200 ans de recherches scientifiques

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Démêler les secrets des fonds marins Alphonse François Renard était non seulement un géologue marin de renommée internationale mais il fût également professeur à l’Université de Gand. Cette renommée il la doit à sa collaboration avec le naturaliste et éditeur écossais John Murray. C’est en effet dans le cadre de l’expédition océanographique du HMS Challenger - dans les années 1870 – qu’ils ont rédigé leur « Report on Deep Sea Deposits, based on the Specimens collected during the Voyage of HMS Challenger in the years 1872-1876 ». Publié en 1891 ce rapport est considéré comme la «bible» de la géologie marine. 200 ans de recherches scientifiques Grâce à un travail scientifique titanesque, Alphonse François Renard a aidé à ouvrir le monde vers l’ère de l’océanographie moderne. La richesse des données collectées lors de l’expédition, dans le monde entier et à de grandes profondeurs, a fourni aux chercheurs une mine d’informations géologiques, biologiques et océanographiques. Ces recherches ont contribué à la mise en lumière de la composition des fonds marins profonds et sombres, caractérisés par une pression importante, un manque d’oxygène et de lumière. Aujourd’hui, les chercheurs peuvent pénétrer dans les coins les plus sombres de l’océan grâce à des submersibles habités, où de nouveaux trésors précieux de la biodiversité et des matières premières sont disponibles. Une vie de foi et de science Alphonse François Renard, fils de charpentier, né à Renaix en 1842. Il passe ses premières années à travailler dans une usine de textiles. Heureusement pour lui, ses capacités intellectuelles sont rapidement remarquées et il décroche, en 1856, une place pour aller étudier au collège épiscopal de Renaix pour ensuite continuer son cursus au collège des Minéralogie Etude des minéraux, de leur apparence, leur structure et leurs propriétés Jésuites de Turnhout. Après avoir fait ses vœux et être entré dans l’ordre des Jésuites en 1865, Alphonse François Renard travaille pendant plusieurs années en tant que professeur d’anglais et d’allemand dans divers collèges, en Belgique et en Allemagne, où il développe sa passion pour les sciences. Il est particulièrement attiré par les montagnes de l’Eifel allemande, riche en formations géologiques, qui lui font grande impression et attisent davantage son intérêt pour les sciences, ce qui l’amène à approfondir ses connaissances dans les domaines de la géologie et de la minéralogie plus spécifiquement à l’Université de Vienne.

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Page 1: 200 ans de recherches scientifiques

Démêler les secrets des fonds marins

Alphonse François Renard était non seulement un géologue marin de renommée internationale mais il fût également professeur à l’Université de Gand. Cette renommée il la doit à sa collaboration avec le naturaliste et éditeur écossais John Murray. C’est en effet dans le cadre de l’expédition océanographique du HMS Challenger - dans les années 1870 – qu’ils ont rédigé leur « Report on Deep Sea Deposits, based on the Specimens collected during the Voyage of HMS Challenger in the years 1872-1876 ». Publié en 1891 ce rapport est considéré comme la «bible» de la géologie marine.

200 ans de recherches scientifiques

Grâce à un travail scientifique titanesque, Alphonse François Renard a aidé à ouvrir le monde vers l’ère de l’océanographie moderne. La richesse des données collectées lors de l’expédition, dans le monde entier et à de grandes profondeurs, a fourni aux chercheurs une mine d’informations géologiques, biologiques et océanographiques. Ces recherches ont contribué à la mise en lumière de la composition des fonds marins profonds et sombres, caractérisés par une pression importante, un manque d’oxygène et de lumière. Aujourd’hui, les chercheurs peuvent pénétrer dans les coins les plus sombres de l’océan grâce à des submersibles habités, où de nouveaux trésors précieux de la biodiversité et des matières premières sont disponibles.

