une infection cutanée rare compliquant une corticothérapie générale au long cours

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UNE INFECTION CUTANiE RARE COMPLIQUANT UNE CORTlCOTHiRAPlE GiNiRALE AU LONG COURS Patrick Saint-Blancard a,*, Thierry Le Guyadec b, Pierre CHerC, Robert Le Vagueressea 1. Observation clinique 2. Discussion Un homme de 37 ans, suivi pour une sarcoidose mediastino-pulmo- naire traitee par corticotherapie orale au long tours a raison de 40 mg/jour, consulte en dermatologie devant I’apparition persistante depuis 1 mois de lesions cutanees nodulaires et infiltrantes a type d’ab- c&s purulent du membre inferieur gauche. Sur le plan pulmonaire, le lavage bronchoalveolaire revele la persistance d’une hypercellularite a 595 000 celluleslml accompagnee d’une lymphocytose a 35 %, avec un rapport CD4/CD8 a 1,84. II n’existe pas de signe biologique d’in- flammation. La biopsie cutanee est pratiquee devant ces lesions cutanees. Elle revele des lesions essentiellement limitees au derme surmonte d’un epiderme acanthosique et papillomateux, et respectant I’hypoderme. Ces lesions, sur les coupes colorees a I’hematoxyline-phloxine-safran, correspondent a une reaction inflammatoire polymorphe, avec dune part des amas de polynucleaires neutrophiles, et d’autre part un intense granulome constitue de lymphocytes, de plasmocytes, mais surtout de cellules epithelio’ides et de cellules geantes multinucleees. II nest pas observe de n&rose. La reaction inflammatoire est organisee autour de levures arrondies parfois bourgeonnantes, rarement libres dans le derme, parfois cernees d’un halo clair. Les levures sont colorees par le PAS et le Grocott. Le halo clair, correspondant a une capsule, pre- sente des affinites tinctoriales pour l’encre de Chine, le bleu Alcian et le mucicarmin. Ces caracteres morphologiques sont evocateurs des cryptocoques. La confirmation est apportee apres culture mycologique sur milieu de Sabouraud en 48 heures, avec identification de la variete, Cryptococcus neoformans, par le Centre national de reference des mycoses et des antifongiques (Institut Pasteur, Paris). II nest pas isole de C. neoformans dans les hemocultures, le liquide cephalo-rachidien et dans le liquide de lavage broncho-alveolaire. Le diagnostic port& est celui d’une cryptoccocose B Cryptococcus naoformans chez un homme jeune prtkentant une sarcdidose trai- tee par corticoth&apie g&kale. a Service d’anatomie pathologique et de biologie medicale b Service de dermatologie c Service de pneumologie HGpital d’lnstruction des Armees Percy 10 1,av. Henri-Barbusse 92141 Clamart cedex * Correspondance. article rqu le 30 septembre 1999, accept6 le 29 mars 2000. 0 Elsevier,Parks. La cryptococcose est une infection mycosique opportuniste due a Crypfococcus neoformans, actuellement en recrudescence, paralle- lement a I’accroissement du nombre de sujets immunodeprimes 141. C’est la mycose systemique la plus frequente en Europe, surtout depuis I’avenement du sida. Le cryptocoque est une levure ubiquitaire pre- sente dans la terre et les dejections de pigeons [6]. II penetre I’orga- nisme par voie pulmonaire, et ses principales localisations sont neu- romeningees. En fait, tous les organes peuvent etre atteints [4]. Catteinte cutaneo-muqueuse est rare, d&rite dans 10 a 20 O/o des cas [4,8]. Elle est rarement isolee, faisant alors suite a un traumatisme. Elle est le plus souvent associee a une atteinte systemique. Les manifesta- tions cliniques de la cryptococcose cutanee sont polymorphes et non evocatrices. Differents aspects sont decrits, comme des papules, pla- cards, nodules erythemateux parfois ombiliques, pustules, vesicules, bulles, purpura, abces, cellulites, tumefactions sous-cutanees, fistules, lesions acneiformes, granulomes muqueux, ou encore des ulcerations [4, 81. Cependant chez les sideens, trois aspects semblent plus parti- culiers : les cellulites aigues multifocales, les pseudo-molluscum conta- giosum, les formes simulant la maladie de Kaposi 12, 51. Les images histologiques dependent avant tout des moyens de defense immunitaire tissulaire du sujet. Deux formes sont classique- ment d&rites, la forme gelatineuse et la forme granulomateuse [I I. La forme gelatineuse comporte de nombreux champignons agglomeres associes a une reaction inflammatoire tissulaire minime. La forme granulomateuse correspond a une reaction inflammatoire intense comprenant des lymphocytes, des macrophages, des cellules geantes multinucleees associees a des fibroblastes. Dans cette pre- sentation, les levures sont en general peu nombreuses, sit&es dans les cytoplasmes des macrophages et des cellules geantes, soit libres dans le tissu interstitiel. La n&rose nest pas rare. II faut cependant insister sur la difficulte de mettre en evidence les levures dans les gra- nulomes qui peuvent passer inaperques et penser a faire un PAS. Le cryptocoque est une spore de 2 a 12 p de diametre qui se multi- plie par bourgeonnement. II est entoure d’une capsule epaisse cor- respondant au halo clair parfois visible des la coloration HPS. La levure est coloree par le PAS et le Gomori-Grocott. La capsule apparait bleue avec le bleu Alcian et rouge avec le mucicarmin. Ces particularites tinc- toriales attestent de la charge en mucopolysaccharides acides de la capsule. II peut etre depourvu de capsule, notamment si la spore est en situation intracellulaire et chez les sujets sideens. Le diagnostic mycologique repose obligatoirement sur : - la mise en evidence de levures encapsulees a I’examen direct des prelevements adresses, grace aux colorations speciales (encre de Chine diluee au 1 15e, mucicarmin, PAS) ; - la mise en en evidence de colonies blanches apres mise en culture sur milieu de Sabouraud a 37°C ; Revue Franqaise des Laboratolres, septembre 2000, N” 325 57

