22052708 la metamorphose des objets

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Copyright © 2009 FYP éditions

Collection Présence / Essai

Une collection dirigée par Philippe Bultez Adams

Édition : Florence Devesa

Révision : Séverine David

Photogravure : IGS

Imprimé en France sur les presses de l’imprimerie Chirat.

Cet ouvrage a reçu le soutien du Conseil régional du Limousin et du ministère de la Culture et de la Communication, DRAC du Limousin, avec le concours du Centre régional du livre en Limousin.

f pyéditions

ISBN : 978-2-916571-27-0

© 2009, FYP éditions (France)

[email protected]

Tél. : 05 55 33 27 23

www.fypeditions.com

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Frédéric Kaplan

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Un livre augmenté 6

Biographie 7

IntroductionChaque objet est une histoire 9

Chapitres :

1- Les métamorphoses de la valeur 13

2- Les métamorphoses de l’interactivité 77

3- Les métamorphoses de la musique 103

4- Les métamorphoses de la lumière 135

5- Les métamorphoses de la conversation 169

6- Les métamorphoses de l’habitat 189

7- Chaque histoire est un objet 207

Concepts clés 215

Notes 219

Sites 224

Sommaire

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Ce livre est un livre augmenté. Il se prolonge sur internet. À chaque page physique correspond une page web.

Vous y trouverez des images et des vidéos supplémentaires et vous pourrez y laisser vos commentaires.

Pour accéder à ces pages, tapez l’adresse web indiquée en bas de chaque page de ce livre,

ou utilisez un lecteur gratuit de QRcodes sur votre téléphone portable pour décrypter les QRcodes présents sur chaque page.

Ce livre est augmenté non seulement par un contenu additionnel, mais aussi par ses lecteurs, notamment par leurs commentaires.

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dans le navigateur web de votre téléphone ou de votre ordinateur l’adresse du sitewww.metamorphose-des-objets.com

ou www.fypeditions.com

Un livre augmenté

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Frédéric Kaplan, ingénieur et spécialiste de l’intelligence artificielle et des nouvelles interfaces, a travaillé pendant dix ans pour Sony.

Il poursuit aujourd’hui ses recherches à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et a créé, avec le designer Martino d’Esposito, OZWE,

une entreprise qui diffuse les nouveaux objets qu’ils inventent ensemble.Ses travaux ont donné lieu à près d’une centaine de publications

scientifiques et ses prototypes ont été exposés dans de grands muséescomme le Centre Pompidou à Paris ou le Museum of Modern Art à New York. La Métamorphose des objets est son troisième livre.

Biographie

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À Vanessa, Alicia et Célia, qui jour après jour illuminent mon quotidien.

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Les objets sont comme les papillons. Ils vivent d’abordune longue période de maturation dans un cocon protecteur,puis s’envolent dans le monde inconnu. Dans l’univers de lacréation artisanale, la continuité de ces deux temps est encorebien visible. L’artisan, fort de son savoir-faire et de sa proprehistoire, crée un objet. Celui-ci quitte ensuite l’atelier pourentrer dans la vie d’une autre personne, où il prolonge sa tra-jectoire personnelle. Dans le monde industriel, ces deuxtemps sont séparés. Les objets sont vendus comme des pro-duits sans histoire, inventés par des créateurs anonymes,développés selon des procédés complexes et globalisés,assemblés mécaniquement. Ils semblent commencer leur vieavec l’acte d’achat. Et parfois, ils la finissent aussitôt, neréussissant pas à réaliser un cheminement propre. Nés ano-nymes, ils meurent sans épitaphes.

INTRODUCTION

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Chaque objet est une histoire

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Pourtant, derrière chaque objet vendu, il y a toujours unehistoire, des hommes, des choix, une certaine vision dumonde. Avec chaque objet acheté, il y a le début d’une aven-ture, l’insertion dans une vie complexe, une relation intime,quelquefois tumultueuse, qui peut durer des années.

Ce livre raconte la naissance d’un nouveau type d’objetset leurs premières aventures dans le monde. Il part du principequ’il nous faut relater l’histoire des objets que nous créons etréfléchir sur celle des choses avec lesquelles nous vivons.

Notre histoire pourrait commencer dans un petit café prèsde la gare de Nyon, sur les bords du lac Léman en Suisse.Nous sommes en mai 2006, et je montre à Pierre Dillenbourgquelques croquis et représentations 3D d’un projet que jesouhaite développer. C’est un objet d’un nouveau genre, ima-giné conjointement avec le designer Martino d’Esposito. Jeveux les conseils de Pierre, car il a déjà créé plusieurs entre-prises en Suisse et je me sens de me lancer. J’ai consacré lesdix années précédentes à travailler sur des robots futuristesau sein du laboratoire Sony Computer Science à Paris, et j’aienvie d’entamer une nouvelle aventure. Je suis de plus enplus convaincu que les recherches que j’ai menées sur cesrobots ne donneront en fait pas naissance à des machinescomme celles que l’on trouve dans la science-fiction, maisplutôt à une sorte d’objets quotidiens inédits, pas si différentsen apparence de ceux que nous connaissons, et pourtant fon-damentalement autres. À ce stade, cependant, je n’ai qu’uncroquis en main et l’ébauche d’un discours. Pierre me parlede ses expériences d’entrepreneur, mais aussi du CRAFT,cette nouvelle équipe qu’il a fondée à l’École polytechniquefédérale de Lausanne, et de son désir de développer de larecherche dans la direction du mobilier interactif. C’est un

