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RECHERCHES QUALITATIVES Vol. 36(1), pp. 135-158. VISITE DANS LARRIÈRE-SCÈNE DE LA RECHERCHE QUALITATIVE ISSN 1715-8702 - http://www.recherche-qualitative.qc.ca/revue/ © 2017 Association pour la recherche qualitative 135 Texte lauréat du prix Jean-Marie-Van-der-Maren Concours 2016 Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage à s’entreprendre d’élèves du primaire Matthias Pepin, Ph. D. Université Laval, Québec, Canada Résumé Cet article présente un condensé de thèse de doctorat qui a pris la forme d’une étude de cas unique pour documenter l’apprentissage à s’entreprendre d’élèves de deuxième année du primaire, à travers le suivi d’un projet de création d’un magasin de fournitures scolaire s. Le compte-rendu de la démarche doctorale sera l’occasion de montrer que l’étude de cas peut être considérée comme une stratégie de recherche à part entière, en documentant les décisions qui ont été prises au fil de la recherche. Mots clés ÉTUDE DE CAS, ENTREPRENEURIAT SCOLAIRE, JOHN DEWEY, APPRENTISSAGE EXPÉRIENTIEL, THÉORIE DE L’ENQUÊTE Introduction L’étude de cas est une stratégie de recherche contestée qui alimente les débats entre spécialistes depuis plusieurs décennies (Yin, 1984). Beaucoup de chercheurs étiquettent leur recherche comme relevant de l’étude de cas, sous prétexte d’adopter Note de l’auteur : Cet article présente un condensé de thèse de doctorat en psychopédagogie réalisé à l’Université Laval, sous la direction du professeur Ser ge Desgagné. Financée par une bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier du CRSH (2010-2013), cette thèse a été récompensée par le 1 er Prix d’excellence à la diplomation - Doctorat de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval pour l’année 2014-2015, le Tableau d’honneur de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval (2015) et le 2 e Prix de thèse Sphinx 2015 (France).

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RECHERCHES QUALITATIVES – Vol. 36(1), pp. 135-158.

VISITE DANS L’ARRIÈRE-SCÈNE DE LA RECHERCHE QUALITATIVE ISSN 1715-8702 - http://www.recherche-qualitative.qc.ca/revue/

© 2017 Association pour la recherche qualitative

135

Texte lauréat du prix Jean-Marie-Van-der-Maren

Concours 2016

Une étude de cas comme stratégie de recherche

pour documenter l’apprentissage à s’entreprendre

d’élèves du primaire

Matthias Pepin, Ph. D.

Université Laval, Québec, Canada

Résumé

Cet article présente un condensé de thèse de doctorat qui a pris la forme d’une étude de cas

unique pour documenter l’apprentissage à s’entreprendre d’élèves de deuxième année du

primaire, à travers le suivi d’un projet de création d’un magasin de fournitures scolaires. Le

compte-rendu de la démarche doctorale sera l’occasion de montrer que l’étude de cas peut être

considérée comme une stratégie de recherche à part entière, en documentant les décisions qui

ont été prises au fil de la recherche.

Mots clés ÉTUDE DE CAS, ENTREPRENEURIAT SCOLAIRE, JOHN DEWEY, APPRENTISSAGE EXPÉRIENTIEL,

THÉORIE DE L’ENQUÊTE

Introduction

L’étude de cas est une stratégie de recherche contestée qui alimente les débats entre

spécialistes depuis plusieurs décennies (Yin, 1984). Beaucoup de chercheurs

étiquettent leur recherche comme relevant de l’étude de cas, sous prétexte d’adopter

Note de l’auteur : Cet article présente un condensé de thèse de doctorat en psychopédagogie

réalisé à l’Université Laval, sous la direction du professeur Serge Desgagné. Financée par une

bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand Bombardier du CRSH (2010-2013),

cette thèse a été récompensée par le 1er

Prix d’excellence à la diplomation - Doctorat de la

Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval pour l’année 2014-2015, le Tableau

d’honneur de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval (2015)

et le 2e Prix de thèse Sphinx 2015 (France).

136 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

une perspective compréhensive, dans le cadre limité d’un cas spécifique (Brown,

2008). Cette justification n’est pas erronée, mais apparaît dans le même temps

insuffisante : d’une part, toute recherche qualitative est par nature compréhensive

(Creswell, 2007), d’autre part, l’étude de cas peut aussi s’appuyer sur une

épistémologie post-positiviste et recourir à des méthodes quantitatives ou mixtes

(Verschuren, 2003; Yin, 1984). La faiblesse des argumentations déployées pour

justifier le recours à l’étude de cas fait dire à certains auteurs que toute recherche

qualitative pourrait a priori être considérée comme une étude de cas plus ou moins

élaborée (Stake, 2008), voire que l’appellation devrait purement et simplement être

délaissée (Tight, 2010).

Notre intention pour ce texte est double : présenter une version abrégée de notre

recherche de doctorat comme fil conducteur, mais également, à travers cet exposé,

dépasser une vision de l’étude de cas parfois perçue comme un fourre-tout

méthodologique (Merriam, 2009). La prétention n’est pas tant de contribuer dans

l’absolu aux débats portant sur l’étude de cas que de faire voir qu’on peut la considérer

comme une stratégie de recherche à part entière. C’est sous cet angle que nous

rendrons compte de notre démarche de thèse de doctorat (Pepin, 2015), réalisée à la

Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval, qui a effectivement pris la

forme d’une étude de cas unique, et par ailleurs collaborative, pour documenter

l’apprentissage à s’entreprendre en milieu scolaire. Nous verrons qu’un groupe

d’élèves de deuxième année du primaire (7-8 ans) et leur enseignante ont été suivis

pendant une année scolaire complète dans l’aventure qui consistait à créer un magasin

de fournitures scolaires dans leur école; ce projet s’inscrivait dans le domaine de

l’entrepreneuriat du Programme de formation de l’école québécoise.

Nous exposerons, dans un premier temps, les grandes lignes de notre

problématique de recherche. Nous préciserons, dans un deuxième temps, les

paramètres de réalisation de notre étude de cas, appuyés par les écrits portant sur le

sujet. Nous déploierons, dans un troisième temps, les procédures d’analyse qu’appelle

l’étude de cas pour en venir, dans un quatrième temps, à présenter les principaux

résultats de notre recherche qui permettent d’éclairer l’apprentissage à s’entreprendre

des élèves. La conclusion portera sur la dimension collaborative de notre étude de cas.

Situer la problématique de la recherche à la base de l’étude de cas

L’entrée de l’entrepreneuriat dans les discours éducatifs

L’entrepreneuriat a fait son entrée officielle dans les écoles québécoises à la suite de la

réforme curriculaire, au tournant des années 2000. Le nouveau Programme de

formation de l’école québécoise (Ministère de l’Éducation du Québec [MEQ], 2001)

est constitué de deux parties : l’une reprenant les matières scolaires traditionnelles

(comme le français et les mathématiques), l’autre les aspects dits transversaux, à savoir

les compétences transversales d’une part, et ce qu’il a été convenu d’appeler les

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 137

domaines généraux de formation [DGF] d’autre part. Ces DGF sont des

problématiques sociales contemporaines auxquelles on estime nécessaire de former les

jeunes. On dénombre cinq grandes thématiques : Santé et bien-être, Orientation et

entrepreneuriat, Environnement et consommation, Médias et Vivre-ensemble et

citoyenneté. Contrairement aux matières scolaires classiques, les DGF ne sont pas

organisés autour de savoirs spécifiques à faire apprendre aux élèves. Dans le cas du

DGF Orientation et entrepreneuriat, l’intention éducative qui lui est sous-jacente

consiste à « offrir à l’élève des situations lui permettant d’entreprendre et de mener à

terme des projets orientés vers la réalisation de soi et l’insertion dans la société »

(MEQ, 2001, p. 45). En ce sens, l’entrepreneuriat est considéré comme un outil

d’apprentissage – plutôt qu’un objet d’apprentissage –, c’est-à-dire comme un

processus fondamentalement assimilable à une démarche de projet d’action à travers

lequel apprendre (voir Pepin, 2011a).

