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FRANÇAIS - TECHNIQUES D’EXPRESSION ORALE ANTONOMASES ET EXPRESSIONS DONT LE TERME CLÉ EST UN NOM PROPRE Note liminaire Nombre de noms qui, à l’origine, étaient des patronymes (p. ex. de géniaux inventeurs) ou désignaient des personnages mythologiques sont, à la longue, passés dans la langue sous la forme de substantifs. Ils ont perdu leur majuscule et, le plus souvent, rien ne vient plus nous rappeler leur histoire : un ampère, un beaufort, une béchamel, un barème, un barnum, un bottin, une bourse, le braille, un calepin, un (degré) celsius ou farenheit, un chateaubriand, un décibel, le diesel, un écho, un fiacre, une flore, un génie, un guillemet, un hertz, un (cheval) isabelle, un janus, un laïus, le macadam, une mansarde, une méduse, un océan, un pantalon, un paradis, une poubelle, une praline, un sandwich... D’autres ont, par dérivation suffixale, servi à la formation d’adjectifs, de substantifs ou de verbes : un (régime) draconien, une guillotine, une jérémiade, le marivaudage/marivauder, (être) médusé, le mercure, une mercuriale, la mithridatisation/mithridatiser, une montgolfière, une (phrase) proustienne... Il arrive en outre que la langue procède par antonomase, c’est-à-dire désigne un individu par le nom de la personne ou du personnage dont il rappelle les traits, physiques ou moraux, caractéristiques. On trouvera dans les pages qui suivent les plus usitées de ces antonomases ; selon les cas, le nom a conservé ou perdu sa majuscule (l’usage reste souvent fluctuant). Sont également recensées ci-après une série d’expressions lexicalisées dont le terme clef est un nom de personne, de personnage, de lieu, etc. Les termes et expressions sont classés par ordre alphabétique (de terme clef s’il s’agit de locutions). Un système de renvois basé sur la proximité sémantique fonctionne entre les rubriques, et la correspondance éventuelle entre l’expression française traitée et une expression latine étudiée dans le chapitre suivant est également mentionnée (l’initiale du terme classé alphabétiquement apparaît en caractère gras).

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Page 1: Teo Antonomases

FRANÇAIS - TECHNIQUES D’EXPRESSION ORALE

ANTONOMASES ET EXPRESSIONS DONT LE TERME CLÉ EST UN NOM PROPRE

Note liminaire

Nombre de noms qui, à l’origine, étaient des patronymes (p. ex. de géniaux inventeurs) ou désignaient des personnages mythologiques sont, à la longue, passés dans la langue sous la forme de substantifs. Ils ont perdu leur majuscule et, le plus souvent, rien ne vient plus nous rappeler leur histoire :

un ampère, un beaufort, une béchamel, un barème, un barnum, un bottin, une bourse, le braille, un calepin, un (degré) celsius ou farenheit, un chateaubriand, un décibel, le diesel, un écho, un fiacre, une flore, un génie, un guillemet, un hertz, un (cheval) isabelle, un janus, un laïus, le macadam, une mansarde, une méduse, un océan, un pantalon, un paradis, une poubelle, une praline, un sandwich...

D’autres ont, par dérivation suffixale, servi à la formation d’adjectifs, de substantifs ou de verbes :

un (régime) draconien, une guillotine, une jérémiade, le marivaudage/marivauder, (être) médusé, le mercure, une mercuriale, la mithridatisation/mithridatiser, une montgolfière, une (phrase) proustienne...

Il arrive en outre que la langue procède par antonomase, c’est-à-dire désigne un individu par le nom de la personne ou du personnage dont il rappelle les traits, physiques ou moraux, caractéristiques. On trouvera dans les pages qui suivent les plus usitées de ces antonomases ; selon les cas, le nom a conservé ou perdu sa majuscule (l’usage reste souvent fluctuant). Sont également recensées ci-après une série d’expressions lexicalisées dont le terme clef est un nom de personne, de personnage, de lieu, etc.

Les termes et expressions sont classés par ordre alphabétique (de terme clef s’il s’agit de locutions). Un système de renvois basé sur la proximité sémantique fonctionne entre les rubriques, et la correspondance éventuelle entre l’expression française traitée et une expression latine étudiée dans le chapitre suivant est également mentionnée (l’initiale du terme classé alphabétiquement apparaît en caractère gras).

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A

le sacrifice d’Abraham : le sacrifice d’une victime innocente et étrangère à la cause à laquelle on l’immole

Pour éprouver la foi d’Abraham, Yahvé lui ordonna de lui sacrifier son fils bien-aimé, le petit Isaac. À l’instant où Abraham allait égorger son enfant, un ange lui apparut et retint son bras, et lui dit qu’il avait fait la preuve de sa soumission à Yahvé et que le sacrifice d’Isaac ne lui était plus demandé. Puis Abraham aperçut un bélier qui s’était pris les cornes dans un buisson voisin, il s’en saisit et l’offrit en holocauste à la place de son fils (Genèse, 22, 1-18). cf. le sacrifice d’Iphigénie

traverser l’Achéron : mourir

L’Achéron, le Cocyte, le Léthé (fleuve de l’oubli) et le Styx sont, dans la mythologie grecque, les quatre fleuves des Enfers. Ils marquaient des frontières infranchissables entre le monde des vivants et celui des morts, ainsi qu’entre le séjour des bienheureux et celui des damnés, et les âmes des défunts devaient les traverser sur la barque de Charon. Dans une région sauvage de l’Épire (Grèce) se trouve, près d’un sanctuaire où l’on évoquait les morts (le Nékromanteion), le confluent de deux cours d’eau, le Cocyte et l’Achéron ; ce dernier, dont le nom signifie « le douloureux », disparaît dans une crevasse profonde. Le Styx (« le glacé » ou « le glaçant ») lui aussi coule dans une gorge sinistre d’Arcadie (Grèce) avant de suivre un parcours souterrain. On dit également traverser le Styx ou visiter les rives du Styx. cf. passer dans la barque de C(h)aron ; les Champs-Élysées ; se plonger dans les eaux du Léthé ; le Tartare

la colère d’Achille : une colère terrible et lourde de conséquences

Achille est célèbre pour sa fougue, sa vaillance et sa bravoure, mais aussi pour ses colères. Celle à laquelle se réfère l’expression fut déclenchée par Agamemnon qui, lors du siège de Troie (ou Ilion), exigea que lui soit donnée Briséis, une captive à laquelle Achille tenait tout particulièrement : furieux, le héros se retira sous sa tente et refusa de reprendre le combat (privant ainsi les Grecs d’un compagnon d’armes d’élite). Seul le désir de venger la mort de son ami Patrocle tué par Hector, fils de Priam, ramena Achille sur le champ de bataille, où il blessa mortellement Hector (Homère raconte cet épisode dans L’Iliade). On dit également se retirer sous sa tente : se retirer d’une action, d’un débat en attendant réparation de l’offense subie (cf. la retraite sur l’Aventin). cf. être comme Achille et Patrocle

être comme Achille et Patrocle : être deux amis inséparables

cf. la colère d’Achille ; être comme Castor et Pollux ; être comme Oreste et Pylade ; être comme saint Roch et son chien

le talon d’Achille : le point faible

Allusion au point faible d’Achille, que sa mère Thétis avait plongé bébé, en le tenant par le talon, dans l’eau d’une source miraculeuse qui garantissait l’invincibilité. Achille mourut, atteint au talon par une flèche décochée par Pâris.

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le costume d’Adam : la nudité

Adam et Ève vivaient nus au paradis terrestre. cf. la fourchette d’Adam/le mouchoir d’Adam/le peigne d’Adam ; la tenue d’Ève

la fourchette d’Adam/le mouchoir d’Adam/le peigne d’Adam : la main (dont Adam est supposé s’être servi à des usages divers...)

cf. le costume d’Adam

la pomme d’Adam : la saillie formée par le cartilage thyroïde à la partie antérieure du cou de l’homme

Peut-être le fruit défendu qu’Adam reçut des mains d’Ève lui resta-t-il en travers de la gorge ? cf. un Éden (éden) ; une fille d’Ève

se croire sorti de la côte d’Adam : se croire de noble extraction

Allusion à la création d’Ève, issue d’une côte d’Adam (Genèse, 2, 21-25) On dit également être sorti de la côte de Charlemagne ou être de la côte de saint Louis (ces deux expressions sont vieillies). cf. être/se croire sorti de la cuisse de Jupiter

un adonis : un homme d’une grande beauté

Adonis était un bel adolescent né d’une union incestueuse. Il fut passionnément aimé d’Aphrodite (déesse de l’amour) et tué par Arès (dieu de la guerre), jaloux. cf. un apollon

la perfide Albion : (péjoratif, ironique) l’Angleterre, la Grande-Bretagne

Selon les légendes celtiques qui relatent les origines mythiques de l’archipel britannique, la Danaïde Albine et ses sœurs, abandonnées dans une nef et condamnées à errer sur les mers après avoir assassiné leurs époux, accostèrent en Bretagne (Grande-Bretagne). Elles s’y unirent aux démons qui peuplaient alors cette terre inconnue et donnèrent ainsi naissance à ses premiers habitants, une race de féroces géants. C’est pourquoi Albion est le nom antique de la Grande-Bretagne (attesté chez Pline l’Ancien, Ier siècle A.C.N.). L’adjectif perfide lui est accolé en raison de l’anglophobie des Français, convaincus (depuis la guerre de Cent Ans et jusqu’au début du XXe siècle) de la déloyauté de leurs ennemis anglais. cf. le tonneau des Danaïdes

la caverne d’Ali Baba : lieu où l’on découvre des richesses, des merveilles

Ali Baba, pauvre artisan persan, découvrit par hasard une caverne où s’entassait le trésor des quarante voleurs ; pourchassé par les brigands, il fut sauvé par son serviteur (Les mille et une nuits, Xe siècle ?). cf. un sésame ouvre-toi

un aliboron : (péjoratif) un homme ignorant qui croit tout savoir

L’origine du mot est nébuleuse : il s’agit peut-être de la déformation du nom du philosophe arabe Al Biruni qui, au XVe siècle, semble avoir été connu en Europe sous l’appellation de

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maître Aliboron ; il y a peut-être collusion avec le nom d’une plante curative censée guérir de la folie, l’(h)ellébore (en grec ‘ελλεβορος, en latin elleborum). Dans les fables de La Fontaine, maître Aliboron est le nom donné à l’âne ; cet emploi se rencontre encore occasionnellement, mais il est vieilli et poétique.

une querelle d’Allemand : querelle déclenchée par mauvaise foi, par désir de provoquer la dispute, à propos d’un motif futile ou sans intérêt

Allusion à l’animosité entre les Français et les Allemands (cf. travailler pour le roi de Prusse)

une amazone : 1) une excellente cavalière ; 2) une femme au caractère combatif et qui ne supporte pas l’autorité masculine

Dans la mythologie grecque, les Amazones étaient des guerrières qui montaient à cheval et tiraient à l’arc. Elles vivaient de combats et de pillages et constituaient une société exclusivement féminine, s’accouplant une fois par an avec des hommes qu’elles capturaient et chassaient ensuite. Parmi les enfants nés, seules les filles avaient la vie sauve, et on leur brûlait le sein droit pour leur permettre de mieux ajuster leur arc. Les Amazones auraient, entre autres, aidé les Troyens assiégés par les Grecs ; Thésée enleva puis tua leur reine Antiope. Probablement la légende des Amazones vient-elle de la présence, durant toute l’Antiquité, de cavaliers nomades iraniens ou scythes dans un vaste territoire au sud de la Mer Caspienne (les Grecs situaient le royaume des Amazones dans la région du Caucase) ; les Grecs auraient mal saisi le nom de ces tribus et en auraient fait ’Αµαζων, qui signifie « privé de sein ». On dit également monter en amazone : façon de monter qu’adoptaient autrefois les dames qui portaient une robe, et qui consiste à ramener les deux jambes du même côté de la selle.

découvrir l’Amérique : (ironique) avoir l’illusion de faire une découverte alors que cette soi-disant trouvaille est en fait connue de tous, et de longue date (Attention, Jean-Claude a découvert l’Amérique !)

Allusion à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492) On dit également enfoncer une porte ouverte : présenter comme neuve une chose très connue.

un oncle d’Amérique : (souvent ironique) un parent plus ou moins proche, qui se montre généreux ou qui nous lègue sa fortune (Elle vient d’hériter de son oncle d’Amérique)

Allusion aux premiers Européens émigrés aux États-Unis, qui mouraient sans héritiers directs, laissant ainsi aux membres de leur famille restés sur le vieux continent un legs souvent inattendu.

un amphitryon : un hôte qui offre à dîner (Allons saluer notre amphitryon !)

Zeus s’était épris d’Alcmène, femme du chef thébain Amphitryon, mais celle-ci se refusait à tout autre que son époux. Zeus envoya donc l’encombrant mari guerroyer au loin, puis prit son apparence pour le remplacer auprès d’Alcmène ; s’ensuivit une série de quiproquos (Hermès, qui accompagne Zeus, a pris les traits de Sosie, serviteur d’Amphitryon) à l’issue de laquelle Amphitryon, de retour chez lui et dupe de la manigance, offrit à tous un grand banquet en l’honneur de Zeus, qui s’était fait reconnaître (la morale de l’histoire ? Alcmène donna le jour à des jumeaux : le mortel

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Iphiclès, fils d’Amphitryon, et le demi-dieu Héraklès (Hercule), fils de Zeus (cf. un travail d’Hercule)...). L’aventure fut abondamment traitée dans la littérature (principalement au théâtre) : Plaute (IIe siècle A.C.N.), Rotrou, Molière (« Le véritable Amphitryon/Est l’Amphitryon où l’on dîne »), Giraudoux, Barbey d’Aurevilly, Kleist...

après vous, Messieurs les Anglais ! : (humoristique ou ironique) formule qui indique à un interlocuteur ou à un adversaire qu’on lui cède l’initiative

À la bataille de Fontenoy (1747), le comte d’Anterroches aurait répondu à son homologue anglais qui priait les Français d’ouvrir le feu : « Après vous, Messieurs les Anglais, nous ne tirerons jamais les premiers ! ».

une Antigone : celle qui, farouche et intraitable, se révolte contre les compromis et n’a que mépris pour ceux qui les acceptent

Fille d’Œdipe et de Jocaste, Antigone vit ses frères Étéocle et Polynice s’entretuer pour le trône de Thèbes. Créon, frère d’Œdipe, accéda alors au pouvoir, et il interdit que soit enseveli Polynice, l’agresseur, enfreignant ainsi la loi divine. Nul n’osa s’opposer au tyran sauf Antigone, qui fut jetée en prison où elle mourut.

un apollon : un homme très beau

Apollon était d’une grande beauté. La figure d’Apollon, l’une des principales divinités du panthéon grec, est d’une grande complexité : il est à la fois le dieu secourable et libérateur des maladies, l’instrument du châtiment divin, le protecteur des voyageurs et des marins, le détenteur de la puissance divinatoire, et, enfin, le dieu solaire. cf. un adonis

l’Argentier, le Grand Argentier : (familier, ironique) 1) le ministre des Finances ; 2) le trésorier, le responsable des comptes

À l’origine, le terme argentier signifiait « trésorier » ; aujourd’hui, il désigne le meuble ou le coffre où se range l’argenterie.

avoir les yeux d’Argus : avoir un regard auquel rien n’échappe

Argos (Argus) ou Panoptès (« celui qui voit tout ») était un géant doué d’une force redoutable et surtout doté de cent yeux qu’il ne fermait jamais tous en même temps. Héra lui confia la garde d’Io (transformée en vache par Zeus), mais sur l’ordre de Zeus amoureux, Hermès endormit Argos en jouant de la flûte, lui trancha la gorge et délivra Io. Pour immortaliser son fidèle serviteur, Héra sema ses yeux sur le plumage de son oiseau sacré, le paon (c’est pourquoi divers papillons, araignées et poissons dont le corps s’orne de taches rondes portent encore le nom d’argus). un argus : un espion (vieilli) ; une source de renseignements recueillis avec précision

(l’argus de l’automobile)

le fil d’Ariane : moyen qui permet de se tirer d’une situation particulièrement compliquée, de débrouiller un problème complexe

Après avoir tué le Minotaure (monstre à corps humain et à tête de taureau), Thésée réussit à ressortir du labyrinthe de Cnossos (Crète) grâce au fil que lui avait donné la princesse Ariane et qu’il avait fixé à l’entrée puis débobiné en s’enfonçant dans l’entrelacs inextricable des allées. cf. un dédale

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jouer l’Arlésienne : occuper tous les esprits, préoccuper tout le monde, être le sujet de toutes les conversations, etc. sans jamais se montrer

L’une des Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1866) est intitulée L’Arlésienne ; elle raconte l’histoire d’un jeune paysan camarguais épris d’une Arlésienne et qui se donne la mort après avoir appris l’infidélité de sa bien-aimée. L’Arlésienne, personnage central et éponyme du récit, n’y apparaît cependant pas une fois. Le thème a été repris par Daudet lui-même dans un drame en trois actes, et par Bizet dans son opéra (L’Arlésienne, 1872).

