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1 EDITO A u souvenir de la Commune de Paris, Louise Michel déclarait : « On voulait tout à la fois arts, sciences, littérature, décou- vertes, la vie flamboyait. On avait hâte de s’échapper du vieux monde ». Ces semaines d’exception naquirent d’une soif de liberté, d’une exigence d’égalité, de la révolte d’un peuple qui refusait de pactiser et continuait de se battre. Déclenchée le 18 mars 1871, la Commune fut bien plus qu’une insurrection : ce fut une véritable démarche de transformation sociale et politique qui se mit en place, le 26 mars 1871, avec le « manifeste du Comité des vingt arrondissements de Paris », programme qui instaurait la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’égalité des salaires homme/femme et qui était profondément décentralisateur. Le gouvernement d’Adolphe Thiers répliqua par les armes. C’est alors que Paris entama l’une des pages les plus douloureuses de son histoire. La guerre civile fit des milliers de morts : combats de rue acharnés, exécutions d’otages, innombrables fusillés. En l’espace de quelques semaines, la ville fut défigurée par les combats, les monuments détruits, Tuileries, Hôtel de Ville et autres lieux emblématiques du pouvoir livrés délibérément aux flammes par les derniers insurgés. « Parmi les plus implacables lutteurs qui combattirent l’invasion et défendirent la Répu- blique comme l’aurore de la liberté, les femmes sont en nombre », écrivait également Louise Michel. Je souhaite insister sur le rôle des femmes qui, au-delà des secours ou du ravitaillement, montèrent sur les barricades en soldats. C’est le sens de l’hommage que le 3 e arrondissement a récemment rendu à Nathalie Lemel et Elisabeth Dmitrieff, toutes deux fondatrices de l’Union des femmes pour la défense de Paris. La « semaine sanglante », du 21 au 28 mai, suivie d’une terrible répression, mit fin à la Com- mune mais non à sa légende. L’idéal social et universaliste dont elle était porteuse devint une des principales références des révolutionnaires du XX e siècle, pour le meilleur et par- fois pour le pire. Ce siècle nouveau doit conserver la mémoire de la Commune et continuer de la questionner. C’est la belle ambition de cet ouvrage. Bertrand Delanoë Maire de Paris Inter Commune:CHAP1_P01_P8 2/08/07 11:24 Page 1

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Page 1: A comuna de paris 1871

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EDITO

Ausouvenir de la Commune de Paris, Louise Michel déclarait :

« On voulait tout à la fois arts, sciences, littérature, décou-

vertes, la vie flamboyait. On avait hâte de s’échapper du vieux

monde ». Ces semaines d’exception naquirent d’une soif de

liberté, d’une exigence d’égalité, de la révolte d’un peuple qui

refusait de pactiser et continuait de se battre.

Déclenchée le 18 mars 1871, la Commune fut bien plus qu’une insurrection : ce fut une

véritable démarche de transformation sociale et politique qui semit en place, le 26mars 1871,

avec le « manifeste du Comité des vingt arrondissements de Paris », programme qui

instaurait la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’égalité des salaires homme/femme et qui

était profondément décentralisateur.

Le gouvernement d’Adolphe Thiers répliqua par les armes. C’est alors que Paris entama

l’une des pages les plus douloureuses de son histoire. La guerre civile fit des milliers de

morts : combats de rue acharnés, exécutions d’otages, innombrables fusillés. En l’espace

de quelques semaines, la ville fut défigurée par les combats, les monuments détruits, Tuileries,

Hôtel de Ville et autres lieux emblématiques du pouvoir livrés délibérément aux flammes

par les derniers insurgés.

« Parmi les plus implacables lutteurs qui combattirent l’invasion et défendirent la Répu-

blique comme l’aurore de la liberté, les femmes sont en nombre », écrivait également

Louise Michel. Je souhaite insister sur le rôle des femmes qui, au-delà des secours ou du

ravitaillement, montèrent sur les barricades en soldats. C’est le sens de l’hommage que le

3e arrondissement a récemment rendu à Nathalie Lemel et Elisabeth Dmitrieff, toutes deux

fondatrices de l’Union des femmes pour la défense de Paris.

La « semaine sanglante », du 21 au 28 mai, suivie d’une terrible répression, mit fin à la Com-

mune mais non à sa légende. L’idéal social et universaliste dont elle était porteuse devint

une des principales références des révolutionnaires du XXe siècle, pour le meilleur et par-

fois pour le pire. Ce siècle nouveau doit conserver la mémoire de la Commune et continuer

de la questionner. C’est la belle ambition de cet ouvrage.

Bertrand DelanoëMaire de Paris

Inter Commune:CHAP1_P01_P8 2/08/07 11:24 Page 1

Page 2: A comuna de paris 1871

1. Eugen WEBERRegard d’un historien américain sur Paris au printemps 1871 .................................. Page 3

2. Jacques ROUGERIELa ville en 1871 - Le Paris communard ........................................................................ Page 9

3. Stéphane AUDOIN-ROUZEAULa Guerre de 1870-1871 et le siège de Paris ............................................................ Page 15

4. Rémy VALATAux origines de la Commune - La Fédération républicaine de la Garde nationale ........ Page 19

5. Jacques ROUGERIEDe la capitulation à l’insurrection.............................................................................. Page 23

6. Alain DALÔTELLa Commune « d’en haut » ........................................................................................ Page 29

7. Jacques ROUGERIEL’œuvre de la Commune ............................................................................................ Page 33

8. Hollis CLAYSONLa culture et la Commune .......................................................................................... Page 37

9. Gay GULLICKSONLes femmes et la Commune........................................................................................ Page 39

10. Robert TOMBSLa Défaite de la Commune ........................................................................................ Page 43

11. Laure GODINEAULa répression légale, la déportation, l'amnistie ........................................................ Page 55

12. Danielle TARTAKOWSKILa mémoire de la Commune ...................................................................................... Page 61

13. Robert TOMBSQuestions et controverses .......................................................................................... Page 65

Pour en savoir plus ................................................................................................ Page 70

Chronologie ............................................................................................................ Page 71

Index des principaux personnages cités .............................................. Page 75

Crédits photos .................................................................................. Page 76

SOMMAIRE

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SOMMAIRE

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Page 3: A comuna de paris 1871

1. Eugen WEBERRegard d’un historienaméricain sur Paris auprintemps 1871

Le samedi 18 mars 1871, Edmond de

Goncourt note dans son journal : « Ce

matin, la porteuse de pain annonce qu’on

se bat à Montmartre. Je sors et ne rencontre

qu’une indifférence singulière pour ce qui

se passe là-bas. La population parisienne en

a tant vu depuis six mois que rien ne semble

plus l’émouvoir. »

Dans l’après-midi, des barricades s’élèvent,

les boutiques ferment, les orateurs tiennent

des discours à propos de traîtres qu’il

convient de mettre à mort, des bandes

défilent en criant « Vive la République ! »

« Je dîne aux Frères Provençaux dans l’as-

sourdissement des cris patriotiques et je suis

tout étonné, en sortant du restaurant, de

me cogner à la queue du théâtre du Palais-

Royal. »

L’indifférence, le rituel, la routine, les ba-

dauds en promenade et des manifestations

plutôt festives sont les premières réactions

à la « Révolution » qui a poussé Adolphe

Thiers, chef du nouveau gouvernement,

à décamper à Versailles pour y rejoindre

l’Assemblée de « ruraux » élue le 8 février

pour faire la paix et qui est censée restaurer

la monarchie. Pour l’heure cependant,

c’était le soulagement qui prédominait.

Les milliers de gardes nationaux campés à

l’extérieur de l’Hôtel de Ville, exhibaient

des morceaux de pain empalés sur leurs

baïonnettes. Les heures difficiles du siège

prussien étaient derrière eux : 132 journées

de files d’attente, de famine et d’explosions

d’obus. De même que le lent et douloureux

déroulement d’une existence assiégée : c’en

était fini des côtelettes de chien ou des

filets de singe, de la vue de soldats débraillés

marchant vers les remparts et de celle des

blessés revenant en boitant, des femmes

tirant des ambulances rentrant du combat

dans un bruit de ferraille, des pièces qui

tintent dans les boîtes de collecte des

aumônes destinées aux estropiés, des filles

se vendant pour un morceau de pain, des

femmes sur des marchés qui n’ont prati-

quement rien à vendre, du rationnement,

du froid, de l’isolement, des fourgons

mortuaires cliquetant sur les pavés, des

ivrognes titubant dans les rues, de la marée

noire des vêtements de deuil de ceux qui

pouvaient se les offrir, de la rage et de l’hu-

miliation contenues, des vives tensions de

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classes qui s’exacerbent, des cris

prémonitoires selon lesquels

« ils » sont en train de massacrer

le peuple, de la tristesse des

issues prévisibles, de l’ennui et

de l’impuissance de cinq mois

interminables.

Ce fut du moins, la première im-

pression en ce printemps enso-

leillé, lorsque la rage de la

défaite commença à décroître,

lorsque les traces de l’occupation prus-

sienne symbolique (du 1er au 3 mars) eu-

rent été effacées et que la nourriture se

remit à affluer (le vin semble n’avoir jamais

manqué). Bientôt, cependant, les tirs

d’obus reprirent – cette fois-ci de Français

sur des Français. Les tambours de jour

comme de nuit, les clairons, les appels aux

armes ; les coups de fusil retentissaient ; les

foules transformées en hordes synonymes

de danger pour les hommes et les femmes

considérés, à juste titre ou non, comme des

dupes de Versailles et pour les innocents

pris pour des espions. Peignant la Seine, ou-

blieux du monde environnant, Auguste Re-

noir se retrouva, encerclé, assailli, traîné

jusqu’à la mairie la plus proche où, reconnu

par chance, il fut libéré et put continuer à

peindre. Battus à mort ou noyés, d’autres

n’eurent pas la même chance. « La rue com-

mence à n’être plus sûre » nota Goncourt.

Bientôt, comme d’autres Parisiens, il apprit

à prendre de tels risques sans difficulté. Les

tirs, les bombardements, les manifestations

mêlés au désœuvrement au tourisme ou au

shopping, comme lorsqu’une jeune Améri-

caine, Lillie Moulton, se rendant chez

Worth, le couturier anglais de la rue de la

Paix, assista à un affrontement entre « les

Amis de l’Ordre » qui manifestaient et des

unités de la Garde nationale. Ou lorsque les

foules commencèrent à se rassembler à la

barrière de l’Etoile pour regarder les batteries

de Versailles bombarder les bastions de la

Commune. Début avril, les Parisiens (et les

touristes) apprenaient à apprécier « l’amu-

sant de cette guerre derrière des remparts ».

Le dimanche de Pâques, Goncourt note

« J’entre dans un café au bas des Champs-

Elysées et pendant que les obus tuent à la

hauteur de l’Arc de l’Etoile, des hommes,

des femmes, de l’air le plus tranquille et le

plus heureux du monde, boivent des bocks,

en entendant… une vieille violoniste. »

Eugen

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Beaucoup de ceux qui en avaient les

moyens avaient déserté la capitale avant le

siège prussien pour se réfugier en province

avant de revenir en février, dès que la si-

tuation sembla plus sûre. Maintenant, ils

commençaient à repartir au compte

gouttes. « Il y a au chemin de fer, beaucoup

de partants pour la province ». En quelques

semaines, cependant, Thiers commença à

serrer la vis à ce Paris rebelle : les journaux

et le courrier étaient interrompus. Les dé-

placements, qui s’effectuaient normale-

ment, devinrent de plus en plus difficiles.

« Du rond-point à l’Arc », note Juliette

Adam à la mi-avril, « pas un réverbère al-

lumé, pas une fenêtre éclairée… Paris est

morne et désert, bien plus que pendant le

siège. La misère aussi y est très grande. »

Plus de cafés-concerts en plein air non plus.

Les Parisiens qui sortaient pour s’amuser

passaient leurs soirées sur les Champs-

Elysées, regardant les feux d’artifices de la

canonnade. Seul le Guignol tint jusqu’à la

mi-mai où quelques chaudes alertes le per-

suadèrent de plier bagages.

Alors que les croisillons de papier fleuris-

saient sur les vitrines des boutiques afin

d’éviter les bris de verre lorsque les obus

explosaient à proximité, la Commune

constitua une compagnie aérostatique

pour transporter les courriers, les lettres, les

dépêches, comme cela avait été fait durant

le précédent siège. Dans une ville bruissante

de rumeurs, cela confirma la légende de

« guerre scientifique » que les rouges pré-

paraient : les ballons transportant des ex-

plosifs, les mines dans les égouts de Paris,

les feux grégeois... Des quantités d’histoires

sur des armes de destruction mythologique

devaient persister parmi les Versaillais et les

Communards après la fin du conflit.

Le mythe le plus tenace était celui de la

Révolution française, particulièrement 1793

et la Convention. Comme leurs prédéces-

seurs révolutionnaires, les Communards

s’embourbèrent dans toutes sortes de

comités : comité central, comité de salut

public, comité des barricades, comité d’ar-

tillerie, comité de l’approvisionnement

militaire, comité de sécurité générale, qui

se télescopaient. Ils croulaient sous le poids

des souvenirs historiques. Comme le rappelle

l’un d’entre eux, Arthur Arnould, alors en

exil, « on arrêta parce qu’elle (la Convention)

avait arrêté. On emprisonna, parce qu’elle

avait emprisonné. On fit la loi des otages

comme elle avait fait la loi des suspects ».

Malheureusement, Paris n’avait pas été

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Eugen WEBER

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assiégée en 1793 : la Convention

n’avait donc aucune leçon

appropriée à léguer à ce sujet.

Comme au bon vieux temps de

Robespierre et de Saint-Just,

comme en 1830 et en 1848, tous

discouraient, se disputaient, se

chamaillaient, accusaient tout

un chacun de pusillanimité, de

manque de loyauté, de trahison.

Les théories conspiratoires fleu-

rissaient. L’un des cris de guerre favoris

« Nous sommes trahis ! », exhumé lors de

la guerre contre la Prusse, déclencha une

frénésie d’arrestations. Il y a une autre tra-

dition qu’Arnould n’a pas mentionnée : la

dénonciation. D’hommes politiques, de re-

ligieuses, de prêtres, d’informateurs suppo-

sés, de thésauriseurs, de spéculateurs, de

commerçants en gros, de bouchers, de bou-

langers, de propriétaires et de voisins de

paliers. Des espions étaient découverts sous

chaque lit, des agents provocateurs dans

chaque manifestation. Les soldats qui flan-

chaient, les dirigeants qui échouaient au

combat, étaient dénoncés comme traîtres.

Ainsi le dimanche 21 mai (« Il faisait beau et

il y avait concert aux Tuileries ») le général

Cluseret, ancien délégué à la guerre, arrêté

le 30 avril pour avoir abandonné le Fort

d’Issy alors qu’il l’avait en réalité sauvé, fut

jugé pour manquement au devoir. C’est

alors que ses juges apprirent que les Versaillais

étaient entrés dans Paris, le libérèrent et se

tournèrent vers des problèmes plus urgents.

Goncourt, qui ce même jour avait quitté sa

maison d’Auteuil pour emménager dans le

centre de Paris, vit un homme arrêté pour

avoir crié que les Versaillais étaient arrivés.

Il parcourut la ville en essayant d’en savoir

plus. « Encore une rumeur. » Désespéré, il

alla se coucher mais ne put dormir,

ouvrit sa fenêtre pour entendre sonner les

cloches de l’église, les tambours et les clai-

rons appelant aux armes : « bruit sinistre

qui me remplit de joie et sonne pour Paris

l’agonie de l’odieuse tyrannie. »

Cette angoisse dura une semaine, laissant

la ville jonchée de cadavres d’hommes et de

femmes tués au combat, de prisonniers et

d’otages massacrés par les deux camps ; et

avec les ruines « d’incendies stratégiques »

que les Communards avaient déclenchés

pour retarder l’avance de leurs ennemis.

Même ainsi, il y avait des consolations. Paris

en flammes rappelait aux esthètes les

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gouaches napoléoniennes des éruptions du

Vésuve. Pour ce qui est de l’Hôtel de Ville,

« la ruine est magnifique, splendide ; niches

vides, statuettes fracassées… merveille de

pittoresque à garder. »

La tuerie se poursuivit après l’arrêt des

combats, les voisins et étrangers réaffir-

mant la tradition par plus de 350 000 dé-

nonciations (399 823 selon Louise Michel) ;

et les Marat de Versailles (Alphonse Daudet

dixit) se révélant plus terribles que ceux de

l’Hôtel de Ville. Personne n’est absolument

sûr du nombre de personnes qui sont

mortes durant ces journées féroces mais la

plupart fixe ce chiffre aux alentours de

20 000 - 25 000, plus que les victimes de la

Terreur à l’époque de la Convention.

Qui lisez-vous ? Qui croirez-vous ?

Gambetta, prédisant que « Paris, si on fait

la paix dans les conditions atroces dont on

nous menace, est voué à la Révolution » ?

