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Master 2 Sciences de l’éducation Parcours B1 Responsable de formation Fiches de lecture croisées « Apprendre ! » (Giordan, A.) & « Introduction à la pensée complexe » (Morin, E.) Pour un apprentissage tout en pensée complexe Responsable : Jean-Louis BOUTTE Hélène QUILY-SALAGNAC Année 2016-2017

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Master 2 Sciences de l’éducation

Parcours B1 Responsable de formation

Fiches de lecture croisées

« Apprendre ! » (Giordan, A.)

&

« Introduction à la pensée complexe » (Morin, E.)

Pour un apprentissage tout en pensée complexe

Responsable : Jean-Louis BOUTTE

Hélène QUILY-SALAGNAC Année 2016-2017

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« N’oublie pas que la réalité est changeante, n’oublie pas que du nouveau peut surgir et

de toute façon, va surgir. »

Edgar Morin.

Sommaire

1. Introduction.....................................................................................................................3

2. Les auteurs ......................................................................................................................3

2.1. Edgar Morin ............................................................................................................3

2.2. André Giordan .........................................................................................................5

3. Les ouvrages ....................................................................................................................6

3.1. Introduction à la pensée complexe ..........................................................................6

3.1.1. Définition de la complexité...............................................................................6

3.1.2. Détour historique .............................................................................................7

3.1.3. Principes de la pensée complexe ......................................................................8

3.1.4. Visée ............................................................................................................... 10

3.2. Apprendre !............................................................................................................ 10

3.2.1. Des idées sur l’apprendre .............................................................................. 11

3.2.2. L’apprendre de Giordan ................................................................................ 12

3.2.3. Visée ............................................................................................................... 14

4. A la croisée des ouvrages ............................................................................................... 15

5. Sur un chemin personnel............................................................................................... 19

6. Bibliographie ................................................................................................................. 22

6.1. Webographie ................................................................................................................. 22

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1. Introduction

Ce travail consiste en la synthèse croisée de la lecture de deux ouvrages d’auteurs

différents : d’une part, « Introduction à la pensée complexe » d’Edgar Morin, et d’autre

part, « Apprendre ! » D’André Giordan. Ces deux œuvres ont été publiées pour la

première fois à peu de temps d’intervalle, en 1995 pour « Introduction à la pensée

complexe » et en 1998 pour « Apprendre ! ». Ce sont deux ouvrages entrant dans le

21ème

siècle, empreints du contexte et des événements antérieurs. Tous deux abordent le

thème de la complexité et de l’utilisation de la pensée complexe comme manière de

penser le monde à venir.

Leurs histoires respectives permettent de nous éclairer sur ce qui les a amenés à nous

apporter leurs points de vue et leurs réflexions sur ce sujet.

2. Les auteurs

Edgar Morin et André Giordan sont contemporains entre eux, mais aussi avec notre

époque actuelle. Nous allons dresser un portrait biographique de chacun, leurs parcours

nous éclairant sur leurs thèmes de prédilection.

2.1. Edgar Morin

Aujourd’hui âgé de 96 ans, Edgar Nahoum, né à Paris en 1921, a suivi des études

universitaires plurielles, en histoire, sociologie, économie et philosophie, et est licencié

en histoire-géographie et en droit à la Sorbonne. Suite à ces études, en pleine seconde

guerre mondiale, il entre dans la résistance en tant que lieutenant des Forces françaises

combattantes et y joue un rôle actif de 1942 à 1944. C’est à cette période qu’il prend le

pseudonyme de Morin qu’il gardera tout au long de sa vie. A la libération, en 1946, il

publie "L'An zéro de l'Allemagne" où il dresse un portrait de la situation du peuple

allemand au sortir de la guerre. En 1950, il entre au Centre National de la Recherche

Scientifique (CNRS), dont il est aujourd’hui directeur de recherche émérite. Il cofonde

la revue Arguments en 1956. Il crée et dirige le Centre d’Études des Communications

de Masse (CECMAS), qui publie des recherches sur la télévision, la chanson, dans la

revue Communication qu’il dirige. En 1970, il part enseigner en Amérique Latine, c’est

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à cette période qu’il pose les fondements de ce qui sera son œuvre majeure : la nécessité

de la complexité comme système de pensée, comme réforme de la pensée, exprimée

dans cette déclaration : « Nous avons besoin d'une méthode de connaissance qui

traduise la complexité du réel, reconnaisse l'existence des êtres, approche le mystère des

choses. ». Il développe alors ce concept, au travers d’un ouvrage en six tomes, « La

méthode », dont le premier tome « La nature de la nature » parait en 1977. Suivront

« La vie de la vie » en 1980, « La connaissance de la connaissance en 1986, « Les

idées » en 1991, « L’humanité de l’humanité. L’identité humaine » en 2001 et enfin,

sixième et dernier tome, « Éthique » en 2004. Une trentaine d’années et six volumes

pour démontrer l’importance, au cœur de champs disciplinaires variés et

interdépendants, d’une approche globale et transversale pour mieux comprendre le réel.

Cette « méthode » est parue entrecoupée d’autres ouvrages fondamentaux de son

approche de la complexité, entre autres « Science avec conscience » où le terme de

pensée complexe apparait pour la première fois. Le thème de la complexité, en tout cas

d’une approche différente du paradigme en place, est dans l’air du temps depuis les

années 70, avec les mouvements des cybernétiques, de la théorie des systèmes, des

systèmes ouverts et de la systèmie.

Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, sociologue, philosophe, docteur honoris causa

de plusieurs universités à travers le monde, fondateur de l’association pour la pensée

complexe, Edgar Morin est un des penseurs majeurs de notre époque. Son message et sa

réflexion ont aujourd’hui une portée internationale. Il est aussi l’auteur d’un triptyque

autour de l’éducation, reprenant sa démarche d’approche globale commandée par

l’UNESCO « La tête bien faite » et « Relier les connaissances » tout deux parus en 1999

et « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » publié en 2000. Plus

récemment, en 2014, il propose son manifeste pour changer l’éducation, « Enseigner à

vivre ».

L’ouvrage que nous abordons ici est publié pour la première fois en 1990, soit au

milieu de l’écriture de « La méthode ». L’édition étudiée ici est celle de 2005. Cette

« introduction à la pensée complexe » se veut une clé d’entrée pour aborder la

complexité du monde, de notre société, de nos relations et ainsi élaborer une manière de

penser qui nous permette de mieux comprendre, échanger et appréhender le réel.

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2.2. André Giordan

André Giordan niçois d’origine, est né en 1946. Comme Edgar Morin, il suit des

études dans plusieurs domaines, en biologie (végétale, animale), en sciences de

l'éducation, en psychologie et en histoire des sciences. Cette approche pluridisciplinaire

l’a amené à fondé le Laboratoire de Didactique et Épistémologie des Sciences (LDES)

de l'Université de Genève. Il est aujourd’hui un physiologiste et un épistémologue

reconnu, auteur de nombreux ouvrages sur l’enseignement et la vulgarisation des

sciences. Au cours de ses activités, il a produit de nombreux travaux sur l’élaboration et

l’appropriation des savoirs dans divers domaines (technique, scientifique, médical). Il

propose d’ailleurs un modèle de l’ « apprendre », axé sur une approche systémique,

avec pour fondements la compréhension, la mémorisation et la mobilisation du savoir,

tous trois en interaction, en mettant l’accent sur les idées de déconstruction, de

recyclage et d’élaboration prenant en compte les conceptions de l’apprenant.

Aujourd’hui, André Giordan est directeur d’une entreprise de conseils en éducation,

muséologie, formation et organisation de réseaux ou d’entreprises et toujours à

l’université de Genève.

Son approche rejoint celle d’Edgar Morin dans une conception de l’apprentissage

non pas compartimentées mais en un système global, intégrant les sciences humaines et

les sciences naturelles.

Dans sa bibliographie, on retrouve de multiples ouvrages sur l’apprendre, des guides,

ou méthodes pour apprendre … à prendre des notes, à réviser, à réussir, à apprendre ;

des ouvrages pour la formation des enseignants et des médiateurs, pour les recherche

didactiques, pour vulgariser autrement les sciences, … Autant de déclinaisons de son

modèle « allostérique », dont l’ouvrage étudié ci après est une illustration.

Nos deux auteurs, à défaut de partager une période de l’histoire similaire (25 ans, soit

une génération, les sépare), ont malgré tout un parcours analogue en matière de

« curiosité » intellectuelle, multipliant les connaissances dans des domaines variés. Ils

partagent une même appétence pour le savoir, se sont retrouvés en posture d’enseignant,

confrontés à des situations d’apprentissage et s’associent dans le même constat : une

approche simplificatrice des savoirs ne permet pas d’en apprécier la totalité. Ce que

mettent en avant leurs deux ouvrages.

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3. Les ouvrages

La thèse centrale des deux ouvrages, « Introduction à la pensée complexe » d’Edgar

Morin et « Apprendre ! » d’André Giordan repose sur une approche de la complexité et

l’utilisation recommandée voire indispensable de la pensée complexe. Tous deux

explorent cette approche en utilisant des chemins différents. Nous allons les suivre dans

cette expédition vers un monde aujourd’hui encore méconnu : celui de la complexité.

3.1. Introduction à la pensée complexe

Edgar Morin annonce en préambule à son ouvrage, composé d’un regroupement de

textes divers, que ce livre est une introduction à la problématique de la complexité,

comme son titre le laisse sous-entendre. Les six chapitres amènent de nombreux

arguments tendant à faire adopter le concept même de complexité et à pratiquer la

pensée complexe, outil permettant d’aborder la complexité. Mais qu’est ce que la

complexité, et la pensée complexe, de quoi s’agit il ?

3.1.1. Définition de la complexité

Pour Morin, la complexité est d’abord considérée avec un clin d’œil étymologique,

tiré du latin complexus, tissé ensemble. C’est un « tissu de constituants hétérogènes

inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. » (Morin, 2005,

p. 21) Mais il s’agit aussi du « tissu d’évènements et d’actions interactions, rétroactions,

déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal » (p. 21)

La complexité est ce qui compose notre monde, ce qui le caractérise au mieux. Elle

est présente dans tout organisme, système, fragments. Pour Morin, la complexité est un

mot problème et non pas un mot solution. Certes, ce terme entraine confusion,

incertitude, désordre. Il est pourtant la plus parfaite définition de notre monde, où rien

n’est élémentaire et simple.

