tms ailleurs. prévention des tms au québec

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TMS ailleurs. Pre ´ vention des TMS au Que ´bec Musculoskeletal disorders prevention in Quebec N. Ve ´zina Cinbiose ISS, UQAM, de ´partement de kinanthropologie, CP 8888, succursale Centre-Ville, Montre ´al (Que ´bec), Canada Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com L a pre ´vention des troubles musculosquelettiques (TMS) au Que ´bec est e ´videmment un vaste sujet qui peut e ˆtre aborde ´e de diverses manie `res. Nous avons adopte ´ dans ce texte un mode pluto ˆt descriptif de la situation en trac ¸ant d’abord un portrait de l’importance de ce proble `me de sante ´ dans les milieux de travail, pour ensuite raconter le chemi- nement progressif de nos institutions au travers des pro- grammes nationaux mis en place afin de favoriser la pre ´vention des TMS. Chaque e ´tape permet de faire ressortir certaines limites et de nouvelles orientations pour l’action. Les TMS au Que ´bec, un proble `me de sante ´ sous-estime ´ Les statistiques des le ´sions indemnise ´es par la Commission de la sante ´ et de la se ´curite ´ du travail (CSST) constituent la principale re ´fe ´rence permettant d’e ´tablir un portrait de l’importance et du cou ˆt des TMS relie ´s au travail au Que ´bec. Conc ¸ue principalement pour des fins administratives, il s’agit d’une source de donne ´es qui pre ´sente plusieurs limites quant a ` son usage pour des fins pre ´ventives [1]. L’Institut national de sante ´ publique du Que ´bec (INSPQ) a re ´alise ´ des analyses statistiques a ` partir des donne ´es de la CSST en ajustant la de ´finition de certains concepts (accident, maladie profession- nelle, TMS) et en se procurant un de ´nominateur (nombre de travailleurs par secteur) permettant en conse ´quence d’obtenir un portrait comparatif par secteur. Ainsi, selon Stock et al [2], un cas de TMS peut affecter le cou, les membres supe ´rieurs, le dos ou les membres infe ´rieurs et correspondre tant a ` un diagnostic de tendinite ou de compression nerveuse qu’a ` des douleurs non spe ´cifie ´es, en excluant les traumas (exemple, chutes). En consi- de ´rant les anne ´es 2000–2002, ils ont obtenu une moyenne annuelle de 49 882 cas de TMS indemnise ´s par la CSST, ce qui repre ´sente 35 % de l’ensemble des le ´sions professionnelles. Le dos est principalement affecte ´ (52,8 %) suivi des membres supe ´rieurs (31,2 %), ceux-ci ayant cependant une dure ´e d’absence plus longue. Alors que le taux d’incidence des TMS est de fac ¸on ge ´ne ´rale de 18,6 (taux/1000 travailleurs e ´quivalent temps complet ou ` un ETC : 2000 heures), il est de 43,2 chez les travailleurs manuels. Les femmes travailleuses manuelles ont le taux le plus e ´leve ´ avec 50,5. Le secteur le plus touche ´ est celui de l’abattage et du conditionnement de la viande (femmes et hommes). Le second secteur chez les femmes est celui des centres hospitaliers alors que chez les hommes, il s’agit des bureaux de placement et services de location de personnel. Le secteur des produits en caoutchouc arrive en troisie `me (fem- mes) et quatrie `me place (hommes). De plus, il est ge ´ne ´ralement admis que ces re ´sultats ne repre ´sentent que la pointe de l’iceberg puisque de nombreuses personnes pre ´sentant des TMS qu’ils conside `rent relie ´s au travail admettent ne pas de ´clarer leur le ´sion. L’inse ´curite ´ de l’emploi, la crainte relie ´e aux contestations syste ´matiques de plusieurs employeurs, les bonis accorde ´s mensuellement aux e ´quipes de travail sans le ´sions professionnelles ou l’impossibilite ´ de cumuler suffisam- ment d’heures de travail pour avoir droit a ` l’assurance-emploi dans le cas du travail saisonnier, sont autant de raisons qui peuvent inciter les travailleurs a ` la sous-de ´claration. Certains re ´sultats non encore disponibles confirment a ` quel point une minorite ´ seulement de TMS sont de ´clare ´s. Par ailleurs, lors de l’enque ˆte sociale et de sante ´ du Que ´bec de 1998, un travailleur sur quatre rapportait des douleurs qu’il reliait au travail et qui le de ´rangeaient dans ses activite ´s et 9 % rapportaient s’e ˆtre absente ´ du travail a ` cause de sympto ˆmes de douleur muscu- losquelettique au cours des derniers 12 mois [3]. La Commission de sante ´ et de la se ´curite ´ du travail et la pre ´vention des TMS La CSST est au cœur du re ´seau de la sante ´ et de la se ´curite ´ du travail au Que ´bec. C’est un assureur public obligatoire a ` la e-mail : [email protected]. Texte des experts – Pre ´vention des troubles musculosquelettiques 426 1775-8785X/$ - see front matter ß 2010 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. 10.1016/j.admp.2010.03.083 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:426-430

