30 yeras of research of african sculpture gabon

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Louis PERROIS

Putrimoin& du Sud Collections du Nord

Institut franais de recherche scientifique pour le dveloppement en coopration

Patrimoines du Sud Collections du NordTrente ans de recherche propos de la sculpture aJiicaine (Gabon, Cameroun)

0 Louis Ptxrois, ORSTOM, 1997

Introductionlre

Trente ans de recherche propos de la sculpture africaine De lart ancestralt~ lart royal Socits acphales du bassin de IOgoou, chefferies hirarchises du Grassland camerounais

7 11

Partie l-l1-21-3-

Quel corpus pour quelle recherche ?

13 16 19 23 24 25 26 26 27 29 32 32 34 35 37 38 39 39 44 44 46 47

La re-prsentationl

des anctres : lart fang Styles, sous-styles et variantes du nord au sud et histoire des peuples du Gabon oriental :

Riteqvaleurs

les bases dune dynamique stylistique des figures de reliquaire kota l Sutsi, la circoncision et ses rituels chez les Bakota du Gabon l Lethnohistoire et lhistoire coloniale du pays kota (Gabon) l Un corpus ncessaire l Rflexions sur une mthode l Chronique du pays kota (Gabon) l Migrations kota et variantes stylistiques des figures de reliquaires l-4

Les esprits et les masques : lart des Myn, Pounou et autres Tsoghol l l

l l l l

Les Galoa du Moyen-Ogoou Les masques blancs des Pounou-Loumbo du Sud-Gabon Les masques Moukouyi et Mvoudipolycbromes ; transition avec les styles du Haut-Ogoou Des peuples aux traditions apparentes Les masques tsogbo et sango (Haute Ngouni, Ofou, Lolo) Lart tsogbo : la sculpture du Bouiii (I~V&) Les deux Nzamb et la statue (conte)

l-5

Les anctres et les esprits de la fort : peuples, cultures et arts de lAfrique quatoriale atlantique 9 Arts connus et mconnus de la fort quatoriale l Une rgion de grande fort et de multiples rivires : le bassin de 1Ogoou l Les peuples : histoire et modes de vie communs l La re-prsentation des esprits et des dfunts l Les sculpteurs et leur art : les conditions de la cration l Statues, masques et objets dcors : des types de representations l Lart du bassin de 1Ogoou : un art disparu, pourquoi, comment Art et pouvoir:l l l l l l l

48 4952 54 55 58 60 61 62 62 63 66

l-6-

les trsors des chefferies du Grassland camerounais Les objets dart du Cameroun : sources dhistoire et marqueurs de culture Les enqutes sur les objets Les Bamilk Les socits secrtes Le fo et le k Une gographie stylistique complexe : de lOuest au Nord-Ouest du Grassland Les rois-sculpteurs : art et pouvoir

Patrimoines

du Sud, collections du Nord

2me Partie2-1-

Muses du Sud et collections du Nord Les conditions dune anthropologie globale des objets : recherche et valorisation culturelle

69 71 71 72 73 75 77 81 82 85 85 86 86 87 89 93 94

Un muse de terrainl

Un muse pour la recherche et le public en Afrique . Une mthodologie de terrain, des collections au Sud l Le recueil de la documentation esthtique * Le traitement du matriel recueilli : le rle du centre darchives culturelles l Un cas concret : le Muse des Arts et Traditions de Libreville = Le muse national du Gabon vingt ans plus tard l Expositions et animation culturelle l Traditions, anthropologie et images 2-2

Lart de lAfriquel l l l l

centrale atlantique dans les collections occidentales

Archives et histoire de lAfrique centrale Les explorateurs et leurs documents LAfrique quatoriale la fin du XM sicle 60 byri pourquoi et comment ? Trsors de chefferies, trsors de muses : objets royaux, histoire et pouvoir au Grassland

z-3-

Les conditions dune anthropologie Pour une anthropologie

des objets et dailleurs

3me Partie3-l3-2

des arts dAfrique

97 99 100 100 102 104 LM 107

Du regard du Blanc lobjet en action : le terrain et la distanciationDe lart ngre aux arts africains : la recherche de lordre l Classifications anciennes et daujourdhui l De lart ngre aux arts africains : une reconnaissance tardive l Une caractrisation plurielle des donnes

34

Formes et significations

: la recherche du sens

9 Quelle problmatique, quelles mthodes ?

conclusion Annexe -

Beau, bon et utile une uvre ambigu bibliographie choisie

: lobjet-mmoire

est

115 119

Centre des styles de la statuaire danctre des Fang dAfrique quatoriale au XIX sicle. inLe GrandAtlas Universah de lArt, T. 11,1993, p. 503 Tableau des styles fangin Art ancestral du Gabon, L. Perrois, 198.5, Genve, p. 142

20

22 30-31 33

Tableau de styles kota. (Domenico Terrana et Louis Permis)in Les Arts d@ique Noire, L Perrois., 1988, p. 209, fig. 48

Kota and reliquary figures (The lack of overlap is evident). in Art h&ov ofAfrica, J. Vansina, 1984,p. 32, fig. 2.2. Les masques du Sud-Gabon Galoa (a) ; Pounou, Loumbou, Tsangui (b,d) ; Pov (c) ; Tsogho (e,f) in Problmes danalyse de la sculpture traditionnelle du Gabon,ORSTOM, 1977, p. 65, fig. 14

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Statuettes peintes du Sud-Gabon Tsogho (a,c,d) ; Sango (b) ; Loumbou, Pounou (e,f) ; Ndjabi (g) in ProbEmes danalyse de la sculpture traditionnelle du GaboRORSTOM, 1977, p. 64, fig. 13

40

Carte des masques in Art Ancestral du Gabon, L. Perrois, 1985, Genve, p. 16 Carte des figures de reliquaire in Art Ancestral du Gabon, L. Perrois, 1985,Genve,p. 17 Le Grassland au Cameroun et en Afrique in Les rois sculpteurs: RMN, 1993, p. 214 Les royaumes du Grasslandin Les rois sculpteurs, RMN, 1993, p. 215

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51 56 57 59 64-65

Les grandes rgions artistiques du Cameroun in Art of Cameroon, P. Gebauer,1979,New-York, p. 29, carte3 Carte stylistique de la sculpture du Cameroun (esquisse prliminaire) par L. Perrois et J.P. Notu in Revue Muntu, n4-5, Libreville, 1986,pp. 190-191,carte4

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Sur la carte de la Revue Muntu,

les objets sont extraits de :

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36

Michel Leiris, Jacqueline Delange, Afrique Noire, 1967, p. 95, fig. 92 Photo Louis Perrois Utotombo, LAfrique Noire dans les collections belges, 1988, p. 187, fig. 131 Tamara Northem, The art of Cameroon, 1984, fig. 133 The Metropolitan Mnseum of Art, Tishman Collection, For Spirits and Kings, p. 185, fig. 108 J. Kerchache, J.L. Paudrat, L. Stephan, Lart africain, 1988, p. 548, fig. 944 Pierre Harter, Arts anciens du Cameroun, 1986, p. 2.39, fig. 274 Pierre Harter, Arts anciens du Cameroun, 1986, p. 32, fig. 18 Kurt Krieger, Westafrikanische Plastik III, 1969, photo 1 Photo Louis Perrois Photo Louis Perrois Jean-Paul Notu, Contribution ltude du bestiaire dans la sculpture bamilk (Ouest-Cwneroun), D.E.A. Juin 1985 Jean-Paul Notu, Batcharn, SculpBwes du Cameroun, 1993, p. 111 Elsy Leuzinger, Die Kunst von Schwar&rika, 1972 et 1976, p. 237, P2 Pierre Harter, Arts anciens du Cameroun, 1986, p. 210, fig. 238 Kurt Krieger, Westafiikanische Masken, 1967, fig. 37 Photo Louis Perrois Iadislas Segy, Ma& of black Africa, 1976, fig. 188 Photo Louis Perrois Michel Leiris, Jacqueline Delange, Afrique Noire, 1967, p. 322, fig. 372 Ladislas Segy, Ma.& of black Africa, 1976, fig. 187 Michel Leiris, Jacqueline Delange, Afrique Noire, 1%7, p. 104, fig. 101 Michel Leiris, Jacqueline Delange, Mique Noire, 1967, p. 105-106, fig. 102 Kurt Krieger, Westafrikanische Plastik II, 1969, photo 308 Kurt Krieger, Westafikanische Masken, 1967, fig. 59 Louis Perrois, Arts du Gabon, 1979, p. 65, fig. 40 Louis Perrois, Arts du Gabon, 1979, p. 63, fig. 36 Louis Perrois, Arts du Gabon, 1979, p. 57, fig. 28 Kurt Krieger, Westafrikanische Plastik Z, 1965, photo 168 Louis Perrois, Arts du Gabon, 1979, p. 101, fig.100 Louis Perrois, Byri Fang, Sculptures danctre en Afrique, 1992, p. 147 Louis Perrois, Arts du Gabon, 1979, p. 88, fig. 81 Kurt Krieger, Westafrikanische Plastik 1, 1965, photo 164 Katalog sur Ausstellung des Staatlichen Museums fur Volkerkunde, Mtinchen, Afrikanische Kunst, 1976, abb. 14, p. 45 Kurt Krieger, Wesiafrikanische Plastik II, 1969, photo 313 Kurt Krieger, Westafrikanische Masken ,1967, fig. 57

