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SOUS LA DIRECTION DE Jean COPANS Anthropologue et sociologue, Professeur à l’Université Paris-V, membre du Ceaf depuis 1970, associé depuis janvier 2007 (1975) Sécheresses et famines du Sahel Tome II Paysans et nomades LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES CHICOUTIMI, QUÉBEC http://classiques.uqac.ca/

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SOUS LA DIRECTION DE

Jean COPANSAnthropologue et sociologue, Professeur à l’Université Paris-V,

membre du Ceaf depuis 1970, associé depuis janvier 2007

(1975)

Sécheresses et faminesdu SahelTome II

Paysans et nomades

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALESCHICOUTIMI, QUÉBEChttp://classiques.uqac.ca/

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 2

http://classiques.uqac.ca/

Les Classiques des sciences sociales est une bibliothèque numérique en libre accès, fondée au Cégep de Chicoutimi en 1993 et développée en partenariat avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC) de-puis 2000.

http://bibliotheque.uqac.ca/

En 2018, Les Classiques des sciences sociales fêteront leur 25e anni-versaire de fondation. Une belle initiative citoyenne.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 3

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Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for-melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue.

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Président-directeur général,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 4

Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur associé, Université du Québec à ChicoutimiCourriel: [email protected] Site web pédagogique : http://jmt-sociologue.uqac.ca/à partir du texte de :

Sous la direction de Jean COPANS

Sécheresses et famines du Sahel. Tome II. Paysans et nomades

Paris : François Maspero, Éditeur, 1975, 144 pp. Collection : “Dossiers afri-cains” dirigée par Marc Augé et Jean Copans

[Autorisation formelle accordée par M. Jean Copans le 12 décembre 2016 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales, en libre accès à tous.

Courriel : [email protected]

Police de caractères utilisés :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points.Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 15 juin 2019 à Chicoutimi, Québec.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 5

Sous la direction deJean COPANS

Sécheresses et famines du Sahel.Tome I. Écologie, dénutrition, assistance.

Paris : François Maspero, Éditeur, 1975, 144 pp. Collection : “Dossiers afri-cains” dirigée par Marc Augé et Jean Copans

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 6

SÉCHERESSESET FAMINES DU SAHEL

IIPaysans et nomades

sous la directionde

Jean Copans

FRANÇOIS MASPERO

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 7

Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Quatrième de couverture

Retour à la table des matières

Des carcasses de bétail mort, des corps humains faméliques, telle est l'image de la sécheresse sahélienne que l'on diffuse dans l'opinion publique. Et pourtant les sociétés locales — qu'elles soient nomades ou sédentaires — connaissaient déjà la sécheresse et la famine. Elles savaient même y riposter ou s'y adapter mais les moyens techniques et sociaux dont elles disposaient pour ce faire ont disparu ou sont deve-nus inopérants.

La mise en dépendance politique coloniale et l'exploitation écono-mique capitaliste ont suscité des transformations destructrices et irré-versibles. Un panorama de l'ensemble des facteurs en jeu, de l'état pré-sent de la situation sociale et politique et des projets d'aide (volume 1) introduit des études de cas où l'on peut saisir de façon précise et concrète la nature des mécanismes de réponse à la crise et les déséqui-libres produits par « le développement économique » (volume 2). Une bibliographie sélective clôture ce dossier qui invite à la critique des images et idéologies dominantes fondées sur le rôle de la « fatalité naturelle » ou « humaine ».

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 8

Note pour la version numérique : La numérotation entre crochets [] correspond à la pagination, en début de page, de l'édition d'origine numérisée. JMT.

Par exemple, [1] correspond au début de la page 1 de l’édition papier numérisée.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 9

Photo de couverture :Poids à peser l'or Ashanti, représentant un homme (probablement

un prêtre) en train de frapper un grand tambour avec des baguettes recourbées.

(British Museum.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 10

[1]

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDESEN SCIENCES SOCIALESCentre d’études africaines

DOSSIERS AFRICAINS

dirigés parMarc Augé et Jean Copans

[2]

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 11

[3]

SÉCHERESSESET FAMINESDU SAHEL

II. Paysans et nomades

parPierre Bonté, Jean Copans, Suzanne Lallemand, Christine Messiant,

Claude Raynaut, Jeremy Swift

sous la direction deJean Copans

FRANÇOIS MASPERO1, place Paul-Painlevé, V

Paris1975

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 12

[4]

© Librairie François Maspero, Paris, 1975.ISBN 2-7071-0760-3

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 13

[141]

Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Table des matièrestome II

1. Claude Raynaut, “Le cas de la région de Maradi (Niger) .” [5]

I. Le diagnostic d'une situation [6]II. La modernisation, un faux problème [24]Bibliographie [42]

2. Suzanne Lallemand, “La sécheresse dans un v illage mossi de Haute-Volta .” [44]

I. Ressources et revenus [44]II. Situation du village en 1972-1973 [48]III. Les comportements des villageois face à la sécheresse [52]Conclusion [60]Bibliographie [61]

3. Pierre Bonté, “Pasteurs et nomades — L'exemple de la Mauritanie .” [62]

I. La sécheresse et les éleveurs nomades [62]II. Les sécheresses en Mauritanie à l'époque coloniale [70]III. Sécheresse ou impérialisme   ? [80]

4. Jeremy Swift, “Une économie nomade sahé lienne face à la catastrophe. Les Touareg de l'Adrar des Iforas (Mali) .” [87]

I. Nomadisme pastoral et utilisation de la terre dans le Sahel [87]II. L'incertitude de l'environnement sahélien [89]III. La stratégie touareg contre l'incertitude [91]IV. Les changements récents échappent au contrôle des Touareg [97]Conclusion [99]

5. Jean Copans, “La sécheresse en pays mouride (Sénégal). Explications et réac-tions idéologiques paysannes .” [102]

I. Le problème des réactions paysannes [103]II. La problématique des luttes sociales dans la Confrérie mouride [104]

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 14

III. Le point de vue paysan [106]IV. Le mouride entre l'État et Dieu [110]Annexe la pluviométrie à Missirah [117]Bibliographie [118]

6. Christine Messiant, “Bibliographie.” [120]

I. Données de base pour comprendre la situation actuelle [121]II. La situation actuelle [130]III. Sécheresse et famine en Afrique hors du Sahel [138]

[143]

TOME IPrésentation [5]

1. Jean Copans, “Images, problématiques et thèmes.” [9]

I. La nature des choses et le bon ordre des choses [12]II. La sécheresse existe-t-elle ? [19]III. Dramaturgies ou problématiques ? [21]IV. Directions de recherches [28]

2. Yves Albouy et Bruno Boulenger, “Les facteurs climatiques.” [41]

I. Le climat sahélien [41]II. Le climat normal et sécheresse [45]

3. Christine Messiant, “La situation sociale et matérielle des populations.” [61]

I. L'environnement naturel et les conditions de production [62]II. l'élevage et les populations nomades [64]III. Agriculture et paysans [67]IV. Famine et rapports sociaux [71]

4. Thierry Brun, “Manifestations nutritionnelles et médicales de la famine.” [75]

I. La famine, l'exode et la mort [76]II. Les camps [82]III. Dénutrition et mortalité [90]IV. Les famines contemporaines [99]V. Perspectives [104]

5. Roger Meunier, “L’aide d'urgence et les nouveaux projets de développement.” [109]

I. La raison d'être des politiques d'aide [110]II. L'aide d'urgence [113]III. Une nouvelle politique de développement [123]

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 15

6. Jean-Louis Ormières, “Les conséquences politiques de la famine.” [131]

I. Les changements liés directement à l'appareil politique [132]II. Mouvements paysans et mouvements urbains [138]III. Une lutte armée [143]

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 16

[5]

Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 1

“LE CAS DE LA RÉGIONDE MARADI (NIGER).”

Claude Raynaut

Retour à la table des matières

Les grandes difficultés qui ont frappé, ces deux dernières années, l'agriculture des pays de la bordure sahélo-soudanienne — Sénégal, Mali, Haute-Volta, Niger, Tchad — posent, dune manière brûlante, la question des causes d'une telle précarité de la vie agricole dans ces régions. Le plus souvent on invoque à ce propos la fatalité des aléas climatiques et le caractère archaïque de techniques qui n'ont pas évo-lué depuis le début du siècle. Mon ambition, dans cette étude, est de montrer dans le cours de quelle logique profonde s'inscrivent les coups aveugles du hasard ; quels bouleversements vitaux se dissi-mulent sous l'apparent immobilisme des sociétés traditionnelles ; comment le désastre qui survient aujourd'hui est l'aboutissement d'un certain nombre de déséquilibres qui s'accumulent depuis le début de la conquête coloniale.

Les faits concrets sur lesquels s'appuie ce travail se rapportent pour la plupart à la région de Maradi, au Niger, c'est-à-dire la zone rurale où s'exerce directement l'influence de cette ville. Toutefois, les pro-blèmes que l'analyse de cet exemple précis permet de soulever pré-sentent une portée beaucoup plus générale.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 17

Au cours de ce travail, le déroulement de notre réflexion s'articule-ra selon deux étapes. Dans la première, la plus brève 1, nous propose-rons [6] les grandes lignes d'un diagnostic de la situation actuelle, éta-bli tant du point de vue du système agraire proprement dit que de celui de l'organisation socio-économique de la communauté paysanne lo-cale. Dans la seconde, nous nous attacherons à préciser les causes fon-damentales des insuffisances, des retards et des déséquilibres obser-vés.

I. Le diagnostic d'une situation

1. LE BLOCAGE DU SYSTÈME AGRAIRE

Retour à la table des matières

S'il faut résumer en une formule simple l'ensemble des problèmes qui se posent dans le domaine agricole au sein de la région qui nous intéresse ici, il n'est pas exagéré de dire que l'on assiste actuellement à une sorte de blocage du système agraire, considéré dans son ensemble. Cette constatation globale s'appuie sur l'observation d'un certain nombre de phénomènes — surcharge de l'espace et surexploitation des sols, déséquilibre des terroirs, déficit alimentaire chronique — que nous allons maintenant examiner rapidement.

a. La surcharge de l'espace

Il est évident que des circonstances historiques telles que celles qui, au début du siècle dernier, lors de la jihad peule lancée par Ous-man dan Fodio, ont fait de la vallée de Maradi une zone refuge, ont eu leur part dans l'élaboration des conditions actuelles d'occupation de l'espace dans cette région ; aussi bien est-ce là qu'aujourd'hui encore 1 Cet article reprend, en l'abrégeant, une étude destinée à un ouvrage collec-

tif, consacré aux problèmes d'économie rurale au Niger, qui doit paraître prochainement. Dans cette étude, la partie consacrée au diagnostic est beau-coup plus développée que dans le présent article. Les références bibliogra-phiques sont regroupées à la fin.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 18

se localisent des densités de population parmi les plus élevées du Ni-ger.

Toutefois, sur la base que constituait cette situation initiale spéci-fique se sont surajoutés, en particulier durant toute la première moitié de l'époque coloniale, les effets d'un phénomène de grande ampleur, qui a affecté l'ensemble du pays : la croissance démographique s'est effectuée au bénéfice des zones rurales, tandis que les villes stagnaient ou même régressaient (Spittler, 1970). L'accroissement global du chiffre de population traduit une amélioration sensible [7] des condi-tions de vie, due notamment à la fin des guerres et à la suppression de l'esclavage. En outre, même si l'infrastructure médicale est demeurée jusqu'à aujourd'hui très insuffisante, des actions préventives, telles que les vaccinations antivarioliques massives, ont eu sans nul doute des effets positifs sur la mortalité. Enfin, il est évident que le large mouve-ment de conquête de terres nouvelles — qu'exprime le déséquilibre entre croissance urbaine et croissance rurale — a permis une augmen-tation importante de la production vivrière et, par conséquent, une amélioration de l'alimentation : les communautés humaines qui avaient stagné durant la longue période d'insécurité du XIXe siècle connurent une sorte d'explosion démographique lorsque le champ libre fut donné à leur développement.

Le mouvement de migration vers les terres libres, qui avait corres-pondu à la libération d'une pression excessive, s'affaiblit peu à peu pour se tarir vers la fin des années trente. La croissance démogra-phique naturelle prit la relève et, année après année, les besoins de terres nouvelles ne cessant de s'accroître, toutes les zones cultivables furent progressivement occupées. Aujourd'hui, soixante ans environ après le début du mouvement d'expansion, on est parvenu, semble-t-il, à un état proche de la saturation. Ce fait nous est confirmé par une carte présentée dans un récent projet de développement du départe-ment de Maradi (République du Niger, CGD, 1972) sur laquelle figure la répartition des densités de population en fonction de différentes zones pédologiques et naturelles, définies d'après les études menés par l'ORSTOM et la SOGETHA. En observant ce document, on constate que, partout où les conditions de sol et de climat permettent l'agricul-ture, les densités de populations sont très élevées (de 35 à 100 habi-tants par km2) ; tandis que les zones apparemment libres se révèlent en fait impropres à la culture. Ces remarques prennent toute leur signifi-

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cation quand on les rapproche des observations formulées par les agronomes et les pédologues qui, dans presque tous les cas, insistent sur le fait que les sols ont une fertilité insuffisante car, intensément utilisés, ils ont atteint un degré d'épuisement avancé.

Le vaste mouvement d'expansion qui a débuté avec ce siècle a donc atteint aujourd'hui ses limites et l'on en revient à un état proche de la saturation démographique. Confirmant ces observations, certains indices semblent d'ailleurs suggérer que l'on assiste, depuis une quin-zaine d'années, à l'amorce d'un retour des populations rurales vers les centres urbains, ou proches de la ville. C’est ainsi que Maradi, qui comptait 12 500 habitants en 1959, en comptait plus de 34 000 [8] en 1971 2. Ce mouvement doit être interprété comme la manifestation de la faillite du système agraire actuel, de son incapacité à s'adapter aux contraintes qui s'exercent sur lui, au premier rang desquelles se situent celles qu'impose la nécessité d'un accroissement constant de la pro-duction agricole. Pour analyser concrètement ce phénomène, pour mieux en dégager le mécanisme et les conséquences, il nous faut envi-sager maintenant le problème de la structure et de l'équilibre du terroir villageois.

b. Le déséquilibre des terroirs

Dans la région de Maradi, les terres d'un village haoussa s'orga-nisent traditionnellement autour d'une opposition fondamentale entre une zone centrale (karkara), travaillée de manière permanente grâce à l'apport de fumier, de cendres et de déchets ménagers, et une ceinture extérieure, cultivée selon la méthode de la jachère (maiso). C'est là un modèle d'organisation largement répandu en Afrique occidentale et analysé par Sautter (1962) sous le nom de « terroir en auréoles ».

Entre ces deux éléments du terroir se nouent des relations de com-plémentarité fonctionnelle. En effet, si l'on considère une communauté villageoise prise comme un tout, il est bien certain que, sauf exception (que l'on rencontre peut-être chez certains Peul sédentarisés, gros pos-2 Il est évident que nous faisons référence ici aux mouvements de populations

qui se sont produits avant ces deux dernières années, et non pas à l'afflux des « réfugiés » qui, en 1973 et surtout en 1974, se sont massés autour des villes.

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sesseurs de bétail), la quantité de fumier disponible ne permet de trai-ter qu'une superficie de terre réduite. Il est donc nécessaire qu'une par-tie de l'espace soit cultivée sans apport de fumier, c'est-à-dire avec le procédé de la jachère. Jachère et fumure sont deux méthodes de culture complémentaires, dont l'association permet la couverture des besoins de l'ensemble de la population d'un village.

En poussant plus loin l'analyse, on peut voir que la complémentari-té fonctionnelle entre les deux zones est rendue plus étroite encore par le fait que le domaine des jachères est également un lieu de pâture. Il existe, bien sûr, d'autres facteurs susceptibles de limiter le développe-ment de l'élevage que l'étendue des terrains de parcours que l'on peut offrir aux animaux ; de plus, quelques résidus de culture — fanes d'arachide et de haricot, feuilles, tiges et son de mil — peuvent être [9] utilisés comme aliment. Toutefois, dans la mesure où il n'y a au-cune production délibérée de fourrage artificiel, il est indéniable qu'il existe un lien effectif, bien que souple, entre la possibilité de bénéfi-cier des avantages qu'apporte le bétail et l'étendue des terres non culti-vées dont on peut avoir la jouissance. C'est justement ce rapport qui distingue ce type de système agraire d'un système avec assolement de culture fourragère qui permet, parallèlement à une mise en culture to-tale du terroir, le développement de l'élevage. N'est-ce pas le passage d'un système à l'autre qui a été à l'origine de la révolution culturale en Europe à la fin du XVIIIe siècle ?

L'équilibre global du système agraire que nous venons de décrire brièvement, c'est-à-dire sa capacité de se perpétuer sans appauvrir gra-vement le milieu naturel, repose sur le respect de deux équilibres par-tiels :

- le premier concerne le rapport entre l'étendue de la zone des cultures continues et la quantité de fumure disponible ;

- le second concerne le degré d'intensité d'exploitation de la zone des jachères.

Or, sur ces deux plans, il apparaît que, par rapport à une situation de fonctionnement normal, d'importants décalages peuvent être obser-vés qui conduisent à des perturbations de l'ensemble du système. C'est

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 21

ainsi que, dans les gros villages de la vallée du Goulbi de Maradi, où l'on note une densité largement supérieure à 100 habitants, on observe une extension démesurée de la karkara. Ainsi, dans le village de Sou-marana que j'ai étudié par ailleurs (RAYNAUT, 1971) occupe-t-elle près de la moitié de la zone dunaire, soit environ 300 hectares ; super-ficie que ne justifie nullement la taille réduite du troupeau villageois. Il en résulte une insuffisance de la fertilisation du sol, qui conduit à son épuisement et à une baisse des rendements que les cultivateurs interrogés sont unanimes à constater.

Lorsqu'on s'éloigne des vallées et qu'on pénètre dans les zones du-naires où le peuplement est plus clairsemé et l'occupation du sol plus lâche, le processus de déséquilibre du terroir semble s'exercer dans un sens différent : le développement des surfaces cultivées s'effectue dans ce cas non pas par une extension de la karkara mais par une mise en culture plus intensive de la zone des jachères. C'est ainsi que l'on observe la mise en place d'un système mixte dans lequel la durée de culture des champs est prolongée, lorsque c'est possible, par l'apport de fumier et où la mise au repos n'intervient que le plus [10] tard pos-sible : lorsque le sol est réellement épuisé. De la sorte, le temps de culture en vient à dépasser largement le temps de repos et le rétrécis-sement des surfaces en friche ne cesse de s'accentuer. Au niveau ré-gional, et même national, ce phénomène se traduit par une extension continue du domaine livré à la hache et à la houe du cultivateur. On trouve un indice évident de cette évolution dans le mouvement de poussée des terres cultivées vers le nord. Dès 1954, l'administration coloniale avait jugé indispensable d'enrayer ce mouvement en fixant une limite au nord de laquelle toute culture d'hivernage et toute instal-lation de groupement de cultivateurs étaient interdites. En 1961 cette limite devait être officiellement repoussée vers le nord. On constate aujourd'hui qu'elle est à nouveau largement dépassée.

Ce mouvement, favorisé peut-être par une période plus favorable sur le plan climatique qui aurait marqué l'après-guerre, trouve incon-testablement une de ses causes dans l'accroissement démographique que nous avons signalé plus haut. Il n'en est pas moins vrai que le dé-veloppement de la culture arachidière, particulièrement rapide durant les années soixante, a également joué à cet égard un rôle essentiel. Nous reviendrons plus loin sur ce point, soulignons tout de suite que l'intensité croissante de la pression monétaire, qui incitait les paysans

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à se livrer de plus en plus a cette culture de rente, joignant ses effets à ceux de l'introduction d'une variété nouvelle à cycle plus court, sus-ceptible par conséquent d'être cultivée dans des zones plus arides, ont contribué à réduire la part de superficie réservée aux céréales, non seulement dans les régions du Sud mais aussi dans celles, plus septen-trionales, qui étaient considérées jusqu'alors comme des « greniers à mil ». Une compensation illusoire a été cherchée encore plus au nord grâce à l'utilisation de variétés traditionnelles de mil extrêmement hâ-tives.

Les premières victimes de cette évolution furent les éleveurs, chas-sés progressivement vers les zones désertiques, se voyant refuser, en cas d'arrêt précoce des pluies d'hivernage, la possibilité d'avancer la date de leur transhumance vers les terres du Sud, couvertes de cultures (le nombre et la violence des conflits entre éleveurs et cultivateurs traduit la situation de tension qui s'est établie au cours des dernières décennies). Mais, sur un plan plus général, ce que l'on doit retenir de cette évolution c'est qu'elle marque une sorte de faillite du système de production traditionnel, fondé sur une combinaison harmonieuse entre exploitation intensive et exploitation extensive des terres. Que [11] ce soit du fait d'un développement excessif des superficies soumises à une culture continue ou à la suite d'un raccourcissement du temps de jachère, l'équilibre entre l'effort que les hommes imposent au milieu naturel et les moyens de régénération qu'ils lui apportent se trouve profondément perturbé. Des indices comme l'apparition de plantes parasites (telles que la striga senegalensis) ainsi que la modification de composition et de structure des sols sont tout à fait significatifs à cet égard. C'est au niveau de la production vivrière qu'il faut chercher les premières conséquences de cette situation, c'est pourquoi nous al-lons envisager maintenant les problèmes qui se posent sur le plan ali-mentaire.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 23

c. Un déficit alimentaire chronique

Aussi loin que l'on remonte, l'insécurité alimentaire représente une constante des conditions de vie de la paysannerie de ces régions. Comme dans les campagnes européennes jusqu'au début du siècle der-nier, la mémoire collective jalonne le passé de références aux grandes famines qui décimèrent la population. Parmi les plus récentes, celle qui s'abattit sur toute la zone sahélienne durant les années 1913-1914 se révéla particulièrement meurtrière.

Cet état de fait est dû essentiellement à la dépendance de l'agricul-ture à l'égard d'un climat extrêmement capricieux : quelle que soit l'adaptation du mil aux conditions particulièrement rudes du milieu, il n'en demeure pas moins sensible aux variations pluviométriques, non seulement du point de vue de la hauteur annuelle des précipitations, mais aussi de celui de leur répartition selon les différentes étapes du cycle de croissance de la plante (SEDES, 1963). En effet, le problème est moins d'obtenir une quantité globale d'eau que d'avoir la quantité nécessaire au moment adéquat. Le petit nombre de jours de pluie et le caractère violent et très localisé des précipitations entraînent une grande probabilité de ne pas obtenir l'eau nécessaire au moment vou-lu.

Face à la précarité des conditions naturelles, la société haoussa avait su mettre en œuvre un certain nombre de pratiques, individuelles ou collectives, qui lui permettaient de bénéficier d'un minimum de sécurité. Il faut souligner tout d'abord l'efficacité des techniques tradi-tionnelles de stockage 3 grâce auxquelles le grain peut être conservé [12] pendant des périodes relativement longues — éventuellement plusieurs années —, ce qui rend possible la constitution de réserves. Naguère, des règles rigoureuses présidaient, au sein de la cellule fami-liale productrice, au partage de la production agricole : après la ré-colte, les semences destinées à être mises en terre au prochain hiver-nage ainsi que la quantité de céréales nécessaire à la subsistance du groupe durant toute la saison des pluies étaient entreposées par le chef de famille dans un grand grenier qui ne devait plus être ouvert avant les premières pluies. Des rites religieux plaçaient ces réserves sous la 3 Les épis, non égrenés, sont disposés à plat, en couches successives, dans de

vastes cuves de vannerie ou de poterie crue.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 24

protection de la divinité des cultures — Uwag gona —, et nul ne pou-vait, sans risque de mort, y toucher avant que les sacrifices d'ouverture du grenier et de pilage de la gerbe de semence n'eussent été accom-plis. De cette manière, même en cas de mauvaise année, l'avenir, c'est-à-dire la possibilité de travailler durant la prochaine saison des pluies, se trouvait sauvegardé. Pendant le long intervalle de temps qui s'éten-dait entre la récolte et les pluies suivantes, chacun des membres du groupe était plus ou moins livré à lui-même, vivant de ses propres res-sources ou déployant toute son habileté afin de se procurer sa nourri-ture quotidienne : c'était la période des expéditions de chasse et de commerce, des raids guerriers, du redoublement d'intensité des activi-tés artisanales.

Lorsque, dans certaines périodes catastrophiques, les réserves fa-miliales ne pouvaient suffire à boucler l'année et à passer le cap de la soudure, chefs et dignitaires, placés aux différents niveaux de la hié-rarchie politique, étaient tenus d'ouvrir leurs greniers — remplis en majeure partie grâce aux contributions, en nature ou en travail, four-nies par les paysans — et de porter secours aux indigents.

À leur arrivée, les colonisateurs ne surent pas reconnaître l'exis-tence de ces procédés de sauvegarde. Ruinant le pouvoir politique tra-ditionnel, ils le dépouillèrent non seulement de ses prérogatives, mais aussi de ses responsabilités — ou, du moins, des moyens matériels d'y faire face. À la suite de la grande famine des années 1913-1914, des mesures furent prises pour assurer la constitution de réserves collec-tives. Tout d'abord, obligation fut faite à chaque village de conserver en permanence, dans des greniers spécialement consacrés à cet usage, des stocks correspondant à quinze gerbes de mil (soit 180 kilos envi-ron) par habitant. En outre, la méfiance à l'égard de tout ce qui pouvait être technique traditionnelle étant de règle, des silos placés sous la responsabilité des autorités administratives furent ultérieurement constitués avec des méthodes et des matériaux [13] « modernes ». Ce fut un échec complet dû à une méconnaissance totale des effets des conditions climatiques locales : le mil, conservé en grain dans des cuves closes, ne tardait pas à germer et à devenir impropre à la consommation. En 1963, on notait encore que les grains stockés après battage dans les magasins administratifs étaient fréquemment dévastés par des attaques de tribolium et de trochoderme ; ce qui ne se produi-sait pas dans les greniers des paysans (SEDES, 1963). Plus récem-

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ment, enfin, des tentatives furent faites pour créer des organismes pu-blics chargés non seulement d'acheter des céréales et de les conserver, mais aussi, ce qui est tout aussi important, d'en assurer la distribution dans l'ensemble du pays et de les livrer, à un cours stable, là où le be-soin s'en fait plus particulièrement sentir. Pour des raisons de gestion interne et aussi du fait de la concurrence exercée par le marché libre au moment de l'approvisionnement, les expériences des sociétés de prévoyance, puis de la Coopérative de production du Niger se sol-dèrent par des échecs. Le dernier en date de ces organismes, l'Office des produits vivriers du Niger, a été constitué trop récemment pour que l'on puisse émettre un jugement à son sujet.

Il est indéniable que la constitution de stocks de céréales et une meilleure organisation de la distribution représentent des éléments positifs du point de vue de la sécurité alimentaire. Même si les expé-riences officielles ont rarement été couronnées de succès, l'initiative privée, en particulier celle des commerçants locaux, a su tirer efficace-ment parti des techniques modernes, tout spécialement sur le plan des transports (réseau routier, véhicules automobiles). Cependant, il ne faut pas se cacher que les progrès en matière de circulation et de com-mercialisation du mil profitent presque exclusivement à une minorité de citadins : tous les réseaux actuels de distribution des céréales sont destinés à l'approvisionnement des villes — et plus particulièrement de Niamey, la capitale — ; la masse rurale, pour sa part, n'est guère concernée par les récentes améliorations et continue de se fournir aux mêmes sources que durant le siècle dernier (greniers familiaux, ré-serves des personnages riches et puissants) ; sa sécurité ne s'est nulle-ment accrue 4.

De toute manière, il faut bien convenir que le problème essentiel [14] demeure celui du solde global de la production par rapport à la consommation : pour constituer et distribuer des réserves, en dehors de toute visée spéculative, il est bien évident qu'il faut qu'il y ait des excédents disponibles. Dans le système agraire traditionnel, la produc-tion du mil bénéficiait d'un statut extrêmement privilégié, qui se mani-

4 Nous n'abordons pas ici la question de la distribution des secours venus de l'extérieur à l'occasion de la famine de 1973. Au moment où ce texte est rédigé, les informations nous manquent à ce sujet. Ce que nous envisageons ici, c'est la répartition de la production intérieure en période « normale ».

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festait aussi bien sur le plan économique que sur celui des valeurs reli-gieuses ou sociales.

— Le mil était considéré comme l'aliment par excellence ; il était consommé aussi bien sous la forme de nourriture proprement dite que transformé en boisson : « la bière de mil », dont le rôle était si impor-tant dans toutes les manifestations de la vie collective.

— Il constituait un élément essentiel de nombreuses pratiques ri-tuelles, soit que celles-ci fussent directement organisées autour d'une des étapes de son cycle agricole — pilage de la gerbe de semence, ré-colte des premiers épis, engrangement de la moisson —, soit que la consommation de mil, sous forme de « bière » ou de bouillie crue (gumba) intervînt dans leur accomplissement.

— Il occupait une place de choix dans la hiérarchie des dons, des offrandes qu'il fallait accomplir à diverses occasions de la vie sociale (dons à l'occasion du mariage, présents remis à des membres de la chefferie, etc.). La distribution ostentatoire de céréales était, au sein de la société paysanne, le principal moyen par lequel un individu pouvait accroître et entretenir son rang social : ainsi était-ce en produisant et en dilapidant mille gerbes (soit plus de dix tonnes de grain) qu'un homme pouvait accéder au titre convoité de sarkin noma, dignité qui entraînait ensuite l'obligation de se montrer généreux et de distribuer largement autour de soi grain, bière, nourriture.

— Pour la majorité des agriculteurs, enfin, il représentait une culture commerciale très importante (pratiquement la seule pour tous ceux qui ne se trouvaient pas à proximité d'une zone de terres basses convenant au tabac, au coton, à l'indigo) ; c'était la principale mar-chandise échangée avec les Touareg, contre le sel minéral apporté du désert et les cauris nécessaires au paiement du tribut annuel (kud'in kai).

Certes, de nombreuses autres plantes étaient cultivées, même sur les terres dunaires (haricots, pois de terre, niébé, arachide, sésame, [15] oseille de Guinée...), mais on ne les trouvait qu'en quantités très réduites (Pérignon, 1906 ; Villomé, 1913), de sorte qu'avant l'implan-tation française la production du mil — gros et petit — dominait l'en-

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semble de la vie agricole locale. Tout concourait alors à assurer, en année de pluviométrie satisfaisante, une récolte de céréales largement supérieure aux besoins de la communauté rurale ; c'étaient les surplus qui alimentaient les ventes à l'extérieur 5. Même dans ces conditions, une longue période de guerre — comme ces régions en connurent si souvent — ou une succession d'années de sécheresse débouchaient inévitablement sur la pénurie et la disette ; néanmoins, du fait même de ses objectifs excédentaires, le système de production traditionnel tendait indiscutablement à assurer une marge de sécurité face aux fluctuations à court terme et à reculer au maximum les limites de rup-ture de l'équilibre alimentaire.

Le fait déterminant quant à la remise en cause de cet équilibre a été l'intense développement de la culture de l'arachide à des fins indus-trielles. Entre 1934 et 1961, les superficies consacrées à cette plante seraient passées, selon les estimations officielles, de 73 000 à 349 000 hectares. Très lent au départ, en partie du fait des problèmes d'écoule-ment et d'acheminement de la production, le mouvement prit son essor dans le second quart du siècle pour connaître ensuite un taux de crois-sance rapide. En 1929, on estimait la production totale du Niger à 27 000 tonnes d'arachides en coque (Pehaut, 1970), soit approximati-vement 18 000 tonnes de graines décortiquées ; en 1968, 182 000 tonnes d'arachides décortiquées ont été officiellement commerciali-sées. En toute rigueur ces estimations ne doivent pas être prises au pied de la lettre — non seulement dans le cas de la plus ancienne, car on peut s'interroger sur les moyens dont disposait alors l'administra-tion pour parvenir à l'effectuer, mais aussi pour la plus récente, dans laquelle il faudrait faire la part des mouvements qui se produisent à travers la frontière du Nigeria. Quoi qu'il en soit, même si des ajuste-ments de détail sont nécessaires, l'ordre de grandeur demeure certaine-ment valable et on peut estimer qu'en une quarantaine d'années la pro-duction arachidière du Niger a été multipliée environ par dix. Cette évolution correspond à un véritable [16] bouleversement, car elle s'est concentrée sur les régions les plus fertiles, les seules où, pour des rai-

5 Villomé (1913) notait qu'à moins de mauvaise année la production surpas-sait la consommation et que les cultivateurs divisaient leur récolte de mil en trois parties : 1) ce qu'il leur fallait pour vivre un an, plus une réserve en cas de sécheresse, 2) la semence, 3) les surplus destinés à la vente.

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sons agronomiques, la culture de l'arachide pouvait être pratiquée : principalement le sud du département de Maradi et de celui de Zinder.

Il est difficile, dans l’état actuel des connaissances, d'avancer des chiffres concernant les proportions entre les superficies respective-ment accordées aux céréales et à l'arachide dans ces zones. Selon l'étude de la SEDES, 56,7% des terres cultivables de la région de Ma-radi auraient été semées en mil et en sorgho en i960 ; cette estimation, fondée sur les rapports des services de l'Agriculture, n'a guère de va-leur, tout au plus peut-on penser qu'elle exprime, sous une fausse ap-parence de précision mathématique, une certaine évaluation empirique de la situation. Il n'en reste pas moins que cette zone, qui, au début du siècle, exportait de grandes quantités de grain tant vers le nord, à des-tination des nomades, que vers le sud, pour alimenter les étendues densément peuplées du Nigeria du Nord (Villomé, 1913), était deve-nue déficitaire en i960 (SEDES, 1963). Depuis lors, au cours des dix dernières années, rien n'indique que la tendance se soit inversée. Bien au contraire, la progression géographique de l'arachide s'est poursui-vie, spécialement vers le nord de la frange des terres cultivables où, grâce à l'introduction de variétés à cycle plus court (28-204), elle a pu aller concurrencer le mil dans ce qui était demeuré son domaine réser-vé. Celui-ci s'est donc trouvé progressivement repoussé en direction des régions septentrionales, caractérisées non seulement par une hau-teur moyenne des précipitations beaucoup plus faible — ce qui a im-posé l'utilisation de variétés plus hâtives (du type hankutel) à rende-ment plus faible —, mais aussi par une irrégularité et un risque de sé-cheresse accrus.

Il n'est pas aisé de faire le bilan des conséquences entraînées, sur le plan alimentaire, par le développement de la culture arachidière. Les premiers temps de la colonisation, du moins à partir de 1920, ont per-mis, grâce aux effets de la pacification, une vive expansion de la pro-duction agricole, de sorte que, s'il y a eu, en valeur relative, un recul des superficies occupées par le mil par rapport à l'ensemble des super-ficies exploitées, ce recul s'est inscrit tout d'abord dans un mouvement général de croissance, masquant les effets à long terme de cette évolu-tion. Par ailleurs, un début de diversification apportée à la nourriture, l'importation de certaines denrées telles que les fruits et les légumes du Nigeria, la farine, les pâtes alimentaires et le sucre, ainsi que le dé-veloppement de la culture du riz ont légèrement atténué [17] la dépen-

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dance à l'égard du mil (encore faut-il préciser que ce phénomène concerne presque exclusivement la population citadine). En contrepar-tie, toutefois, une rapide croissance démographique amplifiait la de-mande de produits vivriers dans des proportions considérables tandis que, comme nous l'avons vu précédemment, les possibilités d'intensi-fication des cultures et d'extension des surfaces exploitées semblaient approcher de leurs limites.

Grâce à la conscience aiguë que manifestent les paysans d'une constante menace que la famine fait peser sur eux, la priorité absolue, au sein du terroir, est encore souvent donnée au mil, et le principal souci d'un chef de famille demeure d'assurer, avant toute autre chose, la subsistance des siens 6. Ce processus de limitation spontanée de la progression de l'arachide tend à maintenir la production céréalière à la limite de ce qui est nécessaire à la consommation intérieure du pays 7. La situation n'en est pas moins préoccupante, car, si elle permet, lorsque la pluviométrie est satisfaisante, d'obtenir simultanément une bonne récolte d'arachide et les conditions d'un équilibre alimentaire convenable, elle laisse les agriculteurs totalement vulnérables devant les conséquences d'une mauvaise année. La faiblesse, devenue habi-tuelle, des excédents produit plusieurs effets.

En premier lieu, il est extrêmement difficile, aussi bien pour les paysans que pour les organismes officiels et même les commerçants, de réaliser des réserves portant sur plus d'une année. La marge de sé-curité est, de ce fait, très restreinte, et toute baisse de la production se traduit immédiatement, pour les cultivateurs, par des problèmes de subsistance.

D'autre part la quantité de grain commercialisée ne représentant qu'une très petite partie de la production totale, toute variation, même

6 Cette compétition entre arachide et mil est si vivement ressentie par les cultivateurs que 1974, deuxième année de disette, a connu une chute vertigi-neuse de la production arachidière — on compte environ 15 000 tonnes d'arachides décortiquées commercialisées, soit moins qu'en 1929 !

7 L'année 1960 était légèrement déficitaire sur le plan national (SEDES, 1963) et, depuis, plusieurs années de grave pénurie se sont succédé : 1966, 1968, 1973.