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peu la même idée : prendre des éléments de notre quotidien(table, chaise, lampe) et les transformer. Il veut recruter quel-qu’un pour superviser les recherches dans cette direction.En rejoignant son laboratoire, je pourrais cultiver ma vision,construire rapidement des prototypes, les tester auprès demilliers d’étudiants. Pierre me convainc. C’est dans ce coconprotégé que ces idées étranges doivent éclore. Après quelquesannées de maturation, nous verrons si elles sont assez solideset pertinentes pour partir à la rencontre du monde réel.

Cette histoire continue à New York, deux ans plus tard.Martino et moi fêtons la réussite du vernissage de la veilledans un restaurant près de Times Square. Invités à présenternotre projet commun au Museum of Modern Art de NewYork, nous avions énormément travaillé pour transformernotre prototype de laboratoire en une version capable de sur-vivre à trois mois d’exposition. Nous étions surtout un peuinquiets de la réaction des milliers d’invités, car personnen’avait vu le projet avant ce jour. Mais les New-Yorkais sesont montré curieux, rieurs, joueurs, familiers, même, avecces objets pourtant étranges venant de la lointaine Suisse.Nous prenons donc la décision de créer ensemble une entre-prise dont la mission sera d’amener cette création – et toutesles autres qui entre-temps ont germé dans nos têtes – dans lemonde réel. OZWE commercialisera certains de ces objetsd’un nouveau genre, sur lesquels nous planchons depuis plu-sieurs années. La flexibilité d’une petite société devrait nouspermettre de proposer des réalisations qui reflètent le plusexactement notre vision, en faisant le minimum de compro-mis, en se souciant peu de l’existant, des choses qui seraientcomme des manifestes d’une approche innovante sur lamanière de faire des objets.

INTRODUCTION 11

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Un an plus tard, nous nous retrouvons de nouveau auxÉtats-Unis, mais cette fois-ci sur la côte ouest. Le Swissnexde San Francisco, ambassade technologique de la Suisse dansla Silicon Valley, organise une exposition entièrement consa-crée à notre projet et à notre démarche. Nous avons l’espacepour effectuer non seulement des démonstrations techniquesde notre prototype le plus récent, mais aussi pour montrerles travaux préparatoires, les essais et les brouillons. Nousallons également en profiter pour faire l’annonce outre-Atlantique de la sortie de notre premier produit, QB1, unpapillon prêt maintenant à voler de ses propres ailes.

Ainsi présenté, tout ceci pourrait ressembler à l’aventurede jeunes entrepreneurs chanceux qui, comme aux tempsglorieux des start-up internet, se lancent à la conquête dumonde. Mais ce n’est pas vraiment cette histoire faite d’inau-gurations et de vols transatlantiques que je raconte dans celivre. C’est plutôt celle de nos hésitations, de nos essais et denos corrections, de nos prises de conscience et de nos tenta-tives pour anticiper tant bien que mal les conséquences de nosinventions : ce corps-à-corps, cette friction avec les objetsque nous créons. Les vrais acteurs de ce roman technologiquesont en premier lieu les objets eux-mêmes. Aujourd’hui, fautede mieux, nous devons encore relater ces histoires à la pre-mière personne du singulier, en faisant appel à nos souvenirs.Mais demain, ces objets nous aideront peut-être à écrire lesrécits de notre vécu avec eux. Raconter des histoires d’objetscapables de nous aider à raconter des histoires, voilà le pro-pos de ce livre.

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Compter les objets qui comptentOù je commence à m’interroger sur la valeur

des objets que nous possédons.

À Noël dernier, ma fille aînée m’a posé une questionsimple : combien d’objets avons-nous chez nous ? Je nesavais pas. Je ne m’étais jamais vraiment posé cette question.Alors, nous nous sommes mis à compter.

Il fallait d’abord prendre un certain nombre de décisions :allions-nous compter seulement les types d’objets, ou bienchaque exemplaire de chaque objet ? Allions-nous incluredans notre inventaire les aliments, les consommables et toutesces autres choses éphémères, qui ne font que passer ?

Les métamorphoses de la valeur

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Où j’explique comment les objets vont se métamorphoser et comment leur valeur

biographique va enfin être reconnue.

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Nous avons décidé de ne compter que les objets qui« comptent » : ceux que nous emporterions dans un démé-nagement, ceux qui ont donc pour nous une valeur. L’opé-ration a duré deux longs week-ends. Elle est fastidieuse et instructive. Mais il faut, une fois dans sa vie, faire cetinventaire.