Trente ans de recherche propos de la sculpture africaine

La question de lanthropologie de lart nest pas, comme chacun sait, au cur de la rflexion sur lidentit de lethnologie mais elle constitue tout de mme une des proccupations lancinantes de cette discipline scientifique, justement parce quelle est lintersection alatoire du subjectif et de lobjectif, du quantitatif mesurable et du qualitatif interprtable, du fonctionnel et du beau, de la raison et du got. Jean Cuisenier pose bien les prmisses de ce dbat, toujours actuel, dans un numro spcial de la revue Ethnologie franaise : Lintrt des ethnographes pour lart est aussi ancien que la dmarche ethnologique elle-mme. Que lon songe, pour citer seulement des exemples issus des prcurseurs, aux travaux des peintres royaux embarqus sur les navires lancs dans des expditions de dcouverte au XVIII sicle i...l. Mais la rpugnance de ces mmes ethnographes sengager sur les voies dune ethnologie compare de lactivit artistique nest pas moins ancienne, tant le risque est grand de livrer, sous le pavillon de lethnologie, une marchandise toute diffrente : iustifier. nar une critique insuffisante des iugements de notre socit,. le choix que celle-ci fait enrpartissant^les activits et l& &uvres en deux catgories, selon quelles appartiennent ou non au monde de lart. Mieux vaut, en effet, afficher ces choix, les assumer jusqu leurs dernires consquences, et les prsenter, selon le cheminement de Heeel dans son Esthtioue, comme le rsultat ncessaire du travail de lesprit par lhistoire unyverselle. Entm ces dux-risques, celui dune ethnographie scrupuleuse, attache lapprhension des emwes - les masques des les Salomon, les instruments de musique kirghize, les navires de crmonie tha-, mais empche, par la fascination quelles exercent, den tixer la place dans le systme plus englobant de la culture, et le risque inverse, celui dune ethnologie gnrale, soucieuse de parvenir noncer des propositions valant pour lunivers entier des cultures sur la position relative des uvres et des artistes, sur la diffrenciation plus ou moins grande du champ artistique et les rapports entre types duvres et types dactivits, la voie est troite, bien certainement, pour ce que lon nomme une anthropologie de lart. Cest un itinraire de ce genre que jai essayde prospecter depuis les annes 60, en partant de lethnologie telle quAndr Leroi-Gourhan, Denise Paulme, Roger Basride, He?ne Bawet et pas mal dautres, me lont enseigne au Muse de IHomme, au contact des collections, des archives des dpartements, des ouvrages de la bibliothque et des chercheurs de retour du terrain.

Cuisinier (J.), 1978,Pour me anthmpologiede lart in Ethmfogie Franpise 8 skie, no 8, no 2/3, p. 103.

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Plusieurs recherches originales, menes dans le cadre du Muse de IHomme, entre les annes 50 et 70, ont plus ou moins directement inspir ma dmarche. Dabord bien sr, les travaux dAndr Leroi-Gourhan qui ont t tr&s tt novateurs en la matire (Documents pour lart compar de lEurasie septentrionale, 1943) et ont suscit des vocations pendant trois dcennies, tant en ethnologie-prhistorique quIen ethnologie culturelle et notamkent un cours de Sorbonne profess dans les annes 60. intitul Lart sans lcriture. se voulant tre une approche des &atiques lmentaiis de lkrt des peuples sans crim bar la voie de lafisuration plastique

Ce cours prcisait des points abords dans Le geste et la parole et La mmoire et les rythmes (1964) mais aussi dans volution et techniques (1943, 1945), tout en brossant ltat de la recherche lpoque (1968). Ltude de lart est pour A.L.G., une des sources pertinentes de la recherche ethnologique. Restant prudent sur les perspectives esthtiques de sa dmarche, estimes prmatures mais aussi sur celles dune histoire des arts primitifs (sic) -langage dpoque-, encore insuffisamment alimente en matriaux, A.L.G. a par contre magistralement cadr les recherches poursuivre, dun point de vue mthodologique et pistmologique. Ces fameuses pratiques lmentaires quil rapporte lart, sont les manifestations les plus profondes du comportement social exprimes par des attitudes, des gestes, des rythmes, des mesures et des propositions (rapport des parties ou tout), des intervalles, des couleurs, etc.Lart en gnral, explicitement ou non, exprime travers des uvres spcifiques (dont Ia matrialisation sappuie sur des techniques prcises), le plw intime de la personnalit ethnique,

dans un lieu et une poque donns. Dans Lart sans lcriture, A.LG. aborde notamment le traitement technique des uvres (brase de lapproche morphologique) par ce qui concerne la matire travaille, la forme voulue (figurative ou non, par exemple), et la construction dans lespace (cadrage, proportions, intervalles, jeu des formes et couleurs). Directeur de mes recherches de 1963 aux annes SO, rapporteur de ma thbe dethnologie traitant de la statuaire fang du Gabon (Paris, Sorbonne, 1970, publie en 1972 - Orstom -), Andr Leroi-Gourhan, bien que non-afncaniste, a inspir et orient lessentiel de ma dmarche. Les africanistes quant eux, tels que Jacqueline Delange et Jean Laude tout spcialement, mais aussi Guy Le Moal, Herbert Peppec Hubert Deschamps, certains tant plus familiers des objets que des terrains, de lhistoire que des rites, de la musique que de la sculpture, ont t des partenaires plus ou moins proches de cene recherche, du fait surtout, que sjournant peu prs en permanence au Gabon puis au Cameroun de 1965 1984, je ntais pas en mesure aepoursuivre un dialogue permanent avec eux, Paris o tout se passe... Jacqueline Delange et Ht%?ne Balfet mont initi aux objets et aux ddales tonnants et passionnants du Muse de 1Homme et de ses rserves. Mayant b-ansmis le got des objets et duqu le regard sur les formes, celui de lanalyse, mes matres en ethnologie cuhurelle mont laiss dcouvrir le terrain, celui des groupes vivants, des gens, des activits sociales, de la tradition orale, des milieux naturels, des identits vcues, des objets in situ. Jean Iaude, paru de la posie et de lart moderne la dcouverte, si russie, de lart ngre, notamment dans les collections du Muse de 1Homme (ds 1946), contribua jusqu sa disparition prmature en 1983, lessor de lanthropologie de lart dans les universits franaises (Paris 1 en 1979. Son approche de lart dogon, dans sa thse de 3me cycle (1%4), est une voie intressante qui combine les lments de la tradition mythique avec ceux de lanalyse des formes, replaces dans Vespace qui les entoure. Appuyes sur une rudition impressionnante, les conceptions dveloppes par Jean Laude sur les rapports entre

