tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine

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Pour citer cet article : Garin A, et al. Tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine. Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.002 ARTICLE IN PRESS Modele + JEUREA-120; No. of Pages 3 Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2014) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine Junctional tachycardia induced by an acute clozapine intoxication: A case report A. Garin a,, D. Kaminski b , A. Garat c , D. Aboucaya a,b a SMUR CHU de Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France b USC centre hospitalier de Coulommiers, 4, rue Gabriel-Péri, 77120 Coulommiers, France c Centre antipoison CHRU de Lille, 2, avenue Oscar-Lambret, 59037 Lille cedex, France Rec ¸u le 12 novembre 2013 ; accepté le 15 juin 2014 MOTS CLÉS Clozapine ; Intoxication médicamenteuse ; Tachycardie jonctionnelle Résumé Dans cet article, nous rapportons ce qui semble être le premier cas de tachycardie jonctionnelle dans le cadre d’un important surdosage en clozapine secondaire à une intoxication médicamenteuse volontaire chez un homme de 25 ans. Un effet dose-dépendant est possible. L’épisode a durée 40 h, après l’échec de réduction médicamenteuse. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Clozapine; Drug overdose; Junctional tachycardia Summary We report the first case of junctional tachycardia as part of a major clozapine overdose secondary to a voluntary drug intoxication in a 25-year-old man. A dose-dependent effect is possible. The duration of the event was 40 h, after the failure of a drug reduction. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction L’utilisation de la clozapine, commercialisée en France sous le nom de Leponex ® , peut être associée à des troubles cardiovasculaires à type de myocardite, de cardiomyopathie Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Garin). http://dx.doi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.002 2211-4238/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Page 1: Tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine

ARTICLE IN PRESSModele +JEUREA-120; No. of Pages 3

Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Tachycardie jonctionnelle secondaire à uneintoxication aiguë à la clozapine

Junctional tachycardia induced by an acute clozapineintoxication: A case report

A. Garina,∗, D. Kaminskib, A. Garatc, D. Aboucayaa,b

a SMUR — CHU de Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, Franceb USC — centre hospitalier de Coulommiers, 4, rue Gabriel-Péri, 77120 Coulommiers, Francec Centre antipoison — CHRU de Lille, 2, avenue Oscar-Lambret, 59037 Lille cedex, France

Recu le 12 novembre 2013 ; accepté le 15 juin 2014

MOTS CLÉSClozapine ;Intoxicationmédicamenteuse ;Tachycardiejonctionnelle

Résumé Dans cet article, nous rapportons ce qui semble être le premier cas de tachycardiejonctionnelle dans le cadre d’un important surdosage en clozapine secondaire à une intoxicationmédicamenteuse volontaire chez un homme de 25 ans. Un effet dose-dépendant est possible.L’épisode a durée 40 h, après l’échec de réduction médicamenteuse.© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSClozapine;Drug overdose;Junctionaltachycardia

Summary We report the first case of junctional tachycardia as part of a major clozapineoverdose secondary to a voluntary drug intoxication in a 25-year-old man. A dose-dependenteffect is possible. The duration of the event was 40 h, after the failure of a drug reduction.© 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Pour citer cet article : Garin A, et al. Tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine. JournalEuropéen des Urgences et de Réanimation (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.002

Introduction

L’utilisation de la clozapine, commercialisée en France sous le nom de Leponex®, peutêtre associée à des troubles cardiovasculaires à type de myocardite, de cardiomyopathie

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Garin).

http://dx.doi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.0022211-4238/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ais également de troubles du rythme à type de tachycardieinusale, d’extrasystoles atriales ou ventriculaires, voire deorsades de pointes par allongement du QT [1—4]. Nous rap-ortons le cas d’une tachycardie jonctionnelle (TJ) induitear un surdosage en clozapine survenant dans le cadre d’unentoxication médicamenteuse volontaire.

bservation

ne équipe du SMUR est intervenue au domicile d’unomme de 25 ans pour convulsions survenues dans le cadre’une intoxication monomédicamenteuse volontaire parlozapine. Le patient était auparavant suivi pour une schizo-hrénie déjà compliquée de plusieurs tentatives de suicide.on traitement journalier associait : 400 mg/j de clozapineepuis 2011 à 2000 mg/j de divalproate de sodium ; 7,5 mg/je zopiclone ; et 4 mg/j de bipéridène, sans modificationhérapeutique récente.