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TMS ailleurs. Prevention des TMS au Quebec

Musculoskeletal disorders prevention in Quebec

N. VezinaDisponible en ligne sur

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Texte des experts – Prevention des troublesmusculosquelettiques

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Cinbiose ISS, UQAM, departement de kinanthropologie, CP 8888, succursale Centre-Ville,Montreal (Quebec), Canadawww.sciencedirect.com�

L a prevention des troubles musculosquelettiques (TMS)au Quebec est evidemment un vaste sujet qui peut etreabordee de diverses manieres. Nous avons adopte dans

ce texte un mode plutot descriptif de la situation en tracantd’abord un portrait de l’importance de ce probleme de santedans les milieux de travail, pour ensuite raconter le chemi-nement progressif de nos institutions au travers des pro-grammes nationaux mis en place afin de favoriser laprevention des TMS. Chaque etape permet de faire ressortircertaines limites et de nouvelles orientations pour l’action.

Les TMS au Quebec, un probleme de santesous-estime

Les statistiques des lesions indemnisees par la Commission dela sante et de la securite du travail (CSST) constituent laprincipale reference permettant d’etablir un portrait del’importance et du cout des TMS relies au travail au Quebec.Concue principalement pour des fins administratives, il s’agitd’une source de donnees qui presente plusieurs limites quant ason usage pour des fins preventives [1]. L’Institut national desante publique du Quebec (INSPQ) a realise des analysesstatistiques a partir des donnees de la CSST en ajustant ladefinition de certains concepts (accident, maladie profession-nelle, TMS) et en se procurant un denominateur (nombre detravailleurs par secteur) permettant en consequence d’obtenirun portrait comparatif par secteur. Ainsi, selon Stock et al [2], uncas de TMS peut affecter le cou, les membres superieurs, le dosou les membres inferieurs et correspondre tant a un diagnosticde tendinite ou de compression nerveuse qu’a des douleurs nonspecifiees, en excluant les traumas (exemple, chutes). En consi-derant les annees 2000–2002, ils ont obtenu une moyenneannuelle de 49 882 cas de TMS indemnises par la CSST, ce quirepresente 35 % de l’ensemble des lesions professionnelles. Le

e-mail : [email protected].