Le champ de recherche qui s’est constitué autour de l’éducation entrepreneuriale

fournit les outils conceptuels pour bien saisir la nuance proposée. On y distingue

généralement trois grandes finalités liées à la volonté d’introduire l’entrepreneuriat en

éducation (Breen, 2004), soit : 1) acquérir des connaissances liées à l’entrepreneuriat

dans le but de mieux comprendre le phénomène (l’entrepreneuriat comme objet

d’apprentissage); 2) développer des compétences de création et de gestion d’entreprise

dans le but de devenir entrepreneur (l’entrepreneuriat comme pratique professionnelle);

3) développer des caractéristiques personnelles dites entrepreneuriales – comme le

leadership ou le sens de l’organisation – dans le but de devenir plus entreprenant dans

la vie en général (l’entrepreneuriat comme processus). On peut ainsi faire un parallèle

entre la manière selon laquelle l’entrepreneuriat est considéré dans le Programme et la

troisième finalité d’éducation entrepreneuriale, l’entrepreneuriat étant à chaque fois

apprécié dans sa dimension processuelle. Ce lien posé, le problème plus spécifique à la

base de la recherche consistait à faire le constat qu’on en sait peu sur ce que signifie

être entreprenant ou s’entreprendre (Caird, 1990) et, en conséquence, sur la volonté de

développer des individus plus entreprenants, lorsqu’on s’appuie sur une

compréhension processuelle de l’entrepreneuriat. Dans les termes de la thèse, l’objet de

notre recherche se formulait dès lors sous la forme de la question suivante : « Qu’est-ce

qu’apprendre à s’entreprendre en milieu scolaire? »

Une représentation théorique d’apprendre à s’entreprendre

Pour circonscrire l’objet de recherche ainsi dégagé, nous sommes parti de l’observation

selon laquelle l’entrepreneuriat scolaire s’organise systématiquement, au Québec du

moins, selon une approche expérientielle. Les projets entrepreneuriaux – définis par la

production d’un bien, l’offre d’un service ou la création d’un évènement – apparaissent

de ce fait comme le véhicule privilégié par les enseignants pour développer

l’entrepreneuriat en milieu scolaire (voir Pepin, 2011b). Pour appréhender

138 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

conceptuellement ces projets entrepreneuriaux, nous avons puisé à la philosophie de

l’expérience de John Dewey (1916/1990) et plus particulièrement à sa notion

d’« occupation ». Chez Dewey, une occupation est une activité sociale introduite dans

le cadre de la classe qui vise, d’une part, à assurer la continuité de l’expérience entre ce

que l’élève vit en dehors et à l’intérieur de l’école et, d’autre part, à replacer

l’expérience concrète, l’action, au cœur des processus d’apprentissage. L’action n’est

donc pas une fin en soi, mais bien un prétexte pour tirer parti de sa valeur éducative.

Par exemple, les élèves seront amenés à faire du jardinage dans le but d’aborder des

notions de biologie ou de chimie ou encore d’étudier la place de l’agriculture dans la

société (Mayhew & Edwards, 1965). Les projets entrepreneuriaux peuvent être

assimilés à la notion deweyenne d’occupation : dans un cas comme dans l’autre, il est

invariablement question de faire quelque chose de concret, tout en étant lié et tourné

vers la société à travers les pratiques sociales desquelles on s’inspire.

La notion d’occupation permet de propulser les projets entrepreneuriaux vers

une conception d’emblée plus éducative : il ne s’agit pas uniquement de « faire pour

faire », mais bien de se servir de l’expérience concrète pour apprendre. À cet égard,

Dewey (1938a) nous enseigne que, pour être éducative, l’expérience doit

nécessairement être réflexive. Autrement dit, tirer parti de la valeur éducative de

l’expérience concrète passe par une systématisation de la réflexion sur l’action. Si l’on

revient à l’objet de recherche, on peut dire que s’entreprendre part toujours d’une

impulsion initiale : il arrive quelque chose (un problème à dépasser, une opportunité à

saisir, etc.) qui pousse à se mettre en action. Au plan réflexif, le processus qui s’ensuit

peut être scindé en trois grandes phases interdépendantes : 1) une phase de réflexion

pré-action qui consiste à analyser l’impulsion initiale en vue de se fixer un but à

atteindre (une fin en vue en termes philosophiques) et un plan d’action pour y parvenir;

2) une phase de réflexion-en-action pour dépasser les problèmes qui surviennent dans

la mise en œuvre du plan d’action afin de garder le cap sur le but fixé. Cette phase

laisse voir que des processus d’enquête (Dewey, 1938b) devront se déployer dans

l’action pour continuer à avancer de manière non problématique dans l’expérience;

3) une phase de réflexion post-action pour jeter un regard sur le chemin parcouru et

apprécier l’adéquation des moyens pris en fonction du but à atteindre. Ces

développements nous ont permis de dégager deux objectifs spécifiques de recherche, à

savoir, documenter 1) la phase de réflexion pré-action et 2) la phase de réflexion-en-

action d’un projet entrepreneurial considéré comme un véhicule pour apprendre à

s’entreprendre en milieu scolaire1.

La Figure 1 met en dialogue l’action et la réflexion dans l’expérience

entrepreneuriale vécue en salle de classe (voir Pepin, 2012). Dans notre recherche, la

dimension active renvoie au projet entrepreneurial que nous avons suivi (un magasin

scolaire), là où la dimension réflexive a été supportée par un conseil d’élèves que nous

avons accolé au projet pour systématiser la réflexion sur l’action. Pour asseoir le

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 139

Figure 1. Apprendre à s’entreprendre sous l’angle de l’expérience réflexive (Pepin, 2012).

140 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

propos sur un récit plus tangible, il faut s’imaginer que l’impulsion initiale qui a donné

naissance au magasin scolaire a été mise en scène par l’enseignante : durant tout le

mois de septembre, elle a insisté auprès des élèves sur le fait qu’elle devait souvent

leur prêter du matériel pour travailler : une gomme à effacer à l’un, un crayon à l’autre,

un cahier à l’autre encore. Ce manque récurrent de matériel scolaire a ensuite été

soumis à la réflexion du groupe, lors du premier conseil d’élèves lié à la recherche.

C’est à ce moment qu’est née l’idée, au fil des réflexions, d’ouvrir un magasin de

fournitures scolaires dans l’école, dont les clients seraient les élèves des autres classes

et le personnel éducatif de l’établissement. Ce que nous avons alors documenté, c’est le

plan d’action imaginé par le groupe pour en venir à mettre concrètement en œuvre le

magasin dans l’école et le traitement des problèmes qui ont émergé pour y parvenir.

