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7/31/2019 22855805 Jericho Morne Plaine Fr Brigneau 2002

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Les carnets tl du zappeur K. Membert

Jricho, morne plaine

par Franois Brigneau

Libre Journalno 273 du 28 septembre 2002 p. 89

Jricho, a vous dit encore quelque chose?

Les vacances pluvieuses nont pas ramolli la pugnacit du zappeur.Son sac peine pos, il magresse, le bougre. Je le calme :

Parfaitement, et peut-tre plus qu vous. Jy suis all. Jai unephoto qui latteste. On my voit, au bord de la mer Morte, en quilibreinstable sur un chameau. Jai moins dallure que Peter OToole dans lerle de Lawrence dArabie, il faut bien lavouer.

Quel rapport avec Jricho ? La mer Morte se trouve quelques kilomtres de Jricho, la ville la

plus ancienne du monde , affirmaient les prospectus israliens. Depuislmergence dAbraham, le pre fondateur, les Hbreux ont toujoursexagr. . . Jtais donc sur les lieux de lvnement, et document, vousme connaissez, pour essayer de limaginer.

Alors, allons-y, bonhomme. Je suis tout oue...

Nous sommes entre 1200 et 1180 avant Jsus-Christ. Retourdgypte, aprs quarante annes de prgrinations dans le dsert, les

enfants dIsral arrivent devant la Terre Promise. Leur chef sappelleJosu. Lieutenant de Mose, cest un chef de guerre et un grand prtre.

laide de couteaux de pierre, il a circoncis ceux quon navait pas eule temps de circoncire durant la route. Maintenant il va les mener labataille et obir Dieu, Yahweh. YHWH, cest dj la mode des initialeset pour les initis : Je suis celui qui est. Yahweh lui a dit 1 : Lve-toi,passe ce Jourdain, toi et tout ce peuple, pour entrer dans le pays que je

1 Les passages des diffrents livres de la Bible que je donne sont pris dans La SainteBible, traduite daprs les textes originaux par le chanoine A. Crampon, Socit de Saint-


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donne aux enfants dIsral. Tout lieu que foulera la plante de votre pied,

je vous lai donn, comme je lai dit Mose. Depuis le dsert et depuis ceLiban jusquau grand fleuve, le fleuve dEuphrate... et jusqu la grandemer vers le soleil couchant, tout cela sera votre territoire. (Josu, 1, 2-4).Comme jadis la mer Rouge devant Mose, le Jourdain souvre devant lui.Sept prtres vont devant. Ils portent les sept trompettes retentissantes .

LArche dalliance savance derrire eux. Larme suit. Tous traversent pied sec le fleuve large de 80 mtres cet endroit. La premire ville quidfend le pays de Canaan dclar Terre Promise est Jricho. Cest uneville fortifie. De hautes murailles la protgent. Sur lordre de Yahweh,on ne donne pas lassaut. Pendant six jours, une fois par jour, la troupe

arme, les hommes portant lArche et les prtres sonnant de la trompettetournent autour des fortifications. Le septime jour, ils tournent septfois. Au septime jour, tandis que les prtres continuent de jouer de latrompette, le peuple pousse une grande clameur, la muraille scrouleet tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, enfantset vieillards, mme les bufs, les vaches et les nes (est pass) par letranchant de lpe (Josu, VI, 21).

Cest beau, dit le zappeur. Cest trs beau. Cest comme si vousy tiez. Malheureusement cest faux. Du moins si jen crois IsralFinkelstein, de lInstitut darchologie de lUniversit de Tel-Aviv, co-responsable des fouilles de Megiddo, et Neil Asher Silberman, directeurhistorique au Ename Center for Public and Heritage de Belgique. Dansleur livre La Bible dvoile 2 ils sont catgoriques : Les cits de Canaanntaient pas fortifies : aucune muraille ne pouvait donc scrouler.Dans le cas de Jricho, la situation est encore plus simple, car on nydcle pas la moindre trace doccupation au XIIIe sicle avant J.-C.;lhabitat prcdent, du Bronze rcent, date du XIVe sicle ; trs modeste,pauvre, presque insignifiant, il ne comportait pas de mur denceinte. Il nervle non plus aucune trace de destruction. Par consquent, la fameusescne des forces isralites, masses derrire lArche dalliance, en train

de dfiler autour de puissantes murailles, lesquelles scroulent quandretentissent les trompettes de guerre, se rvle ntre rien de mieux,pour parler simplement, quun mirage romanesque (p. 101102). Bref, lexception, sans doute, des hommes, des femmes, des enfants, des

Jean-lvangliste, Descle et Cie, diteurs pontificaux, Paris-Tournai-Rome, 1923.Lorthographe ne concide pas toujours avec celle de MM. Finkelstein et SiIberman.Ainsi ils crivent A, quand le chanoine crit Ha. Jai respect son choix.

