sexe, drogue et jeu vidéo

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174 Analyse . Addiction Sexe, drogue et jeux vidéo V oici le nouveau chapitre de notre série dédiée aux déviances du jeu vidéo. Chers lecteurs, il ne vous a pas échappé qu'en plus de vous rendre violents, associables et épileptiques, votre console a fait de vous des dro- gués : des cyber-addicts ! Un terme qui a le don de hérisser les poils des quelques psys spécialisés… mais qui dissimule des intérêts finan- ciers très concrets. Zoom sur une étude récemment lancée, qui de- vrait tordre le cou à cet énième serpent de mer vidéoludique. Palmare Playstation Hidra- denitis. Soit en langue vivante : inflammation de la peau des mains par une Playstation. C’est la dernière pathologie en date provoquée par ce loisir satani- que. Une fillette suisse de douze ans a contracté ce mal en prati- quant à l’excès sa console de salon. Selon les docteurs des Hôpitaux universitaires de Genève, ses mains présentaient des « nodules rouges et douloureux » provoqués par des heu- res passées devant son écran, parfois en cachette. Au final, plus de peur que de mal. La geekette devra simplement passer une dizaine de jours loin de tout jeu vidéo. Les gamers de toute la planète, en revanche, n’ont pas fini d’entendre parler de ce genre d’histoi- res. Souvenez-vous de Shawn Wolley, un jeune Américain retrouvé suicidé en 2001 devant Everquest, ou encore de ces Coréens morts d’épuisement après avoir joué 49 heures non-stop. La petite suissesse, à côté, c’est « Heidi au pays des pixels » ! C’est typiquement ce genre d’histoires, aussi exception- nelles que médiatisées, qui contribue à forger les idées reçues. Ajoutez à cela le succès des MMORPG qui se vantent de proposer des « mondes parallèles », et vous aurez de quoi effaroucher les mères de familles de toute la planète. Sister Morphine En mars, sept députés UMP ont dé- posé un amendement au projet de loi sur la réforme de l’hôpital. Ils souhai- taient faire apparaître « un message de caractère sanitaire lorsqu’un jeu vidéo présente un risque de santé publique en raison de son caractère potentielle- ment addictif ». En clair, il s’agirait d’un message du genre « ce jeu nécessite du temps » sur les boîtes… Si ça peut les rassurer ! Les promoteurs dudit amendement reconnaissant dans la foulée que ce dernier n’a aucune chance d’être adopté, puisqu’il est im- possible de définir ce qui n’est pas par essence un jeu « addictogène ». Cyber-addiction : voilà le terme choc ! Par sa seule efficacité, ce néolo- gisme a assuré son avenir médiatique auprès du grand public. Ce terme issu Campagne du gouvernement britannique : game4life. « Risquez une mort prématurée, ne faites rien. » Cette campagne est supposée encourager un mode de vie actif, donc plus sain. IG#02_158-193_culture.indd 174 11/05/2009 19:05:41

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Article de IG #2 Juin 2002

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Page 1: Sexe, drogue et jeu vidéo

174 Analyse . Addiction

Sexe, drogue et jeux vidéoVoici le nouveau chapitre de notre

série dédiée aux déviances du jeu vidéo. Chers lecteurs, il ne vous a pas échappé qu'en plus de vous rendre violents, associables et épileptiques, votre console a fait de vous des dro-gués : des cyber-addicts ! Un terme qui a le don de hérisser les poils des quelques psys spécialisés… mais qui dissimule des intérêts finan-ciers très concrets. Zoom sur une étude récemment lancée, qui de-vrait tordre le cou à cet énième serpent de mer vidéoludique.