Pourtant, notre histoire des sciences, au travers de ces systèmes de pensées et

découvertes nous a longtemps (presque de tout temps, depuis l’antiquité) présenté

l’univers comme un objet analysable, compréhensible, où tout est observable,

quantifiable, susceptible d’être simplifié. Jusqu’à l’émergence de la complexité…

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3.1.2. Détour historique

Il convient de faire un détour pour mieux comprendre l’apparition récente de l’idée

de complexité. Dans son « Introduction à la pensée complexe », Morin nous invite au

préalable à prendre conscience de l’aspect réducteur de la pensée cartésienne,

dominante en Occident, qui ne prend pas en compte la globalité des phénomènes mais

au contraire les découpent, les mutilent, les isolent pour mieux les comprendre. Cette

simplification volontaire empêche d’observer le réel dans son intégralité. Les

mouvements de la cybernétique (Wiener) et de la théorie des systèmes (Ludwig von

Bertalanffy) dans les années 50 apportent un terreau à l’épanouissement de la pensée

complexe, en mettant au centre de ces théories le système dans sa globalité et non plus

les parties qui le composent, et en intégrant le principe de rétroaction (ou feed-back)

avec l’environnement et les éléments en rapport. Par la suite, l’intégration de la notion

de système ouvert, tiré du deuxième principe de la thermodynamique (ou principe de

Carnot) amène un précepte d’évolution des systèmes conduisant à l’entropie (expression

du niveau de désordre de la matière). Hors, tout est système dans notre monde. Cela

pose le postulat que « les lois d’organisation du vivant ne sont pas d’équilibre, mais de

déséquilibre, rattrapé ou compensé, de dynamisme stabilisé » (p. 31) et que le système

doit concevoir sa propre intelligibilité, à la fois en lui-même, mais aussi en lien avec son

environnement. Morin souligne que cette relation « n’est pas qu’une simple

dépendance, elle est constitutive du système » (p. 31) Les théories de l’information

viennent ensuite limiter l’entropie, car plus le système reçoit d’informations, plus il est

complexe, et plus il peut s’organiser pour répondre à ces informations. Cette réponse à

des messages de la part du système est le point de départ de la théorie de l’organisation,

ici vu comme organisation du vivant, ou auto-organisation.

Nous voici aux portes de l’approche de Morin et de sa proposition du système :

En même temps que le système auto-organisateur se détache de l’environnement

et s’en distingue, de par son autonomie et son individualité, il se lie d’autant

plus à lui par l’accroissement de l’ouverture et de l’échange qui accompagnent

tout progrès de complexité : il est auto-éco-organisateur. (p. 46)

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L’être humain est un système auto-éco-organisateur, comprenant l’intégralité de

l’univers dans son esprit, lui-même partie intégrante de l’univers. A la fois sujet et objet du

monde, sans paradoxe ni disjonction. Car complexe…

3.1.3. Principes de la pensée complexe

Cette approche du monde, pouvant être perçue comme nébuleuse, ne doit pas

effrayer ou rebuter. Ipso facto, elle existe. Morin suggère de façonner son esprit en

pleine conscience de ce phénomène, et présente les principes de la pensée complexe

comme outil facilitant l’appréhension de la complexité.

Si la complexité est non pas la clé du Monde, mais le défi à affronter, la

pensée complexe est non pas ce qui évite ou supprime le défi, mais ce qui

aide à le relever, et parfois même à le surmonter. (p. 13)

Morin expose trois fondements pouvant concourir à penser la complexité : la

dialogie, la récursion organisationnelle et le principe hologrammatique.

Le principe dialogique permet une forme de dialogue entre deux logiques (ou plus),

en apparence antagonistes, mais complémentaires et indispensables l’une à l’autre.

Comment expliquer l’ordre sans le désordre, la vie sans la mort, les sciences de la

complexité sans la pensée cartésienne ? La dialogie permet de maintenir la dualité,

l’existence simultanée de principes antagoniques au cœur même de l’unité du

phénomène. Elle associe ces principes pour servir la compréhension globale d’un

système complexe. « L’ordre et le désordre sont deux ennemis : l’un supprime l’autre,

mais en même temps, dans certains cas, ils collaborent et produisent de l’organisation et

de la complexité. » (p. 99)

La récursion organisationnelle définit un processus où les produits d’un système sont

à la fois à l’origine et le résultat de ce qui les produit.

On retrouve l’exemple de l’individu, de l’espèce et de la reproduction. Nous

individus, nous sommes les produits d’un processus de reproduction qui est

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antérieur à nous. Mais une fois que nous sommes produits, nous devenons

les producteurs du processus qui va continuer. (p. 100)

Ce principe vient en dissension avec la classique conception des causes produisant

les effets, des produits générés par des organes producteurs. Ici, Morin nous amène à

nous considérer et à examiner les systèmes comme produits et producteurs, dans un

processus auto-constitutif, auto-organisateur et auto-producteur. (p. 100).

Le troisième principe de la pensée « morinienne » est le principe hologrammatique,

qui définit la partie comme étant incluse dans le tout et le tout est intégré dans la

partie. « Dans le monde biologique chaque cellule de l’organisme contient la totalité

de l’information génétique de cet organisme. » (p. 100). Ce principe sert pour

considérer l’élément-système dans son ensemble, sans en ignorer chaque partie le

constituant, et rappelle que chaque élément contient le principe de la structure de

l’ensemble. D’ailleurs, « dans la logique récursive, on sait très bien que ce qu’on

acquiert comme connaissances des parties revient sur le tout. Ce qu’on apprend sur les

qualités émergentes du tout, tout qui n’existe pas sans organisation, revient sur les

parties. » (p. 101).

Ces trois éléments sont intrinsèquement imbriqués, les uns et les autres se répondant,

le principe hologrammatique étant inhérent au principe de récursion organisationnelle,

lui-même en lien avec le principe dialogique. Par ces principes, Morin pose les

fondements de la pensée complexe comme outil pour comprendre le réel, pour aborder

ce qu’il nomme dans « La méthode » l’Unitas multiplex : la caractéristique paradoxale

de tout système qui pris comme un tout, est « un et homogène » et observé par les

éléments le constituant, est « divers et hétérogène ». Ainsi, le système est l’union de

l’unité et du multiple.