2 La Bible dvoile, traduit de langlais (tats-Unis) par Patrice Ghirardi, ditionBayard, Paris 2002.

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vieillards, et mme des bufs, des brebis et des nes, livrs lanathme

et passs par le tranchant de lpe, cest du roman. Nous ne sommes pasdans lhistoire. Nous sommes dans la lgende, si lon en croit le directeurde lInstitut darchologie de lUniversit de Tel-Aviv.

Il ny a l rien de bien nouveau, dis-je. Il y a longtemps que desemblables affirmations sont colportes. Vraies ou fausses, il ne sagitque dun dtail une goutte deau dans cet ocan tumultueux quest laBible.

Le zappeur triomphait dj. Il se rembrunit :

Permettez... Ce nest pas du tout limpression gnrale que laisselouvrage de MM. Finkelstein et Silberman. Aprs Jricho, la premireville est Ha. Yahweh dit Josu : Prends avec toi tous les hommes deguerre... Tu traiteras Ha et son roi comme tu as trait Jricho et sonroi. . . Dresse une embuscade derrire la ville ( Josu, VIII, 1-2). En effet,il ne sagit plus de se servir des trompettes. Josu divise son arme endeux. Le gros de la troupe fait semblant de sen aller. Croyant unedrobade, tous les hommes dHa sortent pour poursuivre Isral. Leshommes de lembuscade entrent au pas de course dans Ha, villeouverte.Ils y mettent le feu. De gros nuages de fume noire montent vers le ciel.Les hommes dHa sont pris au pige. Leur ville brle. Larme dIsral se

retourne contre eux. La Bible raconte : Les Isralites les battirent, sansleur laisser ni un survivant, ni un fugitif ; ils prirent vivant le roi dHa etlamenrent Josu. LorsquIsral eut achev de tuer tous les habitantsdHa dans la campagne, dans le dsert o ils les avaient poursuivis etque tous jusquau dernier furent passs au fil de lpe, tout Isral revintdans la ville et la passa au fil de lpe (Josu, VIII, 22-24).

Finement je place ma drive :

Aux cris rpts de : Shalom, Shalom ! lpoque il nexistait nicrimes de guerre, ni crimes contre lhumanit, ni Tribunal de Nuremberg,ni Cour internationale. Josu navait donc rien craindre. Dailleurs iltait vainqueur.

Et surtout quHa nexistait plus depuis mille ans lorsque Josuarriva derrire elle pour dresser son embuscade. MM. Finkelstein etSilberman sont formels : Entre 1933 et 1935, larchologue judo-palestinienne, forme selon les mthodes franaises, Judith Marquet-Krause, entreprit une exploration approfondie du site, qui rvla lesvestiges dune imposante cit du Bronze ancien. Soit un millnaire avantla chute de Canaan, qui date du Bronze rcent. Les fouilles qui furent

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renouveles sur le site dans les annes 1960 obtinrent le mme rsultat.

linstar de Jricho, le site ntait pas habit au moment de la prsumeconqute des enfants dIsral (p. 102). La mme remarque vaut pourla terrible et fameuse bataille de Gabaon. Les vestiges dcouverts parles quipes darchologues ne correspondent pas celles quauraient dlaisser le combat. Mille ans galement les spare. Cest une concidence.Il nempche. Le rcit quen fait la Bible demeure. Les rois de Jrusalem,dHbron, de Jrimoth, de Lachis et dEglon se sont allis. Ils veulentpunir la ville royale de Gabaon davoir fait la paix avec Josu et les enfantsdIsral. Gabaon appelle ceux-ci son secours. la tte de ses guerriers,en marche force et de nuit, Josu arrive. Yahweh laccompagne. Les

rois fuient. Yahweh fait tomber du ciel sur eux de grosses pierres. Ceuxqui moururent par la grle de cailloux sont plus nombreux que ceuxqui furent tus par lpe des enfants dIsral. Le jour dcline. Le justemassacre des ennemis nest pas termin. Alors Josu, en prsence deson arme, se tourne vers YHWH. Il le supplie darrter la course dusoleil jusqu ce que la nation se soit venge de ses ennemis. Et le soleilsarrta au milieu du ciel, et ne se hta point de se coucher, plus quun

jour entier (Josu, X, 14). Je me garderai bien dpiloguer. . .

