer)
Didier Cherpitel (Trésorier de la Fondation Mérieux et
secrétaire de la Swiss Philanthropy Foundation)
Georg von Schnurbein
(Directeur du Centre d’Etudes de la
Philanthropie, Université de Bâle)
Olivier Baudry
(Membre du Management Committee Région
Suisse auprès de la Banque Julius Baer)
Notre objectif est d’établir un état des lieux des
pratiques de gestion de patrimoine en Suisse
romande, ainsi que de favoriser le partage d’expé-
riences et la diffusion des bonnes pratiques. Un
sondage comportant 37 questions a été mené
au premier semestre 2014 auprès de fondations
d’utilité publique basées en Suisse romande.
Les trois grands thèmes abordés sont :
1
la mission - MRI 2
Ce rapport livre les résultats de cette enquête,
enrichis par des témoignages de fondations et des
interviews d’experts dans le domaine. A la fin du
document, le professeur Georg von Schnurbein
du Center for Philanthropy Studies (CEPS) ajoute
un éclairage sur la situation en Suisse alémanique
et sur les pratiques à l’échelle internationale. Sa
participation à une recherche similaire, menée en
2012 par CEPS en Suisse allemande, apporte une
analyse comparative des résultats obtenus dans
les deux régions.
Nous tenons remercier chaleureusement tous
les participants de leur précieuse contribution.
Pour rester fidèles au principe de transparence,
nous avons diffusé notre étude aux parties
concernées ainsi qu’au grand public.
Angela de Wolff, Conser
Etienne Eichenberger, WISE
Introduction
1 Les auteurs utilisent la notion de patrimoine en faisant référence au patrimoine financier
2 MRI – Mission-Related Investment
4
Pourquoi cette étude ? p.2
Introduction p.3
Résumé exécutif p.5
Perspectives p.7
Fondations d’utilité publique : le Panorama en Suisse p.8La tradition suisse du don
De la diversité des fondations d’utilité publique
Quelles perspectives pour les fondations d’utilité publique ? p.9
Panel de l’enquête p.10Un taux de participation significatif et une typologie très variée
Un panel illustratif p.11
Des ressources financières multiples p.12
Gouvernance p.13Entretien avec Peter Brey, Directeur de la Fondation Leenaards
Organisation opérationnelle p.15
Composition du conseil de fondation p.16
Délégation des tâches p.17
Niveau de satisfaction
La gouvernance va devenir un enjeu important p.18
Entretien avec Bernard Vischer, avocat, associé Schellenberg Wittmer
Gestion du patrimoine p.20Entretien avec Didier Cherpitel de la Fondation Mérieux et de la Swiss Philanthropy Foundation
Organisation p.22
Délégation p.23
Critères de sélection p.24
Objectifs de gestion p.25
Philosophie d’investissement p.26
Niveau de satisfaction et perspectives p.27
Entretien avec Olivier Baudry, Membre du Management Commitee Suisse, Banque Julius Baer p.28
Gestion du patrimoine en accord avec la mission - MRI p.30Entretien avec Jean Fiaux et Yves de Montmollin, Fondation Hahnloser p.31
Le MRI dans la réalité des fondations interrogées p.32
Les causes du manque d’intérêt pour le MRI p.33
Quelles motivations en faveur du MRI ? p.34
L’évolution future du MRI p.35
Entretien avec Anne Gloor, Fondatrice et Directrice de PeaceNexus p.36
Eclairage sur les pratiques en Suisse allemande et dans le monde p.38L’utopie de la fondation éternelle
Différences à l’échelle internationale concernant les obligations légales
Comparaison intra-suisse : le tableau complet p.39
Augmenter la confiance en encourageant la professionnalisation p.40
Le petit doigt ou toute la main ?
Augmenter les connaissances sur la gestion du patrimoine p.41
Remerciements p.42
Table des matières
5
Cette étude établit un état des lieux des bonnes pratiques des fondations basées en Suisse romande et favorise le partage d’expériences. Les résultats de l’enquête sont enrichis par des témoignages de fondations et des interviews d’experts.
Qualité du panel
proche des 30%.
fortune supérieure à CHF 10 millions.
(buts), de l’organisation et du financement des institutions.
Gouvernance
Globalement, les conseils de fondation comprennent des membres de qualité qui assument leurs
responsabilités.
La délégation est ciblée sur des activités techniques comme la gestion du patrimoine ou la
sélection de projets.
fondations » dans l’organisation et l’optimisation des ressources.
Curieusement, ces résultats très encourageants sont en contradiction partielle avec les préoccupations
d’avenir exprimées par les sondés.
être améliorés en priorité.
(banquiers ou comptables). Cela explique peut-être l’évocation des conflits d’intérêts.
50 %des sondés estiment que
les questions liées à
l’organisation des conseils
et aux conflits d’intérêt
devraient être améliorés
en priorité
Résumé exécutif
6
Gestion du patrimoine :
La gestion de patrimoine doit s’inscrire dans un
processus dynamique, qui prend en compte l’évolu-
tion de la situation propre de la fondation ainsi que
des conditions du marché.
assume la responsabilité stratégique et délègue
la gestion opérationnelle à un comité ad hoc ou
à l’externe.
le conseil de fondation au suivi de la gestion du
patrimoine est très modeste (10% du temps).
de plus de CHF 10 millions qui consacrent
le plus de temps et qui disposent de compé-
tences internes.
-
tataires externes sont l’intégrité, la compétence
et l’indépendance, en ligne avec la préoccupa-
n’importe quel prix. »
Les objectifs de gestion et philosophie d’investisse-
ment sont relativement homogènes :
comme une priorité.
éthiques à leur gérant.
avec un profil de placement plutôt prudent.
Les résultats expriment un certain conservatisme
et une aversion pour le risque, d’où, peut-être, la
faible propension pour des approches de gestion
innovantes et originales. Pourtant, à l’heure où
le rendement est extrêmement bas, la revue des
objectifs à la baisse ou l’augmentation du profil de
risque paraît inévitable.
De manière générale, les sondés sont très
satisfaits des pratiques actuelles. Ce résultat peut
surprendre au vu du plébiscite des mêmes sondés
pour améliorer le niveau de professionnalisme
et de transparence, en particulier concernant le
cumul des frais de gestion.
La gestion du patrimoine en accord avec la mission (MRI 3) :
Si le concept est largement connu (69% indiquent
en être familiers), son application effective dans
les portefeuilles reste encore modeste.
Aujourd’hui, seules 11% des fondations appliquent
une philosophie MRI à leur portefeuille :
invoquent la méconnaissance de l’offre et la
mesure insuffisante de l’impact.
l’influence d’un membre du conseil de fondation
bonnes pratiques (cité par 45%).
l’utilisent largement dans la gestion de leur
portefeuille (45% l’appliquent à plus de la moitié
de leur fortune).
A l’avenir, 40% des répondants envisagent un
renforcement de leurs investissements
dans ce domaine. Néanmoins, il semble que la
complexité du MRI dans sa compréhension
et son application retienne bon nombre de fonda-
tions et les prive d’une innovation-clé en
matière de gestion.
3 MRI – Mission-Related Investment
11 %des fondations appliquent
une philosophie MRI
à leur portefeuille
53% des fondations consacrent
moins de 10% de leur temps
au suivi de la gestion
7
Les fondations de Suisse romande – et avec elles
les fondateurs et les donateurs – sont d’une vita-
lité remarquable ; mais elles peuvent faire mieux
encore, en visant une utilisation optimale de leurs
ressources financières ou humaines.
Les résultats de cette étude nous permettent de
formuler cinq questions fondamentales que les
conseils de fondation pourraient se poser en rela-
tion avec la gestion du patrimoine de la fondation
afin d’améliorer l’impact de ses investissements.
1. Sommes-nous au clair sur les objectifs
de notre fondation ?
La fondation est constituée autour d’une mission.
Il est essentiel que le(s) fondateur(s) partage(nt)
la définition de cette mission avec le conseil de
fondation et la direction, ainsi que la théorie du
changement qui les guide. Cet alignement garantit
une vision claire et un engagement solidaire au sein
de l’organe de direction.
Questions fondamentales : Quelle est la vision et la mission de notre fondation ? Quels bénéfices sociétaux ambitionnons-nous d’atteindre à titre individuel et collectif ? Quel niveau d’engagement sommes-nous prêts à donner (temps, réseau, etc.) ?
2. Nos ressources internes et externes sont-elles
adéquates ?
Les membres du conseil, la direction et autres
acteurs internes constituent autant de ressources
participant au développement d’une fondation.
Elles sont en général complétées par des res-
sources externes, tant pour l’organisation de la
fondation que pour les actions sur le terrain.
Questions fondamentales : Avons-nous les bons experts au sein du conseil et de nos équipes ? Connaissons-nous les experts nécessaires pour compléter nos besoins ? Quels partenaires ou réseaux (formels ou informels) pourraient renforcer notre pratique ?
3. De quels moyens financiers disposons-nous ?
La fondation dispose de certains moyens financiers
pour remplir sa mission. Il est primordial d’évaluer
la fiabilité et la visibilité des revenus financiers
pour assurer une gestion optimale. Le conseil de
fondation doit planifier les dépenses annuelles et
à long terme, planifier les cycles d’une fondation
(création, croissance, cofinancement), mesurer
les moyens dont il dispose à l’aune de ses
ambitions et donner des indications précises aux
gérants de ce patrimoine.
Questions fondamentales : Avec quels moyens disponibles (revenus et/ou capital) pouvons-nous compter ? Ceux-ci permettent-ils de couvrir nos engagements annuels ? Avons-nous clairement communiqué à nos gérants ou experts financiers nos besoins à court et moyen terme, ainsi que notre profil de rendement/risque ?
4. Quel est notre processus d’évaluation ?
Les fondations sont peu sujettes aux pressions
externes. Les critères de qualité et d’efficacité sont
du ressort du conseil. En réponse à un contexte
changeant et exigeant, une fondation se doit
d’établir volontairement un cadre de fonctionne-
ment, des garde-fous ainsi que des processus de
contrôle. La mesure de la qualité et de l’impact
favorise le déploiement de la mission.
Questions fondamentales : Comment procédons-nous à l’évaluation de la qualité de nos actions ? Nos prestataires, notamment nos gérants de fortune, disposent-ils d’objectifs précis ? Ont-ils atteint les résultats escomptés ? Avons-nous clairement exprimé nos attentes, aussi en termes d’impact ? Avons-nous évalué avec diligence les options pour gérer notre capital en accord avec notre mission ?
5. Formons-nous un leadership responsable
et innovateur ?
La liberté dont disposent les fondations leur
confère une marge de manœuvre et une capacité
d’innovation considérables pour l’organisation,
la gestion et l’adoption des meilleures pratiques.
Cette liberté est à la fois un atout, une opportunité
et un défi. En partageant ses expériences, la fonda-
tion devient source d’inspiration et d’exemplarité.