Selon nos calculs, nous possédons, ma femme, mes deuxfilles et moi, environ 3 500 objets. Est-ce peu ? Est-ce beau-coup ? C’est tout de même un chiffre. Parmi la multituded’objets qui tentent chaque jour d’entrer dans notre intérieur,plus de 3 000 ont gagné la compétition : ils ont été choisisplus ou moins consciemment, acceptés, ou au moins tolérés.Un grand nombre d’entre eux seront sélectionnés pour noussuivre dans une nouvelle vie, si nous décidons de changerde ville.

Pourtant, qu’ont ces objets en commun ? Certains sontutiles, d’autres pas. Certains nous évoquent des souvenirs,d’autres sont profondément impersonnels. Certains sontfaciles à utiliser, d’autres demandent de longues heures d’en-traînement. Certains nous aident à réfléchir, nous invitent àla rêverie, nous rapprochent des autres. Certains sont beaux.Certains sont laids. Certains sont précieux, mais d’autres necoûtent presque rien. Pourtant, tous ont pour nous une valeur,puisqu’ils sont là.

Comprendre ce qui fait la valeur des objets est essentiel.Surtout si l’on est soi-même créateur de nouveaux objets. Ilen va de notre responsabilité. Encombrer nos vies de nou-veaux objets sans valeur est peut-être une forme de crime, entout cas un manque de goût. Entendons-nous bien, il ne s’agitpas simplement de s’efforcer de créer des objets utiles oubeaux, mais de créer des objets de valeur, ou, tout au moins,

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qui seraient susceptibles d’en acquérir, c’est-à-dire des objetsqui un jour pourraient compter pour quelqu’un.

Parmi les objets qui comptent pour moi, il y a certainslivres. J’en ai beaucoup, tous n’ont pas la même valeur.Lorsque mon grand-père est mort, j’ai récupéré une partie desa bibliothèque. Il y avait beaucoup de livres de poche, desromans de gare, des essais, des livres scientifiques. Mais leplus intéressant était que la plupart de ces ouvrages étaientannotés, cornés, surlignés. Mon grand-père lisait souventavec un stylo ou un crayon à papier à la main, et il avait l’habitude d’enluminer des parties du texte de multiplesmanières. J’ai découvert ainsi de nombreuses œuvres par sonintermédiaire. Je voyais les passages qu’il avait aimés, ceuxqu’il avait sautés, les réflexions que la lecture avait fait naître,les moments aussi où il s’était servi du livre comme pense-bête, support pour une idée venue d’ailleurs et qui interféraitavec sa lecture. Il n’avait visiblement pas passé la quinzièmepage de certains ouvrages. La publication avait gardé la tracede cet abandon dans sa structure. Il en avait relu d’autres plu-sieurs fois et rajouté des strates de commentaires en utilisantdes procédés différents. Certains livres avaient été prêtés,échangés, empruntés, et jamais rendus. Dans certains cas,d’autres écritures se mêlaient aux cursives qui m’étaientmaintenant familières. Chaque livre avait mémorisé dans samatérialité même les gestes de ses lecteurs, s’était déforméau contact de leurs mains. Dans ces déformations, c’est lecorps du lecteur en action que je pouvais observer : le tour-neur de page, le corneur de coin, le commentateur armé d’uncrayon ou d’un stylo. Les traces témoignaient des réactionsimmédiates, physiques, provoquées par les successions demots ou de phrases. Ce sont des scènes et des moments de

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vie qu’ils m’engageaient à revivre. Chaque lecture était uneinvitation à devenir géologue pour, au-delà du récit racontépar l’auteur, se représenter de multiples histoires comme descouches de sédiments dont la structure peut nous aider à rani-mer le passé. Les livres de mon grand-père conservaient destraces des vies qu’ils avaient traversées, et ces traces étaientleur plus grande valeur.

Mon autre grand-père m’a donné la montre qu’il s’estachetée quand il était jeune homme. C’est une montre suisse,simple, fine, solide, et entièrement automatique. Lorsque jela porte régulièrement, je n’ai pas besoin de la remonter. Ellese nourrit de mes mouvements. Alors que j’ai une boîtepleine d’anciennes montres à quartz au style passé de mode,attendant peu à peu que leur pile meure, celle de mon grand-père est d’un aspect atemporel et je ne me lasse pas de laporter. Comme pour les livres, la porter c’est aussi revivre desgestes déjà vécus par un autre. Quand je regarde l’heure, jerefais un geste qu’il a exécuté de multiples fois. Je sais aussique souvent, lorsqu’il ne travaillait pas, mon grand-père lais-sait délibérément sa montre sur son bureau. Regarder samontre, c’est accepter de se discipliner, de rentrer dans lerang, de se soumettre à la synchronisation des vies que leshorloges ont introduite dans la société. En ne portant pas samontre les jours où il n’y était pas contraint, mon grand-pèreréaffirmait son désir de liberté, sa pratique diététique del’asynchronisme. Comme lui, certains jours, je laisse cettemontre sur mon bureau.