Maxime du Camp affirmant que les agisse-

ments de la Commune « échappent à la

politique et appartiennent exclusivement à

la criminalité » ? Jules Vallès expliquant que

l’insurrection est une réaction tardive à

l’oppression des parents, de l’école, de la

pauvreté et de Louis-Napoléon ? L’épitaphe

de Goncourt : « les saignées comme celle-ci,

en tuant la partie batailleuse d’une popu-

lation ajourne d’une circonscription la nou-

velle révolution. C’est vingt ans de repos

que l’ancienne société a devant elle » ?

Ou tout ce qui précède ?

Eugène Pottier, Jean-Baptiste Clément avaient

été membres de la Commune. Tous les deux

partirent en exil. Clément nous laissa « Le

Temps des cerises » mais également « La se-

maine sanglante ». Le poèmedePottier,« L’In-

ternationale », fut mis en musique par Pierre

Degeyter et, en son temps, devint l’hymne de

la gauche révolutionnaire. Comme l’avait pré-

dit Goncourt, le conflit sociopolitique fut sus-

pendu pour un temps mais les passions

perdurèrent.Marchant dans Paris, Flaubert re-

marquait qu’ « une moitié de la population a

envied’étrangler l’autre, qui lui porte lemême

intérêt. Cela se lit clairement dans les yeux des

passants ». Et, juste pour garder en vie la vin-

dicte mutuelle, l’Assemblé nationale vota la

construction d’un monument expiatoire au

sommet de la Butte Montmartre où le soulè-

vement avait commencé. La première pierre

du Sacré Cœur fut posée deux ans plus tard,

le 15 juin 1875.

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Eugen WEBER

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Plan de Paris en 1860

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2. Jacques ROUGERIELa ville en 1871 –Le Paris communard

Le Paris de 1871 est, géographiquement,

exactement celui que nous connaissons : le

Paris des vingt arrondissements. En 1860,

la vieille ville (nos dix premiers arrondisse-

ments) a annexé tout ou partie de sa ban-

lieue, les anciennes communes de Belleville,

Ménilmontant, Charonne, Montmartre, les

Batignolles, Auteuil et Passy sur la rive

droite, formant les arrondissements XVI à

XX ; Bercy, Ivry, Montrouge, Grenelle, Vau-

girard, rive gauche, formant les arrondisse-

ments XIII à XV. La ville a considérablement

crû en population en vingt ans ; elle comp-

tait un million d’habitants en 1851 (un mil-

lion deux cent mille avec sa banlieue

proche, celle qu’on annexe en 1860), elle en

compte deux en 1870. C’est la plus grande

agglomération du pays, loin devant Marseille

ou Lyon, et la troisième du monde. Paris est

ville d’immigration : 75 % des adultes sont

nés en province. À côté de l’ouvrier parisien

de vieille souche, il y a les ouvriers récem-

ment arrivés, maçons de la Creuse, cordon-

niers de Lorraine, tailleurs de pierre de

Normandie, marchands de vin et charbon-

niers du Cantal... Le creuset parisien les a

très vite assimilés en une sorte de frater-

nelle et patriotique « nationalité » pari-

sienne, populaire et ouvrière.

Paris est alors une ville fortifiée. Une forte

muraille de 33 kilomètres, garnie de 94

bastions, percée de 17 portes (dont le nom

subsiste aux anciens terminus de lignes de

métro), a été construite de 1840 à 1845, sur

décision de Thiers, premier ministre en

1840, à une époque de forte tension inter-

nationale. L’enceinte se situait à l’emplace-

ment actuel de l’espace compris entre les

boulevards des Maréchaux et le boulevard

périphérique. Elle est protégée à distance

par dix-sept « forts détachés » (dont la plu-

part subsiste encore, ainsi le Mont-Valérien).

L’enceinte a été détruite au lendemain de la

Première Guerre mondiale. La ville peut

être assiégée - elle le sera par les Prussiens

dès la mi-septembre 1870 - mais elle serait

très difficile à prendre d’assaut : ils ne l’ont

même pas tenté.

Paris, « moderne Babylone », est la ville du

luxe et des plaisirs ; mais c’est d’abord la

ville du travail. Au dernier recensement de

1866 qu’on recompose ici selon les catégories

de la nomenclature actuelle, 50% des

Parisiens vivent de l’industrie et des trans-

9

Jacques ROUGERIE

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Page 10: A comuna de paris 1871

ports, 18 % d’activités de ser-

vices. On a dénombré 550 000

ouvriers, ouvrières et journa-

liers, 117 000 employés, 120 000

patrons, 130 000 domestiques et

concierges, pour 55 000 fonc-

tionnaires et membres de pro-

fessions libérales, 125 000 oisifs

rentiers et propriétaires, avec

leurs familles. Paris est une ville

de salariés et de dépendants.

32 % des actifs dans l’industrie

sont occupés dans le vêtement et le textile,

18 % dans le bâtiment, 15 % dans les mé-

tiers d’art et les « articles de Paris », 14 %

dans le travail des métaux et la carrosserie.

Les formes du travail sont extrêmement di-

verses. Les deux tiers au moins de ceux

qu’on désigne alors comme des « patrons »

travaillent en réalité seuls ou avec un seul

ouvrier. On compte dans Paris une foule de

petits ateliers et boutiques, mais on ne peut

plus parler d’artisanat indépendant. Mai-

sons de confection et grands magasins (le

Bon Marché, le Louvre, la Belle Jardi-

nière…) font travailler en sous-traitance à

domicile la main-d’œuvre du meuble, du

vêtement, principalement féminine, de la

chaussure : Godillot est le roi du soulier à

qui il a donné son nom en argot. Existent à

côté d’une foule de petits ateliers de solides

établissements de 50, souvent 100, parfois

500 ouvriers : fabriques métallurgiques, mai-

sons d’orfèvrerie, de bronze, de papiers

peints, d’ébénisterie… Deux usines de lo-

comotives dépassent le millier d’ouvriers,

Cail à Grenelle (XVe arrondissement), Gouin

à Batignolles (XVIIe). Chaque métier a ses

lieux propres : ébénistes du faubourg Saint-

Antoine et ouvriers bronziers ou mécani-

ciens de Popincourt (les actuels XIe et XIIe

arrondissements), tanneurs et mégissiers du

XIIIe , métallurgistes de Grenelle et des Bati-

gnolles, carrossiers du XVIIe, raffineurs de

sucre de La Villette et du XIIIe, ouvriers d’art

et d’articles de Paris du IIIe arrondissement

qui comprend le quartier bien nommé des

Arts-et-Métiers.

L'ouvrier parisien a une bonne culture : 91 %

des hommes savent lire et écrire, et 80 %

des femmes. Il a l’orgueil de son métier,

source de sa dignité de travailleur. Il est vo-

lontiers actif politiquement, lit les jour-

naux, surtout d’opposition, « le Rappel »

des frères Hugo, « le Réveil » de Delescluze,

« la Marseillaise », qui rassemble des repré-

sentants de toutes les tendances de l’oppo-

sition républicaine. Il fréquente volontiers

les réunions publiques, autorisées depuis

Jacq

ues

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Page 11: A comuna de paris 1871

1868, où des orateurs révolutionnaires

exhortent au renversement de l’Empire,

discute dans les cabarets et boutiques de

marchands de vin - plus de 10 000 lieux pri-

vilégiés de « sociabilité » populaire. Comme

dans toutes les agglomérations industrielles

de France, de grandes grèves ont marqué

les dernières années de l’Empire : à la fin de

1869, les grèves des mégissiers (un millier

de grévistes), des doreurs sur bois, des em-

ployés des grands magasins, les « calicots »

(plus de 10 000) ; en mai et juin 1870 des

raffineurs, puis grève générale des fon-

deurs en fer. Tous les métiers ont leurs

chambres syndicales qui portent les reven-

dications ouvrières ; une chambre fédérale

des Sociétés ouvrières parisiennes (60 so-

ciétés, une cinquantaine de milliers d’adhé-

rents) s’est constituée en 1869 et s’est

étroitement liée à l’Association internatio-

nale des travailleurs (AIT), formée en 1864

avec pour slogan : « L’émancipation des tra-

vailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-

mêmes ». Celle-ci réunit des représentants

des « prolétariats » anglais, belge, suisse, al-

lemand, français. L’Internationale pari-

sienne quadrille, depuis le début de 1870,

les quartiers populaires de sections, une

vingtaine, réunies à leur tour, en mars, en

fédération. À la veille de la guerre, un pro-

cès est intenté à ses dirigeants : elle est dés-

armée, mais non détruite.

Cette classe ouvrière parisienne, vigou-

reuse, originale, se fond étroitement en-

core dans le « Peuple », peuple laborieux

où la rejoignent salariés et exploités de

toutes sortes, employés, artisans ou bouti-

quiers, qui constituent une couche sociale

qu’on a pu nommer de « bourgeoisie

populaire ».

Depuis 1860, la condition populaire et

ouvrière s’améliore. Le mouvement des

affaires à Paris s’est accéléré avec l’Empire,

période de prospérité économique :

1,5 milliard en 1847, 3,4 en 1860, 6 milliards

en 1869. La hausse des salaires est réelle,

le travail abondant. L’ouvrier parisien n’est

pas, il n’a jamais été un « misérable ». Mais

son existence est pauvre, au mieux médiocre.

En bas de l’échelle, le journalier au travail

incertain gagne à peine 2 ou 2,50 francs par

jour - l’équivalent de ce que sera pendant la

guerre la solde du garde national, marié

avec deux enfants ; en haut l’ouvrier quali-

fié du livre, du métal, peut obtenir

4 ou 5 francs. Les femmes sont payées la

moitié des hommes. En moyenne, le salarié

consacre 60 % et plus de son budget

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Jacques ROUGERIE

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Page 12: A comuna de paris 1871

familial à sa nourriture et son

entretien, 10 à 15 % pour un

mauvais logement : il reste peu

de chose pour des dépenses de

vêtement, rien pratiquement

pour celles de loisir.

La carte sociale de la capitale s’est modi-

fiée. Dans les quartiers centraux, le Paris de

1830 ou 1848, riches et pauvres vivaient sinon

côte à côte, du moins en proximité réelle

dans les mêmes maisons, les mêmes rues.

L’accroissement de la population, les dé-

molitions occasionnées par les travaux

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Cordonnier

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Page 13: A comuna de paris 1871

d’Haussmann, la cherté des loyers, ont

contribué à chasser du Paris central le peu-

ple travailleur, le refoulant toujours plus à

l’est, au nord et au sud, d’abord dans les

quartiers est du Temple et de Popincourt

(XIe), des Quinze-Vingts et de Bel-Air (XIIe),

puis dans la périphérie récemment an-

nexée, les antagonismes sociaux sont en

somme inscrits dans la géographie même de

la capitale : à l’ouest et au centre, la ville

des riches, beaux quartiers des Ier, VIIe, VIIIe

et XVIe arrondissements ; l’enserrant

comme en une tenaille qui va du XVe au

XVIIe arrondissement, poussant une avan-

cée dans les Xe et XIe, IIIe et IVe arrondisse-

ments, la ville populaire, le Paris des

déshérités.

Dans les années 1830 et 1840 Paris était

considérée comme la ville des « classes dan-

gereuses », qui inquiétait les possédants ;

Haussmann parle encore d’une population

redoutable de « nomades ». C’est depuis

1789 la ville des révolutions, où se décide le

sort de la France, au mépris souvent des

opinions provinciales : prise de la Bastille,

insurrection du 10 août 1792 qui a mis fin

à la monarchie, révolution des « trois glo-

rieuses », les 28, 29, 30 juillet 1830 qui

chasse les Bourbons et installe la monarchie

« bourgeoise » de Louis-Philippe, révolu-

tion de février 1848 qui instaure la IIe Ré-

publique, à son tour gravement menacée

par l’insurrection ouvrière de juin. La ville,

il est vrai, avait accepté, le coup d’état de

décembre 1851 : elle avait esquissé une

résistance républicaine qui a vu la mort du

13

Jacques ROUGERIE

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Page 14: A comuna de paris 1871

député Baudin sur une barri-

cade du faubourg Saint-Antoine

et donné tout de même 37 %

aux « non », plus de 40 % dans

les quartiers populaires, lors du

plébiscite qui suit le coup d’état.

Toutes les insurrections et révo-

lutions depuis 1789 ont eu pour

objectif premier la prise de

l’Hôtel de Ville, siège du pouvoir

municipal : « L’Hôtel de Ville

était à Paris le lieu choisi pour la

consécration de tous les pouvoirs révolution-

naires, comme Reims fut autrefois la ville

choisie pour le couronnement des rois »,

écrivait le socialiste Louis Blanc dans les an-

nées 1840. Les révolutions parisiennes ont

toutes, et la Commune n’y échappera pas,

un aspect « municipal ».

Or la ville est privée depuis 1851 de tous

droits municipaux. Elle est administrée de

rude main par deux hauts fonctionnaires,

le préfet de police, Pietri, et jusqu’en 1869,

le préfet de la Seine Haussmann, véritable

« ministre de Paris ». Elle s’affirme de plus

en plus nettement contestataire, républi-

caine. Aux élections législatives de 1869,

pour neuf sièges à pourvoir dans le dépar-

tement de la Seine, huit républicains l’em-

portent largement ; la République obtenait

près de 70 % des voix. Dans la circonscrip-

tion nord de Paris, du quartier des Bati-

gnolles à celui de Belleville, Gambetta, qui

prône dans un programme retentissant, le

« programme de Belleville », la République,

la séparation de l’Église et de l’État, le man-

dat impératif (qui exige que l’élu suive

fidèlement les instructions des électeurs), a

remporté un triomphe (57 % des votants),

devançant non pas un bonapartiste, mais

un républicain modéré, le vieux quarante-

huitard Carnot (31 %) soit 80 % de voix

pour la République. Lors du plébiscite de

mai 1870, Paris a dit son refus de l’Empire,

même libéralisé : 156 765 non, 110 409 oui .

Les « oui » l’ont emporté dans les beaux

quartiers, VIIIe, XVIe, IXe, Ier, souvent de peu ;

les « non » sont 77 % à Belleville, 70 % dans

les XIe et XVIIIe arrondissements, plus de

60 % dans les autres quartiers populaires.

On a dressé des barricades à Belleville en

juin 1869.

Mais Paris, ville de mouvement et de

progrès, n’est encore qu’un îlot républicain

dans un océan de campagnes prudentes et

conservatrices.

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3. Stéphane AUDOIN-ROUZEAULa Guerre de 1870-1871et le siège de Paris

LLaa ddééffaaiittee ffrraannççaaiissee

Début août, on apprend une série de revers

successifs de l'armée française, en Alsace et

en Lorraine. La retraite s'effectue alors

d'une part sur la ville forteresse de Metz,

où la plus grande partie de l’armée se laisse

enfermer, d'autre part à Châlons-en-

Champagne où tente de se regrouper une

armée nouvelle destinée à rétablir la situa-

tion. Celle-ci s'ébranle le 21 août, mais elle

ne peut effectuer la marche vers l'est ini-

tialement prévue. Rejetée dans la cuvette

de Sedan, elle est totalement encerclée et

vaincue le 1er septembre. Napoléon III se

constitue prisonnier.

LLaa rréévvoolluuttiioonn àà PPaarriiss eett llee GGoouuvveerr--

nneemmeenntt ddee llaa DDééffeennssee nnaattiioonnaallee..

Aux yeux des républicains, le Second Empire

a perdu toute légitimité. Le 4 septembre, se

déroule à Paris une révolution non violente

et patriotique : la République est proclamée

à l’Hôtel de Ville.

Le nouveau gouvernement républicain

prend le nom de Gouvernement de la Dé-

fense nationale. Très vite,

il envoie une délégation

en province, à Tours,

pour y organiser la lutte

en dehors de Paris. À la

tête de la délégation de

Tours, Léon Gambetta cu-

mule les fonctions de mi-

nistre de la Guerre et de

ministre de l'Intérieur. Il

se veut un nouveau Dan-

ton : à ses yeux, la Répu-

blique chassera l'ennemi

15

Stéphane AUDOUIN-ROUZEAU

Annonce de l'abolition du régime impérial devant le Palais Bourbon

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Page 16: A comuna de paris 1871

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Article du " Journal du Peuple ", mercredi 10 août 1870 - N°14

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Page 17: A comuna de paris 1871

du territoire comme elle l'avait fait quatre-

vingts ans auparavant à Valmy, en 1792. Le

grand mythe jacobin de la « patrie en dan-

ger » joue alors à plein, dans une véritable

résurgence de l'an II.

L'effort républicain de redressement fut

considérable. La stratégie passa par la re-

constitution d'armées de type classique

grâce à de nouvelles levées d'hommes, en

visant la marche sur Paris (encerclé à partir

du 18 septembre) pour faire lever le siège,

si possible en coordination avec une sortie

de l'armée de Paris elle-même. Mais, dès la

fin novembre et le début du mois de dé-

cembre, cet espoir s'évanouit : les armées

du Nord, de Paris et de la Loire échouent en

effet successivement et la délégation doit

quitter Tours pour Bordeaux. En janvier,

l'effondrement militaire est patent.