Une vie de foi et de science

Alphonse François Renard, fils de charpentier, né à Renaix en 1842. Il passe ses premières années à travailler dans une usine de textiles. Heureusement pour lui, ses capacités intellectuelles sont rapidement remarquées et il décroche, en 1856, une place pour aller étudier au collège épiscopal de Renaix pour ensuite continuer son cursus au collège des

Minéralogie

Etude des minéraux, de leur apparence, leur structure et leurs propriétés

Jésuites de Turnhout. Après avoir fait ses vœux et être entré dans l’ordre des Jésuites en 1865, Alphonse François Renard travaille pendant plusieurs années en tant que professeur d’anglais et d’allemand dans divers collèges, en Belgique et en Allemagne, où il développe sa passion pour les sciences. Il est particulièrement attiré par les montagnes de l’Eifel allemande, riche en formations géologiques, qui lui font grande impression et attisent davantage son intérêt pour les sciences, ce qui l’amène à approfondir ses connaissances dans les domaines de la géologie et de la minéralogie plus spécifiquement à l’Université de Vienne.

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En 1872 Alphonse François Renard revient en Belgique et enseigne comme professeur de chimie et de minéralogie pour devenir conservateur du Musée des sciences naturelles de Bruxelles. Il occupera ce poste jusqu’en 1888, année où il est nommé professeur à l’Université de Gand pour enseigner la géologie, la minéralogie, la paléontologie et la géographie physique. On lui doit l’introduction de l’utilisation

Le HMS Challenger, qui, sous la direction scientifique de Charles Wyville Thomson, a navigué durant quatre années sur les

océans(Wikimedia Commons)

Microscope polarisant

Microscope optique muni de deux filtres polarisants, appelés polariseur et analy-seur. Il est utilisé en pétrographie pour l’ob-servation et l’identification des minéraux

dans les roches.

du microscope polarisant dans l’étude des minéraux et des roches en Belgique. Il publiera d’ailleurs plusieurs études sur la géologie de notre pays. Alphonse François Renard est reconnu pour sa rigueur scientifique, caractérisée par des observations et des prises de positions fortes. Reconnu de son vivant, il reçoit des doctorats honorifiques des universités de Bologne, Dublin et Edimbourg et devient, en 1885, lauréat de la prestigieuse médaille Bigsby, décernée par la Société géologique de Londres. En 1898, il devient membre de l’Académie royale de Belgique. Reconnu pour ses compétences scientifiques, Alphonse François Renard est, aux yeux des catholiques, la preuve vivante que la science et la foi sont compatibles. Le temps et les multiples découvertes scientifiques éloignent de plus en plus Alphonse François Renard de ses croyances religieuses. En 1883, il tourne définitivement le dos à l’ordre des Jésuites et rompt totalement le lien qui le lie à l’Eglise catholique en 1900. Il se mariera d’ailleurs un an plus tard, ce qui ne sera pas fort apprécié par la bourgeoisie gantoise et le monde médiatique de l’époque. A l’inverse, il est porté en exemple par les libres penseurs de l’époque qui estiment que science et foi ne sont pas compatibles.

Touché par le cancer du colon au début du nouveau siècle, Alphonse François Renard, poursuit malgré tout ses recherches et continue à travailler sans relâche. En 1902, il effectue encore la traduction en français des observations géologiques de Charles Darwin sur les îles volcaniques visitées pendant le voyage de H.M.S. Beagle. C’est en cet honneur que lui est décernée une statue en 1906, pour ses efforts concernant l’introduction de la doctrine de Darwin en Belgique. Sur cette statue on peut lire : Scientia liberavit eum, ce qui veut dire la science l’a libéré.

Expéditions océanographiques: une explosion de connaissances

L’expédition du Challenger HMS dans les années 1872-1876 conduit le monde dans l’ère de l’océanographie moderne en abordant les recherches de manière multidisciplinaire. L’expédition permet la récolte de données géologiques, biologiques et océanographiques de partout dans le monde, en partant de la surface vers les grandes profondeurs des océans. Alphonse François Renard participe à cette grande expédition et publie, en 1885, avec le naturaliste écossais John Murray, un article sur le mode de formation et la répartition des sédiments géologiques en mer

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profonde. Les résultats complets sont publiés en 1891 dans un rapport intitulé « Report on Deep Sea Deposits, based on the Specimens collected during the Voyage of HMS Challenger in the years 1872-1876 » (1891), qui est encore aujourd’hui considéré comme une bible dans le monde de la géologie marine.