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légère, de l'autoconsommation, ou du stockage, a des répercussions considérables, en valeur relative, sur le volume des céréales offertes [18] sur le marché : si nous acceptons l'estimation de la SEDES 8, nous voyons qu'une augmentation de l'autoconsommation s'élevant à 5% du total de la production se traduit par une diminution de plus de 40% des quantités disponibles sur le marché. Il s'ensuit une très grande in-stabilité des prix et une forte amplitude des fluctuations saisonnières et annuelles. Lors d'une mauvaise année, la réduction des quantités mises en vente se cumule avec l'accroissement de la demande pour provoquer une montée en flèche des prix 9 favorisant la spéculation et aggravant les conditions de pénurie, surtout pour les plus pauvres.

Arachide et mil ne subissent pas nécessairement de la même ma-nière les effets des conditions pluviométriques : pour une hauteur de précipitations donnée, telle répartition des pluies pourra être favorable à l'un et néfaste à l'autre. On pourrait penser que ce décalage peut jouer dans le sens d'une atténuation des effets des fluctuations clima-tiques ; il n'en est rien : ainsi, par exemple, en 1971, la récolte de cé-réales a été tout à fait satisfaisante, tandis que celle d'arachides était très médiocre ; or, même dans ce cas, on a observé des perturbations dans le secteur vivrier : en effet, soumis à une intense demande moné-taire — principalement du fait de l'impôt —, les agriculteurs se sont vus obligés de vendre une partie de leur récolte de céréales pour pou-voir se procurer le numéraire dont ils avaient impérieusement besoin. Nous avons étudié ce phénomène en détail dans un cas précis (Ray-naut, 1973b), nous y reviendrons plus loin. Dans le cas inverse, bonne récolte d'arachides et mauvaise récolte de mil, la rareté des produits alimentaires de remplacement et la primauté presque exclusive du mil dans la nourriture (du moins en milieu rural) font que c'est surtout vers l'achat de grain que se porte le surplus de liquidités fourni par la vente de l'arachide ; la conséquence en est une forte hausse des prix et donc, dans la pratique, une annulation du bénéfice obtenu sur le plan de la culture commerciale.

Du fait de l'extrême prudence des cultivateurs et des possibilités de transferts entre régions diversement favorisées, un certain équilibre

8 Selon laquelle les quantités commercialisées représenteraient 10% de la production totale.

9 Entre janvier 1972 et janvier 1973, les prix de détail du mil sont passés de 30 à 75 francs CFA pour la mesure de 2,5 kilos (tiya).

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avait pu être conservé jusqu'à maintenant. La famine actuelle, qui conclut une série de disettes moins importantes qui se succèdent [19] depuis près de dix ans, sonne comme un avertissement : elle révèle une incapacité de l'édifice économique à tempérer les conséquences des fluctuations climatiques. Plus profondément, elle exprime la contradiction entre une croissance démographique très rapide (2,7% par an au cours des dernières décennies) qui impose une progression soutenue de la production vivrière et l'inertie d'un système agraire qui semble avoir atteint ses limites d'expansion : les sols s'appauvrissent, les surfaces exploitables encore disponibles se raréfient, la rivalité pour la maîtrise de la terre entre pasteurs et agriculteurs s'exacerbe. Par-delà une concurrence entre cultures commerciales et cultures vi-vrières, qui n'existe que dans la mesure où le développement de l'une et de l'autre passe par un accroissement des surfaces qui leur sont consacrées, le problème fondamental est celui du passage d'une agri-culture extensive, « consommatrice » d'espace, devenue déprédatrice du fait de la rupture des équilibres sur lesquels elle reposait, à une agriculture plus intensive, plus productive mais soucieuse de restituer au milieu ce qu'elle en retire. Or, jusqu'à aujourd'hui, il est clair que ce passage n'a pas pu se faire ; c'est en ce sens que nous pouvons parler d'un blocage. Quelle que soit la part, au demeurant incontestable, des accidents climatiques dans le déclenchement de la crise actuelle, c'est sur cet aspect plus profond et plus durable de la réalité qu'il convient de faire porter sa réflexion, car c'est à ce niveau que des solutions peuvent être trouvées pour l'avenir. L'histoire naissante des phéno-mènes météorologiques (Le Roy Ladurie, 1973) nous révèle comment, au cours de ce dernier millénaire — et cela aussi bien en milieu tem-péré que dans des zones arides —, l'évolution des données climatiques (précipitations, températures), si elle s'inscrit difficilement dans une tendance d'ensemble significative, montre au contraire une multitude de mouvements à très court terme parmi lesquels les suites de plu-sieurs bonnes ou mauvaises années sont particulièrement fréquentes. Il semble bien que l'on doive considérer ces « séries » non pas comme des accidents mais comme des forces caractéristiques de la succession dans le temps des événements climatiques. S'il en est ainsi, l'un des critères fondamentaux du bon équilibre d'un système agraire et écono-mique est donc sa capacité de faire face à ces périodes de « vaches maigres » sans conséquences graves pour la société qui l'applique. En cas de crise dramatique, comme celle que l'on observe aujourd'hui,

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c'est donc bien plus sur le degré d'adaptation du système de produc-tion et de répartition des biens essentiels qu'il faut s'interroger que sur un hypothétique renversement [20] soudain des tendances climatiques, renversement que l'observation du passé rend très improbable.

Dans les pages qui précèdent, nous avons analysé quelques-unes des contradictions qui se sont accumulées, dans le domaine agricole, au cours des dernières décennies. Mais, ce faisant, nous n'avons envi-sagé qu'un des aspects de l'évolution d'un système global au sein du-quel les problèmes concernant l'organisation socio-économique re-vêtent une importance considérable.

2. LA FAILLITED'UN SYSTÈME SOCIO-ÉCONOMIQUE

L'évolution des structures de la production agricole au sein de la région que nous étudions se caractérise avant tout par le jeu de trois processus étroitement solidaires.

Le premier d'entre eux est le morcellement croissant des groupes familiaux, et des unités d'exploitation agricole qu'ils constituent. Na-guère, la cellule familiale était composée d'un vaste groupe de parenté patrilinéaire, rassemblant sous l'autorité d'un chef de famille plusieurs hommes mariés — ses fils ou ses frères cadets — ainsi que les membres de leur foyer (épouses, enfants). De nos jours, cette cellule tend de plus en plus à se réduire à un simple foyer monogame ou po-lygame (un homme, son ou ses épouses et leurs enfants non mariés). Dans bien des cas, ce phénomène d'éclatement est achevé, et c'est ain-si que, dans le village de S..., proche de Maradi, l'effectif moyen par enclos était en 1966 de sept habitants. Le plus souvent, cependant, les jeunes gens demeurent avec leur père et continuent de travailler avec lui jusque dans les premières années de leur mariage. Ensuite, assez rapidement, la rupture intervient, souvent à l'amiable et sous la pres-sion des circonstances ; dans bien des cas, même, elle se produit à l'initiative du chef de famille. Fréquemment, bien que séparés sur le plan des activités économiques et domestiques, les membres du seg-ment de lignage continuent de cohabiter au sein du même enclos.

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Le deuxième processus est caractérisé par le développement des transactions monétaires sur la terre. La plus fréquente des formes de cession est le prêt sur gage (jingina), qui consiste à céder l'usage d'un champ en contrepartie dune certaine somme d'argent ; lorsque celle-ci est remboursée, le champ doit être rendu. D'une manière générale, la vente proprement dite (saidawa) est plus rare, mais il [21] ne faut pas se dissimuler que dans le cas d'une mise en gage de longue durée on s'achemine en fait progressivement vers une cession définitive. Dans l'immédiat, la vente de terre est limitée par l'insuffisante rentabilité des activités agricoles, elle est donc moins importante par les effets à court terme qu'elle peut avoir que dans la mesure où elle marque une modification radicale des rapports entre les différents facteurs de la production agricole. Dans le système traditionnel, il n y avait pas, à proprement parler, d'appropriation de la terre, mais un droit d'usage obtenu après alliance avec les divinités. Ce droit ne persistait que tant que la marque du travail restait perceptible, et toute parcelle demeurée inculte suffisamment longtemps pour être reconquise par la brousse pouvait à nouveau être défrichée et cultivée par quiconque le désirait. Par conséquent, ce qui donnait des droits sur la récolte qu'un champ pouvait porter, ce n'était pas le fait de le posséder mais, plutôt, celui de l'avoir fécondé, de l'avoir fait produire en lui apportant son travail. Le concept de rente foncière était donc étranger à ce système. Ce qui est important et significatif dans l'évolution actuelle, c'est qu'elle s'ins-crit dans un vaste mouvement qui tend, au contraire, à intégrer objets, services, personnes dans un système marchand d'évaluation et de cir-culation.

C'est ainsi, troisième grand type de phénomène, que l'on constate une rapide généralisation du salariat agricole. Dans la région de Mara-di, les formes traditionnelles d'entraide et d'échange de travail ont pra-tiquement disparu, remplacées par l'emploi de main-d'œuvre salariée. Peu à peu, des rapports marchands, fondés sur la médiation de la mon-naie et dépouillés de leur contenu personnel, se substituent aux rela-tions de solidarité qui constituaient naguère le tissu vivant des com-munautés villageoises et familiales.

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Pour résumer en une formule l'ensemble de ces mouvements com-plexes, on peut dire que l'on assiste à une progressive faillite du mode de production familial traditionnel. Les facteurs qui sont à l'origine de ce processus sont multiples et il ne saurait être question de présenter ici une théorie « unitaire » de ce courant de transformation dans lequel causes et effets s'enchevêtrent. Toutefois, il n'est peut-être pas impos-sible d'établir certains enchaînements significatifs entre les faits. L'un de ces cheminements nous paraît être particulièrement [22] intéres-sant : c'est celui qui prend pour point de départ l'intensité de la pres-sion monétaire qui pèse sur le monde rural.

Un chef de famille, en effet, est soumis à de multiples responsabili-tés économiques à l'égard de ceux qui travaillent avec lui. De la plu-part de ces charges il ne peut se libérer aujourd'hui qu'avec de la mon-naie : de la monnaie pour les impôts ; de la monnaie pour tout ce que — en dehors du mil récolté et de quelques produits de ramassage — lui-même et sa famille utilisent (vêtements, outils agricoles, ustensiles de ménage, viande, condiments, sel, sucre, etc.) ; les dons eux-mêmes se font en monnaie. L'augmentation continue des impôts et des prix crée un décalage croissant entre le poids des charges financières qui s'exercent sur la cellule familiale, son chef en particulier, et la quantité de produits agricoles, donc de travail, qu'elle doit sacrifier pour y faire face. Une telle situation est génératrice de conflits et d'oppositions au sein des cellules familiales de production. Au sein des plus étendues, regroupant plusieurs foyers, ces contradictions conduisent tôt ou tard à une rupture. Souvent, nous l'avons dit, celle-ci se produit à l'initiative du chef de famille lui-même qui, partageant le patrimoine familial entre ses fils, laisse à chacun le soin de faire face à ses propres respon-sabilités. Dans beaucoup de cas cette division ne résout rien, le pro-blème fondamental étant la disproportion entre la productivité moné-taire des activités agricoles et l'intensité de la demande de monnaie qui s'exerce sur les producteurs. Certains cultivateurs se voient alors contraints, pour se procurer l'argent qui leur manque, de vendre une partie de leur récolte de mil, quitte ensuite, l'hivernage venu, à s'enga-ger comme manœuvres pour acheter ce qui leur manque pour passer le cap de la « soudure », puis, à la récolte suivante, à vendre des champs pour payer leurs impôts (Raynaut, 1973b).

Au centre des trois types de phénomènes que nous avons briève-ment analysés, on reconnaît donc l'influence exercée par l'intensité du

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besoin de monnaie. C'est l'obligation de trouver de l'argent qui conduit de nombreux cultivateurs à s'engager comme manœuvres ou à vendre leurs terres ; c'est l'impossibilité à résister aux charges financières qui les écrasent qui incite certains chefs de famille à se séparer de leurs fils et à engager des travailleurs salariés. On peut, en partie, expliquer cette pression monétaire par les mécanismes internes [23] de la société locale : importance fonctionnelle de la circulation des biens et des ri-chesses ; rôle des dons et des échanges non mercantiles comme moyen d'expression et de consolidation des structures sociales (Nico-las, 1965 ; Raynaut, 1973a). Mais comment ne pas reconnaître aussi que, de nos jours, l'édifice « traditionnel » n'a plus guère d'autonomie ni de cohérence intrinsèque et que nombre de phénomènes qui s'y dé-roulent trouvent leur source au sein du secteur « moderne » de l'éco-nomie. Dans ce cas précis il suffit pour s'en convaincre de se deman-der : d'où vient la monnaie ? et où va-t-elle ? Il est clair que l'essentiel du numéraire qui pénètre au sein de la communauté rurale provient de la vente de l'arachide, culture imposée naguère par le pouvoir colo-nial ; il trouve sa source en dehors non seulement de la société locale mais du pays lui-même, dans une sphère qui obéit à des lois totale-ment indépendantes de celles qui régissent l'univers traditionnel. Or, à peine introduite, cette masse de monnaie est, en quelque sorte, ré-aspi-rée vers l'extérieur : une grande partie étant dirigée vers les caisses de l'État par le biais de l'impôt 10 ; le reste étant récupéré grâce à la vente des produits alimentaires et manufacturés par les négociants de la ville voisine. L'argent est donc irrésistiblement soumis à un mouvement de va-et-vient qui lui est imposé de l'extérieur ; il est contraint de traver-ser la communauté sans pouvoir s'y fixer, sans y laisser d'enrichisse-ment durable. Des conditions de rareté monétaire et de circulation for-cée sont ainsi créées, et les répercussions de ces contraintes sont pro-fondes sur les mécanismes traditionnels évoqués ci-dessus. En effet, tout se passe comme si les espèces, éléments essentiels à la vie et au fonctionnement du groupe social, devaient, avant de le quitter, passer le plus de fois possible de main en main et se trouvaient ainsi entraî-nées dans une course folle qui peut donner à l'observateur extérieur —

10 Selon les statistiques officielles, le prélèvement fiscal, en 1967-1968 (bonne année arachidière), représentait pour l'arrondissement de Maradi 31% des recettes de l'arachide et, pour l'arrondissement de Tessaoua, 38%. Des études de budgets paysans (Nicolas et Mainet, 1965 ; Raynaut, 1973b) donnent une moyenne beaucoup plus élevée : autour de 65%.

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qui ne voit pas que c'est en fait un nombre limité de pièces et de billets qui circulent — l'impression d'une certaine richesse, mais qui laisse aux acteurs le sentiment d'une constante course après l'argent, d'une complète impuissance à le retenir une fois qu'on le détient.

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II. La modernisation, un faux problème

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Au terme du diagnostic que nous venons de tracer, et en dépit de son caractère sommaire, on ne peut manquer d'être frappé par l'impor-tance des changements subis par la société locale depuis les débuts de l'implantation coloniale. Aucun des problèmes que nous avons été amenés à soulever ne peut être interprété comme la conséquence di-recte d'une attitude conservatrice, d'un refus de changer qu'auraient manifesté les paysans haoussa. Tout au contraire, ils apparaissent dans une large mesure comme les conséquences des intenses bouleverse-ments intervenus, tant sur le plan social que sur le plan économique et démographique, depuis trois quarts de siècle. Compte tenu du fait que les modifications qui se sont accumulées durant cette période se sont produites le plus souvent en réponse aux impulsions venues du monde industriel 11, il nous paraît impossible de considérer les faits que nous observons maintenant autrement que comme pleinement modernes. Cela revient à dire que l'on n'est aucunement fondé à analyser les dif-ficultés qui se manifestent aujourd'hui dans le domaine économique comme les résultats d'une « modernisation » insuffisante, comme des effets d'une inertie paralysante du passé. Les campagnes tout autant que les villes sont plongées dans le présent, et c'est dans ce présent qu'il faut chercher les réponses aux questions qui se posent.

11 Il est particulièrement significatif, à cet égard, que les fluctuations de la production arachidière au cours des quarante dernières années soient, par-delà les variations à court terme liées aux aléas climatiques, les contrecoups d'événements ou de décisions ayant pour théâtre la France, l'Europe ou l'en-semble du monde : lenteur du démarrage due aux effets de la crise mon-diale ; essor à la suite des mesures protectionnistes prises sous l'influence de certaines maisons de commerce ; nouvelle chute pendant la Seconde Guerre mondiale ; vive reprise après la paix... (à ce sujet voir Pehaut, 1970).

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1. LA STAGNATIONDANS LE DOMAINE TECHNIQUE

Cependant, si l'on se place d'un point de vue purement technique, on ne peut manquer d'être frappé par la rareté, la pauvreté des innova-tions qui ont eu lieu dans le domaine de la production agricole depuis le siècle dernier : dans la majorité des cas, les outils, les pratiques culturales que l'on observe actuellement sont les mêmes [25] que ceux que rencontrèrent les Français à leur arrivée. Les rendements du sol sont toujours aussi faibles, on peut même penser que, bien souvent, ils ont baissé.

Comment expliquer un tel immobilisme alors que, par ailleurs, tant de choses ont si rapidement changé ? L'argument psychologique d'un conservatisme des mentalités, d'une réticence devant les objets issus d'une culture étrangère, semble de peu de valeur quand on constate que presque tout ce qu'un individu porte aujourd'hui sur lui (coiffures, vêtements, chaussures...), ainsi qu'une grande partie de ce qu'il utilise (boîtes de conserve, lampes à pétrole, lampes-torches, fers à repasser, bouilloires, bicyclettes, machines à coudre, montres-bracelets, etc.), vient de pays industriels. En ce qui concerne la difficulté d'assimila-tion de techniques nouvelles complexes il n'est besoin que d'observer l'habileté des multiples autodidactes — mécaniciens, réparateurs de bicyclettes, de postes de radio, de montres — pour se convaincre que l'obstacle n'avait rien d'insurmontable pour un esprit aussi curieux et ouvert que celui des Haoussa.

On peut trouver à cette lenteur de la diffusion du progrès technique d'autres causes beaucoup moins subjectives, au premier rang des-quelles se place l'inadaptation technique des thèmes et des outils pro-posés aux agriculteurs. Cette critique a été faite bien souvent, et pas seulement au Niger 12. Pour notre part, nous envisagerons rapidement dans cette perspective les principales innovations qui ont été propo-sées pour améliorer la production agricole.

12 Sur ce point, et à propos du Sénégal, voir Brochier, 1968.

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Si l'on se réfère aux statistiques officielles des services de l'Agri-culture, les achats de fongicides 13 paraissent se situer à un niveau as-sez élevé. À vrai dire, cela n'est pas étonnant si l'on considère que ce produit est distribué d'office avec les semences d'arachide prêtées par les organismes départementaux. Mais la réalité qui se dissimule der-rière ces chiffres est beaucoup moins satisfaisante, car force est de constater que beaucoup de cultivateurs ont coutume de l'employer comme insecticide domestique, au lieu de s'en servir pour la prépara-tion de leurs semences. S'ils se comportent ainsi, ce n'est pas par igno-rance ni par naïveté, mais tout simplement parce qu'ils ont constaté depuis longtemps l'inefficacité de la poudre [26] qui leur est vendue : insuffisamment adhésive, elle retombe au fond de la calebasse dans laquelle on effectue le mélange au lieu d'enrober les graines. Cette appréciation technique a été récemment confirmée par un expert du BDPA 14.

En ce qui concerne la culture attelée, cheval de bataille des projets de développement agricole de ces quinze dernières années, on com-mence à admettre maintenant que, telle qu'elle a été pratiquée, la ten-tative de diffusion à grande échelle dont elle a fait l'objet était vouée à l'échec : étant donné le morcellement des exploitations et la forte den-sité d'occupation du sol, le matériel distribué — d'autant plus lourd et plus coûteux que, jusqu'à la fin des années soixante, on a tout fait pour favoriser la vente d'unités complètes — ne pouvait qu'exceptionnelle-ment être utilisé à sa pleine capacité de production 15 ; de ce fait, loin d'être une source de profit, il constituait au contraire une lourde charge pour celui qui s'en portait acquéreur. Les paysans ont parfaitement compris cela, et, ainsi qu'on l'a maintes fois constaté, ceux qui se sont malgré tout décidés à en acheter ont souvent agi beaucoup plus pour des raisons de prestige social que dans un authentique souci d'amélio-ration technique. La majorité d'entre eux, d'ailleurs, louent leur maté-riel et pratiquent le travail à façon au lieu de l'utiliser sur leur propre

13 Produit phyto-sanitaire, se présentant sous la forme d'une poudre, et qui doit être mélangé aux semences afin de les protéger contre les attaques des para-sites et des insectes. Son usage devrait permettre une meilleure germination des graines et, par conséquent, une amélioration des rendements.

14 Selon République du Niger (CGD), 1972, p. 30.15 Alors qu'on estime qu'il faut au moins 10 hectares pour rentabiliser le maté-

riel à traction bovine, 80% des exploitations de la vallée de Maradi comp-taient, en 1964, moins de 6 hectares (Nicolas et Mainet, 1965).

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exploitation (NICOLAS, 1968). D'un point de vue de rentabilité immé-diate, cette solution est la plus valable car elle seule peut assurer la pleine utilisation et l'amortissement du matériel. Il convient de souli-gner par ailleurs que, du fait de l'indifférence manifestée à l'égard de la promotion de l'artisanat, les villageois ne disposent sur place d'au-cun moyen de réparer leur matériel durant la saison des cultures et, en cas d'accident pendant cette période cruciale, sont contraints d'attendre la saison sèche suivante et le passage d'un des camions-ateliers de 1TJNCC (organisme de crédit chargé de la diffusion du matériel agri-cole) 16.

Une troisième amélioration technique proposée est celle de la den-sité des semis d'arachide : en doublant cette densité et en l'amenant à 110 000 pieds à l'hectare, on peut parvenir à un accroissement [27] des rendements que certains estiment être de l'ordre de 20% (Brochier, 1968, p. 157), et d'autres de 50% (République du Niger, CGD, 1972, p. 61). L'échec presque complet rencontré dans l'adoption de ce procé-dé tient au fait que l'évaluation de ses avantages repose sur une totale méconnaissance des bases de calcul qu'utilise le paysan local : pour celui-ci, en effet, la donnée qui s'impose est la quantité de semences qu'il possède, quantité qui dépend non pas de considérations agrono-miques mais de l'argent dont il dispose. Celui-ci étant limité, il n'a donc généralement que peu de semences, et, dans ces conditions, son principal souci est, tout à fait logiquement, d'obtenir le meilleur rap-port possible entre le poids de graines semées et le poids de graines récoltées. Or si l'accroissement de la densité des semis améliore le rendement à l'hectare, il fait baisser en revanche celui du kilo de graines (puisqu'en doublant la quantité semée, on n'obtient au mieux qu'une augmentation de 50% de la production). Il est évident qu'aux yeux de la majorité des agriculteurs le fait de semer à la densité préco-nisée serait la source d'une perte considérable et non pas d'un profit. Il n'en est pas moins vrai qu'à long terme une augmentation des rende-ments à l'hectare et une diminution des surfaces cultivées sont vive-ment souhaitables, mais ce sont là des nécessités qui n'entrent pas dans l'horizon des problèmes quotidiens (achats de semences, paie-ment de l'impôt) auxquels le paysan doit faire face du mieux possible et au moment précis où l'échéance s'en présente.

16 Il faut signaler toutefois la très intéressante expérience de stages de perfec-tionnement des forgerons tentée par M. Neveux, expert du BIT, en 1970.

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Sur l'efficacité de l'engrais, autre moyen proposé pour l'améliora-tion de la production agricole — principalement de l'arachide — les spécialistes eux-mêmes demeurent réservés : « La rentabilité de ce thème reste très aléatoire en l'absence des autres thèmes (densité de semis, semences sélectionnées, sarclage). Par ailleurs, en l'absence d'une méthode pratique d'épandage permettant effectivement de réali-ser le dosage de 75 kg/ha, des surdosages ont entraîné la brûlure des plants, provoquant ainsi une contre-démonstration » (République du Niger, CGD, 1972, p. 33). On lit ailleurs : « Les essais d'engrais n'ont pas encore fourni de réponses catégoriques. Certes, le superphosphate avec adjonction d'un peu de soufre et accessoirement l'engrais compo-sé 6-20-10 paraissent les formules les mieux adaptées aux sols à ara-chide. Mais il semble que l'effet de l'engrais soit très faible si la plu-viosité est insuffisante ou irrégulière » (Pehaut, 1970, p. 38). On voit donc que, dans ces conditions, les cultivateurs se montrent parfaite-ment avisés en hésitant à effectuer [28] un investissement relative-ment coûteux (3 375 francs CFA à l'hectare pour la dose prescrite) sans être aucunement assurés d'obtenir un résultat positif. Il faut souli-gner d'ailleurs que, dans les cas où l'efficacité est assurée — pour les jardins irrigués et, spécialement, pour les plantations de canne à sucre —, ils l'emploient couramment.

On doit convenir qu'en fin de compte la seule innovation qui ait reçu une faveur presque unanime de la part des utilisateurs est l'em-ploi de semences sélectionnées : la 28-204, à cycle court, dans le Nord (c'est-à-dire au-dessus du Goulbin Kabba) ; la 28-206 dans la zone intermédiaire ; la 47-16, au sud de la route nationale Niamey-Zinder. Le fait de disposer ainsi de différentes variétés mieux adaptées aux nuances climatiques locales a permis non seulement d'ouvrir à la culture arachidière des zones de faible pluviométrie, mais encore de réduire, dans l'ensemble, la vulnérabilité aux aléas climatiques. Les cultivateurs ont si bien compris l'intérêt de cette amélioration que, dans la zone intermédiaire en particulier, il leur est fréquemment arri-vé d'entrer en conflit avec les agents des services de l'Agriculture quant à l'opportunité de l'emploi de telle ou telle variété, étant donné les conditions particulières de leur village. Comme, dans la plupart des cas, il n'était tenu aucun compte de leur avis, ils revendaient les semences qui leur avaient été distribuées d'office afin de racheter une variété qui leur paraissait mieux appropriée. Si la généralisation de

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l'adoption de ces semences se trouve ralentie, et parfois compromise, la cause ne doit pas en être recherchée auprès des paysans mais dans la coexistence de trois circuits de distribution : l'un contrôlé par les collectivités territoriales (arrondissements, communes) ; l'autre, par l'UNCC, agissant directement ou par l'intermédiaire de coopératives ; le dernier, enfin, par les services du ministère de l'Economie rurale. Or, seul celui-ci fournit de la semence sélectionnée, les deux autres ne donnant que du tout-venant. Il est bien clair que, dans ces conditions, il est pratiquement impossible de parvenir à une homogénéisation de la qualité des semences utilisées.

L'échec de la plupart des tentatives de modernisation agricole est, on l'a vu, inséparable d'un certain nombre de raisons d'ordre tech-nique. Les paysans haoussa sont, à leur manière, des spécialistes [29] et, à ce titre, sont tout à fait capables d'estimer, sur le plan des effets immédiats, la valeur des innovations qui leur sont proposées. Mais, à l'inverse de ce qui se passe trop souvent dans le cas des théoriciens et des planificateurs du développement rural, pour eux qui sont au contact des problèmes concrets, « moderne » n'est pas nécessairement synonyme d'efficace. En revanche, il n'est que d'observer les jardins irrigués pour voir qu'ils n'hésitent pas à adopter des plantes et des techniques nouvelles (notamment la greffe des arbres fruitiers) dès l'instant où l'avantage leur en apparaît évident. Cette clairvoyance n'est pas l'effet d'un don de double vue, mais il ne faut pas oublier combien, à l'occasion des marchés, des fêtes familiales, des déplace-ments divers, les nouvelles circulent, transmises jusque dans des vil-lages reculés et là, analysées, commentées au sein des groupes de cau-seurs qui se forment sur les places de quartier, elles donnent naissance à une opinion cohérente. Dans ces conditions, que tel cultivateur tente dans tel village une expérience en matière de techniques agricoles, et les raisons de son succès ou de son échec ne tarderont pas à fournir un sujet de débats dans toutes les localités des alentours et à offrir des références pour des décisions à venir.

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2. L'IMPORTANCEDU RISQUE ÉCONOMIQUE

Quelle que soit l'importance des causes matérielles qui ont entravé la diffusion du progrès agricole, il en est d'autres, moins évidentes, qui ont cependant exercé une détermination d'une nature plus fondamen-tale et plus durable. C'est ainsi qu'il faudrait souligner les méfaits d'une méconnaissance des implications sociologiques de changements apparemment purement techniques ; il faudrait également mettre en lumière les contradictions qui se manifestent dans l'attitude des cadres nationaux, ainsi que des « experts » étrangers, face au monde rural.

Ce sur quoi il faut insister cependant, ici, c'est le problème du risque ; c'est en effet un élément essentiel à la compréhension des comportements économiques au sein de la société locale. Le peu d'at-tention accordé à cet aspect de la réalité constitue une explication complémentaire de l'insuccès rencontré par certaines innovations tech-niques.

D'une façon non explicite, et peut-être inconsciente, le modèle d'action économique qui est proposé aux cultivateurs est une projec-tion [30] de l'archétype de l'entrepreneur capitaliste, tel qu'il a été défi-ni par Schumpeter (1935) : un homme qui prend des risques, qui in-nove afin de parvenir à tirer de son activité économique le maximum de profit. Si ce modèle apparaît déjà assez artificiel au sein des socié-tés industrielles, il devient absolument irréaliste dans le cadre d'une économie « sous-développée ». Le pari qu'implique non seulement l'application d'un procédé nouveau mais aussi l'investissement d'un capital ne peut être le fruit d'une décision rationnelle que dans la me-sure où des éléments suffisants de prévision permettent de préciser le degré de risque assumé. Or, dans un milieu naturel comme celui du Niger, aucune prévision n'est possible, en matière de cultures sous pluie, du fait de l'extrême irrégularité du climat. Bien plus, la dépen-dance du petit paysan à l'égard du problème de la subsistance — il cultive avant tout pour pouvoir manger et survivre — rend l'enjeu de toute décision particulièrement lourd : une mauvaise récolte signifie la faim et la nécessité de travailler comme manœuvre durant la saison des pluies suivante pour acheter du mil ; l'impossibilité de payer ses impôts, l'endettement et, à la limite, l'obligation de vendre ou de

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mettre en gage un ou plusieurs champs ; dans tous les cas, l'engage-ment dans un processus d'appauvrissement dont il lui sera difficile de se libérer (Raynaut, 1973b). L'action économique se déroule dans un contexte où toute erreur d'appréciation se trouve sanctionnée de ma-nière très rude et immédiate.

L'achat de matériel agricole — à crédit habituellement — crée de nouvelles échéances qui, à la récolte, viennent s'ajouter à celles qui se présentent normalement : remboursement de dettes, impôts, etc. La vulnérabilité de l'agriculteur face aux fluctuations imprévues de sa production en est augmentée d'autant et pour peu que, comme cela arrive fréquemment, la mise en œuvre de techniques nouvelles, au lieu d'apporter un surcroît de revenu, se solde par une stagnation ou une baisse, les conséquences d'une manifestation d'esprit d'entreprise risquent fort d'être tout à fait négatives. C'est ainsi que, chaque année, de nombreux acquéreurs d'outils de culture attelée sont contraints à cette absurdité qui consiste à vendre leur attelage, ou même leur maté-riel, afin de rembourser l'organisme prêteur. Ce qui sépare le paysan de l'expert agronome ou de l'économiste dans l'appréciation de la ren-tabilité d'une innovation technique c'est que, tandis que ceux-ci cal-culent dans le moyen ou le long terme (cinq à dix ans), le paysan est pour sa part impérativement soumis à un [31] risque de faillite an-nuel : pour employer une terminologie financière quelque peu inadé-quate ici mais qui illustre une réalité concrète, nous dirons qu'il ne dispose pas d'une « trésorerie » suffisante pour effectuer une « com-pensation » entre les bonnes et les mauvaises années et retirer, au bout du compte, un « solde bénéficiaire ». Il est clair qu'avec un système de crédit rigide et indifférent à cette donnée essentielle de l'économie lo-cale que constituent l'ampleur et la fréquence des irrégularités clima-tiques la diffusion d'un matériel technique nouveau, aussi valable soit-il, est nécessairement limitée. Le préalable indispensable à l'améliora-tion des facteurs de production agricole est la mise en place d'une forme de crédit autorisant des reports d'échéances lors des mauvaises années 17.

17 Dans la mesure, bien sûr, où l'on opte pour un développement conduit sur la base des entreprises et des exploitations individuelles.

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3. L'IMPORTANCEDES ACTIVITÉS COMMERCIALES

La réticence à prendre un risque n'est donc pas, nous venons de le voir, le fruit d'une mentalité « non économique », mais la seule atti-tude raisonnable, compte tenu des conditions environnantes. Dans l'état actuel des choses, la finalité des décisions et des actions des cultivateurs locaux n'est pas et ne peut pas être la poursuite d'un profit maximum, elle est et doit être la recherche de la plus grande sécurité et d'une atténuation de la dépendance vis-à-vis des aléas climatiques. Il est d'ailleurs significatif, à ce point de vue, que les mêmes individus qui craignent l'aventure dans le domaine de la production agricole soient en revanche tout à fait familiarisés avec la notion du risque éco-nomique dans le seul cas où celui-ci puisse être pris valablement : la spéculation commerciale à court terme.

En effet, en pays haoussa, tout paysan est aussi, dès que l'occasion s'en présente, un commerçant : l'un va régulièrement à la ville voisine acheter des produits d'usage courant (allumettes, piles électriques, ci-garettes, sucre, etc.) qu'il revend ensuite avec un petit bénéfice dans son village ; l'autre, qui dispose d'un capital plus important, achète du bétail sur le marché de Maradi et lui fait passer ensuite la frontière en fraude pour aller le proposer sur un marché du Nigeria, où les cours sont de 50% plus élevés. En sens inverse, [32] la contrebande de cola, de chaussures, de sucre, etc., est extrêmement intense et cela malgré les risques encourus.

À une tout autre échelle, on peut dire que la ville de Maradi vit presque exclusivement du commerce. La proximité de la frontière joue, de ce point de vue, un rôle essentiel. C'est ainsi qu'en 1971 l'or-ganisme officiel d'importation — la Copro-Niger — a vu passer dans ses entrepôts hors douane de Maradi 26 403 cartons de cigarettes « Benson and Hedges » à 23 000 francs CFA le carton et 200 cartons de « Craven A » à 21 000 francs CFA le carton, ce qui représente un total de 601 469 000 francs CFA. Ces cigarettes ont été importées ; par six commerçants de Maradi et trois commerçants de Niamey qui ont versé la moitié de la valeur de leur commande en passant leur ordre et l'autre moitié à la livraison. Ils agissaient pour le compte de négociants nigérians qui se sont chargés eux-mêmes du transport et du

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passage de la frontière. Une autre marchandise transite également en grande quantité par Maradi : il s'agit des ballots de friperie (b'osbo), venant principalement des USA. En novembre et décembre 1971 et en janvier 1972, les importations de friperie enregistrées par le bureau de Maradi de la société de transit Scopas s'élevaient respectivement à 839 tonnes, 1 395 tonnes et 1 063 tonnes. La plus grande partie était destinée à l'exportation vers le Nigeria. Le commerce du bétail est également extrêmement florissant, et, dès le retour de la saison sèche, c'est un flux constant d'animaux de toutes sortes (chèvres, moutons, bœufs, chameaux) que l'on peut observer le long de la piste qui suit le Goulbi de Maradi et conduit à Djibya. Ce sont très rarement les éle-veurs eux-mêmes qui vont ainsi vendre leur bétail de l'autre côté de la frontière ; cette spéculation est surtout le fait de négociants spécialisés qui tirent parti de l'importante demande de viande qui existe au Nige-ria.

Il est certain que Maradi tire l'essentiel de son dynamisme des mouvements d'exportation et de transit dirigés vers le pays voisin ; c'est à eux, incontestablement, que cette ville doit sa prospérité ac-tuelle 18. Il n'en est pas moins vrai que les transactions internes sont loin d'être négligeables : en 1971, l'agence locale de la Copro-Niger a importé pour une valeur de près de 490 millions de francs CFA de [33] marchandises qu'elle a ensuite réparties entre les trois grandes maisons de commerce (CFAO, SCOA, Niger-Afrique), un commer-çant syrien et quatre marchands nigériens. Tous ayant revendu la plus grande partie de ce qu'ils avaient acquis aux détaillants locaux, c'est donc entre les mains de ces derniers que la presque totalité des mar-chandises importées a abouti finalement. Un réseau serré les a ensuite redistribuées sur place, dans les villes voisines (Dakoro, Gazawa, Tes-sawa, Madawa) et jusqu'au fond de la brousse.

Contrastant vigoureusement avec la stagnation qui se manifeste en matière de production agricole on note donc un remarquable dyna-misme sur le plan commercial. On assiste de ce fait à l'émergence d'une classe de marchands — désignés globalement sous le nom de alhazai, car la majorité d'entre eux ont effectué le pèlerinage de La

18 La guerre du Biafra, en isolant le nord du Nigeria de ses communications vers la mer, a, semble-t-il, donné l'impulsion initiale à cet essor ; aujour-d'hui, le jeu entre le double taux, officiel et officieux, de la livre nigériane permet de fructueuses spéculations.