être fier comme Artaban : (ironique ou gentiment moqueur) faire montre d’une fierté exagérée, d’un orgueil démesuré

Dans Cléopâtre, roman de La Calprenède (XVIIe siècle), le personnage d’Artaban (l’amant) est d’une fierté devenue proverbiale.

nettoyer les écuries d’Augias : mettre fin au désordre, à la corruption, aux manœuvres malhonnêtes par des réformes hardies et des mesures radicales

Augias, roi d’Élide, possédait un troupeau de trois cents têtes, mais sa négligence était telle que le fumier et les immondices s’accumulaient depuis des années. L’un des douze travaux d’Hercule (Héraklès) fut de nettoyer ces écuries, ce qu’il fit en un jour en détournant le cours des fleuves Alphée et Pénée (Augias, qui pensait cette tâche impossible, refusa de payer son dû – un dixième du bétail – à Hercule, lequel se vengea en tuant le roi et en pillant la ville). cf. un travail d’Hercule

la clémence d’Auguste : une clémence, un sens de la modération exemplaires

L’empereur romain Auguste (Caius Julius Caesar Octavianus, 63 A.C.N.-14 P.C.N.), neveu de César, révéla son génie politique en parvenant à concentrer le pouvoir entier en sa personne tout en conservant les structures de l’appareil républicain, afin de ne jamais être soupçonné de chercher à établir une dictature. Il reçut en 2 A.C.N. le titre de pater patriae (« père de la patrie »), et son habileté et sa modération sont devenues proverbiales.

un automédon : (vieilli) un chauffeur (de maître)

Automédon était le cocher d’Achille ; il tenait les rênes et pilotait le char tandis que son maître lançait ses javelots et protégeait l’équipage de son bouclier.

la retraite sur l’Aventin : la retraite qui marque une opposition, qui annonce la révolte en vue d’obtenir un avantage auquel on estime avoir droit

L’Aventin est l’une des sept collines de Rome, sur laquelle la plèbe se retira en plusieurs occasions pour signifier son opposition à l’aristocratie patricienne. C’est ainsi qu’en 493 A.C.N., les plébéiens obtinrent l’institution de magistrats chargés de veiller aux intérêts du peuple, les tribuns de la plèbe. On dit également se retirer sous sa tente : se retirer d’une action, d’un débat en attendant réparation de l’offense subie (cf. la colère d’Achille)

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B

une tour de Babel : 1) lieu où l’on ne se comprend pas (parce que chacun parle une langue différente) ; 2) lieu cosmopolite où se parlent une multitude de langues

Babel est le nom hébreu de Babylone, où les hommes commencèrent à construire une tour pour se rapprocher du royaume céleste. Mais Dieu, jaloux de sa suprématie, punit les audacieux en introduisant parmi eux la diversité des langues : l’incompréhension s’installa, l’entreprise échoua et les races se dispersèrent (Genèse, 11, 1-9).

une Babylone : lieu d’apparence imposante et magnifique, mais où fleurissent la débauche et le crime

En 587 A.C.N., Nabuchodonosor, roi de Babylone (Mésopotamie), détruisit Jérusalem et emmena les Juifs en captivité dans sa ville, où ils restèrent soixante ans. Les prophètes juifs dénoncèrent la luxure et l’impiété qui, d’après eux, régnaient dans cette cité opulente. On dit également une nouvelle Babylone ou une Babylone moderne : lieu qui, aujourd’hui, rappelle par sa décadence la Babylone antique.

sacrifier à Bacchus : s’adonner aux plaisirs de la boisson

Bacchus (Dionysos) est le dieu de la vigne et du vin. cf. boire comme un Polonais ; boire en Suisse ; boire comme un templier ; sacrifier à Vénus

être tranquille comme Baptiste : être tout à fait tranquille

Autrefois, dans les parades, le prénom de Baptiste était souvent donné au personnage comique du niais. On dit également : être franc comme Baptiste : tout à fait sûr de soi (en général, l’expression s’emploie dans un contexte où cette attitude est inappropriée)

une bécassine : une jeune fille niaise

Allusion au personnage de la jeune provinciale un peu sotte, éponyme de la bande dessinée française du début du XXe siècle. cf. être Gros-Jean comme devant ; faire le Jacques ; faire son Joseph/faire sa Joséphine

Belzébuth : le diable

Belzébuth était une divinité adorée par les Philistins (cf. un philistin), et que les Hébreux assimilèrent peu à peu au prince des démons. cf. Lucifer ; Satan

un travail de bénédictin : un travail intellectuel de longue haleine, qui demande de la patience

Allusion aux longs travaux d’érudition des moines bénédictins. On dit également travailler comme un bénédictin et une patience de bénédictin.

un béotien : un individu inculte et sans esprit, hermétique aux valeurs et aux beautés des arts, des lettres, de la culture, etc.

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Telle était, dans l’Antiquité, la réputation des habitants de Béotie (Grèce). cf. un philistin

c’est la Bérésina (Bérézina, Berezina) : (familier) c’est une débâcle, c’est un désastre, c’est un échec cuisant

La Bérésina est une rivière de Biélorussie que la Grande Armée de Napoléon franchit avec beaucoup de difficulté et au prix de lourdes pertes humaines en novembre 1812 ; l’endroit est resté le symbole de l’échec de la campagne de Russie. cf. c’est Waterloo

tonnerre de Brest ! : exclamation de surprise, de dépit, de rage (les tintinologues y reconnaîtront un des jurons favoris du capitaine Haddock)

Au XVIIIe siècle, il y avait à Brest un bagne. Chaque fois que s’en échappait un forçat, l’alerte était donnée par le canon d’alarme, surnommé « le tonnerre de Brest » à cause de son grondement sourd qui s’entendait des lieues à la ronde. Une horde de poursuivants, appâtés par la récompense promise en cas de capture, se lançait alors aux trousses du fuyard.

à la mode de Bretagne : se dit de parents éloignés, ou parfois de personnes n’ayant aucun lien de parenté, à qui on donne un nom de parents proches (un cousin à la mode de Bretagne)

Les familles bretonnes avaient autrefois la réputation d’entretenir des relations étroites, même entre parents éloignés.

un Brutus : un fils indigne et traître à son père/ses parents ; un traître

Fils adoptif de Jules César, Marcus Junius Brutus organisa en 44 A.C.N., avec une soixantaine de conjurés, le complot qui mena à l’assassinat de celui-ci lors de sa visite au Sénat romain, aux ides de mars. cf. un baiser de Judas, les trente deniers de Judas

l’âne de Buridan : symbole du manque d’esprit d’initiative, de l’indécision stupide qui peut mener à la catastrophe

L’âne de Buridan (Jean Buridan, v.1300-v.1358) est un argument de la philosophie médiévale qui montre un âne ayant aussi faim que soif et se trouvant à égale distance d’une botte de paille et d’un seau d’eau, mais qui n’arrive pas à faire son choix et finit donc par mourir.

c’est Byzance ! : (familier) exclamation qui salue l’abondance, la profusion de biens, le luxe démesuré

La ville de Byzance (Istanbul) fut choisie pour capitale de l’Empire romain par Constantin Ier en 330 P.C.N. ; son essor culturel, artistique et économique en fit le symbole de l’opulence, du faste, de la richesse.

C

être comme Caïn et Abel : l’archétype des frères ennemis, de la haine fratricide

Caïn et Abel étaient les fils d’Adam et Ève. Quand il furent devenus adultes, Yahvé marqua sa préférence pour Abel, provoquant ainsi la jalousie de Caïn qui tua son frère.

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La question que Yahvé posa à Caïn après le meurtre, Qu’as-tu fait de ton frère ?, symbolise elle aussi le fratricide.

le mot de Cambronne : Cette périphrase évoque tout en l’évitant le mot fameux prononcé par le général Cambronne qui, le 18 juin 1815, commandait à Waterloo un des derniers carrés de la Vieille Garde de Napoléon, et qui aurait répondu aux Anglais le sommant de se rendre : « Merde, la garde meurt mais ne se rend pas ! ». cf. c’est Waterloo

le pays de Canaan : 1) le pays que l’on a dû quitter, où l’on a laissé ses racines et où l’on espère revenir un jour ; 2) le pays où l’on rêve de s’établir pour y trouver la paix et la prospérité

Le pays de Canaan est le nom biblique de la Phénicie-Palestine, le territoire fertile situé entre le Jourdain et la Méditerranée. Il tire son nom de celui de Canaan, fils de Cham, lui-même fils de Noé qui l’avait maudit. Les Cananéens étaient les ennemis des Hébreux. Abraham vécut un temps sur la terre de Canaan, la quitta et y revint à la fin de sa vie. Yahvé lui certifia alors que cette contrée appartiendrait un jour à sa descendance ; c’est sous la conduite de Josué que les Hébreux prirent enfin possession du pays de Canaan. On dit également la terre promise.

jouer les candides : affecter la naïveté, l’innocence, l’ingénuité

Allusion au personnage de Voltaire (Candide, ou l’optimisme, 1759), Candide, pour qui « tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possible ». On utilise également le substantif candeur (naïveté) et l’adjectif candide (naïf, ingénu).

aller à Canossa/venir à Canossa : céder complètement devant quelqu’un, s’humilier devant lui

Lors de la querelle des Investitures (conflit qui, du Xe siècle au XIIe, opposa l’Église aux souverains temporels à propos de l’investiture des évêques et des abbés), l’empereur germanique Henri IV proclama la déchéance du pape Grégoire VII. Cependant, excommunié et abandonné par ses vassaux, l’empereur dut, en janvier 1077, se rendre à Canossa (bourg italien proche de Modène) afin de supplier le souverain pontife de lui accorder son pardon. Grégoire l’obligea à patienter longuement, agenouillé dans la neige, avant de le relever de son excommunication. On dit également passer sous les fourches caudines : subir une humiliation cuisante (les Furcae Caudinae sont un étroit défilé où les Samnites battirent les Romains en 312 A.C.N. ; ces derniers furent obligés, en signe d’humiliation, de passer sous un joug formé par les lances dressées des vainqueurs).

un capharnaüm : un lieu encombré, où règnent le désordre et la confusion

Capharnaüm était la ville de Galilée où Jésus guérit miraculeusement un paralytique. La foule qui se pressait dans la maison où prêchait Jésus était si dense et compacte que les porteurs durent percer un trou dans le toit pour y faire descendre la civière du paralytique (Marc, 2, 1-4).

les délices de Capoue : les plaisirs particulièrement délicieux, mais où l’on se laisse aller, qui amollissent

Après la victoire sur les Romains obtenue à Cannes, l’armée d’Hannibal prit la ville de Capoue (Campanie) et y séjourna (216 A.C.N.), y établissant ses quartiers d’hiver.

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L’agrément de l’endroit (resté célèbre) était tel que les guerriers carthaginois y perdaient leur combativité et ne se résignaient qu’à grand-peine à le quitter.

une fée Carabosse : une vieille femme laide, effrayante et méchante

Telle est la fée bossue du conte de Perrault (1628-1703) La Belle-au-bois-dormant. Le roi et la reine omirent de l’inviter au baptême de leur fille ; Carabosse y vint malgré tout et, pour se venger de cet oubli, elle se pencha sur le berceau et, après tous les bons vœux formulés par les fées, prédit que la princesse mourrait d’une piqûre au doigt. Par chance, une bonne fée put transformer cette mort en un long sommeil auquel mettrait fin le baiser d’un prince charmant. cf. une furie ; une Gorgone ; une harpie ; une mégère

passer dans la barque de C(h)aron : passer de vie à trépas

C(h)aron était le nocher des Enfers, il faisait passer d’une rive à l’autre des fleuves infernaux (l’Achéron, le Cocyte, le Léthé et le Styx) les âmes des défunts ou Ombres (passage symbolique du royaume des vivants au domaine des morts). C(h)aron est représenté sous les traits d’un vieillard qui porte une longue barbe, vêtu pauvrement et à la mise négligée ; il exige pour accomplir sa tâche le salaire d’un denier, soigneusement placé dans la bouche du mort avant les funérailles. cf. traverser l’Achéron/traverser le Styx

un Casanova : un séducteur

L’écrivain et aventurier italien d’origine vénitienne, Giovanni Giacomo Casanova (dit chevalier de Seingalt, 1725-1798), est célèbre pour ses multiples aventures galantes (qu’il relata dans les Mémoires rédigés durant les dernières années de sa vie). cf. un don juan ; un lovelace

jouer les Cassandre : 1) émettre des prédictions fondées et justes, mais qui ne sont écoutées par personne ; 2) voir systématiquement l’avenir en noir, ne prédire que des malheurs

Cassandre était une princesse troyenne qui résista à Apollon épris d’elle. Pour la punir, le dieu lui donna le don de divination, mais il assortit ce pouvoir de la fatalité de n’être prise au sérieux par personne : ainsi, Cassandre eut beau prédire la ruine de Troie et mettre en garde ses compatriotes, personne ne l’écouta et la ville fut mise à feu et à sang par les Grecs. cf. un cheval de Troie

être comme Castor et Pollux : 1) symboliser l’amour fraternel ; 2) connaître une amitié sans faille

Castor et Pollux (également appelés les Dioscures) sont des jumeaux mythiques nés des amours de Zeus, pour la circonstance métamorphosé en cygne, et de la mortelle Léda, épouse du roi de Sparte Tyndare. Léda pondit deux œufs : de l’un sortirent Hélène et Clytemnestre (futures épouses, respectivement, de Ménélas et d’Agamemnon), de l’autre les Dioscures. Cependant, comme Léda s’était unie la même nuit à Zeus et à Tyndare, Pollux fut considéré comme le fils du roi des dieux, et Castor comme celui de Tyndare. Chasseurs et guerriers, les Dioscures, qui furent au nombre des Argonautes (cf. la Toison d’or), étaient aussi d’actifs protecteurs de l’humanité. Un jour, Castor fut mortellement blessé au cours d’un combat ; Pollux demanda alors à Zeus la permission de partager avec

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son frère l’immortalité qu’il était seul jusqu’alors à détenir, et Zeus leur accorda ce privilège. un castor : rongeur qui vit à proximité des cours d’eau et y construit des barrages ;

d’après Aristote, l’animal a été ainsi nommé parce qu’il produit une sécrétion cutanée aux vertus médicinales antispasmodiques, appréciée surtout des femmes, et que l’une des nombreuses fonction de Castor était de veiller sur la santé des femmes.

cf. être comme Achille et Patrocle ; être comme Oreste et Pylade ; être comme saint Roch et son chien

un céladon : un amoureux platonique

Personnage tiré du roman d’Honoré d’Urfé L’Astrée (XVIIe siècle).

un cerbère : un portier, un gardien sévère et intraitable

Cerbère était le chien à trois têtes et au cou hérissé de serpents qui gardait la porte des Enfers (seuls la lyre d’Orphée, la force d’Hercule et les gâteaux au miel d’Énée auront raison de sa férocité).

la femme de César ne doit pas (même) être soupçonnée : les personnalités officielles, les institutions ne sauraient être souillées par aucune accusation, même injustifiée

César avait répudié sa femme Pompeia, accusée de trahison. À ceux qui lui objectèrent qu’il ne disposait d’aucune preuve contre elle, César répondit que le moindre soupçon, même injustifié, portant sur une personne proche du pouvoir appelle impitoyablement une sanction.

il faut rendre à César ce qui est à César/rendez à César ce qui est à César : il faut reconnaître les mérites de chacun

La phrase entière est rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Matthieu, 22, 21) : elle marque alors l’opposition entre le royaume des hommes et celui de Dieu, et, de là, l’opposition entre l’État et l’Église. cf. reddite quae sunt Caesaris Caesari (, et quae sunt Dei Deo)

(faire) fort Chabrol : (donner) l’assaut après une résistance farouche mais désespérée de la part des assiégés

« Fort Chabrol » est le surnom donné au siège de la Ligue antisémite (rue Chabrol, à Paris) depuis que son chef, Guérin, instigateur de la campagne d’agitation destinée à s’opposer à la révision du procès de Dreyfus, s’y réfugia et y résista pendant plus d’un mois aux policiers venus l’arrêter (1899).

les Champs-Élysées : le séjour des âmes bienheureuses

La plaine élyséenne était, pour les Anciens, le lieux mythique situé aux confins de la Terre et qui abritait le séjour éternel des héros et des bienheureux. cf. passer dans la barque de C(h)aron ; un Éden ; le Tartare être sorti de la côte de Charlemagne : cf. se croire sorti de la côte d’Adam

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tomber de Charybde en Scylla (Charybde [karibd]) : échapper à un problème, à un danger, pour s’empêtrer dans un autre plus grave

Dans le détroit de Messine (lieu particulièrement dangereux pour les bateaux), les marins qui voulaient éviter les remous du gouffre de Charybde (côte sicilienne) allaient se fracasser sur les rochers de Scylla. Selon les légendes, Scylla (côte de la péninsule italienne) était une chienne nantie de douze pieds griffus et de six têtes à trois rangées de crocs et poussait continuellement des hurlements épouvantables, ou au contraire une séduisante jeune femme pourvue d’une queue de poisson ; Charybde était un monstre qui avalait de l’eau de mer trois fois par jour et la rejetait avec un bruit atroce, ou une vieillarde vorace, fille de Neptune, précipitée dans la mer par Hercule à qui elle avait volé quelques bœufs.

avoir les yeux de Chimène : avoir les yeux de l’amour, avoir le regard de la femme amoureuse (faire les yeux doux)

C’est le regard que l’on prête à Chimène lorsqu’elle pose les yeux sur Rodrigue (Le Cid), même si le texte de Corneille n’évoque jamais explicitement ce regard énamouré de l’héroïne. On dit également avoir les yeux de Rodrigue, cette seconde image étant elle attestée chez Boileau : « Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue » (Satires, IX).

une chimère : un projet séduisant mais fantasque, une vision utopique, une illusion, une folie

La Chimère était un animal fabuleux qui terrifiait le royaume grec de Carie en dévorant les habitants : le monstre était moitié lion, moitié chèvre, avait une queue de dragon et vomissait des flammes. On rencontre aussi l’adjectif chimérique : irréaliste, illusoire, utopique.

remettre le Christ en croix/remettre Jésus en croix : (vieilli) faire une chose atroce, se damner (pour servir quelqu’un)

Évocation du péché le plus abominable qui soit (crucifier à nouveau Jésus).

un cicéro (cicéron , cicérone) : (ironique) 1) un spécialiste de l’éloquence ; 2) un guide pour touristes

Allusion à la rhétorique du grand orateur romain Cicéron (Marcus Tullius Cicero, 106-43).

le nez de Cléopâtre : une petite cause qui engendre un grand effet

La reine d’Égypte Cléopâtre (69-30), célèbre pour son esprit et pour sa beauté, séduisit César, puis Antoine ; elle se suicida en se faisant mordre par un aspic. Blaise Pascal (1623-1662) écrivit : Le nez de Cléopâtre : s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé. (Pensées, II, 162) On dit également si le nez de Cléopâtre avait été plus long... : lorsqu’on se fonde uniquement sur des hypothèses, on peut affirmer tout ce qu’on veut, échafauder les théories les plus fantaisistes (cf. avec des si, on mettrait Paris en bouteille)

un pays de cocagne : un paradis

Cocagne est le nom d’un pays imaginaire, terre d’abondance et de prospérité. On dit également une vie de cocagne, une auberge de cocagne, etc.