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ethnologie et histoire de lart, ont t formules dans un texte crit vers 1970 et publi en 198.5 aprs son dcs. Il y esquisse sa problmatique de lanthropologie de lart des socits sans criture. Ne reniant pas les questions dorigine et dvolution historique des cultures, J. Laude insiste sur les problmes de fonction, fonction significative et fonction figurative des arts de ces soci&s. La fonction significative du6 uvre dart, dans une socit africaine. est une fonction active. Il suit C. Levi-Strauss dans sa comr>araison de lart et du langag : si tout art est langage, ce nest certainement pas sur le plan de la pense consciente... Tous les moyens qui sont la disposition de lartiste constituent autant de signes et la fonction de luvre dart est de signifier, dtablir un rapport significatif avec lobjet. Pour un Africain, Jean Laude rappelle que la forme nest jamais saisie sparment ni abstraitement. Ce langage des formes est articul avec le langage global que constitue la socit elle-mme, prise comme un fait total _ Mfiant lgard des muses imaginaires, drive habituelle de lexotisme, fort la mode depuis le XIX sicle, J. Laude veut aller au-del du miroitement aux effets purement rtiniens, en abordant lanalyse de la fonction signilicativedes uvres dans le groupe, et ceUe de la fonction esthtique qui nest pas isolable des autres. Cette

fonction sexerce par lunification de toutes les autres, quelle cimente, auxquelles elle confre une cohrence qui assure leur efficacit. Au plan de la mthode, J. Iaude pense que pour accder cette fonction esthtique, il faut dabord tudier lensemble des autres. Utilisant les termes de critres pertinents, de sries et de dterminants formels, J. Laude admet laspect technique des uvres. Il cite dailleurs Leroi-Gourhan auquel il se rfre cet gard. La difficult de la traduction de ce langage des formes ne lui chappe pas : concevoir avec des mots ce qui fut conu avec des formes ; concevoir avec des structures mentales dun Africain impliquent une double conversion des modes de pense. Prudent avec lanalogie des formes, J. Laude est attentif au champ des valeurs, diffrent de celui des significations. Il pense identifier des systmes cohrents de formes, des types, cela par rapport lespace gomtique de rfrence, ces systmes tant bass sur la mise en vidence, peu facile, de la forme-valeur de chaque style spcifique. Jan Vansina est lun des rares chercheurs avoir formul ce quest lapproche historique des arts plastiques africaius3. Pour lui, familier des cultures et objets de lAfrique centrale, lanalyse des uvres dart doit sappuyer, non sur limagination, mais sur le contexte historique. II regrette que trop souvent, ces objets sont considrs comme ne venant de nulle part, comme si le lieu et la priode de leur cration navaient rien apporter leur comprhension, seules leurs fonctions sociales et leurs formes pouvant permettre de les identifier et de les classer. Pour donner un sens lart dun groupe, il faut envisager la dynamique historique do il est issu. Le plus grand chef-duvre nest ternel que parce quil saisit lesprit phmre de sa propre poque (p. VIII). Robert Layton, autre anthropologue de lart rut, a une vision plus sociologique et anthropologique de lart des socits non-occidentales Sa conception des arts des autres cultures renvoie un certain nombre de thmes classiques tels que : la dfinition de lart dans les socits autres . lesthtique et les artistes; lart comme reprsentation; les rapports en& art et re&on ; lart et le pouvoir politique ; lart comme moyen de communication visuelle, lart comme langage avec sa syntaxe et sa grammaire ; les caractristiques stylistiques de lart, son rapport la nature, la facture ; enfin, les questions relatives la crativit2.

* La& (J.), 1985,Ethnologie et histoire de lart, in Ldcrit-Voir, na 6, Paris, Fubl. de la Sorbonnep. 61. 3 Vamina (J.), 1984, A~I Histmy in &frica, Lmgman, New Ycuit et London. L@cm (R.), 1981 (r&d. 1994), Tlze anfhropology ofArt, CambridgeUuiversity FES, Cambridge.9

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Lvocation de ces auteurs et chercheurs, plus ou moins de rfrence, est utile pour apprcier la pertinence et la cohrence de ma propre recherche sur les arts de lAfrique centrale atlantique et les arts tribaux en gnral. Ayant eu connaissance de ces avances pistmologiques, jai progressivement adapt mes mthodes, approfondi mes enqutes, confotiou nuanc mes rsultats.

Lexpos qui suit, divis en trois squences, voudrait montrer la cohrence du cheminement parcouru sur trois dcennies et tenter de situer chacun des ouvrages ou des prestations que jai raliss. Parti des collections et des objets, je me suis ensuite familiark avec le terrain pour prendre en compte la globalit de leurs contextes. Des activits musographiques en Afrique mme puis en Europe mont permis damplifier de faon importante mon corpus dtude. Tout cet acquis ma enfin conduit tenter danalyser, classer, expiiquer, valoriser cet ensemble dinformations en vue dun vritable dialogue interculturel : utopie ou gageure?

On remarquera tout au long du texte, lemploi dun vocabulaire et de concepts qui, en 1997, parat parfois inappropri. Dans la mesure o ii est constamment fait rfrence des articles et des ouvrages dj anciens, citations lappui, il devenait impossible de remdier cet inconvnient circonstanciel, sauf alourdir le texte de notes fastidieuses ce sujet, rappelant la ncessit de remplacer certains mots par dautres (ex. : tribu, ethnie, peuple, communaut villageoise, clan, lignage, famille, etc.). Il convient donc de garder en mmoire les diffrents contextes scientifiques qui constituaient chaque fois le panorama de fond de telle ou telle tude (ex. : lpoque du marxisme historique ou du structuralisme orthodoxe).

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lre Partie

Socits acphales du bassin de IOgoou, chefferies hirarchises du Grassland camerounais

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Statue du Byri, Fang Ntoumou (in Art ancestral du Gabon, Muse Barbier-Mueller, Genve, 1985, p. 167)

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Avec le recul des annes, ORpeut esquisser les caractristiques du corpus dinformations que ju constitu sur les cultures anciennes et les arts de lAfrique centrale ath~~~tiqne, zone privilgie de mes enqutes de terrain et de mes recherches biblio-musographiques depuis trente ans. Il convient en premier lieu de situer le champ de cette recherche dans celui de ltude anthropologique des socits africaines depuis les indpendances dans la mesure o le concept dethnie, de tribu ou de peuple a quelque peu chang de sens. Mme si on considre que lhistoire coloniale de 1A.E.F. na pas vraiment frg les tribus dans des limites intangibles, lapproche de H. Deschamps dans Traditions et archives... (1962) tendait fixer des cadres assez prcis dont des recherches plus dtailles de terrain montreront la relative fragh, la fois dans leur profondeur historique et leur ampleur gographique. En fait, les ethnies sont les r&ultantes conjoncturelles de processus historiques et de dynamiques sociales, celles-ci tant dtermines dans des systmes dtermins de relations reconnus et pratiqus lintrieur despaces dfinis par des limites. Ltude des peuples, des cultures et de lhistoire de lAfrique centrale atlantique nous montrera des r&lit& diffrentes, depuis une organisation de type lignager et villageois dans le bassin de IOgoou jusqu une structuration trs hirarchise en petits tats-nations dans le Grassland. Il y a l deux formes dethnies si lon peut dire, toutes les deux issues de processus de dcomposition et recom~sition historiques provoqus par la dynamique des dplacements (migrations de plus ou moins grande envergure, plus ou moins volontaires galement) et des contacts iutereu.lturets. Dans les deux cas, la reprsentation rcente (fin du XIXsicle) des univers ethniques a pu tre analyse au travers dune de ses expressions les plus spectaculaires, lart plastique. On sapercevra que lopposition entre socits segmentaires et chefferies nest pas aussi franche et dfinitive quon a pu le penser un peu vite. Les chefferie bamilk ont t de simples villages segmentaires avant larrive des rois-chasseurs au XVP sicle, de fonds culturel et linguistique bantou. A linverse, certains peuples de IOgoou, les Nkomi par exemple ou les Mpongou, taient organiss en royaumes hirarchises aux XV et XVI sicles, avant de redevenir des communauts lignagres villageoises. Langle un peu nouveau de la recherche mene est davoir privilgi IEtude des marqueurs visu& de ces civilisations, sans prjuger des formes sociales et de lhistoire qui les ont suscits, ni de leur extension dans un espace gographique. On a suppos cependant que ces objets chargs pouvaient rvler dune certaine faon, les caractristiques des communauts qui les ont cres et utiliss, dans la mesure o ils renvoient toujours descorpus cohrents de croyance, de mythes et de rites

Objets identitaires par excellence, les objets dart primitif, tribal ou premier, constituent lune des traces importantes de ces processus complexes de changements historiques et sociaux

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Tribus, ethnies, peuples, langues, cultures, toutes ces expressions, tous ces concepts nous incitent avoir une approche prudente dont une des plus fcondes consiste caractriser des ensembles en termes de centre et de priphrie - que ce soit pour des formes sociales, des rites ou des styles plastiques -, donc en termes de limites la fois dans le temps et dans lespace. Ces frontires culturelles et stylistiques quand il sagira des crations plastiques, se rvleront souvent floues, permables, changeantes mais cependant bien relles.ensemble dinformations concerne les peuples de lAfrique quatoriale de lOuest, communauts villageoises forestires de type acphale, rparties dans tout le bassin de IOgoou et les contres limitrophes (sur quatre pays contemporains). Je me suis attach enquter dans plusieurs rgions propos des traditions historiques, des structures sociales, des croyances, des cultes et des rites, des traditions et de la littrature orale, des formes matrielles de la culture, des arts plastiques. On peut sommairement qualifier ces socits en soulignant l%nportan de rapport aux esprits, les esprits des morts (les anctres et les fantmes) et les esprits de ta brousse. La duaht du cosmos avec les villages de Nzambden-Haut et ceux de Nzamb-den-Bas, du pays des hommes vivants, renvoie une croyance forte aux esprits, celle-ci ayant conduit un dveloppement gnralis de la soreetterie, la manipulation des fins malfiques, des forces surnaturelles. Un premier