Parmi les objets qui comptent, il y a cette valise Globe-Trotter aux coins renforcés. Elle appartenait à ma mère quia fait ses premiers voyages avec elle. En particulier, je l’ima-gine quittant le Sud de la France pour monter sur Paris, bri-

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sant le cordon ombilical d’une famille qui voulait la retenirprès de la Méditerranée, pour aller conquérir la grande ville,cette valise à la main. La Globe-Trotter a remarquablementbien résisté au temps. Elle porte sur sa surface les souvenirsde ces trajectoires passées, autocollants dont elle a été inten-tionnellement ornée, mais aussi cicatrices dont sa carapacen’a pas pu être préservée. Je l’ai prise pour mes premiersvoyages seul à l’étranger. Comme ces coffrets et ces tiroirsqui sont les réceptacles de notre intimité dans nos habitats,la valise était un lien direct, physique vers la maison dansces premières pérégrinations solitaires. En me plongeant lit-téralement à l’intérieur pour y chercher un vêtement, en laréorganisant entre deux haltes, je revenais quelques instantssous la coquille protectrice de mon chez-moi. Dans cesailleurs que j’explorais, elle était mon refuge, mon intimitéportative, un espace miniature organisé comme une minus-cule maison. Elle était cette parcelle de mon monde familierque j’emportais avec moi en voyage.

Il y a aussi une tasse en céramique laquée que j’ai ramenéedu Japon. Elle est haute, ronde, sans anse et irrégulièrecomme le veulent les principes esthétiques d’une certaineécole dont j’ai oublié le nom. Son matériau la rend très peuisolante, le liquide refroidit vite. Sans y penser, j’ai développéà son contact une gestuelle presque cérémonielle. Une foisle thé versé, mes deux mains l’encerclent d’abord sans latoucher pour sentir la chaleur qui se propage à sa proximité,puis quelques secondes plus tard, quand le risque de se brûlerest moins grand, mes doigts se réchauffent à son contact.Après deux ou trois minutes, je commence à boire avec pré-caution. Ces gestes maintenant instinctifs me font revivre unpeu les voyages réguliers que j’effectuais au Japon il y a

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quelques années. La tasse incite à la rêverie matinale. Parfois,par association d’idées, j’en viens à penser à d’autres objets,personnes, lieux, et je pars le temps de quelques minutesfaire des expéditions immobiles...

Ma lampe industrielle articulée transforme n’importe quelbureau où je la pose en un espace familier. C’est un modèlequi était utilisé dans les machines-outils. Tout dans son allureassure la robustesse, le sérieux et l’efficacité. Quand je tra-vaille à sa lumière, c’est comme si elle me transmettait un peude ces qualités. Je cesse de rêver, et j’agis. Son halo définitune frontière, ce qui est éclairé est au centre de mon attention,tout le reste est relégué en périphérie. Comme la valiseGlobe-Trotter, elle structure l’espace. Comme la montresuisse, je l’utilise pour m’autodiscipliner.

Dans ces objets, il y a la table du salon qui sert à tout.Nous y mangeons, mes filles bricolent dessus, ma femme ytravaille. Elle est la plaque tournante, le meilleur endroit pourlaisser un message, le support pour nos conversations. Dansune autre vie, elle avait sa place dans l’arrière-salle d’uneboucherie. Lorsque mes parents l’ont récupérée, elle étaitdéjà estampillée de multiples marques où l’on pouvait recon-naître un large éventail de lames de couteaux et de hachoirs.Aujourd’hui, les coups de ciseaux de mes filles et l’empreintede casserole chaude posée trop vite sont venus compléter lepaysage. Toutes ces blessures du temps nous ont parfoisdonné envie de nous en séparer au profit d’une table touteneuve, longue et lisse. Mais nous n’avons jamais eu ce cou-rage.

Enfin, dans la liste des objets qui comptent chez nous, ily a bien sûr l’interminable collection de poupées de mesfilles. Les enfants peuvent jouer quelques minutes avec un