Questions fondamentales : Savons-nous agir avec audace et en tant qu’entrepreneurs responsables dans notre mission d’utilité publique ? Osons-nous inspirer le changement et partager nos succès et échecs avec nos pairs ?
Nous espérons que les éclairages apportés par
cette étude permettront aux conseils de fondation
d’entrevoir leur engagement de manière pratique.
Nous sommes reconnaissants des commentaires
ou suggestions que tout lecteur voudrait bien nous
faire concernant cette publication.
Perspectives
8
La tradition suisse du don
La création d’une fondation constitue un des
moyens pour les donateurs qui disposent d’un
certain capital et qui souhaitent pérenniser leur
démarche philanthropique. La Suisse a toujours
favorisé la création de fondations. L’Inselspital,
créée à Berne en 13544, est l’une des plus
anciennes fondations encore en activité en Europe !
Les premières fondations ont été créées dès le
XIIe siècle. Le code civil suisse date quant à lui de
1907 ; les fondations y sont réglementées dans une
douzaine d’articles. Cette loi n’a d’ailleurs connu
que très peu de révisions au fil des décennies,
témoignant de la confiance du législateur dans
la capacité du fondateur à utiliser sa liberté de
manière responsable.
Selon le rapport 2014 sur les fondations en Suisse,
il existait, fin 2013, 12’909 fondations5 d’utilité
publique inscrites au Registre du Commerce.
Comparée à d’autres pays européens, la Suisse se
démarque largement : en France, il existait 3’220
fondations6 (à fin 2012, selon l’Observatoire de
la Fondation de France et le Centre Français des
Fonds et Fondations). En Allemagne, on compte
une fondation pour 5’000 habitants.
Avec une fondation pour 620 habitants, la Suisse
est l’un des pays au monde avec la plus grande
densité de fondations. En termes de montants, les
fondations suisses distribuent en moyenne 3% de
leur capital, sauf celles qui ont décidé de distribuer
l’intégralité de leur capital et donnent en moyenne
5% de leur capital par an7.
Enfin, on estime qu’en Suisse romande uniquement
les fondations disposent d’une fortune d’environ
CHF 20 milliards.
De la diversité des fondations d’utilité publique
Comment expliquer une telle importance des
fondations en Suisse ?
Une des premières raisons est sans aucun doute
la volonté politique de favoriser leur essor. En
effet, il est relativement simple de créer sa
propre fondation en droit suisse et les contraintes
réglementaires sont limitées8. Par ailleurs, les
fondations d’utilité publique sont exonérées
d’impôts sur le revenu et le capital. De plus, les
dons du contribuable suisse à une telle fondation
peuvent être déduits de son revenu taxable jusqu’à
concurrence de 20% de son revenu au niveau
fédéral (ce pourcentage peut varier d’un canton à
l’autre pour l’impôt cantonal).
Les acteurs du secteur de la philanthropie sont
de plus en plus ouverts et dynamiques. Dans ce
contexte, le fondateur pourra s’appuyer pour son
projet sur des nouveaux métiers et ressources
qui facilitent la gestion d’une telle organisation,
comme par exemple le Swiss Foundation Code9
(code de gouvernance). Mais, d’une manière
générale, il y a aussi en Suisse une tradition de
participation à la vie publique et de solidarité qui
explique le développement de ce secteur. Les
motivations particulières d’un donateur pour créer
une fondation d’utilité publique varient : volonté de
soutenir une cause de manière durable, engage-
ment pour faire la différence, ou désir de laisser
une trace pour les générations suivantes.
Il faut constater l’immense richesse et diversité du
secteur en Suisse.
D’une part, le législateur suisse a laissé au
fondateur une très grande liberté pour déterminer
le but qu’il veut donner à la fondation, les moyens
qu’il veut lui attribuer et comment il veut en
organiser les opérations. De cette liberté, découle
une variété de formes.
Fondations d’utilité publique : le Panorama en Suisse
Au fil des siècles et en particulier dans les moments de crise comme celui que nous traversons, la fondation est devenue un rouage économique et social déterminant qui participe au nouvel équilibre de notre société, entre transfert de compétences et de capital, entre partage avec la collectivité et quête de sens personnel. A l’heure où les Etats se désengagent, ces entités à but non lucratif jouent un rôle prépondérant dans la solution des enjeux sociaux et environnementaux.
4
5
6
fonds-et-fondations-en-france 7
12’909fondations d’utilité publique
étaient inscrites au Registre
du Commerce à fin 2013
9
D’autre part, la notion suisse d’intérêt public dont
découle le statut d’exonération fiscale est, en
comparaison internationale, relativement large.
Les domaines d’activité qu’elle englobe sont
étendus (caritatif, sanitaire, écologique, éducatif,
scientifique et culturel). De plus, ces buts peuvent
être poursuivis en Suisse mais aussi à l’étranger,
sans que cela remette en question le statut
d’utilité publique.
Cette ouverture à l’étranger, qui témoigne de la
solidarité internationale de la Suisse, contribue au
rayonnement et à la diversité de ses fondations.
Ce contexte favorable aux fondations a aussi
permis le développement de fondations de
tailles très différentes. Il faut cependant que ce
patrimoine soit et reste adapté pour permettre la
réalisation de son but. Si son but devenait inattei-
gnable, notamment faute de moyens financiers,
elle pourrait être dissoute par l’autorité de
surveillance compétente.
Force est de noter donc l’importance du patrimoine
financier dans la vie d’une fondation et, par voie de
conséquence, sa gestion qui va nous intéresser ici.
Quelles perspectives pour les fondations d’utilité publique ?
Les perspectives de croissance du secteur des
fondations sont bonnes. En 2013, il s’est créé plus
d’une fondation d’utilité publique par jour (381). La
même croissance est observée sur le montant de
Mais l’avenir des fondations doit s’inscrire dans
l’évolution des attentes et préoccupations de leurs
fondateurs. Ceux-ci cherchent de plus en
plus à donner de leur vivant et la pérennité de la
fondation n’est plus toujours une priorité. Ils
peuvent vouloir changer le but de leur fondation
en cours de route. Ils recherchent une certaine
souplesse d’action en même temps qu’un
accompagnement par des professionnels dans
le conseil de leur fondation pour sélectionner les
projets, orienter les investissements et s’assurer
de l’impact de leur action.
On assiste donc à une évolution des stratégies
des fondateurs et à une professionnalisation de
l’action philanthropique.
8
9
10
Nous avons envoyé un questionnaire ciblé à 210
fondations d’utilité publique, auquel 60 d’entre
elles ont accepté de répondre. Après un tri des
réponses complètes et utilisables, 54 question-
naires ont été retenus et exploités dans notre
analyse. Le taux de participation, qui atteint
presque 30%, est significatif.
La grande majorité des répondants assume, au
sein de leur fondation, une fonction de directeur ou
de secrétaire général, voir de membre du conseil.
Les questions relatives à la gestion du patrimoine
sont celles qui ont posé le plus de problèmes.
La technicité liée à la politique d’investissement
décourage encore beaucoup d’acteurs et explique
les réponses partielles ou approximatives dans les
deux parties dédiées aux placements financiers.
Il est intéressant de constater que 60% des répon-
dants sont des fondations récentes créées après
l’an 2000. Nous nous sommes interrogés sur le lien
entre la jeunesse des fondations et leur ouverture
à partager. Peut-être les nouvelles fondations
disposent-elles d’une organisation plus institution-
nelle, qui leur permet de mieux communiquer.
Il faut relever aussi que les missions et les actions
portées par ces fondations sont diverses. Cela
confirme la présence en Romandie d’un bassin
important d’acteurs actifs dans la philanthropie.
Leur contribution est fondamentale à la qualité
sociale (solidaire), culturelle et environnementale
de notre société.
La multiplication des thèmes (3 à 4) au sein
de certaines fondations soulève le risque de
dispersion et de dilution de l’impact.
Cette problématique ne fait pas l’objet d’une
analyse spécifique dans notre rapport, mais elle a
le mérite de rappeler quelques recommandations.
1. S’assurer que les moyens disponibles
(humains et financiers) sont adaptés aux
objectifs
2. Fédérer les fondations avec mission, objectifs
ou champs d’actions similaires
Panel de l’enquête
Un taux de participation significatif et une typologie très variée
La mission de votre institution traite-t-elle des thèmes suivants :
42%
Santé, recherche médicale
45%
Aides sociales
20%
Culture, art ou loisir
25%
Protection de l’enfance
25%
Soutien aux femmes
50%
Education, formation
22%
Aide humanitaire
24%
Protection de l’environnement et de la nature
35%
Autre
30%taux de réponse réjouissant
de près de 30%
11
< 1 mio
9
1 à 5 mios
8
5 à 10 mios
2
10 à 50 mios
14
> 50 mio
12
Capital disponible en CHF
Un panel illustratif
83% des répondants, à savoir 45 fondations, sont
dotés d’un capital. Ce qui correspond parfaitement
à notre cible recherchée pour évaluer les pratiques
de gestion du patrimoine. Les 17% restant sont
constitués de fondations dont le financement est
assuré soit par des flux réguliers provenant des
fondateurs ou d’une entreprise, soit par des appels
de fonds au public.
Parmi les fondations dotées de capital, 58%
disposent d’un montant sous gestion supérieur à
10 millions. Dans ce groupe, 12 annoncent un
montant supérieur à 50 millions, dont certaines
avec un capital de plusieurs centaines de millions.
Par déduction, le montant total géré par notre
échantillon est estimé à près de CHF 3 milliards.
83%des répondants, soit 45
fondations, sont dotés
d’un capital
12
Au rendement du capital de la fondation
Aux flux réguliers assurés par les fondateurs
A l’utilisation du capital
A la recherche régulière de fonds auprès de donateurs
A des co-financements avec d’autres fondations
Autre (veuillez préciser)
54%
37%
28%
26%
20%
26%
Pour le financement de ses projets, votre institution recourt (plusieurs réponses possibles) :
Des ressources financières multiples
Avant d’évaluer l’organisation et les techniques
financières utilisées, voyons comment sont finan-
cées les fondations. Les sources de revenus sont
souvent multiples et ne se limitent pas uniquement
au rendement de la fortune.
sur le rendement de leur fortune.
en partie grâce à leur capital, que ce soit par
la génération d’un rendement régulier ou par
l’utilisation de celui-ci.
multiples de financement qui leur permettent
d’assurer le fonctionnement de la structure et
le financement des projets.
On constate l’émergence de nouvelles manières
de générer du revenu ou de disposer de moyens
financiers supplémentaires. Citons en particulier
le co-financement qui permet de joindre les
forces et les moyens de plusieurs fondations pour
soutenir un projet.