Les expressions visuelles et plastiques de ces croyances, statuettes, masques et objets dcors (ou plutt marqus) des symboles rvlant leur signification dinterface avec les forces de lau-del, sont toutes codes par rapport la mort et aux anctres, que lon craint et quon sefforce pourtant dutiliser au profit des vivants. Lart de ces rgions est donc un art des anctres et des esprits, une expression obsdante du rapport la mort. La varit des expressions formelles reste limite dans un registre de sujets lui-mme rduit la reprsentation des anctres (byn, mbulu-tzgulu, bw&k etc.). Cest aussi unart du lignage dans la mesure o lespace dexpression du langage plastique ne dpasse que rarement les limites du groupe lmentaire de parent. Malgr toutes ces informations, ces objets, ces rfrences, plusieurs questions restent pendantes. La plus difficile est sans nul doute, celle de la diffrence radicale des formes fang ou tsogho davec les formes kota puisquon a l deux styles de conception gomtrique oppose : les Fang en ronde-bosse, les Kota en deux dimensions. On a pu esquisser un panorama stylistique assez prcis de ces deux arts mais quant lexplication de cette diffrence, nous restons encore dans lexpectative. La seconde question est celle de lvolution des masques blancs et des rapports complexes des sous-styles entre eux, de la cte gabonaise aux confins du Congo, dans lespace mais aussi dans le temps. Jy reviendrai plus loin. Concernant les cultures du bassin de IOgoou, mon champ denqute pendant une quinzaine dannes, je les ai abord& chacune dune faon spcifique, en rapport avec lvolution de la recherche. Ltude de la civilisation fang a t oriente sur le calte des aneh, IutiJisation des statues et autres masques des socits dinitiation, l%istoire des diffrents groupes, les migrations et les contacts inter-culturels. Des objets de collection, je suis remonte aux contextes en essayant de valider peu peu Ies rsultats dune analyse formelle.mthropdogique

En ce qui concerne les Bakota et les MaHongw, mon approche a t plus directement : analyse des structures sociales actuelles et passes (les traditions), croyances et rites, histoire des communauts et contacts entre celIes-ci et les groupes voisins, enfin analysedes expressions plastiques dans leur diversit. Chez les Kota, ce sont plutt les objectifs historiques qui ont t privilgis, dans la mesure o jen ai mesur limportance pour ordonner dans lespace et le temps, les sries homologues ou varies dobjets.14

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du Sud, collections du Nord

A propos des peuples et cultures du Centre-Gabon, les Tsogho par exemple, je me suis attach complter lapproche de mes collgues ethnologues (trs intresss lhistoire aussi) par une systmatique des objets et des formes, sur te terrainmme (et non partir de collections occidentales). Jai ainsi pu envisager la complexit des expressions plastiques au sein dun style, la subtile varit des factures et du mme coup, comprendre mieux les conditions de la ctiation plastique cette transgression magique de lordre du monde. Fort de ces approches dtailles des diffrentes grandes rgions du bassin de logoou, sur le terrain, travers la littrature et les archives et propos dun grand nombre dobjets caractrises, jai pu ordonner ces morceaux du puzzle en une synthse englobant toute la zone, synthse dont la meilleure transcription serait une srie superpose de cartes de rpartition des objets et des informations historico-anthropologiques, permettant dapprcier la dynamique complexe des styles et sous-styles. Un hypertextepermettra probablement terme de mieux formaliser ce mudle volutEf. La seconde phase de mon e.q&ience de terrain concerne une rgion peu loigne de la premire, le Grassland du Cameroun occidental. Jai pens y trouver des ralits dgfrentes - les peuples, les cultures, lhistoire, les objets - maisen relative continuit dans la mesure o je restais dans lespace bantou (. Je pus ainsi aborder ltude de cultures apparemment loppos de celles du bassin de 1Ogoou - celles des royaumes hirarchiss du Gra&+nd -, de surcrot t&s productivesdobjets dart

Lapproche de la civilisation Bamilk, par te terrain, chefferie aprs chefferie, se fit par lanalyse des t&sors des chefs. Ce fut donc une recherche partir des objets, ceux-ci tant considrs comme les marqueurs de l%istoire de leurs crateurs et de leurs communautsdorigine.

au sud du Gra&+nd, il est vite apparu que rien ne pourrait des socitk secrtes, vritables dtentrices du pouvoir par cette entre que jai donc abord les objets. Dans la approfondi, avec mon collgue Jean-Paul Notu, des investigations dordre historique afin de mieux cerner la dynamique des contacts politiques, conomiques et cutturebs entre les royaumes, afin de pouvoir mieux situer les uvres plastiques. En effet, lart du Grassland est avant tout un art politique et emblmatique, un art royal.Les statues et les masques sont des supports de forces mises au service des rois, des chefferies et

Chez les Bamilk eux-mmes, tre compris sans une analyse religieux et politique -. Cest province du Nord-Ouest, jai

des socits secrtes. On voit ainsi que le corpus constitu depuis trois dcennies se structure en deux ensembles ayant permis partir dune mme mthodologie - analyse des formes, des structures sociales et politiques, des croyances et des rites, de lhistoire des contacts inter-culturels - daborder la plupart des grandes questions de lanthropologie de lart : - les conditions variables de la cration plastique (dans diffrentes socits, diffrentes poques, etc.) ;les rapports des formes et de leurs signifkations ;

la dynamique spcifique des styles (lhistoire des formes).

Pour les deux zones tudies, les rponses sont videmment diffrentes mais trs intressantes pour mieux fonder une approche globale de lanthropologie de lart en Afrique pour laquelle le rapport au Verrain me paraXt tout fait essentiel, mme si la posie intrinsque des formes sculptes peut en outre, souvent transcender le sens de leur message cod.1.5

Patrimoines

du Sud, coJIeciions du Nord

Toutes ces connaissances accumules propos des arts de lAfrique traditionnelle ne vont pas expliquer en quoi ces formes relvent parfois dune ctiation de gnie, mais elles peuvent cependant largement rhabiliter limpact de ces expressions charges dans un dialogue mieux quilibr et rciproque des culture du Sud et du Nord, pour aller au-del de la fascination purement rtinienne quvoquait Jean Laude.

Rfrencesl

La statuaire

fang, 1972,420

p.. Mmoire n59, ORSTOM, Paris

l

Lart fang, Guine quatoriale, en coll. avec Marta Sierra Delage, 1991, 177 p. (autres versions en catalan, anglais, espagnol), Le Cercle dArt, Paris. mene propos de lart sculptural des Fang dAfrique quaroriale atlantique, de lensemble de mes travaux dans ,!a mesure o elle ma permis de proposer danalyse spcifique qui, soumise par la suite lattention et d la critique de (notamment amnkains) a pu tre nuance et amliore au31 des annes.

La recherche est la base une mthode mes coll&ues

Cest Jacqueline Delange et An& Leroi-Gourhan qui mont lanc sur ce sujet d& 1962, b loccasion dun stage du Centre de Formation aux Recherches Ethnologiques (C.F.R.E.) effectu au dpartement dilfnque Noire du Mus&e de IHomme. Lart fang avec ses statues somptueuses et ses masques nigmatiques, bien connu des amateurs et des collectionneurs durt ngre ds les annes 20, tait paradoxalement moins tudi que les styles de EAfique de louest. Le Muse ae l%lomme avait dans ses vimkes et ses rserves une petite srie dozuvres intressantes et mme quelques chefs-duvre pahouins dignes dune tude denvergure. Celle-ci sera mene de 1962 $1970, date de la soutenance dune thse de Sme cycle relativementfournie (1000~. dactylo. en 2 tomes, 663 fig., 193 ill. photo, index, cartes, tables, biblio.). Ce qui a intress A. Leroi-Gourhan et quelques autres dans ce travail, cest le renouvellement mthodologique que constituait la premire partie de la thse et qui avait fait lobjet dun article en 1966 dam les Cahiers dktudes Afncaines Notes sur une mthode danalyse ethnomorphologique des Arts Africains, C.E.A., n21, vol. VI. Un peu oublie depuis les travaux dj anciens de Hardy (1927), Vandenhoute (1949), Luvachery (1954) et surtout Olbrechts (1946 et 1959), lapproche morphologique ma paru tre la plus approprike pour dpasser les vues gnrales quon avait jusquici sur la sculpture fang (F. Grbert, 1928 ; W. Fagg, 1965). Lenseignement dAndr Leroi-Gourhan, spcialement propos des techniques et des arts des socits sans criture, cette approche danthropologie culturelle o la caractrisation rigoureuse de lobjet dans son contexte permet de proposer un ordre k? o on restait pnkonnier des impressions et des effets, pouvait tre mis en pratique en vraie grandeur pour proposer une classification relativement taye des expressions esthtiques de cette culture, la fois si famili&e aux artistes frus dart ngre et si mconnue dans le drail dc sesformes et de ses variantes. Pour lobservateur non-averti, la plupart des statues fang se ressemblent : en fait il ne les voit pas dans ce quelles ont de pertinent par rapport la culture, la vie sociale et religieuse, aux valeurs et symboles des Fang eux-mmes, quil ne connat pas et dont dailleurs, il ne se soucie pas. Ma perspective a t dessayer de mieux regardzer,

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Patrimoines

du Sud, co&xtions

duNord

observer et analyser les objets ajn den dcowvir quelques clefs permettant de les voir tels quils sont et tels quils portent un tmoignage irrductible sur lun des arts majeurs & 1Afiique Noire.