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un mât de cocagne : mât lisse qu’il faut gravir pour aller chercher les friandises et les objets accrochés à son sommet (lors d’une fête foraine)

cf. un eldorado ; un pactole ; ce n’est pas le Pérou

l’œuf de (Christophe) Colomb : une évidence qui demande cependant de l’ingéniosité pour être découverte

À ses détracteurs qui prétendaient que découvrir l’Amérique ne présentait aucune difficulté, Colomb aurait répliqué en leur demandant comment faire tenir un œuf sur sa pointe. Comme personne n’y parvenait, le navigateur brisa légèrement l’une des extrémités de l’œuf et ainsi le rendit stable, soulignant ironiquement que la solution était simple à condition d’en avoir l’idée et de la réaliser. cf. la pomme de Newton

parler latin devant les Cordeliers : prétendre savoir une chose mieux que ceux dont c’est le métier

Comme tous les moines, les Cordeliers (ou Franciscains) parlaient latin. cf. c’est Gros-Jean qui en remontre à son curé

un Corydon : un homosexuel

L’euphémisme s’est créé au départ d’un personnage de berger évoqué par Virgile (Bucoliques, II). En 1991, André Gide publia sous le titre de Corydon une apologie de l’homosexualité. cf. un giton

être riche comme Crésus : être extrêmement riche

Crésus, roi de Lydie (Asie Mineure, IVe siècle A.C.N.), était célèbre pour ses richesses qu’il étalait naïvement ; le philosophe Solon le sermonna sur l’instabilité des choses humaines.

s’embarquer pour Cythère : (littéraire ou ironique) partir pour le pays idyllique de l’amour et du plaisir

Cythère (au sud du Péloponnèse) était l’île d’Aphrodite, déesse de l’amour.

D

trouver son chemin de Damas : trouver sa voie, arriver au lieu et au moment où l’on se convertit à une cause

Allusion à la conversion de Saül, juif rigoriste qui combattait le christianisme mais se convertit et prit le nom de Paul après avoir eu sur la route de Damas une vision du Christ tellement éblouissante qu’elle le laissa aveugle trois jours durant.

une épée de Damoclès : un péril imminent et constant

Denys l’Ancien, tyran de Syracuse (IVe siècle A.C.N.) aurait invité à sa table son courtisan Damoclès pour le traiter comme un prince, mais en l’installant sous un glaive suspendu à un mince crin de cheval, afin de lui montrer que le bonheur est fragile et sans cesse menacé. cf. Damoclis gladium

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le tonneau des Danaïdes : une tâche interminable, qu’il faut sans cesse recommencer

Danaüs (Danaos) avait promis ses cinquante filles (les Danaïdes) aux fils de son frère Ægyptos. Danaüs et Ægyptos se querellèrent à propos de la possession du royaume de Libye, mais les mariages se firent. Toutefois, pendant la nuit de noces, les Danaïdes tuèrent leurs époux : pour ces assassinats barbares, elles furent condamnées, aux Enfers, à remplir d’eau un tonneau sans fond. Selon une autre légende, les Danaïdes furent, en punition de leur crime atroce, abandonnées dans une nef et condamnées à errer sur les flots (c’est ainsi qu’elles auraient finalement accosté en Grande-Bretagne). Selon d’autres sources, les Danaïdes étaient les nymphes des eaux qui forèrent les premiers puits. cf. la perfide Albion, un ouvrage (/une toile) de Pénélope, le rocher de Sisyphe

un paysan du Danube : 1) (vieilli) un homme qui scandalise par sa franchise brutale ; 2) quelqu’un dont les manières manquent de raffinement

Telle était, en France, la réputation des populations d’Europe orientale. On dit également un ours mal léché (allusion à une croyance ancienne qui veut que l’ourse, à force de le lécher, façonne les membres de son petit).

un combat de David et Goliath : un combat à l’issue duquel le plus faible vient à bout du plus fort

Armé d’une simple fronde, David, le jeune champion des Hébreux, vainquit le géant philistin Goliath en combat singulier (Samuel, 1, 16-17). David et Goliath : deux adversaires dont l’un est beaucoup moins puissant que l’autre

un dédale : 1) un labyrinthe, un lieu où l’on risque de s’égarer à cause de la complexité des détours ; 2) un ensemble de choses embrouillées et qui produisent de la confusion, des complications

Minos, roi de Cnossos (Crète), chargea l’architecte Dédale (Daedalus) de construire un labyrinthe où enfermer le Minotaure (monstre à corps humain et à tête de taureau, fruit des amours de son épouse Pasiphaé et d’un taureau fabuleux que Poséidon avait fait jaillir des flots). Comme les Athéniens devaient fournir tous les sept ans au Minotaure un tribut de sept jeunes filles et de sept jeunes gens, Thésée (fils d’Égée, roi d’Athènes) vint en Crète et tua l’abominable créature. Soupçonnés d’avoir favorisé les amours coupables de Pasiphaé, puis d’avoir aidé à s’enfuir Thésée et Ariane (fille de Minos), Dédale et son fils Icare furent à leur tour emprisonnés dans le labyrinthe. On rencontre l’adjectif dédaléen (inextricable, labyrinthique) cf. le fil d’Ariane ; le complexe d’Icare

après nous, le Déluge ! : (familier) 1) expression d’un refus égoïste de se préoccuper de sa descendance ; 2) expression d’un refus égoïste de se préoccuper d’autre chose que de ses intérêts immédiats

Allusion à la catastrophe que représenterait un nouveau Déluge, et à l’indifférence dans laquelle cette perspective laisse celui qui use de l’expression (puisqu’il ne serait plus là pour assister au cataclysme et n’aurait donc pas à en souffrir). Le mot est prêté à Louis XV (1710-1774), à qui l’on avait annoncé l’imminence d’un déluge. cf. l’arche de Noé

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un Diafoirus : un médecin ignorant, vaniteux et ridicule

Les Diafoirus père et fils sont les médecins d’Argan, protagoniste du Malade imaginaire de Molière (1673). Ignares et pédants, ils portent la robe et le bonnet pointu des médecins et s’expriment dans un jargon latin prétentieux et grotesque. Ils sont incapables de poser un diagnostic sensé.

Dieu reconnaîtra les siens : au sein d’une mêlée, on finira bien par déterminer qui appartient à quel camp, qui sont les « bons » et qui sont les « mauvais »

Formule attribuée au légat du pape lors du massacre des hérétiques albigeois à Béziers le 29 juillet 1209.

un brandon de discorde : personne ou chose qui engendre une querelle, un conflit

Allusion à la déesse antique de la Discorde (Éris). cf. une pomme de discorde

une pomme de discorde : un sujet de dispute, de discussion, un point de désaccord (une pierre d’achoppement)

Arrivée aux noces de la Néréide Thétis et du mortel Pélée (les parents d’Achille), où elle n’était pas invitée, la déesse Éris (la Discorde) jeta sur la table entre Héra, Athéna et Aphrodite une pomme d’or sur laquelle étaient gravés les mots τη καλλιστη (« à la plus belle »). Les trois déesses cherchèrent alors un juge pour les départager et choisirent le jeune berger Pâris (en réalité prince troyen fils du roi Priam, lequel l’avait éloigné de la ville car un oracle avait prédit que par lui arriverait la ruine de Troie). Chacune promit au jeune homme un cadeau en échange de sa préférence : Héra lui offrit l’empire d’Asie, Athéna la sagesse et Aphrodite l’amour de la plus belle des mortelles. Pâris opta pour Aphrodite, et partit donc chercher son dû : il alla enlever Hélène de Sparte (la plus belle des mortelles). L’événement fut d’importance puisqu’il déclencha la guerre de Troie (Ménélas, époux d’Hélène, fit appel à son frère Agamemnon, roi de Mycènes, lequel rassembla ses alliés les rois grecs et forma une expédition qui partit assiéger Troie), querelle mythique par excellence qui opposa entre eux et les hommes et les dieux. cf. un brandon de discorde

un don juan : un séducteur sans scrupules

Une légende – peut-être basée sur un fait réel – rapporte qu’une nuit à Séville, don Juan Tenorio tua le commandeur Ulloa dont il avait séduit la fille. Des religieux franciscains attirèrent alors don Juan dans le couvent où avait été enseveli le commandeur, puis racontèrent que don Juan, venu insulter Ulloa sur sa tombe, avait été entraîné en enfer par la statue du défunt. L’histoire de don Juan connut un immense succès littéraire (et musical : Mozart) : Tirso de Molina, Villiers de l’Isle-Adam, Molière... On rencontre aussi le substantif masculin donjuanisme (don-juanisme), l’adjectif donjuanesque et le verbe donjuaniser (don-juaniser). cf. un Casanova ; un lovelace

un Don Quichotte : un idéaliste généreux, vivant dans un monde chimérique, prêt à se battre pour défendre toute cause juste et noble, même désespérée, mais dont les actes se révèlent en général inefficaces parce que sans prise sur le réel

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Don Quichotte (dit également le chevalier à la triste figure) est le personnage (imaginaire) éponyme du roman de Cervantes (1605-1615), œuvre qui – notamment – ridiculise les illusions romanesques des récits de chevalerie. À l’idéalisme de Don Quichotte s’oppose le solide bon sens et le matérialisme de son écuyer Sancho Pança. On rencontre aussi le substantif masculin donquichottisme et l’adjectif donquichottesque. L’expression ce n’est pas un Don Quichotte s’utilise pour désigner quelqu’un qui hésite à s’engager effectivement dans un conflit ou un débat. On dit également se battre contre des moulins (à vent) : s’enflammer par idéalisme et s’engager dans une bataille chimérique, perdue d’avance. cf. une dulcinée ; bâtir des châteaux en Espagne ; une rossinante

une dulcinée : (vieilli ou ironique) la dame des pensées de quelqu’un (Viens dîner, et amène ta dulcinée !)

Dulcinée, la bien-aimée de Don Quichotte est une petite paysanne à qui le chevalier prête les traits et la noblesse d’une princesse de haut rang. cf. un Don Quichotte ; une rossinante

E

accorder les Écritures : concilier des choses apparemment inconciliables

L’expression renvoie aux divergences entre les Évangiles (l’Évangile de Jean et les Synoptiques) ; depuis le XVIe siècle, la métaphore s’emploie dans la langue juridique pour évoquer les pièces contradictoires d’un procès.

un Éden (éden) : 1) un lieu idyllique, un séjour délicieux ; 2) un paradis perdu dont on éprouve la nostalgie (dans ce dernier cas, on conservera de préférence la majuscule)

Allusion au paradis terrestre où Adam et Ève vécurent dans la plus parfaite félicité avant de croquer la pomme défendue. Selon la Genèse (2, 8-10), ce jardin merveilleux était situé au cœur du désert (en hébreu, eden signifie « désert »). cf. la pomme d’Adam ; les Champs-Élysées ; une fille d’Ève

une égérie : une muse, une inspiratrice (le terme est souvent ironique, voire péjoratif, lorsqu’il s’applique à une conseillère aux prétentions politiques)

Égérie, nymphe des sources et des bois, aurait été la conseillère secrète de Numa Pompilius (715-672), second roi légendaire de Rome, à qui elle donnait des rendez-vous nocturnes dans une grotte. À la mort de Numa, Égérie versa tant de larmes qu’elle se métamorphosa en fontaine.

une plaie d’Égypte/les (dix) plaies d’Égypte : un (des) ennui(s) terrible(s), un (de) véritable(s) fléau(x)

Allusion aux dix fléaux que Dieu fit s’abattre sur l’Égypte pour que Pharaon libère les Hébreux (Exode, 7-12). L’expression c’est une véritable plaie d’Égypte s’utilise parfois pour désigner une personne particulièrement insupportable.

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un eldorado : une contrée merveilleuse, un pays de délices et de richesses

El Dorado (« le pays de l’or »), nom d’un pays fabuleux d’Amérique du Sud. cf. un pays de cocagne ; un pactole ; ce n’est pas le Pérou

un Éliacin : (littéraire) un enfant sage, réservé et pieux

Ce personnage biblique (un enfant princier qui aurait échappé au massacre de sa famille par les impies menés par Athalie, Livre des Rois, 2) apparaît aussi chez Racine (Athalie, 1691), qui le montre répondant à l’interrogatoire d’Athalie avec une modestie, une justesse et un bon sens que lui inspire sa foi en Dieu.

une image d’Épinal : 1) une représentation schématique, et souvent d’un optimisme excessif, d’une réalité complexe ; 2) un cliché, un lieu commun

C’est à Épinal (Vosges) que Jean-Charles Pellerin (1756-1836) fonda sa fabrique d’images populaires, qu’il composait et imprimait lui-même, et qui connurent un succès inconditionnel dans la France entière. Ces images illustraient naïvement une chanson ou un épisode héroïque, de la Révolution p. ex. (actuellement, Épinal accueille le Musée international de l’imagerie populaire).

bâtir des châteaux en Espagne : faire des projets chimériques et irréalisables

L’origine de cette expression reste obscure. cf. un Don Quichotte

c’est parole d’Évangile : c’est une vérité incontestable

Tel est pour le croyant le contenu des textes saints.

une fille d’Ève : 1) une femme tentatrice ; 2) une femme curieuse

Allusion aux défauts d’Ève, qui offrit à Adam le fruit défendu qui les fit chasser du jardin d’Éden. cf. la pomme d’Adam ; un Éden (éden)

la tenue d’Ève : la nudité

Adam et Ève vivaient nus au paradis terrestre. cf. le costume d’Adam

ne connaître ni d’Ève ni d’Adam : ne pas connaître du tout

Adam et Ève représentant l’ascendance maternelle et paternelle la plus lointaine qui soit, l’expression signifie que, par aucun membre de la famille, si éloigné soit-il, l’on ne connaît la personne dont il est question.

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F

la famille Fenouillard : (familier et vieilli) en France, la famille typique de provinciaux désorganisés

La famille Fenouillard est le titre de la première – et très célèbre – bande dessinée française (1889). Elle est l’œuvre de Georges Colomb, dit Christophe (1856-1945). Elle met en scène M. et Mme Fenouillard, commerçants bonnetiers à Saint-Rémy-sur-Deule (Somme-Inférieure) et leurs deux filles, Artémise et Cunégonde, profondément unis par leur sens de la famille et leur attachement au terroir. On pourrait aujourd’hui, avec une intention comparable, dire les Bidochon (personnages créés par Binet pour Fluide glacial).

un figaro : 1) (vieilli) un artiste capillaire ; 2) (familier) un coiffeur

Le personnage de Figaro est emprunté à Beaumarchais (Le barbier de Séville, 1775 ; Le mariage de Figaro, 1784). Vif, rieur, plein de bon sens, Figaro mène l’intrigue avec entrain et livre avec franchise la pensée de Beaumarchais.

le père Fouettard : celui qui châtie

Le père Fouettard accompagne le père Noël ou saint Nicolas (selon la légende), chargés de récompenser par des cadeaux les enfants sages. Les bambins plus récalcitrants, quant à eux, se retrouvent aux prises avec un personnage de taille impressionnante, à la peau noire et à la mine patibulaire, toujours armé d’un fouet...

une furie : 1) une femme qui donne libre cours à sa colère avec haine et violence ; 2) une fureur particulièrement vive

Furies est le nom latin des Érin(n)yes ou Euménides (Alecto, Mégère et Tisiphone), filles de la Nuit et du Temps (ou, selon les versions, de Gaïa (la Terre) et d’Ouranos (le Ciel)) : elles avaient de grandes ailes, des pieds d’airain et des serpents enroulés autour de la tête et des mains ; elles étaient armées de fouets et de torches. Exécutrices de la vengeance des dieux, les Furies étaient, entre autres, chargées de semer la haine parmi les hommes. cf. une fée Carabosse ; une Gorgone ; une harpie ; une mégère

G

les noces de Gamache : un festin d’une abondance inouïe

Il s’agit d’un épisode du Don Quichotte de Cervantès : le riche paysan Gamache va épouser la jolie Quitteria, et a fait préparer à cette occasion un banquet phénoménal – gargantuesque, pantagruélique… Malheureusement pour Gamache, Quitteria se fait enlever au dernier moment par son fidèle prétendant Basile. cf. un gargantua, un pantagruel

la gargamelle : (familier ou populaire) la gorge, le gosier

Gargamelle, personnage de Rabelais, est l’épouse du géant Grandgousier. Toute la famille

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a bon appétit... cf. un gargantua

un gargantua : un gros mangeur

Le géant Gargantua, à l’appétit féroce, est un personnage de Rabelais (1534). On rencontre aussi l’adjectif gargantuesque (un banquet gargantuesque). Le nom de Pantagruel, fils de Gargantua, peut s’utiliser avec la même signification (tout aussi évocateur est le nom du père du géant : Grandgousier) ; c’est surtout l’adjectif pantagruélique qui est usité. cf. une gargamelle

une promesse de Gascon : une promesse peu sérieuse et téméraire, que l’on ne pourra probablement pas tenir

Allusion à la réputation de fanfarons des Gascons.

une géhenne : 1) un lieu de torture ; 2) une torture ; 3) une occasion de souffrances cruelles

Dans le Nouveau Testament, la Géhenne désigne l’Enfer, le lieu où les âmes des damnés brûlent éternellement (Matthieu, 5, 22). Probablement le nom Géhenne vient-il de celui du ravin de Ge-Hinnom, proche de Jérusalem, où des victimes humaines furent sacrifiées par le feu au dieu Moloch.