Grace à ces principes, l’humanité peut observer le réel dans sa réalité, dans toute sa

complexité. Elle peut alors entrer en action, à la recherche d’informations, luttant contre

le hasard et le caractère imprévisible que revêt la complexité. Pour Morin, l’action est

un pari, en tant que prise de conscience du risque et de l’incertitude, le plus souvent

échappant à nos intentions propres.

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Il n’y a pas, d’un côté, le domaine de la complexité qui serait celui de la

pensée, de la réflexion et, de l’autre, le domaine des choses simples qui

serait celui de l’action. L’action est le royaume concret et parfois vital de la

complexité. (p. 108)

La complexité appelle à une stratégie. L’action est une stratégie inhérente à

l’approche par la pensée complexe et la pensée complexe est indispensable pour une

action plus riche, une stratégie moins simplificatrice, pour des solutions nouvelles et

adaptées. Pour avancer vers la complexité, vers ses inattendus et ses incertitudes, la

pensée complexe suggère de se conjuguer à la pensée simplifiante, empreinte dans nos

pratiques. Elle offre d’associer le paradigme de simplicité au paradigme de complexité,

dans un effort dialogique, en s’associant aux principes nécessaires de disjonction, de

conjonction et d’implication (p. 104).

3.1.4. Visée

Morin nous invite par son ouvrage à revoir notre système de représentation, à

aborder de manière complexe notre aperception du monde.

Son discours est « de rendre sensible aux énormes carences de notre pensée, et de

comprendre qu’une pensée mutilante conduit nécessairement à des actions mutilantes. Il

est de prendre conscience de la pathologie contemporaine de la pensée. » (p. 23)

Pour Morin, notre mode de pensée est malade, sclérosé, mutilant le réel et notre

esprit a besoin d’un traitement favorisant la pensée complexe. Ses principes peuvent

accompagner une réflexion de la complexité. Son ouvrage est un plaidoyer pour

l’intégration de la pensée complexe dans nos vies, dans nos pratiques, dans nos esprits.

3.2. Apprendre !

« Apprendre ! » d’André Giordan est construit comme un petit traité de l’apprendre,

reprenant des définitions, les évolutions dans la transmission de connaissances et dans

l’approche des apprenants, amenant des vues actuelles sur le phénomène

d’apprentissage, et suggérant des transformations, un modèle, le modèle allostérique,

pour aborder l’apprendre, en impliquant et concernant potentiellement tous les

individus. A destination de toutes personnes en lien avec des situations d’apprentissage,

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ce livre est conçu comme un livre-ressource sur l’ « apprendre », pour le comprendre,

faire le point et enseigner autrement, en proposant à la fois des solutions pratiques, mais

surtout en faisant cheminer l’esprit vers une approche plus globale et complexe de

l’apprendre.

3.2.1. Des idées sur l’apprendre

Le terme même est sujet à interprétations subjectives. Suivant que notre expérience

de l’apprentissage ait été douloureuse, compliquée, facilitée ou joyeuse, notre

conception personnelle de l’apprendre est fortement lié à notre vécu personnel. Giordan

le souligne dés les premières pages de son ouvrage en mettant en avant l’importance de

l’apprenant, de ses bagages culturels, intellectuels, conceptuels et la nécessité de leurs

prises en compte et des savoirs de l’apprenant.

Il fait le distinguo entre apprendre et enseigner, qui sont des positions différentes

dans un même contexte, revient sur le décalage entre ce qui est enseigné du point de

vue de l’enseignant et ce qui est appris (reçu) par l’apprenant. Partir des conceptions

de l’apprenant devrait être « le point de départ obligé de tout projet éducatif. »

(Giordan, 1998, p. 30)

Pourtant encore aujourd’hui, dans l’enseignement, des postures demeurent et

résistent, affichant les traditions en matière d’apprentissage. Par exemple, l’empirisme

pose l’apprenant comme un vase vide à remplir, dans une transmission linéaire et

unilatéral du savoir, à l’instar des cours magistraux. Ni l’apprenant ni ses conceptions

n’y sont pris en compte. Le conditionnement, stimulant par récompense ou punition

l’apprenant pour lui faire adopter le comportement attendu, assimile l’apprendre à un

réflexe. Le constructivisme, basé sur les intérêts et les besoins de l’apprenant, incite ce

dernier à aller chercher l’information et lui donne un rôle d’acteur/auteur, l’impliquant

plus fortement.

Giordan ajoute une posture, convaincu que l’acte d’apprendre ne peut se passer que

par un phénomène de déconstruction où « L’Apprendre se construit toujours « contre »

ce que l'on sait déjà » (p. 61). Et il nous indique des pistes à suivre, des points de

vigilance pour un apprendre en capacité d’accompagner notre monde moderne.

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3.2.2. L’apprendre de Giordan

Aujourd’hui, nulle part, l’apprendre n’est valorisé. Pourtant apprendre est ce qui

permet de s'adapter à ces évolutions, de les comprendre. Apprendre est synonyme de

vie, d'analyse de celle-ci, de sa critique même. Apprendre est une nécessité pour devenir

un citoyen éclairé avec des armes composées de savoir-être et de savoir-faire.

Apprendre est un enrichissement pour l'Homme et le moteur de son évolution.

Apprendre ouvre alors sur une infinité de voies. Apprendre peut devenir un

nouvel « art de vivre » : l’art d’entretenir jusqu’à un âge adulte « ce feu » que

Montaigne voulait allumer chez l’enfant. Il peut tout simplement servir « à ne pas

rouiller » et à être prêt à rebondir ou à évoluer en permanence. Il peut, au travers

de multiples démarches, répondre au besoin de devenir plus humain. (p. 81)

L’apprendre est indispensable à notre évolution, voire à notre survie à long terme.