John McKesson, politologue spcialiste de lAfrique Noire - professeur Colombia University de New-York- et en mme temps, amateur clair en matire darts africains, tout spcialement des arts du Gabon, pays o ses activits lamenrent sjourner dans les annes 70, voque ma dmarche telle quelle a t perue par les universitaires amricains : Les figures de reliquaires fang prsentent entre elles des traits commuas et ont, en mme temps, souvent, des diffrencesimportantes./.../ Cette grande diversit dlments iconographiques au sein dun sous-styles des SOIE.-groupes BVBC fang,la possibilit dune volutiondun sous-style un autre, lexistence dun ou plusieurs centres de diffusion des styles, litiuence possible sur les canons esthtiquesfaag detraditions artistiques de peuples voisins et bien dautres encore. Malgr lintrt croissant port lart fang depuis prs dun sicle, aucune de ces questions ne fut srieusement tudie sauf rcemment. Des lments importants furent apports au dbut du sicle et des observations pertinentes mises dans les dcades qui suivirent ; mais cest seulement en 1972 que Louis Perrois publia une tude dtaille de la sculpture des reliquaires fang. Cet ouvrage fut lobjet en 1976 dune long article de James et Renate Femandez? qui profitrent de loccasion pour avancer des opinions divergentes. Perrois a depuis analys cette sculpture dans dautres crits, en particulier en 1979 et 1985. style pourtant toujours reconnaissable, soulve un certain nombre de questions concernant les relations des

McKesson qui souhaite proposer dans son article une analyse renouvele de lvolution des styles sculpturaux fang, a pass au crible de la critique les diffrentes hypothses mises par G. Tessmann en 1913, par J.W. et R Femandez en 1976 (qui ont surtout &it propos des structures sociales, religieuses et politiques des Fang modernes) et par moi-mme (1972, 1979,1985). Aprs avoir voqu le dbat sur lantriorit chronologique et stylistique des ttes seules par rapport aux statuettes en pied, McKesson en vient la bipolarit des formes fang, longiformes et brviformes, le cur du dbat, surtout aprs mon analyse morphologique de 1972, base sur le traitement de 272 objets, qui ltablit avec une relative certitude :Le second lment dont nous disposons est le contraste, observ de longue date, entre deux formes extrmes de reliquaires fang. Ds les annes 1920, deux types de sculptures furent nots : un dans lequel, selon F. Gre%rt : les membres sont longs et assez bien proportionns (...) et la tte dune facture simpliste, un autre ou la tte est grande et dtaille et les jambes ratatines, recroquevilles dans une position simiesque. Les Femandez soulignent la mme dichotomie entre les deux principales varits de figures entires : celle qui tend vers des corps longs et linaires et celle qui tend vers des corps plus courts au volume conkentr. Perrois, dans sa premire analyse des styles fang en 1972, proposa quatre groupes stylistiques sur la base des proportions de la tte et du corps. Il distingua les sculptures hyperlongiformes, longifonnes, quifonnes et brvifonnes. Les deux groupes extrmes correspondent clairement aux deux styles observs par Grbert presquun demi sicle auparavant. Dans son dernier ouvrage en 1985, Perrois ne rpartit plus les statues fang quen deux groupes principaux : dune part le style des Fang du nord, de tendance longiforme, dautre pari le style des Fang du sud, de tendance brvifonne. La bipolarit des migrations dorigine, etc.. taient mles aux observations relatives la vie actuelle de la tribu. Les lements pars et souvent contradictoires finirent par constituer un dossier intressant, cohrent dans ses grandes lignes mais trop peu document dans le dtail. A partir des premiers documents recueillis, jai donc prepare un questionnaire traitant spcifiquement de ces traditions, que je suis all faire remplir, oralement, dans les villages kota, dans chacune des tribus concernt!es. La transcription et la traduction des entretiens enregistres sur bandes magnetiques permirent detablir un corpus histotique qui est la version autochtone de lhistoire des Bakota depuis la fin du XWF sicle. Compte tenu des limites de la mmoire humaine, mme traditionnelle, et de la partialite de certaines affirmations, il tait ncessaire dune part & pondrer Us documents bm& les uns par les autres, dautre part de comparer les resubats de lenqute ethnohistorique avec ceux de linves~etion en archives, du moins pour la priode 18.50-1930 (archives coloniales), la priode antrieure restant exclusivement du domaine de la mmoire orale et du mythe. Cette double dmarche a abouti un memoire, Chronique du pays kota (Gabon), in Cahiers ORSTOM, srie Sciences humaines, Paris, 1970, dans lequel ont t consignes tous les lments documentaires ae lenqute, ainsi que certaines considrntions mthodologiques.n s.l

Rflexions sur une mthode

Lhistoire des peuples traditionnels (souvent rputs pour tre sans histoire puisque sans criture, celle-ci tant souvent considre comme le seul moyen convenable pour consigner et conserver le souvenir cohrent de celle-l) est un domaine de la connaissance anthropologique controvers. Le point essentiel de la discussion est la validit ebjeetiie des matriaux recueillis qui est considrablement affaiblie du fait de la non-consignation des lments historiques (chronologies, lments biographiques, gnalogies, apprciations du milieu, etc.) par un moyen quelconque au moment mme des vnements. Lhistorien classique ne fait pas confiance la mmoire de lhomme. Dans un sens il a raison car les lments historiques recueillis aujourdhui ne sont quun trs imparfait reflet de la ralit dautrefois. Encore peut-on remarquer que la consignation par &rit, mme immdiate, peut dans beaucoup de cas, aboutir [aussi] une dformation, volontaire parfois, des faits les plus patents. Le biographe ou le chroniqueur peut avoir ses raisons pour ne pas transmettre tel quel la posttit le souvenir de certains faits moralement ou politiquement peu dfendables. Si les Bakota nont retenu de leur histoire que ce qui les flatte (guerres, victorieuses en particulier) ou tout au moins ne met pas en cause leur dignit actuelle, il en est de mme par crit, des peuples criture. La contradiction est apport&, dans milieu traditionnet, par ks poupes ethniques voisins, souvent apparents, qui donnent leur version des faits et permettent ainsi de se rendre compte de la pertinence des lements rapportt%. Bien que les souvenirs du pass, chez les Bakota, ne sappuient pas sur des crits, on ne peut pas ne pas en tenir compte et tudier les diffrents aspects de leur vie sociales comme sils sortaient du nant au moment de la pntration coloniale. Sans saventurer trs loin sur le terrain mouvant des hypothses pr-coloniales dans les domaines, par exemple des structures sociales, des rituels initiatiques, de la technologie ou de lart, il faut tout de mme envisager, laide de la tradition orale transmise jusqu aujourdhui, les fondements de la socit, antrieurs au XE sicle, avec bien entendu les rserves mthodologiques dusage. Il est tentant, et certains sy cantonnent, de naborder le plan historique dun problme (parent, rituels, cultes, art) qu travers lanalyse des lments contemporains. Les tmoins matriels relatifs lart, par exemple, quil sagisse duvres sculptes, dinstruments de musique, de motifs dcoratifs ou architecturaux, peuvent tre analyss en-dehors mme de leur contexte, si on admet que la forme recle une certaine autonomie par rapport au mieu cutturet et social dans lequel elle circule et spanouit On aboutit alors une typologie historique, de tendance volutionniste qui classe les objets. Le danger, 9 ou sen tient la seule analyse morphologique, cest que lordonnancementtrouv par des moyens thoriques ne corresponde pas ii lacomplexit souvent droutante de laralit, lafois dans le temps et dans lespace. Lhistoire orale, les souvenirs parvenus jusqu aujourdhui par lintermdiaire des hommes et des femmes les plus comptents et intgrs de la socit (nganga, fticheurs, chefs ou cheftaines de confrrie, chef de clan ou de lignage, etc.), est indispensable la comprhension des phnomnes contemporains. Cest mme un lment dterminant de lanalyse, compte tenu de la critique quon est 26

