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, journaliste : "Les flammes d'Oslobođenje avaient englouti nos derniers espoirs d'être sauvés par u Extrait du Bosnie-Herzégovine, toute l'actualité et infos http://www.bhinfo.fr/zdenka-brajkovic-journaliste-les,2545/ SIEGE DE SARAJEVO : 20 ANS Zdenka Brajković, journaliste : "Les flammes d'Oslobođenje avaient englouti nos derniers espoirs d'être sauvés par une intervention militaire" - Dossier - Le siège de Sarajevo : 20 ans - Date de mise en ligne : samedi 31 mars 2012 Bosnie-Herzégovine, toute l'actualité et infos Copyright © Bosnie-Herzégovine, toute l'actualité et infos Page 1/9

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Zdenka Brajković, journaliste : "Les flammes d'Oslobođenje avaient englouti nos derniers espoirs d'être sauvés par une intervention militaire"

Extrait du Bosnie-Herzégovine, toute l'actualité et infos

http://www.bhinfo.fr/zdenka-brajkovic-journaliste-les,2545/

SIEGE DE SARAJEVO : 20 ANS

Zdenka Brajković,

journaliste : "Les flammes

d'Oslobođenje avaient

englouti nos derniers espoirs

d'être sauvés par une

intervention militaire"- Dossier - Le siège de Sarajevo : 20 ans -

Date de mise en ligne : samedi 31 mars 2012

Bosnie-Herzégovine, toute l'actualité et infos

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Zdenka Brajković, journaliste : "Les flammes d'Oslobođenje avaient englouti nos derniers espoirs d'être sauvés par une intervention militaire"

"Nous travaillions en équipe, sans quitter le siège du journal pendant une semaine. Sansélectricité, parfois sans eau, dans les conditions inconfortables, comme vivaient à l'époquetous les Sarajeviens, mais à quelques centaines de mètres des tranchés serbes. Oslobodjenje aété régulièrement bombardé, une partie de son bâtiment a été détruite... Mais le journalsortait malgré tout, tous les jours, présent dans les rues de Sarajevo, symbole de larésistance"

BH Info - Le 6 avril 1992 a commencé le siège de Sarajevo. Quel souvenir gardez-vous de cette journée ?

Zdenka Brajkovic : Sincèrement, je ne me rappelle pas du tout du jour même du début de siège de Sarajevo. Lesouvenir est assez flou. Je me rappelle en revanche du Bajram que j'ai fêté avec mes amis la veille de la guerre,donc le dernier de la belle époque, sans pour autant être capable de le situer dans le temps aujourd'hui. Est-ce quec'était le 6 avril ou quelques jours avant, je ne sais pas ! Je sais que l'ambiance de fête était superbe, j'étais d'abordavec mes amis d'enfance, puis après une soirée passée chez les copains Orah et Zehra, nous avons continué la fêteailleurs, Nesko, Amira, Goran et moi. Notre amie Amira est originaire de Stolac ; elle a fait ses études à Sarajevo,puis elle y est restée. Nous étions collègues à Oslobodjenje !

C'était une longue et belle nuit de fête de Ramadan ! Inoubliable ! La jeunesse, le rire, on était plein de vie ! On s'estcouché tard mais on était réveillé tôt par la sonnerie de téléphone. C'était le père d'Amira qui appelait de Stolacpaniqué, il cherchait à joindre sa fille car, disait-il, "la guerre avait commencé" ! C'est ce qu'il avait entendu parler à laradio.