vouer aux gémonies : maudire publiquement, couvrir d’opprobre, désigner au mépris de tous

Les anciens Romains réservaient à certains condamnés un châtiment exemplaire : ceux-ci étaient étranglés, puis leurs cadavres étaient traînés et exposés dans l’escalier appelé Gémonies (gemoniae scalae, « escalier des gémissements ») avant d’être jetés dans le Tibre.

un Géo Trouvetou : inventeur astucieux et prolifique, dont les inventions cependant ne sont pas toujours utiles, voire engendrent des effets désastreux

Géo Trouvetou (Gyro Gearloose) est un personnage de Walt Disney (grue cendrée anthropomorphe), compagnon de Donald, Mickey et leurs amis. Aimable et désintéressé, il n’est jamais à cours d’idées, mais ses inventions se retournent parfois contre lui ou ses compagnons (ainsi, il lui arrive de fournir accidentellement aux affreux Rapetous le moyen de voler l’argent de Picsou…).

un géronte : un vieillard crédule et facile à berner

Géronte est le nom type du vieillard dans la comédie classique (p. ex. dans Le médecin malgré lui de Molière, 1666).

un giton : un mignon, un jeune homme entretenu par un homosexuel

Giton est l’un des personnages du Satiricon de Pétrone (Ier siècle P.C.N.). cf. un Corydon

Gomorrhe : cf. Sodome et Gomorrhe

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une Gorgone : une femme laide et hargneuse

Les Gorgones sont trois sœurs, trois monstres femelles à la chevelure de serpents et aux traits horriblement déformés par des convulsions ; leur regard a la propriété de pétrifier tous ceux sur qui il se pose. (Seule des trois à ne pas être immortelle, Méduse fut tuée par Persée : de son corps décapité et sanglant naquit le cheval fabuleux Pégase, et Athéna orna son égide de la tête de la Gorgone. L’expression être médusé rappelle le terrible pouvoir de Méduse.) cf. une fée Carabosse ; une furie ; une harpie ; une mégère

travailler pour le Grand Turc : cf. travailler pour le roi de Prusse

ça tombe comme à Gravelotte : s’utilise pour désigner une pluie forte et drue

Allusion à la bataille de Gravelotte-Rezonville (près de Metz) ou l’armée française du Rhin, sous les ordres du général Bazaine, affronta, le 16 août 1870, les troupes prussiennes en une bataille sanglante qui coûta un nombre de vies effroyable : plus de 16 000 hommes périrent durant cette seule journée. C’est pourquoi l’expression soulignait autrefois l’importance des pertes humaines lors d’un combat.

aller se faire voir chez les Grecs/aller se faire voir par les Grecs : (argotique) se faire éconduire brutalement

Euphémisme qui fait allusion à la réputation de pédérastie (dont l’évocation revêt, dans la langue populaire, un caractère injurieux) des anciens Grecs.

un (nouveau) Grenelle : réunion au sommet en vue de mener de grandes négociations suivies d’un (ensemble d’) accord(s) important(s) entre le gouvernement et des partenaires (souvent des partenaires sociaux)

Pour tenter de mettre fin à la crise de Mai 68, le président français Georges Pompidou convoqua un sommet social sans précédent, au cours duquel lui-même et les représentants du patronat se déclarèrent prêts à céder du terrain dans le but de mettre fin aux grèves. Ce sommet, qui se tint au Ministère du Travail, 127 rue de Grenelle à Paris, déboucha en fait sur un échec car aucun accord ne fut conclu dans l’immédiat (il permit cependant de reprendre ultérieurement des négociations sociales qui, à moyen terme, se révélèrent plus fructueuses).

être fin comme Gribouille (qui se jette dans l’eau par crainte de la pluie) : être sot, naïf et mal avisé

Gribouille (dont le nom vient vraisemblablement du verbe gribouiller, qui indique une activité maladroite et désorganisée) est un sot qui s’attire des ennuis en cherchant à les éviter (le personnage apparaît régulièrement dans la littérature enfantine depuis le XIXe siècle, p. ex. chez la comtesse de Ségur : La sœur de Gribouille). On dit également une politique de Gribouille : une politique du pire, une politique qui aboutira nécessairement à une situation plus désastreuse encore que celle qu’il s’agissait d’éviter.

être Gros-Jean comme devant : n’avoir rien gagné après s’être lancé dans une entreprise (Guy est parti en Argentine pour trouver du travail, mais il en est revenu Gros-Jean comme devant)

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Dans la tradition populaire française, Gros-Jean est le surnom du paysan lourdaud et mal dégrossi. cf. une bécassine ; c’est Gros-Jean qui en remontre à son curé ; faire le Jacques ; faire son Joseph/faire sa Joséphine

c’est Gros-Jean qui en remontre à son curé : (vieilli) vouloir en remontrer à quelqu’un de plus instruit ou de plus habile que soi

L’image est celle du paysan inculte qui se croit plus savant que son curé. cf. être Gros-Jean comme devant ; parler latin devant les Cordeliers

un guignol : (familier) personne comique ou ridicule (Cesse de faire le guignol !)

Guignol est un personnage du théâtre de marionnettes apparu dans les premières années du XIXe siècle à Lyon (le nom de Guignol semble venir de la déformation du nom d’une marionnette lombarde, Chignol, dont le propriétaire était originaire du bourg italien de Chignolo). À l’origine, Guignol était le porte-parole du peuple et raillait les bourgeois, mais au fur et mesure que le personnage se popularisa dans la France entière, il perdit sa verve satirique et devint l’amuseur public qui fait rire les enfants.

un anneau de Gygès : faculté de passer inaperçu

Platon (La République, II, 3) raconte que le jeune berger Gygès trouva un jour par hasard un anneau d’or qui, lorsqu’il le passa à son doigt, le rendit invisible. Gygès parvint ainsi à s’introduire chez le roi Candaule, à le tuer, à épouser sa veuve et, finalement, à accéder au trône de Lydie (Asie Mineure). Le personnage de Gygès est historique (VIIIe siècle A.C.N.).

H

un harpagon : homme d’une grande avarice (le grec ‘αρπαγη et le latin harpago signifient « grappin »)

Harpagon est le protagoniste de la pièce de Molière (L’Avare, 1668). Balzac utilise le substantif féminin harpagonnerie : grande ladrerie.

une harpie [’arpi:]: une femme acariâtre, laide et méchante

Les Harpyes étaient des monstres ailés, à tête de femme et à corps d’oiseau, pourvues de longs cheveux, et qui répandaient une odeur épouvantable. Elles emportaient leurs victimes dans leurs serres crochues et les emmenaient aux Enfers. Elles étaient notamment ravisseuses d’âmes et d’enfants. À l’origine, elles semblent avoir été des personnification de la tempête et des vents. cf. une fée Carabosse ; une furie ; une Gorgone ; une mégère

un travail d’Hercule : un travail immense, exigeant une force presque surhumaine

Le demi-dieu Hercule (Héraklès), fils de Zeus et d’Alcmène (cf. un amphitryon), était détesté de Héra, qui le plongea dans un accès de folie au cours duquel Hercule massacra ses enfants et son épouse. Pour expier ce crime, il obéit à l’oracle qui lui ordonnait de se mettre au service de son cousin Eurysthée, lequel le haïssait et l’obligea à accomplir douze travaux exigeant une force énorme et une grande ingéniosité : tuer le lion de

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Némée, l’hydre de Lerne et le sanglier d’Érymanthe, capturer la biche aux pieds d’airain et aux cornes d’or consacrée à Artémis, débarrasser le lac de Stymphale des rapaces carnivores qui le souillaient, dompter le taureau crétois, ramener à Mycènes les cavales de Diomède dont les naseaux jetaient le feu, capturer la reine des Amazones pour lui dérober sa ceinture, nettoyer les écuries d’Augias, ramener d’Espagne les bœufs gardés par le monstre Géryon et ses acolytes, dérober les pommes d’or des Hespérides, enchaîner Cerbère, le chien des Enfers. On rencontre aussi l’adjectif herculéen (une force herculéenne) un hercule : un homme très fort cf. nettoyer les écuries d’Augias ; entasser Pélion sur Ossa ; un travail de Romain ; un travail de titan

vieux comme Hérode : très vieux, très ancien

L’expression fait allusion à un roi de Judée, Hérode le Grand (73-4), qui ordonna le massacre des Innocents, ou Hérode Antipas (4 A.C.N.- 39 P.C.N.), pour qui Salomé dansa en échange de la tête de saint Jean-Baptiste. cf. un massacre des Innocents ; vieux comme Mathusalem

une Hérodiade : un(e) coupable qui poursuit de sa haine implacable celui qui ose dénoncer cette culpabilité

La princesse Hérodiade était unie par le mariage à son oncle Hérode Antipas, tétrarque de Galilée (4-39 – cf. renvoyer de Caïphe à Pilate). Cette union fut jugée incestueuse par Jean-Baptiste, qui la dénonça et fut pour cette raison emprisonné. Hérode refusa toutefois de le mettre à mort comme le demandait Hérodiade, car il craignait le pouvoir du prophète. Alors, le jour de l’anniversaire du souverain, Salomé, fille d’Hérodiade, dansa pour lui. Sa danse fut si lascive qu’Hérode promit à Salomé de lui accorder ce qu’elle demanderait. À l’instigation de sa mère, la jeune fille exigea et obtint que la tête de Jean-Baptiste lui soit apportée sur un plat (Marc, 6, 17-29). cf. une Salomé

I

le complexe d’Icare : le désir fondamental de voler qu’a l’homme (et les excès et dangers que ce désir recèle)

Enfermés par le roi Minos dans le labyrinthe de Cnossos (Crète) qu’ils avaient eux-mêmes édifié, Dédale et son fils Icare se fabriquèrent des ailes faites de bois léger, de plumes et de cire et s’envolèrent avec l’intention de regagner la Grèce par les airs. Mais Icare, enivré par la joie de voler, s’approcha trop du soleil, la cire fondit, les ailes se disloquèrent, et le jeune homme s’engloutit dans les eaux du détroit de Messine. cf. un dédale

un violon d’Ingres : activité ou talent qu’une personne exerce en dehors de son activité principale

Le peintre Ingres (1780-1867) pratiquait aussi le violon ; l’expression s’est donc utilisée tout d’abord à propos d’un artiste qui s’adonnait à un art qui n’était pas le sien, puis à propos de toute activité seconde choisie par goût.

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un massacre des Innocents : un sacrifice cruel et injuste ;un comportement égoïste et irresponsable qui fait bon marché de la vie ou de l’avenir d’êtres sans défense

Ayant appris qu’était né à Bethléem un enfant promis au trône de Judée, le roi Hérode le Grand (73-4) fit massacrer tous les enfants du village âgés de moins de deux ans (Joseph, Marie et l’enfant Jésus échappèrent au massacre car ils s’étaient réfugiés en Égypte). cf. vieux comme Hérode ; une Saint-Barthélemy

le sacrifice d’Iphigénie : le sacrifice d’une victime innocente et étrangère à la cause à laquelle on l’immole

Agamemnon, à la tête de l’expédition grecque, voulut prendre la mer pour aller assiéger Troie. Mais les dieux exigèrent, pour faire se lever des vents favorables, qu’il sacrifie à Artémis sa plus jeune fille, Iphigénie. Agamemnon procéda au sacrifice dans le port d’Aulis, où la flotte grecque était immobilisée par le calme plat, mais au dernier moment, Artémis substitua à la jeune fille une génisse. Puis la déesse emmena Iphigénie en Tauride (l’épisode inspira Racine, qui rédigea le plan du premier acte d’une tragédie inachevée et intitulée Iphigénie en Tauride), où elle devint prêtresse du culte sanglant rendu à Artémis dans cette contrée (les étrangers lui étaient sacrifiés sur des autels), jusqu’au jour où Oreste et Pylade vinrent la chercher et la ramenèrent en Attique. cf. le sacrifice d’Abraham

un blanc isabelle : un blanc jaunâtre ; l’expression s’emploie principalement pour désigner la couleur de la robe d’un cheval

Isabelle la Catholique (1451-1504), reine d’Espagne, aurait fait le vœu de ne pas changer de sous-vêtements aussi longtemps que le royaume de Grenade, aux mains des Maures depuis 756, resterait en possession de ces derniers. Elle aurait ainsi patienté de longues années (jusqu’en 1492), et la couleur de ses sous-vêtements, initialement blancs, s’en serait lentement mais sûrement ressentie...

tous les péchés d’Israël : l’ensemble des fautes, des erreurs que l’on reproche à un groupe humain

Le jour de l’Expiation, le grand prêtre des Hébreux chargeait de tous les péchés d’Israël un bouc qu’il immolait ensuite, effaçant par ce geste les fautes du peuple entier. On dit également un bouc émissaire : personne qui se voit reprocher les erreurs des autres, et les paie pour eux.

J

une échelle de Jacob : une voie d’ascension ou de salut miraculeuse, et plus rêvée que réelle

Jacob (petit-fils du patriarche Abraham) endormi vit en songe une échelle dressée vers le ciel et que montaient et descendaient des anges ; au sommet de l’échelle lui apparut Yahvé, qui lui annonça que sa descendance peuplerait la Terre entière (Genèse, 28, 10-19).

la lutte (de Jacob) avec l’ange : une aventure intellectuelle ou spirituelle au cours de laquelle on s’affronte aux valeurs auxquelles on croit le plus au nom même de ces valeurs (p. ex. l’artiste qui cherche sans cesse à dépasser la perfection de son art, le théologien qui tente de percer le mystère de la foi, etc.)

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Jacob, petit-fils d’Abraham, fut une nuit attaqué par un adversaire qu’il ne put voir. Ils luttèrent toute la nuit et, l’aurore venue, l’adversaire invisible demanda à Jacob de le laisser partir. « Je ne te laisserai partir que si tu me bénis », lui répondit Jacob. L’autre le bénit et lui dit : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu comme avec des hommes, et tu l’as emporté » (Genèse, 32, 25-40). On dit également le combat (de Jacob) avec l’ange.

faire le Jacques : (populaire) faire le sot, se conduire stupidement

Jacques désignait traditionnellement le benêt, le simple d’esprit (Jacques ou Jacques Bonhomme était le surnom du paysan français typique). cf. une bécassine ; être Gros-Jean comme devant ; faire son Joseph/faire sa Joséphine

un maître Jacques : un factotum, un intendant

Dans L’Avare de Molière (1668), maître Jacques est le cuisinier et le cocher d’Harpagon.

fermer les portes du temple de Janus/ouvrir les portes du temple de Janus : conclure la paix/déclarer la guerre

Janus est l’une des plus anciennes divinités romaines. Il était le dieu des portes (celles des maisons et celles des villes), aussi ouvrait-on la porte de son temple en temps de guerre pour la refermer une fois la paix rétablie (Janus accompagnait les guerriers au combat, puis revenait veiller sur la ville). Selon les récits mythologiques, Janus accueillit Saturne dans le Latium ; en récompense, ce dernier lui accorda le don de double science qui lui permettait de connaître à la fois le présent et l’avenir ; selon le poète Ovide (43-17 ou 18), les deux visages de Janus l’autorisaient à régner à la fois sur la terre et sur les cieux (Janus est souvent représenté bifrons, « à deux faces » tournées en sens contraire, ou même doté de quatre têtes, ce qui donne à penser qu’il pouvait être aussi le dieu des saisons). Janus présidait également au commencement de toutes choses (notamment à celui de l’année : janvier, januarius, est le mois de Janus, et le dieu était tout particulièrement fêté au nouvel an). un janus : (architecture romaine) une porte voûtée ou en forme d’arc,

servant de passage sur une rue

un coup de Jarnac : une attaque perfide

Dans un duel devenu célèbre auquel assistaient Henri II et toute la cour, le baron de Jarnac (1505-1572 ?), vainquit son adversaire en lui portant au jarret un coup inattendu mais loyal : Jarnac était accusé d’être en bons termes avec sa belle-mère, qui fournissait au faste du trop aimé gendre. Quand un fait est si vrai, il ne doit pas être dit. Par dévouement pour le roi Henri II, qui s’était permis cette médisance, la Châteigneraie la prit sur son compte ; de là ce duel qui a enrichi la langue française de l’expression : coup de Jarnac (Balzac, La maison Nucingen). Le sens de l’expression a donc évolué, puisque de nos jours le coup de Jarnac est un coup déloyal. cf. faire le coup du Père François ; un coup de Trafalgar

les trompettes de Jéricho : 1) une force qui vient à bout d’un adversaire ou d’un obstacle de façon irrésistible et quasi magique, une idée juste qui finit par avoir raison de l’injustice la mieux défendue ; 2) les paroles ou les cris dont ceux qui les profèrent croient qu’ils vont suffire à leur assurer la victoire qu’ils escomptent

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Lorsque Josué menait les Hébreux à la conquête du pays de Canaan, il se heurta à la ville de Jéricho, protégée par des murs formidables. Pendant six jours, Josué fit faire à ses troupes le tour de la ville au son des trompettes qui escortaient l’arche d’Alliance (cf. le Saint des Saints) ; le septième jour, il fit faire sept tours : les remparts de Jéricho s’écroulèrent quand sonnèrent les trompettes (Josué, 6, 1). On dit également les murs de Jéricho : le symbole de l’injustice la mieux installée et qui semble inamovible, mais qui cependant recèle peut-être de la fragilité.