Patrimoines

du Sud, coIlecfions du Nord

tenu den faire et de son apprciation objective. Lanalyse des souvenirs concernant les migrations et les contacts inter-ethniques, vient clairer et tayer les reconstructions quon fait par ailleurs partir des matriaux linguistiques, technologiques, sociologiques, artistiques, etc. La ncessit dune enqute sur les traditions orales, informelles (souvenir) ou formelles (gnalogies, contes, chants, mythes), apparat donc ds quon traite dun problme anthropologique dans ces socits rputes tort sans histoire. .l

Chronique du pays kota: (Gabon)

tant bien peru que dans le milieu rribal traditionnel, lhistoire est toujours personnelle, lignagre ou villageoise mais jamais ethnique, du moins rians les groupes segmentaires de type acphale tels quon les trouve en Afn4ue quatonale atlantique, je me suis aventur mener une enqute denvergure sur cette question dans tout lEst du Gabon, au cours de toute une srie de sjours dans IOgoou-lvindo et le Haut-Ogoou, de 1966 1969, sur les traces de Hubert Deschamps qui, ds 1960, avait lanc un programme de recherche sur les Traditions et archives du Gabon (Berger-Levrault, 1962), ainsi que de H. Brunschwig, C. Coquety-Vidrovitch, G. Mazenot et A. Mangongo-Nzambi qui se sont intresss de trs prs au pass colonial de lex-A.E.F.Lhistoire autochtone des socits segmentaires est avant tout un rcit de migrations et de guerres tribales, elle nest jamais celui de lvolution du systme social ni dune modification sensible des liens dautorit et des valeurs culturelles essentielles. 1.J La deuxime source de mon information est constitue par les archives colontales de lAfrique quatoriale traitant plus particulirement du Gabon et des tribus I;ota. /.../ [Ces documents] sont, essentiels puisquils servent fixer les repres chronologiques absolua et a retracer les pripties de la colonisation vues par les Europens. La connaissance de la vie authentique des autochtones, de leur mentalit, de leur point de vue relve cependant de la mthode ethnographique sans quil soit indispensable de sgarer dans les approximations hasardeuses de la pal&-ethnographie. Ma propre dmarche, en tant quethnologue, consistera donc exposer le plus exactement possible les deux points de vue, celui de la tradition et celui des archives coloniales, afin de permettre leur confrontation et leur analyse proprement historique que nous laisserons aux historiens africanistes. Car, en effet ces deux lments dinformations, pour importants quils soient, narrivent pas puiser la vritable ralit historique ; ce ne sont que des bribes dhistoire. Il ny a pas la, par les lacunes flagrantes de lun comme de lautre, quune vision partiale quoique contradictoire de lhistoire. Cest toutefois le seul rsultat auquel nous puissions aboutir aujourdhui, la tradition tant le plus souvent justificatrice et la chronique coloniale colonialiste, avec tout ce que cela comporte de manque dobjectivit et dincomprhension rciproque. Remarquons enfin, en ce qui concerne le Gabon que lhistoire actuellement comme est surtout lhistoire de la colonisation du Gabon, colonisation vue par les Europens et vue de lintrieur par les Gabonais. Les rcits de migrations dbouchent toujours sur les problmes du contact avec la civilisation blanche et la rsistance plus ou moins opinitre cette pntration. Dailleurs, l comme partout en Afrique dans les tribus de structure segmentaire, la trame vnementielle ne remonte pas au-del de la dernire migration (fin du XVIIFsicle, 1870-1880) 4 Au-del de toutes les. donnes factuelles dordre historique, rgion par rgion, ethnie par ethnte, village ar vrllage - critiquables et complter mars uhles dans leur aspect dinstantanit c? informations es restrtues -, que nous apporte de plus la confrontation de ces deux points de vue ?. Dabord une [vision] plus objective des vnements et des hommes : tous les chefs kota nUaient pas des bandits arrirs, sanguinaires et fanatiques, tous les Blancs daffreux exploiteurs cupides et sadiques. Il y eut des personnalits respectables, honntes et animes du dsir de bien faire de part et dautre.

Permis (L.), 1976,ibid. Permis (L.), 1970, Chronique du pays kota (Gabon). Cah. ORSTOM, Skie Sciences Humaines, Fais, vol. VII, n2, pp. 75119.27

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du Sud, collections du Nord

Deuximement, [et surtout], une connaissance plus exacte du caractre profond des Ba-Kota et de la relle du pays avant 1880. Ltat permanent de guerre inter-tribale que les tribus kota connaissaient avant larrive des Blancs ntait pas une vritable gne leur panouissement, sauf proximit des pays Ossyba et Bakwl, ctait une occupation virile dailleurs assez peu meurtrire et sans danger sur le plan des structures religieuses et sociales. Larrive des colons europens suscita dabord une curiosit inquite sans vritable hostilit offensive, puis une rsistance passive des ordres en opposition fondamentale avec la vie mme du groupe, enin une rvolte arm6e devant lobstination rsolue des Blancs. Cette raction tait toutefois condamne du fait mme des divisions internes des tribus toujours habitues combattre lignage contre lignage en sarrtant au premier mort. Lincomprhension rciproque tait invitable par suite de lignorance des Ba-Kota des notions de proprit foncire et de solidarit civique et de la valorisation trs grande de la libert. de circulation du groupe et de lindividu. Vouloir exploiter un pays avec une telle main-duvre tait videmment vou lchec et la guerre, celle-ci devant conduire la neutralisation sinon lanantissement de lun des deux groupes en prsence. Les Ba-Kota perdirent la partie bien sr et sur tous les plans, mais les Blancs ny gagnrent rien. Cette lutte sournoise et implacable laissa le pays exsangue et pratiquement inexploit.situation

Quest le pays kota en 1880 ? Un ensemble de tribus toujours agites de guerres intestines, menaces par deux puissantes invasions (Ies Fang et les Bakwl, sans compter les Obamba), soumises un monopole de fait de certains groupes aux dpens dautres, pratiquant lesclavage et se dplaant rgulirement tous les quatre ou cinq ans la recherche de nouvelles portions de fort pour y installer les jeunes plantations ; un pays couvert de grands villages de 500 600 cases groupant jusqu 3 000 habitants, une socit ayant un artisanat actif (mtallurgie, vannerie, poterie, travail du bois) et une culture trs vivante. Que refera-t-il de tout cela en 1930 ? Des villages minuscules et sales, une population rare et misrable, dracine et en partie dtribalise, un artisanat moribond, un art disparu et des rituels clandestins et sporadiques. Seule la tradition orale, moins vulnrable puisquimmattielle, a russi survivre jusqu aujourdhui. /.../ On peut se demander enfin quelles ont t les consquences . . . de la colonisation sur la vie des Bakota. /... I Larrive et linstallation de ladministration franaise stopprent tous les mouvements internes de migrations, du moins les mouvements spontans : les Fang furent bloqus logoou, les Ossyba sur le Moyen-Ogoou, les Obamba Franceville, les autres tribus dans Iarrire-pays (sauvant peut-tre ainsi certaines petites tribus [Shak, Shamaye, Mahongw, Mindumu, Bawumbu, etc.] dune assimilation possible). Les dplacements de village, nagure courants parce que ncessaires au mode de culture pratiqu, deviennent interdits. Les guerres claniques ou de villages sont de lagitation subversive. Les plus simples comportements sociaux (rituels, initiation, alliances matrimoniales) deviennent suspe.cts. Plus grave encore, la population masculine est envoye au loin sur les chantiers, occasionnant un dsquilibre dmographique catastrophique au maintien de la population. Les cadres traditionnels de la vie sociale sont remplacs par un schma hirarchique de type occidental qui nest pas adapt la mentalit autochtone. Enfin lunivers religieux et mental kota est combattu par les missions qui du mme coup dtruisent les formes dart lies aux aopnees anciennes.. Cette prise en compte de lhistoire des peuples du bassin de !Ogoou malgr tous les manques de la trame des vnements, des contacts et des migrattons, me serwa beaucoup un peu plus tard dans mon approche systmique des arts tribaux afyicains. Elle maura permis notamment de Aativiser ks Jimitss ethniqdz ~~bul$x41es, toqours flu$ua@s, et dviter lenfermement dans le carcan imaginaure * La dynamtque htstonque se joue bien souvent des repres commodes dans lespace et dan; le temps, au travers surtout du prisme de lammoire skkxtive Ce contact avec la ralit vcue et le patrimoine mmoris - celui qui est encore opratoire -, village aprs village, lignage aprs hgnage, dune valle lautre, chacun refaisant le bilan de ses souvenirs etlou de ce quon lui a appris, est une dans la exprience particuli&ement forte et marquante ; elle mancrera dfinitivement dimension historique de lanthropologie, celle-ci fut-elle culturelle, technique ou de lart.

