50 jours sur une coquille de noix

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2 Le Pélican - 1488 Lundi 31 Mai 2010 À LA UNE M ercredi 26 mai, à l’aube. Saint-Mar- tin, devrait être là, un peu sur la droite. Pas claire cette affaire”. C’est par ces mots qu’Adrien com- mence la rédaction de ce qui doit être le dernier article de son journal de bord. A son réveil, depuis sa minuscule couchette, il pensait apercevoir l’île qui, selon ses estimations, doit se trouver à dix milles seulement. Étonné, il ta- pote son GPS. En réalité, ses calculs sont exacts mais le temps couvert voile l’horizon. Ce n’est que plus tard qu’il distin- gue enfin les sommets de Saint-Martin, point final de sa transatlantique qui a duré cinquante jours. Parti le 6 avril Début avril, il est à quai à Pornichet en Bretagne et guette une fenêtre météo favorable pour prendre le large. Il est à présent seul, ses amis sont venus lui dire au revoir quelques jours plus tôt. Quelques- uns n’ont pas caché leur scepticisme sur ses chances de réussite et tous sont un peu inquiets. Ce n’est pourtant pas des capacités d’Adrien dont ils doutent, mais le bateau sur lequel il s’embarque n’a jamais entrepris tel voyage. En effet, si le Corsaire (voir encadré) est un dériveur reconnu pour ses qualités nautiques indéniables en régate, il n’est pas du tout conçu pour la navigation hauturière. Sur le forum d’un site internet dédié à cette embarcation – qui est un peu ce que la 2CV est à l’automobile – les uns et les autres se sont déchirés sur l’opportu- nité d’une transat avec cette coquille de noix. Au mieux est-il consi- déré comme un doux dingue. Le 6 avril, alors que les conditions météo s’améliorent, Adrien ne tergiverse pas et largue les amarres. La traversée du Golfe de Gascogne se déroule sous les meilleurs auspices, mais le temps se gâte au large du Portu- gal. Le plat-bord du ba- teau étant ridiculement bas, des paquets de mer inondent le poste arrière. Après deux semaines de navigation éprouvantes, Madère est en vue. Los- qu’il atteint les Canaries une semaine plus tard, la chaleur imprègne tout le corps d’Adrien qui se sent revivre. Il se désha- bille et fait sécher tout son équipement détrem- pé sur le pont. Comme il n’a pas de radio à bord, il hésite à faire escale pour donner des nouvelles à ses proches. Mais non, depuis vingt-et-un jours qu’il trace sa route sur l’eau, les éléments sem- blent l’avoir accepté, ce serait rompre le charme. Il imagine un moment transmettre un message à ce pêcheur croisé au large de l’île de La Palma, mais avant d’y avoir vraiment réfléchi, il met le cap à l’ouest. Cap à l’ouest Avec le changement de cap et après la tension des premières semaines, la navigation est (presque) devenue une partie de plaisir. Pourtant, le pilote automatique rend l’âme au vingt-cinquième jour. Bernard Moitessier* lui vient alors en aide. Plus précisément le souvenir de la lecture de son livre La Longue route où le circumnavigateur décri- vait une technique dont Adrien n’avait pas saisi toute la portée à l’époque: solidariser l’écoute de foc avec la barre. A l’aide de poulies et après ré- flexion, le système est AVENTURE Il y a quelques semaines, nous vous avons raconté l’histoire d’Adrien Rondel, 25 ans, parti de Bretagne début avril pour une tran- sat à bord d’un bateau de 5,50 mètres. Mercredi dernier, à 10 heures du matin, il a mouillé dans la Baie de Grand Case après cin- quante jours de navigation sans escale. Récit d’une incroyable aventure. 50 JOURS SUR UNE COQUILLE DE NOIX Edicius est un Corsaire, dériveur de 5,50 m conçu en 1953 pour l’initiation à la croisière côtière. Avec son skipper à bord, il pèse 800 kg et dérive relevée, il ne présente que 60 cm de tirant d’eau. Avant son départ, sa coque en mauvais état a été renforcée à l’époxy. A bord, seules concessions à la technologie, un GPS de poche habituellement utilisé par les randonneurs, un panneau solaire pour la fourniture d’électricité et un autoradio équipé d’une carte mémoire “chargée” de musique. Question intendance, une réserve de 110 litres d’eau – il en restera 30 à l’arrivée, soit une consommation réduite d’environ 1,5 litre par jour – des patates et du riz. Pour cuisiner, un réchaud de camping et une cocotte minute. Enfin, en guise d’embarcation de survie, une énorme chambre à air gonflée et ren- forcée par un entrelacement de cordages. Un équipe- ment pour le moins minimaliste. Adrien au poste de barreur. A sa droite, son radeau de survie en chambre à air L’équipement de navigation tient dans le creux de la main LE BATEAU suite en page 3

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Page 1: 50 jours sur une coquille de noix

2 Le Pélican - 1488 Lundi 31 Mai 2010 à lA une

Mercredi 26 mai, à l’aube. “Saint-Mar-

tin, devrait être là, un peu sur la droite. Pas claire cette affaire”. C’est par ces mots qu’Adrien com-mence la rédaction de ce qui doit être le dernier article de son journal de bord. A son réveil, depuis sa minuscule couchette, il pensait apercevoir l’île qui, selon ses estimations, doit se trouver à dix milles seulement. Étonné, il ta-pote son GPS. En réalité, ses calculs sont exacts mais le temps couvert voile l’horizon. Ce n’est que plus tard qu’il distin-gue enfin les sommets de Saint-Martin, point final de sa transatlantique qui a duré cinquante jours.