Ce rapport, écrit par Murray et Renard, reprend l’analyse minéralogique des sédiments, de leur origine à leur distribution à travers le monde. La détermination de la nature et l’emplacement des sédiments permettent de dessiner les contours d’une carte géologique des fonds des océans. Considéré comme un chef-d’œuvre scientifique, ce rapport ouvre la voie de la connaissance sur la diversité des fonds marins profonds, de l’origine et la nature des sédiments en suspension et à la dérive à l’apparition de nodules de manganèse.

En plus de son soutien aux expéditions du Challenger, Alphonse Renard défend ardemment l’expédition en Antarctique du navire de recherche «Belgica». En 1897, de retour de sa longue expédition pendant laquelle le navire resta 13 mois coincé dans les glaces et en remerciement de ce soutien, l’officier de la marine belge, Adrien de Gerlache, nommera en son honneur le « Cap Renard », un promontoire impressionnant dominant le détroit de Gerlache situé en Antarctique.

Nodules polymétalliques

Les nodules polymétalliques, aussi appelés nodules de manganèse sont des concré-tions rocheuses reposant sur le plancher océanique, à grande profondeur. Ils se composent d’un mélange de minerais (hy-droxyde de fer et de manganèse, et un grand nombre de métaux tels que le cobalt, le nickel et le cuivre) qui se développent très

lentement (<7 microns / an).

Avec une population mondiale en constante augmentation et une demande sans cesse croissante pour des matières premières telles que celles utilisées dans le domaine des nouvelles technologies (smartphones, etc.) se pose la question des réserves de ces métaux précieux qui risquent la pénurie au niveau terrestre. Il se pourrait donc que l’in-dustrie se penche sur la possibilité de les ré-

colter désormais dans les océans.

L’exploitation de ces ressources « marines » apporte son lot de défis technologiques et logistiques et pose la question de la via-bilité économique de tels développements technologiques. Si ces développements semblent prometteurs, sont-ils vraiment réalistes, durables et écologiques ? De nom-breuses questions sur lesquelles planchent les scientifiques de l’Université de Gand au-

jourd’hui.

Coupe transversale (à gauche), et vue complète d’une nodule

de manganèse (à droite)

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De nombreuses analyses d’échantillons géologiques recueillis au cours de cette expédition sont confiées à Renard et au géologue et explorateur polonais Henryk Arctowski. La mort prématurée d’Alphonse Renard empêche l’achèvement de ce travail, sa contribution ayant été limitée à une étude préliminaire des échantillons. En ressort tout de même le rapport « Avis sur les sédiments préliminaires marins recueillis par l’expédition du Belgica (1901-1902) ».

Ce document, divisé en deux parties présente d’abord le travail de relevé bathymétrique dans lequel ont été cartographiés les reliefs des fonds marins. Dans la seconde partie les auteurs décrivent les différents sédiments repérés. Renard et Arctowski décident que les résultats de l’expédition ont donné deux arguments supplémentaires à l’hypothèse du continent austral. Cette hypothèse indique qu’il

Représentation schématique de la

façon dont le proces-sus d’extraction des nodules de manga-nèse dans la mer profonde pourrait éventuellement se

faire. Le procédé est assez simple et se

compose d’un navire qui prend en charge

l’industrie minière, un système de transport et d’un dispositif qui variera en fonction

de la source d’exploi-tation (Source: DE-

ME-Groupe)

Le Belgica au milieu des glaces de l’Antarctique. La photo a été prise par le photographe et mé-

decin américain Frederick Cook (Lecointe, 1901 - www.wetenschatten.be)

existe une masse de terre solide sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, une théorie qui sera soutenue par la recherche plus tard.

On retiendra d’Alphonse Renard - en plus du Cap, de la statue et de la rue d’Ixelles qui portent son nom – son engagement et son soutien indéfectibles à la recherche dans le domaine de la géologie marine. 100 ans après avoir été nommé professeur, l’Université de Gand nomme son centre de recherche marine géologie d’après son nom : le Centre de géologie Marine Renard.

Bathymétrie

Science de la mesure des profondeurs et des reliefs marins afin de déterminer la topographie des lacs, des mers et des océans. La cartographie des sédiments,

avec des différences de profondeur et les obstacles sont font partie de la bathymétrie.