63%des fondations sont financées
en partie grâce à leur capital
13
La bonne gestion d’une institution (appelée aussi
gouvernance) comprend l’ensemble des organes
et règles de décision, d’information et de surveil-
lance qui permettent de respecter les intérêts et
d’entendre les voix des parties concernées dans le
fonctionnement de l’institution.
Cette enquête était importante pour comprendre
l’organisation actuelle des fondations, leur mode
de fonctionnement et le rôle du conseil afin d’esti-
mer le niveau d’adoption des bonnes pratiques.
La diversité ressort comme un facteur récurrent
de notre analyse. L’historique, l’engagement per-
sonnel des fondateurs, la mission poursuivie ainsi
que les moyens à disposition influencent fortement
la structure et la gouvernance de chaque fonda-
tion. Les enjeux liés à la bonne gouvernance et la
volonté de la plupart de fondations d’y adhérer
sont évoqués de manière de plus en plus fréquente,
comme l’expriment ces deux sondés :
compétences variées et complémentaires, avec
la volonté de transparence et de pratiques
éthiques ainsi que le souhait de collaborer avec
d’autres fondations. »
des bonnes pratiques entre autres par : des ateliers
et formations plus accessibles, des possibilités
d’autoévaluation, des interventions de partenaires
externes, la rédaction d’un code ou recommanda-
tions à l’attention des fondations
mixtes également. »
Gouvernance
Fondée en 1980 par le couple Leenaards, la Fondation s’est donné pour mission de stimuler la dynamique créatrice dans l’arc lémanique. Dotée d’un capital d’origine de CHF 325 millions, la Fondation œuvre sous la forme de mécénat et soutient des projets culturels, sociaux et scien-tifiques retenus pour leur caractère novateur, leur qualité et leur ambition d’accompagner les mutations rapides de la société.
La gouvernance de la fondation n’a eu de cesse d’évoluer depuis son origine. En 1996, après le décès de M. Leenaards, le conseil de fondation a mis en place une structure comprenant des commissions par domaine d’activité, dont une commission financière indépendante. Des règles de fonctionnement plus précises du conseil ont été établies (clauses d’incompatibilité, principe de récusation, etc.).
Depuis, la structure a continué d’évoluer avec une préoccupation d’adapter le fonctionnement et les directives aux nouvelles exigences du secteur. Dès 2013, le nouveau président et le directeur poursuivent dans cette direction et œuvrent pour l’adoption des meilleures pratiques, en s’inspirant entre autres du code de gouvernance de la « Swiss Foundation ».
L’organisation très structurée de la Fondation
Leenaards lui confère un aspect unique. Elle est
dotée d’un conseil de fondation, d’une équipe de
direction et de quatre commissions (finances,
sociale, scientifique et culturelle).
Comment expliquer cette évolution vers une
gouvernance forte ?
La Fondation Leenaards a explicité sa vision
stratégique. De son rôle traditionnel d’acteur
philanthropique, elle évolue vers une responsabi-
lité plus large d’investisseur social, qui souhaite
accompagner des mutations de la société avec
l’ambition d’en évaluer les résultats concrets.
Pour ce faire, l’institution doit disposer du bon
savoir au bon niveau. La présence de compétences
fortes est une nécessité, tant au niveau du conseil
et des commissions qu’au niveau de la direction.
Une bonne gouvernance ne garantit pas un
résultat, mais une mauvaise gouvernance rend la
réalisation de la mission quasiment impossible.
C’est une condition de base.
Entretien avec Peter Brey, Directeur de la Fondation LeenaardsSur les bonnes pratiques en matière de gouvernance
14
Quel a été le moteur de cette démarche ?
L’évolution s’est faite dans la continuité. De par sa
taille et son rayonnement régional, la Fondation
Leenaards a développé une culture de bonne gou-
vernance qui lui assure une véritable indépendance
(politique et thématique) et renforce sa crédibilité.
Cela fait partie de son ADN.
Nous avons établi des règles précises qui défi-
nissent les rôles et les responsabilités entre le
stratégique (conseil de fondation) et l’opérationnel
(commissions et direction). Ces mécanismes en
place sont essentiels pour assurer une collabora-
tion efficace avec d’autres partenaires, anticiper et
gérer les conflits d’intérêt et assurer une utilisation
optimale des ressources (humaines, financières
ou techniques).
Comment trouver les bons profils pour
gérer la relève ?
Grâce à la qualité et l’impact de ses programmes
ainsi qu’à sa réputation, la fondation bénéficie du
soutien et de l’apport de compétences de près de
40 personnes actives dans divers organes
ou commissions.
La présidence de chaque commission est assurée
par un membre du conseil de fondation, ce qui
assure une fluidité de l’information et de la prise de
décisions. Les clauses de limite d’âge et de durée
des mandats qui figurent dans les statuts obligent
la fondation à se préoccuper régulièrement du
renouvellement de ses organes.
La commission des finances regroupe de
nombreux experts : quel est leur rôle et leur marge
de manœuvre ?
La volonté d’organiser une commission financière
existe depuis longtemps. Elle s’est concrétisée en
1996 et s’est fortement professionnalisée depuis.
Dans le cadre stratégique donné par le conseil,
la responsabilité de l‘allocation tactique est
assumée par la commission finances qui se réunit
6 à 8 fois par an.
Cette commission est composée de membres très
qualifiés et disposant d’une longue expérience dans
le domaine de l’investissement. Cela dit, il n’y a pas
de volonté d’internaliser la gestion. Les mandats,
en général par type d’instrument financier, sont
confiés à l’externe. Le choix des gestionnaires
répond à des critères de sélection précis et est
conforme au règlement d’investissement. La règle
d’or reste la diversification qui limite la concentra-
tion des risques et évite les conflits d’intérêt.
Quels enseignements retenir de ce mode d’organi-
sation et partager avec vos pairs ?
Un système structuré permet aux membres du
conseil de se concentrer sur les enjeux et les
réflexions stratégiques et aux membres des
commissions de se concentrer sur les questions
thématiques. L’inconvénient c’est qu’une action
plus stratégique requiert de leur part un engage-
ment sur la durée et un contact régulier avec la
direction. Celle-ci se doit d’être professionnelle.
Sa responsabilité première est de faire fonctionner
cette organisation assez complexe en gardant la
vision globale et d’agir comme force de proposition
en assurant la cohérence de l’ensemble. Son rôle
se rapproche de celui de chef d’orchestre.
Votre conclusion ?
Une bonne gouvernance est un postulat de base
pour assurer le bon fonctionnement d’une orga-
nisation. Une démarche d’introspection permet
au conseil de fondation de se poser les bonnes
questions et l’aide à définir la forme de gouver-
nance la plus appropriée en fonction des objectifs
et moyens à disposition. Les crises de gouvernance
sont plutôt la règle que l’exception dans notre
secteur il est donc important d’anticiper !
la règle que l’exception dans notre secteur, il
est donc important d’anticiper ! »
15
Organisation opérationnelle
opérationnel (le) ou d’un secrétaire général, un rôle
essentiel pour assurer la gestion opérationnelle
et le suivi des programmes, ainsi que d’alléger
l’activité du conseil qui peut se concentrer sur les
questions stratégiques.
L’absence de cette fonction n’est pas forcément
liée à la taille ni au patrimoine sous gestion,
mais dépend de l’histoire ou de la mission de la
fondation. Cette fonction est souvent inexistante,
lorsque le fondateur (ou autres membres de la
famille) est présent et engagé personnellement.
Une autre raison peut être la collaboration avec
d’autres institutions et les opportunités de syner-
gies sur des projets.
La présence d’un directeur financier est plutôt une
exception, puisque seules 22% des fondations ont
pourvu cette fonction. Ce poste existe principale-
ment dans les fondations importantes dotées d’un
capital supérieur à CHF 10 millions ou disposant de
flux financiers récurrents.
Relevons la très grande variété des fondations
dans la manière de s’organiser opérationnellement.
Il y a peu de corrélation entre la taille du patri-
moine et le nombre d’employés, de bénévoles ou
de membres du conseil de fondation. Ceci reflète la
variété des institutions qui justifie l’organisation et
le type de financement de chacune.
12
41
39
12
Vorte organisation dispose-telle ?
secrétaire général ?
D’un directeur financier ?
oui
non
78%des fondations disposent
d’un directeur ou
d’un secrétaire général
16
Composition du conseil de fondation
Organe-clé de l’organisation, le conseil de fonda-
tion joue un rôle fondamental dans le fonctionne-
ment et la pérennité de la fondation.
A l’exception de trois fondations, l’ensemble des
répondants ont un conseil de fondation constitué
au minimum de 3 personnes. 53% indiquent
disposer d’un conseil de fondation avec 4 à
7 membres et 27% déclarent un nombre de
membres supérieur à 8.
Les fondations disposant d’un conseil de fondation
important (supérieur à 8 membres) sont principale-
ment de grandes fondations (70% des cas), dotées
d’un capital de plus de 10 millions. Celles-ci ont
besoin d’une répartition claire des rôles et respon-
sabilités. Ceci dit, les fondations fortement
dotées ne bénéficient pas systématiquement d’un
conseil nombreux.
Indépendamment de la taille, chez 66% des
répondants, le conseil se réunit deux à quatre
fois par an.
Les professions les plus représentées dans les
conseils de fondation sont les experts légaux
(avocats ou juristes) et financiers (banquiers ou
comptables). Leurs compétences semblent être
essentielles au bon fonctionnement et au suivi
juridique de l’institution. On peut toutefois s’inter-
roger sur leur surreprésentation qui s’élève à près
diversification des compétences et de potentiels
conflits d’intérêts. (Voir l’entretien avec Bernard
A l’inverse, on peut s’étonner de la faible présence
d’experts scientifiques ou de représentants issus
de l’univers des ONG, alors que nombres d’objectifs
poursuivis par ces fondations concernent ces
domaines. Ce constat est pondéré dans certaines
réponses par la présence d’autres professions
indépendantes comme des médecins, des
conseillers en philanthropie, des entrepreneurs
ou des artistes.
Banquier ou expert financier
Avocat ou juriste
Comptable ou fiduciaire
Représentant d’ONG (actuel ou ancien)
Expert scientifique
Politicien (actuel ou ancien)
Autre (veuillez préciser)
Quelles professions sont représentées dans votre conseil de fondation ? (plusieurs réponses possibles)
66%
68%
28%
25%
23%
17%
64%
66%des sondés ont un conseil
qui se réunit deux à quatre
fois par an
17
Délégation des tâches
Pour une large proportion (43%), le conseil de fondation assume et gère la plupart des tâches relatives à
la gestion de la fondation. En effet, 23 fondations indiquent ne rien déléguer.
Les tâches déléguées sont celles qui font appel à une expertise particulière, comme la gestion du
patrimoine, la sélection et gestion de projet ou le comité scientifique. Il paraît naturel de rechercher des
spécialistes pour ces domaines techniques et, dans certains cas, d’externaliser ces rôles.