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Mecque — dont l'importance économique et politique ne fait que croître.

Les bénéfices dégagés grâce à cette intense activité marchande servent à alimenter de nouvelles spéculations commerciales, soit à acheter du matériel de transport (automobiles, camions), soit à faire construire des maisons qui sont ensuite louées. Ce n'est que de ma-nière exceptionnelle qu'ils sont investis dans l'agriculture. Certes, nous l'avons dit plus haut, un mouvement se dessine dans le sens d'une mainmise exercée par les citadins sur les terres situées au voisinage immédiat de la ville, mais cela est surtout vrai pour les zones de vallée où l'on peut pratiquer la culture irriguée. Certains commerçants pos-sèdent toutefois d'assez grands domaines fonciers, même sur la dune. Cependant, les motifs qui les animent sont assez ambigus et l'on n'a pas l'impression que la recherche directe du profit soit, dans ce cas précis, leur première préoccupation. C'est ainsi, notamment, que la plupart d'entre eux préfèrent faire appel à la main-d'œuvre salariée plutôt que d'utiliser du matériel de culture attelée ; cela, en dépit des dépenses élevées qu'ils sont ainsi amenés à consentir. Aucune étude systématique n'a, malheureusement, été menée sur ce point ; néan-moins tous ceux que j'ai rencontrés insistent sur le fait que leur exploi-tation agricole leur coûte plus qu'elle ne leur rapporte. Un rapide cal-cul effectué à partir de données générales tend à confirmer leurs dires : le temps minimum nécessaire pour cultiver un hectare d'ara-chides est estimé à 60 journées/homme (BDPA, 1965, p. 22), ce qui, au prix de 125 francs CFA par journée de manœuvre, représente une dépense totale de 7 500 francs CFA ; pour un rendement de 700 kilos à l'hectare, le [34] revenu correspondant serait de 10 500 francs CFA, ce qui ne laisse, on le voit, qu'un solde assez réduit. Si l'on faisait ren-trer en ligne de compte les frais de nourriture de la main-d'œuvre (25 francs CFA par jour et par personne, en moyenne), l'achat de fumier et de semences, le bénéfice serait sans doute proche de zéro. Mais, en réalité, le prix de la journée de travail est la plupart du temps nette-ment plus élevé (de 150 à 200 francs CFA) ; le rendement à l'hectare n'est susceptible d'atteindre 700 kilos à l'hectare qu'en très bonne an-née (Pehaut, 1970, p. 40), et à la condition que la terre ait été abon-damment fumée ; enfin, le nombre des journées de travail nécessaires est très probablement supérieur à 60 — dans bien des cas les évalua-tions proposées dépassent 100 (BDPA, 1965, p. 22). Il semble donc

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bien que, dans beaucoup de cas, les dépenses doivent effectivement dépasser les recettes.

Si les Alhazai consacrent néanmoins une certaine part de leurs acti-vités et de leur capital à l'agriculture, ce faisant ils obéissent beaucoup moins à des objectifs « économiques », au sens qu'on donne à ce terme dans nos sociétés, qu'au souci de se conformer à une certaine image sociale du riche : un homme puissant dont les greniers pleins recèlent d'inépuisables réserves — surtout de mil — et qui peut, en cas de besoin, dispenser son aide à ceux qui se sont placés sous sa protection 19. Dans cette perspective le recours à la main-d'œuvre appa-raît tout à la fois comme un détour permettant de porter assistance à ceux qui pendant la saison des cultures cherchent du travail afin d'acheter du mil (le salaire étant d'ailleurs souvent payé en nature) et en corollaire comme un moyen pour se constituer et entretenir un ré-seau aussi étendu que possible de clients, de protégés, d'obligés 20. Les préoccupations qui les animent sont donc essentiellement d'ordre so-cial et même pourrait-on dire politique. Elles prennent leur véritable signification à la lumière des [35] représentations traditionnelles d'une fortune (arziki) aux multiples facettes qui, tout autant que richesse d'argent, doit être « fortune en hommes » (arikim mutane), c'est-à-dire faculté d'exercer son emprise sur l'entourage social (Raynaut, 1973a).

N'est-il pas révélateur que d'aussi subtils spéculateurs, qui savent déployer toutes les ressources de leur intelligence et de leur compé-tence économique dans la recherche d'un profit commercial, ne voient essentiellement dans l'agriculture que l'élément d'une stratégie so-ciale ? N'est-ce pas tout simplement parce qu'ils considèrent que ce

19 Cette fonction symbolique du grenier est tellement ressentie que certains riches commerçants font effectivement édifier, soit dans leur enclos, soit dans leurs champs, de gigantesques cuves d'argile, aux proportions démesu-rées, dans lesquelles ils entreposent leurs récoltes et qui constituent la mani-festation concrète et évidente de leur fortune.

20 En dépit du salaire versé, la relation employeur/employé est loin d'être tota-lement dépouillée de sa coloration personnelle. Au contraire, c'est tout natu-rellement qu'un glissement s'opère vers l'univers des rapports de parenté : le fait de payer quelqu'un implique, dans une certaine mesure, qu'on l'accepte si ce n'est comme un fils, du moins comme un « domestique » (bara), au plein sens du terme, et que l'on se situe vis-à-vis de lui comme un « patron » (uban gida), ce qui signifie que l'on reconnaît avoir, à quelque degré, des obligations d'assistance à son égard.

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type d'activité ne peut pas leur apporter de bénéfices satisfaisants et que les investissements que l'on peut y faire ne sauraient y trouver une rémunération comparable à celle qui leur est offerte dans le domaine du commerce ? En effet, ainsi que le faisait remarquer récemment l'agronome R. Dumont : « En Afrique tropicale sèche les cultures pro-posées à l'époque coloniale — arachide et cotonniers — ne procurent que de très minces recettes. [...] Jamais un colon français n'a cultivé l'arachide ni le coton, abandonnant ces cultures aux Africains pour se consacrer au rôle plus lucratif d'usinier ou de traitant » (Le Monde, 16 mai 1973).

4. LA STAGNATION TECHNIQUE COMME ÉLÉMENTD'UNE STRATÉGIE ÉCONOMIQUE GLOBALE

Nous touchons là à ce qui constitue peut-être le cœur du problème de la stagnation des techniques agricoles ; ce par quoi elle se révèle être non pas un phénomène accidentel mais, au contraire, une mani-festation de la logique profonde d'une certaine organisation écono-mique. Les cultures d'hivernage constituent une entreprise trop peu rentable et beaucoup trop périlleuse pour être susceptible d'attirer des investissements. En revanche, les opérations commerciales qui se si-tuent en « aval » — c'est-à-dire qui consistent à acheter les denrées agricoles une fois qu'elles ont été récoltées et qu'on ne risque plus, par conséquent, de subir les aléas inhérents à leur production — sont tout à la fois sûres et fructueuses. C'est cette double constatation qui a gui-dé la politique des détenteurs de capitaux depuis le début de l'action en faveur du développement de la culture arachidière jusqu'à aujour-d'hui. Cette politique peut se résumer à l'aide des principes suivants : immobiliser le moins d'argent possible dans les activités de production agricole, récupérer au maximum la monnaie introduite [36] au sein de

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la communauté rurale 21, laisser les agriculteurs supporter la plus grande partie des risques climatiques.

A vrai dire, dans la mesure où l'objectif prioritaire était beaucoup moins l'amélioration effective des conditions de vie et de production des populations locales que la recherche d'une rentabilité maximum des capitaux engagés, cette manière de procéder était la plus « ration-nelle ». N'a-t-on pas assisté depuis quarante ans à une croissance ra-pide et soutenue du volume de l'arachide commercialisée sans qu'il ait été nécessaire d'améliorer sensiblement les outils et les techniques ? Cette progression s'est faite presque uniquement grâce au surcroît d'ef-forts fournis par les cultivateurs et par une augmentation des surfaces consacrées à la plante de traite. Selon les services du ministère de l'Economie rurale, la superficie occupée par l'arachide serait passée de 73 000 hectares en 1934 à 349 000 hectares en 1961 ; ces estimations, répétons-le encore une fois, n'ont pas grande valeur en elles-mêmes (surtout en ce domaine, alors qu'il n'y a ni cadastre, ni sondages systé-matiques, ni carte de la végétation) ; elles traduisent néanmoins la per-ception empirique d'un phénomène. Selon les mêmes sources, l'aug-mentation des tonnages que l'on a observée entre 1961 et 1967 (ils ont presque doublé) serait l'effet non plus d'une extension des surfaces, mais d'une amélioration des rendements. Cette affirmation paraît pure-ment gratuite car d'une part elle ne repose sur aucune mesure de ter-rain et, en outre, la seule innovation technique qui ait connu une large

21 Cette récupération était un objectif déclaré des maisons de commerce : « La dernière traite fut bonne mais les maisons de commerce ont constaté avec amertume que l'argent mis sur le marché par elles pour leurs achats d'ara-chide ne rentrait pas dans leurs coffres », lit-on dans un rapport économique du cercle de Maradi daté de 1953 (Archives de la Présidence de la Répu-blique, Niamey). En cela elles recevaient d'ailleurs souvent la bénédiction de l'administration qui favorisait délibérément la liaison entre vente de l'ara-chide et achat par les producteurs de produits manufacturés et spécialement de tissus : « L'arachide a été poussée ; elle aurait pu l'être encore davantage. On doit en faire trois fois plus l'année prochaine ; on peut en faire cinq fois plus si les étoffes arrivent à temps au moment de la traite », déclarait, dans son rapport du 4 septembre 1943, le chef de subdivision de Tessaoua (Ar-chives de Tessaoua). En 1948, par un arrêté du 26 novembre (n° 1738), le gouverneur du Niger établissait une réglementation selon laquelle les agri-culteurs ne pouvaient acheter de tissus que sur présentation d'un bon de dé-blocage délivré au prorata de leurs apports sur les marchés de traite à raison de 11,50 mètres par tonne d'arachide.

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diffusion durant cette période a été, nous l'avons vu, l'usage de se-mences sélectionnées, ce que ne semble pas justifier une telle crois-sance. En revanche, l'ouverture de douze marchés [37] de traite sup-plémentaires dans le seul département de Maradi entre 1963 et 1969 indique bien que de nouveaux domaines géographiques ont été gagnés à la culture arachidière durant ces sept années.

En fait, d'un strict point de vue de gestion financière, on doit re-connaître que l'immobilisation de capitaux afin d'améliorer les tech-niques de production agricole ne se justifiait pas, car une progression satisfaisante des volumes commercialisés pouvait être obtenue à moindre coût, c'est-à-dire en laissant jouer un processus « naturel » de croissance. Que le recul du mil fût susceptible d'entraîner une rupture de l'équilibre alimentaire, que la surexploitation des sols débouchât inéluctablement sur son appauvrissement et sur une baisse des rende-ments, c'étaient là des problèmes qui, par leur nature et leur échelle temporelle, étaient étrangers aux exigences de rentabilité immédiate des capitaux investis.

Il est bien évident, néanmoins, que, dès l'époque coloniale, l'admi-nistration et les services compétents commencèrent à s'inquiéter des suites d'une évolution dont ils avaient pleinement conscience 22. Non seulement au niveau des hommes de terrain mais à celui des services de planification de la France d'outre-mer, on reconnut la nécessité de travailler dans le sens d'une augmentation de la productivité. Dans le cadre du plan de 1953-1957, des actions furent entreprises afin de fa-voriser, par le canal des sociétés mutuelles de production rurale, la diffusion de techniques nouvelles — la culture attelée en particulier (Nicolas, 1956). Après l'indépendance, et dans le cadre des perspec-

22 C'est ainsi que le gouverneur du Niger déclarait dans une lettre adressée au commandant de cercle de Maradi et datée du 29 janvier 1954 : « La culture de l'arachide a maintenant atteint un plafond qui ne saurait en aucun cas être dépassé ; malgré le prix rémunérateur offert au producteur, son extension au détriment des cultures vivrières s'avère dangereuse. J'entends qu'aucun hec-tare de mil ou d'autres produits vivriers ne soit désormais distrait par les cultivateurs au bénéfice de la culture de l'arachide et vous demande d'inviter tous vos chefs de circonscription à ne pas ménager leurs efforts au cours des mois à venir pour lutter contre cette tendance » (Archives de la Présidence de la République, Niamey). La quantité d'arachide commercialisée cette année-là s'élevait à près de 26 000 tonnes pour le cercle de Maradi ; douze ans plus tard — en 1966 — elle avait triplé : 75 000 tonnes !

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tives décennales de développement, l'effort s'est considérablement accru, et la distribution de semences, de produits phyto-sanitaires, de matériel agricole, d'engrais ainsi que la vulgarisation de différents thèmes techniques sont devenues les principales, si ce n'est uniques, tâches de plusieurs services et organismes : UNCC, animation [38] rurale, services de l'Agriculture. Mais l'écart est grand entre les déci-sions administratives, les directives d'un plan et leur réalisation concrète. Aussi louables qu'aient pu être toutes ces intentions, les pro-grès effectifs ont été très faibles, et les résultats obtenus demeurent extrêmement fragiles. Pour tenter d'expliquer cet insuccès, on peut invoquer des erreurs, des insuffisances qui se sont manifestées à diffé-rents niveaux : méthodes d'animation destinées à vaincre les résis-tances du milieu rural, fonctionnement interne des services adminis-tratifs et techniques ainsi que la coordination entre leurs actions res-pectives, formation et importance numérique du personnel de terrain, qualité du matériel proposé, etc. Effectivement, ce sont là autant de constatations qui traduisent des réalités concrètes et dont chacune ex-prime un aspect particulier du phénomène de stagnation des tech-niques agricoles. Néanmoins, en dépit de l'importance que leur confère l'évidence, ces faits ne représentent que des causes accessoires et, somme toute, des phénomènes contingents. La détermination fon-damentale, il faut la rechercher au plan des structures économiques globales, c'est-à-dire de la position qu'occupe le monde rural au sein du système général de circulation et de répartition des richesses.

Nous avons décrit plus haut le mouvement de va-et-vient dont sont affectées les espèces monétaires, l'intense ponction à laquelle sont soumises les richesses produites par les communautés paysannes, que ce soit par le canal de l'impôt ou par celui du commerce des biens de consommation importés. A l'orée de la saison sèche, la plupart des agriculteurs ne conservent du produit de leur travail que le strict mini-mum nécessaire pour leur permettre de survivre tant bien que mal jus-qu'à la récolte suivante.

Tout au long de ces vingt dernières années, cet état de fait s'est sensiblement aggravé, car, tandis que la pression fiscale et le prix des denrées de consommation augmentaient dans de notables proportions, le pouvoir d'achat des produits agricoles diminuait sensiblement. C'est ainsi qu'en 1952 il fallait vendre 24 kilos d'arachides décortiquées (à 16 francs CFA le kilo) pour s'acquitter de l'impôt d'une personne ; en

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1963, il fallait en vendre 40 kilos (à 24 francs CFA le kilo) ; et, en 1970, il fallait en vendre 70 (à 21 francs CFA le kilo). Le calcul est plus difficile pour les céréales car le cours, non fixé officiellement, est très fluctuant d'une année sur l'autre ; la tendance n'en est pas moins identique, ainsi que le montre la très faible augmentation de la valeur nominale du mil que l'on constate à vingt ans de distance : 8 à 15 francs CFA le kilo en 1948 ; 10 à 20 francs CFA [39] en 1971 23. En ce qui concerne l'évolution du prix des produits importés — tissus, sel, sucre... —, est-il besoin de préciser que, comme partout ailleurs, elle a suivi une courbe constamment ascendante ? Pour s'en tenir au passé récent, on note qu'entre 1968 et 1971 le kilo de sucre est passé de 75 à 85 francs CFA (140 francs CFA en 1974 !) ; le sel, de 500 à 625 francs CFA le sac de 25 kilos ; la percale, de 675 à 750 francs CFA les 10 yards.

Il convient également de signaler un autre mécanisme de détourne-ment d'une part importante des richesses produites par les agricul-teurs : c'est celui qui intervient au niveau de la commercialisation de l'arachide. En ce qui concerne la pratique des maisons de commerce durant la période coloniale, la preuve n'est plus à faire (encore que, selon Pehaut, celles-ci semblent avoir fait plus de bénéfices avec la vente des marchandises importées). En revanche, il est intéressant de noter que très peu de choses ont changé à cet égard depuis la prise de contrôle par l'État nigérien des circuits de commercialisation et la création de la SONARA. En effet, grâce au décalage entre l'évolution du cours mondial CAF de l'arachide et celle du prix payé aux produc-teurs, cette société d'économie mixte a pu faire ces dernières années des bénéfices importants 24. Ceux-ci sont théoriquement allés alimenter la caisse de stabilisation des prix, mais, comme en fait cette dernière a opéré des versements substantiels au budget de l'État (dont 1 345 mil-lions en 1972), on peut dire que, comme l'impôt, les prélèvements opérés sur la production arachidière par le biais de la commercialisa-tion de l'arachide ont servi dans une large mesure à assurer le maintien de l'appareil politique et administratif.

23 Les différents chiffres que nous donnons ici sont tirés de documents offi-ciels d'archives ainsi que de l'annuaire statistique de l'AOF.

24 Entre 1967 et 1970, le prix au producteur est passé de 18 à 21 francs CFA et le prix CAF de 38,70 à 54 francs. En 1968-1969, les bénéfices de la SO-NARA étaient de 600 millions CFA ; en 1971-1972, de 1 653 millions.

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Aujourd'hui comme hier, par conséquent, le monde rural demeure le jeu de mécanismes dont l'ampleur le dépasse et qui tendent à le dé-pouiller de la majeure partie des richesses qu'il a pu acquérir par l'exercice de son travail. Dans l'état d’« anémie » économique où le plongent les ponctions auxquelles il est continuellement soumis, il est évident qu'une stratégie de développement qui fait peser sur lui l'es-sentiel du poids des investissements nécessaires à la modernisation de l'équipement agricole 25 est nécessairement vouée à l'échec.

[40]Pour répondre à la question qui servait de titre à ces dernières ana-

lyses, nous pouvons dire maintenant : oui. Réduire le phénomène du sous-développement agricole à un phénomène de modernisation tech-nique insuffisante conduit à négliger ce qui en constitue la racine pro-fonde. En effet, la stagnation technique n'est elle-même qu'une consé-quence ; elle ne prend sa véritable signification que par rapport à la logique d'un système économique global pour lequel l'amélioration des moyens de production agricoles a été, jusqu'à maintenant, non seulement inutile mais encore peu souhaitable. Contre la force d'une telle logique, toutes les bonnes volontés, toutes les tentatives de plani-fication, toutes les directives administratives et politiques se sont bri-sées. Il fallait que le mouvement engagé allât jusqu'à son terme, que le processus « naturel » de croissance, fondé essentiellement sur une progression des surfaces et des quantités de travail consacrées à l'ara-chide, se poursuivît jusqu'à sa limite. C'est aujourd'hui chose faite : à peu près toutes les terres utilisables ont été exploitées, surexploitées même, et l'on approche d'un seuil au-delà duquel l'extension des su-perficies, l'accroissement de l'effort consenti par les cultivateurs seront compensés par une baisse des rendements et une aggravation de la vulnérabilité à l'égard des variations climatiques.

La plupart des exemples que nous avons présentés au cours de cette étude se rapportaient à une zone géographique limitée : la région de Maradi, située au cœur du bassin arachidier nigérien. Les pro-

25 Ce qui est constamment le cas, en dehors de quelques opérations extrême-ment localisées telles que les aménagements hydro-agricoles. C'est en effet, le paysan lui-même qui doit faire la plus grande part de l'effort nécessaire à l'achat du matériel de culture attelée, de l'engrais, des fongicides, etc. Le crédit en ce domaine n'est d'aucun secours réel, nous l'avons vu, car il ne fait qu'aggraver l'endettement et accroître le degré d'insécurité.

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blèmes que nous avons été amenés à évoquer ont toutefois une portée beaucoup plus générale. La famine qui sévit en 1973 du Tchad au Sé-négal nous en apporte la preuve douloureuse. Certes, dans ce cas, la sécheresse doit être largement incriminée, mais, ainsi que le fait ob-server R Le Roy Ladurie à propos des rapports entre fluctuations cli-matiques et fluctuations économiques dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles : « L'accident climatique n'est, comme il arrive souvent, qu'un élément provocateur ; et il fait jouer des causes profondes, hu-maines, plus durables que lui 26. »

[41]Dans toute cette frange de l'Afrique sèche, l'augmentation de la

productivité du travail agricole est devenue maintenant une nécessité devant laquelle il n'est plus possible de reculer. Mais, cette nécessité, ce n'est pas en termes de rentabilité économique qu'elle s'impose : pas plus qu'hier, l'agriculture n'est aujourd'hui une « bonne affaire ». Dans la situation limite qui est atteinte maintenant, le critère du profit est totalement dépassé ; ce qui est en jeu, c'est la survie de millions de cultivateurs et d'éleveurs et l'existence même de pays dont la sub-stance humaine peut s'évanouir sous l'effet d'un puissant mouvement d'exode.

Bien que tous les problèmes techniques ne soient pas encore réso-lus, ce n'est sans doute pas à leur niveau que se situent les obstacles véritables : une application cohérente des thèmes proposés par la re-cherche agronomique pourrait effectivement permettre un accroisse-ment sensible des rendements. Une autre question est de savoir s'il est souhaitable de continuer à assimiler développement de l'agriculture et augmentation de la production arachidière. En effet, indépendamment du problème crucial de la concurrence avec le mil — qui peut, en fait, être résolu par le biais d'une amélioration des rendements —, il est clair que l'évolution des cours mondiaux rendra à l'avenir cette culture de moins en moins rémunératrice aussi bien pour les producteurs que pour d'éventuels investisseurs. Sur le plan des principes cela est d'ailleurs admis et des efforts sont faits dans le sens d'une diversifica-tion des cultures (généralisation du haricot niébé, par exemple) et d'un développement de l'élevage.

26 Cité dans Braudel et Labrousse, 1970, p. 393.

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Quoi qu'il en soit, l'essentiel n'est pas là : aussi valables que puissent être, en elles-mêmes, les solutions économiques et agrono-miques envisagées, tout projet visant au développement de l'efficacité des moyens de production restera lettre morte tant que ne sera pas préalablement levé le fardeau qui écrase les paysans ; tant que, leur ôtant d'une main ce qu'on leur donne de l'autre, on les mettra dans l'impossibilité matérielle d'accomplir les efforts financiers que l'on réclame d'eux ; tant qu'on n'aura pas admis que ce n'est pas à eux de supporter la plus grosse part des risques qu'entraîne l'innovation — car, pour eux, l'enjeu est vital — ; tant que l'on ne mettra pas tout en œuvre 27 afin de leur permettre de franchir le cap au-delà [42] duquel ils jouiront dune sécurité suffisante pour pouvoir, enfin, prendre des initiatives dans le domaine de la production agricole, faire des paris sur l'avenir avec une chance raisonnable de réussite.

Printemps 1974

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27 Sous forme de subventions, de prêts dont le remboursement serait modulé en fonction des fluctuations climatiques, d'aménagements et d'achats d'équi-pement pris en charge par les pouvoirs publics et les organismes d'assis-tance.

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Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 2

“LA SÉCHERESSEDANS UN VILLAGE MOSSI

DE HAUTE-VOLTA.” *

Suzanne Lallemand

I. Ressources et revenus

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Les paysans mossi du village, comme ceux des alentours, cultivent le mil de mai à novembre, durant les pluies ; l'autre moitié de l'année, en saison sèche, ils substituent l'artisanat à l'agriculture : le groupe des forgerons travaille le bois et le fer, et certains d'entre eux, spécialistes des bijoux traditionnels, le cuivre et l'argent ; leurs épouses sont po-tières. Les autres villageois s'adonnent au tissage, et même parfois cousent des habits, ou les teignent dans les fosses d'indigo ; toutes les femmes filent le coton ; en revanche, peu d'entre elles assurent la

* * Les données présentées ci-dessous ont été recueillies dans une petite locali-té de 440 habitants, dans le Yatenga (cercle de Kongoussi) ; nous y enquê-tons depuis 1968, le dernier de nos séjours ayant été effectué d'octobre à décembre 1973. La région, située en zone de savane, a été officiellement déclarée sinistrée en 1973.

Nous remercions M. Ouétian Bognounou, botaniste du Centre voltaïque de recherche scientifique, qui a procédé à l'identification des échantillons de végétaux cités dans l'article.

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confection et la vente de la bière de mil que désapprouve un nombre grandissant de voisins et de parents convertis à l'islam.

Les moyens de subsistance et les gains de cette population rurale sont aisément quantifiables, quoiqu'ils varient considérablement d'une [45] année à l'autre en raison des aléas de la pluviosité. Aussi, avant d'aborder la description des conséquences de la sécheresse dans cette agglomération, allons-nous inventorier les ressources locales des an-nées « moyennes » en utilisant notre étude d'un budget familial menée en 1970-1971.

1. LES SORGHOS ET PETITS MILS

Chaque famille étendue réserve un vaste champ de brousse (pu kenge) à la culture collective de plusieurs variétés de ces céréales in-dispensables à l'alimentation quotidienne. Excédentaires, elles sont stockées et, en principe, non vendues. Cependant, jeunes gens et femmes mariées monnayent parfois, sur les marchés de brousse, une part des récoltes obtenues sur leurs champs personnels (beulse). Mais, depuis une dizaine d'années, les gens déplorent l'insuffisance chro-nique de leur production : les greniers ne contiennent plus ces réserves qui, selon les vieux, pouvaient parfois correspondre à deux ans de nourriture. Tous les deux ou trois ans, désormais, les villageois connaissent, de juillet à octobre (moment des récoltes du maïs puis des mils hâtifs) une période de disette plus ou moins rude.

2. LE COTON

Inversement, depuis plus d'une décennie, la production cotonnière ne cesse de s'accroître sous l'impulsion d'organismes étrangers. Et, si certains paysans ne consacrent encore à cette culture que le cinquième des terres dévolues aux céréales, beaucoup de chefs de familles dé-frichent tous les ans un champ nouveau de coton d'une superficie égale à la moitié de leur champ de mil.

À l'exception de quelques paniers de coton nécessaires au renou-vellement de l'habillement familial et à quelques ventes locales de fil

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ou de tissages, cette denrée est vendue brute. Les hommes en retirent des sommes très variables, partiellement destinées à payer l'impôt de capitation. Prenons le cas d'Omaru Ouédraogo (38 ans) secondé par sa femme (35 ans) ; tous deux sont réputés pour leur acharnement au tra-vail ; leurs gains (plus exactement ceux d'Omaru) furent les suivants : 1968, 9 000 francs CFA ; 1969, rien (il souffrit d'une filaire à la jambe) ; 1970, 12 000 francs CFA ; 1971, 7 500 francs CFA.

[46]

3. L'ARACHIDE

Cultivée par les femmes, cette denrée est surtout autoconsommée ; néanmoins, les faibles quantités qu’elles proposent au marché sont souvent achetées par les représentants de l'Office régional de dévelop-pement. Ainsi, en 1971, dans l'enclos où nous résidions, trois per-sonnes avaient vendu quelques tines d'arachide : Agiratu (27 ans) re-çut alors 750 francs CFA, Hado (35 ans) 975 francs CFA, et Ku-myamba (60 ans) 650 francs CFA.

4. L'ÉLEVAGE

Les agriculteurs des deux sexes ne se séparent qu'à contrecœur des moutons, chèvres et poulets qu'ils élèvent ; mais aussi rares sont ceux qui disposent de plus d'une dizaine d'ovins, lesquels sont destinés en priorité à la célébration de fêtes musulmanes comme aux cérémonies traditionnelles. Un poulet peut atteindre 100 francs CFA, un mouton dépasser 1 000 francs CFA. Mais il est difficile de comptabiliser ces ventes assez irrégulières, comme il est impossible de faire figurer dans un budget celles de gros bétail, apanage de quelques chefs de famille qui ne dessaisissent que rarement l'éleveur peul des vaches qui lui sont confiées.

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5. FILAGE, TISSAGE, TEINTURE

De décembre à mai, les Mossi qui n'appartiennent pas au groupe des forgerons tissent des bandes de coton que leurs épouses ont préa-lablement filé. Celles-ci vendent aussi à l'extérieur quelques fuseaux, ce qui leur rapporte entre 500 et 1 500 francs CFA par an. Les teintu-riers, qui plongent les habits dans un colorant longuement préparé, s'estiment heureux de retirer 1 250 à 1 500 francs CFA de ce travail, échelonné sur plusieurs mois ; ils peuvent le concilier avec le tissage, lequel occasionne des gains variant entre 500 et 4 000 francs CFA.

6. ACTIVITÉS DES ARTISANS ENDOGAMES

— Les potières, qui, comme les autres femmes, filent en saison sèche, ne s'adonnent qu'un mois à la fabrication de la vaisselle locale ; [47] elles exécutent entre soixante et cent pièces — du gros canari ko-nyugu vendu 115 francs CFA, et produit à une demi-douzaine d'exem-plaires, jusqu'au petit récipient à sauce, tara, qui vaut 10 francs CFA mais peut atteindre cinquante exemplaires. La pratique du troc (mil contre pot) rend malaisée l'appréciation des ressources monétaires provenant de ce travail ; on peut évaluer à 2 000 francs CFA la totalité des « ventes », la moitié d'entre elles s'étant effectuées sans recours à l'argent.

Les fabricants de houes, également, tantôt monnayent leurs dabas, tantôt les échangent contre du mil. Ils en confectionnent une centaine chacun, lors de la période sèche (il leur faut, auparavant, se procurer des ressorts de camion à 1 000 francs CFA, ce qui fournit la matière première de cinquante de ces objets), et les proposent à 100 francs CFA pièce. Ils disposent donc annuellement de 4 000 francs CFA de liquidités, au maximum, et d'une quantité de mil équivalente à cette somme.

Le bijoutier-armurier se rencontre plus rarement que le précédent artisan ; il offre ses fusils à 1 000 ou 2 000 francs CFA pièce (selon que le client lui a fourni ou non le tuyau de métal) ; il les répare, aussi,

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pour 150 francs CFA ; cette spécialité lui rapporte entre 5 000 et 10 000 francs CFA l'an.

Avec les pièces d'argent que lui confient ses acheteurs, il fait des bracelets à 150 francs CFA ; les bonnes années, ces parures lui pro-curent environ 3 000 francs CFA.

7. L'ÉMIGRATION EN CÔTE-D'IVOIRE

Elle touche les hommes de quinze à trente ans. Des séjours de vingt à quarante mois, effectués tous les deux ou trois ans, permettent à ces jeunes gens d'acquérir quelques objets d'origine industrielle, et de rapporter au village un peu d'argent : 10 000, 20 000 francs CFA. Les cadeaux à l'entourage, le maintien en état de marche de leurs ac-quisitions (pièces de vélo, piles de transistors, essence pour vélomo-teur), et surtout leurs tentatives commerciales (entreprises de boulan-gerie, commerces de tissus européens, difficilement intégrables par une population à faible pouvoir d'achat) dissipent en peu de temps les sommes économisées à l'extérieur du pays.

[48]Ainsi, les ressources monétaires des habitants de ce village sont

fort réduites : un agriculteur-tisserand peut disposer annuellement de 10 000 francs CFA ; une productrice d'arachide filant en saison sèche, de 2 000 francs CFA ; une cultivatrice-potière, de 3 000 francs CFA ; un forgeron-vendeur de dabas, qui exploite le coton, de 15 000 francs CFA (troc inclus) ; un cultivateur-bijoutier-armurier peut dépasser cette somme.

Ces divers gains, très échelonnés au cours de l'année, ne font pas l'objet d'une thésaurisation ; ils sont employés à l'achat de petit maté-riel agricole (produits pour la conservation des semences, charrettes métalliques), d'habits de fête, de nourriture (condiments, viande quel-quefois), de petits excitants (tabac, kola). Ces dépenses faites, et l'im-pôt payé, rares sont les cultivateurs qui peuvent satisfaire leur envie d'accroître leur troupeau par l'achat d'un couple de volailles, d'un agneau ou, mieux, d'un veau.

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Une grande partie de ces revenus villageois provient donc du co-ton, vendu brut, filé ou tissé. Si la récolte est mauvaise, les gains an-nuels des habitants non-forgerons seront voisins de zéro. Et si la sé-cheresse, qui a atteint le coton, n'a pas permis la maturation du mil, le paysan ordinaire n'a pas la possibilité de compenser l'insuffisance cé-réalière par ses ventes.

II. Situation du village en 1972-1973

1. LE MIL

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Dans cette localité, la récolte de mil de la fin de l'année 1972 fut désastreuse : aucun habitant n'eut de quoi faire la « soudure ». Cepen-dant les productions des divers champs furent loin d'être uniformes, certains habitants disposant de terres situées près d'un bras du marigot, ou de champs dans des dépressions susceptibles de conserver une hu-midité que les pluies ne fournissaient pas. Aussi les plus défavorisés épuisèrent-ils leurs réserves dès la période froide — waodo — de jan-vier 1973, d'autres à tulgo wakate, « moment de la chaleur », vers mars, alors que les moins touchés par la sécheresse auraient pu tirer du mil de leurs greniers jusqu'à koobo, « premier sarclage », durant les pluies, et même jusqu'à ce que ki wan dat nin biisi « le mil veut don-ner les graines » ; ceux-là furent rares.

[49]Ces variations, ces différences de productivité d'une exploitation à

l'autre, se firent à nouveau sentir à la fin de 1973, lors de la nouvelle récolte ; certains cultivateurs furent doublement frappés ; d'autres, re-lativement épargnés lors de la première année de sécheresse, furent à leur tour condamnés à la famine.

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2. LES COURS

Le marché voltaïque du mil varie énormément d'une année sur l'autre et surtout d'une période de l'année à l'autre : cette denrée est vendue à la tine (récipient d'une contenance de 17 kg environ, il en faut six pour 100 kg), laquelle coûtait, avant 1972, 150 francs CFA en novembre, moment de la récolte, mais atteignait 350 francs CFA en juillet-août, période de la « soudure ». Or, à la fin de cette année 1972, après les moissons, le prix du mil était déjà monté à 300 francs CFA la tine ; vers la période chaude de 1973, il valait 700 francs CFA ; puis, en juin, il dépassa 1 000 francs CFA la tine. La boîte de conserves de tomate, adoptée comme instrument de mesure sur les petits marchés de brousse, d'une contenance de moins de 2 kg, soit 1/9 de tine, proposait cette modique quantité de mil à 150 francs CFA, puis jusqu'à 200 francs CFA — ce qui mettait la tine respectivement à 1 350 et 1 800 francs CFA. Compte tenu du numéraire dont dispo-saient alors les villageois, et de la rareté de l'offre locale, cette boîte se révélait merveilleusement adaptée aux échanges... Enfin, vers le mi-lieu de la saison des pluies, concurrencé par des arrivages de sorgho américain (lequel est détesté par la population), vendu par à-coups, puis distribué en petites quantités par l'administration du cercle, le mil voltaïque tomba à 750 francs CFA, à 500 francs CFA en septembre, et en novembre il était revenu à 300 francs CFA la tine.

3. LES BESOINS ALIMENTAIRES

Les villageois se nourrissent presque exclusivement de sarabo, fa-rine de mil cuite à l'eau accompagnée d'une sauce à base de végétaux ; ce plat est préparé une ou deux fois par jour. En septembre la farine de maïs, et, quelquefois, celle de mil-chandelle, remplace le gros mil.

[50]Un individu consomme en moyenne une tine en vingt jours, soit

0,850 kg de mil par jour (enfants et vieillards se contentent souvent dune tine pendant trente jours, soit 0,560 kg, alors que certains adultes absorbent quotidiennement 1 kg de céréales).

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Mais ce n'est pas en tines, correspondant à des quantités trop pe-tites, que le paysan évalue sa récolte annuelle ; il se sert plus volon-tiers des charretées de mil en épis qu'il porte du champ au grenier. Les estimations villageoises de ces charretées varient selon la quantité du mil (mûri convenablement, ou séché sur pied par le soleil) ; elles peuvent représenter 200-250 kg — soit une quinzaine de tines —, mais quelquefois bien plus de 300 kg. Or, les besoins annuels sont de 310 kg par individu. Grosso modo, un chef de famille doit obtenir au-tant de charretées qu'il compte de bouches à nourrir.

Revenons à la récolte de 1972-1973, et prenons le cas de Paringe-manega, forgeron, chef d'une famille de six personnes (une femme, quatre enfants). Les années précédentes, durant lesquelles il ne subit pas de disette mais ne bénéficia d'aucun surplus, il rentrait cinq ou six charretées de mil dans son grenier. À la fin de 1972, Paringemanega ne récolta que deux charretées. Le déficit en mil s'éleva donc à 1 240 kg, soit 72 tines. S'il voulait acheter cette quantité nécessaire à l'ali-mentation des siens, il devait, au minimum, disposer de 21 600 francs CFA (lors du cours le plus bas de la tine, à 300 francs CFA) juste au moment des récoltes ; ou bien, quand ses vivres étaient épuisés, vers juin, trouver la somme de 72 000 francs CFA (à 1 000 francs CFA la tine).

De toute évidence, Paringemanega — pas plus que ses voisins — ne pouvait réunir de telles liquidités, le premier de ces hypothétiques achats correspondant à près du double, et le second au quintuple de ses gains annuels ordinaires.

