scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une...

4
Cas clinique Scaphoïdectomie par erreur la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas Scaphoidectomy (instead of trapezectomy) in the treatment of rhizoarthrosis. Report of a case A. Marcuzzi a, * , M. Lando a , S. Sartini b , A. Petit a,c a Service de chirurgie de la main, Azienda Ospedaliero-Universitaria Policlinico di Modena, 71, Largo del Pozzo, Modena, Italie b Service de réeducation de la main, Azienda Ospedaliero-Universitaria Policlinico di Modena, Modena, Italie c Unité de chirurgie de la main, CHU de Tours, 37044 Tours cedex, France Reçu le 9 mars 2011 ; reçu sous la forme révisée le 11 décembre 2011 ; accepté le 15 janvier 2012 Résumé Introduction. Les erreurs de site opératoire et les fautes techniques en chirurgie de la main sont rares et peu publiées. Observation. Une patiente de 46 ans, atteinte de rhizarthrose de la main gauche, a été initialement traitée par erreur dans un autre centre par une scaphoïdectomie au lieu d’une trapézectomie. Elle a été vue en consultation 6 mois plus tard, souffrant toujours de sa rhizarthrose et porteuse d’une instabilité du carpe, cliniquement symptomatique et radiologiquement confirmée. L’instabilité du carpe a été traitée par une arthrodèse hamatocapito-lunaire et une arthrodèse trapézo-métacarpienne a été réalisée pour traiter la rhizarthrose. Les résultats cliniques et radiologiques étaient satisfaisants. Discussion. Outre l’erreur paradigmatique, cette observation confirme que l’excision du scaphoïde conduit très rapidement à une déstabilisation du carpe, le capitatum n’arrivant plus à maintenir son alignement sous le lunatum. Cela conduit à une limitation de la mobilité du poignet et une perte de force. L’arthrodèse hamato-capito-lunaire, décrite en 1997, permet de traiter l’instabilité du carpe et seule l’arthrodèse trapézo- métacarpienne peut, en l’absence de scaphoïde, régler le problème de la rhizarthrose. Conclusion. Les auteurs recommandent de toujours réaliser une radiographie du poignet pendant l’intervention de trapézectomie, lorsqu’il existe un doute sur l’identification du trapèze. # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Rhizarthrose ; Scaphoïdectomie ; Trapézectomie Abstract Introduction. Surgery site errors and technical errors in hand surgery are rare and not often published. Observation. A 46-year-old patient with rhizoarthrosis of the left hand was initially treated by mistake in another center by a scaphoidectomy instead of a trapezectomy. She was seen in consultation 6 months later, still suffering from her rhizoarthrosis and with carpal instability, clinically symptomatic and radiologically confirmed. The instability of the wrist was treated by a hamatocapito-lunar arthrodesis and a trapeziometacarpal arthrodesis was performed to treat the rhizoarthrosis. The clinical and radiological results were acceptable. Discussion. Besides the paradigmatic error, this observation confirms that the excision of the scaphoid quickly leads to a destabilization of the wrist, the capitatum no longer maintaining its alignment under the lunatum, and leads to a limitation of the wrist mobility and a loss of strength. The hamato-capito-lunate arthrodesis described in 1997 can treat wrist instability and only the trapeziometacarpal arthrodesis can, in the absence of scaphoid, treat the problem of rhizoarthrosis. Conclusion. The authors recommend to always carry out a radiography of the wrist during trapezectomy surgery when there is doubt about the identification of the trapezium. # 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Keywords: Rhizoarthrosis; Scaphoidectomy; Trapezectomy Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chirurgie de la main 31 (2012) 3033 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Marcuzzi). 1297-3203/$ see front matter # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.main.2012.01.007

Upload: a-marcuzzi

Post on 09-Sep-2016

217 views

Category:

Documents


4 download

TRANSCRIPT

Page 1: Scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas

Cas clinique

Scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans letraitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas

Scaphoidectomy (instead of trapezectomy) in the treatment of rhizoarthrosis. Report of a case