Parti le 6 avril

Début avril, il est à quai à Pornichet en Bretagne et guette une fenêtre météo favorable pour prendre le large. Il est à présent seul, ses amis sont venus lui dire au revoir quelques jours plus tôt. Quelques-uns n’ont pas caché leur scepticisme sur ses chances de réussite et tous sont un peu inquiets. Ce n’est pourtant pas des capacités d’Adrien dont ils doutent, mais le bateau sur lequel il s’embarque n’a jamais entrepris tel voyage. En effet, si le Corsaire (voir encadré) est un dériveur reconnu pour ses qualités

nautiques indéniables en régate, il n’est pas du tout conçu pour la navigation hauturière. Sur le forum d’un site internet dédié à cette embarcation – qui est un peu ce que la 2CV est à l’automobile – les uns et les autres se sont déchirés sur l’opportu-nité d’une transat avec cette coquille de noix. Au mieux est-il consi-déré comme un doux dingue. Le 6 avril, alors que les conditions météo s’améliorent, Adrien ne tergiverse pas et largue les amarres. La traversée du Golfe de Gascogne se déroule sous les meilleurs auspices, mais le temps se gâte au large du Portu-gal. Le plat-bord du ba-teau étant ridiculement bas, des paquets de mer inondent le poste arrière. Après deux semaines de navigation éprouvantes, Madère est en vue. Los-qu’il atteint les Canaries

une semaine plus tard, la chaleur imprègne tout le corps d’Adrien qui se sent revivre. Il se désha-bille et fait sécher tout son équipement détrem-pé sur le pont. Comme il n’a pas de radio à bord, il hésite à faire escale pour donner des nouvelles à ses proches. Mais non, depuis vingt-et-un jours qu’il trace sa route sur l’eau, les éléments sem-blent l’avoir accepté, ce serait rompre le charme. Il imagine un moment transmettre un message à ce pêcheur croisé au large de l’île de La Palma, mais avant d’y avoir vraiment réfléchi, il met le cap à l’ouest.

Cap à l’ouest

Avec le changement de cap et après la tension des premières semaines, la navigation est (presque)

devenue une partie de plaisir. Pourtant, le pilote automatique rend l’âme au vingt-cinquième jour. Bernard Moitessier* lui vient alors en aide. Plus précisément le souvenir de la lecture de son livre La Longue route où le circumnavigateur décri-vait une technique dont Adrien n’avait pas saisi toute la portée à l’époque: solidariser l’écoute de foc avec la barre. A l’aide de poulies et après ré-flexion, le système est

aventure

Il y a quelques semaines, nous vous avons raconté l’histoire d’Adrien Rondel, 25 ans, parti de Bretagne début avril pour une tran-sat à bord d’un bateau de 5,50 mètres. Mercredi dernier, à 10 heures du matin, il a mouillé dans la Baie de Grand Case après cin-quante jours de navigation sans escale. Récit d’une incroyable aventure.

50 jours surune coquille de noix

Edicius est un Corsaire, dériveur de 5,50 m conçu en 1953 pour l’initiation à la croisière côtière. Avec son skipper à bord, il pèse 800 kg et dérive relevée, il ne présente que 60 cm de tirant d’eau. Avant son départ, sa coque en mauvais état a été renforcée à l’époxy. A bord, seules concessions à la technologie, un GPS de poche habituellement utilisé par les randonneurs, un panneau solaire pour la fourniture d’électricité et un autoradio équipé d’une carte mémoire “chargée” de musique. Question intendance, une réserve de 110 litres d’eau – il en restera 30 à l’arrivée, soit une consommation réduite d’environ 1,5 litre par jour – des patates et du riz. Pour cuisiner, un réchaud de camping et une cocotte minute. Enfin, en guise d’embarcation de survie, une énorme chambre à air gonflée et ren-forcée par un entrelacement de cordages. Un équipe-ment pour le moins minimaliste.

Adrien au poste de barreur. A sa droite, son radeau de survie en chambre à air

L’équipement de navigation tient dans le creux

de la main

Le bAteAU

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sAint mArtin Le Pélican - 1488 Lundi 31 Mai 2010 3

MeuBLeS & Décoration D’intérieurKWiK iDeaS

ouvert Du LunDi au SaMeDi De 9h00 à 17h30LocuS roaD #1 unit 1, coLe BaycoLe Bay inDuStriaL center, St Maarten téL. (00599) 544 53 96

COLLECTIVITE DE SAINT-MARTINLa Collectivité informe :

Automobilistes, ceci vous intéresse.