Palmare Playstation Hidra-denitis. Soit en langue vivante :

inflammation de la peau des mains par une Playstation. C’est la dernière pathologie en date

provoquée par ce loisir satani-que. Une fillette suisse de douze

ans a contracté ce mal en prati-quant à l’excès sa console de salon. Selon les docteurs des Hôpitaux

universitaires de Genève, ses mains présentaient des « nodules rouges et douloureux » provoqués par des heu-

res passées devant son écran, parfois en cachette. Au final, plus de peur que de mal. La geekette devra simplement passer une dizaine de jours loin de

tout jeu vidéo. Les gamers de toute la planète, en revanche, n’ont pas fini d’entendre parler de ce genre d’histoi-res. Souvenez-vous de Shawn Wolley, un jeune Américain retrouvé suicidé en 2001 devant Everquest, ou encore de ces Coréens morts d’épuisement après avoir joué 49 heures non-stop. La petite suissesse, à côté, c’est « Heidi au pays des pixels » ! C’est typiquement ce genre d’histoires, aussi exception-nelles que médiatisées, qui contribue à forger les idées reçues. Ajoutez à cela le succès des MMORPG qui se vantent de proposer des « mondes parallèles », et vous aurez de quoi effaroucher les mères de familles de toute la planète.

Sister MorphineEn mars, sept députés UMP ont dé-

posé un amendement au projet de loi sur la réforme de l’hôpital. Ils souhai-taient faire apparaître « un message de caractère sanitaire lorsqu’un jeu vidéo présente un risque de santé publique en raison de son caractère potentielle-ment addictif ». En clair, il s’agirait d’un message du genre « ce jeu nécessite du temps » sur les boîtes… Si ça peut les rassurer ! Les promoteurs dudit amendement reconnaissant dans la foulée que ce dernier n’a aucune chance d’être adopté, puisqu’il est im-possible de définir ce qui n’est pas par essence un jeu « addictogène ».

Cyber-addiction : voilà le terme choc ! Par sa seule efficacité, ce néolo-gisme a assuré son avenir médiatique auprès du grand public. Ce terme issu

Campagne du gouvernement britannique : game4life. « Risquez une mort prématurée, ne faites rien. » Cette campagne est supposée encourager un mode de vie actif, donc plus sain.

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de l’anglais (drug-addict) évoque di-rectement la toxicomanie. Il invente à lui seul un détonnant mélange de drogue et de technologie. Peu im-porte que personne ne soit capable de se mettre d’accord sur une défi-nition d’« addiction » et sur ce qu’il englobe. De façon générale, ce terme évoque une dépendance envers un produit ou un objet, ainsi qu’un com-portement qu’on ne peut arrêter. C’est vague ! Et c’est justement cette ambiguïté qui laisse de l’espace aux fantasmes des parents inquiets. Ad-diction au travail, au jogging, à la té-lévision… voire à la violence pour les femmes battues ! Ce mot-valise a été décliné à toutes les sauces, pour dire tout et n’importe quoi.

Mauvaise cameQu’en pensent les psys ? Drogue,

alcool, jeux d’argent… Certaines dépendances sont reconnues. Se pourrait-il que les gamers accros en-trent dans cette catégorie ? Comme souvent, c’est aux psychologues fa-miliarisés avec le numérique (et sou-vent joueurs eux-mêmes) qu’il faut s’adresser pour éviter de sombrer dans les stéréotypes.

Pour Yann Leroux, psychologue et membre de l’OMNSH*, l’addiction aux jeux vidéo n’existe pas jusqu’à preuve du contraire. « Cela fait 15 ans qu’on en parle, explique-t-il, et il n’y a toujours aucune validation scienti-fique quant à l’usage de ce terme ». Il rappelle également qu’il n’y a aucun besoin d’inventer une nouvelle « mala-

die » quand les cas avérés de joueurs excessifs répondent à des problémati-ques déjà connues. Ainsi, ces derniers peuvent adopter un comportement obsessionnel (les joueurs compulsifs), dépressif (ils jouent pour s’évader de la réalité), narcissique (ils jouent pour se valoriser) ou encore psychotique (ils jouent pour se sentir vivre). Tout cela est déjà connu par les professionnels. « Quand le sage montre la Lune, l’im-bécile regarde le doigt ! » résume Yann Leroux. En d’autres termes, on invente une histoire d’addiction alors que le jeu excessif n’est que le symptôme d’un mal-être plus profond. Celui-ci s’expri-me à travers le jeu vidéo, mais il aurait emprunté d’autres instruments si les consoles n’existaient pas !

Aucune étude n'a été réalisée sur l'addiction dans l'hexagone. Aux États-Unis et au Canada, « on » estime que le nombre de joueurs présentant une addiction varie entre 1 et 3 %... sans savoir exactement ce que l'on met derrière ce terme.

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