Pour Giordan, cet apprentissage se conçoit non pas en termes de disciplines

compartimentées comme le propose l’enseignement aujourd’hui, mais en système

global soumis à de multiples interactions, un paradigme regroupant les connaissances,

une approche complexe du savoir.

Il souligne également le fait que l’on apprend au travers de ce qu’on est. L’apprenant

ne peut être qu’au cœur du dispositif d’apprentissage, avec une attention particulière

portée à ce qu’il est. Cela met aussi en évidence le fait qu’il n’existe pas une façon

unique et universelle d’apprendre. Chaque individu passe par ses propres

circonvolutions, a ses propres obstacles et ses dispositions. En avoir conscience et

essayer de comprendre qui est l’apprenant demande de porter un regard admettant cette

individualité et cette complexité.

Cette prise en compte ne peut se faire sans aborder une considération du système et

de l’environnement, obligatoire et nécessaire à la compréhension du système, ici

l’apprenant, dans sa globalité. Cet élément fait partie des outils que Giordan propose

pour un apprendre tourné vers l’apprenant.

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D’autres principes sont mis en avant, comme déclencher le désir et l’envie

d’apprendre, accroitre la motivation, dont il souligne qu’elle n’est rien sans

l’environnement « elle est une sorte de réponse à ce dernier » (p. 100). Apprendre, c’est

aussi se questionner, se confronter à la réalité et aux autres, s’exprimer, argumenter et

mettre en réseau « « Action, expression, mise en relation, confrontation ne s’excluent

pas, mais se complètent. » (p. 124). Pour Giordan, l’apprenant doit être amené à se

poser des questions, à entrer en action. Toutes ces actions permettent de donner du sens

aux apprentissages et entretiennent la motivation. L’enseignant (ou formateur) ne devra

pas se reposer sur ses méthodes ou son fonctionnement : « Ne pas croire que l’équilibre

est permanent. Il s’agit en réalité d’un déséquilibre constamment rectifié. » (p. 112).

Cette vision de déséquilibre permanent et corrigé sans cesse ne présenterait il pas la

relation d’apprentissage comme un système complexe, tendant vers l’entropie, que

l’information et les rétroactions viennent réguler ?

Giordan nous propose une approche complexe de l’apprendre : « Apprendre

comprend une quadruple dimension : cognitive (le traitement de l'information), affective

(les intentions et l’implication personnelle), métacognitive et sociale (ce que l'on

apprend dépend de son mode de vie, des technologies). » (p. 160) couvrant plusieurs

axes, permettant une vision et un entendement plus globale de l’apprenant.

Enfin, concevoir les enseignements de manière globale et transversale, dans une

vision de complexité et non de segmentation, rendrait les savoirs plus accessibles, en

donnant plus de sens et de liens possibles avec les acquis précédents et ceux en cours.

Dans ces préconisations, Giordan pose de connaitre l’apprenant, de connaitre

l’apprendre, de mettre en place un environnement didactique, de concevoir le métier

d’enseignant comme celui de médiateur, vecteur de connaissances, pour atteindre une

éducation intégrée, une école impliquant l’élève, le rendant acteur et auteur de ces

apprentissages, lui (re-)donnant l’envie d’apprendre. Nous sommes alors face à une

triple prise de conscience dans la situation d’apprentissage : celle de l’apprenant en tant

qu’individu chargé d’une histoire et de connaissances, celle de l’enseignant adoptant

une pratique de réflexivité et favorisant les rétroactions, et celle de la situation elle-

même, autant dans les contenus que dans les méthodes. Car « Prendre conscience de ses

méthodes de travail, de ses capacités de mémorisation, contrôler ses activités pour les

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utiliser à mieux escient fait partie de la réussite de l’apprendre. » (p. 184). Et c’est ce

que vise Giordan, une école où l’apprentissage soit une réussite, vécue de toute part.

3.2.3. Visée

Dans un monde à (re-)construire pour pouvoir y vivre encore, l’apprendre nous

concerne tous. L' «Apprendre» aujourd'hui doit tenir compte de l'évolution économique,

sociale, humaine, politique... du monde. Il doit être la base de l'adaptation et de la

création d'une nouvelle société. Les changements sont rapides et nous devons être

capables de nous y adapter. Le citoyen se doit alors d'être acteur mais aussi auteur du

monde qui l'entoure, il a donc besoin de savoir rechercher, décoder, trier et traiter

l'information dont il dispose.

La priorité n’est plus d’enseigner des contenus disciplinaires mais

d’introduire chez l’apprenant une disponibilité, une ouverture vers les savoirs,

la curiosité d’aller vers ce qui n’est pas évident ou familier, un mode

d’investigation à même de répondre aux défis en cours ou en gésine. (p. 248)

Il importe d’apprendre à apprendre et l’attitude de l’apprenant est plus importante

que les connaissances factuelles qu’il engrange. Les connaissances fondamentales (lire,

écrire, compter) ne sont plus suffisantes. La curiosité, l'ouverture d'esprit, le sens

critique doivent être mis en avant. Apprendre n’est plus engranger l’expérience

accumulée par les anciens, mais doit devenir un processus continu, le pivot d'un nouvel

art de vivre qui permettra l'anticipation et l'invention de nouvelles façons de vivre. Il

s’agit maintenant de penser autrement dans un monde nouveau, où « Le plus important

devient la question, plus que la réponse… La solution renvoie à un cadre figé, la

question à l’autonomie de la pensée de l’individu. » (p. 249)