l1 Permis (IL), 1970,ibid 28

Palriioines

du Sud, collectious du Nord

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Migrations kota et variantes stylistiques desjgures de relipaires

Schmatiquement, les peuples de IIvindo et du Haut-Ogoou se rpartissent en trois ensembles principaux : le groupe kota proprement dit, le groupe mbd-obamba et le groupe dnma-ndjabi Bien que diffrents au plan linguistique, ces trois groupes peuvent tre valablement lis au plan culturel. Lhistoire de la rgion est complexe, on peut la rsumer en mentionnant la migration kota plus ancienne qui sest avance jusquau Congo (Ndnssq Wumbu ) en laissant en arrire les MaHongw puis la migration mbd-obamba situe plus lest qui est venue recouper lautre la latitude dokondja sur la St%. Tous ces mouvements, depuis le XVII sicle, ont compliqu la carte ethnique de la rgion est du Gabon et nord-ouest du Congo o se retrouvent les mmes groupes. Les productions plastiques de plusieurs de ces ethnies sont bien connues et apprcies depuis les dbuts de lart ngre en Europe : ce sont les figurines qui gardaient les paniers-reliquaires contenant les ossements des anctres dfunts. Les sculptures, toujours anthropomorphes, sont une face (avec le revers orn dun motif en relief) ou bifaces, surtout dans le sous-style obamba. Chez les MaHongw et les Shamaye, o les figures sont exclusivement une seule face, le visage est stylis lextrme en une ogive, peine concave, dcore de fils de laiton disposs lhorizontale de faon absolument jointive, avec comme dtail de reconnaissance anatomique, juste les yeux et le nez. Lanalyse morphologique de trs nombreuses snrlptnres kota a conduit une classificationcomportant sept catgories distinctes tontes diffrentes an plan des formes mais parfois lies dans Iaralit6 stylistique (fig. 48). Les catgories 1 et II sont les bwte maHongw et shamaye lamelles de laiton (on distingue les grandes et les petites figures). La catgorie III est une forme de transition avec un visage ovale dcor de i% de laiton agrafs Ihorizxxdnle comme dans le Nord mais un cimier en croissant transverse comme dans le Sud. La catgorie IV est la plus classique, correspondant la production obamba (mbulu-ngzdu). Les catgories V et VI, avec et sans cimier, prsentent des schmas de formes trs curvilignes. Les visages peuvent tre fmnchement ralistes (convexes). Enfin la catgorie VII rappelle des mbumba sango avec une figure petite et troite pourvue dun crne taill en ronde-bosse. Certaines sculptures tranges quoique tout fait authentiques mais rarissimes, sont ces bustes dont les bras styliss sont disposs en losange, avec une tte tout 2 fait kota mais parfois sans placage de laiton (cimier en croissant transverse, coiffes latrales pendants verticaux, front en surplomb, etc.).n. A propos de ces objets, plusieurs auteurs (M.C. Dupr, 1980 ; Sirota, 1981) ont fait remarquer quil ny avait pns recouvrement entre les limites ethniques et les styles Cest en effet une difficult rvle la fois par les tudes historic+linguistique menes dans la rgion et les tudes faites dans les muses et collections. A cet gard, J. Vansina propose dabandonner le rfrencement ethnique au profit dune identification gographique, historique ou ethnographique renvoyant au village dorigine et la fonction des uvres dans les institutions qui les ont faonnes. Un exemple du Gabon montre la grave dformation pouvant r&ulter dune telle perspective [les identifications ethniques ou tribales]. Un type de figure de reliquaire, 5 deux dimensions, en bois recouvert de cuivre etlou de lamelles ou de fils de laiton, fut fabriqu au Gabon otiental et est connu par les collectionneurs sous le nom de mbuh ngulu, ce qui nest pas un nom tout fait exact. Ce sont des figures danctres Bakota. Une tude rcente des diffrents sous-styles affe une fois de plus que ce sont des uvres Bakota. Maii le nom de Bakota ou Kota est donn tous les peuples qui parlent des langues similaires celle des Bakota proprement dits, petit groupe lest de 1Ivindo. Cest, par consquent, u1 nom artitciet, pas UI vritable nom ethnique. Un coup dil la carte de rpartition des reliquaires montre quil y a deux groupes, les Bamba et les h4beti. Mais ils ne parlent pas les langues Bakota. Ce ne sont pas des Bakota. De plus, alors que les Bakota proprement dits peuvent avoir fabriqu ces reliquaires, leurs parents louest de lIvindo, connus sous le nom dAkota, ne lont jamais fait, ainsi la division linguistique ne correspond pas non plus une zone de fabrication cohrente. Il ny a, en fait, aucun rapport entre ~a langue et k:: ....

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Rfrencesl

Arts du Gabon, 1979, Ed. Arts dAfrique Noire, Amouville, 320 p. Art ancestral du Gabon, 1985, Muse Barbier-Mueller, Afrique, in Grand Atlas Universalis de lArt, T. II. en coll. avec J. Devisse et J. Polet) Genve, 240 p. Arts de lAfrique Noire, 1988, Nathan, GenveParis, ouvrage coIlectif, 313 p.(

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En 1979, je me suis essay, la suite de mes travaux dans pratiquement toutes la rgions du Gabon et des zones limitrophes de la Guine quatoriale dune part, dans un nombre important de co.%ctio~s (publiques et pn*ves) et la littmture spcialise dautre part, tablir ltat a la question de faon synthtique. Jai esquiss une gographie ti uue histoire stylistiques des expressionspkzstiques & la rgion quatoriale afkzntique, indiquant ce qui tait connu et attest, ce que javais contribu claircir (notamment la dynamique des styles a sous-styls fang et kota), les points restant rsoudre. Cette synthse de 1979 - 320 p. in 4- sera reprise, amliore et complte plusieurs reprises : en 1985, loccasion dun ouvrage catalogue sur les objets gabonais du Muse Barbier-Mueller de Genve (versions en anglais et franais) ; en 1988, loccasion de louvrage collectif sur les Arts de IAfique Noire, Nathan, sous la direction de Werner Schmalenbach (versions enfraqais, allemand, anglais) ; en I993, loccasion de louvrage Grand Atlas Vniversalis de lArt, Afiique, en collaboration avec J. Devisse et J. Polet. Cet article rappelle la premire contribution que javais fournie iEncyclopaedia Vniversalis en 1971, la demande et sous le contrle de Jacqueline Delange (vol. Xl, section (Arts) ngro-aficains, rdirions en I980, 1985 puis sur CD-ROM, 1994). Bien entendu, ces prsentations synthtiques ont t de diffrentes ampleurs : relativement complte en 1979, beaucoup plus rsumes en I985,1988, fortement rduite en 1993. .

Arts connus et mconnus de la fort quatoriale

La sculpture traditionnelle du Gabon est la fois lune des plus anciennement dcouvertes en Afrique et paradoxalement lune des moins connues dans sa relle diversit. / . . . / lx Gabon dont les ctes furent reconnws trs tt par les marins europens (portugais, espagnols, anglais et franais) na cependant pas t srieusement explor avant le milieu du XX sicle pour lintrieur du pays. La plus ancienne description des ctes gabonaises est de P. Pigafetta et D. Lapes (1591). Les traditions autochtones rapportent que la plupart des populations aujourdhui sdentaires, 44