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caillou en prétendant qu’il s’agit d’une petite voiture, mais,malgré tout, certains objets sont de meilleurs supports qued’autres pour leur jeu d’imagination. Ce qui confère préci-sément ce potentiel d’évasion reste probablement encore unmystère, même pour les grands fabricants de jouets. Les pou-pées les plus chéries par mes enfants ont pour la plupart unvisage relativement neutre. Elles n’expriment vraiment ni lajoie, ni la tristesse, et c’est sans doute pour cela qu’elles seprêtent aussi bien à toutes les situations. Les poupées animéesou parlantes que l’on a pu leur offrir n’ont jamais connu avecelles une longue durée de vie. Mes filles sont toujours reve-nues à leurs anciennes amours. Les plus chouchoutées sontLangoustine et Silicoco. En cas d’oubli de l’une de ces deuxdemoiselles lors d’un départ en vacances, mieux vaut toutde suite rebrousser chemin, si c’est encore possible, car sanselles les vacances sont irrémédiablement gâchées. Le rapportde mes filles à leurs poupées ne cesse de me fasciner et dem’interroger. Comment un tel attachement est-il possible ?Quel statut ont-elles dans l’organisation mentale qui petit àpetit se met en place dans leurs têtes enfantines ? Lorsqu’ilsdisent que les poupées sont tristes d’être restées à la maison,les enfants le croient-ils vraiment ? Mes filles semblent êtredes expertes de ce genre de jonglerie ontologique, où, l’es-pace d’un instant, un objet peut devenir « habité », supportd’histoire, de sentiments et objet d’amour, et le moment sui-vant redevenir objet, rangeable, lavable, oubliable. Sommes-nous, une fois adultes, encore capables de considérersérieusement que Pinocchio peut être à la fois un pantin debois et un petit garçon selon le regard que l’on pose sur lui ?Les enfants sont-ils seulement naïfs ? Ou sommes-nous justevieux, aveugles au fait que certains objets sont si importants

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pour nous, inattentifs à la manière dont, selon les moments,nous leur donnons un rôle, une personnalité, inconscients dufait qu’ils comptent beaucoup dans nos vies ?

Ainsi sont les objets qui comptent : objets de mémoire, dediscipline, de rêverie, de jeu, tous dotés d’une double dimen-sion. Ils sont physiques, incorporables, leur forme invite àla métamorphose. Ils sont historiques et offrent la base maté-rielle pour se souvenir, pour rêver, pour réfléchir. Ces deuxfonctions intrinsèquement mêlées dans leur structure sculp-tent implicitement mes pratiques quotidiennes : ce que jefais, ce que je pense, ce que je suis. C’est pour cela que jevoudrais les prendre avec moi lors d’un prochain déménage-ment. C’est pour cela qu’ils comptent.

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Retracer les lignéesOù j’insiste sur l’importance de comprendre

les dynamiques de l’évolution technique.

Il est paradoxal de comparer l’importance que peuventrevêtir certains objets dans nos vies et la méfiance que notrecivilisation accorde d’une manière générale à la techniqueet à son évolution. Les objets que j’évoquais précédemmentsont issus d’anciennes lignées. Ils ont une généalogie com-plexe, même si pour la plupart, ils n’ont pas d’inventeur iden-tifié. Ils sont un peu comme des êtres vivants : ils acquièrentune histoire de leur vivant, mais ils sont aussi le fruit d’unlong processus évolutif. Ce qui fait leur valeur, c’est leur his-toire, mais aussi leur généalogie.

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De la même manière qu’il est important, pour comprendreun animal, de connaître sa place dans l’arbre phylogénétiquedes êtres vivants, il faut s’interroger sur les processus évolu-tifs à l’œuvre dans l’évolution des objets : reconstruire leurslignées pour comprendre leur nature profonde.

Prenons l’exemple de la montre de mon grand-père. Elleest elle-même constituée d’un grand nombre de piècesminuscules, ressorts, engrenages et roues dentées. Ces piècessont admirablement intégrées les unes aux autres au pointqu’elles forment ensemble un système fermé presque auto-nome. Une telle perfection n’est pas l’œuvre d’un unique etgénial inventeur. Les mécanismes de cette montre sont lesrésultats de progrès constants, qui, pendant près de sixsiècles, ont permis aux horloges mécaniques d’être toujoursplus précises. Chacun des éléments de ce système mécaniquemultiplie les échanges avec les autres pour former un toutcohérent et unifié, fonctionnant efficacement. Paradoxale-ment, sur le plan de la précision, cette montre fait partie d’unelignée rendue obsolète par l’apparition des montres à quartzdans les années 1970. Comme pour les êtres vivants, il arrivequ’une nouvelle descendance surpasse en performance unelignée ancienne et conduise cette dernière à trouver une autreniche pour sa survie. En l’occurrence, les montres commecelle de mon grand-père sont aujourd’hui essentiellementconsidérées comme des objets de luxe, admirées simplementpour leur haute technicité et pour la maturité des mécanismesqu’elles mettent en œuvre.

Penchons-nous maintenant sur ma lampe industrielle.Contrairement à la montre, elle est constituée d’un ensemblede composants partiellement interchangeables. On peut

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modifier son ampoule, éventuellement changer son soclepour la fixer directement sur une machine-outil. Elle a besoind’électricité pour fonctionner. Elle est donc dépendante d’unréseau technique plus large qui s’est développé au début duXXe siècle et qui est aujourd’hui d’une grande complexité.Sans cette immense infrastructure, la lampe n’aurait aucunsens. Pour poursuivre la métaphore biologique, on peut direqu’elle s’inscrit dans un écosystème technique particulierauquel elle est adaptée. Un changement dans la nature duvoltage pourrait la rendre totalement inutilisable.

