wise: le dossier de le monde du 03/11/2011

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[PAGE: MONDE_EDUC - MONDE_EDUC - 1 - 03/11/11] [IMPRIMEE LE: 01/11/11 14:15 PAR: LOZEVIS] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL Tour du monde de l’enseignement innovant Les Pays-Bas redécouvrent l’école du dimanche. Au Bangladesh, l’anglais s’apprend par téléphone portable. Et une université américaine invente des jeux vidéo qui aident à apprendre. PAGES 2 ET 3 Un défi planétaire Le monde met l’école au défi de s’adapter. L’école met le monde au défi de lui en offrir les moyens. Plus d’un quart de la population du globe a moins de 15 ans. Dans les pays émer- gents, on manque de maîtres, de bureaux et de tableaux. Dans les pays développés, toute une jeunesse s’en- nuie au fond des classes. Près du tiers des enfants de la planète vivent dans des pays où le premier cycle du secondaire est obligatoire mais où cette obligation n’est pas respectée. Et pourtant, l’éducation est la meilleure potion contre la pauvreté. Dans les pays riches, le fléau du décrochage met à mal les logiques gouvernementales. Et pour- tant, les économies de la connaissance ont besoin de tous les cerveaux. Avec le développement des évalua- tions internationales, les ministres cher- chent des modèles à importer, des leviers pour améliorer la qualité de leur école. Mais les classements OCDE voient s’affronter pour la première pla- ce une école cool la finlandaise et une hyper-compétitive la coréenne. De quoi laisser perplexes ceux qui vou- draient faire un copié-collé. De quoi inciter à innover, à inventer, à imaginer une école qui ferait mieux en faisant autrement. D’autant que la vraie question du moment elle risque de rester quelque temps d’actualité est d’optimiser les investissements, à l’heure où l’argent public se fait rare. Même si la part de l’éducation dans les budgets publics est passée de 11,8 % en 1995 à 12,9 % en 2009, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, tous sont soumis à des arbitra- ges de plus en plus stricts. Au nom de la crainte de perdre la confiance des mar- chés dans les pays développés. Parce que la démographie galopante oblige à mettre les bouchées doubles si l’on veut en même temps augmenter les taux de scolarisation et la qualité de l’école dans les pays moins avancés. Les moins riches aussi. Pour toutes ces raisons, Le Monde croit qu’il y a urgence à changer de regard. A penser l’école autrement. Et pour innover, il faut échanger. Compren- dre comment d’autres secteurs réussis- sent à changer. A se repenser, même. Il faut sortir des modèles du XX e siè- cle. Casser la classe ? Qui sait ! En tout cas aider l’écolier à développer une pensée complexe, à la hauteur des enjeux du début de troisième millénaire, le sortir d’un savoir cloisonné, étriqué parfois, pour lui permettre de penser plus global un monde qui l’est devenu. La clé de notre avenir est là. C’est pourquoi Le Monde a choisi d’être partenaire de l’ini- tiative qatarie du WISE, le World Innova- tion Summit for Education. p EDITORIAL Fazle Hasan Abed, lauréat du premier prix WISE pour l’éducation Le BRAC, l’organisation non gouvernementale (ONG) que ce Bangladais a fondée en 1972, a permis la scolarisation de 5 millions d’enfants. Portrait d’un pragmatique éclairé, qui conjugue entrepreneuriat et spiritualité. PAGE 4 Sur lemonde.fr Reportages, compte rendus et portraits pendant la durée du sommet Derrière WISE, il y a toute une philosophie de l’éducation. Pourquoi le Qatar a-t-il décidé de créer ce sommet ? En créant le World Innovation Summit for Education (WISE) en 2009, Son excellence Cheikha Moza Al-Misned souhaitait mettre l’éducation au cœur de notre action, qu’elle soit locale ou globa- le. C’est parce qu’elle a constaté un déficit d’événements dans le domaine de l’éducation que la Cheikhaa créé WISE,initiative d’en- vergure internationaleconsacrée à l’éducation. Le but du sommet est de rassembler des éducateurs et des décideurs pour discuter des questions éducatives. D’autre part, nous savons que l’avenir de notre jeunesse implique que l’on mette l’accent sur l’éducation. Le som- met offre une plate-forme qui per- met aux gens du monde entier de communiquer, de se connaître et d’améliorer l’éducation au service du plus grand nombre. Quelle est l’importance de l’édu- cation pour l’avenir de votre pays et pour celui du monde ? La population du Qatar est peu nombreuse. A nos yeux, elle doit donc recevoir une éducation de haut niveau. En outre, beaucoup de Qataris sont jeunes. L’éduca- tion est d’autant plus importante pour nous. Par ailleurs, les ressour- ces naturelles du Qatar finiront par disparaître : nous devons donc bâtir notre économie sur des bases différentes. Notre avenir dépendra de la manière dont ces jeunes seront éduqués, qu’il s’agis- se d’éducation proprement dite ou de compétences entrepreneu- riales. Il nous faut vraiment inves- tir dans la jeunesse. Plus globalement, il est impor- tant que nous soutenions les évo- lutions éducatives qui rendront le monde meilleur. Mais nous devons aussi observer ce qui se fait et l’exposer au monde. C’est le rôle de WISE. En tant qu’éduca- teur, je considère que l’éducation doit être au cœur de tout ce que nous faisons. C’est la base de tout, en termes d’évolution profession- nelle mais aussi pour mieux com- prendre le monde qui nous entou- re et nous aider à travailler avec les autres dans la tolérance. L’un des défis consistera à finan- cer l’éducation. C’est un point cru- cial. L’importance des nouvelles technologiesau service de l’éduca- tion est une autre question fonda- mentale. Autant de points sur les- quels le sommet se penchera. Le Qatar a créé un campus, Edu- cation City, sur lequel il a invité de prestigieuses universités, américaines pour la plupart, à venir s’installer. Qu’attendez- vous d’elles ? Education City accueille six uni- versités américaines, l’école de managementfrançaise HEC et Uni- versity College London. Nous avons également créé sur place la faculté des études islamiques en réunissantdes spécialistesinterna- tionaux.Nousattendonsde ces éta- blissements qu’ils nous permet- tent d’accéder rapidement à un enseignement de qualité. Dès 1995, la volontéde Son excel- lence Cheikha Moza Al-Misned a été de miser sur l’éducation. Démarrer de zéro nous aurait pris du temps, d’où l’idée de créer un campus rassemblant des antennes de grandes universités internatio- nales, afin de bâtir un campus de qualité. Ces établissements ont en effet la liberté d’exercer leur auto- nomie, et c’est un gage de qualité. Par ailleurs, nous voulions offrir une solution aux femmes du Qatar ne souhaitant pas faire leurs étu- des à l’étranger. Les jeunes femmes représentent aujourd’hui 70 % des étudiants d’Education City. Le campus est enfin un moyen d’attirer des étudiants du monde entier. Nous espérons qu’après avoir obtenu leur diplôme, cer- tains d’entre eux s’inséreront dans le marché local du travail. Le WISE est consacré à l’éduca- tion pour tous, tandis que Edu- cation City est très élitiste. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Pas du tout. Avec WISE, nous voulons proclamer que l’éduca- tion est importante, et ce, pour tous. Nous invitons des pionniers du domaine à venir parler de ce qu’ils font. EducationCity peut donner l’im- pressiond’être élitiste.Mais le cam- pus est ouvert à tous, et applique une procédure appelée « Need- blind admission » : quel que soit votrepays d’origine,si vous ne pou- vez payer les droits d’inscription des universités Georgetown ou Northwestern [présentes à Educa- tion City], nous vous octroierons une bourse ou un prêt. Nous offrons ainsi des prêts à taux zéro, sur lesquels nous tirons un trait si vous restez travailler au Qatar après vos études. Les programmes sont élitistes, mais pas la sélection des étudiants. Nous ne cherchons pas à attirer un certain type d’étu- diants. Nous comptons 75 nationa- lités sur le campus, et beaucoup de ces étudiants n’avaient pas les moyens de payer les droits d’ins- cription. Nous ne regardons que les résultats académiques, indé- pendamment de tout le reste. p Propos recueillis par Benoît Floc’h Le Cheikh Abdulla bin Ali Al-Thani, président du WISE, est également vice-président de la Qatar Foundation chargé de l’éducation. « Il faut investir dans la jeunesse » En organisant la troisième édition du Wise, sommet mondial pour l’innovation dans l’éducation, à Doha du 1 er au 3 novembre, le Qatar offre au monde un espace de réflexion unique. Entretien avec le Cheikh Abdulla bin Ali Al-Thani, qui préside l’événement DR AFP Cahier du « Monde » N˚ 20772 daté Jeudi 3 novembre 2011 - Ne peut être vendu séparément

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Page 1: Wise: le dossier de Le Monde du 03/11/2011

[PAGE: MONDE_EDUC - MONDE_EDUC - 1 - 03/11/11] [IMPRIMEE LE: 01/11/11 14:15 PAR: LOZEVIS] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL

Tourdumondede l’enseignement innovantLes Pays-Bas redécouvrent l’école dudimanche.AuBangladesh, l’anglais s’apprendpar téléphoneportable. Et uneuniversité américaine inventedes jeux vidéoqui aident à apprendre.PAGES 2 ET 3

UndéfiplanétaireLemondemet l’école audéfi de

s’adapter. L’écolemet lemonde audéfide lui enoffrir lesmoyens. Plus d’unquartde la populationdu globeamoinsde 15 ans.Dans lespays émer-gents, onmanquedemaîtres, debureauxet de tableaux.Dans lespaysdéveloppés, touteune jeunesse s’en-nuie au fonddes classes.

Prèsdu tiers des enfantsde la planèteviventdansdes paysoù le premiercycle du secondaireest obligatoiremaisoù cette obligationn’est pas respectée.Et pourtant, l’éducationest lameilleurepotioncontre la pauvreté.Dans lespaysriches, le fléaududécrochagemet àmalles logiquesgouvernementales.Et pour-tant, les économiesde la connaissanceontbesoinde tous les cerveaux.

Avec le développementdes évalua-tions internationales, lesministrescher-chentdesmodèles à importer, deslevierspour améliorer la qualitéde leurécole.Mais les classementsOCDEvoient s’affronterpour la premièrepla-ceune école cool – la finlandaise – etunehyper-compétitive– la coréenne.Dequoi laisserperplexes ceuxqui vou-draient faire un copié-collé.Dequoiinciter à innover, à inventer, à imaginerune écolequi feraitmieuxen faisantautrement.

D’autantque lavraie questiondumoment– elle risquede resterquelquetempsd’actualité– est d’optimiser lesinvestissements,à l’heureoù l’argentpublic se fait rare.Mêmesi la partdel’éducationdans les budgetspublics estpasséede 11,8%en 1995 à 12,9%en2009, enmoyenne,dans les paysdel’OCDE, tous sont soumisà des arbitra-gesde plusenplus stricts.Aunomde lacraintede perdre la confiancedesmar-chésdans les paysdéveloppés.Parceque la démographiegalopanteoblige àmettre les bouchéesdoubles si l’onveutenmêmetempsaugmenter les tauxdescolarisationet la qualité de l’écoledanslespaysmoins avancés. Lesmoinsrichesaussi.

Pour toutesces raisons,LeMondecroitqu’il y aurgenceà changerderegard.Apenser l’écoleautrement.Etpour innover, il fautéchanger.Compren-dre commentd’autressecteurs réussis-sentà changer.A se repenser,même.

Il faut sortirdesmodèlesduXXesiè-cle.Casser la classe?Qui sait ! En tout casaider l’écolieràdévelopperunepenséecomplexe,à lahauteurdesenjeuxdudébutde troisièmemillénaire, le sortird’unsavoir cloisonné,étriquéparfois,pour luipermettredepenserplusglobalunmondequi l’est devenu.La clédenotreavenir est là. C’estpourquoiLeMondea choisid’êtrepartenairede l’ini-tiativeqatarieduWISE, leWorld Innova-tionSummit forEducation. p

E D I T O R I A L

FazleHasanAbed,lauréatdu premier prixWISE pour l’éducationLeBRAC, l’organisationnon gouvernementale (ONG)que ceBangladais a fondée en 1972, a permis la scolarisationde 5millions d’enfants. Portrait d’unpragmatique éclairé,qui conjugue entrepreneuriat et spiritualité.PAGE 4

Sur lemonde.frReportages, compte rendus et portraitspendant la durée du sommet

DerrièreWISE, il y a toute unephilosophie de l’éducation.Pourquoi le Qatar a-t-il décidéde créer ce sommet?