LLee ssiièèggee ddee PPaarriiss ((1199 sseepptteemmbbrree --

2288 jjaannvviieerr 11887711))

La population parisienne, quant à elle, s'est

inscrite d'emblée dans le camp de la résis-

tance à l’ennemi. Jusqu'à la fin du siège,

l’idée d'un gigantesque sacrifice de la po-

pulation parisienne, préférable à toute red-

dition, imprègne le discours du mouvement

populaire parisien. Ce bellicisme du mou-

vement révolutionnaire s'adosse à la réso-

lution d'ensemble de la population

parisienne. Celle-ci

n'a pas faibli, malgré

les souffrances du

siège, particulière-

ment cruelles dans les

deux derniers mois

(faim et froid, sur-

tout). Au contraire,

les privations sem-

blent avoir exacerbé

le désir de combattre,

la détermination pa-

triotique de la popu-La queue devant une boucherie pendant le siège

Stéphane AUDOUIN-ROUZEAU

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Inter Commune:CHAP3_P15_P18 2/08/07 11:16 Page 17

Page 18: A comuna de paris 1871

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lation n'ayant fléchi à aucun

moment. La détermination des

milieux populaires est ainsi lar-

gement partagée par les classes

moyennes et par la bourgeoisie,

même politiquement conserva-

trices. Ce patriotisme parisien,

de type essentiellement défen-

sif, s'adosse à une foi naïve dans

la victoire, qui reste parfois in-

tacte jusqu'à la fin du siège chez

les plus optimistes : il s'agit de

« tenir bon », car Paris ne peut être pris

d'assaut ; il faut garder confiance dans une

rupture possible de l'encerclement ; à l'ex-

trême gauche, on affirme même sa foi dans

la « sortie torrentielle » de toute la popu-

lation en armes.

Ces espoirs sont ruinés en janvier 1871.

Paris est bombardée depuis le 5 janvier. La

dernière sortie de l'armée de Paris, qui

essaie d’avancer dans la direction du quar-

tier général allemand à Versailles, échoue

le 19 janvier à Buzenval. L'exaspération de

l'extrême gauche face à la conduite de la

guerre se manifestera de nouveau le 22,

quand une manifestation des gardes natio-

naux en armes finit en fusillade sur la place

de l’Hôtel de Ville. Des dizaines de morts et

de blessés marquent alors la profondeur du

fossé entre les partisans de la guerre révo-

lutionnaire et les républicains modérés du

gouvernement, désormais fermement

convaincus de la nécessité d'arrêter le

conflit.

Le 28 janvier, Paris capitule et un armistice

de vingt et un jours est signé. Dans l'armée,

un sentiment de honte domine, associé à

l'idée d'une longue lutte menée en pure

perte. Du côté de la population civile, les

rapports de police parlent de la « douleur »

des quartiers populaires, mais signalent la

faiblesse des réactions de « révolte ».

Certes, l'indignation s'exprime dans tous les

milieux, mais partout c'est la résignation

qui, dans un premier temps, l'emporte.

Dans un premier temps seulement : tout se

passe en effet comme si le traumatisme de

l'armistice avait diffusé ses effets de ma-

nière différée, dans le courant du mois de

février. L'insurrection communaliste du 18

mars procèdera directement de cet effet en

retour de la capitulation parisienne, du

traumatisme patriotique provoqué par la

défaite française.

Inter Commune:CHAP3_P15_P18 2/08/07 11:16 Page 18

Page 19: A comuna de paris 1871

4. Rémy VALATAux origines de laCommune – La Fédé-ration républicaine dela Garde nationale

La Garde nationale est une force publique

intimement liée aux processus révolution-

naires qui ont secoué Paris et la province de

1789 à 1871. Son poids politique

et symbolique est très fort. Le

droit d’inscription dans ses rangs

est, au même titre que le droit de

vote, considéré comme un signe

de l’appartenance au corps social

des citoyens. À l’exception de

courtes phases de démocratisa-

tion de la milice citoyenne, en

1793, 1848 et 1871, l’accès aux in-

dividus les moins fortunés est, soit

interdit, soit entravé par l’obliga-

tion de fournir l’équipement in-

dividuel (et onéreux) pour le

service. En revanche, l’engage-

ment massif dans la Garde natio-

nale correspond toujours à une

période de crise politique, parfois

accompagnée d’une guerre

étrangère ; un lien mécanique

existe entre l’accroissement des effectifs de

la milice et le processus révolutionnaire.

Malgré le potentiel insurrectionnel qu’elle

représente, la Garde nationale a été conser-

vée par les régimes successifs, même les

plus autoritaires. L’institution est représen-

tative des aspirations du peuple ; elle est

historiquement associée à la création de

l’identité nationale, lors de la fête de la Fé-

dération, qui a réuni 14 000 gardes venus en

19

Rémy VALAT

Type d'officier de la Commune, par Daniel Vierge

Inter Commune:CHAP4_P19_P22 1/08/07 16:54 Page 19

Page 20: A comuna de paris 1871

délégation de l’ensemble de la

province apporter leur soutien

à la Constituante, le 14 juillet

1790.

La participation des bataillons

de gardes nationaux à une

insurrection est synonyme de

révolution ! Par conséquent, la

plupart des bataillons de gardes

nationaux ont été dissous par

Louis - Napoléon Bonaparte (dé-

cret du 11 janvier 1852). En 1870 ne subsis-

tent que les 60 bataillons du département

de la Seine, le recrutement est très sélectif.

Les gardes sont admis de 25 à 50 ans, les

compagnies ne sont constituées que dans

les quartiers les moins politiquement ou

socialement revendicatifs, et le corps des

officiers assure sa promotion par la coopta-

tion.

La déclaration de guerre et les revers

militaires ont nécessité une levée en masse,

la mobilisation de toutes les Gardes

nationales du pays le 12 août 1870. Dès la

proclamation de la République, la Garde

parisienne se radicalise. A cette date sont

institués les conseils de famille, comités de

secours mutuels dans chaque bataillon, le

versement d’une in-

demnité journalière

de 1,50 franc, l’élec-

tion des officiers et

la constitution de

254 bataillons re-

groupant environ

300 000 hommes. La

Garde participe à la

défense de la cité et

aux tentatives de

sortie, toutes sol-

dées par un échec.

Elle joueaussi un rôle

politique : les réu-

nions des conseils de

familles et comités

de bataillons (qui sont des structures infor-

melles) servent de relais informationnels. La

Garde joue un rôle important dans l’éco-

nomie de guerre parisienne (paiement de

la solde, fournitures…), elle se forge une

identité républicaine, organise les souscrip-

tions pour la fonte de canons et participe à

la vie politique.

En janvier, les bataillons s’agitent. Le 27,

des pétitions circulent, des réunions se

tiennent dans les arrondissements cen-

traux. Après l’armistice, les comités de

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Inter Commune:CHAP4_P19_P22 1/08/07 16:54 Page 20

Page 21: A comuna de paris 1871

gardes nationaux

participent active-

ment à la cam-

pagne pour les

élections du 8 fé-

vrier, organisant

des réunions pour

la défense de la

République. Réu-

nions confusesmais

le succès est cer-

tain. Un comité

d’initiative est

chargé de structu-

rer le programme

et l’action du co-

mité électoral. Le

résultat des élections à l’Assemblée nationale

(qui donnent une forte majorité monar-

chiste) donne au mouvement républicain

une tournure contestataire. Le 15 février

1871 se tient une assemblée générale dans

une salle de bal, 16 rue de la Douane (le

Tivoli-Vauxhall) où sont présents tous les

délégués de bataillons à l’exception de ceux

des Ier et IIe arrondissements. L’assemblée

demande à l’unanimité le maintien de la

Garde nationale en arme dans la capitale.

Une commission provisoire est chargée de la

rédaction des statuts de la Fédération.

Une seconde réunion de délégués représen-

tant 200 bataillons a lieu le 24 février. Deux

motions sont adoptées : le refus du désar-

mement de la Garde et l’opposition à l’en-

trée des Prussiens dans Paris. Du 24 février au

2 mars 1871, le comité provisoire devient le

foyer d’une contestation populaire crois-

sante. Les canons de la Garde, dont les

clauses de l’armistice prévoient la remise aux

Prussiens, sont mis en lieu sûr en son nom

(sur la Butte Montmartre et à Belleville). Le

comité organise un cordon de protection

autour du secteur d’occupation allemand,

lors de la brève et symbolique entrée

de l’armée ennemie dans le quartier

des Champs-Elysées, le 1er mars 1871. Entre le

1er et le 3 mars sont adoptés les statuts défi-

nitifs de la Fédération républicaine de la

Garde nationale : le comité provisoire de-

vient le comité central et la Garde nationale

se dote à tous les niveaux de son organisa-

tion (compagnies, bataillons, arrondisse-

ments) de structures fédératives. Cette

Fédération, et ses adhérents, « les Fédérés »,

deviennent le symbole et l’incarnation

du républicanisme patriotique et frondeur

du peuple parisien. Pour les conserva-

teurs, ils représentent une menace de

révolution qu’il faudra tôt ou tard

neutraliser.

Rémy VALAT

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Page 23: A comuna de paris 1871

5. Jacques ROUGERIEDe la capitulation àl’insurrection

Janvier 1871 : la France est vaincue ; on ne

peut que conclure la paix, aux conditions

sévères de l’ennemi. Seul un gouvernement

régulier - Bismarck, chancelier du nouvel

empire allemand, l’avait exigé - pouvait le

faire. En hâte, on procéda le 8 février à

l’élection d’une Assemblée nationale. Dans

les campagnes lasses de l’effort militaire,

(la France est rurale à 70 %), l’opinion se

résigne facilement à la paix. Soumis de

surcroît à l’influence de notables conserva-

teurs, les « ruraux » craignaient l’instaura-

tion d’une République « rouge », de

« partageux », imposée par les villes. Celles-

ci, grandes et moyennes, ont voté majori-

tairement pour la République. Au premier

rang Paris : ses 290 000 électeurs ont dési-

gné 36 députés républicains pour 43 sièges

à pourvoir, plaçant en tête, avec plus de

60 % des voix, le vieux quarant’huitard

Louis Blanc, Victor Hugo, proscrit de

23

Jacques ROUGERIE

Le vote de Paris en février 1871

Inter Commune:CHAP5_P23_P28 2/08/07 11:17 Page 23

Page 24: A comuna de paris 1871

l’Empire, le patriote Gambetta,

quand Adolphe Thiers, ténor

des libéraux, n’en obtient que

32 %, essentiellement dans les

beaux quartiers de l’ouest.

L’Assemblée, qui s’installe

d’abord à Bordeaux, compte

une majorité d’au moins 400

monarchistes, pour à peine 150

républicains, dont une quaran-

taine de radicaux gambettistes,

et quelque 80 libéraux indécis. Elle désigne le

17 février Thiers, 73 ans, comme chef du

pouvoir exécutif, président du Conseil des

ministres. C’est lui qui négocie, à Versailles où

est l’état-major allemand, et accepte le 26

février les conditions préliminaires d’une

paix humiliante : cession de l’Alsace et du

nord de la Lorraine, indemnité de guerre

de 5 milliards de francs or (l’équivalent d’un

trimestre de revenu national). L’Assemblée

les ratifie le 1ermars par 546 voix contre 107.

Le conflit ne tarde pas à éclater entre

Bordeaux et Paris, qui ne se résigne pas à

accepter une paix désastreuse. Bien que, le

10 mars, les partis à l’Assemblée aient choisi

de suspendre toute décision sur la nature

du futur régime, la capitale a tout lieu de

craindre que la majorité monarchiste ne

médite une restauration.

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Ratification des préliminaires de paix par l'Assemblée

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Page 25: A comuna de paris 1871

Paris a la fièvre depuis l’armistice. Pendant

toute une semaine, du 24 février jour anni-

versaire de la proclamation de la IIe Répu-

blique au 2 mars, 130 bataillons, plus de la

moitié de la Garde nationale, manifestent

place de la Bastille leur fidélité à la Répu-

blique. Les statuts de la Fédération de

la Garde, constituée le 15 mars affirment

hautement que « la République est le seul

gouvernement possible ».

Pendant ce temps, l’Assemblée a pris deux

décisions redoutables. Elle met fin aux mo-

ratoires de paiement des loyers et surtout

des effets de commerce, décidés au début

de la guerre, ce qui ne peut manquer de

provoquer une grave crise économique

dans la capitale. Elle supprime la solde de

trente sous, seule ressource des gardes na-

tionaux du Paris populaire sans travail.

Une totale confusion règne : militaire - il

faut démobiliser, renvoyer dans leurs foyers

les 430 000 hommes de l’armée de Paris - et

civile. Jules Ferry, qui fait fonction depuis

novembre 1870 de maire provisoire de la

ville, n’a plus d’autorité sur les arrondisse-

ments populaires. Des bataillons de la

garde s’emparent çà et là de dépôts

d’armes et de munitions. Et surtout, la

Garde a conservé 471 pièces de canons et

mitrailleuses, dont 171 ont été hissés au

sommet de la Butte Montmartre. Pourtant,

nul, à Paris, ne paraît songer à ce moment

à une guerre civile.

Ce qui va se passer le 18 mars n’a rien d’une

insurrection révolutionnaire, comme Paris

25

Jacques ROUGERIE

La colonne de Juillet pavoisée

Le parc d'artillerie de la Butte Montmartre

Inter Commune:CHAP5_P23_P28 2/08/07 11:17 Page 25

Page 26: A comuna de paris 1871

en a connu en juillet 1830 ou en

février 1848. Alors même qu’on

négociait la restitution des ca-

nons, le gouvernement tente un

coup de force. Tôt le matin de ce

jour, 4 000 hommes sous les or-

dres du général Lecomte s’em-

parent de la Butte Montmartre,

6 000 occupent Belleville et le

point stratégique qu’est la place

de la Bastille. C’est compter sans

Paris qui a tout lieu de croire à

un coup d’état monarchiste. À Montmartre,

une foule populaire, des femmes, Louise

Michel en tête, des gardes nationaux hâti-

vement rassemblés font face aux troupes

qui mettent la crosse en l’air. La rébellion

gagne de proche en proche d’abord les

quartiers populaires de rive gauche puis de

tout l’est et le nord de Paris.

Dans l’après-midi, le général

Lecomte est fusillé sommaire-

ment ; avec lui, le général

Clément Thomas, ancien com-

mandant de la Garde natio-

nale, pris par surprise au bas de

la Butte : un sang qu’il faudra

venger. Sans rencontrer de ré-

sistance réelle, quelques ba-

taillons s’emparent de l’Hôtel

de Ville où le Comité central de la Garde,

qui pourtant n’a rien dirigé dans cette jour-

née insurrectionnelle, s’installe, ne sachant

trop que faire, dans une situation inattendue.

Après bien des tergiversations - la Garde

nationale ne devrait-elle pas marcher sans

désemparer sur Versailles ? –, le Comité

choisit de faire procéder à des élections mu-

nicipales qui rendent à la capitale les droits

politiques locaux dont l’avait privé l’Em-

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Les corps des généraux Lecomte et Thomas

Retraite aux lampions le soir du vote

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Page 27: A comuna de paris 1871

pire. Il demandait pour les organiser l’aide

et la garantie des représentants de Paris,

maires d’arrondissements, députés, tous

bons républicains, mais profondément in-

quiets de la situation insurrectionnelle dans

laquelle Paris se plaçait, face à une Assem-

blée nationale monarchiste mais légitime,

élue régulièrement au suffrage universel.

Après une semaine de discussions, une par-

tie seulement de ces députés et maires don-

nait son aval à l’élection d’une municipalité

parisienne que beaucoup désignent déjà

comme une « Commune », rappelant le

souvenir de la Commune révolutionnaire

qui avait brisé la royauté le 10 août 1792.

On procéda aux élections le 26 mars. Il n’y

eut que 227 000 votants : plus de la moitié

des électeurs s’étaient abstenus ; 180 ou

190 000 seulement, principalement dans les

quartiers nord et est de la capitale, s’étaient

prononcés pour des listes réellement « com-

munalistes » et révolutionnaires. Dans le

centre et l’ouest bourgeois, les électeurs

avaient désigné des républicains modérés

ou n’étaient pas allés aux urnes. Ces élec-

tions, en réalité indécises, installaient à

l’Hôtel de Ville une majorité révolution-

naire d’une soixantaine de membres, vingt-

et-un élus modérés ayant démissionné

quand l’Assemblée municipale, dès sa pre-

mière séance le 29 mars, décida de prendre

le nom de « Commune de Paris » : on pro-

cédera en avril à des élections complémen-

taires pour lesquelles à peine 30 % des

électeurs se déplacèrent. Quarante-quatre

élus ouvriers ou employés, douze journa-

listes d’extrême gauche, une douzaine

d’avocats, d’artistes, régnaient sur un Paris

qui se considérait désormais comme « ville

libre ».

27

Jacques ROUGERIE

Chef communard, par Daniel Vierge

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Page 29: A comuna de paris 1871

6. Alain DALÔTELLa Commune« d’en haut »

La nouvelle commune de Paris doit se gou-

verner. Une commission exécutive est dési-

gnée, et ses différentes commissions

ressemblent à de petits ministères qui s’ins-

tallent d’ailleurs dans les locaux de l’État.

Rien que de très classique ; si l’on prend

l’exemple de la Commission de la Guerre,

on s’aperçoit qu’elle fonctionne avec ses

chefs militaires de façon tout à fait tradi-

tionnelle. Si la conscription est abolie, elle

est bientôt remplacée par le service obliga-

toire dans la Garde nationale pour les

hommes de 19 à 40 ans, mariés ou non.