A. Marcuzzi a,*, M. Lando a, S. Sartini b, A. Petit a,c

a Service de chirurgie de la main, Azienda Ospedaliero-Universitaria Policlinico di Modena, 71, Largo del Pozzo, Modena, Italieb Service de réeducation de la main, Azienda Ospedaliero-Universitaria Policlinico di Modena, Modena, Italie

c Unité de chirurgie de la main, CHU de Tours, 37044 Tours cedex, France

Reçu le 9 mars 2011 ; reçu sous la forme révisée le 11 décembre 2011 ; accepté le 15 janvier 2012

Résumé

Introduction. – Les erreurs de site opératoire et les fautes techniques en chirurgie de la main sont rares et peu publiées.Observation. – Une patiente de 46 ans, atteinte de rhizarthrose de la main gauche, a été initialement traitée par erreur dans un autre centre par unescaphoïdectomie au lieu d’une trapézectomie. Elle a été vue en consultation 6 mois plus tard, souffrant toujours de sa rhizarthrose et porteuse d’uneinstabilité du carpe, cliniquement symptomatique et radiologiquement confirmée. L’instabilité du carpe a été traitée par une arthrodèsehamatocapito-lunaire et une arthrodèse trapézo-métacarpienne a été réalisée pour traiter la rhizarthrose. Les résultats cliniques et radiologiquesétaient satisfaisants.Discussion. – Outre l’erreur paradigmatique, cette observation confirme que l’excision du scaphoïde conduit très rapidement à une déstabilisationdu carpe, le capitatum n’arrivant plus à maintenir son alignement sous le lunatum. Cela conduit à une limitation de la mobilité du poignet et uneperte de force. L’arthrodèse hamato-capito-lunaire, décrite en 1997, permet de traiter l’instabilité du carpe et seule l’arthrodèse trapézo-métacarpienne peut, en l’absence de scaphoïde, régler le problème de la rhizarthrose.Conclusion. – Les auteurs recommandent de toujours réaliser une radiographie du poignet pendant l’intervention de trapézectomie, lorsqu’ilexiste un doute sur l’identification du trapèze.# 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Rhizarthrose ; Scaphoïdectomie ; Trapézectomie

Abstract

Introduction. – Surgery site errors and technical errors in hand surgery are rare and not often published.Observation. – A 46-year-old patient with rhizoarthrosis of the left hand was initially treated by mistake in another center by a scaphoidectomyinstead of a trapezectomy. She was seen in consultation 6 months later, still suffering from her rhizoarthrosis and with carpal instability, clinicallysymptomatic and radiologically confirmed. The instability of the wrist was treated by a hamatocapito-lunar arthrodesis and a trapeziometacarpalarthrodesis was performed to treat the rhizoarthrosis. The clinical and radiological results were acceptable.Discussion. – Besides the paradigmatic error, this observation confirms that the excision of the scaphoid quickly leads to a destabilization of thewrist, the capitatum no longer maintaining its alignment under the lunatum, and leads to a limitation of the wrist mobility and a loss of strength. Thehamato-capito-lunate arthrodesis described in 1997 can treat wrist instability and only the trapeziometacarpal arthrodesis can, in the absence ofscaphoid, treat the problem of rhizoarthrosis.Conclusion. – The authors recommend to always carry out a radiography of the wrist during trapezectomy surgery when there is doubt about theidentification of the trapezium.# 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

Keywords: Rhizoarthrosis; Scaphoidectomy; Trapezectomy

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Chirurgie de la main 31 (2012) 30–33

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Marcuzzi).

1297-3203/$ – see front matter # 2012 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.main.2012.01.007

Page 2: Scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas

A. Marcuzzi et al. / Chirurgie de la main 31 (2012) 30–33 31

1. Introduction

Les erreurs chirurgicales en chirurgie de la main sontheureusement rares, et malheureusement rarement publiées.Les auteurs rapportent le cas paradigmatique d’une patienteatteinte de rhizarthrose de la main gauche et initialementtraitée par erreur dans un autre centre par une scaphoi#dectomieau lieu d’une trapézectomie. Ils exposent la techniquechirurgicale de rattrapage employée pour traiter à la foisl’instabilité du carpe iatrogène et la rhizarthrose, ainsi que lesrésultats obtenus.