En créant le World InnovationSummit for Education (WISE) en2009, Son excellence CheikhaMozaAl-Misnedsouhaitaitmettrel’éducation au cœur de notreaction, qu’elle soit locale ou globa-le. C’est parcequ’elle a constatéundéficit d’événements dans ledomaine de l’éducation que laCheikhaacrééWISE,initiatived’en-vergureinternationaleconsacréeàl’éducation. Le but du sommet estde rassembler des éducateurs etdes décideurs pour discuter desquestionséducatives.D’autrepart,nous savons que l’avenir de notrejeunesse implique que l’on mettel’accent sur l’éducation. Le som-metoffreuneplate-formequiper-met aux gens dumonde entier decommuniquer, de se connaître etd’améliorer l’éducation au serviceduplusgrandnombre.

Quelle est l’importancede l’édu-cationpour l’avenirde votrepayset pour celui dumonde?

La population duQatar est peunombreuse. A nos yeux, elle doitdonc recevoir une éducation dehaut niveau. En outre, beaucoupde Qataris sont jeunes. L’éduca-tion est d’autant plus importante

pournous.Parailleurs,lesressour-ces naturelles du Qatar finirontpar disparaître : nous devonsdoncbâtirnotreéconomiesurdesbases différentes. Notre avenirdépendra de la manière dont cesjeunesserontéduqués,qu’ils’agis-se d’éducation proprement diteou de compétences entrepreneu-riales. Ilnousfautvraimentinves-tir dans la jeunesse.

Plus globalement, il est impor-tant que nous soutenions les évo-lutionséducativesqui rendront lemonde meilleur. Mais nousdevons aussi observer ce qui sefait et l’exposeraumonde.C’est lerôle de WISE. En tant qu’éduca-teur, je considère que l’éducationdoit être au cœur de tout ce quenous faisons. C’est la base de tout,entermesd’évolutionprofession-nellemaisaussipourmieuxcom-prendrelemondequinousentou-re et nous aider à travailler avecles autres dans la tolérance.

L’undesdéfisconsisteraàfinan-cer l’éducation.C’estunpointcru-cial. L’importance des nouvellestechnologiesauservicedel’éduca-tionestuneautrequestionfonda-mentale.Autant de points sur les-quels le sommet se penchera.

LeQatar a crééun campus, Edu-cationCity, sur lequel il a invitédeprestigieusesuniversités,

américainespour la plupart, àvenir s’installer.Qu’attendez-vousd’elles?

EducationCity accueille sixuni-versités américaines, l’école demanagementfrançaiseHECetUni-versity College London. Nousavons également créé sur place lafaculté des études islamiques enréunissantdesspécialistesinterna-tionaux.Nousattendonsdeceséta-blissements qu’ils nous permet-tent d’accéder rapidement à unenseignementdequalité.

Dès1995,lavolontédeSonexcel-lence Cheikha Moza Al-Misned aété de miser sur l’éducation.Démarrer de zéro nous aurait prisdu temps, d’où l’idée de créer uncampusrassemblantdesantennesde grandes universités internatio-nales, afin de bâtir un campus dequalité. Ces établissements ont eneffet la liberté d’exercer leur auto-nomie,et c’estungagedequalité.

Parailleurs,nousvoulionsoffrirunesolutionauxfemmesduQatarne souhaitant pas faire leurs étu-desàl’étranger.Lesjeunesfemmesreprésententaujourd’hui70%desétudiantsd’EducationCity.

Le campus est enfin unmoyend’attirer des étudiants du mondeentier. Nous espérons qu’aprèsavoir obtenu leur diplôme, cer-tainsd’entreeuxs’insérerontdanslemarché localdu travail.

LeWISE est consacré à l’éduca-tion pour tous, tandis que Edu-cationCity est très élitiste. N’ya-t-il pas là une contradiction?

Pas du tout. Avec WISE, nousvoulons proclamer que l’éduca-tion est importante, et ce, pourtous. Nous invitons des pionniersdu domaine à venir parler de cequ’ils font.

EducationCitypeutdonnerl’im-pressiond’êtreélitiste.Maislecam-pus est ouvert à tous, et appliqueune procédure appelée «Need-blind admission»: quel que soitvotrepaysd’origine,sivousnepou-vez payer les droits d’inscriptiondes universités Georgetown ouNorthwestern [présentes à Educa-tion City], nous vous octroieronsune bourse ou un prêt. Nousoffrons ainsi des prêts à taux zéro,sur lesquels nous tirons un trait sivous restez travailler au Qataraprès vos études. Lesprogrammessont élitistes,mais pas la sélectiondes étudiants. Nous ne cherchonspas à attirer un certain type d’étu-diants.Nouscomptons75nationa-litéssur lecampus,etbeaucoupdeces étudiants n’avaient pas lesmoyens de payer les droits d’ins-cription. Nous ne regardons queles résultats académiques, indé-pendammentde tout le reste. p

Proposrecueillis parBenoît Floc’h

Le CheikhAbdullabinAli Al-Thani,

président duWISE,est également

vice-présidentde laQatar Foundation

chargé de l’éducation.

«Il faut investirdans la jeunesse»EnorganisantlatroisièmeéditionduWise,sommetmondialpourl’innovationdansl’éducation,àDohadu1er au3novembre,

leQataroffreaumondeunespacederéflexionunique.EntretienavecleCheikhAbdullabinAliAl-Thani,quiprésidel’événement

DR

AFP

Cahier du «Monde »N˚ 20772 daté Jeudi3novembre2011 - Nepeut être vendu séparément

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[PAGE: MONDE_EDUC - MONDE_EDUC - 2 - 03/11/11] [IMPRIMEE LE: 01/11/11 14:15 PAR: LOZEVIS] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL

S o m m e t m o n d i a lp o u r l ’ i n n o v a t i o n d a n s l ’ é d u c a t i o n WISE

Cette leçon ne me servira à rien.»Au quotidien, chaque ensei-gnant essaie, dans sa classe, d’enfinir avec cette rengaine aussivieille que l’école. Donner unsens aux apprentissages est un

enjeumondial,auqueltous lespaysdévelop-pés sont confrontés.

Former la jeunesse est une des clés dudéveloppement.Chez les pluspauvres, l’éco-le reste souvent inaccessible. Chez les riches,la jeunessedécroche: ils sontdesdizainesdemillions, de par le monde, à abandonnerleurs études. Sixmillions dans la seule Euro-pe, pointait la Commission européenne enjanvier 2011. Dans cet espace de plus de500millions de personnes, un jeune sursept, entre 18 et 24 ans, quitte le systèmesco-lairesansdiplômeni formation.Leprogram-me Europe 2020 veut faire fondre ce décro-chage de 14,4% à moins de 10% de la jeu-nesse. En Amérique du Nord, commeailleurs, les autorités se battent.

Pour ne plus laisser de côté les élèves quitrouvent qu’aller en classe ne sert à rien, etceux qui, même s’ils apprennent, le fontsans conviction, l’école doit se réinventer.Devenir plus utile, disent certains. Devenirplus ludique, répondentd’autres.Quelques-uns conjuguent ces deuxapproches, a prioriantinomiques, en proposant d’aborderautrement les sciences.

Fin2010, la revuescientifiqueBiologyLet-ters a publié un article démontrant que lesbourdons se souviennent des couleurs etdesmotifs. Ce texte représente «une vérita-ble avancée», commente la Royal Society,dont dépend la revue. Il a pourtant été signépardesenfantsde8ans:desélèvesde l’écoleprimairedeBlackawton,dans leDevon (sud-ouestde l’Angleterre),assistésd’unscientifi-que, Beau Lotto, qui travaille à l’UniversityCollege London. Expérience concluante,mêmes’il est difficiled’envoyerunscientifi-que dans chaque classe.

D’autres expériences sont plus faciles àdupliquer. Comme la Main à la pâte, que laFrance a développée depuis 1996 à l’initiati-ve de Georges Charpak: le Nobel de physi-queavait rapportéduMassachusettsInstitu-te of Technology (MIT) cette manière trèsexpérimentale d’enseigner les sciences.Epaulées par l’Académie des sciences, desmilliersdeclasses,enFranceetdansunequa-rantaine de pays, apprennent désormais en

faisant. Ça plaît, mais cela ne suffit toujourspas à légitimer les savoirs scolaires.

Face à l’urgence d’atténuer le décalagecroissant entre les apprentissages diffuséspar l’école et ceuxque le jeunecroisepartoutailleursdanssavie,pointl’idéedujeuscienti-fique.Unesynthèseparfaiteentrel’expérien-ce ludique et celle qui fait avancer lemonde.«Je suis intimement persuadé que non seule-ment on peut ainsi enseigner des notions,maisque ces notions seront comprises enpro-fondeur si on lesutilisepour résoudredespro-blèmes. Sans compter qu’apprendre les scien-cespar le jeudonned’ellesune imagepositive.Maths et sciences deviennent ainsi “cool”»,résumeZoranPopovic, ledirecteurduCenterfor Game Science à l’université de Washing-ton.Cettestructure,uniqueaumonde,propo-seunenouvelle façond’apprendre.

Ainsi, les jeuxvidéo, que les parents consi-dèrent commeunvéritable fléauparcequ’ilsdétournent des apprentissages scolaires,sont considérés de toute autre manière pardes scientifiquescommeM.Popovic. Celui-ciestime que « le jeu est le seul cadre capabled’engager durablement et intensivement unélève dans un travail collaboratif, au point dedevenir expert d’une discipline. Et c’est bienpour cela que nous nous focalisons sur cettepratique».

Rien d’intuitif dans ses propos.M.Popovics’appuie sur le succès de Foldit, un jeu vidéoen ligne qu’il a développé, où l’on doit plierune protéine et lui donner une forme com-pacte. «Transformer des novices en experts,c’est bien le sens de l’éducation, non? Foldit amontré qu’il était non seulement possible derendredesgensexperts,maisqu’enplusl’intel-ligencecollectivequiémergeaitdujeupermet-tait de résoudredes problèmes sur lesquels lesscientifiques butaient derrière leurs ordina-teurs, au fond de leurs laboratoires. Les étu-diants gravitent naturellement autour de cesjeux. Ils jouent, se concentrent et persistent endépit de leurs erreurs parce qu’ils ont le goûtdu challenge, ils aiment être dans la compéti-tion. C’est pour cette raison que c’est une par-faite plate-forme d’apprentissage», rappellece spécialistemondial du sujet. Foldit est unjeu d’un nouveau genre : un « jeu avec unbut» ou, comme disent les Américains, «aGamewitha Purpose» (Gwap).

Des écoles américaines s’y convertissent.Uneapplicationspécifiqueleurestmêmedes-tinée dans Foldit. Et demain, l’offre s’élargira.

Parcequ’ilpensequele jeupeutvraimentfai-re avancer l’école, le Center forGame Scienceest en train de transformer en un vaste jeutous les programmes de mathématiques del’enseignement primaire et secondaire auxEtats-Unis. «Quand vous apprenez avec unjeu vidéo, il n’y a même pas besoin d’évaluerl’apprentissage. Le jeu sait oùvous en êtes. Ontravaille aussi au centre à rendre les ensei-gnants capables de savoir précisément, grâceà une grille d’analyse, où en est chaque élève.Mais je ne crois pas pour autant que les jeuxremplaceront tous les cours de sitôt. Ils sontcompatibles et complètent les apprentissagestraditionnels.Aveceux,onapprendpartoutetà toutmoment», rappelleM.Popovic.

En 2008, l’Europe a voulu prendre cettevoie avec le projet «Games in schools».Conduit par l’association European School-net, qui associe lesministères de l’éducationde 31pays européens, ce projet vise à dresser

«un état des lieux des usages du jeu vidéodans l’enseignement» dans huit pays euro-péens:France,Royaume-Uni,Autriche,Italie,Danemark,Pays-Bas,EstonieetEspagne.Diri-gévers les enseignantset lesdécideurspoliti-ques, il s’interrogeenparticulier sur«les spé-cificitésqui vont favoriserou freiner les initia-tives de leur introductionen classe».

La listedespréventionsest longue.EnFran-cepeut-êtreplusqu’ailleurs,oùl’académismetient une large place. Julien Llanas, chargé demissionsurlesujetpourl’académiedeCréteil,a utilisé des «jeux sérieux» (des jeux vidéoéducatifs) dans sa classe lorsqu’il enseignait.Face aux jeux collaboratifs scientifiques, ilémetaujourd’huiquelques réservesqui résu-mentassezbienlesréticencesducorpsprofes-soral français. «Souvent, les jeux flirtent avecla communication scientifique. Par ailleurs, ilsposent laquestionde laproductivitédutravail

de l’élève. Amoins qu’on ne le pense sous l’an-gle de l’engagement de l’élève et qu’on estimequelejeupermetdes’inscriredansunepédago-gie de projet, rappelle-t-il. Et puis, est-ce vrai-mentcompatibleavec lamanièredontlesado-lescentsperçoivent le jeu?»