Gustave Cluseret, ancien officier de métier

devenu général dans l’armée américaine

pendant la guerre de sécession puis révolu-

tionnaire international, nommé délégué à

la Guerre en avril, jaloux de son autorité,

réinstaurera les conseils de guerre contre

les Fédérés, décidément trop remuants et

peu disciplinés.

L’Etat existe toujours, même s’il y a un

changement de personnel et un esprit de

réforme. Ce n’est pas parce que les blan-

quistes ont appelé la Préfecture de police,

« ex-préfecture de police », qu’elle a dis-

paru. De même pour la magistrature dite

« révolutionnaire », qui fonctionne d’une

manière classique. Une autre commission

a fait l’objet de critiques, la Délégation des

Relations extérieures. Pascal Grousset y

règle tout d’abord la question des rapports

avec la Prusse, puissance occupante, trop

puissante pour qu’on l’affronte. Le statu

quo obtenu par le Comité central est re-

conduit. Le gouvernement de Versailles

s’en servira plus tard contre la Commune.

Reste le problème des relations avec les au-

tres villes de France. Les communes éphé-

mères de Marseille et de Narbonne

vaincues, des appels aux provinces sont lan-

cés. Mais ils ne sont pas suivis.

Le bilan du fonctionnement des commis-

sions n’est pourtant pas négatif. Celle des

Services publics a remis en marche l’admi-

nistration de la capitale désertée par les

fonctionnaires. Celle des Finances, sous la

direction du très légaliste Francis Jourde, a

rempli son rôle avec une grande modéra-

tion. La délégation à l’Enseignement avec

Edouard Vaillant, au nom de la séparation

de l’Eglise et de l’Etat, a commencé de met-

29

Alain DALÔTEL

Inter Commune:CHAP6_P29_P32 1/08/07 16:57 Page 29

Page 30: A comuna de paris 1871

tre en pratique une éducation

d’avant-garde, avec la collabo-

ration de femmes aux idées

avancées comme André Léo

(Léodile Champseix).

C’est en avril que la crise com-

mence vraiment. Les élections

complémentaires du 16 avril

sont un échec et surtout on note

un comportement rebelle dans

les légions de la Garde natio-

nale, travaillées par les sous-comités d’ar-

rondissements qui mettent en place des

clubs où la critique des « écharpiers » et des

« galonnés » est quotidienne. Pour pallier

la dégradation de la situation militaire, une

majorité de membres de la Commune met

en place un Comité de salut public censé ré-

soudre la crise. Politiquement, elle ne fait

que s’aggraver, les élus se divisant en parti-

sans d’un pouvoir fort et une minorité op-

posée à la « dictature » du Comité de salut

public. En réalité, le « pouvoir communal »,

malgré les velléités de quelques personna-

lités, reste faible. Cette assemblée commu-

naliste, formée d’hommes généreux,

dévoués à la cause populaire, ne s’est pas

toujours montrée à la hauteur de sa lourde

tâche. Souvent jeunes, sans expérience du

pouvoir, obligés d’improviser un gouverne-

ment au milieu d’une crise politique, ses

membres sont exténués par de multiples

responsabilités. Le journalisteArthurArnould,

membre de la Commune écrit : « Nous étions

surmenés de travail, accablés de fatigue,

n’ayant pas à nous une minute de repos, un

instant où la réflexion calme put se pro-

duire et exercer son influence salutaire… Je

ne me rappelle pas m’être déshabillé, cou-

ché, dix fois dans ces deux mois ». La lecture

des procès-verbaux des séances de l’assem-

blée communale est parfois surprenante :

on y discute dans le vide sur des questions

de détail et le formalisme « institutionnel »

prend le dessus sur les nécessités de la si-

tuation, et surtout sur le fond, la question

sociale. Ces hommes ont été élus pour met-

tre en œuvre la révolution, mais, comme

cela est fréquent, une fois au pouvoir, la

plupart oublient leur mandat. On est

étonné de trouver des orateurs qui défen-

dent le principe de la propriété. Le respec-

table doyen du Conseil communal, Charles

Beslay, a même protégé la Banque de

France, plusieurs foismenacée par les fédérés.

Quelques-uns comme Augustin Avrial, élu

du XIe arrondissement, et surtout Léo Fränkel,

élu du XIIIe, sauront rappeler leur devoir à

Ala

inD

ATÔ

TEL

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Inter Commune:CHAP6_P29_P32 1/08/07 16:57 Page 30

Page 31: A comuna de paris 1871

leurs collègues. Ce dernier, le 12 mai,

presque à la fin de la Commune, déclare

hautement : « la Révolution du 18 mars a

été faite exclusivement par la classe

ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette

classe, nous qui avons pour principe l’éga-

lité sociale, je ne vois pas la raison d’être

de la Commune. »

LLaa ppaarrtt dduu ppeeuuppllee

L’une des caractéristiques de la Révolution

de 1871, celle qui nous interpelle le plus

aujourd’hui dans le contexte d’une certaine

rupture entre la classe politique et la

société civile, c’est l’émergence de plusieurs

instances populaires : la Garde nationale

fédérée et les sous-comités d’arrondisse-

ments, le mouvement des femmes et les

clubs. Comme s’il y avait eu une « Com-

mune d’en haut » à l’Hôtel de Ville avec les

élus, un pouvoir « légal », et une « Com-

mune d’en bas », un pouvoir populaire des

quartiers. Une situation tendue qui s’ex-

plique par la lutte des classes, au sens large

du terme, qui déchire le camp communard.

LLeess cclluubbss rroouuggeess

Les clubs populaires de 1871 ont été l’une

des cibles principales du discours versaillais

lors de la répression ; ils étaient pour les

hommes de l’ordre, le mal absolu. C’est

dans ces lieux que le peuple insurgé a repris

la parole comme en 1793 et en 1848. Les

clubs avaient refleuri après le 4 septembre

1870 jusqu’au nombre d’une centaine,

contestant la faiblesse du gouvernement

de la Défense nationale. Interdits après l’in-

surrection du 22 janvier 1871, ils réappa-

raissent fin avril et s’installent dans les

églises. Pour les militants de ces assemblées,

vite dominées par l’élément féminin, il

s’agit de pousser les élus dans la voie de la

Révolution. En effet, si le principe de la

Commune n’est jamais mis en cause par ces

communards mécontents, il apparaît nette-

ment qu’ils rejettent sans appel les

« chamailleries parlementaires » de l’Hôtel

de Ville. Le Club des prolétaires, qui réqui-

sitionne les églises Saint-Ambroise et

Sainte-Marguerite dans le XIe, est un bon

exemple de ce phénomène populaire. Ses

organisateurs, travailleurs issus du sous-

comité de l’arrondissement qui a pris le pou-

voir à la mairie, s’en prennent à « la ma-

chine à étouffement de l’Hôtel de Ville ».

31

Alain DALÔTEL

Inter Commune:CHAP6_P29_P32 1/08/07 16:57 Page 31

Page 32: A comuna de paris 1871

« Majorité ou minorité, que

nous importe ! Vos personnes

sont de peu de poids dans les

balances de la Commune ! » Les

élus, « simples commis » révoca-

bles, « sont tenus de soumettre

leurs projets de décrets à la

sanction du peuple, qui leur fait

des injonctions et n’a pas à en

recevoir ».

La « République nouvelle » sera garantie

par les « soldats-citoyens ». Les clubistes,

compte tenu de la gravité de la situation,

sont certes, mobilisés par la question militaire,

mais dans leurs discours très « musclés », ils

n’en oublient pas pour autant les « reven-

dications du peuple », car ils se réclament de

la « classe du travailleur ».

Les clubs, qui réalisent donc un vrai pou-

voir populaire, sont très attachés à leur

autonomie ;

« Nous avons les maîtres en horreur

de quelque masque qu’ils osent se

couvrir (écrit un rédacteur dans le n° 2

du journal « Le Prolétaire » du 15

mai 1871) et nous n’hésiterons pas à

dévoiler leurs manœuvres, fussent-ils

ceints d’une écharpe rouge à frange

d’or. Nous ne sommes pas plus dis-

posés à subir le joug de nos égaux de

la veille que de nos tyrans d’hier. Il

faut que les exploiteurs du régime

de transition en fassent leur deuil ;

toutes les vanités, toutes les convoi-

tises, doivent être immolées sur l’au-

tel de la Commune. »

32

Ala

in D

ATÔ

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Page 33: A comuna de paris 1871

7. Jacques RougerieL’œuvre dela Commune

L’Assemblée communale n’a siégé et tra-

vaillé que 54 jours ; c’était bien peu pour

réaliser des réformes. Elle para donc

d’abord au plus pressé, faisant remise le

29 mars des loyers impayés pendant le

siège, prorogeant le 12 avril le moratoire

de règlement des effets de commerce que

venait d’abroger l’Assemblée. Le 6 mai, elle

décidait la restitution gratuite des objets

d’une valeur inférieure à 20 francs - linge,

matelas, meubles, petits bijoux, instru-

ments de travail - mis en gage au Mont-de-

Piété en garantie de prêts à des taux

usuraires à une clientèle populaire.

Elle prit néanmoins deux grandes mesures

de principe que la IIIe République ne réali-

sera que bien des années plus tard : le

29 mars, abolition de la conscription par

tirage au sort et instauration du service mi-

litaire obligatoire pour tous dans la garde

nationale ; le 2 avril, séparation de l’Eglise

et de l’Etat. La commission de l’Enseigne-

ment, dirigée par Édouard Vaillant, aidée

des commissions locales d’arrondissement

procéda à la laïcisation des écoles publiques

dont beaucoup étaient encore entre les

mains de religieux. L’éducation serait gra-

tuite, obligatoire et « intégrale », à la fois

de culture générale et professionnelle : « II

faut qu’un manieur d’outil puisse écrire un

livre ». Le peintre Courbet, membre de la

Commune, président d’une commission des

musées, ouvrait au peuple le Louvre, le

musée du Luxembourg, le Muséum d’his-

toire naturelle.

33

Jacques ROUGERIE

Les Communardes, caricatures de Nix

Inter Commune:CHAP7_P33_P36 1/08/07 16:59 Page 33

Page 34: A comuna de paris 1871

Dans l’immédiat, il fallait faire

vivre la ville, l’administrer, payer

la solde des gardes nationaux, et

surtout financer la défense

contre Versailles. Le délégué aux

Finances Jourde disposait de

l’argent des contributions indi-

rectes et de l’octroi. Il obtint des

avances de la Banque de France

pour 16 765 202 francs (que

Paris devra plus tard rembourser

intégralement) ; dans le même

temps, la Banque prêtait 257 millions à Ver-

sailles. Avec très peu d’argent, des commis-

sions municipales d’arrondissement, tantôt

nommées par la Commune, tantôt formées

sur initiative locale, assurèrent les fonctions

administratives, état civil, organisation de

l’éducation, de l’assistance, jusqu’aux plus

humbles tâches de la voirie. Ce n’est pas la

moindre réussite de Paris insurgé : la vie

politique à bon marché.

La Commune se voulut révolution sociale.

Sa commission du Travail et de l’Echange,

dirigée par le membre hongrois de l’Inter-

nationale Frankel, ouvrier bijoutier, prépa-

rait des mesures d’organisation du travail

parisien. Les chambres syndicales des divers

métiers qui s’étaient formées à la fin de

l’Empire, souvent à l’impulsion de mem-

bres parisiens de l’Association internatio-

nale des travailleurs, créeraient des

associations ouvrières coopératives de pro-

duction qui, n’ayant pas de patron à rétri-

buer d’un profit injuste, échangeant leurs

produits à prix coûtant (« l'égal échange »),

soutenues par la banque de crédit

populaire que serait le Mont-de-Piété radi-

calement transformé, feraient une concur-

rence victorieuse aux entrepreneurs privés.

La ville leur réserverait ses commandes :

l’équipement de la Garde nationale irait

aux associations de cordonniers ou de tail-

leurs. Le 16 avril, l’assemblée communale

décréta la confiscation des ateliers aban-

donnés par leurs propriétaires en fuite ; ils

seraient remis aux associations coopératives.

Faute de temps, cette organisation révolu-

tionnaire du travail reste à l’état de projet.

En revanche étaient interdites les amendes

et retenues de salaire dans les ateliers ou les

administrations. Le travail de nuit était in-

terdit dans les boulangeries, à la demande

de la chambre syndicale de la profession.

La Commune fixa le 2 avril le maximum

des traitements des fonctionnaires à

Jacq

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Inter Commune:CHAP7_P33_P36 1/08/07 16:59 Page 34

Page 35: A comuna de paris 1871

6 000 francs (l’équivalent d’à peu près

1 500 euros mensuels). Ses membres ne tou-

chaientqu’une indemnitéde15 francspar jour.

Le 19 avril dans une solennelle Déclaration

au Peuple français, l’assemblée communale

proposait une refonte administrative et po-

litique totale du pays. « L’unité, telle qu’elle

nous a été imposée jusqu’à ce jour par l’Em-

pire, la monarchie et le parlementarisme,

n’est que la centralisation despotique, inin-

telligente, arbitraire ou onéreuse. L’unité

politique, telle que la veut Paris, c’est

l’association volontaire de toutes les initiatives

locales ». Le pouvoir serait décentralisé à

l’extrême, par « l’autonomie de la Commune

étendue à toutes les localités de France ».

La France formerait une fédération de com-

munes libres, liées par un contrat, chacune

nommant ses fonctionnaires, organisant

son enseignement, sa police, décidant de

son budget. Les citoyens pourraient inter-

venir directement dans les affaires pu-

bliques ; leurs représentants seraient

constamment révocables. Cette forme de

démocratie participative, il vaut mieux dire

immédiate, se situait dans la tradition

même de la Constitution montagnarde de

l’an I, de 1793, très décentralisatrice, que les

républicains de la gauche radicale tenaient

à l’époque pour un guide idéal. On se sou-

venait des apostrophes de Robespierre :

« Fuyez la manie ancienne des gouverne-

ments de vouloir trop gouverner. Laissez

aux communes, laissez aux familles, laissez

aux individus... le soin de diriger eux-

mêmes leurs propres affaires en tout ce qui

ne tient point essentiellement à l’adminis-

tration générale de la République ». Ou en-

core « Le peuple est le souverain ; le

gouvernement est son ouvrage et sa pro-

priété ; les fonctionnaires publics sont ses

commis. Le peuple peut, quand il lui plaît,

changer son gouvernement et révoquer ses

mandataires ».

Ce qui était peut-être utopie s’agissant de

la France fonctionnait dans Paris, « ville

libre » qui se proposait en exemple. Dans

les clubs populaires, les multiples comités

de la Garde nationale, jusque dans les rues,

on discutait, on contestait les actes et les

décisions d’une assemblée communale

jugée trop « mollasse ». La participation po-

pulaire à la politique, hommes et aussi et

peut-être surtout femmes, tendait à deve-

nir une réalité, comme elle l’avait été un

moment dans le Paris sans-culotte de l’an II.

35

Jacques ROUGERIE

Inter Commune:CHAP7_P33_P36 1/08/07 16:59 Page 35

Page 36: A comuna de paris 1871

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Les hommes de la Commune

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Page 37: A comuna de paris 1871

8. Hollis CLAYSONLa culture etla Commune

Comme en 1789, en 1830 et en 1848, les ar-

tistes s’engagent dans le combat politique.

Gustave Courbet en est la figure emblé-

matique : « A notre époque où la démo-

cratie doit tout diriger, il serait illogique

que l’art, qui mène le monde, soit en retard

sur la révolution qui se déroule en ce mo-

ment en France ».

LLeess aarrttiisstteess ccoommmmuunnaarrddss..

Pendant le premier siège, avait été mise en

place une commission artistique qui avait

pour objectif la sauvegarde des musées na-

tionaux - donc la protection du patrimoine

culturel - et la réforme de l’administration

des Beaux-Arts. Elle réunissait autour de

son président Gustave Courbet, des artistes

opposés au Second Empire. En avril 1871,

47 peintres, sculpteurs et plasticiens fon-

daient la Fédération des artistes : outre

Courbet, les plus célèbres sont le sculpteur

Dalou, les peintres Millet, Corot, Daumier,

Monet. La Fédération prône une totale

liberté artistique par rapport à l’Etat ; elle

s’emploie à préparer une réforme de l’édu-

cation artistique et du marché de l’art. De

même, les auteurs, compositeurs, drama-

turges et acteurs s’efforcent de prendre le

contrôle de leur art.

LLaa gguueerrrree ddeess iimmaaggeess..

Le combat par images interposées est un

des aspects de la bataille politique de 1871.

Les caricatures « communardes » diffusées

en feuilles volantes, prolifèrent dans le

37

Hollis CLAYSON

Inter Commune:CHAP8_P37_P38 1/08/07 17:00 Page 37

Page 38: A comuna de paris 1871

contexte de liberté d’expression

qui caractérise la courte période

de la Commune. Les thèmes

principaux sont l’hostilité à

Thiers (au moins la moitié des

caricatures) et l’anticléricalisme.

Les anti-communards, de leur

côté, tournent en dérision les

théoriciens socialistes et pren-

nent pour cible privilégiée la

figure de la « pétroleuse ».