Une invention commence le plus souvent par la juxtapo-sition d’au moins deux techniques existantes. Au début, c’estsimplement un art de la combinaison. L’invention alors obte-nue n’est pas encore un nouvel objet technique, c’est un col-lage. L’association du bâton et du silex donne la hacheprimitive. Son point faible est précisément son emmanche-ment qui même dans les haches récentes est la partie la plussusceptible de se désolidariser. Mais au fil d’innombrablesgénérations, le manche, organe de contrôle, et la pierre tran-chante, organe d’action, s’intègrent et se solidarisent pourformer un objet technique en tant que tel.

Pour décrire ce processus, Gilbert Simondon utilise leterme de « concrétisation », dans son sens étymologique(« qui croît ensemble »). Une combinaison simple conduit àun objet abstrait, un « collage » où les éléments sont seule-ment juxtaposés. Avec le temps, les composants s’adaptentles uns aux autres et l’objet se concrétise. Les exemples dansl’histoire des techniques ne manquent pas. Au fil des géné-rations, les carrosseries de voitures ont progressivement inté-gré les ailes, les phares, les rétroviseurs et même récemmentles pare-chocs pour converger vers les formes « ovoïdes »

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qui caractérisent beaucoup de véhicules récents. Ces élé-ments n’étaient que juxtaposés les uns aux autres au départ.

De même, l’évolution des ordinateurs est aussi essentiel-lement une succession de phases de juxtaposition et d’intégra-tion. En 1930, Vannevar Bush construit le premier ordinateursous la forme d’une immense machine combinant différentscomposants électriques et mécaniques. Avant la secondeguerre mondiale, ce type d’ordinateur pouvait compter 2 000tubes cathodiques et 150 moteurs électriques. Une seule deces machines occupait une pièce entière. Petit à petit, les élé-ments de ces appareils immenses ont commencé à s’intégrerpour former des sous-ensembles plus compacts et plus fonc-tionnels. Les éléments électromécaniques sont remplacés aucours du temps par des transistors et des circuits intégrés.Grâce à ces formes plus réduites, à partir de 1958, l’ordina-teur est prêt à se diffuser dans des écosystèmes plus ouvertsque celui du laboratoire de recherche, et quelques annéesplus tard, les ordinateurs équipent un nombre croissant debureaux. Mais ce n’est qu’en 1971 que la phase décisive deconcrétisation a lieu. La compagnie Intel réussit pour la pre-mière fois à placer tous les transistors d’un processeur sur un seul circuit intégré, donnant ainsi naissance au micro-processeur. Cette miniaturisation permet d’augmenter les fréquences de fonctionnement (les distances entre les composants sont raccourcies), de réduire les coûts. Il devientpossible de construire des ordinateurs encore plus petits : lesmicro-ordinateurs. C’est le commencement de l’ordinateurpersonnel quittant l’écosystème de l’entreprise pour pénétrerdans l’univers domestique.

Reconstruire ainsi la généalogie des objets de notre quo-tidien est important pour comprendre leur réelle nature et

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par la suite les liens qui nous unissent à eux. L’histoire del’informatique illustre bien le fait que l’élément véritable-ment technique et intégré dans un ordinateur est le micro-processeur. C’est le cœur technique de cet objet. Autour delui gravitent d’autres composants dont la nature et la positionpeuvent varier. À une échelle supérieure, l’ordinateur s’in-tègre dans un réseau technologique qui lui-même a une pro-pension à l’intégration. Les objets qui participent à ce réseau,ordinateurs, lecteurs de musique, routeurs, disques durs,modems, multiplient les échanges les uns avec les autres etont tendance à se sédimenter, à croître ensemble et à s’auto-déterminer. Petit à petit ils forment une sorte de « méga-objet » qui a créé son propre milieu intérieur et dont leséléments les plus tangibles, ordinateurs et interfaces, ne sontque les parties visibles.

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Casser la carapaceOù j’explore ce qui rend les objets électroniques

singuliers et obsolescents.

Il est troublant de constater que dans la liste des objetsqui comptent pour moi, il n’y a presque pas d’objets électro-niques : pas d’ordinateur, de téléviseur, de téléphone, dechaîne hi-fi, de lecteur de CD, de DVD ou de baladeur MP3.Lors d’un déménagement, si j’en ai les moyens, je changeraivolontiers mon ordinateur ou mon téléphone pour un modèleplus récent. Pourtant, je passe beaucoup de temps avec cesappareils, ils me sont utiles, ils coûtent assez cher, ils ont

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certainement beaucoup d’importance dans ma vie quoti-dienne, car je les connais sur le bout des doigts. Ils font d’unecertaine manière partie de moi, mais paradoxalement, et mal-gré tout cela, en tant qu’objets ils ne comptent pas.