Fonder le choix du cas à l’étude et les procédés pour le documenter

Notre propos situé dans le cadre plus général d’une problématique de recherche portant

sur l’entrepreneuriat scolaire, nous nous tournons désormais vers les développements

méthodologiques de notre thèse. On verra que l’étude de cas se prêtait bien à notre

objet de recherche, soit documenter un apprentissage à s’entreprendre d’un point de

vue processuel, ce qui nous a conduit à suivre finement le déploiement d’un projet

entrepreneurial en milieu scolaire. Nous justifierons d’abord la pertinence d’une étude

de cas unique. Nous traiterons ensuite de la collecte de données.

Le cas comme système délimité dans l’espace et dans le temps

L’étude de cas est une stratégie de recherche qui vise à étudier un phénomène

contemporain dans le contexte concret où il prend place (Yin, 1984), l’interaction entre

le phénomène et son contexte étant un élément central d’attention (Stake, 2008). Si la

question de la définition de l’étude de cas est loin d’être consensuelle

(VanWynsberghe & Khan, 2007), tous les auteurs insistent sur l’importance de définir

les frontières du cas, lesquelles permettent de délimiter le système qui sera étudié – on

parle d’un bounded system (Creswell, 2007; Merriam, 2009). Pour pouvoir parler d’un

cas, ce dernier doit en effet être suffisamment circonscrit dans l’espace et dans le temps

pour déterminer méthodologiquement les données qui devront être colligées. Dans le

cadre de notre recherche, on remarque que la Figure 1 délimite précisément un

système. Le cœur de ce système est représenté par sa dimension active, soit le projet

entrepreneurial lui-même, qui s’étend de l’impulsion initiale (le point de départ)

jusqu’au but atteint (la fin). Entre ce début et cette fin, des enquêtes, comprises comme

des processus de résolution de problèmes émergeant dans l’action, sont susceptibles de

se déployer. On verra que ce sont précisément ces enquêtes qui ont été suivies pour

documenter le déploiement progressif du cas et, à travers lui, les deux objectifs de

recherche dégagés.

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 141

Les conditions d’accès au terrain qui balisent le choix du cas

Ces frontières théoriques étant tracées, quels sont désormais les critères à se donner

pour baliser le choix du cas? A priori, n’importe quel projet entrepreneurial en milieu

scolaire aurait pu faire l’objet d’une investigation pour documenter notre objet de

recherche. Néanmoins, plusieurs conditions d’accès au terrain devaient dans le même

temps être respectées pour s’inscrire dans la lignée du cadre théorique développé. Pour

le dire dans les termes d’Albarello (2011), « n’importe quelle situation exemplative ne

[pouvait…] être considérée comme un cas » (p. 12) :

D’abord, il fallait que nous puissions suivre le projet du début à la fin, afin

d’avoir accès aussi bien à la réflexion pré-action qu’à la réflexion-en-action, en

référence aux deux objectifs de recherche dégagés.

Ensuite, il était nécessaire que l’enseignante responsable du projet soit ouverte à

l’instauration d’une structure réflexive de type « conseil d’élèves » pour

systématiser la réflexion sur l’action, en support à la dimension réflexive de la

représentation théorique d’apprendre à s’entreprendre développée.

Enfin, toujours à l’appui de cette représentation théorique, il était également

important que l’enseignante soit ouverte à l’idée d’engager les élèves dans la

résolution des problèmes qui émergeraient dans la mise en œuvre progressive du

projet entrepreneurial, c’est-à-dire à leur faire vivre des processus d’enquête.

Le choix d’un cas unique : un magasin de fournitures scolaires

La prochaine étape consiste à tracer les frontières pratiques de l’étude de cas, en

choisissant un ou plusieurs cas à explorer (single- or multiple-case designs). Comme

on l’a vu, nous avons sélectionné un magasin de fournitures scolaires, un projet

organisé par une enseignante d’expérience, dans une classe de vingt élèves de

deuxième année du primaire (7-8 ans). Dans notre recherche, l’étude de cas unique se

justifiait par les conditions d’accès au terrain qui invitaient à suivre de près et sur le

long terme un projet entrepreneurial, pour l’appréhender dans sa dimension

processuelle (Verschuren, 2003). Concrètement, l’enseignante et son groupe d’élèves

ont de ce fait été suivis de manière quasi hebdomadaire sur une année scolaire

complète, de fin septembre 2012 à fin juin 2013, soit encore du premier conseil

d’élèves organisé pour faire naître l’idée du magasin jusqu’à sa clôture définitive.

Ainsi, le suivi intensif et sur la durée du magasin scolaire assurait une densité

suffisante de données pour documenter les processus d’enquête en vue d’éclairer, en

contexte, un apprentissage à s’entreprendre des élèves.

Un type de cas à la fois révélateur, instrumental et paradigmatique

Comment raccrocher un tel choix de cas aux écrits portant sur le sujet? Les tenants de

l’étude de cas proposent diverses typologies qui permettent de caractériser le cas à

étudier. Stake (2008) reconnaît d’emblée qu’il peut être difficile de faire entrer une

142 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

étude de cas particulière dans une catégorisation donnée, une étude étant toujours plus

ou moins à cheval entre plusieurs justifications et les typologies développées se

recoupant par ailleurs au moins partiellement. À cet égard, et au carrefour de ces

typologies, on peut dire du cas à la base de cette étude qu’il est à la fois révélateur,

instrumental et paradigmatique. Le cas est révélateur (Yin, 1984) parce qu’il représente

une opportunité de documenter un phénomène, l’entrepreneuriat scolaire, qui a été peu

considéré par la recherche. Le cas est instrumental (Stake, 2008) puisque, comme nous

l’avons spécifié plus haut, n’importe quel projet entrepreneurial aurait pu être choisi

tant que les conditions d’accès au terrain étaient remplies. Ainsi, ce n’est pas le cas lui-

même qui nous intéressait, mais bien ce qu’il permettait de comprendre de l’idée

d’apprendre à s’entreprendre en milieu scolaire. Finalement, le cas est paradigmatique

(Flyvbjerg, 2006), c’est-à-dire que, assorti d’un conseil d’élèves, il représente une

manière prototypique d’organiser les projets entrepreneuriaux en milieu scolaire afin

de favoriser l’apprentissage à s’entreprendre des élèves à travers la réflexion sur

l’action.

Une variété de sources de données pour documenter le déploiement du cas

Comment, désormais, se donner accès à ce qui se situe entre le point de départ et la fin

du cas, c’est-à-dire à l’ensemble du déroulement du magasin? Pour relever ce défi,

notre étude de cas s’est appuyée sur de multiples sources de données, à savoir : des

entrevues avec l’enseignante (22), des conseils d’élèves (25) et des observations

d’activités d’apprentissage liées au magasin (15) pour un total de 62 rencontres de

recherche, d’environ 49 minutes en moyenne. L’utilisation de multiples sources de

données s’appuie sur l’idée que l’étude de cas n’est pas une méthode (Yin, 1984), mais

qu’elle recourt librement et selon des combinaisons variables à une variété de

méthodes (qualitatives et/ou quantitatives). Deux raisons principales soutiennent plus

avant cette utilisation de diverses sources de données : d’une part, l’intention d’une

étude de cas étant de comprendre le plus intimement possible le cas investigué

(Simons, 1996), les diverses sources de données sont susceptibles de couvrir différents

aspects du phénomène étudié; d’autre part, comme l’étude de cas se concentre sur un

nombre limité de participants, la question de sa validité se pose avec acuité.