Giordan ne réclame pas une adaptation du système mais une refonte découlant des

nouveaux enjeux inhérents à l'évolution de la planète. Apprendre ne doit plus être le

remplissage d'un cerveau de savoirs pour toute une vie mais le développement de celui-

ci pour qu'il soit capable d'évoluer, d'engranger et de proposer de nouvelles choses. Le

savoir doit se décloisonner, la pensée complexe introduite pour que « naissent » des

êtres responsables, susceptibles de perdurer dans ce monde complexe. « Apprendre, sur

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le plan personnel, c’est comprendre. Dans sa dimension sociale, c’est acquérir des

compétences collectives pour participer à un projet de la Cité. » (p. 249)

Ainsi, Giordan nous propose d’admettre que le monde est complexe, malgré nos

conceptions et nos préjugés, d’intégrer ce concept à nos pratiques, aux situations

d’apprentissage, de faire entrer la pensée complexe dans l’apprendre, pour faire des

citoyens de demain des individus conscients de l’importance des échanges (rétroactions)

pour construire une société où l’on puisse (tous) vivre ensemble.

4. A la croisée des ouvrages

A l’analyse de ces deux ouvrages, nous relevons que les discours des deux auteurs se

rejoignent. Là où Morin, de manière synthétique, nous expose ce qu’est la pratique de la

pensée complexe dans ce contexte de complexité, Giordan nous en propose un domaine

d’application, le champ de l’apprentissage.

Tous deux remettent en cause la naïveté du paradigme de simplicité, tout en

reconnaissant son importance pour la compréhension, jusqu’à aujourd’hui, de notre

monde. Concevoir le monde de manière globale par le prisme de la simplicité s’avère

impraticable.

La conscience écologique peut être très facile dés qu’il s’agit de maux, de

nuisances : voilà un Tchernobyl, voici un Seveso, voici une catastrophe.

Mais la pensée écologisée est très difficile parce qu’elle contredit des

principes enracinées en nous dés l’école élémentaire, où l’on nous apprend à

faire des coupures et des disjonctions dans le tissu complexe du réel, à isoler

des domaines du savoir sans pouvoir désormais les associer. Puis on nous

convainc qu’on est condamné à la clôture des disciplines, que leur isolement

est indispensable, alors qu’aujourd’hui les Sciences de la Terre et l’écologie

montrent qu’un remembrement disciplinaire est possible. Nous sommes en

quelque sorte commandés par un paradigme qui nous contraint à penser

l’individu séparé de son environnement et de son habitus, à enfermer les

choses en elles mêmes. (Morin, 1989)

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Pour nos auteurs, dans notre époque actuelle, il est temps de changer de paradigme,

pour se tourner vers celui de la complexité. « L’acceptation de la complexité, c’est

l’acceptation d’une contradiction, et l’idée que l’on ne peut pas escamoter les

contradictions dans une vision euphorique du monde.» (Morin, 2005, p. 86). Pour

Giordan : « Apprendre, comprendre, s’approprier des savoirs est l’un des enjeux du

troisième millénaire. ». Nous sommes sur une visée projective, où l’humanité devra être

capable de déconstruire ces conceptions, à l’instar de ce que préconisait Gaston

Bachelard quand il signale les nombreux obstacles épistémologiques parasitant les

démarches scientifiques (Bachelard, 1938). La pensée complexe, intégrée à l’acte

d’apprendre, est une solution. L’appréhension du monde comme un système global est

indispensable.

La complexité c’est l’union de la simplicité et de la complexité ; c’est l’union

des processus de simplification qui sont sélection, hiérarchisation, séparation,

réduction, avec les autres contre-processus qui sont la communication, qui

sont l’articulation de ce qui est dissocié et distingué ; et c’est d’échapper à

l’alternative entre la pensée réductrice qui ne voit que les éléments et la

pensée globaliste qui ne voit que le tout. (Morin, 2005, p. 135)

Joël De Rosnay (1975) exprime aussi la nécessité d’une approche systémique en

complément de l’approche analytique, pour un regard global de notre monde, une vision

au macroscope, accompagnée d’une éducation systémique.

Giordan, dans sa proposition pour l’apprendre (Giordan, 1998), fait entrer en

résonnance les principes de la pensée complexe (Morin, 2005), en intégrant dans les

pratiques d’enseignement des échanges favorisant le feed back, processus

d’autorégulation, et l’interrogation, l’argumentation où l’apprenant devient produit et

producteur de ces apprentissages, suivant le principe de récursion. En intégrant dans

leur globalité les notions et en favorisant leur transversalité, il n’isole pas les

enseignements, et les poussent à entrer en dialogue, à faire des ponts entre eux, ceci

pouvant s’apparenter au principe de dialogie. Enfin, en proposant l’adoption d’un

« méta » point de vue, il favorise une vision englobante, prenant en compte les parties et

abordant ainsi le principe hologrammatique.

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Morin souligne dans un ouvrage à la jonction des deux textes étudiés ici, « Les sept

savoirs nécessaires à l’éducation du futur », l’importance d’une réforme de la pensée,

incluse dans l’éducation, et ainsi dans l’apprendre. « Hors, cette réforme est

paradigmatique et non programmatique : c’est la question fondamentale pour

l’éducation, car elle concerne notre aptitude à organiser la connaissance. » (Morin,

2015, p. 39). Il accompagne par ce biais le souhait de Giordan d’une école axée sur la

compréhension de l’apprenant et de solutions d’apprentissage différentes : « Pour

comprendre l’importance vitale de la compréhension, il faut réformer les mentalités, ce

qui nécessite de façon réciproque une réforme de l’éducation. » (p. 128). Ce

changement allie la prise en compte des individus aux principes de la complexité : « Par

conséquent, l’éducation doit promouvoir une « intelligence générale » apte à se référer

au complexe, au contexte de façon multidimensionnelle et au global. » (p. 43)

Et en effet, quel meilleur moyen d’apprendre, de comprendre ce qui nous entoure

qu’en décloisonnant le savoir, en considérant à la fois le tout et les parties de ce tout.