Effectivement, le côté productif des jeuxcollaboratifs, doublé de leur impact sur lemonde, change la donne: nous ne sommesplus dans le domaine de la gratuité. Amoinsqu’ilne faille aborderencoredifféremmentlejeu. Considérerque l’on dispose là d’un levierpouragirsur lemonde,etquecetteapproche-làdoitêtreenseignéetrèstôt.C’estlavisiondeJaneMcGonigal,unechercheuseàl’universitédeBerkeley.Sathéorieestsimpleetassezcom-plémentairedu jeuscientifique.Elleaeneffetcalculé que, depuis que le jeu vidéo en ligneWorld of Warcraft existe (il a été lancé en2004), les joueursyontconsacré5,93millionsd’années. Si ce temps avait servi à changer lemonde, n’aurions-nous pas résolu quelques-unsdenossoucisdeTerriensdutroisièmemil-lénaire? La chercheuseadoncmis les joueursà contributionpour inventer unmonde sanspétrole.Celuiqui joueàEvoke, un jeuqu’elleadéveloppé,peutdécrocherundiplômed’inno-vateursocialdélivréparlaWorldBankInstitu-te. Qui dit que cette approche «utilitariste»ne plairait pas aux élèves, que résoudre devrais problèmes, comme un chercheur, n’estpasmotivant?

On est bien loin de l’apprentissage gratuitet déconnecté. MmeMcGonigal a créé leconceptde«jeude réalitéalternative» (alter-naterealitygames,ouARG)pourdésignercesjeux interactifs qui prennent pour cadre lemonde réel. Elle se pose la question de l’étatde notre planète. Face aux problèmesmajeursquenousdevonsaffronter,ne faut-ilpas utiliser l’expertise de chacun? Et mêmecelledes plus jeunes?

«Le jeu développe une autre attitude aumonde», rappelle legénéticienFrançoisTad-déi, directeur du centre de recherches inter-disciplinairesde l’universitéParis-Descartes.Une attitude efficace : «C’est tout simple-ment comme si on s’amusait à trouver lesrèglesd’unjeu.Maiscegrandjeu,c’est lanatu-re.» Une chance pour raccrocher les décro-cheurs? Ou une chance pour comprendreune planète où les problèmes à résoudresontmultiples? Etpourquoipas lesdeuxà lafois? p

MarylineBaumard

Joueràapprendre, l’idéeutileAuxenseignantsquipeinentàcaptiverleursélèvesetàlesconvaincrequecequ’ilsapprennentleurservira,

deschercheursproposentunalliéinattendu: le jeuvidéo.Maissérieux,voirecollaboratif

«Lejeuestleseulcadrecapabled’engagerdurablementet

intensivementlesélèvesdansuntravailcollaboratif»

ZORAN POPOVICdirecteur du Center for Game Science

àl’université deWashington

2 0123Jeudi 3 novembre 2011

Page 3: Wise: le dossier de Le Monde du 03/11/2011

[PAGE: MONDE_EDUC - MONDE_EDUC - I - 03/11/11] [IMPRIMEE LE: 01/11/11 14:15 PAR: LOZEVIS] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL

Innovative teachingaroundtheworldHolland rediscovers SundaySchool. In Bangla-desh, you can learn English onyourmobilephone.And anAmericanuniversity is inventingeducational video games.PAGES I I & I I I

“Wehave to invest inouryouth”WithitsWorldInnovationSummitforEducation(WISE),whosethirdsessionwillbeheldinDoha,on1-3November,

Qatarhascreatedaworldwideexchangeplatform.InterviewwithSheikhAbdullabinAliAl-Thani,chairmanoftheevent

FazleHasanAbed,firstWise Prize for Education laureateBRAC, theNGO this Bangladeshi founded in 1972, hasgiven 5million children the chance to go to school.Portrait of an enlightenedpragmatistwhopractices anintriguingblendof entrepreneurshipand spirituality.PAGE IV

E D I T O R I A L

AglobalchallengeTheworld is challengingschools to

adapt.Schoolsare challengingtheworldtoprovide themwith thenecessaryresources.

More thanaquarterofourplanet’spopulationisunder 15. Emergingcountriesare facedwitha shortageofteachers,desksandblackboards.Meanwhile, indevelopingcountries,agenerationofpupils is sittingbored intheclassrooms.Almosta thirdof theworld’schildrenlive incountrieswherejuniorhighschool is, in theory, compul-sory–butnotmadeuseof inpractice.Andyeteducationis thebest remedyforpoverty.

In richcountries, thedropout rate isascourgethat leavesgovernmentswonde-ringwhat todo.Andyet theseknowled-ge-driveneconomiesneedall thebrain-powertheycanget. Thedevelopmentofinternationalassessmentsystemshaseducationministries lookingabroadformodels, for levers to improveschoolqua-lity.Chartsandscorecards, though, lea-ve thembaffled. It’shardlysurprising,sinceOECDrankingsshowtwoeducatio-nalmodesbattlingfor firstplace:theFin-nish “cool school”andtheultra-competi-tiveKoreanversion.Thiskindofpara-doxmakes thecut-and-pastemethoddifficult.All themorereason, then, toinnovate, invent, andcomeupwithaformof schoolingthatwill do thingsbet-terbydoing themdifferently.

Especiallysince thebig issuerightnow–and in the foreseeable future– ishowtooptimize investmentwhenpublicmoney is in increasinglyshortsupply.AverageeducationspendingintheOECDcountrieshas risenfrom11.8%ofoverallbudgets in 1995 to12.9%in2009,butnegotiatingfundingisgettingtougherandtougher.There’sthe fear, in thedevelopingcountries,oflosingtheconfidenceof themarket;whi-le in lessadvanced–andpoorer– coun-tries,gallopingdemographicsmeananevengreatereffort isnecessary if there istobemoreandbetter schooling.

Forall these reasons,LeMondebelie-ves inanurgentneedto lookat thingsdifferently.To thinkabout schoolsdifferently. Innovationcalls for exchan-geof ideas.Foranunderstandingofhowchangecomesabout inothersectors.Andfor rethinkingon thepartof all ofus.Therehas tobeabreakwith20th-centurymodels.Viaanendto theclass system?Whoknows?

Butwhatever the case,pupilshave tobehelpedto think inwayswhosecom-plexitymatches thatof the thirdmillen-nium.Theyhave tobe freed fromsegre-gatedandsometimescircumscribedknowledgesystemsif theyare to thinkglobally inaglobalworld.This iswhyLeMondehasdecidedtopartnerWISE,Qatar’sWorldInnovationSummitforEducation.

OntheWebWISE 2011 program:www.wise-qatar.org

WISE is foundedon its own dis-tinctivephilosophy of educa-tion.WhatmadeQatar decideto organize this summit?

The vision behind the WorldInnovationSummit for Education(WISE) and Her Highness SheikhaMoza Al-Misned’s commitment istomake education the core of ourwork, locally as well as globally.Her Highness realized that, whileall sortsof eventswerebeingorga-nized on all sorts of subjects,nothing –or not enough– wasbeing done in the field of educa-tion. So she createdWISE as a glo-bal initiative, bringing educatorsand decision makers together todiscuss the importance of educa-tion –where the future of ouryoung people lies. During WISE,peoplefromaroundtheworldinte-ract, establish relationships andimproveeducationfor everyone.

Howdo you see the importanceof education for the future ofyour country and the future oftheworld?

Qatar has a small populationand should be able to provide itwith top-quality education. Thepercentageofyoungpeopleishighandweknowthat,inthelongterm,things will depend on the educa-tion and entrepreneurial skills wegive them: our natural resources

are not always going to be thereandweneedtobuildoureconomydifferently.Sowhatwe reallyhavetodo is invest inouryouth.

In a broader sense, it’s impor-tant not only to back educationmovements and other forms ofchangearound theworld, butalsotoidentifyprojectsandotherwor-thwhile ventures and give themthe publicity they deserve. This iswhat we’re working on throughWISE. As an educator, I think edu-cation should be at the heart ofeverythingwedo. It’s thebasis foreverything, not just in terms ofindividual professional advance-ment, but also as a means ofunderstanding the world betterandworking together in a spirit oftolerance.

Varietyof educational choice isvery importanttoo.Youneedtrai-nedpolicymakers,youneedengi-neersandcreativepeopleandeco-nomists. The educational offerhas to reflect theseneeds.

One of the challenges here isfunding, which is now a crucialissue everywhere. There’s also thefundamentalquestionofhownewtechnologiescanbeappliedtoedu-cation. All these issueswill be loo-ked intoduring the summit.

Qatarhas createdEducationCity, a campus set up bypresti-

giousuniversities fromabroad.What’s the aimhere?

Currently we have branches ofsix American universities, plusHEC from France and UniversityCollege London. There’s also thefaculty of Islamic Studies that hasbeen created locally with the helpofinternationalexperts.Theinten-tionis tojump-startqualityeduca-tion. When Her Highness becamepolitically influential in 1995, hervisionwas a focus on quality; butwe knew doing things fromscratchwould take time, so it wasimportant for us to jump-startthings by establishing a campushousingbranchesofmajorinterna-tionaluniversities.Wesawthisasaguarantee of quality, in that theseuniversities from abroad will beable tooperateautonomously.

It’s also important to have anoption for women, who prefer tostayhere rather thango abroad tostudy. That’s why we have a highproportion of women in Educa-tionCity –around70%.

Finally, it’s away to attract peo-ple from around theworld to stu-dy in Qatar. Hopefully some ofthem will stay on after they gra-duateand find jobshere.

WISE is education for everyone,while EducationCity is very eli-tist. Isn’t this a contradiction?

Absolutely not. What we’retrying todo throughWISE ismakethe point that education is impor-tantforeverybody.Wechoosepeo-plefromallovertheworldwhoarepioneers in their fields, and invitethem to talk about this. EducationCitymightsoundasthoughit’s fortheelite,butinfactit’sopentoeve-rybody.WehavesomethingatEdu-cation City we call “Need-blindAdmission”: whatever countryyou come from, if you want toattend Georgetown or Northwes-tern University –which are bothon the campus– and you can’tafford the fees, we will help outwitheithera scholarshipor a loan.We see this as an obligation. Forexample, we can offer an interest-free loan, and if you decide to stayonandworkinQatarafteryougra-duate, the loan iswrittenoff.

So when you talk about elitismregarding the courses, you’reright;butthis isn’t thecaseatallasfar as student admissions areconcerned. We’re not looking toattractaparticularkindofstudent.Everyone is eligible. Right nowwehave 75nationalities in EducationCity and many of the studentsadmitted couldn’t pay the fees.The only thing that interests us istheir academic records; the restdoesn’tcount.

InterviewbyBenoît Floc’h

SheikhAbdullabinAli Al-Thani,

ChairmanofWISE,isalso Vice President,Education, at Qatar

Foundation.

AFP

DR

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W o r l d I n n o v a t i o n S u m m i tf o r E d u c a t i o n WISE

This lesson’s completely useless.”Teachers battle every day withthis complaint, as old as schoolitself.It sumsuptheissuedevelo-ped countries around the worldnowface: theymust findways to

make learningmeaningful.Theeducationyoungpeoplegetisakeytoa

country’sdevelopment.Forthepoorest,scho-ol is often out of reach. Meanwhile, the chil-dren of the wealthy are dropping out, to thetuneof tensofmillionsaroundtheworld. Sixmillion in Europe alone, according to a Euro-pean Commission report of January2011: inthiscommunityof500million,onepersoninseven between age 18 and 24 exits the educa-tion system with no diploma and no usableskills.Oneaimof theEurope2020programisto lower the dropout rate from 14.4% to lessthan10%. InNorthAmericaandelsewhereaswell, authoritiesare takingup thechallenge.

If it is to win the confidence of doubtingpupils –and even of those who are learning,butwithoutconviction–, educationhas tobereinvented. Made more useful, some say.More fun, replyothers.A thirdapproachuni-testhesetwotheoreticallyopposedvisionsinanewway to learn science.

Late in 2010, Biology Letters published anarticle demonstrating that bumblebeesremember colors and patterns. According totheRoyalSociety,whichpublishes this scien-tific journal, the study represents “a realadvance”. It has been carried out by 8-year-old children –primary school students fromBlackawton, in southwest England, with theassistanceofscientistBeauLotto,ofUniversi-tyCollegeLondon.Ahighlysuccessfulexperi-ment–even if it’shard to imagineeveryclassbeing suppliedwith its own scientist.

More easily duplicated is France’s LaMainà la Pâte («Getting Involved»), a programcreated in 1996,whenGeorges Charpak,win-ner of the Nobel Prize for physics, broughtbackahighlyexperimentalapproachtoscien-ce teachingfromtheMassachusetts InstituteofTechnology.WiththebackingoftheAcade-myofScience, thousandsof classes inFrance,then in some forty other countries, have sin-

ce been learning by doing. Pupils enjoy theapproach, but it isn’t always enough toconvince themthat school’s a good thing.