2. Observation

Il s’agit d’une femme âgée de 46 ans, atteinte d’unerhizarthrose symptomatique de la main gauche, traitéeinitialement en octobre 2002 dans un autre centre par unescaphoïdectomie, réalisée par erreur (Fig. 1). Le chirurgien quil’a opéré initialement était un chirurgien orthopédiste confirmé.

La patiente s’est présentée à notre consultation 6 mois aprèsl’opération. Les principaux signes fonctionnels retrouvésétaient une instabilité du poignet, nécessitant le port d’uneorthèse de maintien du poignet, ainsi que des douleurs diffusesdu poignet, spontanées, avec une évaluation sur une échellevisuelle analogique (EVA) à 7. L’examen clinique du poignetmettait en évidence une douleur localisée à l’articulationradiocarpienne et à l’articulation trapézo-métacarpienne, avecune réduction de la force (2,5 kg au Jamar1) et la diminutiondes amplitudes articulaires du poignet (flexion 108, extension308, inclinaison radiale 258, inclinaison ulnaire 208).

La mobilité du pouce était réduite avec une cotation del’opposition à 6 selon Kapandji.

Fig. 1. Radiographie préopératoire montrant la rhizarthrose du poignetgauche.

La radiographie révélait la présence résiduelle de larhizarthrose au stade III de Dell, une instabilité du poignetcaractérisée par une DISI (angle radiolunaire : 218), et lecapitatum n’était plus aligné sur le lunatum avec un collapsusdu carpe (hauteur : 0,50) (Fig. 2a, b).

Deux traitements chirurgicaux avaient été proposés : unearthrodèse trapézo-métacarpienne associée à une résection dela première rangée du carpe, que la malade, pour des raisonspersonnelles, a refusée et une arthrodèse trapézo-métacar-pienne associée à une stabilisation du carpe avec une arthrodèsemédiocarpienne.

La malade a donc été opérée en juin 2003 d’une arthrodèsetrapézo-métacarpienne associée à une arthrodèse raccourcis-sante hamato-capito-lunaire dérivée de la technique deDelattre, stabilisée avec deux agrafes et immobilisée pourune durée de 45 jours.

La patiente a été revue en consultation de contrôle ennovembre 2010 avec un recul de 89 mois (Fig. 3a, b). Aucontrôle clinique, la patiente ne présentait aucune douleur(EVA = 0) et les amplitudes articulaires du poignet étaientaméliorées (flexion 308, extension 508, inclinaison radiale 258,inclinaison ulnaire 258).

La mobilité du pouce était améliorée aussi, avec une cotationde l’opposition à 8 selon Kapandji. Le contrôle radiographiquemontrait la parfaite consolidation des arthrodèses avec unecorrection satisfaisante de la Dorsal intercalated segmentinstability (DISI) (angle radiolunaire : 158) avec une hauteur ducarpe mesurée à 0,54.

La patiente était pleinement satisfaite et elle avait repris àplein temps son activité de couturière. Elle n’a intenté aucuneprocédure judiciaire.

3. Discussion

Les erreurs en chirurgie de la main et en chirurgieorthopédique sont le plus souvent des erreurs de côté ou deserreurs de site opératoire [1,2]. Il n’a pas été retrouvé de cassimilaire dans la littérature d’excision d’un os à la place d’unautre, qui plus est contigu. Cette observation confirme lestravaux déjà réalisés sur la scaphoïdectomie [3–5] ; en effet,l’excision du scaphoïde conduit très rapidement à unedéstabilisation du carpe, le capitatum n’arrivant plus àmaintenir son alignement sous le lunatum, conduisant à unelimitation de la mobilité du poignet et une perte de force. Mêmesi la scaphoïdectomie totale a été proposée jusque dans lesannées 1960 dans certaines indications de pseudarthroses avecnécrose, il s’agit là d’une intervention historique et les travauxde biomécanique du carpe expliquent la tendance actuelle à laconservation du scaphoïde [6]. Garcia-Elias et al. [3,4,7,8]réservent l’utilisation de la scaphoïdectomie partielle à quatreseules indications précises : l’excision d’un fragment ostéo-chondral proximal pseudarthrosé avec des ligaments scapho-lunaires intacts, l’excision du fragment distal dans lespseudarthroses, l’excision de la partie distale du scaphoïdedans l’arthrose scaphoïd-trapèze-trapezoïde (STT) et letraitement d’une articulation STT douloureuse après unearthrodèse radio-scapho-lunaire.Ici le traitement de rattrapage

Page 3: Scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas

Fig. 2. a, b : radiographies après l’intervention de scaphoïdectomie avec l’instabilité du carpe.