4. LES CULTURES DE VENTE

Simultanément, la récolte d'arachide fut mauvaise. Les femmes précisent que leurs acheteurs habituels ne se montrèrent même pas ; ils firent bien, car même à 450 francs CFA la tine d'arachide ils n'au-raient pas trouvé de vendeuses.

Quant aux champs de coton, ils produisirent des quantités variables d'une exploitation à l'autre, mais toujours inférieures à la moyenne des années précédentes. La qualité (il y en a trois, du blanc au jaune-brun, [51] donnant lieu à des différences de prix) ne compensa pas, semble-

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t-il, le faible nombre de peore (paniers) proposés à la vente : Sake, forgeron d'âge mûr, ne put même pas monnayer un seul panier. Le chef de l'habitation voisine en vendit un, qui ne lui rapporta que 125 francs CFA ; son fils, d'une trentaine d'années, plus heureux, obtint 1 000 francs CFA pour quatre paniers ; un de ses aînés, 2 500 francs CFA pour huit ; Kiimse, de la famille du chef de terre, réussit à pro-duire vingt-neuf paniers de coton de première qualité qui lui rappor-tèrent 9 000 francs CFA. Personne au village ne parvint à gagner da-vantage.

D'ailleurs, le montant d'une vingtaine de ventes individuelles que nous avons notées donne un gain moyen de 3 000 francs CFA ; nul doute que les années précédentes le chiffre obtenu eût été au moins le double. De même, la récolte de 1973-1974 fut, pour beaucoup, source de déceptions ; en témoigne Kiimse, excellent producteur de 1972 dont les cotonniers séchèrent à la fin de l'année suivante.

Ainsi, les ressources agricoles de subsistance ou de vente faisaient défaut dès le début de l'année 1973. À cette situation angoissante s'ajoutait un autre motif de crainte : le paiement des impôts. L'admi-nistration accepta d'en suspendre l'échéance, les collecteurs ne se pré-sentèrent pas au village. Mais, à la fin de cette même année, les ré-coltes n'ayant pas été meilleures, quelques habitants réussirent néan-moins à réunir une partie des sommes à verser. Deux tiers des habi-tants ne le purent, et devront vraisemblablement acquitter plus tard un arriéré plus lourd, l'impôt étant suspendu pour ces deux ans.

Lorsque la pénurie de vivres se fit sentir de manière aiguë, vers mai-juin, arrivèrent de nombreux groupes d'étrangers fuyant le Nord : Peul, Bella et même Touareg, gens des confins de la Haute-Volta et du Mali, pasteurs sans bêtes ou suivis d'animaux étiques. Des Rimaï-bé, des Kibsi (descendants de Dogon) et même des Mossi vinrent en masse au village. Avec embarras, le chef les reçut, leur permit de s'installer momentanément près du lac, pour se nourrir de nénuphars rabougris dissimulés dans la vase. Mais, très vite, les villageois s'in-quiétèrent de la présence de ces gens de plus en plus nombreux, plus affamés qu'eux, qui leur disputaient les plantes de cueillette. Ils prirent peur et le bruit courut, au début des pluies, qu'un enfant portant la maigre ration alimentaire des cultivateurs [52] travaillant en brousse avait été agressé et volé. Vraie ou fausse, cette rumeur permit aux ha-

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bitants d'exiger notamment le départ des Bella. Les autres étrangers partirent aussitôt, tantôt vers le nord, tantôt en direction de la capitale.

Des arrivants mossi furent mieux accueillis ; ainsi, un couple et ses cinq enfants, incapables de subsister dans une localité des environs de Ouahigouya où ils vivaient, cherchaient à atteindre les régions plus méridionales, non touchées par la sécheresse ; mais, faisant halte au village où vivaient les parents maternels de l'homme, ils furent pris en charge par ces derniers et restèrent.

Ainsi, les villageois, aux prises avec leurs propres difficultés, furent brusquement confrontés aux populations de régions lointaines, plus durement touchées par la sécheresse. Mais, si les réactions de crainte furent plus fortes que les traditions d'hospitalité, c'est que, dès ce moment, l'aide à autrui était désormais impossible : la localité avait à assurer sa propre survie.

III. Les comportements des villageoisface à la sécheresse

1. LE RATIONNEMENT

Le mil est conservé dans de vastes greniers quadrangulaires (ker-do) dont une serrure de bois et de fer défend efficacement l'accès. En période d'abondance, ce sont généralement les femmes, les épouses, qui prélèvent plusieurs fois par semaine les quantités nécessaires à la préparation des repas. Mais, après de mauvaises récoltes, le chef de l'enclos, ou du foyer familial, ne laisse à personne d'autre le soin de mesurer, jour après jour, le grain devenu rare. En 1973, les respon-sables de la consommation familiale ne se contentent pas d'éliminer, par une surveillance attentive, tout gaspillage, ils vont organiser les privations, restreindre de façon draconienne leur alimentation et celle de leurs proches afin que dure le plus longtemps possible l'insuffisante réserve céréalière.

Ainsi, bien avant les périodes de dénuement complet mentionnées plus haut, on peut affirmer que toute la population du village était sous-alimentée. Prenons l'exemple de Sibri, propriétaire d'un grenier

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assurant la nourriture de quatre personnes (lui, sa femme, deux [53] enfants) ; un monde (calebasse contenant la quantité de mil nécessaire au repas du foyer) équivaut, en temps normal, à 1/5 de tine (soit 3,400 kg — 0,850 kg par personne) ; mais, en période de rationne-ment, il fait baisser le niveau du monde jusqu'à ce qu'il ne contienne plus que le 1/12 de tine (soit 1,400 kg par jour, et par personne : 0,350 kg).

De même, Kuka, responsable de seize personnes, précise qu’une tine lui assure tantôt une journée de nourriture, lorsque la récolte a été bonne (soit 1,060 kg par personne et par jour répartis en deux repas), tantôt deux journées (soit 0,530 kg en un seul repas quotidien). Mais les restrictions endurées par les siens furent plus éprouvantes encore en 1973, puisque certaines semaines il ne leur procura qu'une seule tine (soit 0,140 kg par personne et par jour). La plupart des familles utilisèrent le peu de vivres disponibles selon le modèle énoncé par Kuka : au lieu de faire préparer deux boules de mil par jour, elles se contentèrent d'un seul repas pris le soir, puis elles réduisirent les quan-tités de mil de cette unique préparation.

En outre, les maîtres de maison durent faire face à deux nécessités impérieuses : conserver, quoi qu'il arrive, le mil nécessaire aux se-mences de la prochaine culture ; mais certains au village ne le purent pas... et ménager les réserves de telle sorte qu'en juin-juillet, moment des défrichages et des semis, les travailleurs ne soient pas dans un état de faiblesse tel qu'ils ne puissent produire leur subsistance de l'année suivante. Cependant la vigilance des gestionnaires n'était pas seule en cause, et la plupart d'entre eux, ne disposant que de quantités déri-soires, ne purent pallier les besoins lors des nouvelles pluies.

2. LES PLANTES DE SUBSTITUTION

Comment compenser ces excessives diminutions des rations ali-mentaires ? Les gens du village s'y employèrent en collectant feuilles, herbes et graminées de brousse. En temps normal les femmes ont re-cours à bon nombre de végétaux non cultivés pour varier les sauces et préparer des décoctions destinées aux enfants ; les hommes aussi re-cherchent arbres et plantes sauvages à partir desquels ils confec-

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tionnent des remèdes. Cette connaissance des ressources naturelles est particulièrement mise à contribution en période de disette. [54] Ce que l'agriculture n'a pu fournir, la cueillette, peut-être, le procurera.

Aussi, au sarabo, la pâte de mil cuite, se substitue progressivement le nyao, mélange de mil et de feuilles. Les femmes, munies de grands paniers, vont alors parcourir la brousse à la recherche de tout végétal comestible. Malheureusement, si au moment des pluies il est abon-dant, la saison sèche s'en montre plus avare : les parasites weleba du sabega (lannea microcarpia) et du nobega (sclerocarya birrea) sont consommés cuits, après élimination de la première eau de cuisson, tant ils sont amers. Egalement après l'hivernage, vers décembre, fleurs et feuilles du lelungo (leptadenia lancifolia) sont disponibles plusieurs mois, ainsi que les feuilles du zilgo (maerua angolensis) acres au goût. Quant au rhizome de lotus (goyla), une fois bouilli, il évoque le topinambour, et ses graines séchées et pilées, le couscous ; mais il faut un nombre considérable de ces plantes aquatiques pour calmer une faim.

À la saison des pluies, la savane est donc plus féconde — quoique, comme le remarquent les paysans, si la pluie est rare pour le champ, elle l'est aussi pour la brousse. On y trouve cependant le sugoda (cas-sia tora), herbacée ordinairement cueillie pour faire une sauce qui dé-sormais tient lieu — mais sans huile ni sel — de plat de résistance. Et les fruits du lamboye (capparis corymbosa) séchés, écrasés, leurs eaux de cuisson ayant été jetées plusieurs fois, donnent à l'agriculteur l'illu-sion d'une céréale consistante.

Beaucoup d'autres graminées et de feuilles, souvent minuscules, furent utilisées, en 1973. Les femmes, d'abord, assumaient seules ces interminables quêtes alimentaires, que les cultivateurs de mil jugent déshonorantes ; mais la pénurie fut telle qu'ils se joignirent bientôt à elles. Les hommes coupaient les branches qu'épouses et enfants dé-pouillaient de leurs feuilles.

En outre, la chasse n'offre plus aujourd'hui de grandes possibilités alimentaires : le pays mossi, à forte densité humaine, ne recèle guère de gros gibier. Quant à la pêche, elle ne se pratique que durant l'hiver-nage, le rollgo, sorte d'anguille, se raréfiant à mesure que passent les mois de saison sèche et que s'évapore l'eau de cette partie du lac. Aus-si, ne pouvant acheter viande ou poisson, les carences en protéines

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animales, déjà sensibles les années précédentes, durent être très fortes à partir de la fin de 1972.

[55]

3. L'ENTRAIDE VILLAGEOISE

Aux réactions d'hostilité vis-à-vis des groupes étrangers dont nous avons parlé, il faut opposer une solidarité interne (qui se manifesta d'ailleurs avant leur arrivée) très efficace, entre consanguins, alliés, voisins. Ainsi Zaera, de la famille du chef de terre : habituellement, il récolte cinq charretées de mil, qui lui permettent de nourrir cinq per-sonnes (dont lui), mais pour 1972-1973 il n'en obtint qu'une seule. Alors il fit appel à son entourage ; Nikeema, son frère, qui occupe la même cour, mais qui dispose d'une unité de production distincte, était lui-même en difficulté (il n'avait dans son grenier que la moitié de la quantité de mil indispensable à son foyer) ; néanmoins il donna à Zae-ra quatre peore (paniers d'une contenance égale ou supérieure à une demi-tine, soit 8,500 kg) de mil en épis. Cinq villageois, appartenant à un autre lignage de ce groupe nioniose, lui remirent cinq peore. Un ami, forgeron spécialisé dans la confection des dabas, un peogo. Un voisin, bijoutier, lui en fournit un également. Quant à la femme de Zaera, née dans l'enclos du toogo naaba, dignitaire local, elle obtint un panier des gens de son patrilignage ; et, apparentée par sa mère aux résidents wando, elle se fit céder une tine. Au total, 136 kg de mil qui permirent à ce couple et ses enfants de manger encore du mil deux mois (compte tenu des rationnements pratiqués) après que leurs propres réserves furent arrivées à épuisement.

Temene, dont le foyer comporte le même nombre de membres, et dont la récolte fut aussi désastreuse, s'adressa avec succès à un frère germain (4 peore), puis à des membres plus éloignés de sa famille pa-ternelle (2 peore) ainsi qu'à ses cognats (4 peore) ; au maigre produit de son champ s'ajoutèrent donc 85 kg de mil.

Inversement, Salifu, dont la récolte fut l'une des moins mauvaises du village (huit charretées au lieu des neuf escomptées), vécut une mésaventure qui l'honore : alors qu'il pensait ne pas avoir à payer de mil (en diminuant les quantités de céréales, en recourant aux plantes

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d'hivernage), il eut cependant à en acheter au prix fort pendant la sai-son des pluies. En effet, il dut consentir à des dons considérables : il procura du mil à un frère aîné (3 peore), à deux vieilles tantes pater-nelles (6 peore), à une sœur mariée dans une localité voisine, qui vint régulièrement le solliciter tous les dix jours, et ce durant deux mois (6 peore), à deux autres sœurs ou cousines [56] paternelles (2 peore), à deux tantes maternelles (3 peore), à trois hommes, parents utérins (3 peore), au père dune épouse (2 peore) ; au voisin, totalement démuni, venu lui réclamer des semences (1 peogo). Soit 221 kg en tout.

Ainsi s'effectuait une redistribution interne des ressources vi-vrières, palliant les insuffisances les plus criantes, réduisant les diffé-rences, mais aussi obligeant tous les producteurs, également démunis vers la fin de la saison sèche ou au début des pluies, à tenter l'achat de mil au moment où la spéculation est la plus forte et la fluctuation des cours la plus désavantageuse pour eux.

4. L'ARTISANAT ET LES VENTES DE BÉTAIL

Les agriculteurs ne disposaient pas — ne disposent jamais — im-médiatement après leur mauvaise récolte des sommes nécessaires pour acheter en prévision d'une soudure difficile de grosses quantités de mil. Aussi adoptèrent-ils une autre tactique, bien connue de leurs par-tenaires commerciaux ; d'abord ils vendent tout au long de la saison sèche les produits du tissage ou de la forge pour, immédiatement, les reconvertir en petites quantités de mil. Ensuite, au moment où la pé-riode des activités artisanales s'achève, ils se décident à vendre quelques animaux.

Lorsqu'on discute avec eux des inconvénients de cette méthode et qu'on critique ces ventes de bétail effectuées dans la période où les transactions leur sont le moins favorables (les cours du mil sont alors les plus hauts, et leurs bêtes en moins bel état), ils s'amusent de cette rationalité apparente qui ne tient pas compte de leurs besoins ni de certains aspects des rationnements qu'ils s'imposent. Certes, ils se savent victimes d'opérations commerciales tablant justement sur leurs besoins vitaux et leurs comportements saisonniers d'achats et de ventes. Mais ils expliquent que, lorsque le déficit alimentaire est trop

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fort, il est imprudent d'accroître, par l'achat, leur stock de denrées au début de la saison sèche : quelles que soient les privations qu'ils dé-cident d'endurer, il sera consommé complètement au moment où ils auront à fournir, à nouveau, l'effort agricole maximum ; aussi vaut-il mieux subir les pires restrictions en période « creuse » plutôt que de se trouver sans ressources au moment des plus gros travaux.

Cette sagesse du pauvre fut durement mise à l'épreuve en 1973. D'abord les objets de l'artisanat local se dévaluèrent très sensiblement. [57] Sombote, tailleur traditionnel qui assemble les bandes tissées, ne put plus exercer ses talents : aucun voisin ne lui commanda d'habit. En mai, il se rendit à un marché pour vendre des rouleaux de tissage ; alors que l'unité de longueur (mesurée du coude d'un homme jus-qu'aux doigts, avec ensuite repli de l'étoffe sur le poignet) vaut 25 francs CFA, on ne lui en proposa que 10 francs CFA la bande. Non sans amertume il accepta, pressé de convertir ses gains de tisserand en achats de mil. De même, les villageois qui tressent les seccos et confectionnent notamment des portes coulissantes (dagno piiri) qui valent entre 100 et 125 francs CFA ne trouvèrent pas d'acquéreur ; heureux ceux qui purent obtenir 75 francs CFA pour l'une d'elles. Quant aux peore (paniers à base quadrangulaire, au sommet arrondi) à 75 francs CFA, personne n'en voulut ; même proposés à 50 francs CFA, ils n'attirèrent qu'une clientèle fort réduite.

Les teinturiers locaux, habituellement sollicités par les habitants de plusieurs villages à la ronde, n'eurent cette année que très peu de pagnes à bleuir, et leurs rares pratiques bénéficièrent de prix excep-tionnellement bas : 75 à 100 francs CFA au lieu de 150 francs CFA (pour le pagne à huit bandes) et de 175 francs CFA (pour celui à neuf bandes) ; en outre, ce travail exige une mise de fonds (achat de boules d'indigo et de sachets de teinture industrielle) qui s'élève à 1 225 francs CFA ; or plusieurs spécialistes ne disposèrent pas de cette somme, d'autres, la première mixture ayant tourné, ne la renouvelèrent pas ; beaucoup de fosses furent donc inemployées en 1973.

Le fabricant de fusils, qui avait confectionné dix armes, de dé-cembre à mai, n'en vendit que deux ; encore avait-il baissé ses prix autour de 900 francs CFA pièce. Et les bijoutiers qui font, bon an mal an, une demi-douzaine de bracelets à la demande, restèrent sans tra-vail ; seul l'un d'entre eux reçut deux commandes.

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Quant aux forgerons qui pourvoient leurs voisins en dabas, et aux potières qui produisent la vaisselle, on a vu qu'ils pratiquent indiffé-remment la vente ou le troc. Les années précédentes, la houe coûtait 100 francs CFA ou un panier de mil en épis, soit environ une demi-tine ; cette quantité correspondait à un cours local assez stable, situé aux alentours de 200 francs CFA la tine (intermédiaire entre celui des périodes de récolte, 150 francs CFA, et celui de la soudure, 350 francs CFA). Bien que la demande locale de houes soit, en principe, incom-pressible, Kuka, l'un des forgerons, assure [58] qu'il n'eut que trente clients au lieu de la centaine escomptée ; quelques-uns lui fournirent le panier de mil habituel, mais il considéra ce geste comme un don déguisé plutôt qu'un achat. De leur côté, les potières qui vendent leurs gros canaris koyugu 115 francs CFA auraient accepté que les villa-geoises les leur prennent pour 75 francs CFA... De plus, l'échange pot contre mil s'adaptant aux fluctuations de prix de cette denrée, le yure (récipient à col étroit) d'une valeur de 70 francs CFA leur procurait 4,200 kg de mil au début de la période froide, mais seulement 1,200 kg à la fin des chaleurs.

L'artisanat, reposant exclusivement sur la demande rurale, ne pou-vait de toute évidence pallier l'insuffisance des récoltes de mil et la faiblesse des gains cotonniers. Restait la vente de bétail, orientée vers le consommateur citadin ou le commerçant exportant les troupeaux vers les pays côtiers. Nous avons souligné les résistances que soulève localement la vente d'ovins et de bovins, surtout destinés à assurer la cohésion familiale (abattage lors de festivités religieuses) et sociale (cadeaux interlignagers). « Chez les Mossi, tout se règle par des mou-tons », nous assura Patenema, qui, poussé par la famine, dut en vendre six. Du premier, il obtint 1 250 francs CFA, prix acceptable, mais, du sixième, 700 francs CFA seulement, soit le prix d'une chèvre en temps ordinaire. Mais, parallèlement, celle-ci se dévaluait aussi, puisque Sa-nusa, qui se défit de trois têtes de ce bétail, vendit la première fin mai 350 francs CFA (donc la moitié de son prix habituel), la seconde 300, la troisième 250. Cette dernière chèvre ne lui permit de payer que 3,400 kg de mil à 1 000 francs CFA la tine, soit à peine quatre jours de nourriture pour une seule personne ; encore dut-il faire vingt-cinq kilomètres pour se rendre à la ville la plus proche, car seuls les fonc-tionnaires disposaient d'un pouvoir d'achat suffisant pour acquérir des animaux à ce prix.

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Au même moment, un forgeron, chef de famille, se résolut à vendre un bœuf d'une valeur de 25 000 francs CFA ; il réussit à le monnayer 11 500 francs CFA, ce qui assura une vingtaine de jours de nourriture aux seize membres de sa famille. D'autres qui ne possé-daient que des veaux les vendirent alors (acte éminemment absurde aux yeux des Mossi, puisque la bête, en grandissant, décuple presque sa valeur initiale) contre deux ou trois tines de nourriture. Beaucoup de villageois, qui s'étaient ainsi dépouillés de leurs animaux [59] à des prix dérisoires, ne gardèrent même pas les couples nécessaires à la reconstitution de leur cheptel.

5. L’ÉMIGRATION

Ce fléau de l'économie voltaïque, qui prive le pays d'une grande partie de ses travailleurs les plus productifs, est cependant perçu par les villageois comme l'un des moyens susceptibles d'atténuer les conséquences d'une mauvaise récolte. Les jeunes gens partent avant les moissons, soucieux de ne pas peser sur un stock alimentaire qui ne peut suffire à tous, et ils tentent d'envoyer de l'argent à leur famille. Effectivement, quelques patriarches reçurent des sommes variables — 2 000, 3 500 et même 5 000 francs CFA —, mais beaucoup n'ob-tinrent rien de ceux qui les avaient quittés : les émigrants n'avaient pas trouvé d'émissaires de confiance ou bien ils n'avaient pu encore être embauchés. Les habitants ne comptaient d'ailleurs guère sur ces aides monétaires qui ne leur arrivent, le plus souvent, que lorsque les jeunes voyageurs sont de retour.

En outre, après le soulagement provisoire causé par la réduction du nombre de bouches à nourrir, les inconvénients de ces départs ne tardent pas à se faire sentir : ainsi, dans la demeure du chef de village, quatre célibataires, fils réels et classificatoires de ce vieillard, pro-duisent le mil nécessaire à leur propre consommation et à celle du père et de ses trois épouses, maintenant âgées ; habituellement, lorsque l'un des garçons revenait de Côte-d'Ivoire, alors seulement un autre pouvait y repartir ; ces relais, équitablement organisés, assu-raient toujours la présence de deux ou trois jeunes cultivateurs, les-quels, aux champs, épaulaient les membres de la génération ascen-dante ou se substituaient à eux. En 1973, aucun des quatre enfants du

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chef n'était resté dans l'habitation. On ne s'étonnera pas d'apprendre que le groupe de travail du chef eut, pour la fin 1973-début 1974, un déficit alimentaire plus grave que l'année précédente.

Dans les autres habitations du village, la situation était identique : la sécheresse avait poussé les jeunes gens à ne plus respecter ces alter-nances de départs et de séjours dans la localité, et pratiquement il était impossible d'y trouver des représentants de la tranche d'âge de quinze à trente ans. À ce phénomène alarmant s'en ajoutait un autre : après les moissons de 1973-1974, mauvaises à nouveau, des hommes plus âgés s'apprêtaient à accompagner hors des frontières [60] leurs cadets ; des individus de trente à quarante-cinq ans se préparaient donc à quitter épouses et enfants pour se joindre à la cohorte des chômeurs venus de divers pays du Sahel proposer leur travail en Côte-d'Ivoire.

Conclusion

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Paysans déracinés obligés de se soumettre aux conditions de la production industrielle d'un pays étranger, familles disloquées, ne comportant plus que des femmes, des enfants et des vieillards, peu capables d'assurer leur propre subsistance et impuissants à fournir celle que nécessiterait le retour des cultivateurs masculins, telle était la situation dans laquelle se débattaient les gens de la localité à la fin de la deuxième année de sécheresse.

Quelques paysans, rebelles à l'émigration dont ils connaissent bien les aléas — l'exploitation économique, l'insécurité, l'humiliation —, restèrent néanmoins. Ils ne dissimulaient pas leur inquiétude : de leur enfance à leur maturité, le territoire villageois, dont ils connaissent chaque pierre et chaque arbrisseau, s'était modifié ; la verdure y est moins abondante, la terre moins fertile. Nul doute que si une cam-pagne de reboisement se développe dans la région elle ne rencontre auprès d'eux échos favorables et participation. Encore faut-il qu'elle soit menée à temps.

Ces agriculteurs avaient aussi un autre sujet de préoccupation : le coton. Alors que, ces dernières années, ils s'étaient soumis aux direc-tives des moniteurs du cercle et avaient augmenté les superficies desti-

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nées à cette culture, ils adoptèrent, en 1973, une attitude plus critique : « Si j'avais cultivé le mil dans le champ de coton, j'aurais récolté plus de mil », « La culture du coton gêne celle du mil », « Cette année je n'ai pas semé de coton, mais du mil, seulement », autant de propos nouveaux, révélateurs d'une opposition grandissante, passive ou ac-tive, à l'orientation précédemment adoptée, en faveur d'une culture commerciale appauvrissant un sol qui n'a même pas pu procurer le minimum de subsistance à ses habitants.

septembre 1974

[61]

BIBLIOGRAPHIE

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Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 3

“PASTEURS ET NOMADES.L'EXEMPLE DE LA MAURITANIE.” *

Pierre Bonté

I. La sécheresse et les éleveurs nomades

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Les facteurs naturels entraînant les sécheresses n'étant pas une don-née nouvelle, il importe d'abord d'analyser brièvement la manière dont, dans les sociétés africaines précoloniales, se déroulaient ces sé-cheresses et leurs effets sur l'organisation économique et sociale.

Chez les éleveurs sahariens et sahéliens (Touareg, Maures), les sécheresses sont connues depuis toujours, et leur souvenir reste dans la conscience historique des groupes (en particulier dans les chronolo-gies où les années sont désignées par les événements importants qui les ont marquées). On a pu faire l'hypothèse que d'importants mouve-ments historiques de population tels que la conquête almoravide (XIe

siècle) ou la diaspora kunta avaient été déclenchées par des périodes de grande sécheresse.

* * Ces réflexions sont inspirées de mon expérience personnelle (Niger, Mau-ritanie), complétée par la documentation disponible sur d'autres pays. Je m'intéresserai surtout aux sociétés d'éleveurs nomades — d'ailleurs les plus touchées —, car elles me sont mieux connues.

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Touareg et Maures pratiquent l'élevage d'animaux de transport (chameaux, chevaux), de bovins, de moutons et de chèvres. Leur orga-nisation sociale complexe est caractérisée par l'existence de [63] rap-ports de classe (esclavage et rapports tributaires) et, dans certains cas, par la centralisation politique (émirats maures).

En période de sécheresse, ils disposent dans leur système tech-nique, dans leur organisation économique et sociale, de capacités de réponses efficaces. Ces réponses correspondent à des traits de cette organisation qui ont par ailleurs d'autres fonctions : les sécheresses ne sont en rien des situations exceptionnelles, mais des phénomènes ré-guliers, intervenant comme une contrainte agissant directement au niveau des forces productives, contrainte à partir de laquelle doit s'or-ganiser toute la société. Je n'entends donc pas non plus ici par ré-ponses une planification consciente, mais des propriétés de l'organisa-tion sociale. Ces propriétés sont diverses :

1. La capacité de déplacement rapide des nomades constitue une première réponse et sans doute la plus importante, car il est rare que la sécheresse prenne le caractère généralisé qu'elle a présenté en 1914 ou dans la période actuelle. Ces déplacements sont la règle chez les grands nomades chameliers qui s'intitulent eux-mêmes « Fils des Nuages » ; ils n'hésitent pas à accomplir des voyages de plus de mille kilomètres pour trouver de l'eau et des pâturages.

La plupart de ces éleveurs se limitent cependant à des transhu-mances régulières de l'ordre de cinquante à deux cents kilomètres par an. Les années désastreuses, ces éleveurs peuvent être amenés à se déplacer au loin sur de meilleurs pâturages : cela suppose des accords réciproques entre les groupes leur permettant de s'installer en cas de besoin et de manière provisoire sur les territoires étrangers. De tels accords existent par exemple entre les Touareg de l'Adrar des Iforas et les Iwllemeden, ou entre les Maures du Tagant et de l'Adrar ; ces ac-cords résistaient aux guerres et aux conflits politiques.

2. Les réserves de nourriture sont difficiles à organiser dans les sociétés reposant sur l'élevage. Il existait bien des techniques de trans-formation des produits de l'élevage (beurre, fromage, lait en poudre),

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mais elles ne permettaient guère qu'un appoint de quelques mois. La vie nomade rendait difficile le stockage de produits agricoles (cé-réales, dattes) sauf pour les plus riches possédant en Mauritanie des maisons dans les villes.

Dans ces conditions, la principale réserve de nourriture est consti-tuée par les animaux vivants. C'est une incitation majeure à posséder les troupeaux les plus grands possible, même s'ils ne sont pas indis-pensables pour les besoins quotidiens de ceux qui les [64] exploitent. Cette attitude que l'on retrouve dans la plupart des sociétés d'élevage a rarement été comprise par ceux qui l'ont observée et qui ont conclu à T « irrationalité » des comportements économiques. En fait, étant don-né la place que tient le bétail dans ces sociétés 28, l'entretien de bétail excédentaire par rapport aux besoins immédiats n'est pas seulement un moyen de constituer des réserves de nourriture sur pied et une assu-rance de reproduction plus facile du troupeau en cas de sécheresse, épidémie, etc., elle est aussi une forme d'accumulation de valeur, re-nouvelée par le travail du groupe, indispensable pour prendre une épouse, doter les fils, entretenir des clients et des dépendants, c'est-à-dire pour la reproduction de la société en tant que telle, et manipulée par chaque producteur pour obtenir richesse, prestige et pouvoir.

3. Cette accumulation n'est donc pas simple thésaurisation en vue des mauvais jours, elle s'accompagne d'une répartition inégale et très mobile du bétail entre les producteurs : le bétail circule sans cesse, lors des mariages, sous forme de dons, de prêts, etc. Les limites de l'appropriation privative sont donc clairement marquées. Le bétail sur lequel un producteur a des droits est ainsi rarement rassemblé autour de lui ; il est dispersé dans d'autres campements : des bêtes sont prê-tées pour le lait, d'autres ont été données sous réserve de réciprocité, certaines relations de parenté (frère de la mère par exemple) per-

28 J'ai abordé à plusieurs reprises ce problème. Cf. « La formule technique du pastoralisme nomade », Études sur les sociétés de pasteurs nomades. 1. Sur l'organisation technique et économique, Cahier du CERM, n° 109, 1973, et Etudes sur les sociétés de pasteurs nomades. 2. Organisation économique et sociale des pasteurs d'Afrique orientale, Cahier du CERM, n° 110, 1974. Les principaux points sont repris dans « Formes de la communauté dans les sociétés d'éleveurs nomades », Evolution of Social Systems, Duckworth, Londres (à paraître).

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mettent de prendre du bétail dans le troupeau d'un parent, etc. En défi-nitive la circulation du bétail apparaîtra comme la condition de l'orga-nisation sociale et sera conçue comme telle dans la conscience des éleveurs. Dans l'ordre réel des choses, la circulation du bétail reste déterminée par la production et ce sont les nécessités de la production et non celles de la circulation qui créent les relations sociales : il s'agit d'une forme mystérieuse des relations sociales réelles. Cependant, la dispersion des troupeaux n'a pas pour seule fonction de cimenter les relations sociales dans la communauté, elle minimise aussi pour chaque producteur [65] les risques de sécheresse, d'épidémies ou de vols et lui permet de reconstituer plus rapidement ses biens en cas de perte.

4. Une forme particulière de dispersion du bétail dans les sociétés de classe que sont les sociétés sahariennes est liée aux relations de clientèle. Chez les Regueibat de Mauritanie, par exemple, existe une forme de « prêt » de bétail appelée menina qui a pour particularité de se produire entre un homme riche et un pauvre. Le riche producteur prête des chamelles pour une période indéterminée mais reste proprié-taire des chamelles et de leur croît. Il s'agit d'un mode d'exploitation du travail fourni par les clients qui entretiennent les troupeaux. Cette pratique permet à de riches éleveurs de posséder plusieurs milliers de têtes de bétail sans grossir exagérément leur propre unité de produc-tion avec les risques que cela impliquerait.

5. Enfin, chez les éleveurs sahariens, la diversification des trou-peaux et des activités de production facilite l'adaptation aux situations difficiles. La diversité des espèces élevées donne une grande flexibili-té au système et permet d'utiliser toutes les ressources de l'environne-ment. La pratique annexe de l'agriculture (souvent par des groupes de dépendants installés dans les oasis et dans les zones méridionales où une agriculture céréalière est possible), la chasse et la cueillette per-mettent de disposer de ressources d'appoint. Les activités carava-nières, source de profits importants, favorisaient aussi la reconstitution rapide des troupeaux en cas de perte.

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Il faut enfin mentionner les raids et pillages de bétail qui jouaient un rôle non négligeable en favorisant la redistribution du bétail entre les zones dévastées et celles épargnées par des catastrophes naturelles.

Tout un ensemble de traits de l'organisation économique et sociale permettait donc non de résoudre le problème de la sécheresse, mais du moins de passer au mieux ces périodes et de reconstituer les troupeaux décimés. Dans les conditions difficiles que représentait la vie dans les hauts massifs sahariens, tel l'Ahaggar, ces traits sont particulièrement développés : on a pu parler d'une véritable économie de survie 29 avec développement des techniques de chasse et de cueillette, importance du pillage, dispersion à une grande échelle des troupeaux, etc. Chez les éleveurs plus méridionaux vivant cette situation de manière plus exceptionnelle, ces traits [66] n'en étaient pas moins présents et défi-nissaient l'originalité de ces économies pastorales. Nous les retrou-vons chez les éleveurs d'Afrique orientale dont l'étude va nous per-mettre de mieux comprendre comment un facteur « naturel », la sé-cheresse, est réellement intégré comme une condition même de la pro-duction.

Les sociétés pastorales d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Ou-ganda) pratiquent surtout l'élevage bovin, celui des moutons et des chèvres. Il s'agit de sociétés peu stratifiées, sans structure de classe ni organisation politique centralisée.

Malgré ces différences on retrouve des caractéristiques communes du système socio-économique permettant de répondre aux situations de sécheresse et d'épidémies : entretien de troupeaux très importants pour répondre aux années difficiles, réseaux de prêts et de dons favo-risant la dispersion des troupeaux, mobilité, etc. D'autres caractéris-tiques sont plus originales :

1. Les travaux de P. Spencer 30 ont montré que les différenciations tribales et ethniques strictes dont on ne voit souvent qu'un effet, les conflits politiques et militaires, masquent en fait une fluidité très

29 M. Gast, L'Alimentation des populations de l'Ahaggar, étude ethnologique, Paris, 1968.

30 P. Spencer, Nomads in Alliance, Oxford University Press, Londres, 1973.

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grande des biens (échange) et des personnes. Les relations entre ces communautés qui se sont constituées pour l'exploitation d'un territoire particulier apparaissent comme un moyen pour l'une et l'autre de ces communautés de résoudre les contradictions qui résultent de la vie sociale. Elles prennent une importance considérable en période de crise (famine, sécheresse, épidémies). À cette occasion, des groupes se déversent littéralement dans d'autres plus favorisés : des pasteurs deviennent chasseurs ou réciproquement, des éleveurs de bovins de-viennent éleveurs chameliers, etc. « En période de sécheresse, ils peuvent être amenés à se déplacer dans les no man's land qui sépa-raient des groupes rivaux pour se reconvertir à la recherche d'autres types de nourriture moins affectée et pour utiliser ces relations entre groupes qui offrent diverses possibilités. Cette flexibilité du système, en d'autres termes, serait utilisée en périodes difficiles et offrirait une sécurité à long terme dans un milieu imprévisible et inhospitalier 31. »

[67]

2. L'histoire de la région révèle d autre part des phases de domina-tion locale de certains groupes, des cycles de transformation de socié-tés vivant de l'élevage en sociétés agricoles, des migrations constantes. Il s'agit d'un autre aspect de la dynamique des rapports entre communautés reflétant elle-même la dynamique interne des communautés. Les conditions d'apparition d'une société hautement spécialisée dans l'élevage ou au contraire agro-pastorale n'apparaissent pas directement liées aux variations des conditions naturelles. Les Ma-saï par exemple sont de purs éleveurs dans une zone où l'agriculture régulière est possible. Les Jie et les Turkana ne produisent que de maigres récoltes dans une région défavorisée par les pluies et où les récoltes sont très aléatoires.

J'ai tenté de montrer par ailleurs que ces phénomènes pouvaient s'expliquer par les variations de la productivité du travail en fonction du développement d'une contradiction fondamentale entre les forces productives et les rapports de production caractérisés par une combi-naison particulière de l'organisation domestique et communautaire 32.

31 P. Spencer, « The Social Context of Drought in East Africa », Drought in Africa, Londres, 1973, multigr.

32 Cahier du CERM, n° 110, op. cit.

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Lorsque la productivité s'élève par suite des transformations des rapports de production (nucléarisation des unités de production et pri-vatisation des droits sur le bétail), le groupe peut se spécialiser dans les activités pastorales. Par ailleurs la communauté en expansion conquiert de nouveaux pâturages et acquiert une position dominante. C'est la situation des Masaï au milieu du XIXe siècle.

Les limites de l'élévation de la productivité correspondent au ni-veau des forces productives : à un certain stade, l'accumulation énorme de bétail (vingt bovins par personne chez les Masaï) entraîne une surexploitation du milieu (surpâturage), une plus grande fragilité aux épidémies et catastrophes naturelles, etc., cependant que s'accen-tuent les pressions de communautés extérieures.

Dès lors, plusieurs solutions peuvent intervenir :

- une forte réduction du troupeau et de la productivité du travail qui est généralement la conséquence d'une sécheresse ou d'une épidémie. Ainsi l'expansion et la domination masaï sont brisées par une épidémie de peste bovine vers 1880 ;

- la recherche de ressources d'appoint dans l'agriculture. En ré-duisant la mobilité et en imposant des contraintes communau-taires [68] plus fortes, cette situation aboutit aussi à terme à ré-duire la productivité du travail pastoral et, l'agriculture étant très aléatoire, celle globale du système.