Given the widening gap between schoollearning andwhat kids pick up elsewhere inlife, the idea of a gamewith a scientific bentlooks promising: a perfect combination ofthe experiment that’s fun and the experi-mentthat’sgoingtomovetheworldforward.“There’s no doubt in my mind, says ZoranPopovic, director of the Center for GameScience at the University ofWashington,notonly that concepts can be taught throughgames, but that they can be thoroughlyunderstood if you apply them to solving pro-blems. Not to mention that learning sciencethrough play gives it a positive image. Thatway,mathand science become«cool».”

The only institution of its kind in theworld, the Center for Game Science is offe-ring a brand new way of learning. Parentsoften view video games as a curse that dis-tracts their kids from schoolwork. But scien-tists like Popovic see things differently. Forhim,“Playistheonlywaytogetstudentsdura-bly, intensively involved in a collaborativetask.Gamescanevenmakeyouanexpert inaparticulardiscipline.That’swhywe’reconcen-tratingon thismethod.”

This isn’t just a personal opinion. Popoviccites the success of Foldit, an online GWAP(Gamewith a Purpose) he developped. It hasyoufoldingaproteinintointricateshapes.Asthis world expert on the subject says, “Chan-ging beginners into experts – isn’t that whateducation is all about? Not only has Folditshown people can be turned into experts, thegame has also generated a collective intelli-gence that has helped solve problems thatstumped scientists sitting in their labs withtheircomputers.Studentsarenaturallyattrac-ted to thesegames.Theyplay, they concentra-te, and in spite of their mistakes, they keepgoing because they’ve got a taste for challen-ge and competition. This is what makes it aperfect learningplatform.”

AmericanschoolsarestartingtouseFoldit,which now includes a specific educationapplication. There is more to come: convin-

ced that games can really make a differenceat school, theCenter forGameScience is nowbusy converting the math programs taughttoAmerican kids, aged 6 to 18, into one enor-mousgame.AsPopovicputs it, “Whenyoudoyour learning with a video game, you don’teven need testing : the game knows whereyou’re at. At the Center, we’re alsoworking onanevaluationgridthatwilltell teachersexact-ly what progress each pupil hasmade. At thesame time, though, I don’t see games repla-cing classroom work in the near future. Butthey’re compatible with traditional learning,

they complement it. With games, you can belearninganywhere, anytime.”

In 2008, Europe took the same path withGames in Schools. Run by European School-net, an association of 31Europeanministriesof education, the project aimed to analyzethecurrentsituationineightcountries–Fran-ce, the UK, Austria, Italy, Denmark, Holland,Estonia and Spain– with regard to game-basedlearning.Aimedateducatorsandpoliti-cal decision makers, it includes a focus on“identifyingwhatmakesspecificgamessuita-ble for introduction into the classroom”.

Still,many teachers are reluctant, perhapsmost of all in France, where the educationalapproach remains solidly academic. JulienLlanas, who studies the question for the Cré-teil Education Authority, in France, used«serious games» (educational video games)inhisclasseswhenhewasateacher.Thereser-vationshe voices about collaborative scienti-fic games reflect those of French teachers ingeneral: “These games often flirt with scienti-fic PR. And they also raise the issue of turningpupils into producers –unless you look at

thingsintermsofpupilcommitment,withtheidea that gamesmake them a conscious partof a project teaching approach… And is thisreally compatible with the way teenagers seegames?” Admittedly, collaborative scientificgames do have a productive angle, togetherwith a possible impact on the wider world:there are implications of something no lon-ger entirelygratuitous.

Butmaybeweneed to look at games diffe-rently, as a lever for acting on the world. Inwhich case the approach needs to be usedvery early on. This is Jane McGonigal’s takeon things. The theory of this Berkeley resear-cher is simple and complements scientificgames pretty neatly: since the arrival of theonline gameWorld of Warcraft, in 2004, shecalculates players have devoted 5.39millionyears to the game; if all this time had goneinto changing the world, might we not havesolved some of our planet’s third-millen-niumproblems?McGonigal has already putgamers to work inventing a world withoutoil. Players of Evoke, the game she develop-ped, can be awarded a social innovationdegree by theWorld Bank Institute.Who’s tosay this “utilitarist” approach would notappealtostudents?Andthatsolvingrealpro-blems, researcher-style, isn’tmotivating?

Here we’ve come a long way from gratui-tous learning, disconnected from the realworld.AlternateRealityGames (ARG) iswhatMcGonigal calls these interactive games setin the real world. Where is our planet at, sheasks. Given the major problems facing us,don’tweneedtodrawoneverybody’sexperti-se? Even that of the very young?

“Games develop another approach to theworld,”points out FrançoisTaddéi, geneticistand director of the Center for Research andInterdisciplinarity at Paris Descartes Univer-sity. An efficient approach: “You’re havingfun finding out the rules of the game. Exceptthat the big game in question is Nature.”Might this be a chance to pull the dropoutsback in? Or to get a grasp of a planet with somany problems needing to be solved? Itmight evenbe both. p

MarylineBaumard

“Playistheonlywaytogetstudentsdurably,

intensivelyinvolvedinacollaborativetask”

ZORAN POPOVICDirector of the Center for Game Science,

University of Washington

Makingschooluseful and funTeachersoftenhavetroubleinterestingtheirpupilsandconvincingthemoftheusefulnessofwhatthey’relearning.Researchershavecomeupwithanunexpectedally:thevideogame.Inaserious,sometimescollaborativeversion

II 0123Thursday,November3, 2011

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WISE W o r l d I n n o v a t i o n S u m m i tf o r E d u c a t i o n

Yourveryowntextbook

Julien BouissouFromDhaka, Bangladesh

I n Bangladesh’s Comilla District, fourhoursbyroadfromDhaka, thecapital,narrow dirt tracks connect thehamletsdotting the rice fields. Electri-

city supply is sporadic and thenearestdoc-tor is hours away on foot. But English les-sonscomeindayandnight,inaflawlessBri-tish accent. Everymorning, Anis Awal tapsinthenumber3000onhiscellphoneandavoice invites him, in Bengali, to choose hislesson: “Everyday conversation”, “Newsmediavocabulary”or“Howtopresentyour-self in English.”AmonthagoAnis, 22, camebackfromAbuDhabi,whereheworkedasakitchen hand. He’s dreaming of leavingagain: “I’d like to work in Dubai. The pay’sbetter, but you have to know English.” Soeachmorning,hegoesoverhisdaily lesson,imagininghimself repeatingthewordstoarecruiterfromoneof theGulfStates.

Mobile phones, already used in SouthAsia for managing bank accounts or chec-king the weather forecast, are now provi-ding English tuition. Launched in Bangla-desh by the BBC World Service Trust inNovember 2009, BBC Janala has been ahugesuccess:already5millionpeoplehavetriedit,with10-25,000callingineveryday.

The idea could hardly be simpler : toteachEnglishtoasmanypeopleaspossibleviamedia that are part of their daily lives.EverySaturday, thepublicTVchannel runsagameshowwith two teamscompeting ina vocabulary and grammar contest ; theshowadvertises thenumber 3000 for peo-ple wanting to learn on their mobile pho-nes. Learners can also follow up lessons inthenationalnewspaperProthomAlo ; tho-se with access to a computer can use anInternet site or CD-Roms selling at 50UScents a piece. Thesemedia are seen as ser-ving different purposes while remainingcomplementary. Thus TV introduces mil-lions of Bangladeshis to English, thenorientsthemtowardsthepersonalizedpho-

ne lessons; this in a countrywhere, thanksto cheap imports fromChina,mobile pho-ne use has rocketed and you canwatch TVfor freeonahandset that costs$25.

Setting up the project was a complexbusiness.First, all thephoneoperatorshadto be persuaded to offer the service on thesamenumber,thenrockbottomtariffshadtobenegotiated.Athree-minutelessoncur-rently costs 2US cents. The meticulouslydesignedteachingmoduleswere testedbyfilming the reactionsofhundredsofusers.“Eachthree-minutelessoncontainsatmostfourorfivenewwords,soasnottodiscoura-gepeople”, says chief editorTanyaCotter.

Janala means “window” in Bengali. Butin Bangladesh, English is more than just awindow onto the world –it’s a passport togetting a job andmovingup the social lad-der. The advertisements for classes postedeverywhere inDakha could just aswell sellweight loss treatments, the key wordsbeing “quick”, “effortless” and “satisfied oryour money back.” When independencecamein1971,thegovernment,bentonaffir-mation of a national identity, banned theteachingofEnglish.Sincethen,thecountryhas become the world’s textile factory,with growth tied to exports; a knowledgeof English opens up all sorts of opportuni-ties, and so the government turned to theBritish authorities for help in democrati-zing the learning process. This is how theBBC Janalaprojectwasborn.

“SincemyEnglishhasimproved,myBan-gladeshi workmates are jealous,” says PirUddin Ahmed, a clerical worker at the Bri-tishembassy inDhaka. Impeccably turnedout inhiscarefully ironedshirt, thisyoungfather began taking lessons on his mobilephonewhile revising his grammar via thedaily lessons in ProthomAlo. “I cut the les-sons out and store themaway forwhenmydaughterisolder”, headds. Someevenings,he stays up after his wife has gone to bedandwatchesthenewsonEnglish-languageTV: “Bengali news programs don’t reallytakemuch interest in the international sce-

ne. But thanks to CNN and the BBC, I canfind outwhat’s goingon in theworld.”AfiaSultanaisalsolearningEnglish“todiscoverthe outside world”, but he’s opted for theInternet. “HowcanyouuseGooglewithoutspeaking English?” points this 32-year-old,who is studying to becomea teacher.

BBC Janala is primarily aimed at peoplewhocan readandwrite their own languageand know a few words of English. Amongthem are students keen to lift themselvesout of poverty, mothers wanting to helptheir children tomaster the language, andheads of small companies who would liketo expand into neighboring countries likeIndia.SaysSaraChamberlain,whocameupwith the Janala idea, “Many businessmenwon’t go in a classroom for fear of whatotherpeoplewill say.With theirmobilepho-nes, they can learn on their own and nothave toworry.”BBC Janalahas also becomea teaching aid around the country: some

classroom teachers put their mobiles intoloudspeakermode to help pupils get theirpronunciationright.

BBC Janala is doing its best to overcomethe misgivings of people who feel toouneducated to start learning. Project headMohammadAshrafuzzaman is emphatic:“English is a social marker, traditionally aprivilege of the elite; this is why our lessonshave to be simple and accessible.” The BBCWorldServiceTrustteamhasnew,persona-lizedlessonslinedupforearly2012:whenastudentcalls3000,hisnumberwillbereco-gnized and the lessons offered will takeaccount of his prior work. In a classroomthe size of Bangladesh, BBC Janala is out tomeet the challenge of adapting educationto everystudent’s specificneeds. p

A former advisor to TonyBlair and co-founder ofthe British public serviceinnovation agency Parti-

ciple, Charles Leadbeater nowdevotes his time to writing bookson social innovation. This formereditor at the Financial Times andThe Independant has titled hisnewest book Innovation in Educa-tion : Lessons from Pioneersaround theWorld (Bloomsbery, tobepublishedinJanuary2012).Thiswork is the result of a six-monthworld tour spent meeting pio-neers –most of them spottedduring earlier editions of theWorldInnovationSummitforEdu-cation (Wise) – in Canada, India,Brazil, Turkey and South Africa.Here are someofhis conclusions.

Thechallengeofquality

“Most of the effort put into edu-cation has been aimed at creatingmore schools and making themmore accessible”, Leadbeater says.According to Unicef, the numberof children of primary school agenot getting an education has fal-len from 103million in 1999 to73million today. Despite theimprovement, though, he isunhappywith“thismainlyquanti-tative approach. If you look atwhat happens when kids do go toschool, the results are not all thatimpressive. In the UK, 30,000 stu-dents leavetheschoolsystemeveryyearwith no qualifications. And inthedevelopingcountries toomanystudents fail to learn enough inclass.” Moreover, absenteeism–notably in the developed coun-tries–and inadequate teacher trai-ning curtail the benefits implicitin increased student numbers :“Gettingmore children into schoolwon’tbeenoughinthefuture,espe-cially if the teaching is boring.”

Recyclingideas“Educational innovation,” com-

mentsLeadbeater,“rarelycomesintheformofsomeluminousdiscove-ry. The innovators I’ve met werebrilliant at digging up and revam-pingwhatweresometimesveryoldideas.”OneexamplehecitesisHol-land’s Weekend School, anappropriation/adaptation of theold Sunday school concept. Shoc-ked by the failure rate amongpupilsofSurinameseorigin,acade-mic Heleen Terwijn decided in1998 to invite people from diffe-rentwalks of life to comealongonSundaysandmotivatestudentsbytalking to themabout their jobs.