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1775-8785X/$ - see front matter � 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.10.1016/j.admp.2010.03.083 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010

dos est principalement affecte (52,8 %) suivi des membressuperieurs (31,2 %), ceux-ci ayant cependant une dureed’absence plus longue. Alors que le taux d’incidence des TMSest de facon generale de 18,6 (taux/1000 travailleurs equivalenttemps complet ou un ETC : 2000 heures), il est de 43,2 chez lestravailleurs manuels. Les femmes travailleuses manuelles ontle taux le plus eleve avec 50,5. Le secteur le plus touche est celuide l’abattage et du conditionnement de la viande (femmes ethommes). Le second secteur chez les femmes est celui descentres hospitaliers alors que chez les hommes, il s’agit desbureaux de placement et services de location de personnel. Lesecteur des produits en caoutchouc arrive en troisieme (fem-mes) et quatrieme place (hommes). De plus, il est generalementadmis que ces resultats ne representent que la pointe del’iceberg puisque de nombreuses personnes presentant desTMS qu’ils considerent relies au travail admettent ne pasdeclarer leur lesion. L’insecurite de l’emploi, la crainte relieeaux contestations systematiques de plusieurs employeurs, lesbonis accordes mensuellement aux equipes de travail sanslesions professionnelles ou l’impossibilite de cumuler suffisam-ment d’heures de travail pour avoir droit a l’assurance-emploidans le cas du travail saisonnier, sont autant de raisons quipeuvent inciter les travailleurs a la sous-declaration. Certainsresultats non encore disponibles confirment a quel point uneminorite seulement de TMS sont declares. Par ailleurs, lors del’enquete sociale et de sante du Quebec de 1998, un travailleursur quatre rapportait des douleurs qu’il reliait au travail et qui lederangeaient dans ses activites et 9 % rapportaient s’etreabsente du travail a cause de symptomes de douleur muscu-losquelettique au cours des derniers 12 mois [3].

La Commission de sante et de la securitedu travail et la prevention des TMS

La CSST est au cœur du reseau de la sante et de la securite dutravail au Quebec. C’est un assureur public obligatoire a la

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grandeur du Quebec dont le Conseil d’administration paritaireest constitue de representants patronaux et syndicaux. Elleest chargee d’administrer le regime quebecois de sante et desecurite du travail (loi sur la sante et la securite dutravail 1979) et attribue des mandats a diverses organisationsdont le ministere de l’Education et le ministere de la Sante.Outre son role de financement (cotisation des employeurs), laCSST a deux autres roles :� l’indemnisation-readaptation dont le professionnel princi-palement implique est le conseiller en readaptation ;� la prevention-inspection principalement tenue par lesinspecteurs.On remarque deja deux caracteristiques qui marquent l’orga-nisation de la sante-securite au Quebec. D’abord, cette sepa-ration entre la prevention et la readaptation qui sont porteespar des professionnels et des gestionnaires differents.Ensuite, la prevention est associee a l’inspection, ce quiconstitue deux chapeaux parfois difficiles a porter. En effet,l’inspecteur peut etre appele a offrir de l’assistance en pre-vention, mais son role principal est l’inspection et les enque-tes d’accident. Il ne peut en etre autrement puisque le nombred’inspecteurs est minime a comparer avec le nombre d’entre-prises a couvrir. On compte environ 300 inspecteurs alors que243 575 etablissements sont inscrits a la CSST (3 136 800 tra-vailleurs) [4]. Il n’est donc pas etonnant qu’une des premieresapproches choisies par la CSST pour faire la promotion de laprevention des TMS ait ete de developper un projet quiaugmente les capacites des acteurs dans les milieux de travaila prendre en charge la prevention des TMS. La premiereformule choisie a ete la formation de groupes-ergo.

Le PII-LATR

C’est en 1997 que la CSST a lance le programme integred’intervention sur les lesions attribuables aux travaux repetitifs(PII-LATR). Il s’agissait d’une demarche d’ergonomie participa-tive de type groupe-ergo ou un comite forme de differentsacteurs de l’entreprise (supervision, syndicat, maintenance,etc.) recoit une formation sur les TMS, les facteurs de risqueet une procedure pour analyser un poste de travail et deve-lopper des solutions en impliquant les travailleurs concernes[5]. Ces acteurs se familiarisaient donc a une procedure, maisaussi a une approche qui utilisait le savoir des travailleurs pouridentifier et resoudre des problemes. Le comite etait d’abordguide par une personne ressource specialisee en ergonomie etprovenant du reseau associe a la CSST (CSST, IRSST, equipesante au travail du reseau de sante publique association sec-torielle paritaire), mais ce comite devait apprendre a fonction-ner de facon autonome. Selon Girard [6], des le debut desannees 2000, la CSST s’est inquietee des limites de cetteapproche : lourdeur des groupes-ergo, demarche energivoreet couteuse en temps de ressources impliquees autant pour lesentreprises que pour la CSST, peu de transfert d’expertise al’entreprise. En 2003, la CSST mettait fin au PII-LATR. En 2005,