Une large majorité (73%) dispose d’équipes internes ou de bénévoles qui soutiennent le conseil dans la
gestion et le suivi de ces activités.
Niveau de satisfaction
Malgré la charge de travail qui incombe à certains conseils, le sentiment général quant au fonctionnement
du conseil de fondation est relativement positif. L’organisation semble adaptée à l’institution, les rôles bien
définis et les tâches efficacement réparties.
La grande majorité des répondants (69%) exprime une satisfaction totale. Quelques-uns (25%)
reconnaissent la nécessité d’améliorer certains aspects. Seules trois fondations expriment une
insatisfaction, due à une situation particulière comme une transformation ou une réorganisation.
Le conseil de fondation a-t-il délégué certaines tâches à des comités ou commissions ad hoc ?
Fonctionnement approprié du conseil de fondation
Aucune
Gestion du patrimoine
Sélection et gestion de projets
Recherche de fonds
Autre (veuillez préciser)
36%
43%
26%
13%
21%
69% Entièrement d’accord
25% Partiellement d’accord
6% Pas d’accord
27%des fondations ne disposent
pas d’ une équipe interne ou
de bénévoles
18
Ces résultats très encourageants concernant la
gouvernance sont pourtant en contradiction par-
tielle avec les préoccupations d’avenir exprimées
par les sondés. En effet, nombre d’entre eux juge
nécessaire une amélioration de la gouvernance.
La majorité des répondants (50%) estime que
la composition des conseils de fondation est
un thème de haute importance qui devrait être
amélioré en priorité.
La question des conflits d’intérêt ressort éga-
lement comme méritant toute l’attention des
conseils pour 50% des répondants. On relève une
dichotomie entre l’analyse de sa propre fondation
et les enjeux du secteur.
La gouvernance va devenir un enjeu important
Entretien avec Bernard Vischer, avocat, associé Schellenberg WittmerSur la gouvernance, la transparence et le conflit d’intérêts
Le sondage révèle que 35 fondations sur 36
estiment que l’organisation de la gestion du
patrimoine ne présente pas (ou pas vraiment)
de conflit d’intérêts.
Est-ce à dire que la problématique des conflits
d’intérêts concerne peu les fondations ?
Les situations de conflit d’intérêts peuvent être
diverses et variées. Il est difficile d’appréhender la
problématique de manière générale et abstraite.
Le droit suisse des fondations ne prévoit pas
de règles détaillées traitant des conflits. Ce ne
sont que les cas évidents de poursuite d’un
intérêt personnel par un membre du conseil au
détriment de la fondation qui pourront engager
la responsabilité des membres du conseil au
titre d’une violation de leur devoir de loyauté de
mandataire (art. 398 al. 2 CO).
Ainsi, la loi n’empêche en principe pas une
fondation de confier la gestion de son patrimoine à
la banque (de bonne réputation et performante)
où travaille le banquier qui met (bénévolement) ses
compétences au service de la fondation.
Pourtant, il s’agit bien d’une situation de conflit
d’intérêts, potentiellement dommageable. Le
conseil devrait donc à tout le moins avoir pris la
décision en connaissance de cause et s’être
assuré qu’elle est bien dans le meilleur intérêt de
la fondation.
Le risque de laisser l’intérêt particulier d’un
membre du conseil prévaloir sur le meilleur intérêt
de la fondation est accentué par le fait qu’une
fondation n’a pas d’organe qui surveille l’activité
du conseil de fondation en opportunité ;
l’autorité de surveillance ne contrôle que la légalité
de la gestion.
Quels sont, selon vous, les thèmes à améliorer en priorité dans le fonctionnement des fondations concernant la Gouvernance ?
Très important
Neutre
Pas important
Composition du conseil de fondation
Organisation du conseil de fondation
Gestion des conflits intérêts
50%estiment que la composition
des conseils de fondation
est un thème de haute
importance
Nombre de réponses
19
De plus, les membres d’un conseil de fondation
auront une tendance naturelle à considérer que
les intérêts qui peuvent paraître opposés vus de
l’extérieur sont en réalité convergents.
Comment alors prévenir les conflits d’intérêts ?
Au vu de l’impact négatif que les conflits d’intérêts
peuvent avoir sur les résultats de la gestion
financière, sur l’action et sur la réputation d’une
fondation, il faut prévoir la manière de les identifier
et de les gérer.
Les principales mesures envisageables, sont les
suivantes, comme l’illustre la recommandation 11
du Swiss Foundation Code de 2009 :
permanent, la personne concernée renonce à
faire partie du conseil de fondation.
− La personne concernée signale le conflit
d’intérêts. Cette information est nécessaire
même si la personne concernée se récuse.
− Elle se récuse au moment de la décision
et, selon les cas, ne participe même pas
à la discussion.
− Le conseil de fondation procède à un
appel d’offre et documente les motifs
de la décision.
Une règlementation des conflits d’intérêts vous
paraît-elle nécessaire ?
Dans le cas d’une fondation, la gestion des conflits
d’intérêts est avant tout basée sur l’adoption,
sur une base volontaire, de règles claires par le
fondateur ou le conseil de fondation ; ensuite
c’est une affaire de discipline individuelle des
membres du conseil de fondation.
Anticiper les situations de conflit d’intérêts par une
réglementation interne adéquate permet de
fixer les standards de manière objective, à tête
reposée, et met les membres du conseil de
fondation devant leurs responsabilités lorsqu’ils se
retrouvent effectivement dans une situation
de conflit d’intérêts.
C’est une chance pour les fondations suisses
de pouvoir adopter des règles adaptées à leurs
situations spécifiques, sans cadre légal trop
contraignant, mais il convient qu’elles la saisissent.
auront une tendance naturelle à considérer que
les intérêts qui peuvent paraître opposés vus
de l’extérieur sont en réalité convergents. »
20
L’objectif d’une fondation donatrice est la poursuite de son but en préservant durablement l’équilibre financier. Ce principe devrait être pris en compte au mieux dans la gestion du patrimoine 10.
Tributaire de la complexité des marchés financiers,
la gestion de patrimoine requiert des compétences
et des ressources toujours plus importantes. La
stratégie de placement est définie à l’aune des
objectifs de rendement, des risques assumés ainsi
que des contraintes éthiques de la fondation.
Le choix d’éventuels prestataires externes pourrait
également être pris en considération. La gestion de
patrimoine s’inscrit dans un processus dynamique,
qui demande à être revu régulièrement, en prenant
compte de l’évolution de la situation spécifique à la
fondation ainsi que des conditions du marché.
Gestion du patrimoine
Pour une fondation, quels sont les enjeux liés à
gestion du patrimoine ?
Avant toute démarche liée à la gestion du patri-
moine, je conseille aux fondations d’établir leur
profil financier, à savoir une cartographie de leurs
besoins relativement à leurs moyens.
Il faut d’abord définir l’horizon de temps et le mode
de fonctionnement : la nature de la fondation, selon
qu’elle se projette dans une durée de vie
permanente ou limitée dans le temps, détermine
sa stratégie financière. La couverture de ses
coûts de fonctionnement influence également
ses besoins. Est-ce une fondation donatrice
ou opérationnelle ? Doit-elle intégrer les coûts
de fonctionnement dans son budget annuel et
dégager un revenu stable ?
Enfin, la typologie du financement des pro-
grammes est aussi déterminante. Est-ce que
la fondation gère et organise seule ses
programmes ? Ou recherche-t-elle du cofinance-
ment, des partenaires financiers ?
Ensuite, il faut évaluer la nature du capital et des
ressources disponibles : il est nécessaire d’évaluer
les moyens financiers dont dispose la fondation.
Si elle bénéficie d’un capital, de quoi ce dernier
est-il constitué ? De valeurs mobilières (actions ou
obligations) ? D’un parc immobilier ? De brevets ?
La fondation peut-elle compter sur des flux
réguliers du fondateur ou d’une entreprise ? Les
réponses permettent de mettre en perspective
les mécanismes de revenus en fonction des flux
ainsi que les ressources financières dont dispose
la fondation.
Une fois cette cartographie établie, le trésorier
peut préparer pour le conseil de fondation un plan
de financement à long terme qui tient compte des
éléments suivants :
- Rendement attendu : assurer une régularité des
revenus en fonction de la nature du capital.
- Profil de risque : évaluer la stabilité et prévisibi-
lité des rendements en fonction de leur nature
(actions, obligations, immobilier, royalties, etc.).
- Internalisation ou externalisation de la gestion :
définir la capacité existante de la fondation
de gérer ses ressources financières, ou la
nécessité d’acquérir cette compétence, ou de
gestionnaires ou banques).
Les conseils de fondation sont-ils assez conscients
des choix à consentir entre stabilité du rendement
et prise de risque ?
La vraie question à se poser est de savoir si les
actifs disponibles aujourd’hui sont adaptés aux
ambitions de la fondation.
Dans l’environnent économique actuel de taux bas
et de rendement faible, il peut s’avérer nécessaire
de sortir des placements classiques. Il est
possible de rechercher de nouvelles sources de
rendement en sélectionnant des classes d’actifs
Entretien avec Didier Cherpitel de la Fondation Mérieux et de la Swiss Philanthropy FoundationSur les enjeux de la gestion du patrimoine pour une fondation et le partage d’expériences
10 Référence Swiss Foundation 2012
actifs disponibles aujourd’hui sont adaptés aux
ambitions de la fondation. »
21
plus atypiques, souvent moins liquides
(p.ex. le private equity ou produits structurés), ou
en investissant dans des régions périphériques
(ex : pays émergents).
Le conseil de fondation prend alors des risques
supplémentaires, qu’il doit bien comprendre et
évaluer correctement.
Quelle influence peut avoir la taille de la fondation
sur la gestion ?
La taille de la fondation influence directement le
style de gestion à adopter et le niveau de risque à
assumer. De manière simplifiée, je dirais que les
petites fondations dotées de moins de CHF 50
millions doivent opter pour une gestion prudente et
plutôt conservatrice.
Leur marge de manœuvre est modeste et limite
les possibilités de choix dans l’allocation.
Une délégation de la gestion à l’externe semble
généralement plus appropriée.
Les fondations plus importantes dont la taille du
capital est supérieure à CHF 50 millions disposent
d’une plus grande marge de manœuvre. Elles
peuvent consentir à des investissements plus
complexes, voire plus risqués.
Pour certaines, il est possible d’envisager une
internalisation de la gestion si les compétences
sont disponibles. Néanmoins, l’appui d’un
expert externe pour des choix plus techniques
devrait être envisagé.
Quels seraient les compromis à faire et à ne pas
faire en termes de gestion ?
Idéalement – pour assurer une gestion pérenne
de la fondation grâce à son capital – on recom-
mande une consommation maximale de la
fortune de 3% à 4% par an. Cette règle peut faire
exception lors du démarrage ou d’une période de
transformation. Des compromis financiers peuvent
alors se justifier. Ces situations particulières
exigent en effet des investissements importants
en termes de personnel, de technologie (IT) ou
de déplacements.