In Brazil, the community-basedAprendiz movement borrowedideas from an education venturein Catalunya so as to involve anentire social group in the educa-tion of young people from disad-vantagedneighborhoods.“Innova-tors”, Leadbeater says “are oftencosmopolitan and know how tomake ideas fromall over theworldfit with local contexts. This is apowerful argument in favor ofinternational receptivity whereeducation is concerned.”

Greatoaksfromlittleacorns

“Innovation often happens out-side the big, influential organiza-tions, which are wary of change.”Leadbeater sees the most fertileground in places where expecta-tions and frustrations regardingeducation are the most marked:

“People with limited resources aredriven to invent and improvise.”For him the Mother-Child Educa-tionPrograminTurkey,whichhastrained300,000motherstoprepa-re their children for school, is acasebook example of the kind ofexperiment that’s impossible in amorerigidframework.“Theautho-ritiesmaybereadytoacknowledgethe need for innovation, butthey’re often too distant andbureaucratic.”

StartingoutfromzeroAn Internet specialist, Charles

Leadbeater does not overestimatethe importance of technology. Forthe very good reason that a lot ofthe projects he observed havetaken place without the Internet–and sometimes even withoutelectricity. “Innovation doesn’tnecessarilycallforthelatesttechno-logy. What’s interesting is seeing ifchildrenare learningdifferently. InBrazil theAprendizprojectusedtheWeb, but also involved communi-ties via street art and murals.” Inthe end what counts is the waytechnological tools are used,whetherintheMassachusettsInsti-tuteof Technology’sonlineclassesor the Hole in the Wall project inIndia. The Hole in the Wall begantwelve years ago with a computerset inawall for the adults andchil-drenofapoorneighborhoodinDel-hi. Therearenowsome500ventu-resof this kindaroundtheworld.

Anendtotheclasssystem

AccordingtoLeadbeater,educa-tional innovationunderscores theobsoleteness of the 20th-centuryschool : “There’s a widening gapbetween how kids are encouragedtolearninclass-sittinginrows,liste-ning to the teacher, and the worldthey live in.” The most effectiveinnovationsare the ones that “ha-ve foundameansof reaching theiraudience.Often thismeans simpli-fying the teachingprocess so it canbe copied andadapted to differentsettings.Then theproject initiatorsuse networking to improve theirreach.” In Jordan, theWeLoveRea-dingprogramutilizednetworksofmosquesto setupreadinggroups.Leadbeater notes that the pioneerbodies he has looked at “see them-selves as movements rather thanrigid organizations, contrary toour education systems.”

Think,people!In the vastmajorityof the cases

studied, innovation was the out-come of private initiatives. TheCitizens Foundation in Pakistan,which has instigated the buildingof 730schools for 100,000boysandgirlsinPakistan,wasthebrain-child of five businessmen. And,says Charles Leadbeater, there area host of other examples. “I feelthat in the21st centuryadvances inlearningwillcomelargelyfromout-side the public sector. The future,especially in the developing coun-tries, is going to involve alliancesbetween governments, socialplayers,andprivateformsofeduca-tion. One of the biggest challengesis to interlink innovative projectsand the more traditional educa-tion framework. If the dominanteducation systems can’t come upwith new ideas themselves, they’llhave to get better at assimilatingtheones coming fromoutside.” p

YannBouchez

F rustration can be a potentforce for educational inno-vation. Ask electrical engi-neering professor Richard

Baraniuk. Twelve years ago Bara-niuk, now forty-six, set upConnexions, a knowledge-sharingplatform offering Web users freeaccess to courses designed byvolunteer contributors, togetherwiththechancetoshare theirownskills. Result : a worldwide “digitaleducational ecosystem” that evol-ves in linewithmemberinputandcocks a snook at the hideboundworldof educationalpublishing.

This godsend owes a lot to Bara-niuk’s own experience. In 1999,this Canadian-American was tea-ching electrotechnology at RiceUniversity in Houston, Texas. Helovedhisdiscipline,butwasn’thap-pywithhis job: the students inhisclasses of 25 were finding the sub-jectdrearyandholdingtheir atten-tion was a problem. “I was frustra-ted with the textbook-based tea-chingapproachinAmericanuniver-sities, because I could see it wasn’treaching a lot of students. I teachsignalprocessingandmychallengewas to showthat this seeminglydrymath is actually the center of thistremendouslypowerfulWeb.”Inhisclasses, he worked at repairing the“disconnects” between universityteachingand the realworld. Itwor-ked. He felt more commitmentcomingfromhisstudentsandreali-zedthat“oneofthemostimportantthings in education is customizingthesubject fortheclassandforeachindividual student”.

The experiment worked justfine, but how to extend it beyondthe limited circle of his classes? Atthe time, a textbook seemed theonly solution, but Baraniuk wasquick to spot the cost of editing abook, and the problemof ongoingcontent updates. Things fell intoplace almost by chance, when hewas installingonhis computer theopen-source operating systemLinux. “I realized this idea couldwork for textbooks as well. In tenminutes, I had itworkedout.”

Thenext step took longer. Fromthe start, a few other teachers andstudentswerereadytolendahand

with designing the new, open-sourceeducationalcontentreposi-tory. A fewmonths later, Rice putsomemoney into the project. Butit wasn’t until 2002 that funding,notably fromtheHewlett Founda-tion, really started coming in. Sofar, the site has received $15mfrom various bodies. 2002 alsosaw the creation of the CreativeCommons licenses that protectauthors’ rightswhileallowingfreecirculationof theirmaterial.

In 2006, Baraniuk summed uptheConnexionsconceptatthepres-tigious annual TED conference in

California: “Imagine taking all theworld’sbooksand imagine just tea-ring out the pages, digitizing themandstoringtheminavast intercon-nected global repository… Think ofit, added the man who was a DJ athis university, as amassive iTunesforbook-typecontent.”

The iTunes comparison is onlypartly valid, since the Connexions“modules” –each one the equiva-lent of three textbook pages on aspecific subject– can be accessedand used for free. The platformhasn’t stopped expanding since2002 and now comprises over19,000modules grouped togetherin more than a thousand “collec-tions”.Ifyoulike,youcanemailthemodule’s author –something youcan’t dowithWikipedia, theonlineencyclopedia born in 2001, whichshares the Connexions fondnessfor teamwork.

The team in question is current-ly six strong, but despite the RiceUniversity base, the bulk of thecontentcomesfromoutsidecontri-butors. Connexions pulls in sometwomillionindividualvisitorseve-rymonth and boasts 10,000 regis-teredmembers. “2000of themareactive, sending in regular contribu-tions”, says Baraniuk. The content,mainlyinEnglishandaimedatuni-versity-level consumers, shows amarkedscienceandelectrotechno-logy leaning, but its most consul-ted offerings also include musiccourses and modules for teachingchildren in India to read.

With fresh articles arriving onthe site daily, quality control is a

full-timechallenge,butarticlescanbe certified by other contributorsthroughthepeer reviewprinciple .For example, the IEEE (Internatio-nal Electrical and Electronic Engi-neers Association) has so far givenitssealofapprovaltofifteencollec-tions fallingwithin itsdomain.

Given the site’s collaborative,open-source structure, Baraniukhas had to defend himself againstaccusations of making his writerswork for nothing: “Authors in thefield fall into two categories. Firstly,the educational content professio-nals,whocan’tworkforfree.Butthesecond group is made up of tea-chers; formost of them publishingatextbook,whichbringsinvery litt-le money, is first and foremost away of advancing knowledge andleaving a legacy. Our message is,«You can publish your textbookandsellmaybe5000copies.Oryoucanusethesite,andhavetheoppor-tunity to reach millions of inter-nauts.»”Thehundredor so electri-cal engineering modules he haswrittenhimselfhaveso farclockedup5millionvisits,andConnexionshas now joined forces with print-on-demandpublisherQooPforpro-ductionof low-price textbooks.

Richard Baraniuk is currentlydividinghistimebetweenuniversi-ty teachingandhisproject–“Ihavetwo full-time jobs,” he says. Hedreams that, ten years from now,Connexionstextbookswill beusedin classrooms. And hopes that, bythen, “20-50% of the world’s text-bookswillbe freeoropen-source.” p

YannBouchez

BBCJalanaaimstoteachEnglishtoasmanyBengladeshis

aspossibleviamediathatarepartoftheirdailylives

Knowledge is aphonecall away Six lessonsin innovation

Aclassroomasbigas theworldFromBangladeshtotheUnitedStates, fromtheNetherlandstoTurkeyandBrazil, thousandsofteachers

areexploringnewwaystocommunicateknowledge.Herearesomeofthelaureatesofthisyear’sWISEAwards

ConnexionsoffersWebusersfreeaccesstocoursesdesigned

byvolunteercontributors

III0123Thursday,November3, 2011

Page 6: Wise: le dossier de Le Monde du 03/11/2011

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W o r l d I n n o v a t i o n S u m m i tf o r E d u c a t i o n WISE

TheWISEPrize,a “Nobel” foreducation

InBengali,bhaimeans “bro-ther”. This is how hisemployeesaddressSirFazleHasan Abed, founder ofBRAC, one of the mostpowerful NGOs in the

world.Inacountryasrigidlyhierar-chical as Bangladesh, this speaksvolumesaboutthecharacterof thefirst WISE Prize for Education lau-reate. In a warm voice, this mostaccessible ofmen begins the inter-view by thanking Le Monde for itsinterest in someone “not very wellknown in France.” This lack ofrenownremains inexplicable: kni-ghtedbytheQueenofEnglandtwoyears ago, BRAC’s founder, a natio-nal hero in Bangladesh, is widelyrecognizedforhisradicallyinnova-tive, entrepreneurial approach toaid fordevelopment.

Fazle Hasan Abed was born in1936.Fromearlyon,his lifeseemedmapped out in advance. Afterbrilliant studies in Glasgow andLondon, this grandson of a minis-ter in Bengal’s colonial govern-ment joined Shell, where he beca-meChief FinancialOfficer.He pro-bably would havemade his careerwiththeoilgiant,hadnot indepen-dence for Bangladesh, achieved in1971 after months of bloody strug-gle, upset his plans. Deeply affec-ted by the suffering of the tens ofthousands of refugees pouring infrom India, he decided to give uphis job. Theurgentneed for aid ledhimtofoundtheBangladeshReha-bilitation Assistance Committee(BRAC). He had no idea that theorganizationwould changehis lifeand that of millions of his fellowcitizens: “I really did think I’d gobacktomyjoboncethemissionwasaccomplished.”

He and his coworkers had spenttwoyearshelping to give thedesti-tute a new sense of dignity whenFazleHasanAbedhadarevelation:this,herealized,wasonlythebegin-ning.“Therewasnowayof treatingsocial development as a short-termaffair. I had to do something thatwas going to last.” So he sold hisLondon apartment and renamedBRAC Bangladesh Rural Advance-mentCommittee.

Inspired by three thinkers verymuch in vogue in the 1960s–Frantz Fanon, Paulo Freire andIvan Illich–, he was quick to seethat the fight against povertyimplied shaking up Bangladesh’sestablished, compartmentalizedsociety and taking action on allfronts. “You can’t just settle for len-dingmoney.Youalsohavetomakesure that mothers have a grasp ofelementary hygiene and can pro-tect their childrenfromdiseaseanddehydration. Those children alsohavetogotoschool,andthenmoveon tohigher education.”Thiswas atitanic task in a country where, atthe time, women had a very limi-ted role in society.

The word “impossible”, how-ever, isnotpartofFazleHasanAbe-d’s vocabulary. An admirer ofFrench priest Abbe Pierre, a socialactivistwhomheoncemetinParis,

he shares both his obstinacy andhis modesty of appearance: ins-teadofasuit,hemostoftenwearsasimple Nehru-style jacket. Whatreally distinguishes him from thefounder of the Emmaus move-ment, though, is the pragmatismpicked up during his Anglo-Saxoneducation and his early years inhigh finance.Resolutely “entrepre-neurial”, he has been committedsince the beginning to makingBRAC a profitable “social enterpri-se” far removedfromthestandard,outside-funded NGO. Result : theorganization is now self-financingto the tuneofover 70%.

Taciturn almost to the point oftimidity when it comes to talkingabout himself – “My father speakssoftly and doesn’t saymuch, but hethinks a lot,” says his daughterTamara –hecan be eloquent abouthisspiritualmodelsandguides.Pre-

dictably he mentions Gandhi, buttheKennedystoo.Herespectstheirpolitical achievements, but is ada-mant that he himself, despite fre-quent entreaties and offers ofministerial portfolios, has neverhadtheurgetomakethemoveintopolitics. “I want to bewith thepeo-plewhodothings,”saysthisworka-

holicwho,inthewordsofhisexecu-tivedirectorMahabubHossain,“de-mands as much from himself asfromhis staff.”