L’utilisation de multiples sources de données est alors vue comme un gage pour

assurer la triangulation des données. Yin (1984) note ainsi : « … l’avantage le plus

important relié à l’utilisation de multiples sources de données est le développement de

lignes d’enquête convergentes, un processus de triangulation »2 [traduction libre]

(p. 91).

La valeur de triangulation accordée à l’usage de multiples sources de données

n’est cependant pas automatique : si les différents outils ne sont pas pensés en

continuité, le risque demeure d’être submergé par une quantité faramineuse de données

hétéroclites. Comme y invite Meyer (2001), il importe donc de prendre le temps

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 143

d’expliciter la complémentarité des sources de données utilisées et ce que chacune a

permis dans la construction de la compréhension de l’objet de recherche. À ce titre, le

critère principal qui lie toutes les sources de données sur lesquelles nous nous sommes

appuyé reste le fait que l’évolution du magasin devait être suivie le plus complètement

possible. Le point de convergence des sources de données repose ainsi sur l’exigence

de suivi des enquêtes qui se sont déployées, c’est-à-dire des processus de résolution

des problèmes rencontrés qui ont permis la mise en œuvre graduelle du magasin :

Les entrevues avec l’enseignante (enregistrées) étaient de nature ouverte, c’est-

à-dire sans canevas d’entrevue. Dans l’étude de cas, les entrevues visent en effet

à suivre et à documenter au plus près le déroulement du cas, au fil de son

évolution (Yin, 1984). Ces entrevues nous ont permis de documenter les

décisions prises par l’enseignante pour assurer le déploiement progressif du

magasin et réussir à y engager les élèves, en déterminant soit ce qui devait être

porté à la réflexion du groupe en conseil d’élèves, soit les activités

d’apprentissage qui devaient être planifiées pour outiller les élèves afin de

dépasser un problème particulier.

Les conseils d’élèves (filmés), auxquels tous les élèves du groupe participaient,

nous ont permis de documenter comment l’enseignante construisait avec le

groupe les solutions à apporter aux problèmes rencontrés et, à l’occasion,

comment les élèves eux-mêmes relevaient des problèmes à régler (par exemple,

la question soulevée par une élève en conseil : les clients pourront-ils apporter

de l’argent à l’école pour faire des achats dans le magasin?).

Lorsque cela s’avérait nécessaire, des observations (filmées) d’activités

d’apprentissage liées au magasin ont été réalisées. Ces activités d’apprentissage

servaient, on l’a dit, à outiller les élèves afin d’implanter les solutions imaginées

pour dépasser les problèmes rencontrés (par exemple, enseigner l’heure aux

élèves sachant qu’ils en auraient besoin dans la gestion des horaires du

magasin).

Élaborer une manière d’analyser et de rendre compte du cas

Le prochain défi qui se pose au chercheur qui choisit de mener une étude de cas est

analytique. Le cas ayant été suivi intensivement, sur la durée et à l’appui de multiples

sources de données, le volume de matériau colligé est en effet considérable. Comme le

note Eisenhardt (1989), non sans humour, dans l’étude de cas, « il y a un danger

constant d’être “asphyxié par ses données” »3 »[traduction libre] (p. 540). Dans cette

partie, nous revenons sur les stratégies analytiques qui nous ont permis d’organiser nos

données pour proposer une description du déploiement du magasin scolaire.

144 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

L’unité d’analyse du cas : les processus de résolution de problèmes

Au-delà de quelques recommandations générales qu’il reste nécessaire de s’approprier,

les stratégies d’analyse relatives à l’étude de cas sont peu développées par les tenants

de l’approche. Comme le remarque Meyer (2001), « les études publiées décrivent

généralement leurs sites de recherche et leurs méthodes de collecte de données, mais

n’accordent que peu de place à la présentation de leurs démarches d’analyse »4

[traduction libre] (p. 341). Pour suivre notre propre démarche d’analyse, il faut revenir

au cadre théorique de la recherche. En effet, la représentation d’apprendre à

s’entreprendre sous l’angle de l’expérience réflexive (Figure 1) laissait déjà voir que

des processus d’enquête – c’est-à-dire de résolution de problèmes – étaient susceptibles

de se déployer dans le déroulement du projet entrepreneurial. À cet égard, nos données

de recherche se prêtaient bien à une structuration autour de tels processus de résolution

de problèmes, lesquels permettaient de rendre compte de la mise en œuvre graduelle du

magasin pour documenter l’apprentissage à s’entreprendre des élèves. Notons que,

dans l’étude de cas, le cadre théorique vise à se donner une représentation de l’objet de

recherche et à dégager, en conséquence, des objectifs de recherche qui permettent de

savoir d’emblée vers où il convient de diriger son regard et ses efforts afin de ne pas se

laisser absorber par l’insondable complexité du cas dans une vaine quête d’exhaustivité

(Yin, 1984).

L’analyse des données s’est ainsi concentrée sur l’idée de traquer les problèmes

vécus dans la planification et la mise en œuvre du magasin et de suivre tout ce qui avait

ensuite été entrepris avec le groupe pour surmonter ces problèmes. Pour ce faire, nous

nous sommes appuyé sur les verbatims d’entrevues avec l’enseignante, entrevues au

cours desquelles nous traitions de tout ce qui se passait dans le déroulement du

magasin. Nous avons ainsi codé les conversations avec l’enseignante à l’aide de mots-

clés représentant des thèmes, chaque thème renvoyant à un problème spécifique issu de

la mise en œuvre progressive du magasin. Par exemple, le mot-clé « chariot » nous a

permis de rassembler tout ce qui se référait au thème de la construction du magasin

dans l’école, le problème initial étant de disposer d’un lieu pour assurer les ventes du

magasin. Pour suivre l’évolution d’un thème – autrement dit le processus de traitement

d’un problème particulier – dans le temps et à travers les diverses sources de données,

les discussions avec l’enseignante nous renseignaient par ailleurs sur les conseils

d’élèves et les activités d’apprentissage observées qu’il nous fallait considérer.

L’analyse nous a ainsi conduit à dégager huit thèmes qui, on le voit dans leur

formulation, se réfèrent invariablement au cas lui-même. Bien que l’unité d’analyse ne

se confonde pas avec le magasin, les thèmes dégagés lui sont intimement liés

(VanWynsberghe & Khan, 2007) :

1) Autour de l’autorisation d’apporter de l’argent à l’école.

2) Autour de la construction du magasin dans l’école.

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 145

3) Autour de la publicité pour le magasin dans l’école.

4) Autour de l’intégration de gérants dans le magasin.

5) Autour de l’ajout de collations aux produits à vendre dans le magasin.

6) Autour de la gestion des horaires dans le magasin.

7) Autour de la consommation dans le magasin.

8) Autour des profits liés aux ventes dans le magasin.