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UNE INFECTION CUTANiE RARE COMPLIQUANT UNE CORTlCOTHiRAPlE GiNiRALE AU LONG COURS

Patrick Saint-Blancard a,*, Thierry Le Guyadec b, Pierre CHerC, Robert Le Vagueressea

1. Observation clinique 2. Discussion

Un homme de 37 ans, suivi pour une sarcoidose mediastino-pulmo-

naire traitee par corticotherapie orale au long tours a raison de 40

mg/jour, consulte en dermatologie devant I’apparition persistante

depuis 1 mois de lesions cutanees nodulaires et infiltrantes a type d’ab-

c&s purulent du membre inferieur gauche. Sur le plan pulmonaire, le

lavage bronchoalveolaire revele la persistance d’une hypercellularite

a 595 000 celluleslml accompagnee d’une lymphocytose a 35 %, avec

un rapport CD4/CD8 a 1,84. II n’existe pas de signe biologique d’in-

flammation.

La biopsie cutanee est pratiquee devant ces lesions cutanees. Elle

revele des lesions essentiellement limitees au derme surmonte d’un

epiderme acanthosique et papillomateux, et respectant I’hypoderme.

Ces lesions, sur les coupes colorees a I’hematoxyline-phloxine-safran,

correspondent a une reaction inflammatoire polymorphe, avec dune

part des amas de polynucleaires neutrophiles, et d’autre part un intense

granulome constitue de lymphocytes, de plasmocytes, mais surtout de

cellules epithelio’ides et de cellules geantes multinucleees. II nest pas

observe de n&rose. La reaction inflammatoire est organisee autour

de levures arrondies parfois bourgeonnantes, rarement libres dans le

derme, parfois cernees d’un halo clair. Les levures sont colorees par

le PAS et le Grocott. Le halo clair, correspondant a une capsule, pre-

sente des affinites tinctoriales pour l’encre de Chine, le bleu Alcian et

le mucicarmin. Ces caracteres morphologiques sont evocateurs des

cryptocoques. La confirmation est apportee apres culture mycologique

sur milieu de Sabouraud en 48 heures, avec identification de la variete,

Cryptococcus neoformans, par le Centre national de reference des

mycoses et des antifongiques (Institut Pasteur, Paris). II nest pas isole

de C. neoformans dans les hemocultures, le liquide cephalo-rachidien

et dans le liquide de lavage broncho-alveolaire.