Officially semi-retired for sevenyears, he’s almost apologetic foronly putting in eight hours a daywithhisorganization.His twochil-dren, Shameran and Tamara,who-semother,his firstwife,diedshort-lyaftertheywereborn,startedwor-king forBRACafter studyingat topBritish and American universities.“My father’s always been therewhenwe neededhim, says Tamara,but he never forced anything on usin terms of values, studies or thekindof careerwe should opt for.Hebroughtusupbysheerexample.Henever pushed us to follow in hisfootsteps, but I think he’s pleasedwith what we’ve done.” To whichher father simply replies: “If I’vepassedontheurgetohelppeople inneed, then I’mproud.”

Noquestion,though,ofhandingover the reins completely. FazleHasan Abed might only be presi-

dent ofBRACnow, andmighthaveshed all his executive responsibili-ties,buthe’simmediatelyavailableif his associates need to see him;andmeanwhiletheideasforexpan-sionkeeponcoming.

The little free timehehas is pas-sionately devoted to reading :Without it, he says, “life wouldn’thave the same intensity.”His pan-theonincludesShakespeare, JamesJoyce,ProustandFlaubert,andhe’splanning to rereadMadame Bova-ry : he’s not sure he “grasped it allwhen I was 18.”Most crucial of all,though, is probablypoetry. Baude-laire and Rimbaud, but also –andaboveall– theNobelPrize-winningIndian poet Rabindranath Tagore.“HeaddedsomethingtotheBangla-deshi soul,” he says. And you don’tdaretell thisunassumingmanthatTagore isn’t theonlyone. p

Caroline Franc

FazleHasanAbedAnenlightenedpragmatist

ThroughtheNGOhefoundedin1972,thelaureateofthefirstWISEPrizeforEducationhasenabled5millionchildrentogotoschoolinBangladesh.Portrait

BRAC:Abroadapproachtodevelopment

FazleHasanAbedhasturnedBRACintoaprofitable

“socialenterprise”,self-financingto

thetuneofover70%

Special issueConception/ coordination:MarylineBaumardIllustration:Olivier BalezTranslation: JohnTittensor

NoNobel Prize for education?Noproblem,Qatarhas just inventedone.Announced inDecember2010at the closeof theWorldInnovationSummit for Educa-tion (WISE), organizedby theEmi-rate, theprize is being awardedduring the event’s third edition,held inDoha (November 1-3).

This is nominor initiative.TheQatarFoundation, the royalfamily’s financial arm,hasdefi-ned the$500,000prizeas rewar-ding “an individual–ora teamofup to six individualsworkingtogether– for anoutstanding,world-classcontributiontoanylevel or areaof education, inanypartof theworld.”Reactionto theannouncementwasprompt, andbetweenlast FebruaryandApril,hundredsofnominationscamein.A judgingpannelwasnamed:JamesHadleyBillington, Libra-rianof theUnitedStatesCongress; JeffreySachs, directorof theEarth InstituteatColumbiaUniversity,NewYork; FatmaRafiqZakaria,presidentof theMaulanaAzadEducationalTrustin India;NalediPandor,Ministerof ScienceandTechnology,SouthAfrica; SheikhAbdullabinAliAl-Thani, chairmanofWISE.

These five internationalperso-nalitieshad topick awinnerwithimpeccableall-roundcredentialsand results: the laureatewas tobenothing less thana kindof“Einsteinof education.”

A consensusquickly took sha-pearoundtheworkofBRAC foun-der FazleHasanAbed.Hisperso-nalityand the scopeof his ventu-re – schoolingprovided for 5mil-lion children – convinced thepanel.Qatar, too,waswonoverbyhis pragmaticapproach toeducation,whichhe seesnot asan end in itself, but as oneof thelevers in the fight againstpover-ty: a philosophymatching thatof the Emirate,whoseworld sum-mit embodies anovert commit-ment to financial returnonedu-cational investment.A returnwhich,unlike that of the region’soil reserves, is not likely to runout in thenext fifty years.

MUSTAFIZ MAMUM / DRIK / MAJORITYWORLD

“Wedon’t build bridges or airports, butwe do practically every-thing else!” The quip fromFazleHasanAbed, founder of Ban-gladeshRural AdvancementCommittee (BRAC), gives a goodidea of thework of one of theworld’s biggestNGOs. Created in1972 in thewake of Bangladesh’swar of independence, BRACaimsatmaking lasting inroads into the poverty rate via allpossiblemeans.Theorganizationhas a capability all its own, thanks to its holis-tic perceptionof developmentand itsmultinational-companystyleof functioning. FazleHasanAbed is beinghonoredby theQatar Foundation for a contribution to educationextendingfromprinting textbooks to buildingkindergartensandprima-ry schools and even to settingup auniversity. Every link in thechain, in otherwords.Andyet there’sno singlemissionassuch; just an outreachpolicy includingeverything fromdiseasepreventioncampaigns to farming.Although lesswell known in Europe thanGrameenBank, BRACis also a large-scalemicrofinancebody: in 2010 it hadover8millionborrowers representinga total of a billiondollars inloans. The loans go toprivate individuals,mostlywomen, butmainly to thousandsof small local companies.Withan annual budget of $495m, this sprawlingorganizationhasover60,000employees–andasmanyvolunteers– spread

over ten countries: Bangladesh, Sri Lanka, Afghanistan,Pakis-tan, Liberia, Sierra Leone,Haiti, South Sudan, Tanzania andUganda. In all it is helping 110millionpeople, among them400,000TB suffererswhose treatmentBRACpays for, almost5million childrenwhohave beeneducated in its schools; andthe 5.6millionpregnantwomencurrently receivingmedicalattention. Yet themost impressive single figure of all is forchildmortality: by teachingmothershowtoprevent dehydra-tion, BRAChas brought the rate inBangladeshdown from258to 75per thousand.At the same time its omnipresence bothers somepeople. Itscritics see it as a parallel government accountable to nobody.“Butwhat’s the alternative?” asksDavid Roodman,microfi-nance expert and amember of the Center for Global Develop-ment (http://blogs.cgdev.org/open_book). “True, it wouldhave been better if BRAC’s initiatives had been taken by thegovernment, but unfortunately this isn’t the case. BRAC is cur-rently helpingmillions of people. Should this be stopped in thenameof this kind of purely abstract consideration?”Whate-ver, these strictures aren’t bothering BRAC,which is conti-nuing its odyssey: itsmost recent newoperations are inHai-ti, Sierra Leone and Liberia. p

C. Fr.

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ISSN : 0395-2037

0123

Pré-presse Le MondeImpression Le Monde12, rue M.-Gunsbourg

94852 Ivry CedexPrinted in France

IV 0123Thursday,November3, 2011

Page 7: Wise: le dossier de Le Monde du 03/11/2011

[PAGE: MONDE_EDUC - MONDE_EDUC - 3 - 03/11/11] [IMPRIMEE LE: 01/11/11 14:17 PAR: LOZEVIS] [COULEUR: Composite] PLAQUE : B-BERLIN-SL

WISE S o m m e t m o n d i a lp o u r l ’ i n n o v a t i o n d a n s l ’ é d u c a t i o n

Julien BouissouDhaka, envoyé spécial

D ans ledistrictdeComilla,à quatreheures de route de Dhaka, leshameaux éparpillés parmi lesrizières ne sont accessibles que

par d’étroits sentiers de terre. L’électricitéarrive par intermittence, et le médecin leplus proche est à des heures de marche.Mais les cours d’anglais sont disponibles àtoute heure, dans un accent britanniqueimpeccable.Chaquematin,AnisAwal com-pose sursonportable lenuméro3000.Unevoix luidonne le choix, en languebengalie,entre plusieurs leçons: «Conversations detous les jours», «Vocabulaire de l’actuali-té»ou«Commentseprésenterenanglais».Lejeunehommede22ansatravailléàAbouDhabicommecommisdecuisineet rêvederepartir:«JevoudraisalleràDubaï, lessalai-res sont meilleurs. Mais il faut parleranglais.» Chaque matin, Anis Awal répètesaleçonens’imaginantprononcercesmotsdevantun recruteurdansunpaysduGolfe.

Le service BBC Janala, lancé au Bangla-desh en novembre2009 par la FondationBBC,connaîtunimmensesuccès.5millionsde Bangladais l’ont essayé, entre 10000et25000 d’entre eux l’utilisent chaque jour.L’idée est simple : enseigner l’anglais auplus grand nombre grâce aux médias quifontpartiede leurvie quotidienne.Chaquesamedi, la chaîne publique BTV diffuse unjeu où deux équipes s’affrontent sur leursconnaissances en vocabulaire ou en gram-maire. En find’émission, s’affiche le numé-ro 3000 pour ceux qui souhaitent suivredes leçons sur téléphone portable. LesleçonssontaussipubliéesdanslequotidiennationalProthomAlo, surunsiteInternetetsur des cédéroms vendus à 40centimesd’euro.Chaque support est complémentai-re:latélévisioninitiedesmilliersdeBangla-dais à l’anglais et les oriente vers les leçonspersonnaliséessur téléphoneportable–unéquipementquis’estbanaliséavecl’impor-tationd’appareilschinoisàbasprix.

Mettre en œuvre le projet BBC Janala aétécomplexe.Ilafalluconvaincrelesopéra-teurs de proposer le service à partir d’unnuméro unique, puis négocier des tarifstrès bas: 1,5 centimed’europour 3minutesde leçon. Lesmodulesont été testés sur descentainesd’utilisateursà l’aidede caméras.«Chaque leçon de 3minutes comporte 4 ou5nouveauxmotsaumaximumpournepasdécourager les utilisateurs», expliqueTanyaCotter, la responsableéditoriale.

«Janala» signifie la «fenêtre» enbenga-li. Mais au Bangladesh, l’anglais est bienplus qu’une fenêtre sur lemonde. C’est unsésame pour l’emploi, une condition d’as-cension sociale. A Dhaka, les cours d’an-glais, dont les affiches publicitaires sontvisibles partout, se vendent comme lescures d’amincissement : promesses derésultats «rapides», «sans effort», et sur-tout «garantis sinon remboursés». Au len-demain de son indépendance, en 1971, leBangladeshavait banni l’enseignementdel’anglaispourmieuxaffirmersonidentité.Depuis, le pays est devenu l’atelier textiledumondeettiresacroissancedesexporta-tions.Laconnaissancedel’anglaisouvredenombreuxdébouchés,et legouvernementa sollicité l’aide des autorités britanniquespour démocratiser l’apprentissage de lalangue.Ainsi est né le projetBBC Janala.

«Depuisque je saismieuxparleranglais,mes collègues Bangladais sont devenusjaloux», glisse PirUddin Ahmed, employéà l’ambassade du Royaume-Uni. Ce jeunepèrede famille, tiré à quatre épinglesdanssa chemise soigneusement repassée, acommencé à prendre des leçons sur sontéléphone portable, tout en révisant sagrammairegrâceaux leçonspubliéesdansle quotidien ProthomAlo. «Je découpe lesleçons chaque semaine et les range dansune boîte pour quema fille puisse en profi-ter quand elle sera plus grande», expli-que-t-il. Certains soirs, il attendmêmequese femme soit couchée pour regarder lesinformations sur les chaînes de télévisionétrangères.«Lesjournauxenlanguebenga-

liene s’intéressentpas vraimentà l’actuali-té internationale.GrâceàCNNetà laBBC, jedécouvrecequi sepassedans lemonde», seréjouit PirUddin Ahmed. Afia Sultanaapprend aussi l’anglais pour «découvrir lemonde»,maisenutilisant Internet.«Com-ment utiliser Google sans parler cette lan-gue?», souligne l’étudiant de 32ans quisouhaite devenir professeur. Dans cetteprofession, l’anglais est une disciplined’avenir.

BBC Janalaest avant toutdestinéà ceuxqui connaissent quelquesmots d’anglais,savent lire et écrire. Etudiants ambitieux,qui veulent sortir de la pauvreté; femmesau foyer qui apprennent l’anglais pouraider leurs enfants à maîtriser la langue;patronsde petites entreprisesqui souhai-tent développer leurs activités dans les

pays voisins, comme l’Inde. «Les hommesd’affairesontpeurd’affronter leregarddesautres en prenant des cours collectifs. Grâ-ce au téléphone portable, ils peuventapprendre seuls et sans complexe», noteSara Chamberlain, l’initiatricedu projet.

De façon inattendue, BBC Janala s’estaussiimposédanslepayscommeunmaté-riel pédagogique. Des instituteurs posentparfoissur leurbureauleur téléphonepor-table avec le haut-parleur pour apprendreauxélèves la bonneprononciation.