La Commune est la première révolution pho-

tographiée de l’histoire : les fédérés en uni-

forme, les barricades de la « semaine

sanglante », la destruction de la colonne

Vendôme… Les anti-communards insistent

sur les destructions : l’Hôtel de Ville, le

palais des Tuileries sont incendiés.

Ho

llis

CLA

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La statue de Napoléon à terre

Inter Commune:CHAP8_P37_P38 1/08/07 17:00 Page 38

Page 39: A comuna de paris 1871

9. Gay GULLICKSONLes femmes etla Commune

Comme en toute révolution, les femmes

ont pris une large part à la Commune. Elles

ont été les premières à affronter les troupes

à Montmartre le 18 mars. Lorsqu'elles

virent les soldats essayant de déplacer les

canons, elles les en empêchèrent, se glis-

sant entre les pièces et coupant les rênes

des chevaux, exhortèrent les soldats à met-

tre la crosse en l’air. Des femmes étaient

également présentes lorsque les généraux

Lecomte et Clément- Thomas furent exécutés.

Le calme relatif qui avait régné durant la

matinée avait disparu. Il semble qu’elles

aient joué un rôle déterminant dans la dé-

cision de les fusiller. Leur présence dans la

foule, leur participation aux scènes de liesse

qui se déroulèrent immédiatement après

prirent une grande signification pour les

opposants à la Commune. Plus que les actions

des hommes, celles des femmes furent

considérées comme la preuve de l’iniquité

de l’insurrection dès le début.

Pendant l’insurrection, les femmes restèrent

pourtant reléguées aux marges de la poli-

tique. Le suffrage « universel » les excluait

du vote. Elles fabriquaient des cartouches,

des uniformes et des sacs de sable pour les

barricades. Cantinières et ambulancières

apportaient nourriture et boisson aux

défenseurs des fortifications, soignaient les

blessés, enterraient les morts. Des mili-

tantes formaient des comités de vigilance

dans les quartiers, qui demandaient à la

Commune d'améliorer l'éducation des

filles, les salaires des femmes, et de créer

davantage d'emplois féminins.

39

Femme en uniforme de la Garde nationalepar Daniel Vierge

Gay GULLICKSON

Inter Commune:CHAP9_P39_P42 2/08/07 11:20 Page 39

Page 40: A comuna de paris 1871

Gay

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Nombre de femmes - simples femmes du

peuple, militantes radicales - assistaient aux

débats des clubs. Beaucoup écoutaient,

quelques-unes prenaient la parole. Les

« ennemis de la révolution » étaient pour

elles les prêtres, les religieuses, les

réfractaires et les riches oisifs. Elles récla-

maient des réformes sociales, des droits po-

litiques pour les femmes et notamment la

légalisation du divorce. D'autres encore in-

citaient les femmes à aider à la construction

des barricades voire à prendre les armes.

Les femmes ne pouvaient faire partie de la

Garde nationale, elles accompagnaient les

bataillons au combat en qualité de canti-

nières et d'ambulancières. Alix Milliet-

Payen, de famille bonne républicaine,

jeune épouse d'un garde national, accom-

pagna son mari quand le bataillon de celui-

ci fut envoyé sur le front d'Issy en avril.

Campant au milieu des hommes dans un

cimetière sans tentes ni couvertures, elle

assista le docteur qui amputa un homme

blessé à la jambe. Ces femmes risquaient la

mort ou la capture, ce qui pouvait signifier

le viol aussi bien que la mort.

André Léo (nom de plume de Léodile

Champseix) était rédactrice au journal « La

Sociale ». Elle y fut l'un des critiques les plus

intelligents de la Commune. Profondément

préoccupée par l'échec d’une direction

communale qui ne parvenait ni à obtenir le

soutien de la province, ni à organiser une

défense vraiment efficace de Paris, et seule

pratiquement parmi les journalistes, elle

exhortait la Commune à s’appuyer bien

davantage sur les femmes. « Toutes avec

tous » - c’était le titre d’un de ses articles, -

les Parisiens pourraient faire échec à

Versailles. Seuls, les hommes ne pourraient

vaincre et la révolution échouerait.

Louise Michel, une institutrice qui défen-

dait passionnément la Commune, fut une

Une séance du club des femmes dansl'église Saint-Germain-l'Auxerrois

Inter Commune:CHAP9_P39_P42 2/08/07 11:20 Page 40

Page 41: A comuna de paris 1871

des femmes révolutionnaires les plus célè-

bres du XIXe siècle. Elle prenait la parole

dans des clubs animés par le Comité de vi-

gilance des femmes de Montmartre qu’elle

avait fondé, préparait un plan de réorgani-

sation de l'éducation sous la République.

Elle combattit avec les fédérés, aidant les

blessés sur le champ de bataille tirant même

sur l'ennemi. Elle écrivit plus

tard que les hommes donnaient

l'impression d’aider les femmes

mais se contentaient au fond

des apparences. Croyant en

l'égalité des hommes et des

femmes, elle pensait qu'une ré-

volution était aussi nécessaire

dans la situation des femmes

que dans celle des travailleurs.

Faite prisonnière, elle fut

condamnée à la déportation en

Nouvelle-Calédonie.

Les femmes de la bourgeoisie,

pour leur part, faisaient fonc-

tionner les entreprises fami-

liales, en l’absence de leur mari

qui avait fui la ville pour éviter

d'être enrôlé dans la Garde na-

tionale. Certaines sauvèrent

prêtres et religieuses. Mais, à

Versailles, des femmes insultaient les convois

de prisonniers.

Lorsque les forces de Versailles envahirent

Paris en mai, hommes et femmes se précipi-

tèrent pour renforcer et défendre les barri-

cades. Des incendies éclatèrent dans Paris :

la rumeur se répandit bientôt que c’étaient

41

Gay GULLICKSON

Anne-Marie Menan

Inter Commune:CHAP9_P39_P42 2/08/07 11:20 Page 41

Page 42: A comuna de paris 1871

des « pétroleuses » qui les avaient allumés.

C’est là unedes grandes légendes de l'histoire.

Quelques femmes qui avaient été arrêtées sur

ou auprès des barricades, furent condamnées

comme telles par les conseils de guerre. Long-

temps après que les incendies furent éteints

et la paix rétablie, on continua de croire que

les pétroleuses se faufilaient dans la ville,

s'efforçant de mettre le feu aux maisons

bourgeoises.

Des femmes furent tuées au combat. D'autres

furent exécutées sommairement On ne saura

jamais combien sont mortes pendant la

« semaine sanglante ». Selon les comptes offi-

ciels, 1 051 femmes avaient été faites prison-

nières, 168 furent jugées. Le gouvernement

était convaincu que bien davantage étaient

coupables d’avoir défendu la Commune mais

n’avait pu trouver de preuves et avait dû en

libérer la plupart.

Gay

GU

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Exécution d'une "pétroleuse"

Inter Commune:CHAP9_P39_P42 2/08/07 11:20 Page 42

Page 43: A comuna de paris 1871

10. Robert TOMBSLa Défaite dela Commune

““LLeess VVeerrssaaiillllaaiiss””

Les “Versaillais”, c’était d’abord la majorité de

l’Assemblée nationale, élue le 8 février 1871. Il

lui incombait la tâche difficile de faire la paix

et d’établir un nouveau système de gouverne-

ment pour la France. Les députés se réunirent

d’abord à Bordeaux où ils choisirent comme

chef du pouvoir exécutif Adolphe Thiers.

Thiers est l’un des hommes d’Etat les plus mar-

quants et les plus controversés du XIXe siècle.

Intelligent, ambitieux et infatigable, il com-

mence sa carrière comme journaliste d’oppo-

sition sous la Restauration, et devient ministre

du roi Louis-Philippe. Il est un des chefs de l’op-

position libérale au Second Empire. Il attaque

la politique étrangère de Napoléon III qu'il

considère comme dangereuse et s'oppose à la

guerre en 1870. La défaite de la France semble

lui donner raison, et il devient l’homme poli-

tique le plus influent du moment, chargé de

former un gouvernement. Il sous-estime la si-

tuation dangereuse à Paris au mois de mars

1871, et sa décision de saisir les canons sé-

questrés pas la Garde nationale précipite l’in-

surrection. Il dirige ensuite la lutte militaire

contre la Commune. Etant centriste en poli-

tique, il arrive à garder le soutien de la majo-

rité des royalistes et des républicains de

province. Sa victoire sur la Commune et sa né-

gociation de la paix avec Bismarck lui donne

un prestige énorme, et ses admirateurs lui dé-

cernent le titre de « libérateur du territoire ».

Son soutien pour une « république conser-

vatrice » contribue énormément à l’accep-

tation populaire de la Troisième

République. Néanmoins, pour la gauche et

pour beaucoup de Parisiens, Thiers reste la

réaction personnifiée, provocateur de la

43

Robert TOMBS

Adolphe Thiers (1797-1877)

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:03 Page 43

Page 44: A comuna de paris 1871

Ro

ber

t T

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BS

44

guerre civile et responsable de

la mort ou la déportation de di-

zaines de milliers de Parisiens.

La majorité de l’Assemblée était

royaliste. Le principe d’une mo-

narchie avait de nombreux

adeptes en France, notamment

dans les régions où le catholi-

cisme était le mieux implanté.

Mais la victoire électorale écra-

sante des royalistes en 1871 de-

vait beaucoup aux circonstances de la

défaite. Les bonapartistes, force politique

dominante en France pendant plus de vingt

ans, étaient discrédités par la débâcle mili-

taire de 1870. Les républicains étaient reje-

tés par la majorité de l’électorat en raison de

leur appui à la guerre à outrance : beaucoup

d’électeurs croyaient que celle-ci n’avait fait

que contribuer à rendre la défaite plus dé-

sastreuse. Les députés royalistes, dont beau-

coup étaient des propriétaires terriens et des

nobles, étaient, notamment pour les masses

paysannes, les candidats de la paix.

L’Assemblée nationale, dans sa majorité,

souhaitait donc la restauration d’une mo-

narchie. Mais laquelle ? Les royalistes

étaient partagés entre légitimistes (parti-

sans de la dynastie des Bourbons renversée

en 1830) et orléanistes (partisans de la

monarchie de la maison d’Orléans chassée

par la révolution de 1848). Les premiers

voulaient en revenir à un système catho-

lique et autoritaire. Les seconds préfé-

raient une monarchie constitutionnelle

parlementaire comme en Grande-Bretagne

ou en Belgique, qui, dans la pratique,

n’était pas très éloignée d’une république

modérée. Cependant, la plupart des répu-

blicains, particulièrement à Paris, pensaient

que la République était la seule forme de

gouvernement qui assure la liberté, l’éga-

lité et le progrès et ils étaient prêts à la

défendre par tous les moyens. Les conser-

vateurs de l’Assemblée montraient peu de

sympathie ou de compréhension pour les

républicains parisiens, à leurs yeux des

révolutionnaires dangereux. Avant même

que ne commence la Commune, l’Assemblée

voyait Paris avec suspicion, voire avec peur.

C’est pourquoi elle refusa de siéger au

Palais-Bourbon, choisissant de se réunir dans

l’ancien palais de Versailles, le 20 mars.

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:03 Page 44

Page 45: A comuna de paris 1871

LLeess VVeerrssaaiillllaaiiss oonntt--iillss pprroovvooqquuéé

llee ccoonnfflliitt ??

Les partisans de la Commune ont toujours

accusé Thiers et l’Assemblée d’avoir délibé-

rément provoqué une guerre civile afin

d’avoir un prétexte pour écraser la gauche

parisienne et restaurer la monarchie. Les

actes de l’assemblée, nous l’avons vu,

étaient maladroits, même brutaux. Mais

aucune preuve ne vient étayer la thèse de

la conspiration, qui semble, dans les cir-

constances de mars 1871, improbable. Le

gouvernement était militairement très

faible. Lorsque le peuple descendit dans la

rue le 18 mars, Thiers, qui ne s’attendait pas

à rencontrer d’opposition sérieuse à Paris,

ses ministres, et ses troupes, peu nom-

breuses et désorganisées, se réfugièrent en

catastrophe à Versailles où l’Assemblée

allait se réunir. Ils y furent rejoints par des

hauts fonctionnaires, des soldats, des jour-

nalistes et des diplomates. Pour la première

fois depuis 1789, la France était gouvernée

depuis la ville royale.

VVeerrss llaa gguueerrrree cciivviillee

Durant plusieurs jours, personne n’eut une

idée claire de ce qui se passait. Beaucoup

espéraient des négociations aboutissant à

un compromis entre Paris et Versailles.

Aucun compromis n’était possible : un pro-

fond fossé politique séparait les insurgés

parisiens – tous républicains, anti-cléricaux

et souvent socialistes – et l’Assemblée à Ver-

sailles – en majorité royaliste et catholique.

La majorité des députés n’accepterait pas

que le peuple de Paris impose par la force à

la France une République que la plupart

des Français semblaient avoir rejetée. De

leur côté, les insurgés étaient convaincus

que Paris était imprenable et que d’autres

communes allaient naître à leur tour.

De nombreux républicains modérés se

trouvaient dans une position difficile. Si

l’insurrection se poursuivait, cela pourrait

entraîner la chute de Thiers, son remplace-

ment par un gouvernement monarchiste,

peut-être une intervention allemande dans les

affaires françaises conduisant à la restauration

de Henri V, voire de Napoléon III. C’est pour-

quoi des républicains tels que Jules Ferry, Jules

Simon, Louis Blanc soutenaient Thiers. Les par-

tisans de la Commune étaient tout à fait mi-

noritaires, même parmi les républicains.

Beaucoup craignaient Paris, cette grande

ville turbulente, tellement différente des

bourgs et hameaux dans lesquels vivaient

Robert TOMBS

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Page 46: A comuna de paris 1871

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la plupart des Français. Le gouvernement

de Versailles et les journaux qui le soute-

naient dressaient de Paris sous la Commune

un portrait hostile : les révolutionnaires, di-

saient-ils, étaient une minorité extrémiste -

souvent des étrangers ou des criminels - qui

imposaient leur volonté par la violence et

la terreur, passaient leur temps à piller et à

s’enivrer. En réalité, les dirigeants de la

Commune étaient pour la plupart assez

modérés dans leurs objectifs, démocrates,

idéalistes, respectueux de la liberté et de la

propriété. Le gouvernement de Thiers ras-

sembla donc autant de troupes qu’il put en

trouver, en majorité de jeunes soldats de la

province qui avaient été enrôlés pour com-

battre les Allemands.

Le premier combat eut lieu le 2 avril à

Courbevoie, site actuel de La Défense,

apparemment parce que les deux parties se

soupçonnaient l’une l’autre de préparer

une attaque. Ce ne fut qu’une escar-

mouche, mais l’armée de Versailles exécuta

plusieurs prisonniers. Le lendemain 3 avril,

la Garde nationale parisienne lança une

grande opération, une marche sur Versailles.

30 à 40 000 hommes attaquèrent en trois

colonnes passant par Courbevoie, Issy et

Châtillon. Ils étaient mal organisés, mal

équipés et mal commandés. Lorsque les

troupes versaillaises ouvrirent le feu, la

plupart battirent en retraite dans le désordre.

Les Versaillais exécutèrent de nombreux

prisonniers, dont le blanquiste Emile Duval,

un des généraux de la Garde nationale

insurgée.

LLee sseeccoonndd ssiièèggee ddee PPaarriiss,, aavvrriill--mmaaii

Après ces premiers combats, il y eut une

accalmie. Aucun des deux camps n’était en

mesure de remporter une victoire rapide.

L’armée de Versailles, commandée par le

maréchal de Mac-Mahon, complétait ses

troupes et améliorait leur formation, leur

discipline et leur armement. La Commune

et le Comité central essayaient de leur côté

d’organiser une force capable de défendre

Paris. Aux premiers jours d’avril, la ville

était pratiquement sans défense : le 4 avril,

il n’y avait que 45 hommes pour tenir la

Porte de Neuilly. Mais d’importantes ré-

serves d’armes avaient été constituées pen-

dant le siège allemand, et Paris était

protégé par de solides fortifications.

Le gouvernement de Versailles, tout

comme la Commune, prenait grand soin de

ne pas s’aliéner les Allemands qui avaient

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Robert TOMBS

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:03 Page 47

Page 48: A comuna de paris 1871

le pouvoir, s’ils le voulaient, d’in-

tervenir et de décider de l’issue

du conflit. Les Versaillais savaient

que cela les mettrait à la merci

du chancelier allemand Bis-

marck. Les communards se ren-

daient compte que les Allemands

n’avaient aucune sympathie à

l’égard de leurs objectifs révolu-

tionnaires. Les deux camps crai-

gnaient que Bismarck n’essaie

de restaurer le gouvernement

de Napoléon III. Mais les Allemands préférè-

rent se limiter à une position de spectateurs.