Le diagnostic port& est celui d’une cryptoccocose B Cryptococcus

naoformans chez un homme jeune prtkentant une sarcdidose trai-

tee par corticoth&apie g&kale.

a Service d’anatomie pathologique et de biologie medicale b Service de dermatologie c Service de pneumologie HGpital d’lnstruction des Armees Percy 10 1, av. Henri-Barbusse 92141 Clamart cedex

* Correspondance.

article rqu le 30 septembre 1999, accept6 le 29 mars 2000.

0 Elsevier, Parks.

La cryptococcose est une infection mycosique opportuniste due a

Crypfococcus neoformans, actuellement en recrudescence, paralle-

lement a I’accroissement du nombre de sujets immunodeprimes 141.

C’est la mycose systemique la plus frequente en Europe, surtout depuis

I’avenement du sida. Le cryptocoque est une levure ubiquitaire pre-

sente dans la terre et les dejections de pigeons [6]. II penetre I’orga-

nisme par voie pulmonaire, et ses principales localisations sont neu-

romeningees. En fait, tous les organes peuvent etre atteints [4].

Catteinte cutaneo-muqueuse est rare, d&rite dans 10 a 20 O/o des cas

[4,8]. Elle est rarement isolee, faisant alors suite a un traumatisme. Elle

est le plus souvent associee a une atteinte systemique. Les manifesta-

tions cliniques de la cryptococcose cutanee sont polymorphes et non

evocatrices. Differents aspects sont decrits, comme des papules, pla-

cards, nodules erythemateux parfois ombiliques, pustules, vesicules,

bulles, purpura, abces, cellulites, tumefactions sous-cutanees, fistules,

lesions acneiformes, granulomes muqueux, ou encore des ulcerations

[4, 81. Cependant chez les sideens, trois aspects semblent plus parti-

culiers : les cellulites aigues multifocales, les pseudo-molluscum conta-

giosum, les formes simulant la maladie de Kaposi 12, 51.

Les images histologiques dependent avant tout des moyens de

defense immunitaire tissulaire du sujet. Deux formes sont classique-

ment d&rites, la forme gelatineuse et la forme granulomateuse [I I.

La forme gelatineuse comporte de nombreux champignons agglomeres

associes a une reaction inflammatoire tissulaire minime.

La forme granulomateuse correspond a une reaction inflammatoire

intense comprenant des lymphocytes, des macrophages, des cellules

geantes multinucleees associees a des fibroblastes. Dans cette pre-

sentation, les levures sont en general peu nombreuses, sit&es dans

les cytoplasmes des macrophages et des cellules geantes, soit libres

dans le tissu interstitiel. La n&rose nest pas rare. II faut cependant

insister sur la difficulte de mettre en evidence les levures dans les gra-

nulomes qui peuvent passer inaperques et penser a faire un PAS.

Le cryptocoque est une spore de 2 a 12 p de diametre qui se multi-

plie par bourgeonnement. II est entoure d’une capsule epaisse cor-

respondant au halo clair parfois visible des la coloration HPS. La levure

est coloree par le PAS et le Gomori-Grocott. La capsule apparait bleue

avec le bleu Alcian et rouge avec le mucicarmin. Ces particularites tinc-

toriales attestent de la charge en mucopolysaccharides acides de la

capsule. II peut etre depourvu de capsule, notamment si la spore est

en situation intracellulaire et chez les sujets sideens.

Le diagnostic mycologique repose obligatoirement sur : - la mise en evidence de levures encapsulees a I’examen direct des

prelevements adresses, grace aux colorations speciales (encre de

Chine diluee au 1 15e, mucicarmin, PAS) ; - la mise en en evidence de colonies blanches apres mise en culture

sur milieu de Sabouraud a 37°C ;

Revue Franqaise des Laboratolres, septembre 2000, N” 325 57

- le diagnostic de genre, puis d’espece port6 par des tests specifiques

(tests de fermentation des sucres, d’assimilation des sucres, test au

nitrate de potassium, test de reduction des sels de tetrazolium, test

de sensibilite a I’actidione).