être pauvre comme Job : être extrêmement pauvre

Job était un homme riche, intègre et religieux. Pour l’éprouver, Satan demanda à Yahvé de le priver de sa fortune, puis de faire périr ses enfants, puis de lui infliger une maladie pénible. Mais Job, malgré les exhortations de sa femme et de ses amis, refusa de maudire Dieu : alors Yahvé le bénit à nouveau et Job retrouva des richesses plus considérables que celles qu’il avait perdues (et aussi des enfants...).

un jocrisse : un benêt, un nigaud, un sot ridicule

Le personnage de Jocrisse est tiré des récits du conteur Nicolas de Cholières (XVIe siècle), imitateur de Rabelais.

faire son Joseph/faire sa Joséphine : (vieilli) faire le sot

Dans la tradition populaire française, Joseph et Joséphine comptent parmi les prénoms donnés aux personnages du benêt et de la niaise. cf. une bécassine ; être Gros-Jean comme devant ; faire le Jacques

une fontaine de jouvence : ce qui procure le rajeunissement, ou en donne l’illusion

La nymphe Jouvence fut transformée en une fontaine dont les eaux avaient le pouvoir de rajeunir ceux qui s’y baignaient.

un baiser de Judas : une trahison commise sous l’apparence trompeuse de l’amitié, de l’affection

Judas Iscariote, l’un des douze apôtres, livra Jésus aux autorités de Jérusalem qui voulaient sa perte. Comme Jésus parlait avec ses disciples au Mont des Oliviers, Judas, pour le désigner à ses ennemis, lui donna un baiser avant d’aller se pendre, accablé de remords (Matthieu, 26, 48). un judas : 1) un traître ; 2) un espion ; 3) une petite ouverture pratiquée

dans une porte ou dans un mur afin d’observer sans être vu cf. un Brutus, les trente deniers de Judas

les trente deniers de Judas/les trente deniers (de la trahison) : l’argent de la trahison

Lorsque Judas livra Jésus aux prêtres du Temple de Jérusalem, il reçut pour cette trahison la somme de trente deniers (Luc, 22, 3-6 ; Marc, 14, 10-12 ; Matthieu, 26, 14-16). cf. un Brutus, un baiser de Judas

le Jugement dernier : moment imaginaire où la justice sera définitivement rendue, avec une équité parfaite, pour les morts comme pour les vivants (l’expression sert, selon les contextes, de menace ou de consolation)

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Quand viendra la fin du monde, le Seigneur apparaîtra en majesté et la trompette du Jugement résonnera, convoquant les vivants et ressuscitant les morts. Le Seigneur appellera les bons à sa droite et leur ouvrira le Royaume des Cieux ; à sa gauche, les méchants seront précipités dans les flammes éternelles de l’Enfer. Cet épisode du Nouveau Testament (Matthieu, 25, 31- 46) a inspiré de nombreux artistes (p. ex. Michel-Ange à la chapelle Sixtine, 1536-1541).

la trompette du Jugement : signal (menaçant ou salvateur selon les cas) qui annonce que justice va enfin être rendue

La trompette du Jugement retentira au moment de la fin du monde pour envoyer les anges musiciens annoncer de par le monde l’approche du Jugement dernier (Matthieu, 25, 31-46).

le Juif errant : le symbole de l’errance et du déracinement

Au Moyen Âge, les Juifs répandus dans divers pays étaient, du fait de leur langue et de leurs coutumes, toujours considérés comme des étrangers et n’avaient en général pas le droit de posséder de terres. La tradition populaire a de surcroît créé le personnage mythique d’Ahasvérus, Juif qui, pour avoir insulté Jésus portant sa croix, aurait été condamné à marcher sans s’arrêter jusqu’à la fin du monde (dans le roman d’Eugène Sue, Le Juif errant (1844-1845), le personnage reparaît tous les cent ans pour une brève rencontre avec sa sœur, elle aussi condamnée à l’errance éternelle).

être sorti de la cuisse de Jupiter/se croire sorti de la cuisse de Jupiter : se prétendre ou se croire de noble extraction

Allusion à la naissance de Dionysos, fils de Sémélé et de Jupiter : ayant demandé au roi des dieux de se montrer à elle dans tout son éclat, Sémélé fut anéantie par cette vision, et Jupiter dut arracher des entrailles de la morte le prématuré qu’il glissa dans sa cuisse, lui permettant ainsi de naître à terme trois mois plus tard. cf. se croire sorti de la côte d’Adam

L

faire du bruit dans Landerneau : avoir un grand retentissement

L’expression s’utilise en général lorsqu’un événement banal ou anodin cause l’émoi, l’agitation, les discussions, etc.

une vérité de La Palice : une évidence, un truisme, une vérité dont l’énormité prête à rire

Le marquis de La Palice, capitaine de François Ier, avait la réputation d’énoncer volontiers ce genre d’évidences ; il est tourné en dérision dans une chanson populaire du XVIIIe siècle (« Il mourut le vendredi,/Le dernier jour de son âge ;/S’il fût mort le samedi,/Il eût vécu davantage »).

se plonger dans les eaux du Léthé : oublier, se plonger dans l’oubli

Les eaux du Léthé, l’un des fleuves infernaux (avec l’Achéron, le Cocyte et le Styx), avait, pour les Anciens, la propriété de donner l’oubli à ceux qui la buvaient.

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un léviathan : 1) un monstre ; 2) une puissance malfaisante

Le Léviathan est un monstre mythique du folklore hébreu (Ancien Testament, Livres des Prophètes). Il vit aux abords de l’eau et apparaît tantôt comme un serpent, tantôt comme un dragon, tantôt comme un crocodile.

un lovelace : un séducteur libertin, rusé et perfide

Tel est le personnage (love, « amour », et lace, « piège ») de Richardson (Clarisse Harlowe, 1748). cf. un Casanova ; un don juan

Lucifer : le diable

Le nom de Lucifer, « celui qui porte la lumière », servit à désigner Vénus, l’étoile du matin, mais aussi le Christ. Cependant, comme c’est ainsi que le prophète Isaïe (14, 12) appelle le roi de Babylone, Lucifer devint, dès le Moyen Âge, l’un des noms du diable. cf. Belzébuth ; Satan

M

un macc(h)abée : (argot) un cadavre

Allusion à la guerre judéo-grecque déclenchée par l’interdiction faite aux Juifs de pratiquer leur culte ancestral, remplacé par les cultes grecs. Cette décision entraîna l’insurrection armée des Juifs, menés par la famille des Maccabées (la révolte des Maccabées, 168-142). Ils obtinrent un succès complet et la Judée devint un royaume indépendant. Ces événements sont relatés dans les quatre Livres des Maccabées ; on y trouve notamment le récit de sept frères torturés et dépecés par les Grecs : probablement des étudiants en médecine, lors de séances de dissection, ont-ils songé à cet épisode et donné le nom de maccabées aux cadavres sur lesquels ils travaillaient.

pleurer comme une madeleine : pleurer abondamment

Allusion à Marie-Madeleine, qui arrosa de larmes les pieds du Christ en l’implorant de lui pardonner ses péchés (Luc, 7, 38).

un marathon : 1) (sport) épreuve de course à pied de grand fond (42,195 kilomètres) ; 2) épreuve ou séance prolongée qui exige une grande résistance (un marathon de danse) – dans la langue des médias, l’expression désigne souvent un ensemble de rencontres entre partenaires politiques, ou entre le gouvernement et les partenaires sociaux, au cours desquelles les interlocuteurs déploient des efforts intenses pour aboutir à un accord : un marathon politique, un marathon syndical

En 490 A.C.N., le général athénien Miltiade triompha à Marathon du Perse Darius. Il envoya aussitôt un soldat annoncer la victoire à Athènes : celui-ci parcourut en courant les 42,195 kilomètres qui séparent les deux villes, et s’écroula, terrassé par l’effort et l’épuisement, une fois son message délivré.

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ce sont Marthe et Marie : deux sœurs ou deux amies dont l’une s’occupe essentiellement des choses de l’esprit, et l’autre des tâches matérielles

Dans un village, Jésus fut reçu par deux sœurs, Marthe et Marie. La première s’affairait aux travaux domestiques, tandis que la seconde écoutait avec respect et attention les paroles de Jésus. Marthe ayant reproché à sa sœur de ne pas l’aider, Jésus lui répondit que Marie avait choisi la meilleure part en se consacrant, parmi une foule de choses futiles, à la seule qui avait de l’importance (Luc, 10, 38-42).

il y a plus d’un âne (à la foire) qui s’appelle Martin : tel nom, caractère, comportement, etc. est très répandu

un matamore : un bravache, un fier-à-bras, un fanfaron mégalomane, bruyant et colérique, qui ne se manifeste toutefois qu’en paroles ou en intentions, non en actes, et est à la merci de la moindre réplique qui le laisse pantois

Matamoros (« le tueur de Maures ») est, dans l’ancien théâtre espagnol, le personnage du faux brave. cf. un rodomont ; un sacripant

vieux comme Mathusalem : extrêmement âgé, très ancien

Le patriarche biblique Mathusalem (ou Mathusala), qui aurait vécu 969 ans, est devenu symbole de longévité (Genèse, 4, 25-27). On dit également dater de Mathusalem : être très vieux, très ancien cf. vieux comme Hérode

un mécène : un protecteur des arts, celui qui finance les entreprises des artistes

Caius Cilnius Maecenas (v. 69-v. 8), chevalier romain de grande naissance étrusque et ministre d’Auguste, encouragea les arts et les lettres (il était lui-même poète) et accueillit dans ses villas (sur l’Esquilin, à Tivoli) Virgile, Horace, Properce et bien d’autres. on rencontre le substantif masculin mécénat

le radeau de la Méduse : lieu, situation où l’on est presque perdu, où la survie exige une lutte constante et désespérée

La frégate « La Méduse » sombra en 1816, seul quelques naufragés survécurent, après avoir passé des jours accrochés à un radeau (la toile de Géricault (1819) illustrant l’épisode est célèbre).

une mégère : une femme acariâtre et hargneuse

Mégère, Alecto et Tisiphone étaient les Érin(n)yes ou Euménides, dont le nom latin est Furies (pour davantage d’explications, voir ce terme). cf. une fée Carabosse ; une furie ; une Gorgone ; une harpie

pousser des cris de Mélusine : pousser des cris affreux et annonciateurs de malheur

Jean d’Arras (fin du XVe siècle) raconte que la fée Mélusine, épouse du seigneur de Lusignan, avait le pouvoir magique de se transformer en serpent mais avait fait promettre à son époux de ne jamais chercher à la voir quand elle changeait ainsi d’apparence. Cependant, il enfreignit cette interdiction et surprit Mélusine au bain, laquelle s’enfuit en poussant des cris horribles, annonciateurs de deuil pour les Lusignan.

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On dit également un secret de Mélusine : un secret qu’il faut à tout prix préserver (comme le terrible secret de la métamorphose de Mélusine).

un mentor : un conseiller sûr, attentif et sage

Dans L’Odyssée (Homère), Mentor est l’ami à qui Ulysse confia l’administration de ses biens quand il partit pour le siège de Troie. Fénelon (Les aventures de Télémaque, 1699) en fit le précepteur avisé du jeune Télémaque, le fils d’Ulysse.

le passage de la Mer Rouge : une traversée, un cheminement, une progression difficiles, voire impossibles a priori, et dont le résultat est miraculeux et inespéré

Moïse sauva son peuple de la colère de Pharaon en traversant la Mer Rouge, qui s’ouvrit miraculeusement devant les Hébreux, pour se refermer ensuite et engloutir les troupes égyptiennes (Exode, 14).

une Messaline : une femme débauchée et sans scrupules

Valeria Messalina, femme de l’empereur Claude (Ier siècle P.C.N.) et mère d’Octavie et de Britannicus, exerçait sur son mari un pouvoir absolu et se rendit célèbre par ses débauches (elle se livra même à la prostitution). Messaline projetait d’épouser son amant Silius lorsque Claude, prévenu du projet par l’affranchi Narcisse, la fit assassiner dans les jardins de Lucullus (ensuite, l’empereur épousa Agrippine, mère de Néron...)

accueillir quelqu’un comme le Messie/attendre quelqu’un comme le messie : attendre avec une grande impatience quelqu’un qui apporte un bien précieux, une nouvelle importante, une délivrance, un espoir, etc.

Les prophètes de l’Ancien Testament annoncent l’arrivée d’un roi puissant (en hébreu massiah, « l’oint », celui qui est enduit d’huile sainte) envoyé par Yahvé et qui donnera au peuple d’Israël la prospérité éternelle. Les premiers disciples de Jésus eurent la certitude qu’il était cet élu (en grec, χριστος signifie « oint »).

c’est la rue Michel : (familier) le compte y est, j’y trouve mon compte

Jeu de mots sur la rue Michel-le-Comte, à Paris.

les oreilles du roi Midas : un ridicule ou un sujet de honte que l’on veut garder secrets mais qui finissent par être connus de tous

Le silène Marsyas avait défié Apollon, prétendant qu’il était aussi bon musicien que lui. Les Muses et Midas (VIIIe-VIIe siècles, cf. un pactole), roi de Phrygie (Turquie), furent choisis comme arbitres du concours. Les premières se rangèrent du côté d’Apollon, mais Midas opta imprudemment pour Marsyas. Furieux, le dieu écorcha vif le silène, puis punit Midas de son piètre jugement en l’affublant d’oreilles d’âne. Midas dissimula cette tare honteuse sous un ample bonnet, mais fut bien obligé de mettre son barbier dans la confidence. Incapable de se taire, ce dernier alla creuser un trou dans lequel il cria, persuadé de n’être entendu de personne : « Le roi Midas a des oreilles d’âne ! ». Mais une touffe de roseaux poussa aussitôt à l’endroit fatidique et, agitée par le vent, répéta la phrase fatale ; ainsi tout le monde apprit le terrible secret du roi Midas.

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une cour des Miracles : 1) un repaire de mendiants et de voleurs ; 2) un lieu sordide ; 3) un endroit où s’expose la misère humaine

C’est la cour (ou impasse) où se réunissaient à la fin de la journée les faux mendiants, dont les infirmités disparaissaient aussitôt « miraculeusement »... (cf. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831 ; Bertold Brecht, Die Dreigroschenoper, 1928)

un moïse : (vieilli) un berceau en osier muni de roues

Constatant que les Hébreux (qui vivaient captifs en Égypte) se multipliaient rapidement, Pharaon donna l’ordre que soient mis à mort tous les enfants mâles (préfiguration du massacre des Innocents), mais la mère de Moïse parvint à cacher le nouveau-né, qu’elle déposa dans une corbeille d’osier enduite de bitume pour le confier au Nil. C’est la fille de Pharaon qui trouva le bébé, le sauva et lui donna pour nourrice... la propre mère de Moïse (cf. le Saint des Saints ; adorer le Veau d’or).

le Moloch : 1) divinité puissante et sanguinaire ; 2) une force puissante et maléfique

Le Moloch, mentionné dans plusieurs des livres de l’Ancien Testament, était probablement un dieu cananéen à qui des enfants étaient immolés par le feu lors de sacrifices rituels. Bien que prohibé, son culte se maintint longtemps, suscitant l’indignation des prophètes hébreux.

être dans les bras de Morphée : dormir

Fils de la Nuit et du Sommeil, Morphée est le dieu des songes ; on le représente avec des ailes de papillon et une poignée de pavots à la main. Le nom de Morphée se retrouve dans le substantif féminin morphine : puissant hypnotique dérivé du pavot.

un Myrmidon : (vieilli) un homme petit et chétif

Les Myrmidons (qu’Achille conduisit à la guerre de Troie) passaient pour les descendants des premiers habitants d’Égine. Zeus aurait peuplé cette île en donnant forme humaine à des fourmis.

N

le mal de Naples : (vieilli) la syphilis

Euphémisme utilisé par les Français, car leurs soldats contractèrent souvent la maladie pendant les guerres d’Italie (1494-1559). Les Italiens, paraît-il, parlent eux du « mal français »...

un nemrod : un chasseur valeureux

Dans la Bible (Genèse, 10, 8-11), Nemrod est roi de Babel et fondateur de Ninive. Certains historiens des religions l’ont rapproché du dieu sumérien Ninurta, qui incarne la chasse et la guerre.

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une tunique de Nessus : une contrainte morale, un carcan qui ôte toute liberté

Le centaure Nessus tenta d’enlever Déjanire, l’épouse d’Hercule, dont il s’était épris. Hercule tua l’impudent, mais Nessus eut le temps d’offrir à Déjanire une tunique teinte de son sang, lui affirmant que ce vêtement lui assurerait à jamais la fidélité de son époux. Déjanire fit enfiler à Hercule la tunique empoisonnée, et ce dernier connut aussitôt d’atroces souffrances sous l’emprise desquelles il se jeta dans le feu où il périt.

la pomme de Newton : 1) un objet ou un indice souvent découverts par hasard et qui semblent anodins, mais grâce auxquels se produit une révélation intellectuelle de première importance ; 2) une évidence qui ne frappe pas immédiatement, mais d’où l’on tire des conclusions de grande portée

Allusion à l’anecdote selon laquelle Isaac Newton (1642-1727) aurait découvert le principe de l’attraction universelle en voyant une pomme tomber de l’arbre à ses pieds. cf. l’œuf de (Christophe) Colomb

être comme le chien de Jean de Nivelle : (familier) être lâche, démissionnaire et rebelle

Jean de Nivelle était le fils de Jean II de Montmorency (1402-1477) ; il refusa d’obéir à son père qui lui ordonnait de rallier les rangs des fidèles du roi de France Louis XI et de marcher contre le duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Comme il fuyait, son père lui aurait crié de revenir en le traitant de chien. L’anecdote est passée à la postérité grâce à une chanson populaire du XVe siècle : « Ce chien de Jean de Nivelle, qui s’enfuit quand on l’appelle ». Le sens de l’expression a donc évolué, puisqu’il est aujourd’hui question d’un animal et non plus du personnage.

une arche de Noé : 1) lieu qui abrite toutes sortes d’animaux ; 2) lieu où vivent des gens excentriques

Avant de déclencher le déluge, Yahvé ordonna à Noé de construire un grand bateau et d’y embarquer sa famille ainsi qu’un couple de chaque espèce animale afin de les sauver du désastre et de repeupler ensuite la Terre ; Noé navigua une dizaine de mois, puis s’échoua sur le mont Ararat (Genèse, 6, 13 à 8, 22) cf. après moi, le Déluge !

jeter le manteau de Noé : taire ou cacher un événement susceptible de ternir une réputation

Après le Déluge, Noé planta une vigne. Le temps venu, il goûta le vin, mais ne sut pas s’arrêter à temps et, ivre, se déshabilla et s’endormit. Arriva alors son fils Cham qui le vit nu, chose qui, depuis le péché originel, était interdite. Au lieu de se taire, Cham alerta ses frères Sem et Japhet : ceux-ci marchèrent à reculons vers Noé et jetèrent sur lui un manteau. Mis au courant de l’incident à son réveil, Noé bénit Sem et Japhet et maudit Cham et sa descendance : c’est pourquoi les Hébreux voyaient dans leurs ennemis héréditaires, Philistins et Cananéens, les descendants de Cham. cf. Canaan ; un Philistin

une réponse de Normand : une réponse ambiguë, peu claire, et donc peu compromettante

Allusion à la réputation qu’ont les Normands d’être rusés, et évasifs dans leurs réponses. On dit également répondre en Normand.