Le 11 avril, les Versaillais étaient suffisa-

mment forts pour occuper le plateau de

Châtillon, au sud de Paris. Ce fut le début

d’une longue et classique opération de

siège. On creusait des tranchées progressi-

vement de plus en plus proches des posi-

tions ennemies jusqu’à ce que des batteries

de canons puissent être placées à bout por-

tant afin d’ouvrir des brèches dans les rem-

parts de la ville. De Neuilly à Bicêtre,

Versaillais et fédérés combattaient dans

une banlieue en ruine. Le plan versaillais

était de pénétrer dans Paris par les XVIe et

XVe arrondissements. Il fallait d’abord pren-

dre le fort d’Issy et c’est là qu’eurent lieu les

combats les plus acharnés pendant près

d’un mois. En 1871, Issy et Les Moulineaux

étaient de petits villages, le fort se déta-

chait sur une colline nue dans ce qui était

un paysage encore rural. De nombreux

bataillons fédérés combattirent dans ce sec-

teur, dont le 161e de Montmartre dans

lequel la militante socialiste Louise Michel

servait comme infirmière. À plusieurs re-

prises, la garnison du fort, fatiguée et ef-

frayée par la canonnade incessante, faillit

se rendre. Le 9 mai, les Versaillais s’aperçu-

rent que le fort avait été abandonné et

l’occupèrent.

Ils furent dès lors en mesure d’avancer au

plus près des remparts. Le 20 mai, ils se

trouvaient à quelques mètres des Portes de

Versailles, d’Auteuil et du Point du Jour. Des

centaines de canons lourds tiraient sur les

défenseurs parisiens ; les photographies

de l’époque montrent qu’une partie du

XVIe arrondissement était en ruines. Les fé-

dérés reculèrent pour s’abriter du feu et les

remparts furent souvent laissés sans défen-

seurs. La Commune concentrait des milliers

d’hommes dans les quartiers occidentaux

de la ville, mais ils furent pris par surprise

lorsqu’un grand nombre de soldats versail-

lais escaladèrent les remparts pendant la

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Page 49: A comuna de paris 1871

nuit du 21-22 mai. Des bataillons entiers de

fédérés se rendirent sans résister ou furent

capturés, souvent pendant leur sommeil. À

l’époque, certains portèrent des accusations

de trahison, notamment contre le comman-

dant polonais des fédérés, le général Dom-

browski. Une explication plus vraisemblable

est que la Garde nationale souffrait d’un com-

mandement médiocre, et que beaucoup d’of-

ficiers et d’hommes n’avaient plus envie de se

battre.

Document :

Le Délégué de la Guerre de la Commune,

Charles Delescluze, espérait le 22 mai qu’il

parviendrait à inspirer un grand soulève-

ment populaire :

« Place au peuple, aux combattants aux bras

nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a

sonné. Le peuple ne connaît rien aux ma-

noeuvres savantes, mais quand il a un fusil à la

main, du pavé sous les pieds, il ne craint pas

tous les stratégistes de l’école monarchiste.

Aux armes, citoyens, aux armes ! Il s’agit, vous

le savez, de vaincre ou tomber dans les mains

impitoyables des réactionnaires et des cléri-

caux de Versailles, de ces misérables qui ont,

de parti pris, livré la France aux Prussiens et qui

nous font payer la rançon de leurs trahisons ! »

Charles Delescluze, d’une famille bour-

geoise, commença sa carrière militante en

1830. En 1848, la Deuxième République le

nomma brièvement préfet du Nord. Il fut

emprisonné ou exilé plusieurs fois sous la

République et l’Empire pour des délits de

presse et pour appartenir à des sociétés

secrètes. Il fut élu à l’extrême gauche de

l’Assemblée nationale en février 1871, mais

démissionna pour rallier la Commune le 30

mars. Sa réputation lui assurait une in-

fluence considérable au sein de la Com-

mune, et on se tourna vers lui quand la

situation militaire se dégrada. Malgré son

inexpérience militaire, il devient délégué à

la Guerre le 11 mai, chargé de la défense de

Paris. Sa proclamation du 24 mai exprimait

Robert TOMBS

49

Charles Delescluze (1809-1871)

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:04 Page 49

Page 50: A comuna de paris 1871

une confiance illimitée dans la

« levée en masse » populaire.

Cependant il se rendit rapide-

ment compte que la Commune

était perdue, et essaya de pren-

dre contact avec les Allemands

pour arrêter l’effusion de sang ;

mais certains fédérés le soup-

çonnaient de vouloir se sauver

de Paris. En partie pour se laver

de cette accusation, il s’exposa

délibérément au feu versaillais,

et fut tué près de la place de la République

actuelle, un des rares membres de la Com-

mune qui aient trouvé la mort. Les Versail-

lais ordonnèrent que son corps soit enseveli

anonymement dans une fosse commune,

mais il fut récupéré plus tard et inhumé au

Père-Lachaise.

Une fois que les 130 000 hommes de l’ar-

mée de Versailles eurent pénétré dans la

ville, le sort de la Commune était réglé. Elle

n’avait jamais eu suffisamment d’hommes,

et les effectifs diminuaient rapidement. Il

est impossible de dire combien de fédérés

continuaient à combattre : bien souvent

quelques dizaines faisaient face à des cen-

taines de Versaillais. Quelques milliers

résistèrent jusqu’à la fin.

LLaa «« sseemmaaiinnee ssaannggllaannttee »»,,

2211 -- 2288 mmaaii

L’histoire des combats de rue pendant ce

que l’on a appelé la « semaine sanglante »

est l’un des grands drames de l’histoire de

la France et de Paris. Si l’on s’en tient à la vi-

sion romanesque que l’on trouve dans de

nombreux livres d’histoire, romans et

même bandes dessinées, on pourrait ima-

giner qu’il y avait une barricade dans

chaque rue et que tous les habitants –

hommes, femmes et enfants – se rassem-

blaient pour défendre leur maison et fu-

rent massacrés sur place. La réalité est

différente, bien que tout aussi émouvante.

La plupart des Parisiens n’ont pas com-

battu. Dans les arrondissements de l’ouest,

les habitants accueillirent les Versaillais

comme des libérateurs. Ceux qui avaient

soutenu la Commune se rendaient compte

qu’elle avait perdu la partie. Des milliers se

réfugièrent dans les caves des maisons. De

nombreux fédérés se débarrassèrent pru-

demment de leur uniforme et de leur fusil.

Même à Montmartre, où l’insurrection

avait commencé, il y eut peu de résistance.

Certaines célèbres histoires de combat – la

défense de la Butte aux Cailles, celle de la

place Blanche par un bataillon de femmes,

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Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:04 Page 50

Page 51: A comuna de paris 1871

celle du cimetière du Père-Lachaise – relèvent

largement de la légende.

Plusieurs milliers de communards combat-

tirent avec détermination, notamment

dans la moitié est de la ville où le soutien à

la Commune avait toujours été le plus fort.

À peu près 900 barricades ont été

construites, même si beaucoup d’entre

elles, dans les petites rues, n’étaient pas

défendues. Les principaux combats eurent

lieu pour défendre les positions straté-

giques où avaient été érigées de fortes

barricades armées de canons : place de

la Bastille, place du Château d’Eau

(aujourd’hui de la République) et place de

la Rotonde (de Stalingrad). À l’est de Paris,

les fédérés avaient été capables d’organiser

une défense coordonnée, sous la direction

de quelques officiers de la Garde nationale

comme les colonels Lisbonne et Brunel et

de certains membres de la Commune qui fi-

rent preuve d’une grande détermination :

parmi ceux-ci Eugène Varlin (fusillé par les

Versaillais), et Auguste Vermorel (blessé

mortellement). Mais les Versaillais, outre

leur énorme supériorité numérique, étaient

mieux organisés et mieux dirigés. Au lieu

d’attaquer les barricades de face, ils avan-

çaient en ouvrant des brèches dans les murs

des maisons voisines, et tiraient sur les fé-

dérés depuis les fenêtres. Durant toute la

semaine de combats près de cent

grandes barricades furent prises

d’assaut et quelques 3 500 soldats

versaillais furent tués ou blessés.

L’armée finit par écraser la der-

nière résistance communarde en

encerclant Belleville et Ménil-

montant les 27 et 28 mai. Les der-

nières escarmouches eurent

probablement lieu faubourg du

Temple et à Belleville, près de

l’église de Ménilmontant pendant

l’après-midi du 28 mai. On consi-

dère traditionnellement que le

Robert TOMBS

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L'incendie de l'Hôtel de Ville

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:04 Page 51

Page 52: A comuna de paris 1871

tout dernier coup de feu fut tiré

dans la rue Ramponeau, à Belle-

ville.

PPoouurrqquuooii llaa «« sseemmaaiinnee ssaann--

ggllaannttee »» ??

La « semaine sanglante » n’a été

ni seulement ni même principale-

ment un combat. Ce fut une tue-

rie – l’une des plus tristement

célèbres dans l’histoire de la

France et de l’Europe du XIXe siècle. Durant

et après les combats, des milliers de fédérés

ou de suspects furent exécutés par l’armée

versaillaise.

De nombreux fédérés furent tués dans les

combats ou fusillés sur place immédiate-

ment après leur capture. À l’époque, et pas

seulement en France, on pensait que « les

lois de la guerre » permettaient l’exécution

sommaire des rebelles pris « les armes à la

main ». Des cours martiales furent constituées

pour juger les prisonniers. Il s’agissait de pe-

tits tribunaux sommaires composés d’offi-

ciers de l’armée, de la gendarmerie, de la

police ou de la Garde nationale pro-versail-

laise. Les plus importantes siégèrent au pa-

lais du Luxembourg, au théâtre du Châtelet

et à la prison de La Roquette. Ceux qu’ils

condamnaient à mort étaient conduits sur

un lieu d’exécution : Jardin du Luxembourg,

caserne Lobau (derrière l’Hôtel de Ville),

cimetière du Père-Lachaise (site du "Mur

des Fédérés"). Leurs corps furent générale-

ment enterrés dans des fosses communes

dans les cimetières de la ville comme le

Père-Lachaise et Montparnasse (où se trou-

vent des monuments). Il est probable que

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Le Mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise

La barricade de la place Blanchedéfendue par les femmes

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Page 53: A comuna de paris 1871

plusieurs milliers de Parisiens aient été exé-

cutés de cette manière.

Comment expliquer une telle tragédie ? La

constitution des cours martiales et les exé-

cutions massives après la fin des combats

résultaient d’une décision délibérée du

haut commandement. Le gouvernement de

Versailles et Thiers en particulier ont-ils

donné l’ordre du massacre ? Il semble pro-

bable qu’il était disposé à laisser la main

libre aux généraux et à fermer les yeux sur

ce qui se passait. Il écrivit à son collègue ré-

publicain Jules Ferry, qui était troublé par

cette effusion de sang : « Pendant le combat,

nous ne pouvons rien et nous voudrions en

vain nous en mêler ». En d’autres termes, il

pensait probablement que les communards

ne méritaient pas beaucoup de sympathie,

mais il ne voulait pas que le gouvernement

soit directement impliqué.

Les Versaillais – y compris les hommes poli-

tiques, les militaires, les journalistes et les

intellectuels – étaient d’accord sur la nécessité

de punir les communards durement. Ils

croyaient mener en même temps un combat

patriotique : selon eux, l’insurrection était

encore plus répréhensible en 1871 car elle

affaiblissait la capacité du pays à faire face

aux exigences allemandes. Les Versaillais

étaient convaincus que parmi les partisans

de la Commune se trouvaient de nombreux

étrangers et des criminels venus à Paris

pour se livrer au pillage. Les événements de

la « semaine sanglante » accrûrent leur

colère ; des monuments publics – inclus le

Château des Tuileries, l’Hôtel de Ville (re-

construit par la suite), le Palais de Justice, le

Ministère des Finances et la Légion d’Hon-

neur - avaient été incendiés, et certains

otages (dont l’archevêque de Paris) avaient

été exécutés par les communards. En

somme, certains Versaillais décidèrent que

la défaite de la Commune leur fournissait

l’occasion d’exterminer les révolutionnaires

et d’assurer la paix et l’ordre dont la France

avait besoin. Ils voulaient saisir cette occa-

sion, déclara un officier versaillais, pour

Robert TOMBS

53

Exécutions au jardin du LuxembourgLe Mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:04 Page 53

Page 54: A comuna de paris 1871

« purger notre pays de toute la

racaille qui sème le deuil et la

misère partout ».

Comment identifier cette « ra-

caille » ? Les méthodes étaient

plus que sommaires. Des prison-

niers blessés dans le combat, ou

dont les mains étaient noircies

de poudre, des étrangers, des

femmes soupçonnées d’être des

pétroleuses, des « meneurs »,

tels que membres de la Commune ou offi-

ciers de la Garde nationale fédérée, des vic-

times d’une délation ; même ceux qui

avaient « de bien vilaines mines » , de telles

indications pouvaient suffire pour être ren-

voyé devant un peloton d’exécution.

La « semaine sanglante » horrifia les obser-

vateurs étrangers. Le grand quotidien

britannique, « The Times », écrit que « Les

Français sont en train d’écrire la page la plus

sombre de leur propre histoire et celle du

monde entier. Les troupes versaillaises sem-

blent vouloir dépasser les communards dans

leur prodigalité de sang humain ». Certains à

gauche – le plus célèbre étant Karl Marx –

espéraient que les morts deviendraient des

martyrs, honorés par la classe ouvrière.

Quelques années plus tard, Émile Zola, dans

son roman « La Débâcle », interpréta la

« semaine sanglante » comme une crise sa-

lutaire : c’était « la partie saine de la France

… qui supprimait la partie folle » et « la na-

tion crucifiée [qui] expiait ses fautes et allait

renaître ». Il n’est pas possible de savoir de

façon certaine combien il y eut de victimes –

soit tuées au combat, soit mortes de leurs

blessures, soit tombées devant des pelotons

d’exécution. Le nombre minimum des vic-

times doit avoisiner les 12 000, mais certains

historiens ont estimé que le véritable chiffre

s’élèverait à 20 000 ou plus. Quoi qu’il en soit,

cela fait de la « semaine sanglante » le pire

exemple de violence civile en Europe entre la

Révolution française et la Révolution russe

de 1917.

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Ruines de l'Hôtel de Ville

Inter Commune:CHAP10_P43_P54 1/08/07 17:04 Page 54

Page 55: A comuna de paris 1871

11. Laure GODINEAULa répression légale,la déportation,l'amnistie

Après les combats et les exécutions de la

semaine sanglante, plus de 40 000 prison-

niers furent jugés par les tribunaux mili-

taires. C'est dans les prisons et les dépôts de

Versailles, puis dans les prisons de la région

parisienne et de province et surtout dans

les forts de l'ouest et dans les pontons des

ports qu'ils attendirent leur jugement.

Le 20 juillet 1875, le général Appert, com-

mandant la subdivision de Seine-et-Oise,

présenta à l'Assemblée nationale un

« rapport d'ensemble […] sur les opérations

de la justice militaire relative à l'insurrec-

tion de 1871 », bilan considéré comme

quasi définitif et quasi complet, même si

l'on continua de juger pour faits relatifs à

l'insurrection après 1875, et si le rapport ne

tenait pas compte des condamnations qui

avaient eu lieu en province. Le général

Appert estimait ainsi « qu'à la date du

31 décembre 1874, l'œuvre de la répression

entreprise à la suite de l'insurrection [était]

La prison des Chantiers à Versailles

Laure GODINEAU

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Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 55

Page 56: A comuna de paris 1871

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terminée ». Les conseils de

guerre de la première division

militaire, dont le nombre avait

fortement augmenté pour faire

face à l'importance numérique

des prisonniers, avaient alors

rendu 50 559 décisions.

En tenant compte de certaines

confusions, des doubles ou triples

décisions, le « rapport Appert »

avançait ainsi un chiffre de

46 835 « individus jugés par les conseils » :

au total, il y aurait eu 23 727 ordonnances

de non-lieu, 10 137 condamnations pro-

noncées contradictoirement, 3 313 pronon-

cées par contumace, 2 445 acquittements et

7 213 refus d'informer. Sur la dizaine de

milliers de condamnations prononcées de

façon contradictoire, on comptait 95

condamnations àmort (25 furent exécutées),

251 aux travaux forcés, 1 169 à la déporta-

tion dans une enceinte fortifiée, et 3 417 à

la déportation simple. S'y ajoutaient les

condamnations à diverses autres peines, en

particulier à la prison. Cinquante cinq en-

fants de moins de 16 ans furent envoyés en

maison de correction.

La loi du 23 mars 1872 avait fixé la Nouvelle-

Calédonie comme lieu de déportation : la

presqu'île Ducos était destinée à la dépor-

Les membres de la Commune devant le Conseil de guerre à Versailles

Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 56

Page 57: A comuna de paris 1871

tation dans une enceinte fortifiée et l'île

des Pins à la déportation simple. Les

condamnés aux travaux forcés devaient

être transportés au bagne de l'île Nou.

En mai 1872, la frégate « La Danaé » em-

menait le premier convoi de déportés vers

la Nouvelle-Calédonie. Il y eut de 1872 à

1878 vingt convois, ce qui représenterait un

peu plus de 3 800 personnes effectivement

envoyées en Nouvelle-Calédonie au titre de

la Commune. La très grande majorité arriva

entre 1872 et 1876. Compte tenu des décès,

évasions ou disparitions, grâces, commuta-

tions et rapatriements, il y aurait eu entre

3 350 et 3 630 déportés en Nouvelle-

Calédonie au 31 décembre 1876, sans

compter les forçats de l'île Nou. Mais, à

compter d'octobre 1876, furent pris des

décrets de grâce, touchant pour la

première fois plusieurs dizaines de

condamnés simultanément.