L’organisation des données en cas-processus : des cas dans le cas

Les huit thèmes qui ont émergé de l’analyse renvoient à ce que nous avons appelé des

cas-processus, qu’il convient de ne pas confondre avec le magasin scolaire comme cas

à l’étude. Les cas-processus représentent avant tout un choix analytique pour organiser

les données et en rendre compte. Ils sont, en quelque sorte, des cas dans le cas, pour

reprendre l’expression de Stake (2008) : « même si le cas est (habituellement) choisi à

l’avance, des choix subséquents restent à poser …. Il y a des cas à l’intérieur du cas,

des cas enchâssés ou encore des mini-cas »5 (p. 130, italiques dans l’original). Un cas-

processus, on l’a bien compris, est donc un processus de résolution d’un problème

particulier qui fait obstacle au groupe dans la mise en œuvre progressive du magasin.

Pour exemplifier le propos à l’appui du deuxième cas-processus, lié au problème de la

construction du magasin dans l’école, on verra que le processus de résolution du

problème a conduit à le dépasser en construisant un chariot qui a servi de lieu de vente

(voir Encadré 1).

Au plan théorique, l’organisation des données sous forme de cas-processus

renvoie à une approche analytique que l’on pourrait qualifier d’intégrée (embedded

design), qu’il est pertinent d’utiliser lorsqu’une attention est portée à une ou plusieurs

unités d’analyse et non exclusivement au cas lui-même. Comme le note Yin (1984),

cette approche offre l’opportunité non négligeable de poser un regard interprétatif

approfondi sur un cas unique. Pour effectivement augmenter le potentiel interprétatif

du cas ou, autrement dit, notre capacité à poser un regard transversal sur l’organisation

des données en cas-processus, deux éléments ont fait l’objet d’une attention

particulière : d’une part, donner la même structure descriptive à tous les cas-processus

pour en rendre compte et, d’autre part, compléter la description de chaque cas-

processus par ce que nous appellerons plus loin un « niveau interprétatif transitoire ».

Relativement au premier élément, tous les cas-processus suivent la même

logique descriptive, sur la base de quatre catégories descriptives communes. Notons

qu’à partir de ce point charnière du compte-rendu de notre démarche de thèse, la notion

deweyenne d’« occupation » sera considérée comme synonyme du magasin, selon la

parenté conceptuelle qui a été détaillée plus haut :

146 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

Pour exemplifier le propos, prêtons-nous au jeu d’illustrer ces catégories à l’appui du

deuxième cas-processus. Au départ, le groupe discute de l’idée du magasin et se

demande comment il serait possible de le construire (ancrage à l’occupation). La

question apparaît problématique dans la mesure où les élèves se représentent un

magasin comme un bâtiment « en dur », alors que le magasin scolaire devra se situer

dans l’école (problématique). Une élève propose de construire le magasin sous forme

de chariot. Après avoir enseigné les mesures conventionnelles et l’utilisation d’outils

de mesure aux élèves, l’enseignante leur demande de trouver les dimensions idéales

de la tablette supérieure du chariot, en fonction des fournitures scolaires à vendre qui

devront être exposées aux clients, et leur fait tracer un patron de cette tablette. Ce

patron est remis au menuisier de l’école qui construit le chariot sur la base des

dimensions déterminées par les élèves (processus). Le problème est résolu et, à

l’ouverture du magasin, les élèves se serviront du chariot comme lieu de vente

(réinvestissement dans l’occupation).

Encadré 1. Illustration des catégories descriptives.

L’ancrage à l’occupation précise où le groupe se situe dans le déploiement

progressif du magasin avant l’émergence du problème à la base du cas-

processus.

La problématique renvoie au problème qui empêche le groupe de continuer à

avancer dans le déroulement du magasin et qui doit être traité.

Le processus a trait à tout ce qui est mis en œuvre, aussi bien réflexivement

qu’activement, pour dépasser le problème rencontré.

Le réinvestissement dans l’occupation laisse voir que la résolution du problème

permet au groupe de continuer à avancer dans le déploiement progressif du

magasin.

En continuité, le deuxième élément qui a été ajouté à chaque cas-processus pour

augmenter sa portée interprétative renvoie à ce que nous avons appelé un « niveau

interprétatif transitoire » qui assure le passage du niveau descriptif des cas-processus à

une interprétation plus générale qui s’est appuyée, comme nous le verrons, sur la

théorie de l’enquête de Dewey (1938b). Ce « niveau interprétatif transitoire » permet,

selon l’expression de Meyer (2001), de rendre chaque cas plus analytique. Il renvoie à

la stratégie recommandée par Eisenhardt (1989), qu’elle appelle l’analyse intracas

(within-case analysis), laquelle vise à ajouter des éléments de comparabilité entre

plusieurs cas – soit ici les cas-processus organisés selon les quatre catégories

descriptives communes. L’intérêt de cette stratégie analytique est qu’elle permet de

poser plusieurs regards convergents sur les données de recherche (Eisenhardt, 1989).

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 147

Chaque cas-processus se clôt ainsi sur le « niveau interprétatif transitoire » qui

comprend trois volets analytiques systématiquement repris à la fin de chaque cas-

processus. Ces volets visaient à jeter un éclairage sur l’idée d’apprendre à

s’entreprendre et nous ont permis, dans l’interprétation générale du cas, de mieux

revenir à l’objet de recherche :

Le premier volet pose un regard interprétatif sur la conception d’apprendre à

s’entreprendre qui a été développée, le processus étant susceptible de se heurter

à des obstacles qu’il faudrait dépasser pour continuer à avancer dans la mise en

œuvre du plan d’action. Ce volet renvoie ainsi aux processus de résolution de

problèmes – c’est-à-dire aux processus d’enquête – qui ont rythmé le

déploiement de l’occupation. Par exemple, l’enseignante propose à son groupe

d’intégrer des gérants pour superviser les ventes dans le magasin, en réponse aux

craintes de ses élèves de se tromper dans leurs calculs. Au lieu de choisir des

gérants à la place du groupe, l’enseignante en discute avec eux en conseil

d’élèves, ce qui conduit à la décision d’écrire une « offre d’emploi » aux élèves

de cinquième et sixième années de l’école en vue d’organiser des entrevues pour

sélectionner des gérants. Ainsi, bien que la solution d’intégrer des gérants dans

le magasin ne vienne pas des élèves, ils se donnent eux-mêmes une marche à

suivre qu’ils mettent en œuvre pour y parvenir.

Le second volet pose un regard interprétatif sur les apprentissages divers que la

mise en œuvre de l’occupation a permis. Ce volet renvoie ainsi au fait que, pour

surmonter les obstacles rencontrés, des apprentissages contingents aux

problèmes devraient être réalisés dans le cadre des processus vécus. On réfèrera

plus loin à ce volet par l’idée qu’apprendre à s’entreprendre nécessite aussi

d’apprendre en s’entreprenant. Par exemple, le processus entourant la nécessité

de publiciser l’ouverture du magasin pour le faire connaître aux futurs clients

sera l’occasion d’intégrer des apprentissages moraux, à travers une discussion

sur la place de la publicité dans la société, mais également des apprentissages

scolaires, ici relatifs au domaine des arts plastiques, dans la création proprement

dite des affiches publicitaires.