La collectivité de Saint-Martin a décidé de mettre en place

un nouveau système d’immatriculation des véhicules à

moteurs (auto et moto), spécifique à notre territoire.

A ce titre, un nouveau numéro d’immatriculation et un nouveau certificat (ex-carte grise)

vous seront attribués, à compter du 1er Juin 2010 ; dans le cadre de cette opération les

nouveaux certificats seront délivrés à titre gratuit.

A compter de cette date, les automobilistes sont priés de se rapprocher du service des

Cartes Grises et immatriculation à Galisbay (salle omnisport), afin de se conformer à cette

nouvelle réglementation ; une notice explicative vous sera remise à cet effet.

Heures d’ouverture au public du lundi au vendredi de 8h 15 à 14H

Contact: téléphone 0590 27 92 06

mis en place. Il s’amélio-rera ensuite par réglages successifs et permettra à Adrien de ne plus bar-rer du tout pendant les vingt-cinq derniers jours de la traversée. Pas le temps de s’ennuyer ce-pendant, les nombreuses avaries qui surviennent demandent une vigilance constante: voiles déchi-rées à recoudre, étais de mâts qui cassent et qu’il faut tenter de rempla-cer, panneaux solaires HS. Des incidents aux-

quels ils faut remédier avant qu’ils n’entraînent des conséquences plus graves. Mais Adrien est un homme plein de ressources, il trouve toujours une solution adaptée. Ainsi, quand les barres de flèches menacent de rompre, il escalade prudemment le fragile mât et les ren-force à l’aide d’une résine à prise rapide sortie de sa trousse à pharmacie et initialement destinée à soigner... un membre

cassé ! Les journées sont également rythmées par le point de sa position qu’il fait tous les midis et qu’il marque d’une croix sur la carte, matériali-sant ainsi son avancée. Le reste du temps, il le passe à lire et à dormir. Il avouera à l’arrivée avoir fait “une cure de sommeil comme il n’en avait pas fait depuis longtemps”. Et puis, pour meubler sa solitude au milieu de l’immen-sité océanique, il parle à son bateau qu’il connaît maintenant par cœur et dont il s’est fait un véri-table compagnon. Après cinquante jours et quatre mille cinq-cent milles parcourus (plus de 8300 km), Saint-Martin se présente enfin. Adrien se réinstalle alors à la barre, double la pointe nord de l’île et tire des bords qui le mène au mouillage dans la Baie de Grand-

Case. Son pari est gagné, il a vécu son rêve les yeux ouverts.

Retrouvailles

A peine remis de ses émotions, Adrien rejoint la terre, à laquelle il doit se réadapter après des semaines de tangage, et part à la recherche de son père enseignant, que nous avions rencontré il y a quelques semaines. Celui-ci est sans nou-velles de son fils depuis son départ de Bretagne. Au hasard, car il ne sait pas dans quel collège il travaille, Adrien se rend à celui de Cul-de-Sac. Il a vu juste. Quand il appa-raît dans l’encadrement de la porte de la salle de classe, avec son allure de flibustier tout droit sorti de Pirates des Caraïbes, les élèves ne manquent pas d’être surpris... mais pas autant que Pas-cal, son père, qui reste bouche bée. Les retrou-vailles sont émouvantes. L’après-midi, sur le ba-teau paternel, Adrien n’en finit plus de raconter son périple. Il faut dire qu’après sept semaines d’isolement, sa langue a besoin de se délier. En face, son père ne se lasse pas de l’écouter. Et nous non plus...

Ph.B.

* Bernard Moitessier est l’auteur de plusieurs livres qui relatent ses voyages maritimesBouts et écoutes reliés à des taquets permettent de

maîtriser les voiles depuis le poste arrière

“Ceux qui vont mourir te saluent”, lançaient les gla-diateurs à César avant de combattre. Celui-ci pou-vait, à l’issue du combat, gracier un perdant s’il estimait qu’il avait, mal-gré tout, bien combattu. C’est cette phrase my-thique qu’Adrien a choisi pour intituler son projet : «Si je fais de mon mieux et même si je commets des erreurs, la mer me préser-vera». Une marque d’hu-milité avant d’affronter les éléments, mais aussi un défi à notre époque et

à ses deux cultes, argent roi et technologie. Avec 6000 euros de budget, achat du bateau compris, Adrien prouve que le rêve est d’abord et surtout à portée de volonté. Il n’aurait d’ailleurs pas ac-cepté qu’un annonceur le finance, ça aurait été concéder une part de sa liberté. Le reste n’est que bon sens, débrouillar-dise… et témérité. A l’ar-rivée, un véritable pied de nez aux donneurs de le-çons qui affirmaient l’im-possibilité du projet.

“MORitURi te SALUtAnt”

Sur la coque d’Edicius, des vers tirés dupoème “Le Voyage” de Charles Baudelaire.Des questions auxquelles Adrien a répondu.

Il faut faire preuve de souplesse pour se glisser dans la ‘’couchette cercueil’’

Avec si peu d’habitabilité, il a fallu optimiserle rangement à bord. En bas à droite, la cuisine...