Dans un monde en évolution constante, l’adaptabilité, cette caractéristique inhérente à

l’être humain, indispensable de manière ancestrale à notre survie serait plus prégnante

encore.

Le citoyen d’aujourd’hui et de demain se doit d’être acteur et auteur de ce monde qui

l’entoure, et comprendre son environnement complexe. « Comprendre, c’est aussi, sans

cesse, apprendre et ré-apprendre. » (Morin, 2015, p. 125)

La recherche et la compréhension des informations est un besoin pour le permettre.

Apprendre est un moyen. Apprendre à apprendre dans la complexité une réponse à cette

problématique (s’adapter, s’informer pour être acteur et auteur de ce monde)

« Aujourd’hui il ne s’agit pas de sombrer dans l’apocalypse et le millénarisme, il

s’agit de voir que nous sommes peut être à la fin d’un certain temps et, espérons le, au

commencement de temps nouveaux. » (Morin, 2005, p. 158)

Sans l’introduction de la pensée complexe dans nos habitudes, dans nos

apprentissages, nous poursuivons notre route vers l’entropie, et si l’on suit la définition

des théories du système, vers la désintégration du système. Aujourd’hui, comme le

souligne De Rosnay (1975) nous tendons vers cette finalité, que ce soit sur les plans

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écologique, économique ou sociétal, avec un raisonnement allant vers toujours plus de

croissance, en mode exponentiel, suivant le principe de boucles de régulation positives.

Si ces nouvelles données contribuent à faciliter et à accélérer la transformation

dans le même sens que les résultats précédents, on est en présence d’une boucle

positive (positive feed back) : ses effets sont cumulatifs. Par contre, si ces

nouvelles données agissent en sens opposé aux résultats antérieurs, il s’agit

d’une boucle négative (negative feed back). Ses effets stabilisent le système.

Dans le premier cas, il y a croissance (ou décroissance) exponentielle. Dans le

second cas maintien de l’équilibre. (De Rosnay, 1975, p. 100)

La pensée complexe, favorisant l’action à la recherche d’informations, génère de la

néguentropie (De Rosnay, 1975), terme issu de la cybernétique désignant l’évolution

d'un système présentant un degré croissant d'organisation, permettant ainsi au système

de passer du désordre à l’ordre. C’est ce qui serait à mettre en place pour le maintien de

l’équilibre (fragile) de notre monde.

« Ce qui porte le pire péril porte aussi les meilleurs espérances : c’est l’esprit humain

lui-même, et c’est pourquoi le problème de la réforme de la pensée est devenu vital. »

(Morin, 2015, p. 90)

En complément, nous souhaitions aborder une thématique que Morin traite dans son

« Introduction à la pensée complexe », quand il rapproche la complexité du monde à

celle de l’entreprise : « L’entreprise, organisme vivant, s’auto-organise et fait son

autoproduction. » (p. 116). L’entreprise est un système complexe et ne peut être perçu

que comme tel. Jeanne Mallet (2001) rejoint cette position, en présentant l’entreprise

sous le couvert de la complexité. Elle aborde la notion de co-émergence ou énaction de

Varela (1988) (qui s’apparente à l’auto-éco-organisation de Morin) en proposant de

penser les entreprises comme apprenantes, favorisant l’apprentissage tout au long de la

vie professionnelle, et ainsi s’organisant, se réorganisant en fonction des nécessités liés

aux évolutions. Elle rencontre ainsi également les visées de Giordan, car bien que celui-

ci adresse plus son « Apprendre » à l’enseignement, il conclut par des vues plus

globales intégrant tout citoyen, tout humain. La vision de Jeanne Mallet s’oriente vers

l’humain dans l’entreprise, vers une responsabilisation des acteurs, par une écoute

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active des besoins, une recherche de sens et une animation du changement. Dans notre

monde en constante évolution, en changement permanent, la formation apparait comme

un moyen, un levier vers une adaptabilité rendue obligatoire par notre contexte actuel.

Dans le monde de l’entreprise, l’approche par la complexité connait un certain succès,

le système entreprise étant en forte interaction avec son environnement interne et

externe, et en quête permanente de novation. Dominique Genelot annonce d’ailleurs que

« Refuser la complexité, c’est refuser l’évolution et les occasions de progrès. »

(Genelot, 1992, p. 23). Bien qu’axé sur la conduite du management prenant en compte

la complexité, Genelot rejoint Morin dans ces définitions et dans ces attentes, vers une

nouvelle conception de l’organisation où celle ci n’est pas un état fini, mais un

processus de transformation permanente. « C’est à un changement continu qu’il faut se

préparer. L’organisation devient l’art de gérer cette évolution permanente. » (p. 218)

Jeanne Mallet synthétise ce changement de paradigme en suggérant de faire évoluer

les concepts d’indépendance vers celui d’interdépendance, de monde permanent et

statique vers un monde impermanent et dynamique, de séparation entre le sujet et

l’environnement versà l’auto-éco-organisation de Morin, d’une vision déterministe vers

la théorie du chaos (Mallet, 2001, p. 148). Une autre manière de changer de regard, de

porter les lunettes de la complexité, d’observer au macroscope (De Rosnay, 1975) notre

monde, notre société, notre écologie, notre économie, nos organisations, nos

organismes, nos cellules : nous et notre environnement.