Ces deux solutions ne permettent pas de résoudre la contra-diction, mais ramènent à des conditions proches de celles du départ ; leur répétition explique l'apparence cyclique de l'his-toire de cette région ;

- une troisième solution serait le dépassement de cette contradic-tion du fait de. l'instauration d'autres types de rapports de pro-duction, de rapports de classe. Certaines sociétés (Masaï) sem-blaient proches d'une telle transformation qu'ont peut-être connue d'autres sociétés agro-pastorales (aristocratie pastorale et nomade dominant les agriculteurs et leur extorquant du sur-plus dans des conditions de division du travail favorisant une élévation constante de la productivité), tels les royaumes d'An-kole, du Rwanda, du Burundi, etc.

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On voit à partir de cet exemple comment, dans des conditions don-nées de la production, les facteurs naturels agissent comme des fac-teurs de production. Les crises que provoquent les calamités natu-relles sont en fait des crises structurelles correspondant à une sorte de suraccumulation du bétail.

Si la sécheresse en tant que facteur naturel apparaît comme une condition de la production, au niveau des forces productives tout d'abord, mais ayant des effets à tous les niveaux de l'organisation so-ciale, il est justifié d'analyser ce phénomène dans le cadre du mode de production opérant dans ces sociétés. Sans en faire une analyse dé-taillée, je me contenterai de noter qu'il est caractérisé par l'organisa-tion domestique de la production et la spécificité de la forme commu-nautaire (dont la combinaison peut déboucher dans certaines condi-tions sur la formation de sociétés de classe originales). C'est plus gé-néralement grâce à l'organisation communautaire de la production, qu'il s'agisse de bandes de chasseurs-cueilleurs, de communautés d'éleveurs ou d'agriculteurs, ou même des formes transformées de la communauté qui existent dans les sociétés de classe précapitalistes, que peuvent être trouvées les réponses aux variations catastrophiques du milieu. Par l'analyse empirique, l'anthropologue et économiste an-glais J. Swift arrive à des conclusions voisines (cf. son texte au cha-pitre suivant).

Cette détermination des pratiques et des attitudes à l'égard de la sécheresse par les conditions de la production se retrouve au [69] ni-veau de la conscience que les éleveurs ont de ces phénomènes « natu-rels ». Cette conscience prend une forme religieuse. La sécheresse étant conçue non comme un phénomène naturel, mais comme un phé-nomène sur lequel il est possible d'agir, les éleveurs tentent d'y ré-pondre par des sacrifices et par l'intervention des « faiseurs de pluie », spécialistes dans les religions animistes d'Afrique orientale, « marabouts » dans les sociétés sahariennes islamisées.

Sans faire ici la théorie de la place de la religion dans ces sociétés, on peut noter que les sacrifices qui amènent la circulation du bétail — condition de la reproduction de l'ordre social — entre les hommes et le monde divin, de même que les rites des « faiseurs de pluie » inter-cesseurs ultimes auprès du monde divin, garant en dernière analyse de

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la bonne reproduction sociale, reposent sur une conscience inversée et mystifiée de la causalité qui s'exerce dans la nature et dans la société (mystification du même type que celle qui masque les rapports so-ciaux entre les hommes en les faisant apparaître comme les consé-quences de la circulation du bétail).

« La conscience immédiate qu'ont de leur société les éleveurs nilo-hamitiques est fondée sur cette inversion ; le bon ordre social, l'adap-tation aux conditions écologiques fluctuantes apparaissent comme la conséquence du flux perpétuel de bétail entre les hommes d'une part et, d'autre part, entre les hommes et le monde divin, ultime garant de la bonne reproduction du système social. Cette conscience s'exprime sur un mode mythique dans l'idée d'une association originelle et d'une descendance parallèle des animaux et des hommes ; le mythe fonde globalement les propriétés qu'a le bétail de déterminer la vie sociale des hommes. On retrouve de même, au niveau des individus, dans l'identification avec un animal favori dont la perte peut mener au sui-cide, les effets de cette inversion, la manifestation de la valeur particu-lière du bétail.

Dès lors, les facteurs réels de répartition du travail et des moyens de production, de circulation des femmes, etc., apparaissent comme déterminés par le bon usage qui est fait du bétail. Les difficultés éco-nomiques et sociales, les épidémies, guerres et disettes sont la sanc-tion d'une mauvaise utilisation, de la non-adéquation aux normes hu-maines et surnaturelles qui régissent les rapports entre les hommes et leur bétail 33. »

C'est totalement méconnaître les conditions de fonctionnement de [70] ces sociétés que de parler à ce propos de fatalisme. Non seule-ment cette conscience religieuse n'empêche pas les éleveurs d'agir pra-tiquement pour réduire au minimum les effets des calamités naturelles et reconstituer rapidement les troupeaux, mais encore, à travers les rites et sacrifices, elle leur donne la capacité d'agir pratiquement sur les contradictions et les difficultés qui résultent de la vie sociale, de l'histoire, en resserrant les liens communautaires et en fournissant un modèle idéal du bon ordre social. Cette conscience religieuse ne de-viendra fatalisme que dans la mesure où les conditions de reproduc-tion de leur société apparaîtront aux intéressés comme extérieures à

33 « Formes de la communauté... », art. cité.

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leur pratique sociale : le fatalisme se développera comme une retom-bée idéologique du colonialisme.

Je n'ai pas voulu dans ces pages dresser un tableau idyllique des sociétés africaines précoloniales. Le bilan de leur adaptation à des conditions naturelles difficiles est lourd : forte mortalité humaine et animale, disparition de groupes entiers, conflits militaires, mise en place de formes d'exploitation du travail humain. J'ai simplement vou-lu signaler que les difficultés de cette adaptation, à un bas niveau des forces productives, ne remettaient en cause ni l'occupation humaine ni le milieu dans lequel elle s'insérait et qu'elle assurait à long terme une lente évolution des forces productives, une domestication crois-sante du milieu. Or c'est bien cette occupation humaine et le maintien de l'environnement qui sont remis en cause par la sécheresse actuelle : des millions de personnes déplacées, la végétation détruite souvent sans retour, la latérisation des sols et l'ensablement signifient bien qu'une donnée nouvelle a été introduite : la domination impérialiste. À partir d'un exemple concret, la sécheresse en Mauritanie à l'époque coloniale et actuelle, c'est ce dernier point que je me propose mainte-nant d'examiner.

II. Les sécheresses en Mauritanieà l'époque coloniale

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Les conditions climatiques sont particulièrement contraignantes en Mauritanie, pays en grande partie saharien, peuplé pour les trois quarts d'éleveurs nomades. Il n'est possible de pratiquer l'agriculture qu'à l'extrême Sud, dans la vallée du Sénégal. Le pays, pauvre, de pé-nétration difficile, attira l'intérêt du colonialisme français pour des rai-sons surtout stratégiques (liaison entre le Maghreb et l'Afrique [71] occidentale). Il recelait cependant des richesses importantes en mine-rais (fer, cuivre, etc.) dont l'exploitation a débuté il y a environ quinze ans. L'exploitation de ces richesses a entraîné le rattrapage rapide du retard qu'avait initialement présenté la pénétration coloniale 34.

34 P. BONTE, « Conditions et effets de l'implantation d'industries minières en milieu pastoral : transformations de la société maure de l'Adrar maurita-

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La période de la conquête coloniale est caractérisée par une chute très nette de la production, par une famine chronique et par une forte mortalité.

Dans le nord de la Mauritanie, l'Adrar, la récession débute avant même la conquête, conséquence de l'implantation des Français plus au sud. La disette de 1904 (année tamaniaqa, année « du cœur des pal-miers », ces arbres étant abattus pour en prélever la sève) fit plus de cinq cents morts dans l'Adrar et est restée dans la mémoire des an-ciens.

À son arrivée dans l'Adrar, le colonisateur trouve un pays complè-tement désorganisé par l'interruption des échanges et par les troubles. L'action administrative ne pouvait que renforcer ces difficultés. Le poids de l'impôt et des réquisitions, la dissidence qui continue, multi-pliant les pillages de troupeaux et de captifs, les difficultés de reprise d'échanges normaux avec le Maroc et avec le Sud suscitent une grande instabilité. Le moindre retard des pluies, une année de séche-resse, font resurgir la famine pratiquement chronique de 1904 à 1932.

Le rapport administratif de 1916 signale une situation critique à Atar et à Chinguetti ; les sauterelles dévastent les récoltes et les graines sauvages qui servent habituellement de complément de nourri-ture. Les pluies de 1917 sont meilleures mais la population manque de grains et la récolte de dattes s'annonce médiocre. Les caravanes du Sud arrivent juste à temps pour réaliser la soudure, mais l'exode au Tagant continue. La situation ne redevient normale qu'avec les pluies abondantes de 1918.

Le rapport de 1927 souligne la situation alimentaire déplorable du fait de la sécheresse et des difficultés de ravitaillement. La misère est totale et la population des ksour (villes) vend tout ce qu'elle [72] pos-sède pour subsister. La famine règne et la mortalité est très forte : « La situation économique est de plus en plus lamentable, le nombre de décès dus à une alimentation insuffisante ou à l'absorption de matières nocives ou dépourvues de toute valeur alimentaire va en augmentant.

nien », Le Pastoralisme aujourd'hui en Afrique tropicale} International Afri-can Institute, Londres, 1974 ; « Sociétés multinationales et construction na-tionale : Miferma et la Mauritanie », Revieiv of African Political Economy, n° 2, 1974. Ces données sont rassemblées dans un ouvrage à paraître, Le Développement des rapports capitalistes en Mauritanie.

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On signale de nombreux cas parmi les convoyeurs qui vont chercher du mil au bord du fleuve ou à M'Bout, une vingtaine pour la seule subdivision de Chinguetti » (Rapport politique, 1927).

Les noyaux de dattes, dernier recours pour alimenter les chèvres, manquent, et le cheptel disparaît ou est abattu. Les récoltes sont enga-gées à l'avance et le commerce des esclaves fleurit à une grande échelle. Les retards dans l'arrivée des convois de ravitaillement ag-gravent encore la mortalité dans le courant de 1927. Les années sui-vantes, malgré une légère amélioration, sécheresses et famines se poursuivent. Il faudra attendre 1931 pour assister à une certaine amé-lioration.

Dans les cercles du Sud, nos renseignements moins précis semblent cependant témoigner d'une certaine stagnation de la produc-tion qui, du fait de l'accroissement démographique et des migrations, prend l'allure d'un recul absolu. Les épidémies et sécheresses contri-buent aussi à cette situation qui aboutit à un appauvrissement marqué de l'ensemble de la population mauritanienne.

Que signifie cette stagnation de la production et l'installation chro-nique de la famine ? La part faite des troubles que connaît le pays pra-tiquement jusqu'en 1931 (à cette époque un groupe nomade français est anéanti non loin de Nouakchott) — troubles qui multiplient la désorganisation de la production —, il faut surtout rechercher les causes de cette situation dans les transformations induites par la mise en place du système colonial. J'ai décrit plus longuement ces transfor-mations par ailleurs, je rappellerai simplement les principaux points :

1. En supprimant l'autorité des émirs et en instaurant le principe de « libre » pâturage (libre doit être entendu ici comme dans le cas de « libre » commerce, c'est-à-dire sans les entraves de l'organisation tra-ditionnelle), l'administration coloniale brise, avec l'autonomie poli-tique, les capacités de reproduction autonomes de la formation sociale maure. Les rapports de classe traditionnels se trouveront rapidement vidés de leur substance (déclin de l'aristocratie guerrière).

[73]En effet, à l'époque précoloniale, l'insertion de la formation maure

sur le marché mondial, dans le cadre du capitalisme marchand, avait

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contribué à renforcer le pouvoir des émirs, les tendances à la centrali-sation politique dans la société maure, et présentait un obstacle au dé-veloppement ultérieur de la production capitaliste. C'est cet obstacle que contribue à briser la conquête coloniale.

2. Si la destruction de l'armature politique est une condition pre-mière ainsi que la mise en place d'une structure administrative coerci-tive (créant en particulier une couche intermédiaire de chefs relais de l'administration), une autre condition est le développement local des rapports marchands et monétaires.

La pression administrative joue un grand rôle : impôts, réquisi-tions, introduction de soldes et rétribution en argent des services y contribuent. Le principe de l'autonomie des budgets renforce cette pression en faisant peser sur la colonie le poids de l'entretien des troupes et de l'administration étrangère.

La rupture des courants d'échange traditionnels et le rattachement du marché mauritanien à Dakar, et plus généralement au Sénégal où le colonialisme est déjà développé (développement des cultures de l'ara-chide), accélère cette pénétration (création d'un marché du bétail au Sénégal). Enfin, l'introduction de produits manufacturés nouveaux et en plus grande quantité, la stagnation du volume et des prix des mar-chandises traditionnelles (sel, gomme arabique) vont dans le même sens.

Les premiers effets de la mise en place du système colonial, mais aussi ses caractères encore limités, apparaissent avec les répercussions locales de la crise de 1929. A cette date, le troc et l'auto-consomma-tion restent dominants, la masse monétaire est encore peu importante.

En 1931-1932, la crise internationale se manifeste par un arrêt lo-cal des affaires et par une baisse brutale des prix : « un chameau qui valait 800 à 1 500 francs CFA il y a sept ou huit ans n'en vaut plus que 2 à 300 ; une vache qui coûtait 400 à 800 francs n'est plus vendue au-jourd'hui que 125 à 150 francs » (rapport Beyries, 1935). Rapidement l'argent manque : « La quasi-totalité de l'argent provenant des trans-ports et de la fourniture de montures au GN, de bois de palmiers au poste, est versé à l'impôt. Les chefs sont très mécontents de cet état de choses » (Rapport politique, 1932). Le mécontentement qui en résulte

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provoque une ultime [74] vague de dissidence, dernière réaction de l'aristocratie militaire pour défendre ses privilèges, mais aussi pre-mière manifestation de la crise structurelle correspondant à l'articula-tion avec le capitalisme à l'époque coloniale. La reprise des importa-tions suscite une remontée des prix, mais ceux des produits exportés ne reprennent pas tout à fait le niveau antérieur : effet classique de la dégradation des termes de l'échange dans le contexte impérialiste. Les symptômes de la crise témoignent du caractère encore limité de la pé-nétration de l'économie marchande et monétaire (disparition de l'ar-gent, reconversion des échanges). Bien qu'elle ne soit pas liée à une catastrophe naturelle, cette crise annonce celle qui va bouleverser la Mauritanie entre 1942 et 1946, et qui, elle, est liée à la sécheresse que connaît le pays en 1942 et 1943.

La crise de 1942-1946 s'explique en fait par la conjonction de deux séries de causes. La guerre et la défaite de la France provoquent une interruption des échanges : le marché mauritanien n'est plus alimenté en produits manufacturés provenant de la métropole. Chaque colonie s'enferme derrière des barrières protectionnistes. La Mauritanie souffre particulièrement de cette situation : à l'interruption des échanges internationaux s'ajoute celle des échanges entre la Maurita-nie, d'une part, le Sénégal et le Soudan producteurs de céréales, de l'autre.

À cette cause initiale s'ajoutent les effets des conditions naturelles durant les années 1941 à 1943. Les pluies sont pratiquement nulles et la sécheresse sévit dans tout le pays. Les vols de sauterelles achèvent de ravager pâturages et récoltes.

Le contrôle administratif qui se renforce est un autre facteur d'ag-gravation des conditions économiques. L'administration prend une série de mesures en différents domaines :

- Les stocks de marchandises sont bloqués et une politique stricte de répartition au prorata de la population est appliquée. Ce contingentement frise l'absurde : en 1942, à Tamchakett, quinze centimètres de tissu par habitant sont attribués dans l'année ! En 1947 le rapport politique de Chinguetti se félicite de l'améliora-tion du ravitaillement en constatant que le contingentement est passé à un mètre de tissu par habitant et par an en 1946, à deux

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mètres en 1947 ; quant aux quantités de sucre, elles passent de 1,750 kg à 3 kg. Il est d'ailleurs difficile de répartir ces mar-chandises qui sont délivrées dans les escales du Sénégal, l'attri-bution de permis de [75] transport et de bons de rationnement favorise une spéculation effrénée.

- Dans le domaine de la production locale, les réquisitions re-prennent à une grande échelle : animaux de transport dont la demande s'accroît du fait des restrictions énergétiques, animaux de boucherie pour nourrir la population administrative et ur-baine. S'a joutant à la sécheresse, ces réquisitions aboutissent à une disparition rapide du cheptel.

Pour répondre à l'interruption des échanges céréaliers avec le Soudan, l'administration tente d'intensifier la production lo-cale. Mais la situation est là encore peu favorable. Elle n'a d'autres ressources que d'organiser autoritairement le ravitaille-ment en mil qui reste notoirement insuffisant, dans le Nord en particulier, pendant une longue période.

- Enfin, l'administration profite de la crise pour multiplier les so-ciétés indigènes de prévoyance qui avaient eu peu de succès en Mauritanie jusqu'alors. Ces sociétés, qui constituent un instru-ment de pression très efficace sur la production, se développent avec pour fonction de supprimer le contingentement et de répar-tir la pénurie.

L'effet le plus apparent de la situation économique est une aug-mentation considérable du prix des produits importés, alors que celui des produits commercialisés localement est en stagnation. La hausse du coût de la vie s'accompagne d'une dégradation rapide des termes de l'échange qui pèse lourdement sur le producteur maure. Lorsque la situation se normalise (vers 1949), les prix des produits importés, par-ticulièrement des produits manufacturés, restent fixés à un niveau beaucoup plus élevé.

La montée des prix et l'interruption des échanges suscitent un cer-tain retour à l'économie de troc. Les commerçants échangent en brousse une pièce de guinée contre un chameau de monture ou vingt moutons. Ils sont particulièrement bien placés pour tirer parti de la

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situation. La contrebande s'organise sur une grande échelle vers les autres colonies et surtout vers le Sahara espagnol tout proche. Un mar-ché noir s'instaure parallèlement au contingentement : du fait de la misère et de l'usure, une bonne part des marchandises contingentées reste entre leurs mains. Les spéculations portent particulièrement sur les céréales. Organisant les caravanes de ravitaillement, capables d'in-vestir à une grande échelle, les commerçants attendent la soudure dif-ficile pour revendre au prix fort. À Chinguetti en [76] 1948, ils stockent le mil après juillet, alors que son prix est de 14 francs, et ils attendent la régulière montée des prix : 28 francs en octobre après la récolte des dattes, 37 francs fin décembre quand le lait est moins abondant.

À l'autre pôle, parmi la majorité des éleveurs et chez les ksouriens démunis, la misère règne dans des proportions jusqu'alors inconnues en Mauritanie. La famine est permanente de 1942 à 1950 et la mortali-té prend des proportions inquiétantes. Les démographes retrouvent dans les pyramides d'âges les traces de cette surmortalité qui touche surtout les jeunes.

Plus qu'une longue démonstration, l'énumération des rapports poli-tiques de Chinguetti de 1946 à 1950 témoigne de la longueur de la crise et des difficultés de survie :

1946. La sécheresse est toujours forte. Les récoltes de dattes et de céréales sont très mauvaises ; ce qui reste des troupeaux est au sud. La production locale de viande et de produits agricoles est insignifiante ; les arrivages du Sud croissent mais les prix du mil « restent élevés et inabordables pour les populations indigentes ». Quant aux produits contingentés, ils sont extrêmement rares quoique le sucre réapparaisse et que son prix baisse de moitié.

1947. Sécheresse, mauvaise récolte et mauvaise guetna (cueillette des dattes). La situation est identique à celle de 1946 quoique les arri-vages croissent légèrement, améliorant les contingentements (deux mètres d'étoffe au lieu d'un, 3 kg de sucre au lieu de 1,75 kg). Le prix du mil passe de 17 francs en début d'année à 12 francs le kilo, mais les

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commerçants stockent. La suppression des réquisitions amène un dé-but de reconstitution du troupeau.

1948. Peu d'améliorations, car, si les arrivages de mil augmentent, c'est au profit des commerçants qui réalisent une spéculation effrénée (14 francs en juillet, 37 francs en décembre). La production locale reste très faible. Le contingentement est inférieur à celui de l'année précédente et les prix remontent (1 400 francs la pièce de guinée, 200 francs le kilo de sucre). Les impôts pèsent très lourd et rentrent diffici-lement : « La population indigente vit pratiquement à crédit de son travail chez les exploitants qui la nourrissent ; elle manque de lait, mil et viande, sauf en fin d'année. »

[77]

1949 voit un début d'amélioration avec une reprise de la produc-tion, mais les arrivages de mil stagnent. La suppression du contingen-tement alors que l'approvisionnement est irrégulier entraîne une re-montée du prix des marchandises.

1950. La situation redevient normale. L'approvisionnement reste irrégulier mais les prix des principaux produits sont en baisse. Le pays sort lentement de la crise.

On pourrait répéter cette analyse pour toutes les régions de la Mau-ritanie. La crise provoque la première expropriation à une grande échelle des petits producteurs pastoraux ou agriculteurs qui consti-tuent les « indigents » évoqués par les rapports. Pour vivre, ils doivent chercher du travail — rare — ou entrer dans la clientèle des possé-dants.

Beaucoup partent vers les ksours ou vers le sud à la recherche de ressources nouvelles. On assiste à un mouvement général de migration vers le sud et au glissement des zones de parcours des nomades dont beaucoup passent même au Sénégal. La population dans les centres urbains, auparavant insignifiante, est multipliée par quatre ou cinq ; il faut y ajouter les migrations dans les centres urbains sénégalais.

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Ces migrations constituent le point de départ d'un processus qui va se poursuivre et s'accélérer jusqu'à nos jours. Paupérisation à un terme, enrichissement à l'autre, les différenciations sociales s'accen-tuent dans la société maure. Le recensement de Chinguetti en 1948 constate que « la proportion de richesses en troupeaux s'accentue, le nombre de propriétaires moyens diminue, ils s'ajoutent à la masse des petits propriétaires, cependant qu'augmentent les grands troupeaux ». Une partie de la société est privée des moyens de production qui s'ac-cumulent à l'autre pôle. Les bénéficiaires sont les couches nouvelles nées avec le colonialisme : commerçants et chefferie administrative. La ruine des guerriers est achevée, sauf reconversion dans l'une ou l'autre des situations nouvelles. Spéculant à outrance et se réservant dans la pratique le monopole des produits contingentés grâce à leurs rapports avec les chefs, les commerçants réalisent une accumulation importante.

Une telle situation est génératrice de fortes tensions sociales et po-litiques. Les tensions sociales entre les possédants et les pauvres, les anciens dépendants et leurs maîtres correspondent à la dernière [78] étape de la liquidation des rapports de production antérieurs et du sys-tème politique qui leur correspondait. Ces tensions sociales sont géné-ralisées : ruine des guerriers démunis de troupeaux et qui ont dû ache-ter très cher les produits manufacturés, revendication des esclaves qui quittent leurs maîtres, revendication de la masse des petits éleveurs démunis et sans moyens de subsistance. L'administration coloniale, en la personne de P. Messmer, doit organiser le rachat des redevances qui étaient dues autrefois à l'aristocratie dominante, dans un climat de graves conflits.

Parallèlement se développent de nouveaux types de rapports so-ciaux : métayage et différents contrats dans la production agricole, salariat. L'ouverture des chantiers et la réalisation de travaux d'infra-structure, les premières prospections minières, le développement éco-nomique au Sénégal suscitent une certaine demande en main-d'œuvre. Sans qu'existe réellement encore un marché du travail, de plus en plus de producteurs vivent de leur salaire.

La crise de 1942-1946 accélère considérablement les mutations de la société maure, la décomposition du système traditionnel et l'appari-tion de nouveaux types de rapports sociaux. Elle révèle le degré de développement des rapports marchands et monétaires. Elle entame le

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processus d'expropriation à une grande échelle des producteurs maures. Il ne s'agit pas là d'une crise conjoncturelle (résultant par exemple d'une période de sécheresse), mais bien d'une crise des struc-tures socio-économiques manifestant l'insertion de la formation maure dans le système colonial.

Les effets de la crise de 1942-1946 ne font que répéter — avec un retard justifié par le caractère tardif de la conquête coloniale en Mau-ritanie — des situations qu'ont connues d'autres pays africains après la mise en place du système colonial. Les famines d'Afrique centrale entre 1910 et 1920 35 ont de la même manière permis de briser irrémé-diablement le système traditionnel et de « libérer » à une grande échelle la force de travail des producteurs locaux. Il semble que, dans l'Afrique sahélienne, la sécheresse de 1914 ait joué un rôle identique pour nombre de pays africains. Grove 36 effectue un rapide survol des effets de cette famine dans les pays d'Afrique occidentale, en particu-lier au nord du Nigeria : il note que la [79] commercialisation du bé-tail est multipliée plusieurs fois durant ces années et que de cette époque date, au Nigeria comme au Ghana, la mise en place des routes commerciales du bétail en direction des villes de la côte (elles vont jouer un rôle essentiel dans la connexion des régions nord avec le pays côtier où le développement des rapports capitalistes est plus ancien). Les migrations de populations vers les villes et les mouvements de nomades s'intensifient aussi considérablement. L'artisanat à destina-tion marchande, qui était très important dans les villes hausa, est ruiné (tissage et teinturerie en particulier), laissant la place aux productions industrielles importées. Dans le Nord par contre (Niger et Mali ac-tuel), cette situation débouche sur une révolte généralisée des popula-tions nomades qui témoigne de la faible intégration des Touareg, à cette époque, au système colonial.

La sécheresse ne joue en Mauritanie que le rôle de révélateur, d'accélérateur des effets de la situation coloniale : elle réalise à une grande échelle la séparation des producteurs de leurs moyens de pro-duction et de leurs produits, elle libère brutalement de grandes quanti-

35 J. Suret-Canale, Afrique noire, l'ère coloniale, Éditions sociales, Paris, 1964. P.-P. REY, Colonialisme, Néo-Colonialisme et Transition au capita-lisme, Maspero, Paris, 1971.

36 « A Note on the Remarkably Low Rainfall of the Sudan Zone in 1913 », Drought in Africa, op. cit.

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tés de force de travail et favorise la transformation de celle-ci en mar-chandise dans le cadre de la généralisation des rapports marchands. Cependant, cette accélération va dans le même sens que l'ensemble de la pratique coloniale : liquidation des capacités de reproduction auto-nome des formations dominées, développement des cultures commer-ciales et de la commercialisation du bétail, utilisation généralisée de la monnaie, etc.

Il est bon de noter que, si l'implantation coloniale a initialement quelques retards en Mauritanie, ce retard est rapidement rattrapé avec la mise en exploitation des gisements miniers. Au lendemain de la crise de 1942-1946 sont pour la première fois examinées les possibili-tés d'utilisation de ces gisements pourtant reconnus depuis longtemps. Une nouvelle période de sécheresse à la fin des années cinquante jette providentiellement sur le marché du travail des milliers de travailleurs « libres », alors même que s'implantent les premières entreprises in-dustrielles. Les migrations de travail prennent ensuite une ampleur considérable par suite des effets cumulatifs du développement local de la production capitaliste. La sécheresse actuelle n'a fait qu'accélérer un processus déjà bien entamé. La population urbaine avait doublé de 1960 à 1970, elle était à cette date d'environ deux cent mille per-sonnes ; on pouvait estimer en 1973 que plus du tiers de la population mauritanienne était installé dans ou à la périphérie [80] des villes. En-tassés dans les bidonvilles ou les villes de toile, ces migrants, pour la plupart sans travail, constituent une armée de réserve industrielle utili-sée pour faire pression sur les salaires. De plus en plus nombreux ils cherchent à gagner les pays européens où ils espèrent trouver du tra-vail.

Cette rapide description ne fait que souligner certains aspects des effets du système colonial. Pas plus qu'à l'époque précoloniale, les sécheresses n'apparaissent réellement comme des facteurs « natu-rels ». Leurs effets sont totalement déterminés par l'ensemble des conditions de fonctionnement du système économique et social à un moment donné. Elles révèlent, à l'époque coloniale, le fait que la re-production de la formation colonisée est parallèlement reproduction élargie de la production capitaliste et destruction des rapports anté-rieurs. La situation décrite en Mauritanie a dans cette mesure des ca-ractères généraux (la situation coloniale) et des aspects spécifiques

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(les conditions originales d'organisation socio-économique antérieure et le type d'insertion dans le système capitaliste mondial).

III. Sécheresse ou impérialisme ?

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Avec des variantes, l'analyse précédente s'appliquerait à d'autres sociétés d'éleveurs. Décrivant les effets de la sécheresse et de la fa-mine qui a sévi en 1970 et 1971 chez les Boran d'Afrique orientale, P. T. W. Baxter conclut : « En définitive, quelques-uns ont réussi à maintenir un mode de vie pastoral quoique leur production soit désor-mais beaucoup plus commercialisée. D'autres ont été totalement dé-pouillés et sont effectivement sans troupeau ou avec seulement quelques bêtes, dans ou autour des villes ; ils sont dépendants du tra-vail salarié qui est rare ou d'une aide. Enfin quelques-uns se sont par-tiellement sédentarisés, en particulier la plupart de ceux qui avaient gardé assez de bétail pour constituer le noyau de leur future indépen-dance pastorale 37. »

Il serait trop long de faire parallèlement l'analyse des sociétés agri-coles africaines touchées par la sécheresse. La situation initiale est largement différente : les formes d'organisation communautaire [81] villageoise présentent des points de résistance au développement des rapports capitalistes souvent plus solides. L'introduction à une grande échelle des cultures commerciales (arachide et coton surtout) a suscité d'autres modes de transformation des structures économiques et so-ciales, le phénomène de « koulakisation » en particulier est plus cou-rant. Mais les résultats sont comparables : les producteurs, coupés de leurs rapports sociaux antérieurs, sont de plus en plus séparés de leurs produits (destinés au marché) et de leurs moyens de production. Là encore, les crises — provoquées ou non par des facteurs « naturels » — correspondent à des phases d'accélération du processus jetant sur le marché du travail des dizaines de milliers de producteurs expropriés.

Nous avons donc les éléments de réponse à la question posée plus haut : les effets des sécheresses — comme ceux d'autres facteurs gé-

37 « Some Conséquences for Social Relationship of Sedentarization », Le Pas-toralisme aujourd'hui..., op. cit.

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nérateurs de crises — sont déterminés par les conditions nouvelles qui résultent de l'insertion des sociétés africaines dans le système capita-liste mondial. Il s’agit clairement d'un effet de domination ; encore faut-il clairement identifier la nature de cette domination.

Cet effet de domination est en effet reconnu par la plupart des théoriciens du « sous-développement », mais souvent pour mieux en masquer la nature réelle : la dimension politico-économique de la do-mination impérialiste. C'est ainsi que l'écart technique entre la forma-tion capitaliste dominante et les formations dominées colonisées est souvent considéré comme déterminant.

La supériorité des forces productives libérées par le mode de pro-duction capitaliste est indéniable ; elles permettent de maîtriser de ma-nière qualitativement supérieure les facteurs naturels. L'introduction de certaines techniques industrielles dans des sociétés dont l'équilibre avec la nature reposait sur d'autres bases a eu souvent des effets à double tranchant. C'est ainsi que les soins médicaux et vétérinaires, la lutte internationale contre les grandes épidémies ont amené une forte augmentation de la population animale et humaine, multipliant les risques de famine et de surexploitation du milieu. Ce facteur est sou-vent considéré comme la cause de la situation actuelle par des auteurs qui confondent les causes et les effets. D'autres auteurs voient dans la situation actuelle non pas l'effet d'une politique néfaste en soi mais celle d'une politique mal adaptée aux réalités africaines, ce qui est une autre variante de l'interprétation en termes technologiques.

Il est indéniable que les politiques de « développement » suivies [82] depuis la colonisation ont souvent eu des effets contraires aux intentions (bonnes ou mauvaises) de leurs auteurs. R. Baker 38 fait ain-si le bilan de l'action administrative en pays karimojong (Ouganda). Au lendemain de la conquête, une partie des pâturages de saison sèche de ce groupe fut attribuée à des tribus voisines sous prétexte qu'ils étaient « inoccupés » (ils étaient en fait mis en réserve). Sans parler des heurts constants avec leurs voisins, cette situation restreignit considérablement les capacités des pâturages des Karimojong. Il en résulta une forte dégradation des sols, suscitant la mise en place d'une politique de « préservation des sols » dont les résultats furent désas-

38 « Development and the Pastoral Peoples of Karamoja, Northeastern Ugan-da : an Exemple of the Treatment of Symptoms », ibid.

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treux. Tout d'abord furent interdits les brûlis périodiques de pâturages, bête noire des administrateurs. Le résultat fut la réduction de la valeur nutritive des pâturages de saison sèche et la multiplication des para-sites et des effets du tsé-tsé. D'autre part, le nombre de caprins fut ré-duit sans tenir compte du rôle spécifique des chèvres dans les pâtu-rages broussailleux.

Après quelques dizaines d'années, là dégradation de l'environne-ment atteignit des proportions très grandes et de nouveaux pro-grammes furent mis sur pied : forage de puits, surtout dans les zones non pâturées servant traditionnellement de réserve, contrôle des épidé-mies. Ces programmes n'eurent d'autres résultats qu'une augmentation considérable du nombre de têtes de bétail, et la dégradation des sols atteignit un seuil critique dans les années cinquante. De nouvelles ac-tions furent entreprises pour réduire le nombre de têtes de bétail : dé-veloppement de la commercialisation, abattage des animaux âgés. La tension grandit rapidement entre l'administration et les éleveurs jugés « conservateurs » et « irrationnels ». Les tensions politiques, alimen-tées par les mouvements d'indépendance, furent aggravées par une sécheresse exceptionnelle à la fin des années soixante, marquées par de graves heurts « tribaux » et leur répression.

On pourrait multiplier les exemples du même ordre ; l'empirisme et les erreurs flagrantes des politiques administratives (en particulier les politiques de sédentarisation forcée) ne suffisent pas à interpréter la situation présente. L'aspect planifié, conscient, des politiques colo-niales est en fait secondaire par rapport au caractère non intentionnel des conséquences qui résultent de l'extension du système capitaliste mondial et de l'insertion des formations colonisées dans ce système. [83] Il ne faut d'ailleurs pas oublier de noter que la plupart des intro-ductions conscientes d'innovations vont délibérément dans le même sens ; que l'on songe aux réseaux de transports réalisés non en fonc-tion des besoins réels mais en fonction de la pénétration coloniale et des besoins ultérieurs du système. Il en est de même qu'il s'agisse de la mise en réserve des éleveurs, leur ôtant la plupart de leurs pâturages au profit de colons blancs (Kenya), ou de la diffusion de l'éducation occidentale.

Ces transformations ont réduit les capacités des éleveurs à résister aux désastres. Elles entraînent la désarticulation des forces produc-tives, suscitent des tensions irréductibles dans la société colonisée et

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contribuent en dernière analyse à reproduire la domination impéria-liste et ses effets que j'ai précédemment mis en évidence à propos de la Mauritanie. La preuve la plus convaincante que ces différences de niveau des forces productives, ce « gap » technologique, ne sont pas la cause première des catastrophes actuelles est d'ailleurs le développe-ment considérable des sociétés d'éleveurs nomades ayant choisi la voie du socialisme, plus particulièrement la Mongolie.

Le véritable responsable de la situation actuelle en Afrique n'est pas la fatalité des éléments naturels ou d'un choc de civilisations, mais bien l'impérialisme : « La sécheresse apparaît plutôt comme le symp-tôme à très long terme d'un processus social, une probabilité résultant des activités économiques de l'homme, que comme un acte arbitraire à court terme de Dieu. La sécheresse décrit la situation de ceux qui sont jetés dans une certaine voie, tout comme la paupérisation urbaine, le manque de terre, le vagabondage renvoient à la situation de certains autres dont les problèmes sont provoqués fondamentalement par les mêmes processus 39. » Ce processus évoqué par P. Spencer est bien celui de la domination impérialiste.

L'importance de la sécheresse dans le déroulement de ces crises s'explique par les fonctions qu'elle avait dans la société précoloniale. De crise révélant la suraccumulation des moyens de production, la sécheresse est devenue l'indice d'une crise suscitée par l'élargisse-ment de la production capitaliste dans le cadre de la domination im-périaliste. Il ne suffit pas de constater que le fonctionnement de la for-mation colonisée est perturbé par les pressions économiques et poli-tiques, il faut montrer que son fonctionnement entraîne la reproduc-tion élargie du capitalisme et de l'impérialisme. Il ne s'agit donc pas d'un [84] combat entre l'ancien et le nouveau, entre la tradition et la modernité, comme le pensent certains chercheurs progressistes : « Il est clair que les valeurs et structures sociales des Iforas qui contri-buent à la stratégie de maximisation du troupeau se développaient quand il y avait beaucoup plus de liberté de manœuvre pour un plus petit nombre de nomades ayant plus de terre. Dans ces conditions, le manque de pâturages et d'eau était beaucoup moins sérieux puisque les nomades pouvaient se déplacer. Périodiquement de grands dé-sastres ramenaient la population humaine et animale bien en dessous des capacités disponibles, donnant à la végétation la possibilité de se 39 « The Social Context... », art. cité.