St-Vincent et al. [7] faisaient pourtant un bilan tres positif desdifferentes etudes qu’ils avaient menees en appliquant unedemarche participative de type groupe-ergo, bien qu’ils cons-tataient que certains problemes pouvaient etre trop complexespour etre abordes par un groupe-ergo. De son cote, Simoneau[8] soulignait la difficulte pour un groupe-ergo de poursuivreses activites apres le depart de la personne ressource qui leurservait de guide. Le groupe-ergo constituait souvent une struc-ture non-permanente et non integree aux structures en place.L’absence d’une personne dans l’entreprise qui prenne le lea-dership des activites du groupe-ergo ou le depart des acteursqui avaient recu la formation pouvaient expliquer sa dispari-tion. On peut penser qu’un suivi pour motiver et encourager lesmembres des groupes-ergo a poursuivre leurs activites et lemaintien de ressources disponibles pour soutenir les groupes-ergo lors de l’analyse de cas plus complexes ou pour former denouveaux acteurs, auraient pu favoriser la survie de cetteformule dans plusieurs entreprises. Une telle proposition exigeevidemment la mobilisation de professionnels dans le reseaude la sante-securite pour assurer ce service ou l’obligationdonnee a l’employeur d’engager une personne competentepour animer un groupe-ergo ou assurer une permanence dansl’analyse des situations a risque.

La CSST prend une autre orientation : l’utilisation duQECVers les annees 2004–2005, la CSST opte pour une nouvelleapproche en prevention des TMS en equipant ses inspecteursd’un outil d’identification rapide des risques de TMS, le QuickExposure Check (QEC) [9], adapte du guide utilise par le Healthand Safety Executive (HSE) d’Angleterre [10]. Cet outil proposeune methode pour evaluer si le risque est faible, moyen oueleve pour differentes regions du corps (cou, dos, epaules-bras, poignets-mains). Les questions posees sont a choixmultiples et concernent la posture et la frequence de mou-vement evaluees par observation par l’inspecteur ainsi que laduree, l’effort (force), la precision, l’exposition a des vibra-tions, le rythme et le stress notes selon la perception dutravailleur. Lorsque le risque est considere eleve pour unearticulation, l’inspecteur exige de l’entreprise qu’elle corrige lasituation. L’entreprise a alors la liberte de choisir la procedureet le professionnel de son choix pour l’aider a trouver unesolution. Il n’y a donc aucune assurance sur la qualite dela demarche qui sera utilisee pour corriger le probleme.St-Vincent et al. [11] ont etudie six cas mais signalent plusieurslimites a ces analyses et souhaitent un projet d’envergurepour faire le suivi d’un vaste echantillon d’interventionsinitiees par les inspecteurs afin de mieux decrire la procedure« naturelle » de l’entreprise.D’autres cas d’utilisation du QEC par les inspecteurs ont puetre decrits et certains usages abusifs ont ete mis en evidence.En effet, le QEC permet de relever la presence de certainsfacteurs de risque, mais il ne permet pas de faire un diagnostic