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O

une odyssée : (le récit d’) un périple plein d’aventures

L’Odyssée est le récit, attribué à Homère (IXe/VIIIe siècles A.C.N.), du long voyage semé d’embûches et de périls accompli par Ulysse (en grec Odusseus) qui, après la victoire des Grecs dans la guerre de Troie, erra sur les mers durant de longues années avant de pouvoir regagner son île d’Ithaque où l’attendait son épouse Pénélope.

le complexe d’Œdipe [ edip ] : disposition passagère selon laquelle l’enfant éprouve un attachement amoureux pour le parent du sexe opposé au sien et un sentiment de rivalité vis-à-vis du parent du même sexe (théorie freudienne)

Passant par Thèbes, Œdipe, qui ne connaissait pas ses parents, se prit de querelle avec son père Laïos qu’il tua, puis épousa sa mère Jocaste, dont il eut quatre enfants (Étéocle, Polynice, Antigone et Ismène). Mais en guise de châtiment pour cet inceste pourtant involontaire, Thèbes fut accablée de maux ; une fois la vérité découverte, Œdipe, maudit par ses fils, se creva les yeux et s’exila seul sur les routes. On utilise parfois l’expression le complexe de Jocaste pour désigner l’attirance de la mère pour son fils. cf. être muet comme un sphinx

arriver comme les carabiniers (d’Offenbach) : arriver très en retard, lorsque tout est terminé

Allusion à l’opéra-bouffe d’Offenbach Les brigands, dans lequel les carabiniers arrivent systématiquement quand tout est joué (ils chantent le couplet : « Nous sommes les carabiniers/La sécurité des foyers/Mais par un malheureux hasard/Au secours des particuliers/Nous arrivons toujours trop tard »).

un olibrius : un original, un excentrique, un individu dont le comportement surprend

Gouverneur des Gaules au caractère imprévisible et cruel, Olibrius (IVe siècle P.C.N.) fit décapiter sainte Marguerite (après avoir voulu la brûler vive) qui refusait d’abjurer le christianisme pour l’épouser.

Oreste et Pylade : deux amis inséparables

Après le meurtre de son père Agamemnon (assassiné à son retour de Troie par son épouse Clytemnestre et Égisthe, l’amant de celle-ci), Oreste fut élevé avec son cousin Pylade, dont il devint l’ami inséparable. Lorsqu’il monta sur le trône d’Argos, Oreste accorda à Pylade la main de sa sœur Électre. cf. être comme Achille et Patrocle ; être comme Castor et Pollux ; être comme saint Roch et son chien

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P

un pactole : une source de grande richesse (Il a gagné un pactole en concluant cette affaire ; Ce n’est pas le pactole)

Midas (VIIIe-VIIe siècles), roi de Phrygie (Turquie), reçut de Dionysos le pouvoir de changer en or tout ce qu’il touchait ; il fut ainsi bientôt menacé de mourir de faim, car il transformait en ce métal précieux tous les aliments qu’il portait à sa bouche. Dionysos lui permit de se débarrasser de ce terrible pouvoir : il ordonna à Midas d’aller se baigner dans les eaux du Pactole, qui dès lors charrièrent des pépites d’or (le Pactole est une rivière d’Asie mineure qui porte aujourd’hui le nom turc de Sarabat). cf. un pays de cocagne ; un eldorado ; ce n’est pas le Pérou

le grand Pan est mort : formule qui marque le passage de l’ère mythologique à l’ère biblique

Pan est un dieu pastoral qui représente les puissances de la vie animale et de la fécondité ; il est omniprésent et invisible dans les bois et les pâturages, où seul le son de sa flûte le signale aux bergers et aux voyageurs. Selon l’expression, cette incarnation de la verdeur païenne et des formes spontanées de l’art et de la poésie aurait été ensevelie sous le conformisme étriqué des valeurs chrétiennes et de la morale bourgeoise. Plutarque raconte que de son vivant, vers 100 (P.C.N.), se produisit la mort de Pan : le pilote d’un bateau entendit une voix mystérieuse lui ordonner de s’approcher de la côte sauvage qu’il longeait ; une fois qu’il l’eut atteinte, tous les passagers entendirent la phrase « Le grand Pan est mort ! » suivie de douloureux et profonds gémissements. Les païens n’y comprirent rien, mais les chrétiens y virent l’annonce par les dieux du paganisme de leur propre disparition. une (peur) panique : une peur soudaine qui provoque l’affolement, comme celles déclen-

chées par les apparitions imprévisibles de Pan (πανικος, « relatif à Pan »), qui prenait un malin plaisir à épouvanter les promeneurs qu’il rencontrait par sa laideur (il avait une tête et des jambes de bouc, et un tronc d’homme)

une panacée : un remède universel

Panacée était une déesse grecque capable de guérir toutes les maladies. Aujourd’hui encore, le serment d’Hippocrate, que prononcent les médecins, commence ainsi : « Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée... » (Esculape ou Asclépios, fils d’Apollon et d’une mortelle, est le dieu de la médecine ; sa fille Hygie est la déesse de la santé).

une boîte de Pandore : une source de maux innombrables, l’origine d’une catastrophe

Voulant punir Prométhée qui avait dérobé le feu aux dieux pour le donner aux hommes, Zeus envoya parmi ceux-ci Pandore, la première femme, créée par Héphaïstos, et parée par Hermès de tous les dons (παν δωρα) et d’une séduction trompeuse. Zeus donna à Pandore une jarre soigneusement fermée avec mission de ne jamais l’ouvrir. Devenue l’épouse d’Épiméthée, frère de Prométhée, Pandore, mue par la curiosité, ouvrit la jarre et vit s’en échapper tous les maux qui s’abattirent sur l’humanité (la légende veut que seule y demeura l’espérance...).

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un Pantagruel : cf. un gargantua

un mouton de Panurge : une personne qui imite niaisement les autres, quelqu’un qui ne fait preuve d’aucun esprit critique

Au cours d’un voyage en mer, Panurge (personnage de Rabelais, Quart Livre, 1548) se prend de querelle avec le marchand Dindenault (qui incarne la sottise humaine). Pour se venger, Panurge jette à la mer un des moutons de Dindenault : répondant aux bêlements de leur congénère, tous les autres moutons se précipitent à l’eau, entraînant le marchand, et tous périssent noyés.

à Pâques ou à la Trinité : 1) dans un avenir lointain, indéterminé, incertain ; 2) jamais

Les deux fêtes chrétiennes de Pâques et de la Trinité étant bien définies, c’est dans la Chanson de Malbrough (chanson populaire) qu’il faut chercher l’explication du sens de l’expression : Malbrough « s’en va t’en guerre » et « reviendra z’à Pâques ou à la Trinité », mais Pâques puis la Trinité se passent et « Malbrough ne revient pas »... On dit également (reporter) aux calendes grecques : (reporter) à un moment qui n’existe pas, c’est-à-dire à jamais. cf. ad kalendas graecas

Paris vaut bien une messe : telle chose que l’on désire mérite un sacrifice, un compromis

Henri de Navarre (futur Henri IV, 1553-1610) – ou peut-être son ministre Sully – aurait prononcé cette phrase lorsque, le 25 juillet 1593, il abjura le protestantisme afin d’accéder au trône de France.

il n’est bon bec que de Paris : évocation du verbe facile des Parisiens et affirmation de leur suprématie en ce domaine

Le vers est de Villon, Le Testament, Ballade des femmes de Paris, 1462.

avec des si, on mettrait Paris en bouteille : tout est possible avec des suppositions qui ne tiennent pas compte de la réalité

cf. si le nez de Cléopâtre avait été plus long...

le parnasse : (littéraire) la poésie

Le Mont Parnasse s’élève au-dessus de la cité grecque de Delphes, qui abritait le sanctuaire d’Apollon. Cette montagne était la demeure d’élection d’Apollon et des Muses, divinités protectrices des arts et des sciences. Dès le Moyen Âge, la colline voisine du Quartier Latin (quartier de l’université), à Paris, fut baptisée le Mont Parnasse (Montparnasse depuis le XVIIIe siècle) en raison de son savant voisinage ; par ailleurs, au XIXe siècle, un groupe de poètes français (les Parnassiens) conduits par Leconte de Lisle s’intitula le Parnasse.

la flèche du Parthe : l’attaque, le trait hostile que l’on adresse à quelqu’un au terme d’une conversation, à la fin d’une lettre

Lorsqu’ils livraient combat, les Parthes (peuple installé au sud-ouest de la Mer Caspienne du IIIe siècle A.C.N. au IIIe siècle P.C.N.) faisaient mine de fuir afin de surprendre l’ennemi par des flèches tirées en arrière et par-dessus leurs épaules. On dit également fuir en Parthe : en infligeant à l’ennemi de cruelles atteintes. cf. in cauda venenum

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enfourcher Pégase : laisser libre cours à son inspiration poétique

Pégase est un merveilleux cheval ailé né du sang répandu par la Gorgone Méduse lorsque Persée lui trancha la tête. D’un coup de sabot, Pégase fit jaillir sur l’Hélicon la source Hippocrène : les Muses se réunissaient autour, et les poètes venaient y puiser de l’eau. On dit également taquiner la muse : s’essayer à la création poétique.

entasser Pélion sur Ossa : 1) entreprendre un travail surhumain ; 2) accumuler les difficultés devant soi

Les géants Aloades voulaient conquérir Artémis et Héra et tentèrent d’atteindre le royaume des dieux en empilant les monts Olympe, Pélion et Ossa. Ils furent tués par Apollon. cf. un travail d’Hercule ; un travail de Romain ; un travail de titan

les pénates (m. pl.) : le foyer, la maison (regagner ses pénates)

Chez les Romains, les pénates étaient les dieux protecteurs de la maison ou de la cité. On appelle également pénates les statuettes qui personnifiaient ces dieux.

un ouvrage de Pénélope/une toile de Pénélope : un ouvrage jamais terminé, que l’on doit sans cesse reprendre

La reine Pénélope attendait sur l’île d’Ithaque que son époux Ulysse revienne du siège de Troie. Comme les prétendants au trône, convaincus de la mort d’Ulysse, la pressaient de se choisir parmi eux un nouveau mari, elle promit de se décider lorsque serait terminé l’ouvrage qu’elle tissait : à dater de ce moment, Pénélope défit chaque nuit le travail qu’elle avait accompli le jour précédent afin de retarder l’échéance. Sa ruse fut finalement découverte et les prétendants décidèrent que celui d’entre eux qui parviendrait à bander le puissant arc d’Ulysse épouserait Pénélope. Mais Ulysse regagna Ithaque sous les traits d’un vieux mendiant (que seuls reconnurent le porcher Eumée et Argos, le vieux chien qui attendait le retour de son maître pour mourir), remporta le concours, massacra les prétendants et retrouva son épouse, son fils Télémaque et son trône. Le sens de l’expression a donc évolué, puisque de nos jours l’ouvrage (/la toile) de Pénélope s’applique à une durée involontaire. cf. le tonneau des Danaïdes ; un rocher de Sisyphe ; le chien d’Ulysse

faire le coup du Père François : (populaire) prendre en traître, user d’un procédé déloyal

Le Père François serait l’un des surnoms du lutteur Arpin (XIXe siècle), dit aussi « le terrible Savoyard ». Tirée de l’argot des voleurs, l’expression pourrait faire allusion à un style d’agression perpétrée par deux assaillants dont le premier étrangle la victime par derrière à l’aide d’une courroie pendant que le second la dépouille. cf. un coup de Jarnac ; un coup de Trafalgar

ce n’est pas le Pérou : ce n’est pas une fortune, ce n’est pas une somme énorme, ce n’est pas un gros gain

À l’époque de la colonisation espagnole, le Pérou était vu comme la terre mythique où abondaient l’or et les richesses. cf. un pays de cocagne ; un eldorado ; un pactole

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la cour du roi Pétaud : un lieu de désordre, d’anarchie et de confusion, dépourvu de calme et de discipline

Le personnage du roi Pétaud, dont le nom est vraisemblablement dérivé du mot pet, apparaît chez Rabelais. Ce « roi péteur » est un petit roi, un roi minuscule que nul ne saurait prendre au sérieux, un roitelet (or, le nom patoisant de l’oiseau roitelet est roi petaret, roi pétaud...). Par ailleurs, l’appellation roi Pétaud a pu désigner le roi des mendiants : en latin, peto signifie « je demande ». On rencontre aussi le substantif féminin pétaudière (familier) : assemblée désordonnée et ingouvernable.

un pharisien : un hypocrite, celui qui dissimule l’étroitesse d’esprit et l’égoïsme sous des apparences de rigueur morale et de fidélité à un dogme ou à un principe

Les Pharisiens, nombreux et influents à l’époque de Jésus, étaient les adeptes d’un mouvement religieux interne au judaïsme et qui prescrivait la stricte observance de l’orthodoxie. Ils s’opposèrent à Jésus et à ses disciples, qui prêchaient une religion moins formelle et leur semblaient donc dangereux. On rencontre aussi le substantif masculin pharisaïsme : l’attitude des pharisiens.

un diseur de Phébus : (vieilli) quelqu’un qui parle beaucoup pour ne rien dire, qui présente comme un brillant discours des propos creux et vains

Phébus (Phœbos) est l’autre nom d’Apollon dieu solaire ; l’allusion à ce côté brillant, lumineux, est ici péjorative.

un phénix : (péjoratif) un être d’exception (Il se prend pour le phénix ; Ce n’est pas un phénix !)

Le phénix était, pour les anciens Grecs, un oiseau fabuleux qui ressemblait à un grand aigle aux plumes colorées et brillantes. Il était unique en son genre et, après plusieurs centaines ou même plusieurs milliers d’années de vie, il se fabriquait un nid de plantes odorantes où il se faisait brûler. De ses cendres naissait alors un nouveau phénix. On dit également renaître de ses cendres : ressurgir après avoir été anéanti.

un philistin : un bourgeois fermé aux beautés de l’art

Les Philistins (adorateurs de Belzébuth), qui donnèrent leur nom à la Palestine, étaient les ennemis jurés des Hébreux (cf. le combat de David et Goliath). cf. un béotien ; jeter le manteau de Noé

renvoyer de Caïphe à Pilate : renvoyer à un autre l’initiative et la responsabilité d’une affaire délicate, renvoyer à un autre une décision difficile

Caïphe, Grand Prêtre des Hébreux, demanda au procurateur romain (26-36) de Judée Ponce Pilate de condamner à mort Jésus, à ses yeux coupable de blasphème ; Pilate refusa de prendre la responsabilité de cette décision et renvoya l’affaire au tétrarque de Galilée Hérode Antipas, lequel déclara que cette affaire devait être résolue par les Hébreux, c’est-à-dire par Caïphe. On rencontre également se renvoyer la balle et renvoyer d’Hérode à Pilate ; et s’en laver les mains : se désintéresser de quelque chose, en dégager sa responsabilité (après avoir finalement condamné Jésus, Pilate aurait dit : « Je m’en lave les mains » – Matthieu, 27, 24).

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prendre le Pirée pour un homme : commettre une erreur grossière, se tromper lourdement, étaler son ignorance

Dans la fable de La Fontaine (1621-1695) Le singe et le dauphin, le singe, pour ne pas paraître ignare, prétend connaître et avoir pour ami le Pirée (qui est le port de la ville d’Athènes).

descendre chez Pluton : mourir

Pluton (Hadès) est le dieu du monde souterrain des Enfers, qui abrite les âmes des morts. On peut utiliser l’expression le royaume de Pluton pour désigner le séjour des morts.

un secret de polichinelle: un faux secret, que tout le monde connaît

Polichinelle est, dans la commedia dell’arte, le personnage du fantoche bossu qui parle à tort et à travers.

boire comme un Polonais : boire énormément

L’allusion vise probablement non pas le peuple polonais, mais les mercenaires polonais, très prisés en France sous l’Ancien Régime. On dit également être soûl (/gris/ivre/...) comme un Polonais : être complètement soûl. cf. sacrifier à Bacchus ; boire comme un templier ; boire en Suisse

se porter comme le Pont-Neuf : se porter très bien, être en excellente santé

Le Pont-Neuf, le plus ancien des ponts parisiens, jouit d’une réputation de solidité qui ne s’est jamais démentie depuis sa construction sous Henri III et Henri IV (il fut achevé en 1607).