La dose supposée ingérée était de 5 g. À l’arrivée duMUR, le patient avait un score de Glasgow à 12, un pouls à60/min et une hypotension artérielle à 60/40 mmHg, réso-utive après un remplissage par 1000 mL de cristalloïde et00 mL de colloïde. Le reste de l’examen clinique était sansarticularité. L’électrocardiogramme (ECG) montrait uneachycardie à 160/min régulière à QRS fins, d’axe normalans onde P visualisée, évoquant une tachycardie jonc-ionnelle (TJ) par réentrée intranodale ou une tachycardietriale (Fig. 1).

En unité de surveillance continue, l’examen cliniqueestait inchangé et l’hémodynamique conservée. Lesoncentrations plasmatiques de clozapine mesurées àh30 de l’heure supposée d’ingestion étaient suprathéra-eutiques, à 6357 �g/L (normale : 350 à 600 �g/L). Aucunésordre métabolique n’a été mis en évidence.

Un lavage gastrique associé au charbon activé a été ini-ié dès son admission sur les recommandations du centrentipoison. Les traitements par diltiazem par la voie intra-eineuse IV (dose totale 35 mg à j0), puis par atenolol para voie intraveineuse (5 mg à deux reprises à j1) n’ontas permis de réduire la tachycardie. Un traitement par00 mg d’atenolol per os a été instauré et poursuivi à j+2,boutissant au ralentissement de la fréquence cardiaque

Pour citer cet article : Garin A, et al. Tachycardie jonctionnelle

Européen des Urgences et de Réanimation (2014), http://dx.d

100—120 battements par minute (bpm). La réduction dea tachycardie a été obtenue après 40 h d’hospitalisationFig. 2) avec un retour en rythme sinusal sans anomalielectrique associée (QTc : 430 ms).

igure 1. ECG initial : tachycardie jonctionnelle.

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PRESSA. Garin et al.

iscussion

es tachycardies secondaires à une intoxication à la cloza-ine sont fréquentes et volontiers sinusales. Elles peuventtre physiologiques (adaptatives), iatrogènes ou d’origineardiovasculaire. Elles sont caractérisées par une fréquenceardiaque entre 100 et 180 bpm et un rythme régulierespaces RR conservés) sinusal, avec des ondes P identiquesevant chaque complexe QRS fin, souvent précédées d’uneccélération progressive et suivies d’une décélération pro-ressive. C’est le cas dans une observation similaire à laotre, avec une dose supposée ingérée de 5 g [5]. De laême facon, des tachycardies sinusales résolutives à l’arrêtu traitement ont été décrites, y compris pour des faiblesoses thérapeutiques de clozapine [6] et semblent être liées

un effet anticholinergique.Des cas de tachycardies supraventriculaires ont été

écrits pour l’association thérapeutique clozapine et sis-othérapie [7]. Cependant, nous n’avons pas retrouvéans la littérature de cas de tachycardie jonctionnellessocié à un surdosage en clozapine. On parle de tachycar-ie jonctionnelle, ou réciproque, devant toute tachycardieégulière, de type supraventriculaire, empruntant obliga-oirement le nœud et la jonction auriculo-ventriculaires. Ileut s’agir le plus fréquemment d’une tachycardie par réen-rée intranodale, utilisant une voie de conduction « lente »n antérograde et une voie dite « rapide » en rétrograde,ais également d’un circuit de réentrée empruntant la voie

odo-hisienne et une voie accessoire (faisceau de Kent) para voie rétrograde. Ces deux types de TJ sont dites réci-roques orthodromiques. Plus rarement, et en général enrésence de voies accessoires multiples, des tachycardiesonctionnelles à QRS larges empruntant en antérograde uneoie accessoire et en rétrograde la voie His-nœud auriculo-entriculaire, dites réciproques antidromiques. La survenuee tachycardies supraventriculaires à type de TJ s’est enénéral initiée par une extrasystole atriale ou ventriculaireeffet indésirable souvent décrit sous clozapine). Dans lesonditions d’une extrasystole (auriculaire ou ventriculaire),’influx peut être bloqué dans l’une des voies et emprun-er à contresens l’autre voie. Un mouvement circulaire estlors déclenché et auto-entretenu [8]. Il peut s’agir plusarement d’un foyer automatique jonctionnel ectopique.

secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine. Journaloi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.002

e diagnostic électrocardiographique repose sur une tachy-ardie régulière (espaces RR identiques), à QRS fins avecne fréquence cardiaque de 160 à 230 bpm (sans traitementnti-arythmique). L’aspect des ondes P, toujours rétrograde

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Tachycardie jonctionnelle secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine 3

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Figure 2. ECG de réduction : tachycardie jonctionnelle/tachycar

(négative en territoire inférieur) en cas de tachycardie réci-proque, diffère selon le mécanisme incriminé. Peu visibleou invisible car proche du QRS précédent en cas de tachy-cardie par réentrée intranodale (TRIN, RP’ ≤ 80 ms), plusvisible et à distance du QRS en cas de circuit emprun-tant une voie accessoire (RP’ ≥ 120 ms), avec une onde Péventuellement négative en territoire latéral en cas devoie accessoire latérale gauche sur l’anneau mitral. Lediagnostic différentiel est essentiellement une tachycardieparfois sinusale, sino-atriale ectopique focale, ou un flutteratrial à conduction 1/1. Le diagnostic repose alors sur lesrésultats de manœuvres vagales (massage sino-carotidien,Valsalva) permettant de démasquer les oreillettes en flutterou tachycardie atriale, de ralentir une tachycardie sinu-sale ou de réduire une tachycardie réciproque (le blocagede la conduction dans le nœud AV impose une interruptiondu circuit). Ces précisions manquent dans cette observa-tion, même si d’adénosine triphosphate n’a pu être utilisée,faute de disponibilité. Néanmoins, l’aspect ECG est assezévocateur d’une TRIN.

L’évolution spontanément favorable à la 40e h s’expliquepossiblement par l’élimination de la clozapine. En effet,la pharmacocinétique de la clozapine est caractériséepar un pic plasmatique 2 heures après l’ingestion (entre0,4 et 4,2 h) et par une demi-vie de 12 h (entre 6 et 26 h)[9]. Même si aucun dosage de la clozapine n’a été réa-lisé au moment de la réduction chez notre patient, noussupposons, au vu des caractéristiques pharmacologiques dumédicament, qu’au terme de 40 h, sa concentration plas-matique était proche de la zone thérapeutique. Cependant,nous ne pouvons totalement exclure la survenue d’une TJindépendante (tachycardie préexistante) de l’effet toxiquepuisque le patient n’a pas eu d’exploration électrophysiolo-gique à distance de l’intoxication médicamenteuse, mêmes’il s’agit d’un épisode unique en relation temporelle étroiteavec la prise de clozapine. Aucun suivi particulier n’a étémis en place. Si les mécanismes de survenue d’une TJ dansce contexte d’intoxication à la clozapine demeurent incer-tains, plusieurs hypothèses sont envisageables, notammentun effet dose-dépendant.

L’utilisation d’une épuration digestive par lavagegastrique et charbon activé, préconisée par le centre anti-poison, a été réalisée en accord avec les instructions liéesaux surdosages en clozapine [9,10]. En cas d’intoxication, iln’existe à ce jour aucun antidote à la clozapine. Il n’y a pas

Pour citer cet article : Garin A, et al. Tachycardie jonctionnelle

Européen des Urgences et de Réanimation (2014), http://dx.d

non plus d’indication à une épuration extrarénale du faitd’un volume de distribution trop important et d’une fixa-tion protéique de 95 %. Les principaux effets indésirables

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nusale.

apportés de la clozapine sont liés à une activité anticholi-ergique et des propriétés anti-�-adrénergiques [9], et duait de son métabolisme par le cytochrome P450, il existee nombreuses interactions médicamenteuses.

onclusion

n trouble du rythme cardiaque à type de tachycardie jonc-ionnelle peut survenir lors d’un surdosage en clozapine.a pharmacocinétique permet une évolution spontanémentavorable.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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[9] Leponex® clozapine. Agence nationale de sécurité du médi-cament et des produits de santé, résumé des caracté-ristiques du produit; 2013 [agence-prd.ansm.sante.fr/php/

secondaire à une intoxication aiguë à la clozapine. Journaloi.org/10.1016/j.jeurea.2014.10.002

ecodex/rcp/R0220251.htm].10] Harry P, Boels D. Que reste-t-il des indications de l’épuration

digestive ? Conférence de médecine d’urgence de la SFMU;2008.