En effet, la guerre avait commencé cette nuit-là sans qu'on s'en rende compte ! Pour moi, néanmoins, il y avaitd'autres dates plus dures encore, comme le 3 mai 1992. C'est ce jour là que pour la première fois nous étionsobligés de quitter notre appartement. Là, j'ai vraiment réalisé que la guerre avait bel et bien commencé. Que letemps d'insouciance était fini, remplacé par l'incertitude et la peur... C'était le début de la fin. Ce matin-là il faisaitbeau, on vendait les journaux d'Oslobodjenje et de Svijet en pleine rue, a côté de Katedrala. Quelque chose demenaçant flottait dans l'air, on sentait que quelque chose de terrible se préparait ! Mon frère me disait qu'il fallaitrentrer le plutôt possible, se rapprocher de Dolac Malta, le quartier où nous habitions...

La suite, tout le monde la connait ! Skenderija, les tramways arrêtés, la ville coupée en deux, l'odeur de la brûlure etde la mort... Sarajevo ressemblait à une ville abandonnée, une ville fantôme. En arrivant chez moi, je me suis renducompte que les voisins étaient déjà partis. Il n'avait personne ! C'était trop dangereux d'y rester, sur le conseil de laTeritorijalna odbrana ils étaient tous partis. Nous aussi, sans rien prendre, à pied, on s'est dirigé vers le quartier

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d'Otoka où j'ai de la famille qui nous attendait ! Là-bas, on a trouvé les habitants déjà bien préparés pour se cacherdans les caves.

Oui, la guerre était là...

Sarajevo se vidait, une partie de nous mourrait...

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BH Info - Les Sarajeviens étaient plutôt naïfs aux yeux des analystes étrangers parce qu'ils croyaient, pour la

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plupart d'entre eux, que la guerre était impossible chez eux. En tant que journaliste, vous avez suivi de prèsce qui se passait à Vukovar, à Dubrovnik... Est-ce que vous doutiez de quelque chose de semblable pour laBosnie ?

Z.B. - Pour répondre à votre question, j'évoquerai un souvenir qui me revient. Un beau samedi ensoleillé, la rueStrosmajerova ressemblait à Stradun, toutes les terrasses étaient occupées par la jeunesse, je sortais prendre uncafé comme d'habitude avec mon mari et les amis et justement, on avait appris ce jour là le bombardement deDubrovnik ! Personne n'y croyait, personne parce on allait bien et quand les gens sont dans leur confort, ils ontl'impression que tout le monde va bien, c'est propre à l'être humain. Les Sarajeviens n'ont en effet rien vu et moi, jefaisais parti de ces Sarajeviens les plus naïfs, alors que la guerre était déjà sur notre porte.

BH Info - Beaucoup de gens sont partis lorsque le siège a commencé. Pourquoi avez-vous décidé de rester ?

Z.B. Quand mes amis ou les membres de ma famille quittaient Sarajevo, pour moi, c'étaient les moments les plusdurs. Je me suis demandée : "S'ils partent tous, comment va-t-on continuer sans eux ?. Est-ce que notre vies'arrêtera-t-elle avec leur départ ? Qu'est-ce qu'on deviendra après ?" Je me sentais très perturbée. Tous les jourson apprenait le départ de quelqu'un de cher, Sarajevo se vidait ! Une partie de notre vie partait avec eux. Sereverrons-nous un jour, quand, où ??? On se posait tellement de questions...

Pourquoi je suis restée ? Par hasard comme j'avais quitté Sarajevo par hasard, après une année de siège. Je penseque pour la plupart de Sarajeviens, c'était pareil. Malgré notre envie de rester ou partir, ce n'était pas si facile de faireni l'un ni l'autre par sa volonté ! Ce sont les choses qui ne dépendaient pas forcement de nous. Je suis restée carc'était dur de laisser la famille et la maison et de se décider de partir. Et puis, partir où, chez qui, pour quoi faire ? Lejour où je l'ai fait d'ailleurs, je n'étais pas fière de moi, je m'en voulais terriblement, je me détestais. Je n'étais passûre de faire un bon choix !