(avoir l’air de) revenir de Pontoise : 1) avoir l’air troublé ; 2) avoir l’air ahuri

Pontoise (Val-d’Oise) représente vraisemblablement dans l’expression une localité perdue, éloignée (de Paris).

le lit de Procuste : 1) une uniformisation arbitraire, opérée selon des critères stupides ; 2) un cadre contraignant et arbitraire

Procuste était un brigand fabuleux d’une grande cruauté. Installé sur la route près de Mégare (Grèce), il arrêtait les voyageurs et les forçait à s’allonger sur un lit, aux dimensions duquel il s’employait alors à les adapter : il coupait les pieds des grands et étirait les membres des petits. Thésée le fit prisonnier et le soumit au même supplice.

un Protée : une personne qui change sans cesse d’opinion, d’humeur et même de visage

Pour le remercier du zèle avec lequel il gardait ses troupeaux de phoques, Poséidon accorda à son fils Protée le don de divination. Mais Protée (surnommé « le vieillard de la mer ») appréciait peu que l’on vienne troubler sa solitude, aussi se métamorphosait-il en une série de monstres horribles afin de décourager les éventuels consultants, qui ne se voyaient délivrer d’oracle que s’ils étaient assez téméraires pour ne pas s’enfuir. Un protée est aussi un batracien vivant dans les profondeurs sous-marines et dont le corps blanchâtre dans l’obscurité se couvre de taches sombres sitôt exposé à la lumière. On rencontre surtout l’adjectif protéiforme : à la forme instable, changeante.

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travailler pour le roi de Prusse : travailler pour rien, sans gagner de salaire

Attestée dans une chanson satirique du XVIIIe siècle, l’expression se réfère peut-être à la tradition selon laquelle les mercenaires au service du roi de Prusse étaient fort mal payés ; elle a probablement été réactivée au XXe siècle par l’animosité entre les Français et les Allemands (cf. une querelle d’Allemand). On dit également travailler pour le Grand Turc (vieilli).

une psyché : un grand miroir ovale monté sur châssis mobile et pivotant, permettant de se voir en pied

La jeune mortelle Psyché était si merveilleusement belle qu’Éros (le dieu de l’amour) s’éprit d’elle et en fit sa femme. Il la rejoignait chaque nuit, mais il était interdit à Psyché de contempler son divin époux. Une nuit cependant, Psyché, amoureuse et poussée par la curiosité, alluma sa lampe, obligeant son amant à fuir. Heureusement, Éros sut

obtenir le pardon des dieux, et l’autorisation pour Psyché et lui de s’aimer au grand jour. Le mythe de Psyché est universel car il signifie que l’âme humaine ne peut connaître le bonheur éternel que si elle triomphe des passions et des malheurs.

jouer les Pygmalion : 1) s’éprendre de ce que l’on a créé ; 2) vouloir façonner l’être aimé pour le rendre conforme à l’image idéale que l’on se fait de lui (cf. la pièce de G.B. Shaw, Pygmalion, 1912)

Pygmalion, roi de Chypre, s’éprit d’une statue d’ivoire qu’il avait sculptée et qui représentait une jeune fille. Lui qui avait cependant juré de ne jamais se marier (tant il concevait d’horreur pour les faiblesses qui dominent le sexe féminin...) implora Aphrodite de lui donner pour épouse une femme aussi parfaite que sa statue. Comprenant le désir profond du roi, la déesse donna alors vie à la statue, et Pygmalion put épouser Galatée, qui lui donna un fils (Paphos).

une victoire à la Pyrrhus : une victoire qui a coûté trop cher pour que l’on puisse s’en réjouir

Pyrrhus, roi d’Épire, remporta sur les Romains deux victoires particulièrement sanglantes (Héraclée et Ausculum, en 280 et 279 A.C.N.) grâce à ses éléphants qui effrayaient les légionnaires. Il renonça cependant à conquérir l’Italie, car les pertes subies, presque aussi importantes que celles des Romains, étaient bien trop lourdes (Pyrrhus aurait dit après Héraclée : « Encore une victoire comme celle-là, et nous sommes perdus ! »).

R

le quart d’heure de Rabelais : (vieilli) 1) le moment où il faut payer, s’acquitter d’une dette ; 2) le moment final et déplaisant

Allusion assez floue et probablement fantaisiste aux déboires de Rabelais, à qui il arrivait de ne pouvoir payer son dû à un aubergiste, et aux subterfuges auxquels il recourait alors.

un Rastignac : un ambitieux, un arriviste

Rastignac est un personnage de Balzac. Jeune homme pauvre et dévoré d’ambition lorsqu’il apparaît dans Le Père Goriot, il fait son chemin au fil de La Comédie humaine (Rastignac part à l’assaut de Paris en prononçant les mots : « À nous deux, maintenant ! »).

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un rodomont : un fanfaron, un fier-à-bras

Rodomonte, chevalier insolent et bravache, est un personnage de l’Arioste (Orlando furioso, v. 1502) cf. un matamore ; un sacripant

un Roger Bontemps (Roger-Bontemps) : quelqu’un qui prend la vie du bon côté, ne s’en fait jamais et n’est jamais pressé

Membre de la « Confrérie des Enfants-sans-Soucy », Roger de Collerye, dit Roger Bontemps, était un poète français (v. 1470-v. 1540) de joyeuse réputation.

un travail de Romain : un travail long et difficile, exigeant des efforts énormes

Allusion aux grands travaux exécutés par les Romains dans l’Antiquité. cf. un travail d’Hercule ; entasser Pélion sur Ossa ; un travail de titan

tous les chemins mènent à Rome : un même résultat peut s’obtenir par des moyens différents

Allusion aux routes des différents pèlerinages qui convergent vers Rome.

Rome n’est plus dans Rome : la formule s’utilise pour signifier qu’une ville, un pays, une institution, etc. a perdu les valeurs qui faisaient sa dignité

Corneille met cette phrase dans la bouche de Sertorius (123-72), héros éponyme de sa pièce (1662), qui voulait dire par là que Rome, asservie par Sylla, n’était plus que l’ombre d’elle-même, et que la véritable Rome se trouvait là où étaient les Romains libres et dignes des idéaux de leur patrie (c’est-à-dire auprès de lui qui, réfugié en Espagne, y avait établi un second Sénat et un simulacre de république romaine).

une rossinante : (vieilli) un vieux cheval poussif, un mauvais cheval

Rocinante est la monture de Don Quichotte. Aujourd’hui, on dit plus volontiers une rosse. cf. un Don Quichotte ; une dulcinée

franchir le Rubicon/passer le Rubicon : prendre une décision irrévocable et lourde de conséquences

Le Rubicon est un petit cours d’eau qui sépare l’Italie de la Gaule Cisalpine. César (alors gouverneur de cette partie de la Gaule) le franchit (50 A.C.N.) avec ses troupes, malgré l’interdiction faite à tout général romain d’entrer en armes en Italie. En agissant de la sorte, César déclarait la guerre à la République, dont il violait les lois, et au Sénat, qui lui avait confié les pleins pouvoirs. Il sortira victorieux (face à Pompée) de la guerre civile, ce qui donne rétrospectivement une connotation positive à l’expression. En franchissant la rivière, César aurait dit : « Alea jacta est ! » (« les dés sont jetés ! »). À noter que cette anecdote, rapportée par Suétone (Vie des douze Césars, César, XXXII), ne figure nulle part dans les écrits de César lui-même (De la guerre civile). cf. alea jacta est

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S

un sacripant : un vaurien, un chenapan, un mauvais sujet capable de jouer des tours pendables

Personnage sauvage et cruel dans l’Orlando innamorato du poète Boiardo (1441-1494), Sacripante devint chez l’Arioste (1444-1533) un brave un peu ridicule et comique (Orlando furioso). cf. un matamore, un rodomont

une Saint-Barthélemy : un massacre sanglant commis au nom d’une cause religieuse

Nom donné à un épisode particulièrement sanglant des guerres de religion en France : durant la nuit de la Saint-Barthélemy (24 août) de l’année 1572, quatre mille protestants (dont l’amiral de Coligny) sont sauvagement assassinés à Paris sur l’ordre du roi Charles IX, persuadé par sa mère Catherine de Médicis que les huguenots conspirent contre la Couronne. L’opération est menée par les troupes du duc de Guise. cf. un massacre des Innocents

le Saint des Saints : lieu stratégique de la plus haute importance, dont l’accès est jalousement gardé, où l’on ne pénètre qu’exceptionnellement et avec respect et émotion

Allusion à la partie la plus secrète et vénérée du Temple de Jérusalem, une pièce cubique et sans fenêtres, où seuls étaient admis les prêtres des Hébreux, et qui abritait l’arche d’Alliance (meuble biblique – du latin arca, « coffre » – dans lequel Moïse rangea les Tables de la Loi reçues de Yahvé sur le Mont Sinaï). cf. sancta sanctorum

par l’opération du Saint-Esprit : de façon miraculeuse, inexplicablement (et parfois de manière quelque peu suspecte)

Dans la Bible, le Saint-Esprit (symbolisé par la colombe) compose, avec le Père et le Fils, la Sainte Trinité.

tout le saint-frusquin : (argot) tout ce que l’on possède, l’ensemble des biens personnels de quelqu’un

L’expression fut sans doute construite sur le vieux mot frusquin (en argot moderne frusques) – les vêtements sont les premiers biens de chacun – auquel s’est adjoint le vocable saint, probablement par analogie avec le saint-crépin, qui désigne l’ensemble des outils du cordonnier (saint Crépin est le patron des cordonniers).

à la Saint-Glinglin : (familier et plaisant) à une date qui n’existe pas, jamais

La Saint-Glinglin ne figure évidemment pas au calendrier. On dit également la semaine des quatre jeudis ; quand les poules auront des dents (ces expressions sont familières) ; aux calendes grecques. cf. à Pâques ou à la Trinité ; ad kalendas graecas

un saint Jean Bouche d’Or : un orateur plein d’éloquence, un prédicateur, quelqu’un qui cherche à convaincre par son discours

Saint Jean Chrysostome (349-407), docteur de l’Église et prêtre d’Antioche (Turquie), devint célèbre par ses talents d’orateur et ses prédications, et fut nommé patriarche de Constantinople. On dit également parler d’or : parler avec justesse et clarté.

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être de la côte de saint Louis : cf. se croire sorti de la côte d’Adam

le manteau de saint Martin : une marque de compassion, un signe de générosité

Saint Martin était un soldat romain devenu chrétien. Il fut évêque de Tours au IVe siècle, et son culte était très populaire en France. Saint Martin aurait un jour déchiré son manteau en deux pour en offrir une moitié à un pauvre homme qui grelottait.

l’été de la Saint-Martin : les derniers beaux jours de l’automne

En France, cette arrière-saison peut (!) coïncider avec la Saint-Martin, le 11 novembre. Grâce à la belle température, les processions en l’honneur de saint Martin se faisaient à l’extérieur des églises. Les Anglais disent Indian summer, et les Québécois été des sauvages.

les clefs de saint Pierre : le symbole d’un immense pouvoir spirituel

Jésus fit de Pierre le premier pape, l’investissant ainsi du pouvoir de diriger son Église et de condamner ou d’absoudre les hommes. Les deux clefs du « Royaume des Cieux » (Matthieu, 16, 18-19) figurent, entrecroisées, sur les armes du Vatican. L’imagination populaire eut vite fait de transformer saint Pierre en gardien de la porte du Paradis.

déshabiller (saint) Pierre pour habiller (saint) Paul/décoiffer (saint) Pierre pour coiffer (saint) Paul/découvrir (saint) Pierre pour couvrir (saint) Paul/prendre à Pierre pour donner à Paul : prélever d’un côté (en créant un manque) pour parer à un besoin d’un autre côté

L’expression se réfère probablement à la coutume (encore vivace dans certaines régions méditerranéennes) d’habiller les statues des saints pour des processions : dans les paroisses pauvres qui ne disposent pas d’assez de vêtements pour toutes les statues, un même ornement honore successivement différents saints.

être comme saint Roch et son chien : être inséparables

Au cours d’un pèlerinage à Rome, saint Roch soigna et guérit des pestiférés. Atteint à son tour par la maladie, il s’isola dans une forêt où il fut secouru par un ange tandis qu’un chien du village lui portait du pain, lui permettant ainsi de survivre puis de guérir. Saint Roch est donc censé préserver de la peste. On dit également le mal de saint Roch : la peste ; la bénédiction de saint Roch : la malédiction (par allusion à la peste) ; être unis comme les (cinq) doigts de la main : être inséparables. cf. être comme Achille et Patrocle ; être comme Castor et Pollux ; être comme Oreste et Pylade ; le chien d’Ulysse

un saint Thomas : l’incrédule, le sceptique, celui qui ne croit que ce qu’il voit

L’apôtre Thomas refusa de croire à la résurrection du Christ avant d’avoir lui-même touché ses plaies (Jean, 20, 24-29).

coiffer sainte Catherine : atteindre l’âge de vingt-cinq ans sans se marier, rester (désespérément) célibataire (en parlant d’une femme)

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Allusion à la virginité de sainte Catherine, épouse mystique de l’enfant Jésus. On dit coiffer parce que la jeune femme bénéficie d’une sorte de sursis et construit sa coiffure en trois étapes : une première épingle est posée à vingt-cinq ans, une deuxième à trente ans, et une dernière à trente-cinq ans.

une sainte Nitouche : 1) quelqu’un qui joue l’innocent, un hypocrite ; 2) une femme qui joue les prudes

Jeu de mots sur n’y touche. On dit également ne pas avoir l’air d’y toucher : n’avoir l’air de rien.

la Sainte-Touche : (argotique) le jour de la paie

Jeu de mots sur toucher (son salaire).

une Salomé : une jeune fille perverse à l’apparence innocente

Allusion à la danse lascive que Salomé exécuta devant le tétrarque de Galilée Hérode Antipas (4-39 – cf. renvoyer de Caïphe à Pilate) afin d’obtenir la tête de Jean le Baptiste. Le personnage de Salomé connut un grand succès dans le domaine artistique : Gustave Moreau, Aubrey Beardsley ; Oscar Wilde, Gustave Flaubert, Karl-Joris Huysmans ; Richard Strauss... On dit également jouer les Salomé : dissimuler sa perversité sous l’apparence de l’innocence ; et la danse des sept voiles : le symbole de la séduction lascive et perverse (selon l’imaginaire populaire, Salomé aurait, en ôtant au fil de sa danse les sept voiles qu’elle portait, effectué le premier strip-tease de l’histoire – ce détail n’est pas garanti par les Évangiles...). cf. une Hérodiade

un jugement de Salomon : un jugement parfaitement équitable

Deux femmes récemment accouchées soumirent au roi d’Israël Salomon (972-932) l’affaire qui les opposait : l’un des deux enfants était mort, et chacune se prétendait la mère du survivant. Devant l’impossibilité de mettre d’accord les jeunes mères, Salomon ordonna que l’enfant soit coupé en deux afin que chacune en reçoive une moitié. L’une des femmes accepta, mais l’autre préféra renoncer à l’enfant plutôt que de le voir massacré. Convaincu qu’il s’agissait là de la véritable mère, Salomon lui remit le bébé (Livre des Rois, 3, 16-28).

jouer les bons Samaritains/faire le bon Samaritain : se montrer secourable

La Samarie est la région de Palestine qui sépare la Galilée de la Judée ; les Juifs et les Samaritains se vouaient une haine séculaire. Or, le bon Samaritain secourut charitablement un Juif laissé pour mort par des brigands, et qu’un prêtre et un lévite (homme voué héréditairement au service du Temple) avaient refusé d’aider (Luc, 10, 29-37).

Satan : le diable

Satan est le prince de l’Enfer. En hébreu, son nom signifie « le calomniateur ». On rencontre aussi le substantif masculin satanisme et l’adjectif satanique, ainsi que l’épithète satané : maudit (cette satanée bagnole refuse encore de démarrer !). cf. Belzébuth ; Lucifer ; un suppôt de Satan ; vade retro, Satana(s) !

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un suppôt de Satan : 1) l’acolyte d’un individu peu recommandable ; 2) le partisan d’une mauvaise cause

À l’origine, le suppôt de Satan est le serviteur du diable.

travailler à la vigne du Seigneur : 1) (religion) convertir les âmes ; 2) faire œuvre de prosélyte

Selon l’Ancien Testament, Yahvé avait planté une vigne, symbole du peuple d’Israël ; dans les Évangiles, c’est le Royaume de Dieu qui est comparé à une vigne dont les chrétiens sont les vignerons (Matthieu, 20, 1-16 et 21, 33-44). On dit également être dans les vignes du Seigneur : participer à une beuverie, être ivre (cette expression montre une forme d’indulgence bienveillante pour les ivrognes, propension que Yahvé ne manifeste en aucune façon dans les textes sacrés).

un sésame ouvre-toi (sésame-ouvre-toi ) : formule qui ouvre les lieux et les milieux les plus fermés

« Sésame, ouvre-toi ! » est le mot de passe grâce auquel Ali Baba réussit à ouvrir la caverne des quarante voleurs cf. une caverne d’Ali Baba

un sigisbée : un chevalier servant, un ami galant et empressé

Au XVIIIe siècle, il était courant en Italie qu’une femme se fasse accompagner dans ses sorties par un autre que son mari, lequel se trouvait ainsi soulagé d’un certain nombre de corvées. Ce chevalier servant était le cicisbeo (« le galant qui susurre »).

le chant des sirènes : un discours séduisant, attirant, mais trompeur et fatal pour celui qui se laisse attirer

Les Sirènes étaient des démons marins, mi-femmes mi-oiseaux, qui se tenaient sur une île de la Méditerranée et chantaient afin d’attirer les marins. Ceux-ci étaient aussitôt saisis de l’irrépressible envie de s’approcher, et fracassaient leurs navires sur les rochers. Seuls échappèrent aux Sirènes les Argonautes (cf. la Toison d’or), car le chant d’Orphée couvrit celui des monstres, et Ulysse, qui boucha de boulettes de cire les oreilles de ses compagnons et se fit attacher au mât de son navire pour résister à la tentation. On dit également les sirènes de (l’extrême droite) : la tentation perfide représentée par (l’extrême droite).

du point de vue de Sirius : en prenant du recul (par rapport à la situation que l’on examine), en relativisant et en étant objectif

L’étoile Sirius est le symbole de la distance extrême par rapport au monde terrestre. L'expression apparaît chez l’écrivain Ernest Renan (1823-1982).

le rocher de Sisyphe : un travail sans fin, une tâche interminable

Sisyphe, roi de Corinthe, fut condamné par Zeus à hisser au sommet d’une montagne un énorme rocher qui bien sûr dévalait tout aussitôt la pente. Le motif de cette punition terrible reste mystérieux : Sisyphe aurait ravagé l’Attique, ou enchaîné le dieu de la mort Thanatos, ou trahi le secret des amours de Zeus avec la nymphe Égine... Dans son essai (Le mythe de Sisyphe, 1942), Albert Camus imagine un Sisyphe heureux. cf. le tonneau des Danaïdes ; un ouvrage (/une toile) de Pénélope

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Sodome et Gomorrhe : symboles de l’impudicité et de la dépravation

Yahvé décida de punir les habitants de Sodome et Gomorrhe (Palestine) pour leurs mœurs dépravées. N’ayant pu même trouver à Sodome dix justes qu’il aurait épargnés, il détruisit les deux villes, qui furent ensevelies sous une pluie de feu et de soufre (Genèse, 19, 1-29). Aujourd’hui, la salinité due aux dépôts de sel et de soufre est telle dans la région qu’aucune vie n’y est possible.

un sosie : personne qui offre une parfaite ressemblance avec une autre

Allusion à Sosie, le serviteur d’Amphitryon, dont Mercure prend l’apparence pour accompagner Zeus, qui a lui-même pris les traits d’Amphitryon, auprès d’Alcmène (épouse d’Amphitryon).

