sara craven

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"Je cesserai de courtiser votre belle-sœur si vous acceptez de venir passer deux semaines avec moi aux Caraïbes" ! déclare froidement Matt Lincoln à Kate.Comment ce journaliste arrogant et sûr de lui ose-t- il parler ainsi ? Kate est courroucée. Pourtant elle accepte, bien décidée à remettre cet individu à sa place !Mais ce voyage paradisiaque cache bien des mystères... Visiblement, Matt cherche autre chose que des vacances, et Kate se trouve entraînée dans une aventure tout à la fois inquiétante et... grisante !

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  • Resume :

    "Je cesserai de courtiser votre belle-sur si vous acceptez de venir passer deux semaines avec moi aux

    Carabes" ! dclare froidement Matt Lincoln Kate. Comment ce journaliste arrogant et sr de lui ose-t-il

    parler ainsi? Kate est courrouce. Pourtant elle accepte,

    bien dcide remettre cet individu sa place ! Mais ce voyage paradisiaque cache bien des mystres...

    Visiblement, Matt cherche autre chose que des

    vacances, et Kate se trouve entrane dans une aventure

    tout la fois inquitante et... grisante!

  • HARLEQUIN

    Cet ouvrage a t publi en langue anglaise sous le titre :

    DARK PARADISE

  • 1

    Sous les doigts du pianiste, les notes s'grenaient, assourdies,

    en harmonie avec l'humeur mlancolique de Kate. Fuyant le regard de Clive, elle contemplait distraitement son verre plein o la flamme des candlabres allumait de somptueux reflets de rubis.

    En acceptant son invitation, elle avait cru partager un banal djeuner d'affaires, et elle se trouvait maintenant prise au pige insidieux d'un tte--tte romantique auquel elle ne savait comment se drober sans blesser son compagnon.

    Difficile en effet de lui dclarer avec une abrupte franchise : J'ai beaucoup d'affection pour vous, Clive, mais il n'y aura jamais rien entre nous. Aussi, si ce bordeaux millsim et ce dlectable chteaubriant sont destins sceller une tape nouvelle de nos relations, autant les renvoyer tout de suite aux cuisines...

    Elle respectait trop Clive pour lui infliger pareil affront, sans oublier qu'elle dpendait troitement de lui sur le plan professionnel. D'ailleurs elle avait faim, et le Pre Nicolas tait sans conteste le meilleur restaurant franais de Londres. Elle entreprit de dcouper sa viande, se remmorant leur premire rencontre, deux ans auparavant.

    Jeune tudiante frache moulue de l'cole des Arts Dcoratifs, Kate Marston prospectait alors les diteurs,son carton dessin sous le bras, pleine de confiance dans son talent. Trs vite toutefois, son bel enthousiasme de nophyte avait cd au dcouragement, mesure qu'elle se heurtait des fins de non-recevoir poliment indiffrentes.

    C'tait donc sans grandes illusions qu'elle avait pouss la porte de la vnrable maison Barlow & Herries. A sa grande

  • surprise cependant, elle avait franchi sans encombre le barrage du bureau de rception et avait t introduite auprs de l'un des directeurs littraires, Clive Jefferson. Elle s'tait sentie immdiatement l'aise face cet homme affable et courtois, qui examinait attentivement ses croquis.

    Savez-vous, dit-il enfin, que vous pourriez bien tre l'oiseau rare que nous recherchons ?

    La firme avait depuis peu sous contrat un auteur succs, Florence Carrington, dont les exigences trs particulires leur causaient quelque souci. La dame en question avait rompu avec tous ses prcdents diteurs, leur reprochant notamment la mdiocrit des planches illustrant ses ouvrages, destins aux enfants. Barlow & Herries se montraient videmment fort anxieux de la satisfaire sur ce point, mais la tche se rvlait plus ardue qu'ils ne l'avaient escompt...

    Elle a jusqu'ici refus catgoriquement les projets prsents par nos meilleurs artistes, poursuivit Clive avec un sourire teint de rancune. Leur style n'est pas assez original, affirme-t-elle. Je crois que votre travail a une chance de lui plaire.

    Il dsigna du doigt une aquarelle. C'est une scne de l'un de ses contes, n'est-ce pas ? Kate acquiesa, muette d'espoir et d'excitation. Vous avez parfaitement su rendre cette atmosphre

    ferique et en mme temps inquitante. Je me suis toujours demand pourquoi les enfants raffolent tant de ses livres. Il me semble qu' leur ge, ils m'auraient donn des cauchemars... Mais naturellement, nous sommes les derniers regretter cet engouement !

    Personnellement, j'adore ce qu'elle crit ! J'en suis ravi. N'oubliez surtout pas de le lui dire lorsque je

    vous la prsenterai. Kate avait russi au-del de ses plus folles esprances.

    L'intraitable romancire avait t sduite par ses dessins, et leur fructueuse collaboration s'tait poursuivie depuis lors, pour la plus grande satisfaction de Barlow & Herries. Grce cette

  • prestigieuse recommandation, elle tait parvenue s'imposer rapidement dans le monde de la presse et de la publicit. Aujourd'hui, sa carrire semblait assure, et elle pouvait mme s'offrir le luxe occasionnel de refuser des commandes qui ne l'inspiraient pas.

    Clive ne lui avait mnag ni les conseils ni les encoura-gements, et Kate avait su apprcier ses solides qualits humaines et professionnelles. Elle lui tait infiniment reconnaissante et se plaisait beaucoup en sa compagnie, mais elle n'tait pas et ne serait jamais amoureuse de lui. De cela elle tait certaine, alors mme qu'elle ne pouvait se cacher plus longtemps que l'intrt qu'il lui portait dpassait de loin la simple amiti.