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du Sud, collections du Nord

taient cette poque en pleine migration, certaines venant de trs loin au nord-est du bassin de IOgoou, dautres installes depuis dj longtemps, se dplaant selon les ncessits de lagriculture itinrante. Larrt dfmitif de oes dplacementsninterviendra quau dbut & XIC sicle, sous la pression de ladministration coloniale. La pntration europenne du Gabon sest faite entre 1850 et 189O.l.J La collecte &a objets dart gabonais a commenc modestement vers 1860, puis avec plus dintensit par la suite, pour ne plus sarrter jusqu une priode rcente. Aujourdhui, en raison des mutations sociologiques subies par toutes les populations, depuis cinquante ans et plus, et donc de la disparition des religions traditionnelles, contexte essentiel des manifestations artistiques anciennes, P nest pbrs possible, de rares exceptions prs, de trouver des objets sculpts encore en fonetbm . Les plus anciens objets collects encore conservs aujourdhui et rpertoris comme tels, sont un masque du Bas-Ogoou (Ivili ou Eshira) rapport par B. Walker en 1867 et achet par Pi%Rivers en 1884 pour le Muse dOxford ; une figure danctre Kota-MaHongou recueillie en 1877 par 0. Lenz chez les Adouma ou les Oshba ; une autre figure danctre du mme style, achete par Michaud, un collaborateur de P. de Brazza, en 1885, sur IOgoou, vers lembouchure de llvindo. Quelques autres sculptures furent collectes au cours de la Mission de lOuest Africain, de 1888 1885, elles se trouvent encore au Muse de IHonune, ce sont principalement des statuettes du Haut-Ogoou (Ambt, Obamba, Ondoumbo). 1...1 Du point de la expression privilgie des croyances religieuses autochtones, laction des missions, surtout catholiques, fut dterminante. Les statues danctres (considres comme des idoles et des ftiches pains), les masques, les objets du culte et les lments dcoratifs des temples, furent recherchs, vilipends et dtruits avec tm rare acharnement Paralllement, lorganisation sociale fut modifie, la monogamie impose, les chefs dsigns, les villages regroups. Fmalement, cest lensemble des caractristiques spontanes et originales de toutes les tribus du Gabon qui fut dconsidr, dvaloris et presque ananti par les colonisateurs, au nom de h civilisation. Sil nest pas douteux que la disparition de lart au Gabon a t le fait de $ colonisation religieuse, il faut aussi considrer que les cultes syncrtiques autochtones, dinspiration la fois traditionnelle et chrtienne, ont pris la suite des missions dans cette ceuvre de destruction systmatique avec dautant plus defficacit quils taient anims par des prophtes comtaissant la fois les langues locales et les coutumes, pour les avoir pratiques eux-mmes. G. Balandier a montr quelles implications sociopolitiques avaient eu ces mouvements pseudwreligieux qui en ralit taient un sursaut de vitalit de socits crases sous un joug trop absolu. Si les missionnaires ont bien souvent brl ou dtruit les idoles paiennes de leurs ouailles (mais pas toujours, certains objets sont parvenus en Europe pour illustrer des expositions ou constituer des souvenirs), dautres au contraire, colons ou voyageurs, les ont collectes et soigneusement rapportes pour en faire un commerce, dj assez fructueux Paris aprs 1930. Fortement branls par le proslytisme chrtien, les derniers tenants de la culture autochtone ne rsistrent pas un autre flau, la pacotille et largent-papier. Eh l%O, lindpendance & Gabon, li ne restait pratiquement plus dobjets dart, en usage dans les vill~es.s. Tmoignages ethnographiques en 1870 ou 1885, les statuettes et les masques de 1Ogoou sont devenus des objets dart ngre au dtour de la premire dcennie du xx sicle. Au Gabon, la sculpture fang (statuaire et masques), du fait des partages territoriaux des colonisateurs, a surtout retenu lattention des voyageurs et administrateurs afbemandsqui taient installs au Woleu-Ntem et au Sud-Cameroun avant la guerre de 19141918. Les autres styles, pounou et kota surtout, ont t dcouverts par les colons franais du Congo qui cette poque comprenait tout le bassin de IOgoou et la rive droite du fleuve Congo. Si le contact entre lEurope du Xxsicle, expansionniste et imprialiste, et lAfrique, dj fortement affaiblie de lintrieur par la traite des esclaves depuis le XV sicle, a t sans nul doute, la cause la plus gnrale de la disparition des foyers stylistiques, il nen reste pas moins vrai que nous comtaissons aujourdhui les chefs-doeuvre de lart africain parce que certains Europens sy sont int& a2 moment o il5 existaient encore dans les villages. /... /

5 Permis(L.), 1979, ibid., Intromtction 45

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Les objets dart, que nous considrons comme des objets intressants, beaux ou prcieux, navaient en ralit de valeur que le message mystique quils supportaient. Dsacraliss, cest--dire dsaffects, les objets (statue ou masque par exemple) ne valaient plus rien aux yeux des villageois. Cest ainsi que beaucoup de masques et de statues furent vendus, mais nmr les reliques qui les accompagnaient et qui leur donnaient leur v&itnbIe sens. La liaison tmite de lart traditiamel avec les croyances religieuses et magiques a condamn la sculpture disparae ds que la socit sest trou& transforme et modernise. Ce schma gnral est particulirement vrai pour le Gabon, o lon trouve exclusivement des socits animistes dorganisation liguagre et clanique. La disparition des rites religieux anciens et la dsorganisation des confrries initiatiques ont entran la dvalorisation des activits sculpturales et peu peu loubli des grandes traditions plastiques. Curieusement, lart gabonais a toujours t abondamment reprsent dans les collections damateurs de lpoque n2gre (19181931), alors que les populations du Gabon nont jamais t trs [importantes] par rapport aux autres groupes ethniques africains. Les arts du Nigeria, du Mali, de la Haute-Volta, du Congo, du Cameroun nont t bien connus que par la suite. La clbre collection de Paul Guillaume, par exemple, comptait dans les annes trente, une quinzaine de statues danctres fang Byti, presque autant de reliquaires kota et quelques masques blaucs Mpongou. Par contre les autres styles gabonais, du Centre-Gabon particulirement, ntaient pas reprkents ni mme connus. Il a fallu attendre des publications rcentes pour connatre quelque peu les styles tsogho, sango, galoa, vouvi, ndzabi, obamba, maHongou, etc. r . .

Une rgion de grande fort et de multiples rivires : le bassm de 1Ogoou

LAfrique quatoriale, sur sa faade atlantique, comprend le Sud cb Cameroun, laGuine Equatoriale, le Gabon et le Congo. Cest le domaine de la grande fort, appele min forest en raison de son atmosphre constamment chaude et humide. Bien entendu, sur le terrain, il faut nmncer cette vue gnrale : on saperoit alors que des milieux trs spcifiques et diffrents se juxtaposent dans ce vaste complexe du bassin de IOgoou. A louest, ce sont les lagunes et les lacs (de lestuaire du Gabon au delta de IOgoou et aux ctes basses de Sett Cama), avec de vastes zones marcageuses interstitielles ; lintrieur, plusieurs zones de hauts plateaux et de montagnes couverts de grande fort se succdent ; enfin, quelquesvat~es dlimitent des plaines savanes dgages,coupes de galeries forestires (Ngouni, Haut-Ogoou). Les paysages ne sont donc pas aussi uniformes quon pourrait Iimaginer, sauf dans la partie forestire proprement dite qui constitue un bloc homogne seulement clairci par endroits par les troues des rivires aux berges inaccessibles. La cte est partout trs basse, la plage troite dbouchant sur des zones inondes o la mangrove prolifre. La fort est plus ou moins dense : louest o elle a t relativement occupe surtout le long des rivires, cest de la fort secondaire avec une vgetation touffue de repousse ; dans le centre et lest, cest de la fort primaire de haute futaie avec un sous-bois tonnamment clair, toute la faune stant plutt installe en haut de ces immenses arbres. Certaines rgions forment un contraste inattendu : les collines herbeuses de 1Okanda au-dessus de la boucle de logoou et celles du Haut-Ogoou, entre Moanda et Franceville ; plus lest, les plateaux batk aux immenses tendues de sable seulement piques de gramines parses et de quelques boqueteaux de loin eu loin signalant les villages. Les variantes climatiques, dans une commute chaude et humide, sont sensibles avec une forte pbiomtrie 111 nord-ouest (Douala, Bata, Libreville) et des zones moins arroses dans les valles de lintrieur, les hauts plateaux et les montagnes restant souvent dans un brouillard pais que seule la chaleur de laprs-midi parvient dissiper. Le climat, aux saisons marques, propice une vgtation luxuriante, de dveloppement trs rapide et parfois de dimension impressionnante, nest par favorable lhomme R peur lagriculture, en raison de la fragilit des sols qui, peine dfrichs, se strilisent en peu dannes, ni pour les communications, les seules voies possibles ayant t longtemps les rivires et quelques sentiers de chasse.

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On comprend ds lors que les modes de vie, dans le domaine conomique mais aussi dans celui des structures sociales, soient rests lis aux groupes familiaux lignagcrs, aucun ensemble plus organis (chefferie ou royaume) nayant pu se structurer dans un tel contexte. Les royaumes ctiers (des Douala ou des Mpongw par exemple) ntaient en ralit que de gros villages sans extension territoriale. En bref, part quelques valles ctires dont celle de la Sanaga au Cameroun (limite septentrionale de la fort deuse) et du Niari au Congo, tout lespace sorganise partir