5. Sur un chemin personnel

Notre monde aujourd’hui est hyper connecté, avec des flux d’information

permanents.

La pensée complexe, incitant l’esprit à avoir une vision systémique du monde,

apparait comme un outil permettant de (mieux) comprendre le réel. Ma vision du réel et

de ce que je sais vient en partie de mes acquis scolaires et personnels, mais au delà de

mon appréhension du réel, subjective et en prise au sens.

Nous être humains, sommes trop complexes pour être définis de manière simple,

caractérisés, le mode sur lequel nous vivons est trop complexe pour être découpé en

tranches identifiables, mutilé ; jusqu’à nos plus petites particules agissent en interaction

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avec leur environnement de manière complexe, au sens d’inattendu, en rétroaction

permanente avec leur milieu. Un élément qui ne rétroagit pas est un élément mort, hors

du vivant. Aujourd’hui, les machines sont programmables. Notre société ne l’est pas.

Elle est ce que nous en faisons, nous tous individualités complexes, elle est le tout

composé de ses parties, à la fois plus et moins que notre somme réunie. Comme nous

sommes composés des éléments qui font de nous un organisme complexe.

Commencer à méta-observer par le prisme de la complexité met en question et en

lumière, sans paradoxe, nos fonctionnements, nos interactions. Et nous prenons alors

conscience de ces interactions, de ces rétroactions, de ces flux d’informations modifiant

sans cesse notre réel, le réel. Nous avançons avec, par et vers de l’incertitude. Mais nous

devenons alors capables à nouveau de créativité, d’adaptabilité. Il ne resterait qu’à

utiliser à nouveau ce don qu’est notre formidable adaptabilité pour englober dans notre

vision le monde dans son intégralité, en contextualisant toute action, en prenant en

compte les interactions. Nous le verrions alors dans sa complexité, et nous pourrions le

vivre et le com-prendre , le « saisir ensemble », non pas comme une vérité-messe, finie

ou achevable, mais comme un mode en perpétuel changement, du fait que tout les

éléments qui le composent sont eux-mêmes en mutation permanente. Agissons en

conscience de ces complexités, dans le respect, l’écoute, l’autonomie, l’interdépendance

et la remise en question (la réflexivité ?). Pour mettre en contexte nos connaissances, les

remettre en question, les faire évoluer, avancer…

Mais dans la réalité comment fait-on ? Après le postulat que le monde est complexe,

relativement acceptable quand nous sommes amenés à l’observer et à tenter de le

comprendre, après avoir lu Morin et assimilé l’outil qu’est la pensée complexe, nous

autres, êtres humains, sommes nous capables de changer notre vision du monde ?

Souhaitons-nous vivre de manière coopérative, qualitative, tourné vers l’autre mettant à

bas toutes les conceptions sur lesquelles nous avons bâti nos convictions ?

Au-delà du discours, cohérent et de plus en plus alarmant au fur et à mesure que le

temps passe sur notre humanité, l’action parait la seule solution pour accompagner ce

changement vers un monde plus en phase avec sa réalité, vers une société moins

autodestructrice. Dans une dimension projective, car il nous parait impossible de

changer le monde dans l’instant, une des actions possibles serait l’éducation de

l’humanité à cette approche de la complexité. Une éducation (re-)pensée en termes de

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contenus, intégrant de nouveaux savoirs, se basant sur la transversalité, une éducation

plus à l’écoute des besoins de la personne, plus individualisée, plus valorisante,

favorisant l’erreur et encourageant à expérimenter, mettant en avant la créativité,

l’ouverture des concepts, la remise en question de ce qui est et l’argumentation.

Ce que propose Giordan est proche de ce nous évoquons comme solution pour

amener la pensée complexe au plus grand nombre. Mais nous pensons aussi que le

monde actuel n’est pas prêt à remettre en question son fonctionnement, fuite accélérée

vers une croissance exponentielle de l’humanité, des besoins, vers une consommation

massive et anarchique des ressources. Nous pensons également que l’homme n’est pas

disposé à remettre en question son système de pensée et sa manière de vivre, mais que

la solution vient de ceux qui le sont, une poignée aujourd’hui, surement plus demain, et

pourquoi, un jour lointain, une société entière, pensant le monde comme ce qu’il est,

une écologie-terre sur laquelle vit une société-humanité, chacune, incluant leurs tout et

leurs parties, co-vivant ensemble.

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6. Bibliographie

Bachelard, G. (1938). La formation de l’esprit scientifique. France : J.Vrin.

De Rosnay, J. (1975). Le macroscope, vers une vision globale. Évreux : Éditions du

seuil.

Genelot, D. (1992). Manager dans la complexité. Réflexions à l’usage des dirigeants.

Condé/ Noireau : INSEP.

Giordan, A. (1998). Apprendre ! Paris : Belin.

Giordan, A. & Saltet, J. (2007). Apprendre à apprendre. Paris : Librio.

Mallet, J. (2001). L’entreprise apprenante. De l'organisation formatrice à

l'organisation apprenante en passant par les théories de la complexité. Bouloc :

Université de Provence.

Morin, E. (1989). Pour une nouvelle conscience planétaire. Le monde diplomatique, 36,

427.

Morin, E. (2005, 1ère

éd. 1990). Introduction à la pensée complexe. Lonrai : Seuil.

Morin, E. (2014). Enseigner à vivre. Arles : Actes Sud Éditions.

Morin, E. (2015, 1ère

éd. 2000). Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur. Paris

: Éditions du seuil.

6.1. Webographie

http://andregiordan.com/

http://www.intelligence-complexite.org

http://www.cnrtl.fr