Le troisième volet pose un regard interprétatif sur le contexte qui englobe le

déploiement de l’occupation. Ce volet renvoie ainsi au fait qu’apprendre à

s’entreprendre a ici pris place en milieu scolaire, ce qui nous a permis de

considérer l’incidence du contexte sur l’objet de recherche. Par exemple, des

problèmes de surconsommation apparaissent dans le magasin alors que les

clients, après avoir fait leurs achats, dépensent ce qu’il leur reste d’argent au lieu

de le conserver. Ce problème est réglé par l’entremise d’une leçon sur la

différence entre les besoins et les désirs qui conduira les vendeurs du magasin à

une moralisation ponctuelle des clients qui veulent acheter du matériel scolaire

148 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

simplement pour dépenser leur argent. Alors que ce genre de comportements

consuméristes serait encouragé dans un magasin hors de l’école, la

problématique est traitée par l’enseignante dans la mesure où elle entre en

contradiction avec les valeurs qui sont véhiculées par le milieu scolaire.

Le déploiement temporel du cas

Nous reprendrons ces trois volets analytiques dans l’interprétation générale du cas,

mais pour l’instant, terminons notre propos sur l’organisation des données en cas-

processus. Les auteurs qui traitent de l’étude de cas en tant que stratégie de recherche

notent qu’elle conduit à la rédaction d’un rapport descriptif qui rend compte du cas

(Creswell, 2007; Yin, 1984). Dans la thèse, les huit cas-processus ont ainsi fait l’objet

d’une description fine, structurée par les quatre catégories descriptives communes,

suivie d’une première interprétation appuyée par les trois volets analytiques du

« niveau interprétatif transitoire ». Le format de cet article ne nous permet pas de

rendre compte en détail du rapport du cas. Ce qu’on peut par contre livrer ici, c’est le

déploiement temporel du magasin, lequel s’apprécie à la lumière de la représentation

schématique de la Figure 2. Pour décrire ce déploiement, nous avons utilisé la

métaphore de l’arbre. Le tronc de l’arbre constitue le magasin lui-même, depuis son

simple état d’idée jusqu’à son ouverture effective pendant cinq mois dans l’atrium de

l’école. Le tronc de l’arbre représente le support expérientiel qui permet aux cas-

processus d’exister. On pourrait dire que le déroulement du magasin va alors

occasionnellement donner lieu à l’émergence de problèmes qui empêchent le groupe de

continuer à avancer. Ces problèmes, ce sont les nœuds dans le tronc de l’arbre qui vont

donner naissance à ses ramifications. Chaque nœud engendre dès lors une branche qui

n’est autre qu’un cas-processus, soit une mise en suspens temporaire du déploiement

du magasin qui permet de réfléchir au problème rencontré et de se donner les moyens

de le dépasser. Chaque branche trouve son origine, comme son aboutissement, dans le

magasin – le tronc de l’arbre –, laissant voir que les processus de résolution de

problèmes permettent de continuer à avancer dans la mise en œuvre progressive du

magasin. Plus prosaïquement, la ligne du temps supérieure de la Figure 2 reprend les

dates de toutes les rencontres de recherche : en haut, celles avec le groupe (conseils

d’élèves ou observations); en bas, celles avec l’enseignante (entrevues).

Que peut-on déjà dire de ce déploiement du magasin, pour revenir à l’objet de la

recherche et à ses deux objectifs qui consistaient, rappelons-le, à documenter les

phases de réflexion pré-action et de réflexion-en-action d’un projet entrepreneurial en

milieu scolaire? Il aurait été a priori tentant d’affirmer, à l’appui du cadre théorique,

que la réflexion pré-action concerne tout ce qui se déroule avant l’ouverture effective

du magasin dans l’atrium de l’école. Or, les résultats de la recherche montrent que les

cas-processus par lesquels les élèves sont amenés à concevoir et à créer concrètement

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 149

Figure 2. Le déploiement temporel du magasin scolaire investigué.

150 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

le magasin, avant même son ouverture, sont déjà partie intégrante d’une phase

d’action. Ainsi, quand les élèves sont conduits à tracer un patron de la tablette

supérieure du chariot pour le faire construire par le menuisier, à fabriquer des affiches

publicitaires et à les apposer dans les couloirs de l’école pour faire connaître le

magasin ou encore à faire passer des entrevues à des élèves plus âgés de l’école pour

sélectionner des gérants qui superviseront les calculs des vendeurs dans le magasin, ils

sont déjà dans l’action. Ce qui délimite la phase de réflexion pré-action, ce sont alors

simplement les discussions initiales entourant l’idée d’ouvrir un magasin de fournitures

scolaires dans l’école et l’analyse de ce qu’il faudrait prendre en considération pour y

parvenir.

Au plan interprétatif, l’idée d’ouvrir un magasin dans l’école se présente dès lors

comme un but en deux temps qui appelle, outre la phase de réflexion pré-action, deux

phases fort distinctes sur le plan de l’action : d’une part, il s’agit de « faire exister » le

magasin, soit le créer concrètement en partant de rien, d’autre part, il s’agit de « faire

tourner » le magasin, c’est-à-dire assurer les ventes pendant cinq mois dans l’atrium de

l’école. On voit que la majorité des processus de résolution de problèmes se déroulent

dans la phase qui consiste à « faire exister » le magasin. Au plan de l’objet de

recherche, ceci invite à ne pas négliger cette phase d’action dans la mesure où, comme

on le verra, la portée éducative du magasin se manifeste essentiellement à travers les

processus de résolution de problèmes vécus. En milieu scolaire, on a en effet parfois

tendance à passer rapidement sur cette phase pour se concentrer sur la dimension plus

directement active de l’occupation (on veut vendre rapidement). La deuxième phase

d’action, qui consiste à « faire tourner » le magasin, est pour sa part plus routinière. On

voit d’ailleurs qu’un seul cas-processus s’y déploie. Au plan de l’objet de recherche,

ceci invite à rester alerte aux problématiques qui apparaissent dans cette phase où

l’action et ses impératifs se font plus pressants (il faut assurer les ventes dans le

magasin) et à prendre le temps de vivre des processus éducatifs de résolution de

problèmes.

Offrir une lecture interprétative du cas appuyée théoriquement

Si l’étude de cas vise avant tout à produire des connaissances contextuelles (context-

dependent knowledge) (Flyvbjerg, 2006; Merriam, 2009), à travers l’exploration

approfondie d’un « particulier » (Stake, 2008) – le cas –, cette ambition n’implique pas

de faire le deuil d’une certaine forme de généralisation. La prétention n’est bien sûr pas

de produire des généralisations statistiques applicables à de larges populations, mais

bien de conduire à des propositions théoriques à travers ce que Yin (1984) appelle la

généralisation analytique. La « descente en singularité » que représente une étude de

cas n’empêche pas, de ce fait, une « montée en généralité » (Quéré, 2000), par un jeu

de comparaison itératif entre des ressources théoriques et des données empiriques.

Dans cette dernière section, nous verrons que la théorie de l’enquête de Dewey (1938b)

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 151

nous a permis d’atteindre ce but, en reprenant les trois volets analytiques du « niveau

interprétatif transitoire » de manière transversale à tous les cas-processus.