Actuellement, plusieurs varietes de cryptocoques sont individualisees,

dont deux varietes de C. neoformans separees en 4 serotypes IQ]. La

recherche d’antigenes cryptococciques dans les liquides biologiques

(sang, liquide cephalo-rachidien, urines, liquide de lavage broncho-

alveolaire), et la recherche de levures dans ces milieux ont un interet

a la fois diagnostique et pronostique.

Cassociation a un etat d’immunodepression est bien connue, que celle-

ci soit en rapport avec le virus de I’immunodeficience humaine, iatro-

gene (corticotherapie, immunosuppresseurs), une affection maligne

(lymphome, leucemie) ou une sarco’idose [3, 4, 6, 91.

Notre patient presentait de facon conjointe deux causes d’immuno-

depression, une sarcoidose et une corticotherapie g&&ale. Cet &at

favorise les formes disseminees, avec, outre les atteintes cutanees,

58 Revue Franqatse des Laboratoires, septembre ‘2000, No 325

les localisations musculaires, pulmonaires et surtout sanguines et

meningees, au pronostic redoutable [31. Un diagnostic precoce et la

mise en route rapide d’antibiotiques de la famille des thiazoles,

comme le fluconazole ou I’itraconazole qu’il convient de prolonger pen-

dant plusieurs semaines ou mois, a permis d’eviter cet ecueil, comme

cela a ete constate chet notre patient [7]. Dans certains cas, le

recours a I’amphotericine B avec ou sans flucytosine est indispen-

sable 181.

3. Conclusion

C ette observation permet de rappeler les aspects polymorphes de

la cryptococcose cutanee et d’insister sur le fait que cette infec-

tion fongique represente, chez le sujet immunodeprime, une source

majeure de morbidite et de mortalite. II convient d’avoir toujours a I’es-

prit la possibilite de survenue d’une telle affection afin de porter rapi-

dement le diagnostic et de debuter precocement un traitement.

Ubfkrences un immunodeprime, Ann. P&hot 16 (2) (1996) 139-i 40.

171 Sate T., Koseki 8, Takahashi 8, Maie O., Localized cutaneous cryptococcosis successfully treated with itraconazole. review of medication in 18

(41 Moreau-Cabarrot A., Giacco-Demoulins N., cases reported in Japan, Mycoses 33 (g-10) (1990) Bonafe J.L.. Ma&o P. Crvotococcose cutanee a 455-463.

[l] Durden F.M., Elewski B., Cutaneous involvement with Cryptococcus neoformans in AIDS, J. Am. Acad. Dermatol. 30 (5) (1994) 844-848.

[Zl Ghigliottr G., Carrega G., Farris A., Burroni A., Nigro A., Pagan0 G., De Marchi R., Cutaneous cryp- tococcosis resembling molluscum pendulum in a homosexual man with AIDS, Report of a case and review of the literature, Acta Derm. Venereal. 72 (3) (1992) 182-I 84.

[31 Maillard H., Prophette B., Gloss F.,Celerier Ph., Forest J.L., Varache N., Fabiani B., Panniculite chez

type d’ulceration revelatri~e d’une clyptococcose disseminee, Nouv. Dermatol. 15 (1996) 519-520.

(51 Murakawa G.J., Kerschmann R., Berger T., Cutaneous cryptococcus infection and AIDS. Report of 12 cases and review of the literature, Arch. dermatol. 132 (5) (1996) 545-548.

[6] Sanchez-Albisua B., Rodriguez-Peralto J.L., Romero G., Alonso J., Vanaclocha F., lglesias L., Cryptococcal cellulitis in an immunocompetent host, J. Am. Acad. Dermatol. 36 (1997) 109-l 12.

(81 Vandersmissen G., Meuleman L., Tits G., Verhaeghe A., Peetermans W.E., Cutaneous cryp- tococcosis in corticosteroid-treated patients without AIDS, Acta Clin. Belg. 51 (2) (1996) 11 l-1 17.

(91 Verneuil L., Dompmartin A., Duhamel C., Cren P, Six M., Le Maitre M., Galateau F., Moreau A., Leroy D., Panaris cryptococcique chez un malade VIH positif, Ann. Dermatol. Venereol. 122 (1995) 68% 691.

Revue FranCalse des Laboratolres, septembre 2000, N” 325 59