«L’anglais est unmarqueur social, tradi-tionnellement réservé à une élite. Il fautdonc briser les préjugés. C’est la raisonpourlaquellenosleçonsdoiventêtreaccessiblesetsimples»,martèleMohammadAshrafuzza-man,lechefduprojet.Dansunesalledeclas-se de la taille du Bangladesh, BBC Janalaveutréussirleparidel’enseignementadap-téauniveaude chacun. p

Chacuncherchesonmanuel

A ncien journaliste auFinancial Times et à TheIndependent, ex-conseil-ler de Tony Blair, Charles

Leadbeater se consacre désormaisà l’écriture de livres sur l’innova-tion sociale. Pour son prochainouvrage, Innovation in Education:Lessons from Pioneers Around theWorld (Bloomsbury, à paraître enjanvier2012), il a voyagé sixmois àla rencontre d’acteurs de projetsinnovants au Canada, en Inde, auBrésil, enTurquieouenAfriqueduSud,etdégagésixclésdelaréussite.

Scolarisation:letauxn’estpastout

«Laplupartdeseffortsréalisésenmatièred’éducationvisentàaccroî-tre le nombre d’écoles et à en facili-ter l’accès», observe Charles Lead-beater, chiffres à l’appui. Selonl’Unicef, le nombre d’enfants enâged’allerenprimaireetnonscola-risés est passé de 103millions en1999 à 73millions en 2006.Mais lechercheur regrette «une approcheprincipalementquantitative.Si l’onregarde ce qu’il se passe quand lesenfants vont en classe, le résultatn’est pas très impressionnant. AuRoyaume-Uni, 30000 enfants sor-tent de l’école sans qualification. Etdans les pays en voie de développe-ment, trop d’élèves n’apprennentpasassez.» Lesproblèmesd’absen-téisme, particulièrement sensiblesdanslespaysdéveloppés,etleman-que de formation des enseignantsrelativisent la portée de meilleurstaux de scolarisation. «Amenerplus d’enfants à l’école ne suffiraplus à l’avenir. Surtout s’ils s’yennuient.»

Desidéesàrecycler«Les innovations scolaires vien-

nent rarement sous la forme d’uneidée nouvelle lumineuse. Celles quej’ai rencontrées excellaient dans larécupération de trouvailles parfoisanciennes», observe Charles Lead-beater, exemples à l’appui. AuxPays-Bas,laweek-endschoolaadap-té la très ancienneécole dudiman-che. L’universitaire Heleen Terwi-jn, fondatrice de ce projet né en1998, s’étonnait de l’échec scolaireparmi les jeunes originaires duSurinam. Elle a eu l’idée de fairevenir des intervenants profession-nels le dimanche pour parler auxécoliersde leursmétierset susciterdesvocations.

AuBrésil,Apprendiz,uneappro-che fondée sur l’importance de lacommunauté, a emprunté sesidées à un mouvement d’éduca-tion de Catalogne, pour impliquertoutelacommunautédansl’éduca-tiondesjeunesdequartiersdéfavo-risés. «Souvent, les innovateurssont cosmopolites et adaptent desidées venues dumonde entier pourles appliquer dans des contexteslocaux,résumeCharlesLeadbeater.C’est un argument fort en faveurd’une ouverture internationale enmatièred’éducation.»

Elogedesmarges«L’innovation naît souvent en

dehorsdesorganisationsdominan-tes, prudentes à l’égard du change-ment.» Pour le chercheur, les ter-rains les plus fertiles sont ceux oùles attentes envers l’école et lesfrustrations sont les plus fortes.«Làoùilyamoinsderessources, lesgens sont poussés à inventer, àimproviser.»Leprogrammed’édu-cation mère-enfant en Turquie,qui a formé 300000mères à pré-

parer la préscolarité de leursenfants, est d’après lui l’exemplemêmedutyped’expérienceimpos-sible àmener dans «un cadre plusrigide. Car si les pouvoirs publicsreconnaissent souvent le besoind’innovation, ils sont souvent tropdistantset bureaucratiques.»

Lerôledesnouvellestechnologies

Spécialistedesquestionsd’Inter-net, Charles Leadbeaterne suresti-mepaslerôledesavancéestechno-logiques. Et pour cause: beaucoupde projets qu’il a observés se sontréalisés sans Internet, voire sansélectricité. « Il n’y a pas besoin denouvelles technologies pour inno-ver, ce qui est intéressant, c’est devoir si lesenfantsapprennentdiffé-remment.AuBrésil, leprojetApren-diz s’est servi duWeb,mais aussidel’art de rue et des peintures mura-les, pour intégrer les communau-tés.»Aufinal,c’estlamanièred’uti-liser les outils technologiques quiimporte, que ce soit les cours enligne du Massachusetts Instituteof Technology (MIT) ou le projet«Hole in theWall». Créé il y a dou-zeansenInde,«HoleintheWall»acommencé par l’installation d’unordinateurdansunmur,à ladispo-sitiondupublicetdesenfantsd’unquartier pauvre de Delhi. Il existeaujourd’hui environ 500 ordina-teursde ce typedans lemonde.

Dépasserlemodèlescolairetraditionnel

Pour le chercheur, les innova-tions scolaires soulignent le côtéobsolètedel’écoleduXXesiècle:«Ily a un décalage grandissant entrela manière dont on encourage lesenfantsàapprendre en classe, assisen ranget écoutant l’enseignant,etlemondedans lequel ils vivent.»

Les innovations les plusconcluantes sont celles qui «onttrouvéunmoyendesediffuser.Sou-vent cela signifie simplifier laméthoded’apprentissagepourpou-voir lacopieret l’adapterdansdiffé-rents endroits. Ensuite, les porteursdes projets se sont appuyés sur desréseaux pour améliorer cette diffu-sion». Ainsi, «We Love Reading»,en Jordanie, s’est servi des réseauxdemosquées pour créer des grou-pes de lecture. Charles Leadbeaternote que les pionniers qu’il a croi-sés«seperçoiventcommedesmou-vements, pas commedes organisa-tions figées, contrairementaux sys-tèmeséducatifs».

Allierinitiativesprivéesetéducationpublique

Dansl’immensemajoritédescasétudiés, les projets innovants pro-viennent d’initiatives privées. LaCitizens Foundation, qui a permisde construire 730 écoles au Pakis-tan et de scolariser 100000 gar-çons et filles, est née de l’esprit decinq hommes d’affaires. CharlesLeadbeater pourrait multiplier lesillustrations.«AuXXIesiècle,lespro-grèsdansl’apprentissageviendronten grande partie hors du secteurpublic,affirme-t-il.L’avenir,surtoutdans lespaysendéveloppement,vaêtre une question d’alliances entreles gouvernements, les acteurssociauxetdes formesprivéesd’édu-cation.L’undesplusgrandsdéfisestd’arriver à associer les projets inno-vants au cadre plus traditionnel del’éducation. Les systèmes éducatifsdominantsdoiventmieuxassimilerles idéesnouvelles.» p

YannBouchez

LeserviceBBCJanalaenseignel’anglaisauxBangladais

grâceauxmédiasquifontpartiedeleurviequotidienne

Le savoir est auboutdu fil

L a frustration peut se révé-ler un puissant moteur del’innovation scolaire.Richard Baraniuk, 46 ans,

en sait quelque chose. Professeurde génie électrique, il a créé il y adouze ans Connexions, un siteInternet de partage de la connais-sance, où chacun peut consulterdes cours envoyés par des contri-buteursbénévoles.Cemanuelsco-laire mondial évolue au fil desapports de sesmembres. : un piedde nez à l’univers rigide de l’édi-tion scolaire.

Cettetrouvailledoitbeaucoupàl’expérience personnelle deRichardBaraniuk.En1999,ceCana-dien,quipossèdeaussilanationali-té américaine, enseigne l’électro-technique à l’université Rice deHouston (Texas). Cette matière lepassionne, mais le jeune ensei-gnantpeineà capter l’attentiondeses 25 élèves. «J’étais frustré par lamanière dont on éduque les élèvesdans les universités américaines,avecdesmanuels: jevoyaisquecet-te méthode n’atteignait pas beau-coup d’entre eux, analyse RichardBaraniuk. Alors j’ai essayé de leurexpliquer que le traitement dusignalest l’unedesidéesfondamen-tales derrière Internet.» Au coursde l’année, le professeur s’attacheà effacer la coupure – «disconnec-tion» – entre l’enseignement uni-versitaire et le monde réel. Laméthoderéussit.Ilprendconscien-ce que « l’une des choses les plusimportantes en éducation est depersonnaliser lamatièreà la classeet à chaque individu».

Comment étendre l’expérienceau-delà du cercle de ses élèves? Al’époque,publierunmanuelparaîtlaseulesolution.Maisun livrecoû-te cher à éditer, et son contenun’évolue pas au fil du temps. LedéclicvientalorsqueRichardBara-niuk installe sur son ordinateurLinux, un système d’exploitation«open source», que chacun estlibre de modifier. «Je me suis ditque cette idée pouvait être appli-quée auxmanuels scolaires. En dixminutes, c’était clairpourmoi.»

Lasuitedemandeplusdetemps.«Deux, trois» professeurs et étu-

diants l’aident à concevoirConnexions, une plate-formed’éducation «open source». Quel-ques mois plus tard, l’universitéRiceinvestitdansleprojet.Ilfaudraattendre 2002 pour que les fonds,notamment ceux de la FondationHewlett, commencentàarriver.Autotal, le site a reçu à ce jour 15mil-lions de dollars (11,3millions d’eu-ros) de diverses associations. L’an-née 2002 marque aussi l’arrivéedes licences Creative Commons,quiprotègentlesdroitsdesauteurstout en facilitant la circulation deleurscréations.

En2006,RichardBaraniuk résu-me le principe de Connexions auTED, prestigieux congrès califor-nien. «Imaginez que vous preniezleslivresdumondeentier. Imaginezque vous les numérisiez et les stoc-kiezdansunentrepôtmondialinter-connecté»,expose-t-ilàsonauditoi-re. «Pensez à un iTunes pour leslivres», ajoute ce passionné demusique.LacomparaisonaveciTu-nes n’est qu’en partie valable. SurConnexions,lesmodules–l’équiva-lentdetroispagesd’unmanuelsco-laire sur un thème précis – sontconsultables gratuitement. La pla-te-forme, qui n’a cessé de se com-pléterdepuis2002,enrecenseplusde 19000, regroupés sous plusd’un millier de «collections», outhèmes. Il est aussi possible d’écri-repar e-mail à l’auteurdumodule.Une différence notable avec Wiki-pedia, l’encyclopédie en ligne néeen 2001 et qui s’enrichit, commeConnexions,grâceauxtravauxcol-laboratifs.

Sixpersonnestravaillentpour leprojet de Richard Baraniuk. Le siteest lié à l’université Rice mais lamajorité de son contenu est pro-duit par despersonnes extérieuresà l’établissement. La plate-formeattire environ 2millions de visi-teurs chaque mois et compte10000 membres inscrits. «2000d’entre eux sont actifs et envoientdes contributions régulièrement»,préciseRichardBaraniuk.Le conte-nu,principalementenanglaisetdeniveau universitaire, est riche ensciences et en électrotechnique,mais comporte aussi des cours de

musique ou des modules d’alpha-bétisationdestinésà l’Inde.

Le contrôlede la qualitédes arti-cles est un défi permanent. Lesrares pages en français ne sontpourl’instantquedemauvaisestra-ductions, inutilisables. Mais cer-tains articles sont certifiés par descontributeurs, selon le principe du«peer review». L’IEEE, associationmondialed’ingénieursélectricienset électroniciens, a ainsi validé lecontenud’unequinzainede collec-tionssur legénieélectrique.

Richard Baraniuk se défend devouloir faire travailler gratuite-ment les rédacteurs de manuels.«Il y a deux catégories d’auteurs.Les professionnels du contenu édu-catif : ceux-là ne peuvent pas tra-vaillergratuitement.Mais la secon-de catégorie est celle des profes-seurs. En publiant un manuel, cequi rapporte peu financièrement,la plupart d’entre eux veulent sur-tout faireavancer les choses, laisserune trace. En utilisant le site, ils ontla possibilité d’être lu par des mil-lionsd’internautes.»Defait, la cen-taine demodules sur le génie élec-trique qu’il a rédigés a été consul-tée 5millionsde fois.