Par contre, il y a des compromis qu’il ne faut pas
faire, au risque de mettre en danger la viabilité
de la fondation : une consommation immédiate et
conséquente du capital supérieure à 20% lors de
la création de la fondation, par exemple. Le capital
ainsi dépensé n’est plus suffisant pour assurer les
revenus récurrents nécessaires. Il faut éviter de
mettre tous les œufs dans le même panier en ne
choisissant qu’un seul gestionnaire ou en n’inves-
tissant que dans une seule classe d’actifs (p.ex.
uniquement en actions). La diversification est le
mot-clé pour la pérennité.
Un débat doit avoir lieu au sein du conseil pour
déterminer la ligne de conduite financière
en fonction des objectifs de la fondation, de
sa stratégie, de ses partenaires (ou non) et
de la taille de son capital ou sa fortune.
Prévisibilité rime avec pérennité !
22
Gestion du patrimoine : organisation
Si l’objectif de la fondation est de poursuivre son
but à long terme grâce au rendement de son
capital, celle-ci doit se préoccuper de la gestion du
patrimoine. L’implication du conseil de fondation
et le temps qu’il y consacre dépendent directement
des compétences à disposition.
Pour 53% des fondations, le temps consacré par
le conseil de fondation au suivi de la gestion du
patrimoine est très modeste (10% du temps).
A l’opposé, 13% des fondations consacrent
plus de 25% de leur temps à ce suivi. Ce sont
essentiellement des fondations dotées d’un capital
important (plus de 10 millions). En revanche, le
nombre de membres au Conseil n’a pas d’influence
directe sur le temps consacré.
On constate une répartition assez claire des
responsabilités entre la réflexion stratégique
(règlements et principes de placement et alloca-
tion stratégique) et la gestion opérationnelle.
La responsabilité stratégique est largement assu-
mée par le conseil de fondation. Elle comprend la
définition du règlement, la stratégie de placement,
la sélection des gestionnaires externes et la revue
de l’activité de placement.
La gestion opérationnelle est, quant à elle, majori-
tairement déléguée à la direction ou comité ad hoc,
voire externalisée.
Lors des séances du conseil de fondation, quel pourcentage du temps est consacré au suivi de la gestion du patrimoine ?
Qui du conseil de fondation, du comité, de la direction, ou d’une ressource externe est responsable des tâches suivantes ?
< 10%
10 - 25%
> 25%
Conseil
Direction
Conseiller externe
Rédaction du règlement de placement
Définition de la stratégie de placement
Fixation d’indices de référence
Sélection des gestionnaires de fortune (mandat ou fonds)
Revue de l’activité de placement
10%c’est le temps moyen
consacré à la gestion
du patrimoine
Nombre de réponses
23
Gestion du patrimoine : délégation
Les activités opérationnelles de gestion, qui
comprennent les transactions et le suivi des
portefeuilles, sont partiellement ou totalement
déléguées à l’externe. Sur les 45 fondations
dotées en capital, 33 ont entièrement délégué
cette tâche, 12 s’appuient aussi sur des ressources
internes et 2 ont entièrement internalisé la gestion.
En toute logique, ce sont principalement des fon-
dations disposant d’un capital de plus de CHF 10
millions qui disposent de compétences financières
internes. A l’inverse, il est intéressant de constater
que les fondations plus modestes n’utilisent pas
leurs forces vives pour l’activité de gestion. Ces
dernières font le choix de solliciter des experts
externes pour la mise en œuvre opérationnelle.
Dans le choix des prestataires pour leurs inves-
tissements, les très grandes fondations dotées
de plus de 50 millions privilégient la collaboration
avec des institutions bancaires. Les fondations de
taille moyenne octroient des mandats aussi bien
aux banques qu’à des tiers gérants.
La gestion du patrimoine est assumée opérationnellement par (plusieurs réponses possibles) :
Collaborateur(s) interne(s) - membres du conseil de fondation, du comité ou de la direction 1 à 3 mandats
> 3 mandats
Nombre de réponses
24
Gestion du patrimoine : critères de sélection
Si la délégation d’une partie ou de la totalité de la
gestion se justifie pour optimiser les ressources et
donner accès à des compétences spécifiques, elle
nécessite cependant une attention et une diligence
particulières. Les critères prioritaires dans le choix
des prestataires externes sont :
(notamment liée aux frais de gestion)
La performance historique, sans être primordiale,
ressort presque unanimement comme un
facteur important. Parmi les critères considérés
comme secondaires, citons l’innovation
(offre originale, offre durable, etc.), la taille de
l’institution et la présence locale. Ces résultats
sont en ligne avec les préoccupations actuelles
des investisseurs qui souhaitent de la performance
mais pas à n’importe quelles conditions.
Pouvez-vous hiérarchiser les critères principaux utilisés pour sa sélection ?
Indépendance - absence conflit d’intérêt
Expertise spécifique - compétence
Offre d’investissement durable - éthique
Service - conseil
Frais de gestion - transparence
Intégrité - réputation
Reporting - documentation
Présence locale - proximité
Performance financière historique
Taille institution financière
Innovation - originalité offre
Très important
Important
Peu important
Nombre de réponses
25
Gestion du patrimoine : objectifs de gestion
Interrogés sur leurs priorités concernant la
gestion du patrimoine, 55% des sondés citent la
protection du capital comme une priorité. Didier
que la gestion du patrimoine doit être le résultat
d’une analyse des besoins relativement aux
moyens de la fondation ainsi que de ses objectifs.
La conservation du patrimoine est particulière-
ment critique pour les petites fondations dotées de
moins de 5 millions. Est-ce une question de survie ?
On constate ici les limites du modèle du finance-
ment par le rendement du capital au-dessous d’un
certain seuil.
L’objectif de rendement absolu, à savoir un
rendement régulier et stable, semble concerner
principalement les très grandes fondations dotées
de plus de 50 millions, qui dépendent de la régula-
rité des flux financiers provenant des placements
pour assurer le fonctionnement de la fondation.
Quant à l’objectif de rendement relatif (comparé
à un indice de référence), cette pratique n’est
pas étendue dans le secteur des fondations mais
elle est coutumière des grands investisseurs
institutionnels. Il n’y a que 37% des répondants qui
utilisent cette mesure et la taille ne semble pas
jouer un rôle déterminant dans ce choix.
Relevons enfin que 34% des répondants imposent
des critères éthiques à leurs gérants, comme
par exemple l’exclusion de secteurs sensibles
(tabac ou armement), de certaines classes
d’investissement controversés (hedge funds,
produits structurés).
Ces résultats expriment un certain conservatisme
qui prévaut dans le secteur à l’égard de la gestion
du patrimoine. Cette volonté claire de protection
du capital se traduit par une aversion au risque,
ce qui explique peut-être la faible propension pour
des approches de gestion innovantes et originales.
Pourtant, dans le contexte actuel de rendement
extrêmement bas, rares sont les fondations qui ont
revu leurs objectifs à la baisse ou augmenté leur
profil de risque. Il en va pourtant de la pérennité
de la fondation de régulièrement remettre en
perspective les besoins relativement aux moyens.
Quels sont les deux principaux objectifs donnés à votre (vos) gérant(s) :
Assurer un rendement absolu
Protéger le capital - patrimoine
Respecter des directives éthiques
Budget de risque maximum
55%
37%
34%
18%
Je ne sais pas
5%
8%
34%imposent des critères
éthiques à leurs gérants
Autre (veuillez préciser)
18%
26
Philosophie d’investissement
Cette prudence se reflète logiquement dans
l’allocation d’actifs, où les profils des placements
sont généralement balancés. Les institutions les
plus agressives, dont le pourcentage en actions
dépasse 45%, sont celles qui sont le moins dépen-
dantes de la régularité des revenus. Certaines
bénéficient de flux additionnels des fondateurs,
d’autres ont décidé d’utiliser en partie le capital, ou
ont opté pour des solutions innovantes en partici-
pant, par exemple, au cofinancement de projets.
On observe que 52% des sondés privilégient une
approche active pour la gestion des actions, tandis
La poche obligataire est quand à elle gérée de
manière passive pour 50% des répondants et de
manière active pour 42%.
L’utilisation de véhicules de placement collectif est
relativement importante : ils sont présents dans
70% des portefeuilles. Dans 42% des cas, ils sont
complétés par des lignes directes.
Quelle philosophie d’investissement appliquez-vous à la gestion ?
Mixte
Approche active
Approche passive (réplication d’indice de marché)
Action
Obligation
Je ne sais pas
La stratégie de placement est principalement mise en oeuvre par :
42% Fonds de placements
25% Lignes directes
42% Mixte
6% Je ne sais pas
70%L’utilisation de véhicules
de placement collectif est
importante : ils sont présents
dans 70% des portefeuilles
Nombre de réponses
27
Niveau de satisfaction et perspectives
Une très large majorité des fondations interrogées
exprime une grande satisfaction de la gestion du
patrimoine de leur propre organisation. Seules trois
réponses évoquent le problème de la transparence
des frais de gestion.
Cette satisfaction quasi unanime peut toutefois
surprendre au vu de la faible fréquence de revue
des prestataires. En effet, seule une fondation
sur deux procède de manière systématique à une
évaluation annuelle des performances et presta-
Conscients de la complexification des enjeux liés
à la gestion de fortune, les sondés expriment cer-
taines inquiétudes pour l’avenir. Pour une majorité
d’entre eux, il faut améliorer le professionnalisme
et la transparence notamment autour du cumul
des frais de gestion.
Mixte
Approche active
Approche passive (réplication d’indice de marché)
53% Oui
47% Non
Pouvez-vous indiquer s’il existe un processus systématique de revue/évaluation des gestionnaires ?
Si vous deviez évaluer la mise en œuvre de la gestion du patrimoine de votre institution vous diriez qu’elle est :
Entièrement d’accord
Partiellement d’accord
Partiellement en désaccord
Pas d’accord
53%procèdent à une revue
systématique
des gestionnaires
Nombre de réponses
28
Entretien avec Olivier Baudry, Membre du Management Committee Région Suisse, Banque Julius BaerSur le rôle des banques et des gestionnaires à l’ère de la transparence
Le secteur financier fait face à une nouvelle donne :
les clients et les régulateurs exigent plus de
transparence, d’intégrité et une meilleure gestion
des conflits d’intérêts.
pour répondre à ces nouvelles exigences ?
La crise financière de 2008 et ses conséquences
(la faiblesse de la croissance économique et
l’endettement des pays industrialisés) ont touché
l’ensemble du secteur financier et de ce fait la
banque privée suisse. Ceci a suscité une vague de
changement et de transparence.
Certaines banques ont disparu, d’autres ont été
ébranlées ou ont dû revoir leur modèle d’affaire.