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de la situation de travail ou d’identifier les elements qui sontresponsables du risque. De plus, comme l’entreprise est librede consulter les personnes de son choix pour corriger lasituation, y compris a l’interne, celles-ci ne possedent pasnecessairement la formation requise. En croyant obtenir undiagnostic par les resultats du QEC fournis par l’inspecteur,certaines entreprises ont propose des changements qui crea-ient de nouvelles situations a risque. Par ailleurs, le QEC aaussi ete utilise a l’inverse, c’est-a-dire pour demontrer qu’iln’y avait pas de risque. Certains travailleurs n’ont pu recevoird’indemnisation sur la seule base de l’evaluation du QEC quise limitait a un risque modere alors que d’autres informationsauraient pu montrer a l’evidence la presence d’un risqueimportant. Les facteurs de risque ne sont pas toujours imme-diatement visibles ou faciles a detecter a l’aide d’une simplegrille.Les inspecteurs de la CSST s’etant traditionnellement concen-tres sur la detection des risques lies a l’environnement (bruit,qualite de l’air, securite des machines, chutes, etc.), la forma-tion au QEC a certainement permis a plusieurs d’entre eux dese familiariser davantage aux facteurs de risque des TMS et ase commettre avec plus d’assurance aupres des employeursafin de les obliger a agir au niveau de certains postes detravail. Pour verifier la validite des changements effectues, unautre QEC est realise. L’inevitable reduction des difficultesrencontrees dans une situation de travail par le QEC permetevidemment d’avoir des doutes sur le reglement des proble-mes. Meme si on simplifie les analyses, la complexite dessituations de travail demeure.

Le reseau de la sante publique et lesequipes de sante au travail

Le reseau de la sante publique en sante au travail comprend15 agences reparties sur tout le Quebec. Chacune regroupeplusieurs centres de sante et de services sociaux (CSSS) quiagissent en premiere ligne. C’est dans les 56 CSSS que l’onretrouve les equipes de sante au travail qui doivent remplir lemandat que leur attribue la loi sur la sante et la securite dutravail. Il peut y avoir ici un jeu de negociation dans le choixdes priorites, mais on constate depuis 2008 que la CSSTdemande au reseau de sante publique en sante au travailde considerer la prevention des TMS dans le cadre des Pro-grammes de sante specifiques a chaque etablissement (PSSE)..Les equipes sont composees de medecins, hygienistes dutravail, infirmieres et techniciens en hygiene du travail(450 a 500 professionnels). Par exemple, l’agence de Montrealcompte quatre CSSS et quatre equipes de sante au travailmobilisant environ 110 intervenants. On retrouve sur le terri-toire de Montreal 48 326 etablissements et 902 965 travail-leurs (2008) [12]. Le nombre d’intervenants etant nettementinsuffisant, les PSSE ne sont elabores que pour les etablisse-ments des groupes prioritaires 1-2-3 (4186 etablissements

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[8,7 %] et 136 766 travailleurs). Ces groupes, au nombre desix, ont ete etablis lors de l’adoption de la loi sur la SST en1979 sur la base des statistiques des accidents de l’epoque. Ilva sans dire que plusieurs secteurs d’activite fortement tou-ches actuellement par les TMS ne font pas partie des groupesprioritaires tel que les industries du cuir, du textile, de l’habil-lement, la fabrication de produits electriques, les servicesmedicaux et sociaux, les imprimeries, etc. Ces entreprisesne peuvent donc pas beneficier des differentes dispositionsde la loi, notamment le PSSE elabore par l’equipe de sante autravail du CSSS de leur region. Les volets couverts par un PSSEsont les suivants : surveillance environnementale, surveillancemedicale, information et formation, premiers secours et pre-miers soins [13].Comme pour les inspecteurs de la CSST, les intervenants quiforment ces equipes de sante au travail se sont traditionnel-lement concentres sur les risques lies a l’environnement detravail tel que le bruit et les substances toxiques. Ces equipessont cependant de plus en plus confrontees a la presence durisque de TMS dans les milieux de travail. Une enquete aupresde representants regionaux des equipes de sante au travail[14] montre que les TMS sont souvent a l’origine de demandesd’information, de formation ou d’intervention de la part desentreprises. De plus, face a des situations a risque, des inter-venants ont aussi tente de sensibiliser les dirigeants d’eta-blissements a l’importance d’agir en prevention des TMS.Dans la region de Montreal comme dans d’autres regions,des equipes de sante au travail ont ainsi favorise la prise encharge de la prevention des TMS par diverses activites [12].L’implication des equipes de sante au travail dans la preven-tion des TMS semble cependant tres variable d’une region al’autre :