On travaillait sous les bombes mais Oslobodjenjesortait tous les jours

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BH Info - Vous êtes l'une de ceux et de celles que le monde entier admirait pour le courage. En travaillantpour le journal Oslobodjenje, à quelque dizaines de mètres des lignes de séparation, vous avez en effetquotidiennement risqué votre vie au nom du droit à l'information. C'est l'occasion pour vous en remercier etvous rendre hommage. Oslobodjenje a été un symbole fort du siège et de la résistance. Dites-nous plus surl'ambiance qui régnait dans le journal, entre les journalistes ?

Z.B. - Après deux semaines de chaos, deux semaines passées en faisant rien d'autre que d'écouter les infos et derefaire le monde avec les voisins, je suis partie retravailler à Oslobodjenje. La rédaction a pris un autre rythme detravail, partagée en deux équipes : l'une basée en plein centre ville et l'autre dans le bâtiment principal à Nedzarici.Nous travaillions en équipe, sans quitter le siège du journal pendant une semaine car c'était trop dangereux. Sansélectricité, parfois sans eau, dans les conditionnes inconfortables, comme vivaient à l'époque tous les Sarajeviens. Aquelques centaines de mètres des tranchés serbes, Oslobodjenje a été régulièrement bombardé et la circulationdans le bâtiment a été de plus en plus difficile car toute une partie a été détruite.

Mais le journal sortait malgré tout, tous les jours, présent dans les rues de Sarajevo. Il a été rapidement désignécomme le journal symbole de la résistance ! Entre collègues, il y avait beaucoup de partage et de solidarité, etbeaucoup d'amitié.

Est-ce qu'on a vu plus que les autres le catastrophe arriver ? Non, je ne pense pas. On a été plutôt optimiste, onpensait au contraire que la guerre allait finir bientôt, qu'il aurait une intervention militaire des Occidentaux qui vamettre fin à cette guerre etc. Mais avec le temps, l'optimisme a diminué, puis les collègues commençaient à partireux aussi... Dans les flammes de la tour d'Oslobodjenje en feu brûlaient aussi nos derniers espoirs qu'on soit sauvé

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par une intervention ! L'Europe et le monde entier nous avaient oubliés. Il nous restait la solidarité des citoyenslambda...

BH Info - Puis un jour, dans le bâtiment d'Oslobodjenje, vous avez été blessée par le tir du sniper.Racontez-nous comment ça s'est passé ?

Z.B. - Le 9 septembre 1992 une balle m'est atteinte à la jambe gauche, au sous-sol du siège du journalOslobodjenje. Une semaine avant, ma copine Amira a été grièvement blessée au bras gauche sur le carrefour deNedzarici en rentrant d'Oslobodjenje. Quel destin ! Le même qui nous a emmené un jour ensemble à Paris grâce auxsolidarité des Reporteurs sans frontières, notamment de l'ancien directeur des rencontres culturelles à la FNAC, uncertain Francis Bueb. C'est lui aussi qui a envoyé la première aide humanitaire pour Oslobodjenje, afin qu'il continueà sortir !

J'étais hospitalisée à l'hôpital Kosevo où les médecins ont réussi à sauver ma jambe ! Le séjour de deux mois à cethôpital ainsi que le travail extraordinaire des médecins tel qu'Edib Jerlagic, dans les conditionnes inhumaines,méritent beaucoup plus de mots de gratitude que cet article me permet. En avril 1993, j'ai quitté Sarajevo. Le hasarda fait que je m'installe à Paris où je vis encore aujourd'hui.

Je suis Parisienne mais je reste une tenaceSarajevienne

BH Info - Arrivée en France, avec de nombreux intellectuels français et bosniens, vous avez été très activepour essayer d'aider Sarajevo et d'expliquer à la communauté européenne les enjeux de la guerre enBosnie-Herzégovine. Quels sont les moments, les personnes qui vous ont marqués de ce période de votrevie ?