éduquer/élever à la spartiate : désigne une éducation caractérisée par une dureté et une rigueur extrêmes

La république de Sparte (Grèce antique) soumettait ses citoyens (et citoyennes) aux épreuves d’une éducation physique, militaire et politique impitoyable, ce qui lui permit d’étendre progressivement (et jusqu’au début du IVe siècle A.C.N.) sa domination sur les autres États grecs.

être muet comme un sphinx : (souvent ironique) s’enfermer dans un silence énigmatique qui est supposé indiquer une supériorité mystérieuse

Le Sphinx était un monstre à corps de lion et à tête de femme. Il faisait régner la terreur à Thèbes et tuait les voyageurs se présentant aux abords de la ville et incapables de résoudre l’énigme qu’il leur proposait : « Quel est l’animal qui, doué d’une seule voix, a successivement quatre, deux et trois pattes, et qui est d’autant plus faible qu’il a plus de pattes ? ». Œdipe (qui avait déjà tué Laïos (ou Laïus), ignorant que ce dernier était le roi de Thèbes et son propre père) trouva la réponse : il s’agit de l’homme, qui enfant se traîne à quatre pattes, adulte marche sur deux jambes, et vieillard s’appuie sur un bâton. Le Sphinx se précipita du haut de son rocher, libérant ainsi Thèbes de son joug. Quant à Œdipe, il accepta le trône de Thèbes et la main de la reine Jocaste que lui offraient les Thébains : Œdipe accomplit ainsi sans le savoir la seconde prophétie de l’oracle de Delphes, qui lui avait prédit qu’il tuerait son père et épouserait sa mère. cf. le complexe d’Œdipe

une voix de stentor : une voix d’une grande puissance

Stentor était un guerrier grec dont la voix était aussi puissante que celles de cinquante hommes criant ensemble (Homère, L’Iliade). Vaniteux, il défia Hermès, le héraut de l’Olympe, et succomba dans cette lutte. un stentor : minuscule protozoaire d’eau douce dont le corps a la forme d’une trompe

(et ainsi nommé par dérision ?)

traverser le Styx/visiter les rives du Styx : cf. traverser l’Achéron

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(boire) en Suisse : (familier) 1) boire tout seul, sans inviter personne ; 2) boire en cachette

L’expression se réfère soit à l’habitude des soldats suisses de boire beaucoup, soit à la différence entre les cultures germanique et française : les Suisses payaient chacun leur verre, les Français payaient chacun leur tournée. cf. sacrifier à Bacchus ; boire comme un Polonais ; boire comme un templier

pas d’argent, pas de Suisse/point d’argent, point de Suisse : on ne donne ni ne fait rien pour rien

Allusion assez obscure à l’âpreté au gain des mercenaires suisses. La formule est quelquefois attribuée au roi de France Henri IV (1553-1610), un jour où, faute d’argent, il ne pouvait engager de soldats suisses pour ses armées.

un sybarite : un amateur de plaisirs, sensuel, vivant dans le luxe, le raffinement et la volupté

La ville antique de Sibaris, sur le golfe de Tarente (Grande-Grèce, VIIIe-VIe siècles), était réputée pour son luxe et les mœurs très libres de ses habitants.

T

un supplice de Tantale : un supplice qui consiste à soumettre à une tentation insupportable et sans espoir d’accomplissement

Tantale, roi légendaire de Lydie (Asie Mineure) déroba à la table des dieux le nectar et l’ambroisie, afin de faire goûter aux hommes ces nourritures divines. En outre, il eut l’outrecuidance de mettre à l’épreuve le don de prescience de Zeus en lui servant en ragoût son propre fils Pélops qu’il venait d’égorger. Pour le punir, le maître de l’Olympe l’attacha à un arbre dont les branches ployaient sous le poids de fruits délicieux, à côté d’une source d’où jaillissait une eau fraîche et limpide. Mais sans cesse les fruits échappaient aux mains de Tantale, et l’eau à ses lèvres.

le Tartare : le séjour des damnés

Pour les Grecs, le Tartare était la région la plus profonde des Enfers (appelés aussi Érèbe), qui abritait les cachots destinés aux âmes des condamnés. cf. traverser l’Achéron ; les Champs-Élysées

un tartuf(f)e : 1) (vieilli) un faux dévot ; 2) un hypocrite, un imposteur, celui qui dissimule sous une apparente rigueur morale ses vices ou ses intentions perfides

Sous le prétexte d’une grande piété, Tartuffe (personnage éponyme de la pièce de Molière, 1664), un imposteur sans scrupules, sème le trouble et la zizanie dans la maisonnée du trop crédule Orgon. On rencontre aussi le substantif féminin tartuf(f)erie et, rarement, l’adjectif tartuf(f)ard.

les marchands du Temple : (péjoratif) les commerçants qui envahissent et profanent un lieu de pèlerinage ; 2) ceux qui tentent d’exploiter à des fins lucratives les grandes idées ou les nobles causes

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Arrivé à Jérusalem à quelques jours de la Pâque, Jésus chassa avec violence les marchands et les changeurs qui avaient dressé leur échoppes devant le Temple (Jean, 2, 16).

boire comme un Templier : boire énormément, avec excès

Les moines-soldats du riche et puissant ordre du Temple (XIIIe-XIVe siècles) avaient la réputation de vivre dans l’intempérance et la luxure, et selon des mœurs militaires fort grossières. Comme la plupart des ordres réguliers, les templiers firent les frais de l’hostilité populaire ; l’aspect ésotérique de leur ordre leur attira une haine et une jalousie particulièrement vivaces. On dit également jurer comme un templier : jurer abominablement. cf. sacrifier à Bacchus ;boire comme un Polonais ; boire en Suisse

le temple de Thémis : le Palais de Justice

Thémis, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), est la déesse de Justice. Elle incarne l’ordre établi et les lois qui régissent le monde des hommes et celui des dieux. On la représente les yeux bandés (signe d’impartialité ou d’aveuglement ?) ; ses attributs sont la balance et l’épée. L’expression le glaive de Thémis désigne symboliquement le pouvoir judiciaire.

un travail de titan : une entreprise énorme, presque surhumaine

Dans la mythologie, les Titans sont des géants fils d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre) doués d’une force extraordinaire. cf. un travail d’Hercule ; entasser Pélion sur Ossa ; un travail de Romain

la Toison d’or : un trésor infiniment précieux, ramené d’une contrée lointaine après de multiples épreuves et au prix de grands dangers

Les frère et sœur Phrixos et Hellé échappèrent à la haine de leur belle-mère Ino en s’envolant sur le dos d’un bélier fabuleux à la toison d’or. Seul Phrixos arriva ainsi en Colchide (Pont-Euxin, Asie Mineure), où il sacrifia le bélier à Zeus et offrit la toison au roi du pays. Plus tard, le jeune prince Jason reçut de son oncle, qui voulait se débarrasser de lui, l’ordre d’aller chercher la Toison d’or. Jason rassembla ses amis fidèles et tous embarquèrent sur la nef Argo. Après de nombreuses péripéties, les Argonautes (parmi lesquels se trouvaient Castor et Pollux), arrivèrent en Colchide. Jason tua le dragon qui gardait le trésor, s’empara de la Toison d’or et rentra en Grèce, ramenant Médée, fille du roi de Colchide.

un coup de Trafalgar : un accident désastreux

Allusion à la célèbre défaite navale essuyée en octobre 1805 au large du cap de Trafalgar (Espagne méridionale) par la marine de Napoléon, commandée par l’amiral de Villeneuve, face à la flotte anglaise de Nelson. Ce dernier périt dans la bataille. cf. un coup de Jarnac ; faire le coup du Père François

un Trissotin : « trois fois sot », prétendu bel esprit qui a des idées sur tout et pérore avec fatuité

Personnage des Femmes savantes (1672) de Molière, Trissotin est un faux savant et un faux lettré qui se révèle, au fil de la pièce, hypocrite et coureur de dot.

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un cheval de Troie : un ennemi caché à l’intérieur de la place

Les Grecs ne parvenaient pas à prendre la ville de Troie. Ulysse fit alors construire un énorme cheval en bois, creux, dans lequel se cachèrent des soldats grecs, et la flotte grecque fit mine de quitter les rivages d’Asie Mineure. Les Troyens, croyant l’heure venue de la libération, firent pénétrer dans leurs murs ce qu’ils prirent pour une statue votive : la nuit venue, les guerriers cachés quittèrent le cheval et allèrent ouvrir les portes de Troie aux troupes grecques revenues en masse pour incendier la ville et massacrer ses habitants On dit également introduire le loup dans la bergerie : introduire l’ennemi chez soi ; la cinquième colonne : les services secrets d’espionnage ennemi, les organisations clandestines opérant de l’intérieur en faveur de l’ennemi (en novembre 1936, lorsque les nationalistes espagnols marchèrent sur Madrid, la ville fut prise par cinq colonnes, quatre colonnes militaires progressant sur les routes principales menant à la capitale, la cinquième formée dans Madrid même par les partisans secrètement dévoués à Franco). cf. jouer les Cassandre

être fort comme un Turc : être très fort

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Turc incarnait l’incroyant, l’ennemi sauvage et brutal doué d’une grande vigueur physique. cf. une tête de Turc

une tête de Turc : un objet de railleries continuelles, une victime sur qui s’abattent toutes les brimades

Dans les foires, la partie du dynamomètre que l’on frappe représentait autrefois une tête de Turc (ou de Maure) – l’impie, l’ennemi héréditaire. cf. être fort comme un Turc

U

un Père Ubu : un personnage grotesque et ridicule

Ubu est le protagoniste de la Geste d’Ubu d’Alfred Jarry ; il fit sa première apparition dans Ubu roi (1896). On rencontre aussi l’adjectif ubuesque (C’est vraiment une situation ubuesque).

le chien d’Ulysse : la fidélité incarnée

Le vieux chien Argos fut le seul à reconnaître immédiatement Ulysse lorsque celui-ci revint à Ithaque déguisé en mendiant. Argos mourut de bonheur en retrouvant son maître. cf. une toile de Pénélope ; être comme saint Roch et son chien

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V

au diable vauvert : extrêmement loin

L’origine de la locution est peu claire. Peut-être faut-il la mettre en rapport avec la maison des chartreux de Vauvert, située au sud de Paris et associée par la toponymie à la rue d’Enfer (proche de l’actuel Denfert). Peut-être renvoie-t-elle au château de Vauvert, à Gentilly. Dans l’un et l’autre cas, c’est l’éloignement (pourtant très relatif) de l’abbaye ou du manoir par rapport à la ville qui serait ici évoqué.

adorer le Veau d’or : vénérer l’argent et les riches, qui mènent le monde

Moïse passa quarante jours sur le Mont Sinaï où il reçut de Yahvé les Tables de la Loi. Découragés de l’attendre, les Hébreux s’imaginèrent qu’il ne reviendrait plus et demandèrent à Aaron de leur trouver un dieu pour les mener. Aaron fit fondre tous les bijoux d’or que portaient les Hébreux et fabriqua une statue en forme de veau que tous se mirent à adorer. Furieux et honteux de découvrir ce retour à l’idolâtrie, Moïse fit massacrer les coupables puis demanda et obtint pour son peuple le pardon de Yahvé (Exode, 32, 1-5). On dit également le veau d’or est toujours debout : (ironique ou amer) le culte des richesses demeure (la phrase apparaît dans le Faust de Gounod, 1859).

sacrifier à Vénus : (populaire ou ironique) s’adonner aux plaisirs de l’amour

Vénus (Aphrodite) est la déesse de l’amour. une vénus : une femme très belle cf. sacrifier à Bacchus ; un coup de pied de Vénus

un coup de pied de Vénus : une maladie vénérienne

La déesse de l’amour ne dispense pas que des bienfaits à ses adorateurs... cf. sacrifier à Vénus

c’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau : (ironique) expression qui indique que l’on accuse injustement quelqu’un d’être responsable d’une situation désagréable

Au XIXe siècle, le peuple avait coutume de rendre les « intellectuels » responsables de tous les maux de la société, ce que traduit l’allusion à Voltaire et à Rousseau. L’expression apparaît dans la chanson que chante Gavroche dans Les misérables (Hugo, 1862).

W

c’est Waterloo : (familier) c’est une débâcle, c’est un désastre, c’est un échec cuisant

Évocation de la défaite de Napoléon après les Cent Jours, à Waterloo (18 juin 1815), où les Français furent pris en tenaille par les Prussiens de Blücher et les Anglais de Wellington. cf. c’est la Bérésina ; le mot de Cambronne

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Y

un Yalta : une réunion au sommet où les vainqueurs ou les détenteurs de l’autorité se partagent divers pouvoirs et/ou compétences

Yalta (Ialta) est une ville d’Ukraine où se réunirent (Conférence de Yalta, 4-11 février 1945) Roosevelt, Churchill et Staline, alliés contre l’Allemagne dont la défaite dans la seconde Guerre mondiale ne faisait à ce moment plus de doute. Il y fut entre autres décidé que 1) l’Allemagne serait divisée en quatre zones, respectivement occupées et administrées par la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’U.R.S.S. ; 2) les criminels de guerre nazis seraient poursuivis et jugés par le tribunal militaire international (procès de Nuremberg, 1945-1946) ; 3) l’Organisation des nations unies (ONU), ayant pour objectif d’assurer la paix et la sécurité internationales, serait créée lors d’une conférence organisée à San Francisco au printemps suivant (l’ONU remplaça la Société des nations (S.D.N.) issue en 1920 du traité de Versailles – signé en 1919 par les alliés de la première Guerre mondiale (la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et les États-Unis) et par l’Allemagne, toutefois exclue des négociations).

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Mythologie et psychanalyse : les complexes et syndromes les plus connus1

Complexe de Diane : refus de la féminité et de la sexualité. Diane/Artémis est la déesse de la Lune, du monde sauvage et de la chasteté.

Complexe d’Électre : attachement excessif d’une fille à son père et rejet de la mère ; ce complexe est symétrique du complexe d’Œdipe (cf. infra). Électre voue un amour absolu à son père Agamemnon et hait sa mère Clytemnestre, meurtrière de celui-ci.

Complexe d’Icare : désir de sublimation et recherche d’une harmonie intérieure se manifestant par le rêve du vol. S’étant dans son vol trop approché du Soleil, Icare voit fondre les ligatures de cire de ses ailes, et s’engloutit dans le détroit de Messine.

Complexe de Médée : 1) attitude destructrice d’une mère à l’endroit de ses enfants, souvent dans l’intention de punir le père ; 2) fantasme du morcellement et ses dérives, issus du « merveilleux réel » lié à la médecine et à la biologie contemporaines - greffes d’organes, clonage, etc. Après avoir découpé en morceaux son frère Apsyrtos, Médée, abandonnée par son époux Jason, égorge ses propres enfants.

Complexe de Narcisse : 1) conscience de soi qui cherche à se saisir elle-même, comme on se regarde dans un miroir ; 2) tendance à l’idéalisation dans la contemplation esthétisante ; 3) vertige lié au jeu des apparences et des métamorphoses. Se mirant dans l’eau, Narcisse s’éprend de son propre reflet au point d’en perdre le boire le manger : il meurt et prend alors la forme d’une fleur (le narcisse).

Complexe d’Œdipe : attachement excessif d’un fils à sa mère et rejet du père ; ce complexe est symétrique du complexe d’Électre (cf. supra). Sans savoir qui ils sont, Œdipe tue son père Laïos, roi de Thèbes, puis épouse sa mère Jocaste.

Complexe de Prométhée : volonté humaine d’intellectualité, qui pousse l’homme à vouloir en savoir toujours plus et à accomplir ses rêves en dominant la nature. Bravant l’interdit des dieux, le Titan Prométhée dérobe une étincelle au sommet de l’Olympe et donne le feu aux hommes.

1 Les définitions qui suivent proviennent pour l’essentiel d’Évrard (1999 : 46-53).

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Syndrome de Peter Pan : désir de rester éternellement enfant, et comportement qui en résulte. Peter Pan (personnage créé par James Barrie en 1904) incarne le mythe de l’enfance dont l’homme conserve un souvenir nostalgique ; il vit au Never Land et est toujours joyeux.

Syndrome d’Ulysse : syndrome que développent les individus ou les groupes sans cesse poussés ou obligés à quitter une terre d’accueil pour une autre, à émigrer en permanence. Après la guerre de Troie, le roi grec Ulysse erre pendant de longues années sur les mers, d’aventure en aventure, avant de pouvoir finalement regagner son île d’Ithaque.