Le magasin et les cas-processus comme enquêtes

Pour bien saisir en quoi la théorie de l’enquête de Dewey (1938b) a été convoquée

comme cadre interprétatif des résultats de la recherche, il faut d’abord montrer que

l’ensemble du magasin et son déploiement en cas-processus peuvent être appréhendés

sous l’angle de processus d’enquête. En termes logiques, une enquête tire son origine

d’une situation douteuse, c’est-à-dire indéterminée par rapport à l’acte subséquent à

poser pour continuer à avancer dans l’expérience (Dewey, 1938b). L’enquête consiste

dès lors à problématiser la situation qui empêche d’avancer, en vue de déterminer une

solution qui appellera un certain nombre d’opérations à mettre en œuvre pour dépasser

le problème. Le but de l’enquête est de ce fait de rétablir la continuité de l’expérience

en transformant une situation indéterminée en ce que Dewey appelle un tout unifié. À

cet égard, on peut dire du magasin lui-même qu’il représente un processus d’enquête :

il y a bien, au départ, une situation indéterminée (le manque de matériel scolaire en

classe) qui est problématisée en conseil d’élèves en vue de déterminer une solution

pour la dépasser, soit la création d’un magasin scolaire qui fonctionnerait toute l’année.

Cette solution apparaît cependant à la fois trop vague et trop complexe à appliquer telle

quelle; elle est dès lors analysée en conseil d’élèves en vue de déterminer ses

implications.

L’analyse de la solution du magasin fait apparaître, par association d’idées, des

problématiques plus circonscrites à traiter (par exemple, il faudra obtenir l’autorisation

du directeur de l’école, il faudra disposer d’un lieu de vente), qui vont elles-mêmes

appeler des solutions intermédiaires plus aisément atteignables (obtenir l’autorisation

du directeur, construire le chariot, etc.). Pour un temps, chacune des solutions

intermédiaires va devenir une fin en soi, mais celles-ci ne représentent ultimement que

des moyens dans l’atteinte de la solution générale qui consiste à créer le magasin. Dans

la thèse, le magasin a ainsi été conceptualisé comme l’enquête principale – le tronc de

l’arbre pour reprendre notre métaphore –, d’où émergent les cas-processus compris

comme des enquêtes subsidiaires – les branches de l’arbre. Ces enquêtes subsidiaires

traitent des problématiques plus circonscrites dont la résolution concourt à l’atteinte de

la solution générale qui consiste à créer le magasin. On comprend d’ailleurs mieux, à

l’appui de cette conceptualisation, pourquoi le point de départ et l’issue des cas-

processus se raccrochent invariablement au magasin lui-même.

Apprendre à s’entreprendre sous l’angle de la théorie de l’enquête

La théorie de l’enquête permet plus avant de lier les trois volets analytiques de ce que

nous avons précédemment appelé le « niveau interprétatif transitoire ». Ces volets, que

nous avons présentés comme servant à clôturer la description de chaque cas-processus

dans la thèse, sont ainsi fonctionnellement connectés : 1) l’enquête constitue le cœur

152 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

du système interprétatif et permet de considérer comment le groupe a planifié et mis en

œuvre graduellement le magasin, tout en surmontant occasionnellement des situations

indéterminées; 2) les apprentissages permettent de se donner les moyens de mettre en

œuvre la solution spécifique de chaque enquête; 3) le contexte scolaire conditionne le

déploiement du magasin et des enquêtes à vivre. Dans la suite du texte, nous reprenons

ces trois volets analytiques en livrant l’éclairage qu’un recoupement transversal à

toutes les enquêtes, pour chaque volet, a permis de donner. Nous n’épuiserons pas ici

la richesse de ce regard interprétatif général beaucoup plus développé dans la thèse,

cela va de soi, mais nous chercherons tout de même à dégager l’essence de ce que

chaque volet nous a permis d’avancer à propos de l’idée d’apprendre à s’entreprendre

en milieu scolaire.

Les processus d’enquête comme apprentissage à s’entreprendre

Pour le dire dans les termes de Dewey (1938b), le magasin représente une assertion

garantie pour l’enseignante, c’est-à-dire qu’elle sait d’emblée qu’il s’agit d’une

solution qui marche en contexte scolaire pour répondre au problème qu’il est supposé

pallier. En effet, lors de la recherche, l’enseignante lance un magasin scolaire pour la

neuvième année consécutive avec un nouveau groupe d’élèves. Par expérience, elle

connaît donc d’emblée un certain nombre de problématiques qui sont susceptibles

d’émerger dans la création du magasin, voire même les solutions à leur apporter. Cela

dit, l’enseignante veut engager les élèves dans la planification et la mise en œuvre du

magasin, sans leur « mâcher le travail », pour reprendre ses propres termes. Au plan

interprétatif, c’est cette volonté de l’enseignante d’engager les élèves dans le magasin

qui va donner lieu à la variabilité des processus d’enquête vécus; variabilité qui s’est

avérée féconde sur le plan de l’objet de recherche. Pour le dire simplement, engager les

élèves dans le magasin, leur apprendre à s’entreprendre, c’est réussir à les engager dans

les processus d’enquête qui sont à vivre, en les amenant à identifier des problématiques

et à analyser l’environnement afin de proposer des solutions à mettre en œuvre

concrètement.

Les problématiques les plus représentatives d’un apprentissage à s’entreprendre

sont à cet égard celles qui émergent sans que l’enseignante les ait prévues. En effet,

elle n’a alors pas de solution « clé en main » à proposer aux élèves et encore moins

d’opérationnalisation de cette solution : tout va dès lors être construit avec le groupe.

C’est le cas, par exemple, lorsqu’une élève se demande si les clients pourront amener

de l’argent à l’école pour faire des achats dans le magasin; question que l’enseignante

n’avait pas prévue. Elle y réfléchit alors avec le groupe en conseil d’élèves, ce qui

conduit à l’idée de demander son autorisation au directeur, puis à l’opérationnalisation

de cette idée à travers l’écriture collective d’une lettre pour l’inviter dans le conseil

d’élèves. Ainsi, les élèves problématisent la situation, lui trouvent une solution et

participent activement à sa mise en œuvre. Dans d’autres cas, soit ceux où c’est

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 153

l’enseignante qui anticipe des problématiques à traiter, elle doit réussir à continuer

d’engager les élèves. Pour ce faire, elle construit avec eux la solution qui devra être

implantée pour dépasser le problème qu’elle leur soumet ou l’opérationnalisation de

cette solution. C’est le cas lorsque l’enseignante propose aux élèves d’intégrer des

gérants dans le magasin : elle construit alors avec le groupe la manière de les

sélectionner. À l’occasion, il arrive que l’enseignante ne réussisse pas à engager les

élèves dans les enquêtes. C’est le cas lorsqu’elle décide d’ajouter des collations aux

produits à vendre dans le magasin, sans que cet ajout soit relié à une problématique

pour les élèves. Après avoir abordé les groupes alimentaires avec eux, elle leur

demande de faire des choix de collations santé à vendre. Le problème n’en étant pas un

pour les élèves, leurs réponses reflètent un déficit de sens, alors qu’ils sélectionnent des

aliments sains qui ne sont cependant pas des collations. Ce processus, qui a valeur de

contre-exemple dans la thèse, conduit à un engagement moins réussi des élèves dans le

magasin, l’enseignante finissant par choisir elle-même les collations à intégrer.