Z.B. - Malgré la politique de F. Mitterrand, la France et ses citoyens étaient toujours aux côtés du peuple bosnien. Lamobilisation des intellectuels pour sensibiliser l'opinion publique m'avait vraiment fascinée. Les manifestations, lestables rondes, les associations que j'ai rencontrées, tout cela me donnait un grand espoir. Ils ont tout essayé pourdire que ce qui se passe là-bas est une guerre injuste.

Bien sûr, le personnage qui m'avait marqué le plus, c'était Francis Bueb. C'est lui qui nous a accueilli, Amira et moi, àParis. Il deviendra après "bosanski André Malraux" ! Comme disait BHL à l'occasion de l'avant première du filmd'Angelina Jolie à Paris, il y a un club secret des amis bosniens qui aiment, respectent et font quelque chose pour laBosnie. Francis Bueb était leur prédécesseur.

J'ai beaucoup de respect aussi pour Jacques Ralite, Romain Goupil, Gérard Rondo, Maren Sell, Maurice Lazar,Boris Najman, François Tangy, Pascal Brukner, André Gluksmann et le Théatre du Radeau. La liste est longue. Ilsont créé une petite Bosnie au coeur de Paris.

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BH Info - Après la guerre, votre mari vous a rejoint en France. Vous avez décidé de faire votre vie à Paris.Pourquoi ?

Z.B. - Mon mari a réussi à me rejoindre à la fin de 1994, après nombreuses difficultés, et nous avons décidé dereconstruire notre vie à Paris. Je pense qu'on a réussi ! Nous avons adopté la culture française, et elle nous adoptéégalement. Les Français nous ont donnés une autre chance et une autre vision du monde. A Paris, j'ai appris unautre mode de vie et la vraie richesse de la diversité. Toutefois, j'ai grandi à Sarajevo et je suis d'abord une tenaceSarajevienne. Nous les gens de Sarajevo, on l'a dans le sang, quelque soit notre adresse actuelle. C'est comme uncode. Nous les Sarajeviens on a le droit de critiquer notre ville et de dire parfois des choses désagréables, maisattention, nous sommes très sensibles si les étrangers fassent la même chose.

BH Info - Vous n'avez donc pas renoncé à rester Bosnienne. Est-ce que cela veut encore dire quelque chose?

Bien sûr que je n'ai jamais renoncé d'être Bosnienne ! Parce que je suis née et j'ai grandi là-bas, c'est ma cultured'origine. Ca serait comme renoncer à votre mère. Je vais très souvent à Sarajevo et à chaque fois, j'ai l'impressionque je ne l'ai jamais quitté. Mais quand je rentre à Paris, je me sens aussi chez moi, je me sens bien.

BH Info - Sarajevo aujourd'hui. On dit que la ville a été nettoyée des chrétiens, qu'elle n'a plus rien d'une villemultiethnique... Est-ce que Sarajevo d'aujourd'hui garde au moins une part de ce qu'il était il y a 20 ans pourvous ?

Sarajevo a perdu beaucoup avec la guerre et les statistiques montrent que ce n'est plus une ville multiethniquecomme avant mais dans mon coeur je la vois toujours comme comme avant parce que ce sentiment là, je le partageavec les vrais Sarajeviens. Et les vrais Sarajeviens sont autant musulmans que chrétiens et juïfs. Je suis incorrigibleoptimiste.

BH Info - Il m'arrive personnellement de ressentir une certaine nostalgie du siège de Sarajevo. Je sais que jene suis pas la seule aussi bizarre que cela puisse paraître. Est-ce que vous aussi, malgré le chaos du siège,avez réussi à retenir du positif de cette expérience ?

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Z.B. - Parfois, moi aussi je suis nostalgique du temps de guerre où Sarajevo vivait et respirait en pleins poumonsmalgré le chaos. Pourquoi ? Peut être on s'aimait plus. Je ne sait pas. Ivo Andric disait que le malheur réuni lesBosniaques, Mesa Selimovic également ! Et qui nous connait mieux ?

Propos recueillis par Zehra Sikias

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