« Cinq regions ont des ergonomes œuvrant au niveauregional, les dix autres n’en ont pas. Dans les regionsdepourvues de cette ressource, on constate que la plupartdes pratiques associees a cette fonction sont rares. Toutindique que la presence d’un ergonome au niveau regionalaugmente significativement la quantite d’interventions enprevention des TMS de meme que la diversite des pratiquesde soutien en milieu de travail, p.8. » [13].

Le reseau de la sante publique developpesa propre demarche de prevention desTMS

Au moment ou la CSST a mis en marche son programmePII-LATR (groupe-ergo), l’un des objectifs etait aussi que lesinspecteurs et les intervenants du reseau d’une meme regionagissent ensemble dans les entreprises. Intervenir ensembledans une meme entreprise a eu du succes pour certains, maispour d’autres, ce mariage force a ete vecu difficilement. Lesinspecteurs de la CSST et les intervenants du reseau ayant des

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roles differents, on peut s’attendre a ce qu’ils n’aient pasdeveloppe la meme approche. Les intervenants peuvent adop-ter une approche de petits pas afin de convaincre leursinterlocuteurs d’agir en prevention et ils interviennent danscertaines entreprises depuis plusieurs annees. Cela n’est pasle cas des inspecteurs qui ont l’habitude d’y tenir un role decoercition. Agir simultanement peut parfois s’averer incom-patible.Suite a l’abandon du PII-LATR et lors de l’implantation de lamethode QEC par la CSST, aucune participation du reseau dela sante n’etait attendue [6]. Par ailleurs, en 2001, une nou-velle loi sur la sante publique cree une obligation au ministrede la Sante et des Services Sociaux et aux directeurs de santepublique d’elaborer un plan de surveillance de l’etat de santede la population et de ses determinants. En janvier 2003, unProgramme national de sante publique 2003–2012 (PNSP) estetabli et parmi les objectifs generaux, on retrouve : « diminuerla prevalence, la duree et la gravite des incapacites liees auxlesions musculosquelettiques ». Suite a une reflexion sur lerole et les orientations du reseau, il est propose que laproblematique des TMS soit integree dans la programmationdes PSSE et consideree de la meme facon que les autresagresseurs et risques a la sante [13]. Un programme deprevention des TMS a ete mis en place depuisavril 2008 suite a des activites de formation des intervenantsdes equipes de sante au travail de toutes les regions. Cesactivites de formation [15] visaient a outiller les intervenantsafin qu’ils soient en mesure de realiser une evaluation som-maire des etablissements et justifier ainsi l’integration de laprevention des TMS dans le PSSE. L’evaluation sommairecomprend le recueil de la perception du milieu de travailsur la presence de TMS, l’estimation de l’ampleur des TMS(questionnaire) et l’identification des facteurs de risque sur lespostes de travail (divers outils sont proposees). Les interve-nants recevaient egalement une trousse leur permettant demobiliser a des activites de prevention et d’offrir aux eta-blissements cibles (TMS integres au PSSE) des services d’infor-mation sur les TMS, les facteurs de risque et les moyenspossibles de prevention [16]. La prevention des TMS reliesau travail est donc maintenant une priorite du reseau de santepublique du Quebec.