Les designers qui ont conçu ces machines et les publici-taires qui les ont mises en valeur ont réussi à leur faire évoquerdes univers riches et séduisants. Il y a une dizaine d’années,Jonathan Ive, le désormais célèbre designer de chez Apple,est parvenu à transformer les boîtes grises dont nous étionscoutumiers en des objets légers, accueillants et enfantins, enproposant des ordinateurs ovoïdes aux couleurs acidulées.Comme beaucoup d’autres, j’ai été séduit par cette bravadecolorée et j’ai eu envie d’acquérir une de ces machines. Celaa d’ailleurs été un énorme succès et, un peu partout, dans lesbureaux d’architecture jusqu’aux salles de classe, on a vuapparaître des ordinateurs roses, verts, mauves, avec descoques en plastique transparent. Quelques années plus tard,le même designer est arrivé avec une ligne noire dont lasobriété évoquait au contraire le monde strict et lisse de l’ins-trumentation scientifique. En parfaite discontinuité avec lagamme précédemment développée, ces nouvelles machinesont de nouveau été des objets de désir, pour moi comme pourbeaucoup d’autres. Je devais de toute façon changer demachine... Et quand j’ai reçu mon premier portable noir, jen’ai pas pu m’empêcher de le trouver très beau (1).

Ce procédé, consistant à transférer, grâce à un matériauou simplement une couleur, une connotation appartenant àun autre domaine, a été maintes fois utilisé dans l’histoire dudesign. Dans les années 1920, l’aluminium a fait son appa-rition dans les automobiles, car c’était une matière de pointepour l’aéronautique où sa légèreté avait une grande valeur.

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Mais son utilisation dans le contexte du tableau de bord d’unevoiture ne se justifiait plus pour des raisons fonctionnelles.Il s’agissait simplement ici d’évoquer la technicité et le pres-tige de l’avion et de le transférer « sémantiquement » à l’au-tomobile. Ce n’est que de l’habillage, en quelque sorte.

Jonathan Ive et son équipe ont ainsi réintroduit l’impor-tance de l’habillage dans la conception des ordinateurs pouren faire des objets de désirs. Pourtant aujourd’hui, ni lamachine rose bonbon, ni sa sœur scientifiquement sobre,n’ont de place dans ma vie ou dans mon cœur. Intrinsèque-ment éphémères, les ordinateurs sont pour moi – jusqu’à pré-sent – des machines sans véritable capacité historique. Ilscroisent nos vies et une fois obsolètes, ils se font légitimentoublier. Les habiller avec les tendances du moment ne suffitpas à en faire des objets qui comptent.

Ce qui est vrai de mes ordinateurs l’est encore plus demes téléphones portables, téléviseurs et des autres appareilsélectroniques avec lesquels j’entretiens des relations pure-ment utilitaires et qui n’arrivent généralement à susciter chezmoi que de l’ennui ou de l’agacement. Ils finissent irrémé-diablement par sortir de ma vie, ou au mieux par être rappor-tés dans un magasin pour être recyclés, mais, le plus souvent,par être entassés dans des caisses avec leur apanage de char-geurs, câblerie et blocs d’alimentation.

Pourquoi ces objets chers et convoités n’arrivent-ils pas àprendre de la valeur ? Plusieurs hypothèses peuvent être for-mulées. Contrairement aux autres objets techniques qui peu-plent nos vies, les objets électroniques sont jeunes et nebénéficient pas de longues traditions artisanales ou indus-trielles. Le comportement d’un objet électronique est essen-tiellement défini par la manière dont il est programmé.

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Un circuit imprimé transforme un algorithme que l’onpeut décrire comme une combinaison logique de symbolesen un flux d’électrons. C’est un pont entre deux mondes.Autour de ce cœur électronique, il faut tout reconstruire.Contrairement à une table, une chaise, un sabre ou une tasse,un objet électronique peut prendre une forme quelconque.Il peut être n’importe quoi. À la différence d’une machinemécanique, celui qui le démonte sans connaître l’usage deson programme ne peut presque rien dire sur son fonction-nement. Les objets électroniques sont pour ainsi dire desobjets sous-déterminés aux formes arbitraires. Face à cettetabula rasa, il a été nécessaire en l’espace de quelques décen-nies d’inventer ou d’importer des conventions essentielle-ment arbitraires pour que nous puissions traduire, en termesque nous connaissons, le fonctionnement de ces objets mys-térieux. Par exemple, les boutons « play », « pause », « stop »,venant du monde mécanique des lecteurs de cassettes, ontété repris sur les lecteurs de disques compacts, puis même surcertaines machines à laver. Cet arbitraire est source d’innom-brables malentendus dont on ne retrouve aucun équivalentdans le monde des tables, des chaises et des outils de notrequotidien.

Dans bien des cas, pour utiliser un objet électronique,nous avons dû nous résoudre à apprendre son langage soit paressai et erreur, soit en lisant consciencieusement le manuel.Difficile de commencer une relation amoureuse dans cesconditions.

De plus, en quelques années à peine, une grande partied’entre eux a subi une transformation particulière et fonda-mentale : ils sont passés de techniques analogiques à destechniques numériques.

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Pendant longtemps, radios, téléphones, télévisions et lec-teurs de musique étaient des appareils bien distincts, vivantdans des mondes physiques séparés, jouant leur rôle dansnos vies de manière simple et souvent efficace. Ces machinestraitaient bien de l’information, mais celle-ci était codéecomme la variation continue d’un état physique, à l’image dusillon des disques 33 tours. Chaque type d’enregistrementétait spécifique : une photo, un film ou une musique n’avaitrien en commun. Le passage au codage numérique a profon-dément changé la donne.