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renouveler. Mais il n'y a plus de nouvelles terres où se déplacer main-tenant, et la médecine moderne a réduit l'impact des épidémies ani-males. La stratégie de maximisation du troupeau est de plus en plus inappropriée aux conditions nouvelles d'un monde extérieur sur le-quel les Iforas n'ont aucun contrôle : à long terme cela peut être catas-trophique pour eux 40. »

Il découle de notre analyse que, les effets de la sécheresse étant relatifs à la domination impérialiste, ils changeront avec dévolution historique de cette domination, en fonction en particulier du degré de développement local des rapports capitalistes et du degré de destruc-tion parallèle des rapports précapitalistes.

J'avais déjà évoqué ce problème en notant le décalage entre la crise suscitée par la sécheresse de 1942 et 1943 en Mauritanie et des crises semblables en d'autres régions d'Afrique (souvent vers 1914). Le re-tard de la colonisation en Mauritanie justifiait ce décalage. Il faut no-ter dans cette perspective ce qui fait la spécificité de la sécheresse actuelle.

Quoique les conditions climatiques n'aient pas été plus dures qu'en 1914, la sécheresse de 1973 s'est caractérisée par sa généralité (elle retentit même dans les régions d'alentour non directement touchées) et ses conséquences dramatiques, comme si le mouvement faisait boule de neige. Cette généralisation correspond à la généralisation de la na-ture même de la domination impérialiste au stade néo-colonial. À l'échelle dune partie du continent, les résultats sont identiques : mon-tée des prix des produits vivriers et chute de ceux du bétail, dégrada-tion des moyens de production traditionnels, migration de centaines de milliers de personnes. Personne ne pense que la situation puisse un jour redevenir ce qu'elle était auparavant. À l'heure où le grand capital [85] s'intéresse de plus en plus à 1'« industrialisation » locale, en sous-traitance des grandes entreprises multinationales, alors que les bas sa-laires suscitent les convoitises des exportateurs de capitaux, le marché du travail se trouve brusquement grossi de manière considérable. La destruction des systèmes traditionnels de production qui s'est lente-ment poursuivie durant toute la période coloniale et s'est accélérée au

40 J. SWIFT, « Pastoral Nomadism as a Form of Land Use : the Tuareg of the Adrar N'Iforas », Le Pastoralisme aujourd'hui..., op. cit.

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cours des dernières années ouvre ainsi de nouvelles possibilités de développement local des rapports capitalistes.

Cela est particulièrement vrai dans le domaine de l'élevage. La zone sahélienne et l'Afrique de l'Est peuvent constituer une réserve de viande à l'échelle mondiale. Au Soudan et en Ouganda, les ranches de plusieurs milliers de kilomètres carrés sont déjà une réalité. Dans tout le Sahel les expériences menées par les gouvernements locaux sus-citent la convoitise des capitalistes à la recherche de sources nouvelles de profit. Des experts américains se sont, par exemple, rendus au Ni-ger à cette fin, et le projet, avant la chute de Diori Hamani, était sé-rieusement étudié, du moins — pour commencer — dans les régions les moins peuplées.

On comprend mieux dès lors la tentation d'obtenir la « solution finale » plus ou moins violente du problème nomade. Les tergiversa-tions et les retards de l'aide internationale, la mauvaise volonté mani-feste de certains États n'ont pas d'autres mobiles que l'aubaine repré-sentée par les possibilités d'un élevage de profit, sans les éleveurs lo-caux.

Dans le domaine agricole, si les dangers de solution radicale sont moins immédiats, il n'en reste pas moins que la migration en masse, les nécessités de réorganiser en profondeur la production peuvent être l'occasion de tenter de résoudre le problème du statut foncier des terres — inextricable pour tant d’« experts » — et de développer une agriculture commerciale plus « rentable ». Dans l'un et l'autre cas le danger de désertification, souvent mis en avant par la propagande, se-rait surtout le danger que les populations locales apparaissent comme gênantes sur leur propre terre.

Il faut enfin tenir compte des couches nouvelles, commerçants, pe-tits entrepreneurs locaux, auxquels s'ajoutent dans certains cas des membres de l'appareil politico-administratif. Exclus des sources de profits réservées aux grandes firmes multinationales, recherchant de-puis toujours des hauts profits spéculatifs, ils utilisent la place nou-velle qui leur est faite dans les États néo-coloniaux pour spéculer à outrance sur la situation actuelle. Les grains stockés, les fonds de [86] secours détournés ajoutent à la misère de la population et favorisent l'accumulation locale de capitaux, accentuant la différenciation so-ciale. Les caractères nouveaux présentés par la sécheresse des der-

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nières années sont donc liés aux caractères nouveaux de la domination impérialiste au stade néo-colonial. Les contradictions nouvelles qui se développent à ce stade apparaissent aussi clairement dans les circons-tances présentes :

- contradiction entre le pillage à une grande échelle par les firmes multinationales de ces pays et le caractère tardif et parcimo-nieux de Y aide ;

- renvoyant à une contradiction plus fondamentale entre les be-soins d'une construction nationale révélée par l’ampleur de la crise et l'internationalisation de l'exploitation capitaliste.

Au niveau politique, la crise provoquée par la sécheresse est aussi l'occasion pour ces contradictions de se révéler : les coups d'État mili-taires, au Niger et en Ethiopie, en révèlent l'acuité et la pression crois-sante des populations éprouvées.

La persistance de la sécheresse en 1974 (il semble cependant que la saison des pluies ait favorablement commencé) entraînerait à coup sûr une aggravation rapide de la situation sanitaire et aussi une dégra-dation peut-être irréversible du milieu. Dans tous les cas, la crise ac-tuelle laissera un impact durable sur les sociétés africaines.

J'ai évoqué certains effets politiques récents. En révélant brutale-ment les effets de la domination impérialiste et en favorisant un déve-loppement local du capitalisme, dans des conditions qualitativement nouvelles (formation d'une classe ouvrière), la crise favorise une prise de conscience anti-impérialiste et crée des possibilités accrues pour lutter contre l'impérialisme et reconstruire sur d'autres bases les pays concernés.

Septembre 1974

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Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 4

“UNE ÉCONOMIE NOMADESAHÉLIENNE FACE

À LA CATASTROPHE. *

LES TOUAREG DE L'ADRARDES IFORAS (MALI).”

Jeremy Swift

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Le but de cet article est de donner un aperçu de l'économie pasto-rale ouest-africaine et de l'importance des populations concernées, puis d'examiner la manière dont les populations pastorales nomades font traditionnellement face à la sécheresse et à d'autres catastrophes, enfin d'en tirer des conclusions pour l'action immédiate et à long terme.

* * Publié originellement dans Drought in Africa, D. Dalby et R.-J. Harrison Church (eds.), SOAS, 1973. Nous remercions l'auteur et les éditeurs de nous avoir permis de traduire et reproduire ce texte (traduction de F. Leimdorser et C. Messiant).

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I. Nomadisme pastoralet utilisation de la terre dans le Sahel

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Le Sahel est la zone de végétation semi-aride située entre le Sahara et la savane soudanaise. Il y tombe environ 100 à 350 mm de pluie par an, et la région est caractérisée par une végétation d'épineux, d'ar-bustes et d'herbes résistantes à la sécheresse. Le Sahel a une saison [88] de pluies de mousson, mais, en été et au printemps, seuls les lits à sec des oueds conservent une végétation, et ailleurs la terre a souvent l'aspect d'un vrai désert.

Le Sahel ouest-africain est exploité par de nombreux pasteurs no-mades et transhumants, comme les Maures, les Touareg, les Bera-biche, les Peul et les Tebu. Il est, avec la grande savane soudanaise qui le borde au sud, une des plus importantes régions productrices de bétail d'Afrique. L'importance du Sahel et de la savane voisine comme régions productrices de produits primaires apparaît dans les chiffres du commerce ouest-africain du bétail et des produits dérivés. Ce com-merce est en majeure partie constitué par des exportations de bétail sur pied des régions septentrionales productrices de surplus (Tchad, Niger, Haute-Volta, Mali et Nord-Nigeria) vers les régions côtières déficitaires (Nigeria, Ghana, Côte-d'Ivoire, Togo et Dahomey). Les exportations nettes des pays excédentaires avant la sécheresse actuelle se montaient à environ 620 000 têtes de bétail par an 41 et constituaient la principale source de devises pour ces pays qui ont peu d'autres pos-sibilités d'exportations. Ainsi le Tchad exporte 80% de la part com-mercialisée de sa production de bétail, tandis que le bétail représente environ 45% des exportations totales de marchandises au Mali, et 65% en Haute-Volta. D'où cette conclusion du rapport déjà cité fait par la FAO sur ces pays :

« C'est la prospérité du commerce du bétail qui déterminera en fait dans une large mesure la prospérité et la croissance des économies exportatrices. »

41 FAO/IBRD Coopérative Programme, Report of the West African Livestock Reconnaissance Mission, Report 2/69 W-AFR-1, FAO, Rome, 9 april 1969.

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Ce commerce est également important pour les pays côtiers, car l'augmentation des revenus tirés par le Sahel de la vente de son bétail sera utilisée en partie à l'achat dans les pays côtiers de denrées com-plémentaires, et en partie à des importations qui devront passer par les ports, les routes et les chemins de fer des pays de la côte d'Afrique occidentale.

Le bétail sera encore pour de nombreuses années l'un des princi-paux ressorts des économies ouest-africaines. Si tant est qu'on aborde le problème de la sécheresse actuelle dans la perspective à long terme de l'avenir de l'économie pastorale et des sociétés sahéliennes tradi-tionnelles, il est nécessaire d'examiner l'environnement sahélien et la [89] manière dont les sociétés nomades traditionnelles en tirent parti, ainsi que les changements introduits depuis la période coloniale. Je prendrai pour exemple l'une de ces sociétés nomades : les Touareg Kel Adrar des montagnes de l'Adrar des Iforas du Nord-Mali. Les Kel Adrar sont en marge à la fois du Sahel (ils vivent sur sa bordure nord tout près du désert) et de l'économie d'élevage ouest-africain ; ils vendent un peu de jeune bétail à des marchands itinérants qui l'ex-portent vers la côte, et ils font eux-mêmes traverser le Sahara à des troupeaux de moutons qu'ils vendent dans le Touat en Algérie occi-dentale ; ces deux activités s'exercent cependant sur une petite échelle, et les Kel Adrar pratiquent essentiellement une économie de subsis-tance. L'analyse économique se penche sur les « marges » d'un sys-tème afin de découvrir les lois qui régissent son fonctionnement au « centre ». De même peut-on raisonnablement, pour l'analyse écolo-gique et sociale que nous voulons faire, penser que l'étude des com-portements marginaux nous permettra d'aboutir à des conclusions utiles quant au comportement des pasteurs sahéliens en général.

Les Kel Adrar sont confrontés sous une forme très aiguë aux pro-blèmes qui se posent à tous les pasteurs sahéliens, et les solutions qu'ils y apportent peuvent éclairer le comportement des autres.

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II. L'incertitude de l’environnement sahélien

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La chaîne de l'Adrar des Iforas, qui ne dépasse pas 500 à 800 mètres, est coupée de plaines caillouteuses et de lits d'oueds asséchés. La chaîne a un régime de mousson, avec des pluies de tempêtes courtes et soudaines de juillet à début novembre, suivies d'une saison relativement fraîche jusqu'en mars, puis d'une véritable saison saha-rienne chaude de mars à la fin juin.

La végétation des Adrar est typiquement sahélienne : c'est un mé-lange d'herbes vivaces et d'herbes annuelles (aristide, panicum, an-dropogon, cloris), d'épineux et d'arbres (acacias et balances surtout). L'élevage est déterminé par deux types distincts de pâturages. Pendant les saisons froides et pluvieuses, le pâturage est extensif sur les herbes annuelles, dont la quantité et la distribution dépendent directement de la quantité et de la distribution de la pluie. Pendant ces saisons, les Kel Adrar vont de pâture en pâture, campant dans un endroit jusqu'à épuisement de l'herbe. Le reste de l'année, ils [90] s'établissent autour de leurs puits habituels de saison sèche, et les animaux mangent prin-cipalement les herbes persistantes (en particulier le panicum turgi-dum, aliment de base de saison sèche de tout le bétail sahélien), dans un rayon d'un ou deux jours de marche autour des points d'eau. Cer-tains puits (parfois profonds de cinquante mètres) atteignent la nappe souterraine, mais la plupart sont des trous peu profonds et saisonniers creusés dans les lits d'oueds, ne touchant que les eaux souterraines de ruissellement.

Le fait que pour l'essentiel les pâturages et l'alimentation en eau potable pour les hommes et les animaux dépendent directement des pluies fait de la quantité et de la distribution de celles-ci un facteur décisif. La quantité des précipitations est faible et variable. Il existe des tableaux pluviométriques pour Kidal (le centre administratif) et Tessalit dans le Nord. Kidal est plus élevé que les plaines environ-nantes et reçoit donc plus de pluie : les moyennes sur cinq ans depuis 1926 vont de 119,2 mm à 193,7 mm de pluie par an, alors que celles de Tessalit (moyennes sur cinq ans) varient, depuis 1951, entre 77,6 mm et 131,9 mm. La quantité de précipitations pour le reste de la ré-

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gion de l'Adrar se situe probablement entre ces deux extrêmes, plus près cependant des chiffres de Tessalit que de ceux de Kidal.

En outre, les pluies sont très irrégulières selon les années. Sur les quarante-six années pour lesquelles on dispose de statistiques à Kidal, la moyenne annuelle s'établit à 140 mm, mais treize années ont reçu moins de 100 mm de pluies, et trois moins de 75 mm. Cela signifie une mauvaise année tous les quatre ans et une catastrophe potentielle tous les quinze ans. On voit aussi que les bonnes et les mauvaises an-nées ont tendance à former des séries, d'où des accroissements impor-tants du troupeau les bonnes années, et des pertes considérables les mauvaises. Les statistiques de Kidal montrent que la sécheresse ac-tuelle fait partie d'une courte série de mauvaises années : 1969, 1971 et 1972 furent de mauvaises années, bien que 1970 fût une année nor-male. À Tessalit, la pluie est non seulement plus rare qu'à Kidal, mais aussi plus irrégulière : il n'est pas rare qu'il tombe une année la moitié ou le double des pluies de l'année précédente. On note enfin, égale-ment à Tessalit, que les années soixante ont eu régulièrement moins de pluies que les années cinquante, et que la série actuelle de mau-vaises années a commencé en 1968, bien que 1970 ait été une bonne année comme à Kidal.

La distribution de la pluie dans l'espace et dans le temps est [91] elle aussi variable. Il n'y a pas assez de stations pour observer les va-riations annuelles d'un endroit à l'autre, mais on sait que la pluie et les pâturages sont abondants certaines années dans les oueds, et inexis-tants l'année suivante ; s'il existe quelques grands oueds exploitables presque chaque année, l'incertitude des lieux de pâture est une donnée de base de la vie nomade. L'irrégularité de la date des premières pluies est encore plus importante. Vers la fin de la saison sèche, à la mi-juillet, le cheptel familial se déplace tous les deux ou trois jours — d'un puits qui ne contient qu'un filet d'eau boueuse à un pâturage consistant en quelques touffes disséminées d'herbes persistantes à vingt ou trente kilomètres de là. Ce déplacement devient le principal mécanisme de limitation du nombre d'animaux, et la mortalité est alors forte pour toutes les espèces. Plus les pluies arrivent tard, plus le nombre des morts est élevé, et un retard d'une semaine ou deux peut causer des pertes sévères. Les statistiques pluviométriques de Kidal et Tessalit font ressortir des variations considérables dans les dates des premières pluies, et il n'est pas rare que ces premières pluies soient

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insuffisantes, et que les premières herbes n'apparaissent pas avant la mi-août, un mois après la date moyenne et espérée par les pasteurs.

III. La stratégie touareg contre l'incertitude

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C'est de cet environnement médiocre et incertain que les Touareg Kel Adrar doivent tirer parti. Les variations annuelles des pâturages et de l'eau sont importantes, et bien d'autres « accidents » peuvent déci-mer en quelques semaines des troupeaux entiers, comme les maladies, soit les disperser et parfois les tuer, comme les tempêtes de sable en saison sèche ou encore les chacals. Dans une économie pastorale de subsistance, la perte d'une partie importante du troupeau familial si-gnifie la misère immédiate. Ce risque, tous les pasteurs doivent l'af-fronter plusieurs fois dans leur vie, et il est un élément déterminant de leur comportement. La stratégie des Kel Adrar contre ces incertitudes comporte six éléments principaux.

[92]

1. DIVERSIFICATION DU TROUPEAU

Les Kel Adrar possèdent des chameaux, des bovins, des moutons et des chèvres, ainsi que des ânes pour transporter l'eau. Les bovins et les moutons broutent l'herbe, les chameaux l'herbe et les feuilles et les chèvres surtout les feuilles, de telle sorte qu'à l'intérieur du système écologique de l'Adrar les différents domaines écologiques sont exploi-tés par les bovins et moutons (prairies), les chameaux (prairies, arbres et épineux) et les chèvres (arbres et épineux). Ces différentes espèces ont des besoins en eau différents : bovins et moutons boivent souvent et ne peuvent donc pas trop s'éloigner du puits, les chameaux boivent plus rarement et peuvent s'éloigner davantage, tandis que les chèvres boivent souvent mais peu, et peuvent donc s'abreuver dans les guer-bas ou outres à eau et restent autour du camp. Ces animaux n'exigent pas non plus le même travail en matière de surveillance, d'abreuve-ment et de traite. Les moutons exigent beaucoup de travail et doivent

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être constamment surveillés, alors que les chameaux et les bovins sont souvent laissés sans gardien, et ne demandent que peu de travail pour l'abreuvement pendant la saison sèche et pour la traite. Les chèvres exigent une surveillance constante, mais il s'agit d'un travail facile, qui est souvent confié aux enfants. Les différentes espèces d'animaux ont également des cycles différents de gestation. Les vaches et les cha-melles, dont la gestation dure respectivement dix et douze mois, ne conçoivent qu'après les premières pluies et la reconstitution des pâtu-rages, de telle sorte que leurs petits naissent tôt dans la saison des pluies suivante, lorsque les pâtures sont les plus riches. On ne laisse pas les moutons s'accoupler avant décembre ou janvier, afin que les agneaux naissent également pendant la saison des pluies. Les chèvres sont plus robustes et ne dépendent pas de la formation de nouveaux pâturages : les petits naissent après les moutons, d'octobre à janvier. On empêche de plus les accouplements des moutons et des chèvres une deuxième fois dans l'année, à moins que les pâturages soient ex-ceptionnellement bons. Le décalage de ces naissances permet d'utiliser au maximum les pâturages de la saison des pluies, et également d'avoir un peu de lait pendant toute l'année. Enfin, les chèvres, grâce à la faible durée de leur gestation et à leur robustesse, constituent un bon recours en cas de détresse. Il est vraisemblable que les bovins et les chameaux, les plus atteints par la sécheresse, n’auront [93] pas conçu en 1973 en raison du manque de pâturage, de sorte qu'il faudra attendre encore un an après le retour de pluies normales pour que ces animaux produisent du lait. Les chèvres par contre auront du lait cinq mois après les premières bonnes pluies.

La diversité des besoins écologiques, des exigences en travail, des caractéristiques biologiques et des produits de ces animaux fait que les nomades Kel Adrar peuvent, quand survient une sécheresse désas-treuse, recourir à une large gamme de stratégies économiques. Elle autorise aussi une grande souplesse par la division des troupeaux, l'ex-ploitation optimale des conditions de l'environnement, par la coopéra-tion et la gestion en commun des troupeaux ou des parties de trou-peaux avec les autres membres du campement. La composition même des campements peut facilement être modifiée pour permettre de tels arrangements.

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2. LES DÉPLACEMENTS

Le mouvement est l'élément le plus évident de la stratégie nomade contre les incertitudes de la nature. Si les nomades se déplacent sou-vent pour des raisons politiques ou sociales, pour résoudre une que-relle familiale ou cimenter une nouvelle alliance politique, leurs rai-sons sont le plus souvent d'ordre écologique et économique : tirer parti d'une possibilité nouvelle ou fuir une menace. Les Kel Adrar ne sont pas de grands nomades au sens des nomades sahariens comme les Re-guibat de la Mauritanie du Nord, et en temps normal ils se déplacent seulement en quête de pâturages ou pour la cure salée pendant les sai-sons pluvieuses et froides, et retournent au même puits à chaque sai-son sèche. Les bonnes années, les campements peuvent rester dans un rayon de cinquante kilomètres de leur base de saison sèche, même si certains membres du camp font plusieurs milliers de kilomètres pour amener les moutons au Touat ou pour prendre du sel à Taoudenni. Mais la possibilité de se déplacer reste la protection la plus importante contre une catastrophe. Durant les dix dernières années s'est produit un mouvement constant des clans kel adrar du nord vers le sud, du fait de la dégradation des conditions — pâturages et eau — dans le Nord, et d'un fort accroissement du nombre de nomades utilisant Kidal comme puits de saison sèche, à cause de l'abondance de l'eau et de la qualité des pâturages.

Plus importante encore est la migration de longue distance en cas de catastrophe. Tous les pasteurs nomades la pratiquent, et pour les [94] Touareg sahariens et sahéliens cette pratique a été institutionnali-sée par un ensemble d'alliances politiques lâches entre les plus impor-tantes confédérations. On peut citer par exemple les grandes migra-tions vers le sud qu'entreprirent les Touareg Taitoq à la fin du XIXe

siècle à la suite d'un double désastre : la sécheresse et l'invasion fran-çaise. L'arrivée des Français au Sahara à la fin du XIXe siècle et le long du Niger dans la première décennie du XXe siècle a figé les rela-tions politiques des Touareg dans un moule qui a peu changé depuis ; mais, avant cette période, les Kel Adrar entretenaient des relations subordonnées mais libres avec leurs deux puissants voisins : les Kel Ahaggar au Nord-Est et les Iwllemedden au Sud. En cas de calamité ils pouvaient trouver refuge chez les uns ou les autres. Pendant la der-nière grande sécheresse sahélienne de 1913, les Kel Adrar sont ainsi

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descendus dans le territoire des Iwllemedden et, dans leur chronolo-gie, cette année porte le nom de l'oued proche de Ménaka où la plupart trouvèrent refuge.

En 1973, les Kel Adrar ont réagi de la même manière. Quand elles se rendirent compte, au début de l'automne, que la faiblesse des préci-pitations devenait dangereuse (après une série de mauvaises années), presque toutes les familles descendirent de quelques centaines de kilo-mètres vers le sud en novembre et décembre. Celles qui restèrent — quelques centaines de familles — furent isolées dans l'Adrar car la région désertique à traverser était trop étendue dès début janvier pour qu'ils tentent de se réfugier au Sud.

3. LE STOCKAGE DE LA NOURRITURE

Dans une économie de subsistance, la manière la plus élémentaire de se prémunir contre les graves pertes de nourriture ou les pénuries saisonnières est de stocker les surplus de nourriture accumulée pen-dant les bonnes périodes. Cela est difficile dans une économie pasto-rale car c'est le lait, qui ne se garde pas, qui constitue l'essentiel de ce surplus. Les Kel Adrar font un petit peu de beurre, qui se conserve quelques semaines, et du fromage, que l'on peut garder deux ou trois mois, mais le principal produit excédentaire est le lait de chamelle qui, pour des raisons biochimiques, ne peut être transformé en fromage. Aussi les Kel Adrar stockent-ils plutôt sous forme d'animaux vivants, en accumulant si possible des troupeaux qui excèdent leurs besoins de subsistance, afin de pouvoir les vendre [95] ou les échanger contre des céréales lorsqu'ils sont dans le besoin. Une telle accumulation, attri-buée parfois faussement à un désir irrationnel de posséder des ani-maux de prestige, est en fait un élément de la stratégie touareg contre les incertitudes naturelles 42.

42 La gestion des troupeaux des Kel Adrar et les conséquences écologiques des stratégies d'accumulation des animaux sont examinées plus en détail dans : J. SWIFT, « Pastoral Nomadism as a Form of Land Use : the Tuareg of the Adrar n Iforas », Proc. Int. Afr. Inst. Seminar on Pastoralism in Tro-pical Africa : Traditional Societies and their Development (Niamey, 1972), Th. Monod (éd.), Oxford University Press, sous presse.

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4. LE PARTAGE DES ANIMAUX

Les Kel Adrar donnent et prêtent facilement des animaux à leurs amis et aux membres de leur clan, et ainsi édifient un réseau de dons et de prêts, sorte d'assurance sociale primitive. Une personne réputée pour avoir été généreuse, avoir prêté des animaux dans le passé ou avoir encore des animaux en prêt n'aura pas de difficulté à récupérer, emprunter ou se voir donner des bêtes si elle est dans le besoin. Il semble que la société kel adrar pratique une sorte de système simple dans lequel le prêt à accorder à chaque pasteur est fonction de sa parti-cipation antérieure aux transactions. Et pour obtenir un taux élevé de crédit, quand il en a besoin, le pasteur doit pouvoir prêter des animaux à son tour. Cela le pousse à garder plus d'animaux qu'il n'en a besoin pour subsister. Si l'on excepte les dons au sens strict, qui ont générale-ment lieu entre les membres très proches du clan (père, fils ou entre frères), les principales catégories de transactions d'animaux sont les suivantes :

Tiyyaten : c'est le prêt libre d'une femelle en lactation comme source de nourriture à un pauvre ou un indigent, sans rien en attendre en retour. Les animaux sont normalement prêtés tiyyaten pendant la saison des pluies, lorsque les gens ont des animaux à céder, et ils sont rendus à la saison froide lorsque la lactation s'achève, mais ils sont parfois prêtés pour plusieurs années. Les animaux tiyyaten peuvent être repris par leur propriétaire à tout moment pour n'importe quelle raison.

Tiferen : c'est le louage d'animaux à un prix et pour une période [96] prédéterminée par un arrangement entre les deux parties. Il peut s'agir de femelles en lactation ou de chameaux mâles pour la monte.

Akh idderen : c'est le don pur et simple d'un animal en lactation à des pauvres ou indigents. C'est un acte moral, et rien n'est attendu en retour. L'animal cédé appartient au donataire et est hérité par ses en-fants, bien qu'il, ne puisse être vendu ou mangé sans l'autorisation du

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donateur. La même transaction, qui s'appelle tasnit, existe pour les chameaux de selle.

Inuf : ce sont des dons réciproques de quelque objet que ce soit : argent, animaux, vêtements, etc. Inuf est toujours donné dans l'attente d'un don en retour, bien qu'on ne le dise jamais ouvertement, et ce don en retour peut être effectué un an ou plus après. Les gens ont des rela-tions inuf avec un petit nombre de gens sur plusieurs années, pendant lesquelles la valeur marchande des biens échangés reste à peu près stable. Les bons gardiens de troupeaux donnent souvent des animaux en échange inuf à d'autres moins bons gardiens en échange d'autres produits. Le produit des caravanes n'est souvent pas échangé directe-ment, mais passe en échange inuf.

Toutes ces transactions, qui ne constituent qu'une petite partie du large éventail des transactions animales dans la société kel adrar, sont considérées par les Touareg comme des actes principalement moraux ; même l'échange inuf (où l'attente de réciprocité est claire) n'est pas décrit comme une relation économique. Le réseau de liens créés par ces divers prêts et dons d'animaux crée un sentiment de solidarité et constitue la base de nombreuses relations de clientèle, mais leur rôle principal est économique : ils permettent la redistribution du cheptel kel adrar, dont dépend la subsistance de chaque famille selon les be-soins de celle-ci.

5. LES ACTIVITÉS DE « REPLI »

Ainsi que de nombreux nomades, les Kel Adrar possèdent un en-semble de connaissances et une technologie de la chasse et de la cueillette qu'ils pratiquent comme activités de « repli » en cas de sé-cheresse ou de catastrophe grave. Ils chassent la gazelle (surtout [97] la gazella dorcas) avec des pièges à ressort et en les traquant à l'affût avec des chameaux. La cueillette des graines et des fruits sauvages est également très répandue dans les périodes difficiles. Les nids de four-mis sont notamment pillés, car ils contiennent beaucoup de graines d'herbes.

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6. LE RECOUVREMENT DES PERTES

Dans le passé, lors de sécheresses plus localisées, les Touareg re-constituaient leurs troupeaux en razziant des voisins plus fortunés. Cette pratique a quasiment disparu aujourd'hui. Si la catastrophe prend une ampleur telle que le nombre de bêtes est trop faible pour qu'on puisse obtenir des bêtes par prêts, dons ou raids, les Kel Adrar essaient de recouvrer leurs pertes en intensifiant le commerce carava-nier qu'ils pratiquent en temps normal. C'est ce qu'ont fait de nom-breux éleveurs après la sécheresse de 1913. En jouant sur les diffé-rences de prix du bétail, du sel et des marchandises caravanières tradi-tionnelles (couvertures, dattes, tabac, thé, sucre, viande séchée) exis-tant entre les bordures nord et sud du Sahara, ils étaient capables de reconstituer leurs troupeaux en quelques années.

IV. Les changements récents échappentau contrôle des Touareg

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La vie des Touareg a subi de profonds changements ces cinquante dernières années, du fait d'abord de l'imposition de l'autorité française, puis de l'accession à l'indépendance des États ouest et nord-africains. L'effet de certains de ces nouveaux facteurs a été de réduire la capaci-té des Touareg à se protéger contre les incertitudes et d'empêcher la reconstitution de leurs troupeaux.

Leurs possibilités de mouvements ont été restreintes. Dès le début de leur domination, les Français ont imposé une série de conventions réglementant et limitant les mouvements nomades à des territoires particuliers pour chaque confédération. Après l'indépendance, les frontières des États, en donnant une autorité formelle à des [98] lignes tracées sur les cartes coloniales, ont encore réduit la possibilité pour les Kel Adrar de trouver refuge en cas de désastre dans les Ahaggar (maintenant en Algérie) ou dans le territoire des Iwllemedden (main-tenant en partie au Niger). L'accumulation des animaux par les no-

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mades afin de les stocker « sur pied » et de participer au réseau de prêts et dons est mal comprise, et on leur impose de lourdes taxes dans le but de les contraindre à vendre leurs bêtes. La chasse a presque complètement cessé, car il n'y a plus guère de gibier (cela est dû en partie aux Touareg eux-mêmes — surpâturage et destruction de l'habi-tat —, mais aussi dans une large mesure à la chasse au fusil à partir d'automobiles, pratiquée par les agents de l'administration, les mili-taires et les résidents étrangers). Les enfants qui vont à l'école — et il y en a de plus en plus — restent longtemps loin des campements, et n'acquièrent donc pas les connaissances et les techniques tradition-nelles dont dépend la survie en période de sécheresse.

La possibilité pour les Touareg de compenser leurs pertes en inten-sifiant le trafic caravanier est également menacée. Les points d'arrivée traditionnels des caravanes des Kel Adrar sont maintenant dans des pays différents (le Touat en Algérie et la région frontalière occidentale de la République du Niger), et les caravanes doivent acquitter des droits de douane. De plus, la concurrence avec les camions qui tra-versent le Sahara par la piste Gao-Bidon 5 - Béchar est de plus en plus dure ; la route transsaharienne, dont la conception est très avancée, réduira encore les minces avantages financiers qui font encore des ca-ravanes une activité intéressante pour les Kel Adrar.

L'effet cumulatif de ces changements a été de diminuer et de mettre en danger les capacités des Touareg à résister à une catas-trophe. Cette rupture dans le système traditionnel a été hâtée dans une certaine mesure par des activités bénévoles destinées à améliorer la productivité du bétail dans l'Adrar et les régions avoisinantes, en parti-culier par le contrôle des maladies animales et la création de nouveaux points d'eau. Les puits ont été améliorés, et des campagnes de préven-tion et d'éradication des maladies ont été lancées. Bien que, dans l'Adrar, ces activités aient été accomplies jusqu'à présent sur une pe-tite échelle, elles ont eu des effets similaires à ceux notés ailleurs : un accroissement du pâturage autour des nouveaux puits plus permanents et plus productifs provoque la destruction de la couverture herbeuse, accroissant l'érosion induite de l’eau et du vent, et aboutit en général à de plus grandes fluctuations [99] du nombre d'animaux, sans pour au-

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tant que les débouchés soient plus étendus ou la sécurité mieux garan-tie pour les nomades 43.

Les causes de ce phénomène sont simples. Dans les systèmes éco-logiques de culture, une technologie appliquée à tous les principaux facteurs de production (fertilisants, terrassements anti-érosion, irriga-tion, insecticides, machines, etc.) a permis de dépasser les limitations malthusiennes de la production. Dans les systèmes écologiques tropi-caux de pâturage, la technologie n'a jusqu'à présent été appliquée qu'aux approvisionnements en eau et au contrôle des maladies. Des accroissements constants de production sont donc impossibles du fait que le sol et la végétation ne reçoivent pas d'apport technologique et sont donc des facteurs qui limitent la production. Les économies et sociétés nomades sont des totalités fortement intégrées et fonction-nelles, et de nombreux facteurs concourent à leur équilibre. Les chan-gements proposés doivent donc agir sur l'ensemble du système écolo-gique, et non se limiter à un aspect isolé de celui-ci.

Depuis l'indépendance, le gouvernement a poursuivi activement toute une série de projets de développement : boutiques coopératives dans les principaux villages, techniques d'amélioration du bétail, dis-pensaires et écoles pour les nomades. Mais, quelle que soit l'impor-tance de ces initiatives qui suggèrent les directions que la planification du développement peut prendre au Sahel, le gouvernement n'a pas les moyens de mettre sur pied des projets intégrés de développement à grande échelle. Projets qui réduiraient la dépendance des Touareg à l'égard de leurs propres moyens traditionnels de réponse à l'incertitude et aux risques.

43 Ce processus est maintenant largement reconnu comme un danger majeur accompagnant les schémas de développement dans les terres à pâturages arides (cf. R. F. Dasmann, J. P. Milton and P. H. Freeman, Ecological Prin-ciples for Economie Development, London, 1973, 76-112 ; M. T. Farvar and J.P. Milton (eds), The Careless Technology : Ecology and International Development, London, 1973, 667-790).

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Conclusion

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Les nomades sont préparés aux catastrophes, et la sécheresse de 1972-1973 n'est pas une expérience nouvelle pour eux. Le problème est de savoir comment les aider au mieux, comment empêcher que [100] les interventions n'aggravent la situation, et comment encoura-ger les mécanismes traditionnels des nomades de sorte qu'ils puissent s'aider eux-mêmes, par les moyens qu'ils connaissent le mieux, plutôt que de devenir des squatters déchus autour des bidonvilles ou des camps de réfugiés.

L'aide est certainement nécessaire. Même si les animaux en âge de se reproduire ont survécu et même si les pluies de 1974 ont été bonnes dans le Sahel, peu d'animaux auront conçu dans les conditions natu-relles très dures de 1973. De nombreux nomades auront besoin de nourriture pour leur propre consommation, alors que le cycle de gesta-tion des animaux va à nouveau commencer. Sinon ils seront obligés d'aller vendre ce qui leur reste de leurs troupeaux pour acheter de la nourriture pour eux-mêmes. Les chèvres seront les premières à avoir des petits et du lait, et on doit donc en encourager la production et non les éliminer comme certains administrateurs l'ont suggéré. La suspen-sion des taxes sur les animaux ainsi que la suspension des droits de douane sur les biens caravaniers traditionnels et une liberté totale de mouvement le long des routes caravanières et des lignes de nomadisa-tion permettraient de reconstituer les troupeaux plus rapidement. Il serait bon également d'interdire la chasse du gibier au fusil et à partir d'automobiles, mais d'autoriser au contraire la chasse traditionnelle.

Voilà quelques mesures indispensables à court terme, mais il est également important de planifier dès à présent pour le long terme.

Une catastrophe majeure telle que la sécheresse actuelle, survenant alors que les habitudes sont brisées, les structures et les relations so-ciales ébranlées, à un moment donc où l'intervention venant de l'exté-rieur de la société nomade elle-même est légitimée et peut être accep-tée, est une bonne occasion pour introduire des changements souhai-tables. Ces changements doivent se fonder sur une compréhension profonde du fonctionnement de la société et de l'économie nomades,

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des efforts des nomades et des moyens qu'ils ont élaborés pour tirer parti de l'environnement.

Nous ne devons pas nous laisser entraîner par la rhétorique sur la désertification du Sahel et sur la nécessité qu'il y aurait à créer des barrières de verdure pour contenir « l'avance du désert ». Les fluctua-tions de climat se succèdent, et le surpâturage provoque sans aucun doute localement une dégradation sérieuse de la couverture végétale. Quelques bonnes années de pluie changeront beaucoup de choses. Mais il n'y a pas de progrès possible tant que le pastoralisme [101] n'est pas pensé constamment et dans le long terme en fonction de la terre qui le porte. Pour ce faire, une série de mesures doit être appli-quée à tous les aspects de la vie pastorale nomade ; application équili-brée de la technologie à l'ensemble du système écologique de manière à réduire les incertitudes de l'environnement et à accroître la producti-vité (par exemple : réensemencement et gestion des pâturages, utilisa-tion rotationnelle des puits, digues en terre dans les oueds), introduc-tion de nouvelles formes de sécurité sociale et économique pour libé-rer les nomades de leurs mécanismes rudimentaires d'assurances, et nouvelles formes d'organisation coopérative afin de venir à bout des problèmes posés par l'exploitation des ressources possédées en com-mun, comme les pâturages et l'eau.