De la mobilisation a l’interventionergonomique de prevention des TMS

A l’Agence de la sante et des services sociaux de Montreal, uneergonome est en soutien aux intervenants des equipes desante au travail depuis de nombreuses annees. Elle a pudevelopper une procedure de caracterisation de la problema-tique des TMS dans un etablissement [17] et forme un grouped’intervenants a l’approche ergonomique de telle sorte qu’ilssont devenus des ressources dediees pour les autres inter-venants de leur equipe. Les activites d’information et de

mobilisation de ces intervenants dans les etablissementsmenent de plus en plus a des demandes de soutien de lapart des entreprises. C’est pourquoi nous avons travaille deconcert afin que s’etablissent des ponts entre les equipes desante au travail et des ergonomes externes qui puissentrepondre a ces besoins. Nous avons propose un processusd’arrimage entre les interventions de mobilisation realiseespar les equipes de sante au travail, les interventions ergono-miques menees par les stagiaires de notre programme deformation des ergonomes a l’UQAM et le suivi des change-ments que peuvent conduire par la suite les intervenants deces equipes. En effet, comme ceux-ci fonctionnent dans laduree aupres des etablissements de leur region, ils ont l’avan-tage de pouvoir retourner dans les entreprises ou des chan-gements ont ete realises ou sont prevus pour prevenir les TMS[12]. Il nous apparaıt important que des relais soient ainsi creesentre des intervenants (professionnels d’un CSSS et ergono-mes) ayant des roles differents et des competences particu-lieres afin que de reelles actions de prevention soient realiseesdans les entreprises.

Conclusion

En conclusion, nous aimerions revenir sur certains constats.D’abord, nous n’avons pas un portrait tout a fait juste del’ampleur des TMS au Quebec. D’une part, les statistiques dela CSST sont tres disponibles, mais difficiles a interpreter en cequi concerne les TMS a cause d’un classement que les travauxde l’INSPQ tentent de corriger. D’autre part, il y a tout lieu decroire selon les resultats de l’enquete sante Quebec que lasous-declaration est tres importante et qu’elle doit se mani-fester en particulier chez des populations plus vulnerables telque les femmes [18], les travailleurs immigrants [19] et lespersonnes non-syndiquees [20]. Ensuite, signalons le manquechronique de ressources dediees a la prevention des TMS tanta la CSST que dans le reseau de la sante. Malgre les coutsfaramineux engendres par les TMS, on hesite a investir dansl’engagement de personnes specialisees en ergonomie quipourraient offrir un soutien aux equipes de sante au travaildes CSSS. Cela est sans compter qu’actuellement seules lesentreprises des groupes prioritaires recoivent des services deces equipes. Il faut aussi tenir compte du fait qu’il peut etredifficile pour des intervenants de la CSST ou du reseau de lasante qui sont intervenus depuis des annees dans les entre-prises en adoptant une approche normative, principalementsur les risques environnementaux, de developper une appro-che plus systemique afin de faire la promotion de la preven-tion d’un probleme de sante multifactoriel. Des effortsimportants ont cependant ete consentis dans la formationde ces intervenants. La CSST s’est limitee pour les inspecteursa leur transmettre une approche normative a appliquer auxTMS par le biais du QEC alors que le reseau de la santeelargissait son approche en developpant des outils a plusieurs

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niveaux (perception du milieu, ampleur des TMS, identifica-tion des risques, mobilisation, information). Pourtant, la CSSTavait en premier lieu adopte un programme de prevention desTMS en formant des groupes-ergo. Ce programme a eterapidement mis de cote sans ameliorer la formule et creerles conditions qui auraient pu permettre de creer une dyna-mique qui augmente la prise en charge par les milieux detravail. Retenons que cette approche avait l’enorme avantaged’inciter les dirigeants a travailler en concertation avec diffe-rents acteurs de leur entreprise dont les travailleurs concernespar les TMS. Enfin, soulignons la grande importance de cesintervenants de premiere ligne qui ont la lourde tache deconvaincre les entreprises d’agir en prevention. La mobilisa-tion des entreprises entraınant le besoin d’impliquer despersonnes plus specialisees pour realiser des interventionsmenant a des transformations, il y a necessite d’organiser lerelais vers des ergonomes soit a l’interne du reseau, soit al’externe, mais dont les competences sont etablies.

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