Les rétrocessions des fonds, importantes sources
de profit pour le secteur financier, ont été rendues
transparentes (ou créditées au client final).
L’approche en architecture ouverte (conseil en
investissement des meilleurs produits du mar-
ché versus les produits internes), en constante
croissance depuis lors, permet de minimiser les
conflits d’intérêts.
Ce modèle, qui est celui de notre établissement,
a gagné en maturité et répond aux demandes
de transparence, de qualité et de rendement
de la clientèle.
Face à ces nouvelles donnes, quelles banques
vont réussir à s’adapter et quelles banques
vont échouer ?
Une des clés de la survie consiste probablement
à tirer profit des marchés où se crée la richesse
comme les pays émergents.
Les banques devront également pouvoir répondre
aux plus jeunes générations via les dernières
solutions digitales.
De plus, les banques ne doivent également plus
s’attendre à ce que les clients viennent a elles
mais à aller les servir directement dans leur pays
de résidence (on shore).
Enfin, dans le domaine qui nous intéresse, les
banques devront intégrer dans leur processus
d’investissement les aspects environnementaux,
sociaux et de gouvernance (ESG) de manière
plus structurée.
Ces évolutions auront des incidences importantes
sur la transparence, la traçabilité et la protection
des consommateurs.
Quels sont, selon vous, les thèmes à améliorer en priorité dans le fonctionnement des fondations concernant la gestion du patrimoine ?
Diversification
Gestion en accord avec la mission (MRI)
Transparence
Professionnalisation
Très important
Neutre
Pas important
Nombre de réponses
29
Les fondations se trouvent-elles aussi à un période
charnière et seront-elles le moteur d’un change-
ment au travers d’une gestion plus transparente
et responsable ?
La Suisse a une longue tradition philanthropique,
notamment grâce à un environnement juridique
porteur. La Suisse héberge un grand nombre d’ONG
et d’organisations internationales et, de ce fait, est
toute indiquée pour définir les tendances en
la matière. La diversité et la taille des fondations
ont généré un environnement hétéroclite et
parfois opaque.
Seules les grandes fondations sont obligatoire-
ment auditées et l’obligation de communication de
leurs données-clés est minime. J’ajouterai encore
que dans la pratique, nous observons un bon
nombre de fondations contrôlées par des banques,
avocats ou fiduciaires.
Donc, oui, les fondations Suisse pourraient
montrer l’exemple, mais leur environnement doit
encore passablement évoluer pour arriver
à l’objectif souhaité.
Comment le secteur financier peut-il accompa-
gner les fondations qui seraient particulièrement
sensibles à ces aspects ?
Cela fait déjà de nombreuses années,
que des acteurs financiers ont développé des
initiatives dans le domaine philanthropique
et intègrent de plus en plus les préoccupations
sociales et environnementales dans leur
stratégie d’investissement.
De nombreux établissements actifs dans le
domaine philanthropique, tels Julius Baer, ont
ainsi une compréhension approfondie des besoins
spécifiques du secteur et proposent une politique
d’investissement responsable et durable. Certaines
banques ont également développé des outils,
services et équipes spécialisées pour répondre aux
besoins de leurs clients.
Grâce à cette tendance, le secteur financier
est à même d’informer et d’accompagner les
fondations pour leur permettre d’harmoniser
leur gestion et leur préoccupations tout en
visant la rentabilité souhaitée.
Cette prise de conscience ainsi que la notion de
transparence et d’équité sont dorénavant des cri-
tères essentiels dans le soutien que nous pouvons
leur apporter.
Quelle place pour le dialogue et l’échange de
bonnes pratiques ?
Dans le monde des affaires, l’objectif consiste à
augmenter le profit. Dans le domaine philanthro-
pique, la création de valeur se mesure plutôt dans
le changement qui a pu être généré afin d’augmen-
ter l’impact social.
Le dialogue et l’échange de bonnes pratiques est
donc crucial car c’est le moteur de tout change-
ment, quel que soit le secteur d’activité.
Le déploiement de ces bonnes pratiques devrait
permettre aux fondations d’être toujours plus
professionnelles ce qui n’enlèvera en aucun cas les
élans du cœur mais en augmentera encore
les effets.
d’investissement les aspects environnementaux,
sociaux et de gouvernance (ESG) de manière
plus structurée. »
30
Les investissements consentis par une fondation peuvent renforcer l’impact positif de sa mission ou, à l’inverse, aller à l’encontre des buts poursuivis. Il existe aujourd’hui des outils ou des styles de gestion permettant d’intégrer les enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG12) dans les décisions d’investissement.
Gestion du patrimoine en accord avec la mission - MRI 11
La notion de gestion en accord avec la mission
(Mission-Related Investment -MRI) s’est large-
ment répandue auprès des fondations ces cinq der-
nières années. Ce concept, reconnu et soutenu par
a publié plusieurs ouvrages sur le sujet), séduit par
la possibilité d’appliquer des principes éthiques
et à la gestion du patrimoine.
Cette approche soutient l’objectif premier de la
fondation en renforçant son impact et en assurant
une cohérence à l’ensemble de la démarche, d’où
l’intérêt suscité auprès des fondations.
L’investissement responsable (IR), qui englobe la
notion d’investissement en accord avec la mission
(MRI), peut s’exprimer de multiples façons. En
qualité d’expert, la société Conser a établi un pano-
rama des diverses approches qui sont accessibles
à la plupart des investisseurs, et contribuent de
manière complémentaire et positive au finance-
ment d’une économie équitable et durable.
Voici ce qu’ont exprimé deux sondés :
pour décider des soutiens accordés. Autant la
politique d’investissement doit disposer d’une
vision à moyen et long terme et être en adéquation
avec sa mission (but). »
plus professionnelles et éthiques dans la gestion
l’impact d’un investissement financier; meilleures
stratégies MRI. »
Impact investingthème, micro finance, etc.
Dialogue - Engagementactivisme, proxy voting, etc.
ESGenvironement, social & gouvernance,
best-in-class, intégration, etc.
Exclusions
exclusion éthique
impact
impact ++ style objectif
innovation
influence
promotion
protection
Solutions d’investissement13
11MRI – Mission-Related Investment
12ESG – Environnement, Social & Gouvernance
13 Source : Conser
31
La Fondation Hahnloser est engagée depuis long-temps dans une transformation en profondeur de la société par le biais de l’association Initiatives et Changement (I&C) qu’elle soutient exclusivement. Elle œuvre en priorité sur le lien entre le change-ment individuel et le changement politique et social et vise à inspirer, soutenir et équiper chacun pour qu’il puisse contribuer à la construction d’un monde juste, pacifique et durable.
La fondation a été créée en 1964, à Lucerne, par
la veuve et les enfants de l’entrepreneur Robert
Hahnloser, l’un des pionniers de Caux. Dotée à
l’origine d’un capital de CHF 100’000, elle bénéficie
aujourd’hui d’avoirs supérieurs à CHF 10 millions.
Cette fortune est actuellement investie principale-
ment en immobilier et en valeurs mobilières.
La personnalité de Monsieur Zemp, ancien
conseiller d’Etat de Lucerne en charge des
finances et président de la fondation de 1980 à
2009, a fortement marqué le style de la Fondation
et son développement. Assurer la continuité et
viser la pérennité de la fondation sur le long terme
constituent un défi et une opportunité pour
l’équipe actuelle. La gestion de la succession s’est
traduite par une réflexion et une révision
profonde de l’organisation.
Comment préparez-vous la succession de
la présidence ?
Une relève se prépare de longe date. Avant d’iden-
tifier des candidats potentiels, il faut s’assurer
que l’organisation est apte à accueillir la relève, en
allégeant notamment la charge du Président.
En ce qui concerne la fondation Hahnloser, une
réelle transformation de l’organisation a été initiée
ces dernières années pour s’adapter à son
nouveau fonctionnement.
Comment votre fondation est-elle aujourd’hui
organisée ?
Historiquement, la fonction de Président s’accom-
pagnait d’importantes charges opérationnelles.
Les processus ont été redéfinis et la gouvernance
simplifiée. Le conseil remplit aujourd’hui les tâches
du comité exécutif. La structure est désormais
plus claire et chaque membre supervise une
activité en particulier (gestion des projets et
programmes, suivi des placements et investis-
sements, etc.). Parallèlement, une secrétaire
générale a été nommée pour s’occuper de la
gestion opérationnelle. Conscient des limites du
bénévolat, notre Conseil s’est doté d’une ressource
rémunérée qui assure le suivi régulier et profes-
sionnel de la Fondation.
Depuis deux ans, votre fondation a intégré des
principes liés à la mission dans sa politique de
placement. Pourquoi cette démarche ?
La fondation Hahnloser est particulièrement
attachée à la notion d’exemplarité. Renforcer
l’action sociale de la fondation au sens large par
les investissements était intéressant. D’abord
réservé et prudent sur les possibilités offertes,
notre Conseil s’est engagé dans cette voie et a
formalisé une philosophie de gestion responsable
et éthique après un processus par étapes qui
a généré la confiance nécessaire pour avancer
comme un collège.
Comment avez-vous procédé concrètement ?
Un des membres de notre conseil a suggéré de
faire évoluer la gestion du portefeuille vers plus
de cohérence avec la mission. A la suite d’une
formation et du partage de bonnes pratiques,
nous avons été convaincus que cette voie pouvait
être explorée. Les ressources à l’interne étant
limitées, nous avons mandaté des experts pour
nous accompagner dans ce processus puis dans
la gestion. Cette expertise et cette indépendance
ont été déterminantes pour la réussite de notre
démarche. En parallèle de la redéfinition de notre
profil de gestion, nous avons aussi structuré nos
programmes de donations pour être à la fois plus
professionnels et plus orientés vers le long terme.
Entretien avec Jean Fiaux et Yves de Montmollin, Fondation HahnloserSur les défis et opportunités auxquels fait face une institution de taille moyenne
32
Votre conclusion ?
Le défi lié à la succession s’est transformé en
opportunité pour redéfinir l’organisation et la
gouvernance. Les limites du bénévolat ont été
constatées. La nécessité de compter sur des com-
pétences externes s’est imposée ainsi que l’utilité
de collaborer et d’échanger avec nos pairs via des
réseaux de fondations. Il faut parfois consentir des
dépenses supplémentaires, envisager comme un
investissement, afin d’améliorer le fonctionnement
et l’efficacité de la fondation.
L’intégration d’une nouvelle génération de
membres dans notre conseil a permis d’explorer
des nouveaux processus de fonctionnement. Nous
sommes aujourd’hui satisfaits d’avoir mis en place
des outils de pilotage et des lignes directrices. Ces
éléments nous permettront d’évaluer l’efficacité de
la fondation et d’apporter les évolutions néces-
saires chez nous ainsi que chez les récipiendaires.