Le numérique a permis la standardisation et la multipli-cation des échanges entre les machines. Une photo prise parun appareil photo peut ensuite être transférée et stockée dansun baladeur numérique ou, par l’intermédiaire d’un télé-phone, envoyée à une autre personne. Ces fonctions peuventêtre distribuées dans plusieurs appareils ou intégrées au seind’un seul. D’une certaine manière, dès l’avènement du numé-rique, ces objets jadis différents et autonomes sont devenus« intégrés » au sein d’un même réseau et ont donc commencéà former un seul et unique méga-objet. À partir de ce constat,ingénieurs et designers ont eu le choix de les présentercomme des objets séparés, de les faire converger vers un seul(téléphone/appareil photo/lecteur de musique/agenda/consolede jeu), ou au contraire d’éclater encore plus leur usage dans des objets aux fonctions extrêmement précises (para-pluie indiquant la météo, lampe donnant des informations le matin, objet permettant de composer un numéro de téléphone).

Comme on peut l’imaginer, l’avènement du numérique aété caractérisé, dans ces premières années, par de grandsbouleversements dans le monde des objets électroniques. La

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rapidité de leur obsolescence n’a jamais été aussi grande quependant cette période. Il est vrai que les objets électroniquesont dans tous les cas une tendance à l’obsolescence. Les tech-nologies changent, les processeurs deviennent plus puissants,les mémoires plus larges, et il ne faut guère plus de deux outrois ans pour que cette progression exponentielle des perfor-mances transforme le produit le plus à la pointe en unevieillerie inutilisable. Et même si pour nous les performancesde notre machine semblent encore tout à fait adaptées à nosbesoins, l’écosystème logiciel et matériel qui entoure l’appa-reil se modifie souvent tellement radicalement qu’il estimpossible de continuer à l’utiliser. De nouveaux systèmesd’exploitation, de nouvelles familles de périphériques, detypes de câbles, de standards de communication sans fil,finissent par asphyxier la machine, qui, ne pouvant plus com-muniquer, doit être soit placée sous cloche dans un musée,soit remplacée.

Cette obsolescence, facteur déterminant dans notre diffi-culté à nous lier sur le long terme aux nouvelles technologies,est caractéristique des systèmes informatisés numériques etcommunicants et elle définit moins les machines plusanciennes, essentiellement analogiques. J’ai longtemps gardémon vieux téléviseur à tube cathodique et j’utilise encore lemême aspirateur que celui que j’avais acheté quand j’étaisétudiant. Même si certains ont parfois critiqué les fabricantsd’électroménager, les accusant de produire des machinesdont l’obsolescence était programmée du fait de leurs maté-riaux et de leur machinerie de faible qualité, ce type d’obso-lescence due à l’usure et au vieillissement est sans communemesure avec le maelström continu qui agite les technologiesnumériques.

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9 782916 571270

ISBN 978-2-916571-27-0

Collection Présence / EssaiQuestions de société / Design / Nouvelles technologiesPhotographie de couverture : QB1 © OZWE 2009Photogravure : IGS

www.fypeditions.com

19,50 € TTC

Les objets sont en train de se métamorphoser. Ils deviennent nos interfacesprivilégiées vers le monde numérique. Ce livre nous montre comment cetterévolution va transformer notre quotidien, depuis la manière dont nousécoutons de la musique ou lisons un livre, jusqu’à nos conversations autourd’une table. Il décrit comment ce changement technique annonce la fin des ordinateurs tels que nous les connaissons, un cycle de vie durable pourles objets électroniques, une nouvelle économie basée sur le partage des données biographiques, et surtout une façon inédite de relater nos vies.En racontant l’invention de ces objets novateurs, il traite de design,d’écologie, de sociologie et de philosophie. Et surtout, de l’importance et dela difficulté de construire des technologies qui enrichissent notre quotidienplutôt que de le perturber. Cet ouvrage propose une vision cohérente et personnelle, une exploration stimulante de ce monde qui vient, par un des rares auteurs à la fois théoricien et acteur de ce bouleversement.

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La métamorphosedes objets

La métamorphose des objets Frédéric KaplanFrédéric Kaplan

Frédéric Kaplan, ingénieur et spécialiste de l’intelligence artificielle et des nouvelles interfaces, a travaillé pendant dix ans pour Sony. Il poursuit aujourd’hui ses recherches à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et a créé, avec le designer Martino d’Esposito, OZWE, une entreprise qui diffuse les nouveaux objets qu’ils inventent ensemble. Ses travaux ont donné lieu à près d’une centaine de publications scientifiques et ses prototypes ont été exposés dans de grands musées comme le Centre Pompidou à Paris ou le Museum of Modern Art à New York. La Métamorphose des objets est son troisième livre.

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