RichardBaraniukpartagedésor-mais ses heuresde travail entre lescours qu’il donne à l’université etson projet. « J’ai deux boulots àplein temps», résume-t-il. Dansdixans, il rêvedesallesdeclasseoùl’on utiliserait des manuels deConnexions. Et espère que «20%à50% des manuels dans le mondesoientgratuitsou libresd’accès». p

YannBouchez

Six leçonsd’innovation

A l’écoledumondeDuBangladeshauxEtats-Unis,desPays-BasàlaTurquieouauBrésil,desmilliersd’enseignantsexplorentdenouvellesmanières

detransmettrelesavoir.Voiciquelques-unedesexpériencesrécompenséescetteannéepardesWiseAwards

SurlesiteConnexions,chacunpeutconsulterdescoursenvoyéspardescontributeurs

bénévoles

30123Jeudi 3 novembre 2011

Page 8: Wise: le dossier de Le Monde du 03/11/2011

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S o m m e t m o n d i a lp o u r l ’ i n n o v a t i o n d a n s l ’ é d u c a t i o n WISE

LePrixWise,un«Nobel»de l’éducation

En bengali, bhai signifie«mon frère». C’est ain-si que ses employésappellent Fazle HasanAbed, fondateur duBRAC, l’une des plus

puissantesorganisationsnongou-vernementales (ONG) au monde.Dans un pays aussi hiérarchiséque le Bangladesh, l’anecdote endit longsur la personnalitédu lau-réatde lapremièreéditionduprixWisepour l’éducation.

La voix chaleureuse et posée,Fazle Hasan Abed débute l’entre-tien par des remerciements nour-rispour l’intérêtqui luiestporté,àlui qui n’est «pas très connu enFrance». Un déficit de notoriétéquitientdumystère.Elevéaurangde chevalier par la reine d’Angle-terre en 2010, le fondateur duBRAC, qui jouit d’un statut dehéros national au Bangladesh, estaussi plébiscité outre-Atlantiquepour sa conception innovante etentrepreneurialedel’aideaudéve-loppement.

Le destin de Fazle Hasan Abedsemblait tout tracé. Né en 1936, cepetit-fils d’unministredugouver-nementcolonialduBengale,aprèsde brillantes études à Glasgow etLondres, entre chez Shell commedirecteur financier. Il y aurait pro-bablement fait carrière, si l’indé-pendance du Bangladesh, arra-chée en 1971 aprèsune guerre san-glante, n’avait bousculé ses plans.Bouleversé par la détresse desdizaines de milliers de réfugiésvenus d’Inde, Fazle Hasan Abeddécidedequittersonpostepourseconsacrer à son pays. L’heure est àl’aide d’urgence, et c’est dans cetesprit qu’il crée le Comité d’aide àla réhabilitation du Bangladesh(BRAC). «Je pensais alors très sin-cèrement reprendremes fonctionsune fois mamission terminée», sesouvient-il.

Mais au terme de deux annéesdurant lesquelles il s’applique,avecceuxquil’ontrejoint,àrendreleurdignitéauxplusdémunis,Faz-le Hasan Abed prend consciencequ’iln’estqu’àl’aubedesonaction.«Il était impossible de concevoir ledéveloppement social à court ter-me. Je devais entreprendre un tra-vail dans la durée», explique-t-il. Ilvend son appartement londonienet pérennise le BRAC, qui désor-mais signifiera Bangladesh RuralAdvancementCommittee.

Inspiré par les travauxdes troispenseurs progressistes en voguedans les années 1960 – FrantzFanon, Paulo Freire et Ivan Illich –Fazle Hasan Abed comprend quepour faire reculer la pauvreté, ilfaudra bousculer l’ordre établid’une société compartimentée etagir sur tous les fronts. «Vous nepouvez pas vous contenter de prê-ter de l’argent. Il vous faut aussivous assurer que les mères maîtri-sentlesrèglesélémentairesd’hygiè-ne pour protéger leurs enfants desmaladies ou de la déshydratation.Ensuite, il faudra instruire cesenfants, puis leur donner accès àl’enseignement supérieur», expli-

que-t-il. Une tâche titanesquedans un pays où les femmes ontalors peu le droit de participer à lavie de la cité.

Mais « impossible» ne figurepas au vocabulaire de cet admira-teurdel’AbbéPierre,qu’ilarencon-tré une fois à Paris. Il partage aveccedernier l’entêtementmaisaussila modestie, jusque dans la mise :enlieuetplaceducostume,ilarbo-re la plupart du temps une simplechemise indienne.

Fazle Hasan Abed se distinguenéanmoins du fondateur d’Em-maüs par un pragmatisme héritéde son éducation anglo-saxonneet de ses débuts dans la finance.Résolument«entrepreneur», il aàcœur depuis le début de faire duBRAC une « entreprise sociale »rentable, et non une ONG dépen-dante de dons extérieurs. Unobjectif qu’il atteint, puisque l’or-ganisation est autosuffisante àplus de 70%.

Si l’hommeest peudisert, pres-que timide, lorsqu’il s’agit de seraconter–«Monpèreparledouce-ment, endit peu,maispensebeau-coup», résumesa fille Tamara –, ilévoque en revanche volontierssesmodèleset guides spirituels. Ilcite Ghandi mais aussi, dans lafoulée, lesKennedy.Souventsolli-

cité pour entrer en politique, il arefuséplusd’unmaroquinminis-tériel. « Je veux être du côté deceux qui agissent », affirme cemonstre de travail « exigeantautant de lui que de ses

employés», selon Mahabub Hos-sain, son directeur exécutif.

Ensemi-retraitedepuisseptans,il s’excuserait presque de ne plusconsacrerquehuit heurespar jourà son organisation. Fazle HasanAbed peut pourtant être tranquil-le : ses deux enfants, Shameran etTamara, nés d’une première épou-se décédée peu après leur naissan-ce,ontreprisleflambeau,aprèsdesétudes prestigieuses dans lesmeilleuresuniversitésanglaises etaméricaines.«Monpère a toujoursété là pour nous mais ne nous ajamais imposé quoi que ce soit, nises valeurs, ni le type d’études quenous devions suivre, ni la carrièrequenousdevionsembrasser.Ilnousa éduqués par l’exemple, expliqueTamara. Il ne nous a pas encoura-gés à suivre ses traces mais je croisqu’il est heureux que nous l’ayonsfait.» «Si je leur ai transmis ce sou-hait d’aider les plus démunis, alorsj’en suis fier», confirme pudique-

mentFazleHasanAbed.Cependant,pasquestiondepas-

ser entièrement la main. Le prési-dent du BRAC s’est délesté de tou-tes les tâches exécutives, mais ilcontinuederecevoirsescollabora-teurs et de suggérer de nouvellesidéesde croissance.

Lepeudetempslibredont ildis-pose, il le consacre à lire. Une pas-sion sans laquelle « la vie n’auraitpas la même intensité », résu-me-t-il. Au panthéon de sesauteurs, Shakespeare, James JoyceouencoreProust et Flaubert.De cedernier, il voudraitd’ailleursrelireMadame Bovary, dont il n’est pascertain «d’avoir tout compris à18ans».Mais cequi l’animeleplusreste la poésie. Baudelaire, Rim-baud et surtout le poète indienRabindranath Tagore, Prix Nobelde littérature.«Il adonnéauxBan-gladais un supplément d’âme.» Iln’est sûrementpas le seul. p

Caroline Franc

FazleHasanAbedUnpragmatiqueéclairé

LelauréatdupremierprixWisepourl’éducationapermislascolarisationde5millionsd’enfantsauBangladesh.Portrait

LeBRACvoit ledéveloppementengrand

FazleHasanAbedafaitdeBRACune

«entreprisesociale»rentable,

autosuffisanteàplusde70%

Iln’existaitpasdeNobelde l’édu-cation?LeQatarvientde l’inven-ter.Annoncéendécembre2010àl’issuedusommetmondialpourl’éducation(WISE)dont l’émiratest l’organisateur, leWisePrizeestdécernéàDoha, à l’occasiondela troisièmeéditiondecette ren-contre internationale,qui se tientdu1er au3novembre.

L’initiativenemanquepasd’ambition.LaQatar Foundation,bras financierde la famille roya-le, souhaiteavec cette dotationde 500000dollars«récompenserunepersonnalitéouune équipeayant contribuédemanièremajeure, sur le plan internatio-nal, auprogrèsde l’éducation».Unappel entendupar les acteursdu secteur.De février à avril, descentainesdedossiersont afflué.Un jury est nommé: JamesHadleyBillington,bibliothécaireduCongrès; Jeffrey Sachs, profes-seur à l’UniversitéColumbia(NewYork) ; FatmaRafiq Zakaria,présidenteduMaulanaAzadEdu-cationalTrust (Inde) ;Naledi Pan-dor,ministrede la science et de latechnologied’AfriqueduSud; etCheikhAbdullabinAli Al-Thani,présidentduWISE. Chargeà cescinqéminentespersonnalitésdedénicherungagnant auparcourset aux résultats irréprochables.Le lauréatdevant se rapprocherd’un«Einsteinde l’éducation», niplusnimoins.

Trèsvite, l’idéederécompenserl’actiondeFazleHasanAbed, fon-dateurduBangladeshRuralAdvancementCommittee (BRAC),a fait l’objetd’unconsensus.Sapersonnalité,autantquesonaction,menéeàgrandeéchelle,puisque5millionsd’enfantssontscolariséspar ses soins,ontconvaincules jurés.Nuldouteenoutrequesavisionpragmatiquede l’éducation,qu’ilne considèrepascommeunefinensoimaiscommeun levierparmid’autrespour lutter contre lapauvreté,auraséduit leQatar.Cettephiloso-phierejointeneffet cellede l’émi-ratqui, avecsonsommetmon-dial,miseouvertementsur la ren-tabilitédes investissementsédu-catifs.Unemannequi, contraire-mentauxnappesdepétrolede larégion,nedevraitpas s’épuiserdans les cinquanteannéesàvenir…

Supplément spécialConception/ réalisation:MarylineBaumardIllustrations:Olivier BalezTraduction: JohnTittensor

MUSTAFIZ MAMUM / DRIK / MAJORITYWORLD

«Nousneconstruisonspasdepontsni d’aéroports,maisnous fai-sonsquasimenttout le reste!»LaboutadedeFazleHasanAbed,fondateurduBRAC (BangladeshRuralAdvancementComittee,ouComitépour ledéveloppementduBangladeshrural), résumel’ampleurdesactionsdecetteONG, l’unedesplus importantesaumonde.Crééen 1972après laguerred’indépendanceduBan-gladesh, leBRACapourambitionderéduire lapauvretédemanièredurable. L’organisationdisposed’une forcede frappeunique,qui s’expliquepar saconceptionholistiquede l’aideaudéveloppement,et fonctionnecommeunemultinationale.Si FazleHasanAbedestaujourd’huimisà l’honneurpar laQatarFoundation,c’estparcequ’il a beaucoupœuvrépour l’éduca-tion.De l’impressiondemanuels scolairesà la constructiond’écolesmaternellesetprimairesetmêmela créationd’uneuni-versité, il adéveloppétous lesmaillonsdusystème.Impossiblepourtantde réduiresonœuvreàcette seulemission,tantelle s’intègredansunepolitiqueglobalequivadecampa-gnesdepréventionsanitaireauxplantationsagricoles.MoinsmédiatiséenEuropeque laGrameenBank, leBRACestaussiunpuissantorganismedemicrocrédit, comptabilisanten2010plusde8millionsd’emprunteursauBangladeshpourunmontanttotalde 1milliarddedollars. Lesprêts sont contractéspardesparticuliers,essentiellementdes femmes,maisaussi etsurtoutdesmilliersdepetitesentreprises locales.

Tentaculaire, l’organisationgèreunbudgetde495millionsdedollars, compteplusde60000employéset autantdebénévolesrépartisdansdixpays–Bangladesh,Sri Lanka,Afghanistan,Pakistan,Liberia, SierraLeone,Haïti, Sud-Soudan,TanzanieetOuganda. 110millionsdepersonnesbénéficientdesesactions.Plusde400000maladesde la tuberculosereçoiventun traite-mentfinancépar leBRAC;prèsde 5millionsd’enfantsontétéinstruitsdans l’unedesécolesde l’association; 5,6millionsdefemmesenceintesbénéficientd’unsuivimédical. S’ilne fallaitretenirqu’unchiffre: enapprenantauxmèrescommentpréve-nir ladéshydratation, leBRACa faitpasser lamortalité infantileauBangladeshde258à75pour 1000en trenteans.Sonomniprésencesoulèvenéanmoinsquelquesréserves.Poursesdétracteurs, le BRACseraitdevenuungouvernementparallè-lequin’auraitdecomptesà rendreàpersonne.«Quelle est l’alter-native?», interrogeDavidRoodman,spécialistedumicrocréditetmembreduCentreaméricainde recherchepourundévelop-pementglobal.«Il serait eneffetpréférableque lesactionsmenéespar leBRAC le soientpar legouvernement,mais çan’esthélaspas le cas. LeBRACaidedesmillionsdepersonnesaujour-d’hui. Faudrait-ilymettre finaunomdecegenrede considéra-tionsabstraites?»Ces critiquesn’ébranlentde toute façonpas leBRAC,quipoursuit sonodyssée.Dernières implantationsendate:Haïti, la SierraLeoneet le Liberia. p C.Fr.

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4 0123Jeudi 3 novembre 2011