A. Marcuzzi et al. / Chirurgie de la main 31 (2012) 30–3332

réalisé a été une arthrodèse hamato-capito-lunaire. Cetteobservation confirme que l’arthrodèse raccourcissante hamato-capito-lunaire dérivée de la technique de Delattre est unealternative à connaître [9]. En effet, cette intervention consiste àpousser plus loin le principe de la résection de la première rangée,en reconstruisant la tête du capitatum par le lunatum dont lafacette articulaire supérieure est le plus souvent conservée, mêmedans les stades très avancés d’arthrose radio- et médiocarpienne.

Fig. 3. a, b : radiographies avec 89 mois de recu

Les principes théoriques de cette intervention sont le raccour-cissement du carpe et le respect de la congruence physiologiquede l’articulation radiolunaire, le but étant d’obtenir des résultatscomparables à ceux de la résection de la première rangée,en particulier au niveau des mobilités. L’utilisation del’arthrodèse trapézo-métacarpienne, même si elle est débattue[10], pour le traitement de la rhizarthrose a permis un bon résultatdans ce cas.

l montrant la consolidation des arthrodèses.

Page 4: Scaphoïdectomie par erreur (à la place d’une trapézectomie) dans le traitement d’une rhizarthrose. À propos d’un cas

A. Marcuzzi et al. / Chirurgie de la main 31 (2012) 30–33 33

4. Conclusion

La scaphoïdectomie effectuée pour le traitement d’unerhizarthrose doit être considérée comme une grave erreur quipeut avoir des répercussions médico-légales, étant donné quecette intervention ne résout évidemment pas le problème dela rhizarthrose et qu’en plus elle provoque une instabilité ducarpe iatrogène.

Les auteurs conseillent de toujours réaliser une radiographiedu poignet pendant l’intervention, lorsqu’il existe un doute surl’identification du trapèze.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

[1] Sassoon D. Prevention and management of the conflict patient-doctor.Chir Main 2007;26(2):67–87.

[2] Ring DC, Herndon JH, Meyer GS. Case records of The MassachusettsGeneral Hospital: case 34-2010: a 65-year-old woman with an incorrectoperation on the left hand. N Engl J Med 2010;363(20):1950–7.

[3] Garcia-Elias M, Lluch AL, Farreres A, Castillo F, Saffar P. Resection ofthe distal scaphoid for scaphotrapeziotrapezoid osteoarthritis. J Hand SurgBr 1999;24(4):448–52.

[4] Garcia-Elias M, Lluch A, Saffar P. Distal scaphoid excision in scaphoid-trapezium-trapezoid arthritis. Tech Hand Up Extrem Surg 1999;3(3):169–73.

[5] Laulan J. Rotatory subluxation of the scaphoid: pathology and surgicalmanagement. Chir Main 2009;28(4):192–206.

[6] Wright TW, Dobyns JH, Linscheid RL, Macksoud W, Siegert J. Carpalinstability non-dissociative. J Hand Surg Br 1994;19(6):763–73.

[7] Garcia-Elias M, Lluch A, Ferreres A, Papini-Zorli I, Rahimtoola ZO.Treatment of radiocarpal degenerative osteoarthritis by radioscapholu-nate arthrodesis and distal scaphoidectomy. J Hand Surg Am 2005;30(1):8–15.

[8] Garcia-Elias M, Goubier J. Radio-scapho-lunate arthrodesis with distalscaphoid excision. Chir Main 2008;27(5):227–31.

[9] Delattre O, Dupont P, Reau AF, Rouvillain JL, Mousselard H, et al.Shortening arthrodesis of three wrist bones. Ann Chir Main Memb Super1997;16(4):292–9.

[10] De Smet L, Van Meir N, Verhoeven N, Degreef I. Is there still a place forarthrodesis in the surgical treatment of basal joint osteoarthritis of thethumb? Acta Orthop Belg 2010;76(6):719–24.