Au-delà de ces problèmes « simples » de développement se posent aussi des problèmes politiques plus difficiles : ceux des minorités telles que les Touareg, et les autres nomades du Sahara et de ses bor-dures, ceux que l'on pourrait appeler le « quart monde » : des civilisa-tions traditionnelles mais spécialisées, non différenciées économique-ment, encore très répandues, en particulier dans les pays en voie de développement. Tant qu'on considérera ces groupes comme des peuples arriérés et « primitifs » qu'il faut au plus vite assimiler aux modèles de développement en vogue ailleurs, aucun réel progrès ne pourra être fait. Dans le cas des groupes sahariens et sahéliens, la si-tuation est claire ; il y a là un grand groupe de peuples qui possèdent les aptitudes et les techniques nécessaires pour tirer parti des im-menses régions de l'ouest et du nord de l'Afrique, régions où l'environ-nement est si dur qu'on voit mal qui d'autre en serait capable. Cette région est essentielle au développement de l'Ouest africain, et peut substantiellement contribuer à réduire la pénurie de protéines qui sera l'un des aspects les plus importants de la crise nutritionnelle mondiale

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des prochaines décennies. Mais, à moins que l'on ne trouve les bonnes réponses à la catastrophe actuelle et à ses implications à plus long terme, ces sociétés nomades risquent d'être détruites et de disparaître, et le pays d'être déserté.

1973

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Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 5

“LA SÉCHERESSE EN PAYSMOURIDE (SÉNÉGAL).

EXPLICATIONS ET RÉACTIONSIDÉOLOGIQUES PAYSANNES”

Jean Copans

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Nous voudrions décrire la forme et le contenu des réactions « ver-bales » (c'est-à-dire interprétatives et explicatives) des paysans mou-rides face à la situation qu'ils avaient subie et qui était la leur au cours de l'été 1973. Nous pensons pouvoir ainsi compléter l'analyse de la relation idéologique qui est à la base du système confrérique mouride. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la situation de crise ne m'a pas paru un « révélateur » nouveau de la nature de cette relation. Elle a toutefois permis de préciser le sens réciproque du rapport taalib e-marabout. Elle a montré en effet que les marabouts ont dû pratiquer une stratégie de la réciprocité (en l'occurrence de l'aide) pour conser-ver la relation de dépendance en état de fonctionnement. 44

44 Sur l'arachide sénégalaise, la situation actuelle de la production agricole et sur la confrérie mouride, je renvoie à l'abondante littérature existante. Cf. notamment C. O'Brien, J. Copans et al, J. Copans, R. Dumont, P. Pblissier, A. Vanhaeverbeke et les articles sur le Sénégal dans le volume cité du Co-mité Information Sahel.

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I. Le problème des réactions paysannes

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Les études « paysannes » (peasant studies) sont un des domaines reconnus de l'anthropologie anglo-saxonne. Mais pour une série de raisons que nous n'avons pas la place d'évoquer ici, elles se sont très peu penchées sur les sociétés africaines 45. De plus, ce n'est que très récemment que l'on a abordé le thème des formes de conscience so-ciale, idéologique et politique 46. Ce silence était assez normal. Le pa-thos culturaliste ne permettait absolument pas de mettre au jour les conflits sociaux réels et de parler de lutte de classes, donc de conscience de classe.

L'adoption de cette dernière problématique (qui est également poli-tique 47) ne veut pas dire qu'on a résolu le problème de la nature so-ciale de la paysannerie. Mais on ne peut prétendre à une définition approchée des groupes de et dans la paysannerie africaine que si on se réfère d'une part à la structure économique et politique qui l'a formée et de l'autre aux formes de conscience qu'elle a de ces rapports et de sa situation. Le cas mouride ne fait qu'imposer avec plus de force cette orientation 48. La sécheresse et la crise générale qu'elle exprime mettent en lumière les conditions d'une prise de conscience politique par la paysannerie. Quelles sont les « grilles » d'interprétation et d'ex-plication utilisées ? Quels sont les problèmes considérés comme im-portants et décisifs par les paysans ? Apportent-ils des réponses, des solutions à la crise ? Si oui, comment pensent-ils pouvoir ou ne pas pouvoir les appliquer ?

[104]45 Les travaux auxquels nous pensons concernent essentiellement l'Amérique

latine et centrale : voir ceux de E. Wolf, R. Redfield, G. Foster, S. Mintz. Sur l'Afrique noire, cf. L. Fallers.

46 Voir par exemple l'ouvrage de E. Wolf et les articles de K. Post et J. Saul. Sur l'importance du problème, voir notre commentaire dans L’Homme.

47 Cf. nos remarques in Critiques et Politiques de l'anthropologie, pp. 33-34.48 Je renvoie au chapitre 5 (le champ de l'idéologie) et à la conclusion de notre

thèse.

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II. La problématique des luttes socialesdans la confrérie mouride 49

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Lorsqu'on essaie de cerner la nature des conflits possibles entre l'État et la confrérie, entre l'État et chacun des groupes qui composent cette dernière et enfin au sein de la confrérie elle-même, on se pose tout simplement la question de la nature des luttes de classes qui tra-versent la formation sénégalaise. Cette question est loin d'être pure-ment spéculative ou théorique, et il me semble d'ailleurs que l'orienta-tion politique de ce problème nous oblige à préciser très correctement les réponses possibles.

— Les marabouts sont-ils ces patriotes dont parle M. Diop ou de vils exploiteurs réactionnaires ?

— Quel est l'ennemi numéro un des paysans : le groupe mara-boutique ou l'État ?

— Comment peut-on mobiliser les paysans soumis aux mara-bouts ?

— En d'autres termes, comment la conscience de classe vient-elle aux taalibe ?

Pour nous la fonction déterminante des marabouts, et qui apparaît de plus en plus comme telle, est d'ordre idéologique. En outre, l'inter-vention grandissante de l'État dépossède directement ou indirectement les marabouts de leurs prérogatives socio-politiques et économiques 50. L'utilisation des « spontanéités » paysannes par l'État est un mythe d'autant plus tenace que la médiation maraboutique en est un des obs-tacles essentiels. Entre un système politique où il lui est difficile de 49 Extrait des deux dernières pages de notre thèse. Les matériaux recueillis

depuis la rédaction de cette conclusion (janvier 1973) n'ont pas remis en cause l'axe de notre problématique.

50 L'hétérogénéité et la concurrence intramaraboutique facilitent ce phéno-mène.

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s'insérer et une hiérarchie sociale dont il est l'élément périphérique, le taalibe ne peut compter pour le moment que sur lui-même s'il veut améliorer et changer sa condition.

La lutte contre les marabouts n'est pas et ne peut pas être ouverte. Elle se marque de façon inconsciente par une mobilisation moindre et par une remise en cause des « applications concrètes » de la domina-tion [105] maraboutique, mais cette « constatation » ne touche pas au message idéologique et à la pratique qui le sous-tend : la relation de taalibe. L'opposition à l'appareil d'État est plus visible, mais la double qualité de taalibe et de paysan rend certains rapports ambigus. L'État et la hiérarchie maraboutique spéculent plus ou moins adroitement sur cette situation. Cette opposition se marque autant à l'égard du système coopératif que du système politique que symbolise la gabegie étatique et bureaucratique 51.

Mais, même à l'égard de l'État, les griefs trouvent difficilement à s'articuler. Les paysans sont seuls et on ne les sollicite pas dans les conflits sociaux urbains qui ont pourtant une dimension politique na-tionale. Cette absence de réfèrent est aussi bien programmatique qu'organisationnelle.

La pratique de l'opposition anti-étatique aura comme effet à h longue de délimiter empiriquement aux yeux des paysans les respon-sabilités de chacun. La remise en cause des fondements idéologiques du système confrérique sera un effet secondaire de la lutte prioritaire contre l'appareil d'État. Car pour ce faire il faudra développer une pra-tique sociale telle que l'islam et le mouridisme n'apparaissent plus comme un appareil idéologique naturel. Ceux qui dénoncent les mara-bouts propriétaires fonciers placent explicitement la lutte politique contre la hiérarchie mouride au premier plan, alors que les paysans ne conçoivent pas leur rapport au marabout comme un rapport foncier 52.

La seule stratégie qui permette la construction d'une conscience de classe dans la paysannerie passe par l'alliance avec le prolétariat et les chômeurs urbains. Dans une telle perspective, l'interdit idéologique de

51 Parfois cette opposition se manifeste comme une critique de la ville (par rapport à la campagne), des intellectuels (bureaucrates, étudiants) par rap-port aux travailleurs.

52 De même que les taalibe ne sont ni des esclaves ni des serfs ou des salariés de leurs marabouts.

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la relation au marabout n'est pas un obstacle déterminant, mais il n'est pas non plus un moyen de cette prise de conscience. Contrairement à ce qui s'est produit au début de l'époque coloniale, l'idéologie mouride n'est pas aujourd'hui l'instrument exclusif de l'identification sociale et culturelle. L'État néo-colonial ne peut pas le permettre.

L'intervention des taalibe mourides dans la lutte des classes passe à l'extérieur de la confrérie et pas forcément contre elle, du moins im-médiatement.

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[106]

III. Le point de vue paysan 53

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Nous disposons dune remarquable source d'information qui donne déjà une idée du style et du contenu des « doléances » paysannes. Il s'agit des lettres et discours de paysans ou de groupes de paysans re-transmis ou reproduits par la radio éducative rurale. Il y aurait beau-coup à dire sur la signification de cette opération et sur les conditions d'expression de la voix paysanne, mais nous avons pensé qu'une évo-cation sommaire de ces jugements et revendications constituait une bonne introduction à notre propos.

On peut distinguer (d'après le corpus disponible) cinq centres d'in-térêt :

1. l'absence de correspondance entre les discours officiels et l'action gouvernementale réelle ;

2. l'absence de considération pour les paysans ;

53 Nous nous sommes servis du bulletin ronéoté de la radio éducative rurale (Animation rurale — Projet pilote UNESCO — Services intervenant en mi-lieu rural). Les vingt-quatre bulletins consultés s'échelonnaient de mars 1969 à octobre-décembre 1972. L'essentiel des textes (lettres ou interviews) concerne les problèmes techniques de l'agriculture (matériel, semences, en-grais), le système coopératif (fonctionnement et dettes) et la vulgarisation agricole. Il n'y a qu'une petite partie qui concerne la situation sociale de la paysannerie.

Évidemment ces textes sont écrits (même si ce sont des lettres « orales ») et reflètent parfois une opinion collective. Enfin, la radio s'adres-sant à tous les paysans sénégalais, l'opinion exprimée n'est pas uniquement celle des producteurs du bassin arachidier et encore moins des seuls produc-teurs mourides.

On trouvera une première analyse de ces documents dans le mémoire EPHE de Michel BOURGEOIS, Les paysans sénégalais parlent au micro de la radio éducative (ronéoté, mai 1973, 159 p.). Les universités de Mont-réal et de Stanford auraient engagé des recherches sur ce phénomène. Voir aussi la bibliographie in M. BOURGEOIS. La perspective de ce dernier est par ailleurs très différente de celle présentée ici.

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3. la situation des paysans par rapport aux urbanisés et aux fonctionnaires ;

4. la dépendance politique des paysans ;5. les productions agricoles et la situation alimentaire.

Les doléances sont donc une analyse de la situation globale faite aux paysans. Elles véhiculent une critique des conceptions, des ac-tions et des rapports qui engagent l'avenir de la paysannerie en son

[107] nom. Les réactions « égocentriques », voire « poujadistes », se comprennent parfaitement. 54 Mais il est difficile de parler d'analyse politique, c'est-à-dire qui engagerait une autre politique. Cette sensibi-lité politique est d'ailleurs versatile et peut être transformée en un éloge systématique des autorités en place (le président Senghor et le khalife général des mourides) 55. Examinons donc brièvement ces cinq centres d'intérêt.

A. Le gouvernement fait des promesses qu'il ne tient pas. Cet argu-ment classique est tout de même important, car, lorsque les paysans prennent les promesses à la lettre, ils essaient de comprendre pour-quoi elles ne sont pas satisfaites. La radio éducative rurale provoque même une réaction inverse : on demande aux paysans de parler, mais finalement on ne les écoute pas : là aussi ils se demandent pourquoi.

« Il y a quelque chose qui m'étonne en ce qui concerne la radio éducative rurale. Je veux savoir si vous voulez qu'on vous dise la véri-té ou qu'on vous influence, ou bien si vous voulez savoir ce qui ne va pas chez les cultivateurs. Vous ne devez pas refuser qu'on vous le dise, car la vérité il faut la dire. Le fait qu'on vous dise la vérité chez les cultivateurs ne doit pas vous déplaire » (Diourbel, juin 1969).

54 La paupérisation et la baisse des revenus paysans est une réalité. De 1966 à 1971 le revenu versé aux producteurs agricoles a été divisé par deux. De l'année 1971-1972 à l'année 1972-1973, ce revenu a encore baissé dans de fortes proportions (région de Thiès : 90% ; de Diourbel et du Fleuve : 75%  ; du Sine-Saloum : 20%).

55 Il suffit de lire les numéros de Disso d'après la remise des dettes. Le numéro spécial d'avril 1971 est une suite de louanges et de remerciements.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 128

En mars-avril 1970, plusieurs lettres font état d'un découragement, car on ne répond plus aux lettres et il n'y a plus de reportages chez les paysans.

B. Ne pas écouter les paysans c'est en fait ne pas les considérer comme des interlocuteurs valables, c'est ne pas leur accorder la place qui leur revient dans l'ensemble des valeurs sociales et nationales.

« Les autorités (bour) doivent aider les paysans (badolo) au lieu de ne les considérer que comme des ânes à qui ils font supporter tous les far-deaux. Même les laobé 56 mettent quelque morceau de toile sur le dos de l'âne avant d'y mettre le fardeau, mais quant à vous, vous [108] nous avez mis des épines à la place de la toile » (Kebemer, avril 1969). « Nous n'avons même pas pu parler quand les autorités sont venues ici. Il n'y a que les responsables politiques qui ont eu le droit à la parole. Au lieu de nous laisser parler pour défendre nos intérêts, on nous a relégués au dernier rang » (Diohine, décembre 1971).

C. G Mais à ces appréciations générales (fondées souvent sur des notations ou des anecdotes personnelles ou locales) s'ajoutent des considérations plus précises et qui engagent une comparaison des avantages des différentes couches sociales. Ce sont les fonctionnaires qui sont les plus visés. « C'est le monde rural qui par son travail nour-rit tout le monde rural et bureaucrate » (Casamance, août 1972).

« Il y a quelque chose comme dix mille fonctionnaires dans le gouver-nement et on ne prélève jamais rien sur leur salaire pour rembourser les sommes détournées par leurs confrères... Qu'on sache que, si le gouverne-ment tient, c'est grâce aux paysans » (Diourbel, mai 1969).

« Nous sommes de jeunes ruraux vivant uniquement d'agriculture. À la saison sèche nous sommes obligés de venir dans les villes pour chercher du travail afin de mettre notre minime revenu annuel à l'abri. Mais, mal-heureusement pour nous, nous sommes très souvent mal accueillis par le gouvernement [suit une description des tracasseries policières]. Comment voulez-vous améliorer alors notre niveau de vie ? [...} Pourquoi accumu-lez-vous tous les biens de l'État au niveau des villes ? » (Niakhéne, avril 1971).

56 Groupe caste travaillant le bois dans la société wolof.

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D. Sous-jacente à toutes ces remarques se trouve dénoncée la rela-tion d'autorité politique qui subordonne les paysans à l'État.

« Nous les paysans, nous ne sommes au courant de rien, on nous dit parfois que le pays n'est pas heureux, d'autre fois on nous dit que le pays est redevenu heureux. [...] Quelquefois nous entendons à la radio dire que le gouvernement fera telle chose pour aider les paysans, mais nous n'en voyons rien. Quand nous demandons, on nous dit de nous adresser au chef de village, le chef de village nous dit de nous adresser au chef d'arrondis-sement et ce dernier nous demande de nous adresser au préfet. Or pou-vons-nous faire davantage ? » (Sine-Saloum, avril 1969).

« La BNDS nous exploite et ne laisse rien chez nous. L'ONCAD éga-lement nous exploite, paie ses employés et fait ses bénéfices. La [109] BNDS est riche, l'ONCAD est riche et nous sommes pauvres 57 » (Amène, août 1969).

E. La pluie on n'y peut rien mais il faut diversifier l'agriculture. Il faut satisfaire avant tout les besoins alimentaires de la population et donc abandonner un peu l'arachide 58.

« Notre sort dépend de Dieu car le gouvernement n'est pas un Dieu, il ne peut donner la pluie, seul Dieu peut produire la pluie et, s'il ne produit rien, nous n'y pouvons rien. Nous ne pouvons que cultiver et le reste, Dieu le fera » (Diourbel, janvier 1970).

« C'est Dieu qui a fait ce qui nous arrive, car le gouvernement n'est pas Dieu. Les membres du gouvernement sont de simples créatures, ils ne peuvent pas amener la pluie et c'est Dieu qui a retenu la pluie. Ce qu'il peut faire, c'est nous aider quand nous avons fini de travailler » (Diourbel, mai 1970).

« Ce qui est certain c'est qu'il faut cultiver suffisamment de mil et peu d'arachide pour que les dettes des coopératives diminuent. Je ne dis pas d'abandonner la culture de l'arachide mais d'augmenter les surfaces en mil car le paysan, s'il a de quoi se nourrir, le reste s'arrangera facilement... » (Keur Thiandou Awa, février 1970).

« Supposez un chef de famille qui va aux champs le ventre vide (tenez compte de la lourdeur de la houe sine) : ce paysan, si intelligent soit-il, ne

57 La BNDS est la banque nationale d'État, qui finance les opérations de com-mercialisation arachidière et de développement. L'ONCAD est l'organisme qui assume ces fonctions.

58 Les paysans ont d'ailleurs mis ces préceptes en pratique. On comprend donc le relèvement du prix d'achat de l'arachide aux producteurs (campagne 1973-1974 : 25 francs CFA le kg ; 1974-1975 : 35 francs CFA).

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 130

peut comprendre les conseils du vulgarisateur. Le travail de la SODEVA 59 est bien, mais un affamé n'écoute que les paroles de celui qui lui propose à manger et il finira par vendre la machine pour se nourrir et retourner aux méthodes culturales traditionnelles. Penser au matériel c'est bien, mais au ventre c'est encore mieux. Les responsables qui vont en brousse ne doivent pas se cantonner à écouter les gens aisés ; qu'ils acceptent de donner la parole aux gens mal habillés qui, contrairement à ce qu'ils pensent, ne sont pas fous » (Sine-Saloum, avril 1970).

[110]

IV. Le mouride entre l’État et Dieu

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Il est impossible de dire en l'état actuel des recherches et des infor-mations s'il y a une spécificité mouride dans l'interprétation de la sé-cheresse et de la crise agricole. La grande majorité de la population sénégalaise est musulmane, et les références idéologiques islamiques font partie de la pratique la plus quotidienne (ainsi, tous les discours que nous venons de citer — qu'ils soient le fait de mourides ou non, et nous n'en savons rien — se retrouvent bien sûr chez les mourides). Ce que nous pouvons décrire, c'est la forme et le contenu des explications concernant : 1. la situation socio-alimentaire personnelle et/ou villa-geoise ; 2. la nature des aides gouvernementales et maraboutiques ; 3. les causes de la sécheresse et de la famine.

Ce sont les problèmes de subsistance qui sont tout naturellement au premier plan. La saison 1972 n'a pratiquement rien donné ; il ne reste presque plus de bétail. Pour 100 kg on ne récolte plus que 10 kg ou un quintal à la place de deux tonnes. Un paysan de Darou Rahmane II 60 explique qu'il n'a récolté que l'équivalent d'un mois de nourriture pour sa famille : « il n'avait que 40 kg d'arachide ». Habituellement les mi-grations en ville pendant la saison sèche permettaient de trouver des

59 Société nationale de vulgarisation agricole d'économie mixte qui a remplacé la société d'intervention française : la SATEC.

60 Nous sommes retournés pendant l'été 1973 dans les villages de l'arrondisse-ment de N'Dame (département de M'Backé) qui avaient constitué notre ter-rain en 1967-1969 : Missirah et Darou Rahmane II.

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petits travaux dont les revenus complétaient ceux tirés de la produc-tion agricole 61. Mais la crise frappe tout autant les urbanisés et ce mar-ché du travail est pratiquement inexistant.

Il est bien difficile de compter sur le travail productif pour se pro-curer les revenus ou les ressources nécessaires à l'alimentation quoti-dienne. Ce sont donc les relations et les possessions personnelles qui permettent de s'en sortir : ventes à crédit, échanges, prêts, dons consti-tuent un réseau de trafics qui vont malheureusement profiter à cer-tains. Mais se démunir de tout est parfois impossible (il faut des ache-teurs) ou dangereux (comment faire ensuite si on se dessaisit de son matériel agricole ?). C'est ce qu'explique ce paysan de Missirah : « Je suis allé à M'Backé voir [...un commerçant] qui m'a donné 2 000 francs CFA [... un autre] m'a donné 50 kg de mil. Ensuite j'ai vendu des habits pour acheter de la nourriture. […] Je n'ai vendu aucun ma-tériel ni aucun animal. J'ai vendu, un boubou acheté 7 000 francs [111] CFA à 1 500 francs CFA. Je l'ai vendu parce qu'il ne me restait que pour une journée de nourriture. J'ai acheté 25 kg d'arachide avec l'argent à raison de 55 francs CFA le kg. J'avais une machine que je voulais vendre mais en fin de compte je ne l'ai pas fait. On ne trouvait personne pour acheter un âne, un cheval ou une machine. De plus, vendre une machine valant 10 000 francs CFA à 1 000 ou 1 500 francs CFA est une folie. Car c'est le seul prix que les acheteurs accep-taient. »

Dans tous les discours 62, ce n'est qu'à la fin que se trouvent évo-qués, très pudiquement, les malheurs personnels (maladies, décès). Ces descriptions et ces explications ne révèlent pas des comporte-ments nouveaux. Les difficultés de l'agriculture commerciale, l'endet-tement, la recherche de ressources complémentaires, la maladie constituent déjà les structures fondamentales du quotidien wolof mou-ride. Mais cette fois-ci les alternatives sont explorées ou vécues jusque dans leurs limites ultimes. L'aspect catastrophique de la situa-tion ne semble pas justifier en soi une prise de conscience qualitative-ment nouvelle 63.

61 Sur ce point, cf. les études de J. Roch et G. Rocheteau.62 Nous n'avons pas cherché à établir un bilan des effets de la sécheresse. La

mortalité a surtout touché les vieux et les enfants.63 Les termes employés de 1967 à 1972 ne sont guère moins tragiques que

ceux de 1973. Voir Disso et les recueils d'entretiens publiés par l'équipe de

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Ce sont les conditions et le contenu de l'aide (alimentaire et moné-taire) qui vont permettre une première analyse de la situation pay-sanne. Il faut distinguer l'aide gouvernementale de l'aide marabou-tique. La première est reconnue indispensable, la seconde non ; la pre-mière est exigée, la seconde est acceptée. Ce raisonnement se com-prend facilement vu d'une part l'attitude publique du gouvernement sénégalais et de l'autre la nature de la relation taalibe-marabout.

Les paysans admettent que la situation est telle qu'une aide est né-cessaire. Mais ils ne font que reprendre ici au pied de la lettre les dis-cours qu'on leur prodigue. C'est pourquoi ils s'aperçoivent très vite qu'il y a loin des promesses aux actes. La raison en serait fort simple : le gouvernement ne distribue pas tout ce qu'il a reçu au titre de l'aide. « Les cultivateurs ont peur de parler, mais ils savent ce qui se passe. Si le gouvernement avait distribué tous les secours qu'il a reçus, on n'aurait même pas eu besoin de cultiver cette année. Le gouvernement en profite pour exploiter les paysans. » Un autre paysan précise : « Le gouvernement nous a apporté de l'aide. Nous [112] avons pris ce que le gouvernement nous a apporté, mais nous ne savons pas ce qu'il de-vait nous accorder. »

Les paysans sont en effet dans une situation d'ignorance : « Au dé-but je comptais sur le gouvernement car on avait dit à la radio que per-sonne ne devait bouger de chez lui et que chacun recevrait la nourri-ture dont il a besoin. On croyait donc ce qu'il disait. C'est lui qui l'a dit, mais, s'il n'en avait pas parlé, on n'aurait pas compté sur lui. [...] Je ne sais si le gouvernement a tout distribué ou s'il en a gardé une partie. On comptait sur le gouvernement, mais on n'a rien vu de ce qu'il nous a promis. »

Ces litanies ne sont pas abstraites, car nos interlocuteurs préci-saient chaque fois le montant de ce qu'ils avaient effectivement reçu, et il était facile de vérifier cela auprès des autorités locales. Pour l'un les secours reçus lui ont permis de tenir six jours, pour un autre dix jours, pour un troisième la moitié d'un mois 64. Concluons comme ce paysan de Missirah : « On nous a promis beaucoup de choses en di-

l'ORSTOM.64 Nous disposons par ailleurs du montant des dons alimentaires et moné-

taires.

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sant qu'on mangerait à notre faim. Nous y sommes parvenus, il est vrai, mais en vendant tous nos biens 65. »

L'aide maraboutique, au total pourtant plus faible, ne fait pas du tout l'objet d'une telle critique. Et tout d'abord parce que rien n'oblige les marabouts à aider leur taalibe. Surtout lorsque tout le monde subit la même conjoncture désastreuse.

1. Les moyens des marabouts sont ceux de leurs taalibe. Un paysan de Darou Rahmane II : « [ Nos marabouts] n'ont rien donné aux taa-libe parce qu'ils n'avaient rien récolté. Au moment de la bonne récolte, les taalibe donnent au marabout. Quand il y a une famine, ces mara-bouts la redonnent aux taalibe. Mais cette année tout le monde est dans la même situation. » Un paysan de Missirah : « Il y a des taalibe qui n'avaient rien donné à leur marabout. Le peu qu'il avait était uni-quement pour sa famille. [...] C'est pourquoi les marabouts n'avaient pas demandé aux taalibe d'apporter l’adhiya  66. »

[113]

2. C'est le khalife général qui a distribué des secours. Ce faisant, il sert de modèle aux autres marabouts. La distribution est à la fois géné-reuse et sélective. « Cette année le marabout a aidé un grand nombre de taalibe. Il a acheté 300 tonnes de mil pour les taalibe. [...] Il n'a pas distribué qu'aux mourides mais à tous ceux qui sont musulmans. » On a fait des listes pour ces distributions, et ceux qui allaient à Touba de-mander de l'aide en recevaient. Mais, d'après un paysan de Missirah, le khalife général « n'a pas fait un partage égal entre tous les taalibe :

65 Il a fallu rendre de l'autre main les secours puisqu'il fallait payer les impôts, la carte du parti.

66 Cadeau fait à un marabout lors d'une visite. Le fils du khalife général ex-plique que « des taalibe ont quelque chose à donner parce qu'ils ne sont pas sinistrés cette année : tout ce qu'ils donnent au marabout, celui-ci le donne aux sinistrés ». Il est difficile de demander à ceux qui n'ont rien : « Si un marabout n'a rien c'est toi, le taalibe, qui doit donner. Mais si tu n'as rien donné, si tous les taalibe sont comme toi, le marabout n'aura même pas de quoi se nourrir » (un paysan de Darou Rahmane II).

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il a favorisé les plus proches. C'est Dieu qui le veut ainsi, car il n'a pas créé tous les hommes égaux 67 ».

Un marabout de Missirah, Serigne M'Backé Fadiama, explique bien le processus de distribution : « L'aide que j'accordais à mes taa-libe de temps à autre provenait de ce que je récupérai chez d'autres taalibe. J'avais même reçu de l'aide du gouverneur et j'en avais consa-cré une partie aux taalibe sinistrés. [...] J'accordais de l'aide à un grand nombre de taalibe parce que, quand on est large, ce ne sont pas seule-ment ses propres taalibe qui viennent mais tout le monde. Tout le monde est taalibe. [...] Les taalibe des autres marabouts qui viennent me demander quelque chose, ce n'est pas leur marabout qui les envoie, mais ils viennent à cause de ma réputation de générosité. »

3. On ne demande pas une aide ; on accepte une aide qu'on est prêt à vous accorder. Un paysan de Darou Rahmane II explique que « le khalife général, Serigne Abdou Lahat, avait reçu beaucoup de ca-mions de mil pour distribuer aux gens de Touba ou à ceux qui vou-laient venir en chercher. Nous n'y sommes pas allés. On n'est pas venu nous chercher non plus. Notre marabout 68 ne veut pas aller demander à Touba. Il a l'habitude d'apporter mais non de demander ». Et le chef de village confirme : « Personne du village n'est allé chercher des vivres parce que nous ne voulons pas cette aide. Nous voulons donner au marabout pour qu'il donne aux autres. Mais nous ne voulons pas qu'il nous donne. Cheikh M'Backé 69 ne nous a rien [114] donné et nous ne lui avons rien demandé. De toute façon nous ne demandons rien au marabout. »

L'idéologie de la réciprocité mouride entre taalibe et marabouts 70 se voit donc encore plus sollicitée en période de crise, et c'est dans ces termes que s'expriment aussi certaines impossibilités redistributrices.

67 « Il a commencé par ceux qui ne font que lire le Coran chez lui » (c'est-à-dire les vieux taalibe).

68 Serigne Cheikh Sylla. Pour des informations sur ce marabout, voir Copans, Couty et al., et nos recueils d'entretiens.

69 C'est le neveu du khalife général actuel. Il avait prétendu il y a trente ans succéder à son père (khalife général). Il faut tenir compte ici des différences de situation entre Missirah, plutôt lié au khalife et qui a reçu des secours, et Darou Rahmane II qui ne l'est pas, et ne pouvait donc en recevoir de fait.

70 Cf. ma thèse, pp. 279-283.

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Les taalibe sentent bien que, malgré la situation commune qui leur est faite, les marabouts disposent pourtant de revenus supérieurs. Cela n'a d'ailleurs rien d'étonnant parce que les moyens de la fonction et du prestige maraboutiques sont admis et même réclamés par les taalibe 71. C'est tout à fait frappant en ce qui concerne le khalife général qui a acheté les secours distribués. Il n'a pas été (contrairement au compor-tement courant du khalife précédent) le redistributeur des services gouvernementaux. La confusion des aides n'est donc plus possible 72.

Les responsabilités sont donc identifiées assez clairement. Mais la sécheresse, le manque de pluie, d'où proviennent-ils ? C'est ici qu'in-tervient le fameux « fatalisme » musulman. Dieu est la raison dernière de toute chose, il n'a rien à expliquer et il n'y a rien à expliquer. Un paysan de Darou Rahmane II précise : « Les causes de la sécheresse me dépassent, je ne sais si Dieu se fâche ou non contre nous. Ce que nous savons, c'est que lorsqu'il pleut nous cultivons, quand il ne pleut pas nous demandons à Dieu de faire pleuvoir. Mais pour le reste nous ne savons pas ce qu'il fait ou doit faire, mais nous savons qu'il fait tout ce qu'il veut. Tout ce que Dieu a fait c'est de son propre gré, mais nous ne pouvons pas lui dire de faire ceci ou cela. » Un paysan de Missirah ajoute : « C'est la volonté de Dieu qui a fait la sécheresse, car c'est lui qui a créé les hommes, c'est lui qui les nourrit et c'est lui qui les tue. C'est donc lui qui a provoqué la sécheresse. » On demande la fin de la sécheresse à Dieu mais on ne sait pas s'il écoute les prières, s'il faut se faire pardonner. Cette explication très sommaire relève de ce qu'on pourrait appeler l'arbitraire théologique 73. Mais cet arbitraire n'a rien d'un fatalisme [115] socio-idéologique. Bien sûr les causes naturelles sont au-delà de toute intervention humaine 74, mais les paysans mou-71 Ibid., pp. 286-287.72 Avoir acheté des secours, comptant et avec ses propres moyens, est tout à

fait différent. C'est du coup une initiative personnelle.73 Ce n'est pas le lieu de reprendre la théorie musulmane de la prédestination

et du rôle de Dieu. Ce dernier ne doit de comptes à personne. Comme le dit M. Gaudefroy-Demombynes : « Allah accorde sa grâce selon sa pure volon-té et non selon les mérites des hommes » (p. 324). L'eau, la nourriture, selon le Coran, sont un cadeau d'Allah aux habitants des déserts d'Arabie.

74 Je me suis donné la peine chaque fois que j'abordais ce problème de brosser les grandes causes climatologiques et météorologiques de la situation (posi-tion du FIT et des anticyclones, etc.). L'explication était comprise et admise mais ensuite on me demandait : qui a fait en sorte que... ? Dans l'état actuel des connaissances, le silence est la seule réponse ; on peut croire qu'à ce

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rides procèdent à des comparaisons : à Dieu les causes, aux hommes les remèdes ou les causes aggravantes. Cela est parfaitement clair au niveau de tous les discours (et mêmes de certaines pratiques). « Je ne sais comment le gouvernement pourrait faire pour qu'il pleuve, parce que la pluie ce n'est pas l'affaire du gouvernement mais de Dieu. Ce n'est pas le gouvernement qui a provoqué la sécheresse. Mais ce que je condamne c'est le fait que les vivres qu'on a donnés au gouverne-ment pour les paysans n'ont pas été tous distribués à ceux-ci. »

Mais à cet argument que nous avons déjà indiqué s'ajoutent deux constatations :

a. « Si on prenait tous les impôts et toutes les taxes, on arriverait à aider les paysans à sortir de la misère. Je pense que ce que les paysans payent comme impôts peut leur servir de nourriture pour tout un mois. »

b. Le progrès technique est à double tranchant. Engraisser des champs d'arachide où il ne pleut pas brûle les plants. D'où le paradoxe en 1973 : ce sont les champs cultivés plus tradition-nellement qui ont le mieux tenu. Par ailleurs, on ne peut irriguer les champs d'arachides. Pour diversifier, il faut soit faire d'autres cultures (ce qui est quasi impossible dans le bassin ara-chidier — en dehors des céréales), soit avoir des moyens finan-ciers et techniques hors de portée du paysan de base 75. Le pay-san retrouve donc ici les contradictions courantes du « dévelop-pement agricole », et il n'a pas attendu les effets destructeurs de la sécheresse pour les remettre en cause ou du moins pour dou-ter de leur efficacité.

L'empressement de certains marabouts envers leurs taalibe, la nou-velle [116] stratégie du khalife général 76 sont des facteurs propres qui expliquent aussi les réactions des paysans. Nous n'avons pas la place

niveau le « fatalisme » musulman n'est pas beaucoup plus irrationnel — ou démobilisateur — que le scientisme occidental.

75 Nous avons eu connaissance d'un projet de l’IRAT qui envisageait des cultures irriguées par pompage en zone actuellement arachidière : investisse-ment minimal 600 000 francs CFA par hectare. A la portée du premier pay-san venu, évidemment !

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pour aborder l'ensemble de ces problèmes. Une conclusion évidente s'impose néanmoins : les paysans mourides reconnaissent l'aspect contradictoire de la réalité sociale et leur situation de dépendance par rapport aux institutions dominantes. Dans un tel cadre, la croyance religieuse islamique n'oppose pas forcément un voile opaque et mysti-ficateur à la perception immédiate des effets réels de la sécheresse. Surtout dans la situation actuelle où la hiérarchie maraboutique ap-pelle à limiter la participation à la mise en œuvre de la politique « na-tionale » de développement 77. Que la hiérarchie veuille « redorer » le blason de la confrérie pour des raisons internes en se faisant l'écho et le protecteur des paysans — endettés, paupérisés — peut même facili-ter l'émergence de réactions « politiques ». Mais, si la position du kha-life est conjoncturelle — conserver la « clientèle » mouride en état ( à tous les sens du terme) —, la prise de conscience paysanne peut éven-tuellement devenir un processus irréversible. Mais de cet avenir-là, les paysans n'en sont pas totalement les maîtres.

Novembre 1974

76 Distanciation à l'égard du pouvoir d'État et de sa politique agricole d'une part. Acceptation d'une modernisation très poussée de ses exploitations propres de l'autre. La plus grande « ferme » d'arachide et de mil (500 ha) est celle du khalife à Touba-Belel.

77 Cf. les articles du Soleil du 21 janvier et du 5 février 1974 (« Les paysans boudent le matériel agricole »).

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[117]

AnnexeLA PLUVIOMÉTRIE À MISSIRAH

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L'arrondissement de N’Dame est situé dans une région où les va-riations pluviométriques sont déterminantes pour le développement et la maturation de l'arachide (et dans une moindre mesure du mil). Si la sécheresse de 1966 a été suivie en 1967 par une pluviométrie trop forte, le résultat en a presque été le même (trop grand enherbement, pluviométrie tardive trop importante en 1967). La moyenne pluviomé-trique pour la région est d'environ 650 mm pour quarante-cinq jours de pluie.