Le trajet vers la Nouvelle-Calédonie durait

environ cinq mois, dans des conditions

extrêmement pénibles : les déportés

étaient enfermés dans de grandes cages,

d'où ils ne sortaient qu'une trentaine de

minutes par jour pour aller sur le pont.

Rations alimentaires faibles et de mauvaise

qualité étaient le lot quotidien, et les puni-

tions ne manquaient pas.

A l'île des Pins, les condamnés à la dépor-

tation simple pouvaient se déplacer libre-

ment dans un rayon de 25 km mais

devaient se présenter une fois par mois au

poste des surveillants militaires. Ils s'orga-

nisèrent progressivement. Logés d’abord

dans des tentes, ils construisirent ensuite

des paillotes ou des cases. Certains obtinrent

des petits lopins, mais de mauvaise terre, ce

qui allait à l'encontre des objectifs proclamés

de colonisation agricole. D'autres purent

travailler sur des chantiers publics ou

essayer de le faire chez des colons.

Quelques-uns reçurent l'autorisation de

travailler et de résider sur la Grande-Terre ;

certains se firent embaucher ou s'établirent

à leur compte à Nouméa. Des condamnés

firent venir femmes et enfants, mais beau-

coup vivaient dans la misère, et la grande

majorité souffrait de l'éloignement, de la

captivité et de ses conséquences. Sur la

presqu'île Ducos, les condamnés à la

déportation dans une enceinte fortifiée

pouvaient eux aussi se déplacer mais

étaient soumis à l'appel. Eux aussi s'organi-

sèrent progressivement, construisant des

cases, vendant leurs produits à Nouméa.

57

Laure GODINEAU

Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 57

Page 58: A comuna de paris 1871

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Mais leurs conditions de vie fu-

rent plus difficiles encore que

celles des déportés simples. Enfin, au bagne

de l'île Nou, les condamnés aux travaux for-

cés comme Jean Allemane avaient la tête

rasée et portaient un vêtement spécial, et

la plupart avaient des chaînes aux pieds.

Mêlés aux droits communs, ils étaient em-

ployés à des travaux multiples, notamment

de terrassement. Les punitions étaient nom-

breuses, allant jusqu'aux « poucettes »* et

au fouet et passant par la double chaîne

conduisant le plus souvent à la promiscuité

avec un forçat de droit commun.

L’évasion en mars 1874 du journaliste Henri

Rochefort et de quelques-uns de ses com-

pagnons, dont les anciens membres de la

Commune Francis Jourde et Paschal Grous-

set, contribua au durcissement de la sur-

veillance pour les déportés et forçats. Mais,

dans le même temps, elle favorisait la cir-

culation des renseignements sur le sort des

condamnés de Nouvelle-Calédonie. Les éva-

dés dénoncèrent publiquement la situation

qui leur était faite et ces témoignages vin-

rent enrichir d'une part le mouvement de

souscription en faveur des déportés qui

existait dans les communautés d'exilés, et

l'argumentaire des députés radicaux qui

demandaient l'amnistie.

Ceux qui avaient échappé aux arrestations

attendaient eux aussi l'amnistie dans divers

pays-refuges, principalement en Grande-

Bretagne, en Suisse, en Belgique, voire aux

Etats-Unis. Il est impossible de connaître

avec précision leur nombre, puisqu'il faut

par exemple ajouter aux condamnés par

contumace leurs proches ou ceux qui,

Le pénitencier de l'île Nou

*poucettes : étaux serrant les doigts jusqu'à la limite de l'écrasement.

Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 58

Page 59: A comuna de paris 1871

craignant les poursuites (tels que les poètes

Paul Verlaine et Arthur Rimbaud) avaient

préféré s'éloigner de France. Certains

historiens l’estiment grossièrement à 5 ou

6 000. À Londres, Genève, Bruxelles, la vie

de ces exilés variait en fonction de multiples

critères, l'âge, le

métier ou la qualifi-

cation d'origine :

certains cherchè-

rent une activité de

recours pour survi-

vre, tandis que d'au-

tres trouvèrent à

s'employer dans leur

spécialisation. Ver-

laine et Rimbaud,

à Londres, propo-

saient en tant que

« Gentlemen pari-

siens » des « leçons

de français, en fran-

çais – perfections,

finesses ».

Au-delà des relations

entre compagnons

d'infortune, des

amitiés, voire des

solidarités, les com-

munautés d'exilés furent propices aux que-

relles intestines avivées par l'attente et le repli

du groupe sur lui-même : querelles politiques

anciennes réactivées, querelles nouvelles, ac-

cusations réciproques quant à la responsabi-

lité de l'échec de l'insurrection.

Les amnistiés de la Commune rapatriés en 1871

59

Laure GODINEAU

Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 59

Page 60: A comuna de paris 1871

Pour tous, l'attente de l'amnistie

fut longue. Les débats reprirent

avec l'éloignement de la Com-

mune, les progrès électoraux des

républicains et les actions de

militants socialistes. L'extrême-

gauche radicale mena l'offensive

en faveur de l'amnistie dans la

presse et par une campagne de

pétitionnement. Georges Cle-

menceau à la Chambre ou Victor

Hugo au Sénat condamnèrent

l'insurrection, mais insistaient sur la res-

ponsabilité du gouvernement de Thiers en

1871, sur les conséquences désastreuses de

la répression sur l'industrie parisienne ou

sur les mauvais traitements qui existaient

en Nouvelle-Calédonie.

La loi du 3 mars 1879 accorda l'amnistie aux

condamnés pour faits relatifs aux insurrec-

tions de 1871 qui avaient été ou seraient

graciés par le président de la République

dans le délai de trois mois après la promul-

gation de la loi. Selon le gouvernement,

étaient exclus de cette « grâce-amnistie »

les « gens sans aveu » ainsi que les meneurs

ou ceux qui parlaient de revanche, qui de-

vaient être bien distingués de la masse des

« égarés » ; en novembre 1879, il estimait

ainsi qu'il n’y avait plus qu'un peu plus de

800 condamnés laissés encore en détention.

Cependant, le vote de la loi de mars 1879,

loin de clore la question comme l'espérait

le gouvernement, aviva la campagne pour

l'amnistie plénière. Dans une perspective

proclamée de réconciliation républicaine, la

loi, publiée au Journal officiel du 11 juillet

1880, fit rentrer les derniers condamnés de

Nouvelle-Calédonie ou d'exil.

Lau

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60

Inter Commune:CHAP11_P55_P60 1/08/07 17:05 Page 60

Page 61: A comuna de paris 1871

12. Danielle TARTAKOWSKILa mémoire de laCommune

La Commune et son écrasement constituent

un point de non-retour dans l’histoire

politique française. Avec l'avènement de la

République, « l’insurrection devient un

fantasme, une légende héroïque, un objet

de commémoration. Elle cesse d’être une

méthode politique » .

Sous « l’ordre moral » (1871-1877), les pou-

voirs publics interdisent tout hommage

collectif auxmorts de la Commune. La victoire

républicaine permet le vote des lois d’am-

nistie de 1879 et 1880 et la commémora-

tion publique, effective dès cette année.

Mais en 1883, le conseil municipal de Paris

envisagea de lotir la division du Père-

Lachaise où sont inhumés les victimes de

« la semaine sanglante » au risque de faire

disparaître le lieu de deuil et de l’hommage.

La bataille engagée au nom du respect dû

61

Danielle TARTAKOWSKI

Délégation du parti socialiste SFIO au Mur des Fédérés en 1913.Jean Jaurès est le troisième personnage en partant de la droite

Inter Commune:CHAP12_P61_P64 1/08/07 17:06 Page 61

Page 62: A comuna de paris 1871

Dan

ielle

TART

AK

OW

SKI

62

aux morts par une société fra-

ternelle, à l’origine de l’actuelle

association des Amis de la Com-

mune, fit abandonner le projet.

Jusqu’en 1908, les pouvoirs pu-

blics interdirent toutefois l'érec-

tion d'un monument,

contraignant à se souvenir par

d’autres voies. Les organisations

qui se veulent héritières de la

Commune organisent chaque année au

Père-Lachaise un « pèlerinage » le dernier

dimanche de mai. Cette forme de commé-

moration assure le primat de la Commune

martyre sur la Commune triomphante. Elle

relève du culte des morts, confère à la mé-

moire de la Commune une sacralité propre

à décupler ses vertus mémorielles. Le carac-

tère funèbre de la cérémonie n’exclut pas sa

dimension politique précoce et, dès lors, de

Léon Blum lors d'une manifestation au Mur des Fédérés

Inter Commune:CHAP12_P61_P64 1/08/07 17:06 Page 62

Page 63: A comuna de paris 1871

possibles déchirements : ainsi, durant la

crise boulangiste des années 1880, quand

les tenants d’une lecture nationaliste de la

Commune, passés à droite, sont pris à par-

tie par ceux qui se réclament de lectures so-

cialistes, elles-même diverses. L’érection du

monument aux communards, dans le cime-

tière du Père-Lachaise, ne signifie pas la fin

du long combat pour la mémoire engagé

depuis 1883. La SFIO (Section française de

l’Internationale ouvrière), constituée en

1905, devient l’organisatrice en titre du cor-

tège et en parachève le rituel.

Les socialistes puis les communistes expri-

ment désormais régulièrement leurs dis-

tances critiques vis-à-vis d'un évènement

qui fonctionne comme un contre-modèle

dans leurs discours politiques mais persis-

tent à soulever l'émotion. Jusqu'en 1935, la

Commune demeure l'événement historique

qu'ils commémorent le plus, en mobilisant

un patrimoine commun : grands textes obli-

gés (Karl Marx, Prosper-Olivier Lissagaray),

exaltation des figures héroïsées (Louise

Michel) et surtout poèmes (Eugène Pottier).

Les cortèges communistes, socialistes et

anarchistes sont, en revanche, soigneuse-

ment distincts.

En mai 1936, la commémoration de la Com-

mune, qui succède de peu à la victoire électo-

rale du Front populaire, réunit 500 000

participants selon les organisateurs, en pré-

sence de Léon Blum, désigné président du

Conseil. Il catalyse les énergies et constitue un

des éléments déclencheurs de « l'explosion so-

ciale ». Ilmarque toutefois l'apogéede la com-

mémoration. Elle est sans lendemain. La

puissante manifestation antifasciste du 12

février 1934, réappropriationmémorielle sans

précédent des révolutions et soulèvements ré-

publicains passés, ne fait aucune place à la

Commune. La défense de la démocratie me-

nacée par le fascisme et l’alliance avec les

radicaux requièrent des mémoires plus

consensuelles que le Front populaire contribue

à imposer en construisant unenouvelle image

du peuple enmarche, propre à se substituer à

l'image héroïque et romantique de la barri-

cade. Dès 1935, le 14 juillet et le 1er mai,

mobilisent plus que le Mur des Fédérés.

Durant l'Occupation, des militants dépo-

sent des fleurs au Père-Lachaise à la date

convenue, parfois au prix de leur vie. Le

cortège renaît tout naturellement en 1945,

d’une commune initiative des organisations

ouvrières. La mémoire des lieux devient

plus complexe encore puisque le PCF fait

63

Danielle TARTAKOWSKI

Inter Commune:CHAP12_P61_P64 1/08/07 17:06 Page 63

Page 64: A comuna de paris 1871

Dan

ielle

TART

AK

OW

SKI

64

inhumer face au Mur, près des

intellectuels antifascistes, des ré-

sistants, des dirigeants commu-

nistes et des victimes de

manifestations ultérieures. A

leurs côtés sont érigés, dès 1946,

les premiers monuments en

hommage aux victimes de cer-

tains camps de concentration et

d’extermination.

Le cortège annuel s’engage

pourtant dans la voie du déclin sous les

effets conjugués des évolutions culturelles

et de la conjoncture politique. La SFIO qui

défilait seule depuis 1947 abandonne son

cortège en 1958 et lui substitue un hom-

mage de son groupe parlementaire. Le cor-

tège communiste se perpétue mais décline.

Inter Commune:CHAP12_P61_P64 1/08/07 17:06 Page 64

Page 65: A comuna de paris 1871

13. Robert TOMBSQuestions etcontroverses

La Commune à peine terminée, les débats

ont commencé sur les responsabilités des

évènements et sur le sens et l’importance

historique de 1871. Ces débats continuent

encore ; chaque nouvelle génération ajoute

ses propres questions.

La question de base concerne la place de la

Commune dans l’histoire : comme l’a exprimé

Jacques Rougerie, était-elle une « aube »

ou un « crépuscule » ?

La Commune, était-elle l’aube d’une nou-

velle ère de révolutions de classe, de révolu-

tions prolétaires et socialistes ? Ou le

crépuscule d’une époque révolutionnaire

qui a commencé au dix-huitième siècle ?

Karl Marx, Friedrich Engels, Lénine et des

générations d’historiens marxistes jusqu’aux

années 1970 ont vu dans la Commune

quelque chose de nouveau, et surtout le

prototype de la révolution bolchevique de

1917. Pour soutenir cette thèse, il fallait

trouver dans la Commune une plus forte

participation prolétaire que dans les révolu-

tions passées, et des paroles et des actes

exprimant une conscience de classe prolé-

tarienne. En y regardant de près, on en

trouve assez peu de preuves. La Commune

était un gouvernement « populaire », mais

non « prolétarien ». Les Communards - sur-

tout les responsables - représentaient tout

le peuple parisien : employés, petits patrons,

travailleurs très spécialisés. La Commune

elle-même était extrêmement démocra-

tique dans sa composition, mais elle ne

comportait pas un seul ouvrier non-qualifié.

Beaucoup de Communards aspiraient à un

système « socialiste », mais pour eux cela

voulait dire un réseau de coopératives

indépendantes, non de grandes industries

nationalisées. Dans ses mesures, la Commune

respectait la propriété privée. Les Commu-

nards se considéraient comme des « citoyens »

et des « producteurs » plutôt que comme

des « prolétaires », et leurs ennemis étaient

les royalistes, les prêtres et les « ruraux »

plutôt que des capitalistes ou des patrons.

Les actes et les proclamations de la Com-

mune montrent que leurs priorités dans les

circonstances de 1871 étaient politiques

plutôt que socio-économiques : sauvegarder

65

Robert TOMBS

Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 65

Page 66: A comuna de paris 1871

Ro

ber

tTO

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S

66

la République et affirmer ce

qu’ils considéraient comme les

« droits de Paris » – la ville qui

représentait la démocratie et le

progrès. La Commune entendait

renverser le système oppressif

du Second Empire, Etat centralisé

basé sur la police, l’armée et

l’Eglise et soutenu par les votes des

« ruraux ».

Karl Marx, dans son for inté-

rieur, semble avoir considéré que les Com-

munards n’étaient pas socialistes selon ses

propres critères. Mais lui et son collègue

Engels ont suggéré que la Commune a dé-

couvert un nouveau système politique, un

prototype de « dictature du prolétariat »

qui possédait un pouvoir révolutionnaire

fort sans être oppressif, puisque tout pou-

voir administratif, policier et militaire était

exercé par les citoyens eux-mêmes. Il est

vrai que beaucoup de communards vou-

laient un système politique ultra-démocra-

tique et décentralisé. En réalité ce système

a fonctionné d’une façon très imparfaite et

pendant très peu de temps, et il a fait très

peu d’émules – certainement pas les

Bolcheviques, qui avaient une conception

tout autre d’une dictature du prolétariat.

Depuis les années 1970, les débats sur les

analyses marxistes de la Commune ont

perdu leur actualité, surtout avec le déclin

du Parti communiste français et la dispari-

tion de l’Union soviétique. Plus récemment,

d’autres historiens, parmi eux plusieurs

Américains, ont cherché différentes formes

d’innovation dans l’expérience de la Com-

mune. Etait-elle « une aube » dans l’histoire

des femmes, par exemple ? Plusieurs l’ont

pensé, soulignant que pendant la Com-

mune des femmes parlaient publiquement

dans les clubs, portaient les armes, et se bat-

taient sur les barricades. D’autres pensent

que la nouveauté de ces phénomènes a été

exagérée. Depuis des siècles les femmes ont

participé à des mouvements populaires, et

depuis 1789 leur action politique en France

a été importante à plusieurs reprises. Il

n’est pas évident que la Commune ait

donné un rôle particulièrement important

aux femmes qui n’ont reçu aucun droit po-

litique nouveau. On pourrait également

proposer qu’ici aussi la Commune fut un

« crépuscule » : sous la Troisième Répu-

blique, la voix politique des femmes en

France restait bien plus faible que dans

beaucoup de pays voisins.

Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 66

Page 67: A comuna de paris 1871

QQuueellllee ffuutt ll’’iimmppoorrttaannccee ddee llaa CCoomm--

mmuunnee ddaannss ll’’hhiissttooiirree ddee FFrraannccee ??

Dans l’histoire politique de la France, la

Commune fut un crépuscule en ce sens

qu’elle fut le dernier grand soulèvement

populaire dans la lignée de 1789, 1792-

1793, 1830, 1848 et 1851. Avec la consoli-

dation d’un système démocratique – la

Troisième République – l’insurrection deve-

nait moins nécessaire et moins possible.