La connaissance de ce concept est plutôt élevée
auprès des fondations, puisque 69% indiquent
en être plutôt familières. Une large majorité
des fondations les plus informées (74%) sont de
grandes fondations dotées de plus de CHF 10
millions de capital. La taille et l’implication directe
dans la gestion du patrimoine jouent un rôle clé
dans l’intérêt porté au MRI.
D’ailleurs, la plupart des fondations peu dotées
en capital n’ont pas souhaité répondre
à ces questions, ne se sentant certainement
pas concernées.
Si la connaissance du concept est largement
répandue, son application effective dans les
portefeuilles reste encore modeste.
Aujourd’hui, seules 11% des fondations appliquent
une approche MRI à une large portion de leur
portefeuille.
Si 22% mènent des réflexions sur le sujet, une
grande majorité 67% n’intègre absolument pas ce
principe dans ses pratiques de gestion.
A nouveau, la taille joue un rôle-clé. Ce sont
presque uniquement des fondations dotées de plus
de CHF 10 millions de capital qui s’intéressent
à ce concept nécessitant des ressources humaines
et des expertises particulières. La mise en œuvre
et le suivi du MRI demanderait une grande
implication dans les choix d’investissement, alors
que le marché offre aujourd’hui d’autres solutions
facilement accessibles.
Le MRI dans la réalité des fondations interrogées
Êtes-vous familier avec le concept de gestion en accord avec la mission ou Mission Related Investing (MRI) ?
44% Oui
26% Certaines notions
31% Pas du tout
11%des fondations appliquent une
approche MRI à une large
portion de leur portefeuille
69%des fondations indiquent
être plus ou moins familières
avec le MRI
33
Les 67% des sondés qui ne sont pas intéressés
connaissent mal cette approche ou estiment son
impact sociétal ou environnemental insuffisant.
Le problème de la performance n’est plus la prin-
cipale raison évoquée. Néanmoins, la complexité
du MRI dans sa compréhension et son application
maintient bon nombre de fondation à l’écart de ce
mouvement et les prive d’une innovation-clé en
matière de gestion.
-
tuer un travail de simplification, de clarification
et de standardisation. Il faut offrir des solutions
simples, performantes et dotées de mesures
d’impact crédibles. Cet effort est indispensable si
elle souhaite toucher davantage les fondations.
Les causes du manque d’intérêt pour le MRI
Votre politique d’investissement intègre-t-elle des principes liés à votre mission (MRI) ?
11% Oui
22% Réflexions en cours
67% non
Quels sont les freins à l’adoption d’une politique en accord avec la mission (MRI) ?
Crainte d’une sous-performance
Méconnaissance de l’offre
Manque d’intérêt
Impact marginal pour justifier cette démarche
Anticipation d’une augmentation du niveau de risque
Cannibalisation des montants disponibles pour les donations
Contrainte additionnelle
Autre (veuillez préciser)
25%
0%
14%
18%
25%
25%
32%
46%
32%des sceptiques jugent
l’impact du MRI insuffisant
34
Quelles motivations en faveur du MRI ?
Le MRI est perçu comme un concept complexe et
dont l’application nécessite une forte conviction.
Les fondations qui l’ont adopté indiquent que
l’impulsion a été donnée :
(cité par 82%).
(cité par 45%).
Les fondations se différencient ici par rapport aux
autres industries. Aucune ne semble réagir à une
pression publique ou politique. Leur indépendance
est forte et leur volonté d’agir en cohérence
avec leurs valeurs est fondamentale. On peut se
demander si elles prennent la pleine mesure de
leur liberté entrepreneuriale.
Il faut relever que les fondations acquises à cette
philosophie l’utilisent de manière large à la gestion
de leur portefeuille (45% l’appliquent à plus de
la moitié de leur fortune). Elles optent pour des
approches éthiques ou durables qui sont variées et
complémentaires. Enfin, elles déclinent le MRI
sur plusieurs classes d’actifs (actions, obligations
et investissements réels).
Pression publique
Membre du conseil de fondation
Donateur
Evolution des bonnes pratiques
Autre (veuillez préciser)
0%
0%
18%
46%
82%
Si « oui » ou « réflexions en cours », sur l’impulsion de qui/quoi ?
Si « oui » ou « réflexions en cours », quel pourcentage de votre capital est investi en accord avec votre mission ?
1-5%
5-20%
20-50%
>50%
35
L’évolution future du MRI
Près de 40% des répondants envisagent une
croissance, voire un renforcement de leurs inves-
tissements dans cette approche. Ils confirment
des perspectives réjouissantes pour le MRI.
Une majorité (56%) opte néanmoins pour le
statu quo. Les raisons invoquées sont l’existence
d’autres priorités qui préoccupent les conseils
de fondation. Pour d’autres, l’industrie du MRI
ou la finance durable n’a pas encore su offrir des
solutions adaptées, crédibles et accessibles pour
les fondations, ou elle les a mal communiquées.
Les fondations les plus engagées sont celles qui
perçoivent le potentiel d’avenir du MRI. Une fois
conquises, elles deviennent le fer de lance de ce
style de gestion.
A l’avenir, estimez-vous que l’approche MRI sera :
Renforcée 38%
Statu quo 56%
Réduite 6%
36
Entretien avec Anne Gloor, Fondatrice et Directrice de PeaceNexusSur la gestion en accord avec la mission (MRI)
Fondée en 2009 par Anne Gloor, PeaceNexus a pour mission de relier/connecter les acteurs engagés dans les processus de paix, dans les pays en guerre ou post-guerre. L’organisation met à leur disposi-tion de l’expertise interdisciplinaire pour faciliter l’interface entre les enjeux de développement, de démocratisation et de sécurité et favoriser l’émer-gence de solutions.
Dotée d’un capital de plus de CHF 40 millions
et financée par des fonds privés, la Fondation
fonctionne de manière indépendante.
Depuis 2013 et à la suite d’une décision du conseil
de fondation, la globalité de la fortune est
gérée en ligne avec les principes de l’investisse-
ment responsable.
Quel est l’historique de la démarche ?
La fondation a été créée grâce à une généreuse
donation de l’entrepreneur suisse Hansjoerg Wyss.
Au départ, l’objectif principal de la gestion du
patrimoine était d’assurer un rendement maximal
pour financer les nombreux projets. Aucune
mention particulière concernant l’investissement
responsable ou l’éthique n’avait été formulée.
L’équipe de direction a fait évoluer cette logique
d’investissement influencée par divers facteurs :
1. Collaboration avec des entreprises :
PeaceNexus collabore sur le terrain avec le
secteur privé. Ses équipes ont constaté le rôle
fondamental que peuvent jouer les entreprises
dans la construction et la promotion de la paix.
Dans cette optique, la Fondation a établi des
critères de sélection avant de collaborer avec
des entreprises sur le terrain.
2. Risque de réputation : certains projets, menés
dans des contextes politiques sensibles, ont mis
en lumière l’enjeu de la réputation pour
la fondation.
Prenons le soutien de projets liés à la paix
et, par ailleurs, l’investissement dans des
entreprises dont les pratiques (corruption, non
respect des droits de l’homme, pollution, etc.)
peuvent mettre en danger un équilibre social et
écologique parfois très précaire.
3. Processus de gestion opaque : à la suite de cette
prise de conscience, le conseil de fondation a
souhaité évaluer son portefeuille à l’aune de
ces facteurs. Il n’a pas obtenu suffisamment
de détail et transparence de la part de son
gérant historique sur les sociétés présentes
dans son portefeuille.
Pourtant, de nombreux investissements
concernaient des régions sensibles et des
secteurs controversés, tels que l’extraction
de matières premières.
Fort de ce constat, l’équipe a exploré l’application
des principes éthiques, découlant des acquis du
terrain, à la gestion du portefeuille.
Cette démarche, permettant d’assurer une
cohérence entre la mission de fondation
et ses investissements, renforçait l’impact
de la fondation.
créer un dialogue avec le secteur financier et
sensibiliser les banques sur leur contribution dans
la stabilisation de pays fragiles par la
promotion d’un entrepreneuriat responsable. »
37
Comment s’est passée la mise en œuvre de ces
principes éthiques ?
Le processus a duré deux ans. Il a débuté par la
définition d’une charte d’investissement,
incluant des critères éthiques et le respect de
minima environnementaux, sociaux et de
gouvernance (ESG) pour les entreprises. Il a abouti
à la transformation complète du portefeuille par
les étapes suivantes :
1. Etablissement d’une charte et définition de
principes éthiques propres à PeaceNexus. Cette
démarche a été pilotée en interne, grâce à une
équipe déjà familiarisée avec le concept. Cette
compétence interne a permis d’impliquer le
conseil dès le départ.
2. Emission d’un appel d’offres auprès d’une
dizaine d’acteurs financiers. Le principe
était autant de solliciter des experts de l’inves-
tissement responsable que de faire
réagir des grandes institutions moins actives
dans le domaine.
3. Sélection finale de trois gérants (deux banques
et un gérant spécialisé en finance durable).
Les solutions retenues ont dû répondre aux
exigences éthiques de la charte et aux objectifs
de rendement financier.
Les gérants ont dû démontrer un intérêt pour
le thème et s’engager à développer des critères
d’analyse permettant d’évaluer le rôle (positif
ou négatif) d’une entreprise active dans des
zones exposées.
Cette transformation complète du portefeuille a
été rendue possible notamment par l’engagement
personnel de la Directrice et sa conviction que
l’investissement responsable (en ligne avec la mis-
sion) offre un rendement similaire aux approches
traditionnelles dans un horizon de 5 à 10 ans.
Votre conclusion ?
Cette démarche a nécessité une part importante
de définition, de compréhension et de dialogue
avec les banques.
La combinaison des projets sur le terrain et la ges-
lui confèrent un effet doublement positif. C’est par
cette démarche que la Fondation a pu créer un
dialogue avec le secteur financier et sensibiliser les
banques sur leur contribution dans la stabilisation
de pays fragiles part la promotion d’un entrepre-
neuriat responsable.
Développer des indices ou des fonds liés à la paix
fait désormais partie intégrante des activités de la
Fondation PeaceNexus.
38
L’utopie de la fondation éternelle
Idéalement, une fondation est établie par un
fondateur avec une dotation et les revenus annuels
sont utilisés pour remplir la mission de la fonda-
tion. En fait, le capital de la fondation doit générer
assez de revenus pour couvrir tous les frais et
dépenses et garder une partie importante pour
remplir sa mission.
Comme un mobile perpétuel, cette fondation
idéale tourne toute seule année après
année, décennie après décennie et même
pendant des siècles.
Bien qu’il existe des fondations de ce type, la
grande majorité des fondations d’utilité publique a
rencontré des difficultés financières ces dernières
années. En raison de la volatilité des marchés
financiers, les fondations ont dû faire face à des
taux d’intérêt bas et ont subi une grande perte
de leur valeur.