Apprendre en s’entreprenant à travers les enquêtes

Le regard transversal posé sur le second volet analytique a permis de montrer la

richesse éducative et émancipatoire du magasin scolaire. En effet, on l’a dit, les

processus d’enquête vécus pour dépasser les problèmes rencontrés ont nécessité des

apprentissages spécifiques; ce que nous résumons par l’idée qu’apprendre à

s’entreprendre implique d’apprendre en s’entreprenant. Si les apprentissages qu’a

permis le magasin sont plus diversifiés que ce que nous pouvons rapporter ici6, ceux

qui nous semblent les plus notables sont les apprentissages scolaires, d’une part, et les

apprentissages moraux, d’autre part. Concernant les premiers, on a déjà vu que chaque

enquête a été l’occasion d’intégrer des apprentissages de nature scolaire, par exemple,

les mathématiques pour tracer un patron de la tablette supérieure du chariot. Pour saisir

le défi pédagogique que constitue, pour l’enseignante, l’intégration de tels

apprentissages, il faut prendre conscience que les enquêtes qui sont à mener dans le

cadre du magasin renvoient à ce que Dewey (1938b) appelle des enquêtes de sens

commun. Ces dernières tirent leur origine de problématiques instrumentales (par

exemple, comment construire le magasin?) qui appellent des solutions pratiques

(comme construire le chariot). Autrement dit, ces enquêtes ne nécessitent a priori pas

d’intégration de matières scolaires. Pour y parvenir, par exemple aborder l’étude des

mesures conventionnelles pour construire le chariot, l’enseignante traduit dès lors les

problématiques instrumentales qui émergent pour les transformer en ce que Laplace

(2006) appelle des problématisations à but pédagogique.

Les apprentissages moraux renvoient, pour leur part, à la nature même du projet

entrepreneurial. Pour Dewey (1916/1990), introduire une occupation dans le cadre de

la classe n’implique pas de reproduire les imperfections avérées de la pratique sociale

de laquelle on s’inspire, soit ici un magasin et toute la société de consommation qui

154 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

l’imprègne. L’occupation fournit dès lors le support expérientiel qui permet de poser

un regard critique sur la société. Par exemple, les problèmes de surconsommation dans

le magasin ont conduit à aborder la différence entre les besoins et les désirs, la création

d’affiches publicitaires a été l’occasion de réfléchir à la place de la publicité dans la

société, la décision liée à la question de faire du profit a permis de prendre conscience

des diverses manières de disposer de profits. Ainsi, l’occupation est porteuse d’une

valeur émancipatoire qu’il est impératif d’exploiter.

Le déploiement du magasin dans la forme scolaire

Le regard transversal posé sur le troisième volet analytique nous a permis de montrer

que le magasin scolaire est susceptible de confronter les normes et les valeurs de

l’école. En effet, dans le magasin, c’est l’action et son déploiement non problématique

qui priment, là où le savoir et sa maîtrise constituent le cœur de ce que d’aucuns

appellent la forme scolaire (Vincent, Lahire, & Thin, 1994). À ce titre, l’imbrication

entre le magasin et la forme scolaire peut se lire à double sens. D’une part, le magasin

habilite les élèves et les émancipe de la forme scolaire. En effet, la forme scolaire

privilégie le faux-semblant et la simulation, là où le magasin est porteur de

considérations plus triviales de la « vraie vie ». Ainsi, « faire tourner » le magasin avec

de la monnaie factice pour contourner la question de l’argent à l’école, « faire

semblant » en somme comme le suggère une élève, n’est pas une solution qui répond

aux impératifs du magasin. Parce que le magasin n’est précisément pas une simulation,

quoiqu’il se déroule dans le confort de l’école, les solutions à imaginer pour dépasser

les problèmes rencontrés doivent être authentiques. D’autre part, la forme scolaire

contraint le déploiement du magasin. En effet, la forme scolaire s’incarne

principalement dans la sphère privée de la classe, là où la vente dans le magasin prend

place dans la sphère publique de l’école, soit son atrium. Ainsi, le magasin requiert la

collaboration de toute l’équipe éducative et l’assouplissement des règles de

l’établissement, dans la mesure où il créera une animation inhabituelle dans les

couloirs de l’école à un moment où tous les élèves devraient être dans la cour de

récréation. Si la forme scolaire s’est instituée comme une mise à distance de la vie pour

s’y préparer, le magasin, en ce qu’il est une occupation au sens deweyen, réintroduit la

vie elle-même au cœur de l’école.

Conclusion

Bien que nous n’ayons pas insisté sur cette dimension de notre démarche de recherche

doctorale dans ce condensé de notre thèse, notre étude de cas s’est inspirée de la

tradition de recherche collaborative.

La dimension collaborative de notre étude de cas nous a conduit, d’une

part, à mettre l’enseignante au centre du projet de création du magasin et,

d’autre part, à jouer, comme chercheur, un rôle actif dans toutes les

rencontres de recherche, qu’il s’agisse des entrevues avec l’enseignante,

PEPIN / Une étude de cas comme stratégie de recherche pour documenter l’apprentissage… 155

des conseils d’élèves ou des activités d’apprentissage (Pepin & Desgagné,

soumis).

Cette démarche de coconstruction avec l’enseignante et le groupe d’élèves s’est

avérée féconde sur le plan de l’objet de recherche et nous a permis de suivre de près les

conditions mises en place par l’enseignante, de même que ses délibérations constantes

par rapport à ce qui se vivait dans le magasin, pour engager les élèves dans la

planification et la mise en œuvre du magasin scolaire. Dit autrement, l’étude en

contexte du phénomène contemporain de l’entrepreneuriat scolaire, à travers

l’exploration approfondie d’un projet entrepreneurial, nous a permis de remettre

l’expertise pédagogique de l’enseignante au premier plan des discussions. À cet égard,

la conclusion la plus générale qui peut être tirée de la thèse consiste à mettre de l’avant

que si le projet entrepreneurial constitue bien un véhicule pour s’entreprendre,

apprendre à s’entreprendre, vu sous l’angle de la théorie de l’enquête, appelle une

pédagogie de la problématisation (Fabre, 2011) pour tirer parti de la valeur éducative et

émancipatoire de l’expérience entrepreneuriale, à travers une systématisation de la

réflexion sur l’action.

Notes

1 La phase de réflexion post-action n’a pas fait l’objet d’une attention soutenue, dans la mesure

où le suivi rigoureux des deux autres phases nous a permis de la documenter indirectement. 2 « … the most important advantage presented by using multiple sources of evidence is the

development of converging lines of inquiry, a process of triangulation » (Yin, 1984, p. 91). 3 « there is an ever-present danger of “death by data asphyxiation” » (Eisenhardt, 1989,

p. 540). 4 « published studies generally describe research sites and data-collection methods, but give

little space to discuss the analysis » (Meyer, 2001, p. 341). 5 « Even though the case is decided in advance (usually), there are subsequent choices to make

[…]. They are cases within the case – embedded cases or mini-cases » (Stake, 2008, p. 130,

italiques dans l’original). 6 Dans la thèse, nous avons dégagé sept types d’apprentissages réalisés, soit des apprentissages

scolaires, économiques, sociaux, moraux, citoyens, coopératifs et personnels.

156 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

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158 RECHERCHES QUALITATIVES / VOL. 36(1)

Matthias Pepin est stagiaire postdoctoral au sein de la Chaire de recherche UQTR sur la

carrière entrepreneuriale (Université du Québec à Trois-Rivières), sous la direction du

professeur Étienne St-Jean, financé par une bourse postdoctorale du CRSH (2016-2018). Ses

recherches portent sur l’entrepreneuriat éducatif, aux niveaux primaire et secondaire. Au plan

méthodologique, il s’intéresse aux approches qualitatives, dont l’ethnographie, l’ethnographie

visuelle, la recherche collaborative et l’étude de cas.