Quelle fut la contribution de la Commune à

cet aboutissement ?

LLee ssoouuvveenniirr ddee llaa gguueerrrree cciivviillee

aa--tt--iill ccrréééé ddeess ddiivviissiioonnss dduurraabblleess

ppaarrmmii lleess FFrraannççaaiiss ??

Le souvenir de la Commune a marqué

l’extrême gauche (socialiste, blanquiste,

anarchiste) pendant toute une génération.

Il a aussi constitué un thème important de

la tradition révolutionnaire communiste et

« gauchiste » des années 1920 aux années

1960. Mais en même temps, la tradition de

patriotisme populaire, également repré-

sentée par la Commune, a inspiré certains

groupes nationalistes. Surtout, la tradition

de ce patriotisme a connu une renaissance

dans la Résistance des années 1941-1944,

dont beaucoup de participants se sont

réclamés de l’héritage des Communards.

C’est dire que le souvenir de la Commune

a pu unir autant que diviser.

LLaa CCoommmmuunnee aa--tt--eellllee ssaauuvvéé llaa

RRééppuubblliiqquuee ??

Les Communards avaient surtout la convic-

tion de se battre pour défendre la Répu-

blique, pour empêcher la majorité royaliste

de l’Assemblée de Versailles de restaurer

une monarchie. Il est certain que des

conservateurs modérés – dont Thiers –

craignaient d’aggraver la discorde politique

dans le pays en menaçant la République,

et Thiers a promis à plusieurs reprises de

respecter son existence. Mais les monar-

chistes, bien que majoritaires, étaient déjà

tellement divisés qu’une restauration sem-

blait hautement improbable. Ce sont les

désaccords monarchistes, et non pas la

Commune, qui constituaient l’obstacle

majeur au couronnement de « Henri V ».

Seule une grande peur aurait pu unir les

monarchistes : par une ironie tragique, si la

Commune avait commencé à gagner la guerre

civile, une monarchie aurait été peut-être pos-

sible ; mais la défaite de la Commune a forti-

fié la république conservatrice de Thiers et de

67

Robert TOMBS

Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 67

Page 68: A comuna de paris 1871

68

ses successeurs. Beaucoup de

conservateurs modérés étaient

désormais prêts à accepter ce ré-

gime, qui leur semblait le meilleur

moyen de maintenir la paix inté-

rieure.

PPoouurrqquuooii ddoonncc llaa

CCoommmmuunnee ??

Il est possible d’expliquer la

Commune comme l’aboutisse-

ment d’une lutte prolongée pour établir

une République « démocratique et sociale »

– c’est-à-dire une lutte à la fois politique et

sociale, déjà annoncée par les conflits des

années 1790 et 1840, et surtout 1848, rallu-

mée par les troubles politiques et les grèves

des années 1860. Cependant, c’est la

guerre contre la Prusse qui, en détruisant le

Second Empire, a laissé un vide politique

dangereux en France, et le siège de Paris

qui a créé un mouvement révolutionnaire

armé dans la capitale. Ainsi, un danger de

conflit violent sortait de la guerre, et la si-

tuation était aggravée par l’impasse poli-

tique entre Paris républicain et une

province – et une Assemblée nationale – en

majorité royaliste. Une guerre civile était-elle

donc inévitable ? Pour l’éviter il aurait fallu

un esprit de conciliation et de compréhen-

sion. Mais Communards et Versaillais se

soupçonnaient de nourrir les ambitions po-

litiques les plus sinistres. Ils se voyaient en

train de revivre les luttes fratricides des an-

nées 1790. Ce fut là la tragédie de 1871 : les

communards se sacrifiaient pour défendre

une République qui n’était pas véritable-

ment menacée, les Versaillais luttaient pour

empêcher une révolution sanglante que

presque personne à Paris ne voulait faire.

Ne faut-il donc conclure qu’une telle tragé-

die était à la fois inévitable et inutile ?

LLeess lliieeuuxx ddee llaa CCoommmmuunnee

Paris a énormément changé depuis 1871.

Néanmoins, beaucoup d’endroits où les

événements de la Commune ont eu lieu

sont facilement reconnaissables au-

jourd’hui – les photographies de l’époque

le montrent d’une façon remarquable. Avec

un peu d’imagination, nous pouvons par-

courir le Paris Communard si nous nous pro-

menons dans le faubourg Saint-Antoine,

le quartier du Temple, à Charonne ou à Belle-

ville.

L’insurrection a commencé à Montmartre,

transformé quelques années plus tard par laRo

ber

t T

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BS

Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 68

Page 69: A comuna de paris 1871

construction du Sacré Cœur. Mais la rue Lepic

a peu changé depuis le 18 mars 1871, quand

soldats et gardes nationaux se disputaient la

possession des canons. Le gouvernement de

la Commune s’est installé à l’Hôtel de Ville,

brûlé à la fin de la lutte mais bientôt restauré.

Restaurée aussi la Colonne Vendôme (place

Vendôme), abattue par les communards.

Les combats de tranchée entre fédérés et

Versaillais se sont passés dans la banlieue

sud et ouest, alors en grande partie rurale,

aujourd’hui complètement urbanisée. Mais

on peut voir encore les forts d’Issy (long-

temps défendu par les fédérés) et du Mont-

Valérien (tenu par les Versaillais), et

quelques vestiges des remparts qui entou-

raient Paris (par exemple Porte de Bercy).

Dans Paris, on se battit à peu près partout

pendant la « semaine sanglante », surtout

dans les quartiers de l’est et du sud : à la

Butte aux Cailles (XIIIe), place de la

Bastille, place du Château-d’Eau (de la

République), et place de la Rotonde (Sta-

lingrad). Les derniers combats ont eu lieu

au faubourg du Temple et à Belleville où,

selon la tradition, le dernier coup de fusil a

été tiré au coin des rues Ramponeau et de

Tourtille. Les énormes dégâts causés par

les combats et les incendies ont été vite

réparés – sauf l’ancien Palais des Tuileries,

qui a disparu.

Les lieux les plus tristes sont ceux qui

rappellent les massacres des derniers jours.

Au Palais du Luxembourg, où un grand

nombre de communards a été jugé et fu-

sillé, il y a maintenant une plaque commé-

morative dans les jardins à l’ouest du bassin

où l’on voit encore les marques des balles.

Au cimetière du Montparnasse, où 1684

d’entre eux y sont enterrés, est érigé un

monument aux morts datant de 1871. Dans

le XXe arrondissement, rue Haxo, une cha-

pelle a été construite à l’endroit où des

gendarmes et des prêtres ont été massacrés

par la foule. Au cimetière du Père-Lachaise,

le « Mur des Fédérés » (un lieu d’exécution

de prisonniers communards) construit en

partie avec les pierres du mur original, se

trouve au côté est. A l’extérieur, du côté

sud (avenue Gambetta), un mémorial

émouvant a été dédié en 1909 « Aux vic-

times des révolutions ».

69

Robert TOMBS

Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 69

Page 70: A comuna de paris 1871

Pour en savoirplus :

Sur Paris pendant la Commune,

et sur les actes et les idées

des Communards, lisez Jacques

Rougerie : « Paris insurgé » : « La

Commune de 1871 » (Gallimard

2006), « Paris libre 1871 » (Seuil

1971, rééd. 2004) » et « Procès des

Communards » (Gallimard, 1964) ;

et pour plus de détails, William

Serman, « La Commune de Paris » (Fayard

1986), ainsi que Robert Tombs, « La guerre

contre Paris - 1871 » (Aubier 1997). Pour com-

prendre les événements qui ont précédé la

Commune : Alain Plessis, « De la fête impériale

au Mur des Fédérés », 1852-1871 (Seuil 1973),

et Stéphane Audoin-Rouzeau, 1870 : « La

France dans la guerre » (Armand Colin 1989).

Beaucoup de Communards ont écrit sur

1871. Prosper-Olivier Lissagaray, un jour-

naliste communard, est l’auteur d’un récit

vivant et dramatique, « Histoire de la Com-

mune de 1871 » (Livre de Poche, 2005).

Maxime Vuillaume, un autre journaliste, a

raconté en détail certains des événements

les plus dramatiques dans « Mes Cahiers

rouges au temps de la Commune » (Livre de

Poche, 1999). L’écrivain Jules Vallès, membre

de la Commune, a écrit un roman autobio-

graphique, « L’Insurgé » (Livre de Poche, 1972).

Des Fédérés ordinaires ont aussi raconté leurs

expériences : par exemple, Victorine Brocher,

« Victorine B… Souvenirs d’une morte vi-

vante » (Maspero 1976) ; et Emile Maury,

« Mes souvenirs sur les événements des années

1870-1871 » (Boutique de l’Histoire, 1999).

Si vous voulez visiter aujourd’hui les lieux

des événements de 1871, des livres de photo-

graphies vous seront utiles, tels que « La

Commune » (Nathan, Collections Photo-

Poche, 2000) et « Regard d’un Parisien sur

la Commune : Photographies inédites de la

Bibliothèque historique de la Ville de Paris »,

présenté par Jean Baronnet (Gallimard,

2006), ainsi qu’un guide historique illustré,

Jean Braire, Sur les traces des communards :

« Enquête dans les rues de Paris d’au-

jourd’hui » (Editions des Amis de la Com-

mune, 1988).

Si vous voulez pousser vos connaissances

plus loin encore, consultez Robert Le Quillec,

« La Commune de Paris bibliographie cri-

tique » (2e édition, Boutique de l’Histoire,

2006), une liste analytique et commentée des

centaines d’ouvrages sur la Commune.

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Inter Commune:CHAP13_P65_P76 9/08/07 13:41 Page 70

Page 71: A comuna de paris 1871

1840 Proudhon, « Qu’est-ce que la propriété ? ».

1848 Marx et Engels, « Manifeste du parti communiste ».

Février 1848 Chute de Louis-Philippe et proclamation de la seconde

République.

Juin 1848 A Paris, insurrection ouvrière provoquée par la fermeture

des Ateliers Nationaux, réprimée de façon sanglante.

10 décembre 1848 Election de Louis Napoléon Bonaparte comme Président de

la République.

2 décembre 1851 Coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte.

2 décembre 1852 Proclamation de l’Empire.

21-22 juin 1857 Elections législatives. A Paris, les républicains emportent

5 des 10 circonscriptions.

28 septembre 1864 Fondation de l’Association internationale des travailleurs

(AIT) par Marx et Bakounine notamment (Ième internationale).

11 mai 1868 Loi en faveur de la liberté de la presse.

23-24 mai 1869 Elections législatives. A Paris, l’opposition à Napoléon III

recueille 75 % des voix.

19 juillet 1870 La France déclare la guerre à la Prusse.

2 septembre 1870 Défaite française à Sedan.

71

CHRONOLOGIE

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Page 72: A comuna de paris 1871

4 septembre 1870 Déchéance de l’Empire. Proclamation de la République et

formation du gouvernement de la défense nationale.

19 septembre 1870 Début du siège de Paris par les Prussiens.

27 octobre 1870 Capitulation de l’armée française.

28 janvier 1871 Capitulation de Paris devant les Prussiens.

12 février 1871 Réunion de l’Assemblée nationale (majoritairement monar-

chiste) à Bordeaux.

17 février 1871 Thiers est élu « chef du pouvoir exécutif ».

3 mars 1871 Constitution de la Fédération républicaine de la Garde

nationale.

18 Mars 1871 Thiers ordonne la reprise des canons à Montmartre : révolte

à Paris. Le Gouvernement se replie à Versailles.

19 Mars 1871 Le comité central de la Garde nationale décide des élections

pour un conseil de la Commune.

22 mars 1871 Insurrection communaliste à Lyon qui dure trois jours.

26 Mars 1871 Election du Conseil municipal de Paris.

28 Mars 1871 Proclamation de la Commune à l’Hôtel de Ville.

29 Mars 1871 L’Assemblée communale vote l’abolition de la conscription

et de l’armée permanente, la remise des trois derniers

termes de loyer et la suspension de la vente des objets dé-

posés au Mont-de-piété.

2 Avril 1871 Les Versaillais enlèvent Courbevoie. L’Assemblée commu-

nale vote la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la limita-

tion des salaires dans la haute fonction publique.

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3-4 Avril 1871 Echec de la sortie sur Versailles.

6 Avril 1871 Création de l’armée de Versailles sous le commandement du

Général Mac-Mahon. Décret des otages (3 otages fusillés

pour un communard exécuté).

8 Avril 1871 L’Internationale ouvre une souscription pour les corpora-

tions parisiennes.

11 Avril 1871 Début des opérations de l’armée de Versailles contre Paris.

Formation de l’Union des femmes pour la défense de Paris.

16 Avril 1871 Elections complémentaires à la Commune de Paris.

L’Assemblée communale vote le décret sur la reprise par les

sociétés ouvrières des ateliers abandonnés.

25 Avril 1871 L’Assemblée communale vote le décret sur la réquisition des

logements vacants.

27 Avril 1871 L’Assemblée communale vote l’interdiction des amendes et

des retenus sur les salaires.

28 Avril 1871 L’Assemblée communale vote l’interdiction du travail de nuit

dans les boulangeries. Proclamation au peuple des campagnes.

1er Mai 1871 Création du comité de salut public.

4 Mai 1871 L’Assemblée communale vote l’interdiction de tout cumul

de traitements.

8 Mai 1871 Evacuation du fort d’Issy par les Fédérés.

10 Mai 1871 Signature du Traité de paix de Francfort. Charles Delescluze

devient délégué à la guerre à la place de Rossel.

13 Mai 1871 L’Assemblée communale décide de l’attribution des marchés

de préférence aux corporations.

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CHRONOLOGIE

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15 Mai 1871 Appel de la Commune aux grandes villes de France.

17 Mai 1871 L’assemblée communale propose de supprimer la distinction

entre enfants légitimes et enfants naturels en ce qui concerne

les indemnités aux gardes nationaux.

19 Mai 1871 A Paris, Edouard Vaillant, délégué à l’instruction publique,

laïcise l’enseignement.

21 mai 1871 Les Versaillais entrent dans Paris.

21-28 mai 1871 « La semaine sanglante ».

24 mai 1871 Exécutions de six otages par les Communards.

27 Mai 1871 La lutte se resserre à Belleville. Les Buttes-Chaumont tom-

bent. Exécutions au Père-Lachaise.

28 Mai 1871 Dernières barricades dans le XIe et XXe arrondissement.

30 mai 1871 Marx publie l’adresse à l’Internationale sur la « Guerre

civile en France ».

3 mai 1872 1ère déportation de Communards en Nouvelle-Calédonie.

3 mars 1879 1ère loi d’amnistie des Communards.

23 mai 1880 1ère commémoration de la Commune au Mur des Fédérés.

11 juillet 1880 2ème loi d’amnistie des Communards.

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Index des principauxpersonnages cités :

Allemane Jean, page 58

Arnould Arthur, pages 5, 6

Bakounine Mikhaïl, page 71

Blanc Louis, pages 14, 23, 45

Blum Léon, pages 62, 63

Clémenceau Georges, page 60

Clément Jean-Baptiste, page 7

Courbet Gustave, pages 33, 37

Danton Georges Jacques, page 15

Delescluze Charles, pages 10, 49, 73

Dombrowski Jaroslaw, page 49

Engels Friedrich, pages 65, 66, 71

Ferry Jules, pages 25, 45, 53

Flaubert Gustave, page 7

Fränkel Léo, page 30

Gambetta Léon, pages 7, 14, 15, 24, 69

Goncourt (de) Edmond, pages 3, 4, 6, 7

Hugo Victor, pages 23, 60

Jaurès Jean, page 61

Jourde Francis, pages 29, 34, 58

Lénine, (Vladimir Ilitch Oulianov)

page 65

Léo André, (Léodile Champseix)

pages 30, 40

Lissagaray Prosper-Olivier, pages 63, 70

Mac Mahon Marie Edme, pages 47, 73

Marx Karl, pages 54, 63, 65, 66, 71, 74, 75

Michel Louise, pages 1, 7, 26, 40, 48, 63

Napoléon III, (Louis Napoléon Bonaparte)

pages 20, 71

Pottier Eugène, pages 7, 63

Proudhon Pierre-Joseph, page 71

Rimbaud Arthur, page 59

Rochefort Henri, page 58

Robespierre Maximilien, pages 6, 35, 75

Rossel Louis, page 73

Saint-Just Louis Antoine, page 6

Thiers Adolphe, pages 1, 3, 5, 9, 24, 38, 43,

45, 47, 52, 60, 67, 72

Vallès Jules, pages 7,70

Vaillant Edouard, pages 29, 33, 74

Varlin Eugène, page 51

Verlaine Paul, page 59

Vermorel Auguste, page 51

Vuillaume Maxime, page 70

Zola Emile, page 54

75

INDEX

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Page 76: A comuna de paris 1871

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Crédits photos :

© Bibliothèque Historique de la Ville de Paris (BHVP)

© Dessin de Albert Robida

© Edigraphie

© Fonds Photos Roger Viollet

© Photographes : Henri Garat et Arnaud Terrier / Mairie de Paris

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CR

EDIT

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OTO

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