Cette sagesse chez vous est si surprenante que jen suis toutretourn, dis-je. Vous avez mille fois raison. Quand nous abordons ces

sujets, nous ne sommes jamais trop mesurs, attentifs aux nuances,soucieux de ne pas blesser. Je me souviens dun jour... Ctait autemps de lAnti 89... Javais djeuner deux prtres de Saint-Pie X.Ils me faisaient lhonneur de leur amiti. La conversation vint sur lamer Rouge. Je ne pus mempcher de faire le bel esprit et tenir despropos darchologue. Je vois leurs visages changer. Ils me regardentavec tristesse. Non seulement je les choquais mais ils souffraient dementendre discourir. Jarrtai aussitt. Il est rest une ombre.. . Un autre

jour, nous dnions chez un ami, un catholique lancienne. Nous tionsencore dans les miracles. . .

Sourire du zappeur : Contrairement votre rputation vous ne vous limitez donc pas

aux histoires de garon de bains ?

Exactement. Mon pouse, catho tradi pourtant et souventpremptoire, sesclaffe : Cest comme Josu ! Qui peut croire encorequil arrta le soleil pour terminer son boulot !

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Nouveau sourire du zappeur :

a ne mtonne pas delle. Chre Sabine! Elle est parfois dhumeurcontrariante.

Je nglige et poursuis :

Notre ami se figea. Il devint gris mais ses yeux fulguraient.Visiblement il faisait un effort terrible pour sempcher de rpondrevertement lincongruit. Lide me vint de presser la jambe de monpouse, comme au bon vieux temps, mais ici pour lavertir. Seule meretint la crainte de lentendre scrier : Tu as fini de me balancer descoups de pied sous la table ? Je me dpchai de trouver un sujet o

nous serions de nouveau accords : Charles Trenet, les bistrots hutres,Verlaine. Un nuage passait qui sarrta, comme le soleil. Vous comprenezle prix que jattache votre rserve?

Le zappeur coutait, le menton dans le jabot, la bouche en accentcirconflexe, les paupires baisses et je ne sais quoi de but sur le visage :

Je ne voudrais pas que vous vous mpreniez, dit-il, aprs unmoment de silence qui me parut aussi rprobateur que le reste. Si jeme suis gard dpiloguer, ce nest pas cause de Josu. Libre chacunde croire ou de ne pas croire. Si Yahweh a pu noyer la terre entire lexception du pre No et de son quipage on ne peut quavoir desfaiblesses pour un homme qui, 600 ans, fait du strip-tease quand il abu un coup (Gense, VII, 6 et IX, 21) il ny a aucune raison raisonnablepour quil ne puisse permettre Josu darrter le soleil afin de pouvoirtrononner le plus grand nombre possible dAmorrhens avant la nuit(Josu, X, 12-27). lpoque on ne jouait pas en nocturne... Je me suisgard dpiloguer parce que cette histoire, si magique quelle soit, napas dimportance dans la dmonstration que prtendent nous apporterFinkelstein et Silberman. Ceux-ci affirment avoir trouv sur et sousle terrain les preuves que ni la saga des Patriarches, ni lmigrationen gypte, ni la fuite, ni la conqute de Canaan, ni la vie et les

prouesses des Rois de la Monarchie unifie (Sal, David, Salomon),ni la rivalit entre le puissant royaume dIsral (le royaume du Nord)et le rachitique royaume de Juda (le royaume du Sud), ni la russite etla destruction du premier, ni la russite et la destruction du second,ni les dportations en Assyrie et en Perse, ni la ralit dune religionmonothiste exclusive, ni les causes profondes de cette tumultueusehistoire juive, savoir les bonheurs, les douleurs et la volont de Yahweh,nont t celles que la Bible, le livre juif rdig par des Juifs pour desJuifs, nous raconte quelles furent. Prononces par deux chercheurs

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isralites, dveloppes, rptes, analyses, puises aux meilleures

sources, appuyes sur une documentation impressionnante qui, rienquen langue anglaise, occupe, en notes, 19 des 432 pages de louvrage,ces affirmations mritent lexamen. Elles attisent la discussion. Ellesimposent des questions auxquelles on ne peut se contenter de fournirdes rponses toutes faites. Elles suscitent de nombreuses rflexions.Quelques-unes pourraient ne pas plaire aux auteurs ou leurs amis.

Pour le zappeur K. Membert, Franois Brigneau.

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