La SATEC a d'ailleurs établi la comparaison suivante sur Diour-bel : la moyenne des années 1932 à 1965 donne 680 mm pour qua-rante-neuf jours. En 1968 il y a eu 351,3 mm en trente jours.

Pour Missirah, nous avons les hauteurs suivantes :

1966 485 mm 34 jours1967 816,8 mm 49 jours1968 285 mm 23 jours

Ces variations brutales coûtent très cher au paysan. Un facteur sup-plémentaire s'ajoute au déficit pluviométrique, celui de l'irrégularité des précipitations qui, en fait, devient déterminante. Ainsi en 1966 le plus terrible ce n'est pas tellement la faiblesse du total des précipita-tions que la sécheresse de plus d'un mois après les semis.

Cette sécheresse a duré du 16 juin au 8 août. En juin il y a eu 39 mm en trois jours et en juillet 6,4 mm sur deux jours. Les assistants techniques de la SATEC décrivent pour la fin de l'hivernage 1966 une situation de famine assez marquée.

En 1968, il en a été presque de même : d'abord retard des pre-mières pluies (le 17 juillet seulement, soit deux semaines de retard), puis sécheresse du 12 au 29 août et du 16 au 30 septembre. Dans les

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conditions actuelles du développement agricole, cette donnée clima-tique est déterminante car, s'il est possible d'améliorer les sols, les se-mences et le matériel agricole, il est actuellement impossible de remé-dier à la pénurie pluviométrique.

[118]Pour les années 1972 et 1973 nous disposons des informations sui-

vantes :

1972 1973

HAUTEUR JOURS HAUTEUR JOURS

Juin 72 3 6,5 1

Juillet 8 1 76,7 9

Août 101,2 4 97 8

Sept. 63,8 6 109 9

Oct. 27,5 2 6

TOTAL 272,5 16 289,2 24

BIBLIOGRAPHIE

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[119]COUTY, Ph. Entretiens avec des marabouts et des paysans du

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[120]

Sécheresses et famines du Sahel. Tome II.Paysans et nomades

Chapitre 6

“BIBLIOGRAPHIE.”

Christine Messiant

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L'objet de cette bibliographie est limité : il s'agit simplement 1. de fournir un certain nombre de données et d'analyses sur la situation ac-tuelle dans les pays du Sahel du fait de la sécheresse et 2. de donner un cadre de référence plus global — économique, social, politique — sur ces pays, seul susceptible de permettre l'appréciation des données brutes sur la situation aujourd'hui.

La littérature sur la sécheresse est à la fois très abondante et limi-tée :

— Au plus fort de la sécheresse, une multitude d'articles ont été publiés dans la presse spécialisée et la grande presse internationale. Le principal caractère de cette littérature, qui s'épuise aujourd'hui avec le reflux de la « grande vague de solidarité internationale », est sa répéti-tivité. Aussi avons-nous éliminé une grande partie de cette production. Les articles retenus l'ont été soit parce qu'ils apportent des données, même partielles, importantes pour la connaissance du problème, soit parce qu'ils expriment le point de vue de tel ou tel organisme ou or-gane de presse sur les causes, les solutions, etc. D'où l'hétérogénéité des références.

— Face à cette abondance d'articles, très peu d'ouvrages ont par contre été consacrés à la sécheresse et la famine. Deux ouvrages im-

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portants sont cependant déjà parus — celui édité par D. Dalby 78, où l'on peut trouver les principales contributions au Symposium sur la [121] sécheresse tenu à Londres en 1973, et celui du Comité Informa-tion Sahel 79, davantage axé sur les problèmes socio-économiques. Un numéro spécial du Bulletin de l'IFAN de 1974 rendra compte par ailleurs du Colloque sur la désertification tenu à Nouakchott en 1973. Les principales contributions de ces ouvrages sont citées dans la bi-bliographie.

— Limitée, la littérature sur la sécheresse l'est enfin du fait qu'il ne s'agit pas d'un « thème de recherche » consacré. Les études sur les sé-cheresses et les famines dans le Sahel précolonial et colonial notam-ment sont très rares, et les matériaux pour une recherche sur ce sujet dispersés dans des ouvrages ethnologiques ou économiques que nous n'avons pas systématiquement dépouillés.

Nous présentons cette bibliographie sous un certain nombre de ru-briques afin d'en faciliter l'utilisation. Les seules indications qui suivent les titres sont celles indispensables pour savoir de quoi on y parle. Nous nous sommes cependant permis de signaler par un les ou-vrages ou articles indispensables ou d'un très grand intérêt.

Nous renvoyons enfin à deux bibliographies de la FAO parues sur la sécheresse : celle de Le Houérou 80 s'attache plus particulièrement aux données agro-climatiques et aux phénomènes de désertification ; la seconde, anonyme 81, est une présentation globale des problèmes de la zone sahélienne.

février 1975

78 David DALBY and R.J. HARRISON CHURCH (eds.), Drougth in Africa. Report of the 1973 Symposium, Londres, SOAS/Centre for African Studies, 1973, 124 p.

79 COMITÉ INFORMATION SAHEL, Qui se nourrit de la famine en Afrique ? Le dossier politique de la faim au Sahel, Maspero, Cahiers libres, 292/293, Paris, 1974, 280 p.

80 H. N. LE HOUÉROU, Contribution à une bibliographie des phénomènes de désertification, de l'écologie végétale, des pâturages et du nomadisme dans les régions arides de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Ouest, FAO, Rome, oct. 1973, 884 références, multigr.

81 FAO. LIBRARY AND DOCUMENTATION DIVISION, The Sahelian Zone. A Selected Bibliography for the Study of its Problems, FAO, Rome, déc. 1973, 75 p. (FAO library occasional bibliographies, 9.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 144

I. Données de base pour comprendrela situation actuelle

1. DONNÉES GÉOGRAPHIQUES

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Le climat et son évolution, les données pédologiques et hydrolo-giques, les discussions autour du problème de la désertification. Il s'agit à la fois d'analyses globales sur l'évolution climatique et de don-nées partielles.

[122]ALLAN, J. A. « Climate and Water Resources », in D. DALBY,

R. J. HAR-RISON CHURCH, eds., Drought in Africa, Londres, 1973, pp. 13-15.

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[123]KASSAS, M. D. « Désertification Versus Potential for Recovery in

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2. L'EXPLOITATION DE L'ENVIRONNEMENT SAHÉLIEN :PROBLÈMES ET POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT

Sont regroupés sous cette rubrique tous les titres qui concernent la mise en valeur — agricole ou pastorale — de la 2one sahélienne, ainsi que certains de ceux qui abordent plus globalement les problèmes de dépendance et de développement. Certaines références, tout en concernant des pays particuliers, exposent des mécanismes généraux.

AMIN, Samir. L'Afrique de l'Ouest bloquée. L'économie politique de la colonisation, 1880-1970, Editions de Minuit, Grands Docu-ments, 34, Paris, 1971, 322 p.

* AMIN, Samir. « L'Afrique sous-peuplée », Développement et Civilisations, 47/48, 1972, pp. 59-67. (Démographie et développement dépendant.)

[125]ANNEGERS, J. F. « Seasonal Food Shortages in West Africa »,

Ecolo gy, Food and Nutrition, 2, 4, New York, 1973, pp. 251-257.BAKER, Randall. « The Need for Long Term Strategies in Areas

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BARRAL, H. « Les Populations d'éleveurs et les Problèmes pasto-raux dans le nord-est de la Haute-Volta, 1963-1964 », Cahiers de l'ORSTOM, sér. Se. hum., 4, 1, 1967, pp. 3-30.

BARRAL, H. Etude socio-géographique pour un programme d'aménagement pastoral dans le N.O. de l'Oudalan, ORSTOM, Oua-gadougou, 1972, 92 p., multigr.

BERNUS, Edmond. « Possibilités et limites de la politique hydrau-lique pastorale dans le Sahel nigérien », Cahiers de l'ORSTOM, sér. Se. hum., 11, 2, 1974, pp. 119-126.

BEZOT, P. « La zone arachidière au Tchad : étude d'ensemble ; recherche d'un système valable de rotation culturale », Agronomie tropicale, 20, 1, 1965, pp. 31-48.

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BOERMA, Addeke H., et al. « Alerte aux famines. L'échec des politiques agricoles », Le Monde diplomatique, oct. 1974, pp. 9-14.

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CATINOT, René. « Contribution du forestier à la lutte contre la désertification en zones sèches », Techniques et Développement, 11, 1974, pp. 7-14.

* CENTRE SOCIALISTE DE DOCUMENTATION ET D'ÉTUDES SUR LES PROBLÈMES DU TIERS MONDE. « Impé-rialisme français et Sécheresse. La famine au Sahel », Bulletin de liai-son du CEDETIM, 30, juin 1974, 20 p.

CHAMINADE, R. « Recherches sur la fertilité et la fertilisation des sols en région tropicale », Agronomie tropicale, 27, 9, 1972, pp. 891-904.

CHARREAU, C. « Problèmes posés par l'utilisation agricole des sols tropicaux par des cultures annuelles », Agronomie tropicale, 27, 9, 1972, pp. 905-929.

* COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Introduction », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Maspero, Paris, 1974, pp. 15-37.

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Diffusion des cultures d'ex-portation, Baisse des réserves vivrières, Dégradation des sols et Dé-pendances paysannes », in Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 48-70.

[126]COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Les effets sociaux de l'agri-

culture commerciale. Le cas de l'arachide au Sénégal », in Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 71-96.

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Le Développement de la culture cotonnière en Haute-Volta. L'exemple de TORD de la Volta

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 150

noire », in Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 97-112.

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Document. L'opération ara-chide au Mali », in Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 113-123. (Extraits d'un rapport du BDPA.)

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[127]GALLAIS, Jean « Les Sociétés pastorales ouest-africaines face au

développement », Cahiers d'études africaines, Al, XII, 3, 1973, pp. 353-368.

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3. SÉCHERESSE, FAMINE ET ÉQUILIBREDES SOCIÉTÉS AFRICAINES « TRADITIONNELLES »

Cette rubrique pourrait être développée, mais il faudrait alors citer un très grand nombre de monographies qui abordent souvent margina-lement le problème de la sécheresse et des réactions « traditionnelles » des populations africaines. Nous nous limitons ici à un petit nombre [129] de titres rendant compte des famines anciennes dans le Sahel ou des problèmes de soudure et de faim saisonnière, ainsi qu'à quelques études ethnologiques mettant en lumière l'adaptation des populations à leur environnement.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 154

BERNUS, Edmond : « Les Touareg du Sahel nigérien », Cahiers d'Outre-Mer, 73, 1966, pp. 5-34.

* BERNUS, Edmond : « Espace géographique et champs sociaux chez les Touareg Illabakan (République du Niger) », Etudes rurales, 37/39, 1970, pp. 46-64.

BERNUS, Edmond. Les Illabakan (Niger), ORSTOM, Paris, 1974, 116 p., bibl. (Atlas des structures agraires au sud du Sahara, 10.)

* BONTE, P. « Organisation techno-économique et sociale des éleveurs sahariens et sahéliens », L'homme hier et aujourd'hui : re-cueil d'études en hommage à André Leroi-Gourhan, Paris, 1973, pp. 655-670.

* BUGNICOURT, J. Un peuple privé de son environnement. Pro-gramme « formation pour l'environnement », IDEP, UNEP, SIDA, Dakar, 1974, 232 p., multigr.

* CISSOKO, S. M. « Famines et Epidémies à Tombouctou et dans la boucle du Niger du XVIe au XVIIe siècle », Bulletin de l'IFAN, sér. B, 30, 3, 1968, pp. 806-821, bibl.

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* FUGLESTAD, Finn. « La Grande Famine de 1931 dans l'Ouest nigérien : réflexions autour d'une catastrophe naturelle », Revue fran-çaise d'histoire d'Outre-Mer, 61, 222, 1974, p. 18-33.

HENDRICKSE, R. G. « Some Observations on the Social Back-ground to Malnutrition in Tropical Africa », African Affairs, 65, 261, 1966, pp. 341-349. (Effets notamment des changements sociaux.)

* MEILLASSOUX, Claude, éd. L'Esclavage en Afrique précolo-niale, Maspero (Bibliothèque d'anthropologie), Paris, 1973, 582 p. (Une série d'études portent notamment sur les sociétés de pasteurs et de sédentaires d'Afrique occidentale.)

MIRACLE, M. P. « Seasonal Hunger : a Vague Concept and an Unexplo-red Problem », Bulletin de l'IFAN, sér. B, 23, 1/2, 1961, pp. 272-283.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 155

* MIRACLE, M. P. « The Elasticity of Food Supply in Tropical Africa during the Pre-Colonial Period », Ghana Sociological Science Journal (Legon), 2, 2, 1972, pp 1-9.

NORRIS, H. T. « Sahel Nomads' Attitudes to Drought », Savanna (Zaria), 2, 2, 1973, pp. 143-144.

OGBU, John U. « Seasonal Hunger in Tropical Africa as a Cultu-ral Phenomenon. The Onitcha Ibo of Nigeria and Chakaka Poka of Malawi Examples », Africa, 43, 4, 1973, pp. 317-332, bibl.

[130]* ROBERT, Serge. Archéologie des sites urbains des Hodb et Pro-

blèmes de la désertification au Moyen Age, Nouakchott, 1973, 28 p., multigr. (Contribution au colloque sur la désertification, Nouakchott, 17-19 déc. 1973.)

* SALIFOU, André. Crise alimentaire au Niger : les leçons du passé, IDEP, Dakar, 1974, 23 p., multigr. (Session de formation et de réflexion sur les problèmes de l'environnement dans les zones arides et sub-arides, Niamey, 15 févr.-6 mars 1974, document CS/2576-22.)

* SWIFT, Jeremy. « Le Nomadisme pastoral en tant que forme d'utilisation des terres : les Touareg de l'Adrar des Iforas », Etudes maliennes, 5, 1973, pp. 35-44.

TUBIANA, M. J. « Système pastoral et Obligation de transhu-mance chez les Zaghawa (Soudan-Tchad) », Etudes rurales, 42, 1971, pp. 120-175.

TYMOWSKI, Michel. Le Développement et la Régression chez les peuples de la boucle du Niger à l’époque précoloniale, Varsovie, 1974, 153 p. (pp. 127-132 : « Famines et Epidémies de la fin du XVIe

à la fin du XVIIIe s. »).

II. La situation actuelle

Retour à la table des matières

C'est la rubrique la plus hétérogène, même après la sélection que nous avons faite. Témoignages, analyses d'ensemble et parfois de fond, jugements de valeur, descriptions s'y mêlent, formant un en-

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 156

semble d'intérêt inégal, mais indispensable pour donner une vue un peu globale de la littérature à laquelle a donné lieu la sécheresse.

1. AMPLEUR ET CONSÉQUENCESDE LA SÉCHERESSE

Sont regroupés ici les titres qui, analyses ou descriptions, font état de la situation actuelle dans l'ensemble du Sahel.

AMICALE DES ANCIENS VOLONTAIRES DU PROGRÈS. Sé-cheresse et Famine en Afrique, Saint-Brieuc, 1973, 52 p., multigr.

BARRES, J.-F. « Réflexions sur la situation en zone sahélienne et perspectives de développement », Développement et Civilisations, 52/53, 1973, pp. 141-144.

BRAECKMAN, Colette. « Du Sahel à l'Ethiopie : mêmes symp-tômes, drames différents », Remarques africaines, 436/437, 1974, pp. 8-11.

BRUN, Thierry. « Démystifier la famine », Cahiers de nutrition et de diététique, 9, 2, 1974, pp. 113-118.

[131]BRUN, Thierry, KOVESS, Vivianne. « Situation alimentaire des

populations nomades du Sahel durant la sécheresse. Étude de cas et réflexions », Cahiers de nutrition et de diététique, 9, 2, 1974, pp. 119-127, bibl.

BRYSON, R. A. « Drought in Sahelia : who or what is to blâme ? », Ecologist, 3, 10, 1973, pp. 366-371.

CHAULEUR, Pierre. « Détresse du Sahel », Études, nov. 1973, pp. 491-506.

COMITÉ CATHOLIQUE CONTRE LA FAIM ET POUR LE DÉ-VELOPPEMENT. Le Point sur la sécheresse, juin 1973, Paris, 24 p., multigr. (Situation, causes, remèdes.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 157

COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE. « Dossier Sahel : SOS Sahel », Trente jours d'Europe, 180/181, juil.-août 1973. (Comprend analyses, reportages, interviews.)

DALBY, David. « The Human Factor », in D. DALBY, R. J. HARRISON CHURCH, eds., Drought in Africa, Londres, 1973, pp. 18-22.

DALBY, David. « Drought in Sudanic Africa : the Implication for the Future », Round Table (Londres), 253, 1974, pp. 57-64.

DE PENANDER, Alain. « Afrique : le drame de la sécheresse », Express, 9 juil. 1973.

DRESCH, Jean, et al. « L'Afrique de la faim », Droit et Liberté, 321, 1973, pp. 2-12. (Dossier du MRAP.)

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DUMONT, René. « Les Assassins du Sahel », Le Sauvage, 17, 1974, pp. 6-13. (Economie coloniale et néo-coloniale.)

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[132]MAZOYER, Marcel. « Sahel : une famine sociale ou clima-

tique ? », Science et Avenir, 329, 1974, pp. 621-622.MERLINO, J. « Où en est le Sahel ? », Elle, 1508, nov. 1974.MESNIL, J., et al. « Dossier sécheresse », Techniques et Dévelop-

pement, 10, 1973, pp. 2-41.MORTIMORE, Michael, et al. « Drought in Africa », Savanna

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_____, « Exploitation, sécheresse = " famine ". Dossier », Zone des tempêtes, 4, 1973, pp. 19-38.

_____, « Réflexions sur la situation en zone sahélienne et perspec-tives de développement », Développement et Civilisations, 52/53, 1973, pp. 141-144. (Document préparé par l'Action pour le développe-ment de la FAO.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 159

_____, « The Politics of Drought », Africa Confidential, 14, 21, 1973, pp. 1-4. (La politique des gouvernements face à la sécheresse.)

_____, « Une aide exceptionnelle du FED aux pays du Sahel vic-times d'une sécheresse catastrophique », Marchés tropicaux et médi-terranéens, 1427, 16 mars 1973, p. 793-794. (État des pertes dues à la sécheresse selon le FED, par pays.)

_____, * Entretien avec des nomades refoulés par la sécheresse, IDEP, Niamey, Nosec, documents d'enquête au camp du Lazaret, 1974, 630 p.

_____, « Maîtrise de l'eau et Sécheresse dans le Sahel », Courrier de l'Association, 23, 1974, pp. 12-51. (Dossier.)

_____, « Sécheresse et Famine », Economie et Politique. (A pa-raître en 1975.)

[133]

2. LA SITUATION PAYS PAR PAYS

Même hétérogénéité, et surtout inégalité de la littérature selon les pays. Nous n'avons pu dépouiller la presse locale.

Pour certains pays sont inclus, en début de liste et indépendam-ment de l'ordre alphabétique, quelques titres ne concernant pas la sé-cheresse mais importants pour comprendre le contexte national.

Haute-Volta

AIMÉ, Gérard, AOUST, Patrice. « La Haute-Volta à l'heure des militaires », Le Monde diplomatique, déc. 1974, pp. 2-3.

* BARRAL, H. « Utilisation de l'espace et peuplement autour de la mare de Bangao (Haute-Volta), Etudes rurales, 37/39, 1970, p. 65-84.

BASSONO, Emile. « Sécheresse, tout n'est pas dit », Carrefour africain, 14-18 juil. 1973. (Haute-Volta : problèmes d'acheminement de l'aide et corruption.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 160

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « En Haute-Volta », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 197-210. (Situation politico-socio-économique et sécheresse. Exemple d'un village mos-si.)

DECRAENE, Philippe. « Pluies diluviennes après la sécheresse. La situation demeure préoccupante dans les pays africains touchés par un double fléau », Le Monde, 11 août 1973. (Notamment : réactions de l'opposition voltaïque face à la sécheresse.)

DECRAENE, Philippe. « Les 5/6e de l'aide aux victimes de la sé-cheresse proviennent des États-Unis et des pays membres de la CEE », Le Monde, 29 août 1973. (Contient aussi un reportage sur la situation voltaïque.)

FAO. OFFICE FOR THE SAHELIAN RELIEF OPÉRATION, République de Haute-Volta. Rapport de la mission multi-donateurs chargée d'évaluer l'aide alimentaire nécessaire en 1973-1974 pour les pays du Sahel atteints par la sécheresse, Ouagadougou, 1er oct. 1973, Rome, 1973, 25 p. (Document FAO n° 24232-73-WS.)

MARCHAL, J. Y. Récoltes et Disettes en zone nord-soudanienne. Chronique des saisons agricoles au Yatenga (Haute-Volta), 1907-1973, ORSTOM, Section de géographie, Paris, 1974, 67 p., multigr.

SEAMANS, J., et al. « An Enquiry into the Drought Situation in Upper Volta », The Lancet, 6 oct. 1973, p. 774.

Mali

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Au Mali. Une grève de l'impôt », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 246-251.

* DECRAENE, Philippe. « Une arme politique contre les Touareg du Mali », Le Monde, 6 févr. 1974.

[134]DECRAENE, Philippe. « Mali : la sécheresse arme politique »,

Revue française d'études politiques africaines, 98, 1974, pp. 17-18.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 161

FAO. AREA SERVICE DIVISION. Some Remarks on the Deve-lopment of Areas Subject to Periodic Drought with Référence to the Republic of Mali, Rome, 1973, 11 p., multigr. (Document FAO n° 23894-73-WS.)

FAO. OFFICE FOR THE SAHELIAN RELIEF OPÉRATION. Republic of Mali. Report of the Multi-Donor Mission to Evaluate Food Aid in 1973-1974 for the Drought-Stricken Countries in the Sa-hel, Bamako, 7-12 oct. 1973, Rome, 1973, 19 p., multigr. (Document FAO n° 24227-73-WS.)

« Le redressement économique et financier du Mali est contrarié en partie par la sécheresse », Marchés tropicaux et méditerranéens, 2450, 24 août 1973, pp. 2564-2567.

Mauritanie

CHASSEY, Francis de. Contribution à une sociologie du sous-dé-veloppement, l'exemple de la République islamique de Mauritanie, Thèse, Paris, 1972.

* CHASSEY, Francis de. « Tension politique en Mauritanie, une aggravation du sous-développement », Le Monde diplomatique, juin 1973, pp. 20-22.

DUSSAUZE-INGRAND, Elizabeth. « Une capitale de la séche-resse investie par des bidonvilles », Carnets de l'enfance, 26, 1974, pp. 73-89. (Nouakchott.)

GANZIN, M. Rapport sur la situation alimentaire et l'aide à pré-voir en Mauritanie, FAO, Rome, 1973, 9 p., multigr. (Document FAO n° 24221-73-WS.)

GIRAUD, Jacqueline. « Mauritanie : l'espoir des villes », L'Ex-press, 9 juil. 1973.

PITTE, J. R. Les Conséquences humaines de la sécheresse récente en Mauritanie, Nouakchott, 1973, 10 p., multigr. (Contribution au Colloque sur la désertification, Nouakchott, 17-19 déc. 1973.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 162

Niger

BERNUS, Edmond. « Drought in Niger Republic », Savanna (Za-ria), 2, 2, 1973, pp. 129-132.

BUGLER, Jeremy. « Drought breaks Sahara's "blue men", The Observer, 25 nov. 1973. (La famine chez les Touareg du Niger.)

* BUGNICOURT, J. Un peuple privé de son environnement, Pro-gramme « Formation pour l'environnement », IDEP, UNEP, SIDA, Dakar, 1974, 232 p., multigr. (Sur les nomades réfugiés dans les camps près de Niamey.)

CHARPENTIER, François. « Sahel nigérien en perdition », Le Niger, 28 mai, 4, 11 et 18 juin 1973. (Reportage.)

[135]* COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Au Niger », Qui se nour-

rit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 211-231. (Sécheresse et politique.)

FAO. OFFICE FOR THE SAHELIAN RELIEF OPÉRATION. République du Niger. Rapport de la mission multi-donateurs chargée d'évaluer l'aide alimentaire nécessaire en 1973-1974 pour les pays du Sahel atteints par la sécheresse, Niamey, 2-6 oct. 1973, Rome, 1973, 18 p., multigr. (Document FAO n° 24230-73-WS.)

GANZIN, M. Report on the Food Situation and the Aid to be pro-vided in the Niger, 6 Aug. 1973, FAO, Food Policy and Nutrition Di-vision, Rome, 1973, 8 p.

HELD, Jean-Francis. « En attendant la pluie », Le Nouvel Obser-vateur, 2 juil. 1973. (Reportage sur les Peul Bororos du Niger.)

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_____, Enquête multinationale sur les mouvements de populations dans les pays sahéliens affectés par la sécheresse : cas du Niger, CEA, UNICEF, Niamey, 1974.

_____, « Les Eprouvés du Sahel nigérien », Le Temps du Niger, 5 juillet 1973. (Dossier de 12 p.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 163

_____, « La Grande Sécheresse », West Africa, 2931, 13th Aug. 1973, pp. 1109-1112. (Au Niger.)

_____, « Les Effets de la sécheresse sur l'élevage nigérien », Re-vue trimestrielle de la Communauté économique du bétail et de la viande, 4, avril-juin 1973, pp. 31-39.

Sénégal

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COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Au Sénégal », Qui se nour-rit de la famine au Sahel ?, Paris, 1974, pp. 187-196. (Sécheresse, économie et politique.)

DOYÈRE, Josée. « Les secours d'urgence au Sahel ne dispensent pas de chercher des remèdes durables à la sécheresse », Le Monde, 1 août 1973.

FAO. OFFICE FOR THE SAHELIAN RELIEF OPÉRATION. République du Sénégal. Rapport de la mission multi-donateurs char-gée d'évaluer l'aide alimentaire nécessaire en 1973-1974 pour les pays du Sahel atteints par la sécheresse, Dakar, 12 oct. 1973, Rome, 1973, 12 p., multigr. (Document FAO n° 24231-WS.)

GANZIN, M., et CRESTA, A. M. Effets de la sécheresse sur l'ali-mentation et aide alimentaire au Sénégal, FAO, Rome, 1973, 12 p., multigr. (Document FAO n° 24225-73-WS.)

[136]GIRAUD, J. M., et ROSSIGNOL, D. Recherches de cycles dans

les pluies annuelles de Dakar (1901-1972) et du Sénégal (1924-1972), Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar, Direction de l'exploitation météorologique, Dakar, 1973, 30 p. (Publications de la DEM, n° 31.)

* LERICOLLAIS, A. La Sécheresse et les Populations de la vallée du Sénégal, Nouakchott, 1973, 15 p., multigr. (Contribution au Col-loque sur la désertification, Nouakchott, 17-19 déc. 1973.)

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 164

MARSDEN, M. R. The Récent Drought Situation in Sénégal, SOAS, Londres, 1973, 4 p., multigr. (Contribution au « Symposium on drought in Africa ».)

N'DONGO, Sally. Voyage forcé. Itinéraire d'un militant, Maspero, Paris, 1974, 224 p. (Toute une partie sur la sécheresse au Sénégal. En annexes : « Disponibilités et consommation alimentaire au Sénégal, 1961-1973 » et « Sécheresse et Solidarité dans Le Soleil, juin 1972-fév. 1973 ».)

* REBOUL, Claude. « Sécheresse et Famine au Sahel : la crise de l'agriculture sénégalaise », Le Monde diplomatique, août 1973.

VITTORI, Aurèle. Notes sur la sécheresse au Sénégal en été 1972, Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Ma-dagascar, Direction de l'exploitation météorologique, Dakar, 1973, 47 p. (Publications de la DEM, n° 28.)

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« Les Migrations dans le bassin arachidier sénégalais et dans la vallée du Sénégal », Cahiers de l'ORSTOM, sér. Se. hum., 12, 1/2, 1975.

Tchad

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Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 165

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FAO. OFFICE FOR THE SAHELIAN RELIEF OPÉRATION. Republic of Tchad. Report of the Multi-Donor Mission to as s es s the Emergency Aid to be granted to the Drought-Stricken Sahelian Coun-tries for [137] the Year 1973-1974. Date of mission, 7-13 oct. 1973, Rome, 1973, 20 p. (Document FAO n° 24229-73-WS.)

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3. L'AIDE AUX « ÉTATS VICTIMESDE LA SÉCHERESSE »

Cette rubrique concerne à la fois l'aide d'urgence requise par la sé-cheresse et des études plus globales sur les programmes d'aide et sur la politique de coopération.

COMITÉ CATHOLIQUE CONTRE LA FAIM ET POUR LE DÉ-VELOPPEMENT.

_____, On peut empêcher le désert d'avancer. L'action propre du CCFD et de la CIMADE dans la lutte à court et à long terme contre la sécheresse, CCFD, Paris, 1973, 13 p., multigr.

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Les Échanges extérieurs des six pays de la région sahélienne », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 127-156.

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « Les Organismes d’"aide" au développement et les investisseurs privés face à la sécheresse », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, p. 157-171.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 166

COMITÉ INFORMATION SAHEL. « La Stratégie impérialiste de l’“aide alimentaire” », Qui se nourrit de la famine en Afrique ?, Paris, 1974, pp. 173-183.

CONSTANTIN, F. « Sahel : après la conférence de Ouagadou-gou », Revue française d'études politiques africaines, 94, 1973, pp. 14-17.

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DIORI, Hamani. « La CEE devrait décentraliser l'aide », Re-marques africaines, 429, 15-31 oct. 1973, pp. 18-20. (Conférence de presse.)

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FAO. Suggestions pour des programmes à court, moyen et long terme de relèvement et de développement de la zone sahélienne de l'Afrique de l'Ouest, Rome, 1973, 18 p.

[138]HESSEL, Stéphane. « L'Assistance technique multilatérale en

1973 », Tiers Monde, 14, 56, 1973, pp. 721-742.HILLING, David. « West Africa's Land-Locked States — Some

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SECRÉTARIAT D'ÉTAT AUX AFFAIRES ÉTRANGÈRES. L'Aide de la France aux États du Sahel victimes de la sécheresse, Pa-ris, 1974, 23 p.

VIGNES, Daniel. « L'Aide de la CEE aux États africains et mal-gache », Tiers Monde, 14, 56, 1973, p. 749-768.

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_____, Les Objectifs et les Grandes Lignes de la stratégie de déve-loppement intégré du bassin du fleuve Sénégal, OMVS, Saint-Louis, mai 1974.

_____, « Bilan de l'aide alimentaire mondiale de la communauté », Revue du Marché commun, févr. 1973, pp. 41-43.

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Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 168

III. Sécheresse et famine en Afriquehors du Sahel

Retour à la table des matières

Les quelques études mentionnées ici ne prétendent pas constituer une bibliographie de base sur la sécheresse hors du Sahel. Elles ont cependant été retenues parce qu'elles abordent certains aspects des problèmes posés [139] par la sécheresse qui sont très peu ou même pas du tout abordés dans la littérature concernant le Sahel.

* ALLAN, W. The African Husbandman, Olivier and Boyd, Edin-burgh, 1967, 505 p. (Concerne l'Afrique orientale : Zambie.)

ANDRZEJEWSKI, B. W. « Drought as Reflected in Somali Lite-rature », Savanna (Zaria), 2, 2, 1973, pp. 139-142.

AYOADE, J. O. Annual Rainfall Trends and Periodicities in Nige-ria », Nigerian Geographical Journal, XVI, 2, 1973, pp. 167-176, bibl.

BROOKE, C. « The Héritage of Famine in Central Tanzania », Tanzania Notes and Records, 67, 1967, pp. 15-22. (Tableau des fa-mines de 1850 à 1963.)

CLIFFE, Lionel. « Capitalism or Feudalism ? The Famine in Ethiopia », Review of African Political Economy, 1, 1974, pp. 33-40, bibl.

CROSSE-UPCOTT, A. R. W. « Ngindo Famine Subsistence », Tanganyika Notes and Records, 50, 1958, pp. 1-20. (Causes et effets des famines.)

GRAHAM, Anne M. S. « Adapting to Water Shortage in a Year of Poor Rains : a Case Study from the Sudan », Savanna (Zaria), 2, 2, 1973, pp. 121-125.

HIGH, C, OGUNTOYINBO, J., and RICHARDS, P. « Rainfall, Drought and Food-Supply in South-Western Nigeria », Savanna (Za-ria), 2, 2, 1973, pp. 115-120.

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 169

KOWAL, J. M., and KASSAM, A. H. « An Appraisal of Drought in 1973 affecting Groundnut Production in the Guinea and Sudan Sa-vanna Areas of Nigeria », Savanna (Zaria), 2, 2, 1973, pp. 159-164.

MASCARENHAS, A. C. Aspects of Food Shortages in Tanganyi-ka (1925-1945), Makerere Institute of Social Research, Conférence Papers, 1967, part A, 13 p., bibl.

MORTTMORE, Michael. « Famine in Hausaland, 1973 », Savan-na (Zaria), 2, 2, 1973, pp. 103-107.

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* RICHARDS, Audrey. Hunger and Work in a Savage Tribe : a Functional Study of Nutrition among the Southern Bantu, Routledge, Londres, 1932, 238 p.

SAMARU INSTITUTE FOR AGRICULTURAL RESEARCH. « Drought in Northern Nigeria and the Development of Future Strate-gy », in D. DALBY and R. J. HARRISON CHURCH, eds., Drought in Africa, Londres, 1973, pp. 94-97.

SHACK, William A. « Hunger, Anxiety and Ritual : Deprivation and Spirit Possession among the Gurage of Ethiopia », Man, 6, 1, 1971, pp. 30-43.

[140]SPENCER, Paul. « Drought and the Commitment to Growth »,

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TEN RAA, E. « Bush Foraging and Agricultural Development : a History of Sandawe Famines », Tanzania Notes and Records, 69, 1968 pp. 33-40, bibl.

TOBIANA, Marie-José et Joseph. « Les éleveurs du Sahel peuvent résister à la sécheresse. L'exemple de la tribu zaghawa au Soudan oriental », Croissance des jeunes nations, 154/155, 1975, pp. 27-30 et 35-36.

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Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 170

[141]

TABLETome I

Présentation [5]

1. Jean Copans, “Images, problématiques et thèmes.” [9]

I. La nature des choses et le bon ordre des choses [12]II. La sécheresse existe-t-elle ? [19]III. Dramaturgies ou problématiques ? [21]IV. Directions de recherches [28]

2. Yves Albouy et Bruno Boulenger, “Les facteurs climatiques.” [41]

I. Le climat sahélien [41]II. Le climat normal et sécheresse [45]

3. Christine Messiant, “La situation sociale et matérielle des populations.” [61]

I. L'environnement naturel et les conditions de production [62]II. l'élevage et les populations nomades [64]III. Agriculture et paysans [67]IV. Famine et rapports sociaux [71]

4. Thierry Brun, “Manifestations nutritionnelles et médicales de la famine.” [75]

I. La famine, l'exode et la mort [76]II. Les camps [82]III. Dénutrition et mortalité [90]IV. Les famines contemporaines [99]V. Perspectives [104]

5. Roger Meunier, “L’aide d'urgence et les nouveaux projets de développement.” [109]

I. La raison d'être des politiques d'aide [110]II. L'aide d'urgence [113]III. Une nouvelle politique de développement [123]

6. Jean-Louis Ormières, “Les conséquences politiques de la famine.” [131]

I. Les changements liés directement à l'appareil politique [132]II. Mouvements paysans et mouvements urbains [138]III. Une lutte armée [143]

Jean Copans (dir.), Sécheresses et famines du Sahel. Tome 2. Paysans et nomades. (1975) 171

TABLEtome II

1. Claude Raynaut, Le cas de la région de Maradi (Niger).” [5]

I. Le diagnostic d'une situation [6]II. La modernisation, un faux problème [24]

2. Suzanne Lallemand, La sécheresse dans un village mossi de Haute-Volta.” [44]

I. Ressources et revenus [44]II. Situation du village en 1972-1973 [48]III. Les comportements des villageois face à la sécheresse [52]

3. Pierre Bonté, Pasteurs et nomades — L'exemple de la Mauritanie.” [62]

I. La sécheresse et les éleveurs nomades [62]II. Les sécheresses en Mauritanie à l'époque coloniale [70]III. Sécheresse ou impérialisme ? [80]

4. Jeremy Swift, Une économie nomade sahélienne face à la catastrophe. Les Touareg de l'Adrar des Iforas (Mali).” [87]

I. Nomadisme pastoral et utilisation de la terre dans le Sahel [87]II. L'incertitude de l'environnement sahélien [89]III. La stratégie touareg contre l'incertitude [91]IV. Les changements récents échappent au contrôle des Touareg [97]Conclusion [99]

5. Jean Copans, “La sécheresse en pays mouride (Sénégal). Explications et réac-tions idéologiques paysannes.” [102]

I. Le problème des réactions paysannes [103]II. La problématique des luttes sociales dans la Confrérie mouride [104]III. Le point de vue paysan [106]IV. Le mouride entre l'état et dieu [110]Annexe la pluviométrie à Missirah [117]

6. Christine Messiant, “Bibliographie.” [120]

I. Données de base pour comprendre la situation actuelle [121]II. La situation actuelle [130]III. Sécheresse et famine en Afrique hors du Sahel [138]

Fin du texte