Comme beaucoup de fondations n’ont pas d’autre
source de revenu que leur dotation, il leur est
devenu très difficile de planifier les dépenses
et les allocations. Certaines fondations ont donc
dû réduire leurs dépenses et leurs coûts, voire
cesser d’exister.
Eclairage sur les pratiques en Suisse allemande et dans le monde
par Georg von Schnurbein -
Directeur du Centre d’Etudes
de la Philanthropie, Université
de Bâle
D’un point de vue international, la structure
juridique et les obligations financières diffèrent
largement. Aux Etats-Unis, les fondations doivent
verser annuellement 5% de leur fortune.
Si une fondation veut préserver son capital, elle a
besoin d’un revenu financier supérieur à 5% pour
pouvoir couvrir des coûts et frais supplémentaires,
en plus des contributions distribuées.
En Allemagne, les fondations sont obligées de
dépenser leurs gains financiers dans l’année
(avec quelques exceptions), sinon elles sont
soumises à des impôts.
En Suisse, les fondations profitent de régulations
juridiques souples qui interdisent toutefois les
fondations qui ne distribuent aucun argent afin de
préserver leur capital.
Cette situation permet un large spectre de
stratégies d’investissements pour les fondations
d’utilité publique. Comme dans beaucoup d’autres
pays, les fondations n’ont pas été préparées à faire
face aux incertitudes et aux changements rapides
des marchés financiers.
Différences à l’échelle internationale concernant les obligations légales
39
Cette étude sur la gestion des biens de fondations
d’utilité publique en Suisse romande confirme les
résultats de précédentes études menées dans
d’autres pays européens et en Suisse alémanique.
Ensemble, ces résultats montrent qu’aujourd’hui,
les conseils de fondations se préoccupent davan-
tage de la gestion de leurs biens.
Cette étude présente des résultats très semblables
à ceux donnés par une étude menée en Suisse alé-
manique à l’automne 2012 par le Centre d’Etudes
sur la Philanthropie (CEPS) de l’Université de Bâle
et la banque Globalance de Zurich.
Au total, 110 fondations d’utilité publique en Suisse
alémanique ont participé au sondage. De manière
générale, les résultats de cette étude corres-
pondent fortement à ceux de l’étude en Suisse
romande, ce qui montre que les deux études,
réalisées avec de petits échantillons, semblent
bien représenter le secteur des fondations dans
son ensemble (12’909 fondations en Suisse à la
fin 2013). Bien que les fondations de l’échantillon
romand aient tendance à être plus jeunes mais
possèdent davantage de biens, les résultats
concernant le fonctionnement, la structure de gou-
vernance et l’allocation du capital sont similaires.
Comparaison intra-suisse : le tableau complet
< 2 mio 2-10 mio > 10 mio
30%
20%
40%
22%
30%
58%
Capital disponible des fondations sondées (comparatif des deux études)
40
Dans les deux échantillons, les professions les
plus représentées au sein des conseils de fonda-
tions sont les avocats, suivis par les banquiers ou
intermédiaires financiers. Ceci a pour conséquence
une auto-évaluation élevée des compétences et
des connaissances du conseil.
De plus, la grande majorité des sondés de part et
d’autre de la barrière de Rösti juge bonne, voire très
bonne la composition de leur conseil.
Cependant, comme le révèle l’étude suisse
alémanique, le manque de connaissances spéciali-
sées est cité comme étant le plus gros risque pour
la gestion des avoirs. Un trait similaire ressort de
l’échantillon romand : la composition du conseil est
considérée comme une question importante dans
le but d’améliorer la gouvernance de la fondation.
Pour conclure sur les structures de gouvernance
des fondations en Suisse, les deux études
brossent le portrait d’un secteur qui est en train
de changer, mettant en œuvre davantage de
standards et de processus professionnels dans la
gestion du patrimoine.
L’image de professionnalisation du secteur est
renforcée par le fait qu’environ deux tiers des
fondations en Suisse romande et alémanique
investissent au moins une partie de leurs biens
selon des standards éthiques.
La supervision par des gestionnaires externes
a lieu dans 53% des cas en Suisse romande
(comparé aux 43,1% en Suisse alémanique). Ceci
pourrait être dû au pourcentage élevé de ban-
quiers, car l’étude suisse-alémanique a constaté
une corrélation positive entre les procédures de
révision financière et l’existence de savoir-faire
financier au sein du conseil.
Augmenter la confiance en encourageant la professionnalisation
Le petit doigt ou toute la main ?
Investing » (MRI) est plus apprécié en Suisse
alémanique.
Bien que la connaissance du MRI soit équivalente
parmi les représentants de fondations en Suisse,
41,6% de l’échantillon alémanique a approuvé
l’investissement d’une partie de ses biens selon les
standards de sa mission.
Cependant, comme dans d’autres études à petite
échelle effectuées en Allemagne, aux Pays-Bas et
au Royaume-Uni, ce pourcentage élevé doit être
examiné avec précaution.
En comparaison avec des études américaines
menées sur des échantillons beaucoup plus
grands, le chiffre de 11,1% de fondations romandes
qui pratiquent le MRI semble plus réaliste.
Si l’on considère que l’attention portée au MRI
n’est que récente, on peut relever un point intéres-
sant qui ressort dans les deux études suisses : si
certaines fondations se lancent immédiatement,
d’autres ont une approche beaucoup plus réservée.
Ceci est un indicateur du manque de confiance
qui règne au sein de conseils de fondations quant
au MRI.
De nombreuses fondations mettent en place
des instruments spécifiques dans une approche
MRI parallèlement à une stratégie traditionnelle
d’investissement, tandis que d’autres utilisent
tout le potentiel du MRI en y investissant la
majorité de leurs biens. Les fondations qui ont
des réserves vis-à-vis du MRI invoquent comme
raison principale leur manque de connaissances
sur le sujet.
Une meilleure connaissance du fonctionnement,
des méthodes et des instruments du MRI est
donc nécessaire à l’avenir, si l’on espère convaincre
davantage de fondations à investir leur capital en
accord avec leur mission.
Cette étude s’intéresse particulièrement aux pers-
pectives d’avenir. Elle aide à comprendre et à déve-
lopper les attentes concernant la gouvernance et
la gestion du patrimoine dans les fondations. Dans
le cas présent, les fondations suisses pourraient
tirer des enseignements d’autres pays. Dans les
pays qui obligent les fondations à distribuer une
partie de l’argent, ces dernières sont plus enclines
à aligner leurs investissements avec leur but ou
mission. Un autre point soulevé par cette étude
concerne la gestion de conflits d’intérêts. Comparé
à l’international, les fondations suisses manquent
de réglementation écrite, notamment en ce qui
concerne les conflits d’intérêts potentiels.
41
Ainsi, 75,7% des fondations dans l’échantillon
alémanique n’ont pas de règlement écrit régissant
les relations avec leurs partenaires.
De plus, les fondations suisses ont généralement
une structure minimale. Avec un petit nombre de
membres du conseil et seulement quelques
collaborateurs, les fondations suisses se
concentrent sur l’attribution de dons et réduisent
les coûts administratifs.
En ce qui concerne le MRI, les fondations
suisses ont les mêmes opinions que les fondations
dans d’autres pays européens. Les fondations
utilisent généralement la sélection négative
pour être conforme à leur mission dans la
stratégie d’investissement.
Il existe des méthodes plus sophistiquées mais qui
ne sont pas très généralisées. Malgré le manque
de connaissances et de confiance, une autre
explication à cette longue résistance pourrait être
liée aux obligations juridiques.
Les membres d’un conseil de fondation
concentrent principalement leurs efforts sur
la préservation du capital de la fondation,
parce qu’il reste trop de questions ouvertes
et d’incompréhension quant aux techniques
d’investissement plus progressistes.
Cette étude contribue de plusieurs manières à
l’amélioration du secteur des fondations en Suisse
et au-delà.
Les résultats montrent que les fondations en
Suisse se sont adaptées aux développements des
marchés financiers et ont augmenté le niveau
de professionnalisme dans les domaines de la
gouvernance et de la gestion du patrimoine.
Cependant, on relève encore un manque de
connaissances et un manque de confiance au
sein des conseils de fondations concernant
les pratiques d’investissement et du MRI
en particulier.
Augmenter les connaissances sur la gestion du patrimoine
42
Remerciements
Cette publication est née de l’initiative de la Banque Julius Baer, qui l’a également soutenue.
Nous exprimons nos chaleureux remerciements aux nombreux collaborateurs qui ont permis à cette
étude d’être menée à bien.
Nous avons pu compter sur la participation de nombreuses fondations qui ont répondu au questionnaire
sur lequel est basé notre étude. Pour des raisons évidentes de confidentialité, nous ne pouvons
pas les remercier nominalement. Cependant, sans leur disponibilité et leur volonté de décrire leurs
pratiques, notre étude n’aurait pas été possible. Nous les remercions vivement pour leur confiance; une
pensée particulière va à celles et ceux qui ont accepté de partager publiquement leur expérience :
Anne Gloor, Peter Brey, Jean Fiaux et Yves de Montmollin.
Nous souhaitons remercier sincèrement les membres de l’Advisory Board pour leur disponibilité et leur
précieuse contribution tout au long de cette étude : Bernard Vischer, Didier Cherpitel, Georg von Schnurbein
et Olivier Baudry.
43
Conser – experts en finance durable
Fondée en 2007 à Genève, Conser Invest est une société de conseil et de gestion 100% dédiée à
l’investissement responsable. Ce spécialiste offre aux investisseurs privés, institutionnels et
aux fondations une allocation du capital intégrant les principes du développement durable.
La mission de Conser est d’apporter une plus-value à ses clients en intégrant dans leurs choix
d’investissement et la gestion de leur portefeuille les critères éthiques et ESG – environnemental, social
Cabinet indépendant, il bénéficie d’une expertise reconnue dans la finance durable grâce
au développement d’outils propriétaires, une connaissance approfondie de l’univers d’investissement
ainsi qu’un réseau local et international. En qualité de conseiller en investissement et gérant d’actifs,
Conser Invest est supervisé par l’association suisse des gérants indépendants (ASG).
www.conser.ch
WISE – conseillers en philanthropie
Fondée en 2004 à Genève, WISE compte aujourd’hui parmi les sociétés de conseil en philanthropie
les plus reconnues en Europe. Depuis près de 10 ans, elle accompagne des donateurs particuliers,
des entrepreneurs et des fondations, depuis l’élaboration de leur stratégie philanthropique jusqu’à la
réalisation de leur projet, de manière à optimiser l’impact de leur action. En leur offrant un service
personnalisé et sur mesure tout au long des différentes étapes de l’engagement, WISE leur permet
ainsi de vivre pleinement leur projet.
WISE a été reconnue par ses pairs pour la qualité de son travail et pour son esprit pionnier. Elle a reçu
notamment le prix de l’Innovation 2012 par la Chambre de commerce, d’industrie et des services de
www.wise.net
répondant aux normes FSC
Décembre 2014