    Elle avait cru pouvoir le tenir distance en se cantonnant dans une rserve prudente. Mais c'tait mconnatre la tranquille dtermination de Clive, dont la cour discrte s'tait faite plus pressante les derniers mois. Kate ne voyait pas sans apprhension approcher le moment fatidique o elle devrait l'conduire fermement et sans ambigut, gchant ainsi coup sr leur chaleureuse complicit.

    Comme s'il avait lu dans ses penses, il leva son verre avec une solennit inhabituelle :

    A nous. Horriblement mal l'aise, Kate lui rpondit par un sourire

    contraint, parcourant la salle des yeux en qute d'une diversion qui lui aurait permis d'orienter la conversation vers un terrain moins dangereux. Soudain, elle tressaillit la vue d'une jeune femme blonde... Etait-ce possible ? Mais si, c'tait bien sa belle-sur Alice, et elle n'tait pas avec son mari ! Kate ne distinguait pas le visage de l'homme qui l'accompagnait, mais cette tte brune n'tait pas celle de son demi-frre John. Le salaire de celui-ci ne lui permettait d'ailleurs pas de frquenter les restaurants de luxe comme le Pre Nicolas, dont les prix prohibitifs taient la hauteur de ses ambitions gastrono-miques.

    Haricots matre-d'htel, madame ?

  • Un soupon de rprobation dans la voix du serveur lui fit deviner qu'il venait de rpter sa question. Elle sursauta, confuse.

    Oui, s'il vous plat. Merci. Qu'y a-t-il, Kate ? Vous paraissez contrarie. Clive la fixait, interrogateur, dj inquiet. Oh, excusez-moi. J'avais cru apercevoir des amis, mais je

    m'tais trompe... Inutile d'veiller sa curiosit. Elle n'avait aucune envie de

    l'associer ses soucis familiaux, pas plus qu'elle ne souhaitait tre reconnue par le couple. Car elle savait maintenant qui tait le compagnon d'Alice : ces paules athltiques, cette paisse chevelure d'un noir de jais et cette nuque arrogante ne pouvaient appartenir qu' Matt Lincoln !

    En aurait-elle dout qu'il lui aurait suffi d'observer le visage d'Alice. On y lisait cette mme admiration bate qui avait si souvent agac Kate, chaque fois que sa belle- sur rptait, comme paroles d'vangile : Matt pense que... Matt a dit...

    Matthew Lincoln, l'une des personnalits les plus en vue de la tlvision britannique. Le spcialiste des reportages fracassants et des interviews sensationnelles ! L'idole d'Alice, qui avait t sa secrtaire particulire pendant les trois annes prcdant son mariage. L'homme tait incontestablement sduisant, et c'tait un professionnel de grande classe, qui maniait l'information en virtuose. Mais si Kate admirait le journaliste brillant et incisif, le personnage ne lui tait gure sympathique. Elle avait appris ses dpens connatre les Matt Lincoln de ce monde : infatus, cyniques et gostes, ils poursuivent impitoyablement leur but, srs de leur pouvoir et de leur charme, indiffrents ceux qu'ils pitinent au passage...

    Elle ne pouvait s'empcher de plaindre ceux qu'il livrait ainsi en pture au public et dont la vie prive, les trahisons, les faiblesses et les vices taient soudainement tals au grand jour. Elle s'en tait entretenue avec Alice, qui lui avait rtorqu schement :

  • Ce sont tous des escrocs. Pourquoi ne pas les dmasquer ? Rservez plutt votre piti pour les pauvres nafs qu'ils ont grugs et exploits !

    Ses yeux bleus s'taient brusquement durcis, comme si c'tait blasphmer que d'oser critiquer Matt Lincoln.

    Lorsque John lui avait prsent Alice, Kate avait compris immdiatement qu'il ne s'agissait pas pour lui d'un flirt banal parmi d'autres. Mais elle avait t moins sre des sentiments de la jeune fille, mme aprs leurs fianailles... Malgr l'affection sincre qu'elle portait son demi-frre, Kate ne s'aveuglait pas sur son compte : John tait un garon srieux et quilibr, d'un physique agrable, mais qui n'avait rien d'un Adonis... Comment n'aurait-il pas paru terne et effac auprs d'un Matt Lincoln? Et Alice tait-elle prte abandonner sans regrets un travail passionnant, agrment de voyages incessants aux quatre coins du monde, pour l'existence douillette et monotone d'pouse d'un petit avou de banlieue ?

    Les mmes doutes torturaient John. Un soir o ils taient seuls, il lui avait confi :

    Si seulement je savais... Elle a partag toutes ses activits pendant trois ans, elle l'a accompagn dans tous ses dplacements, elle ne parle que de lui... et cependant j'ignore ce qu'il y a exactement entre eux en supposant qu'il y ait quelque chose !

    Et si tu lui posais la question? murmura Kate. Je me mpriserais moi-mme... Je l'aime et je voudrais lui

    faire confiance; pourtant cette incertitude m'obsde... Kate se sentait douloureusement impuissante. John

    parviendrait-il jamais exorciser les ombres angoissantes du pass ? Il n'avait que sept ans quand sa mre avait dsert le foyer conjugal pour s'enfuir avec un autre homme, et l'enfant avait t profondment traumatis par cet abandon. Plus tard, lorsque son pre s'tait remari avec la mre de Kate, qui tait veuve, celle-ci avait russi, force de tendresse et de patience, apprivoiser l'adolescent farouchement repli sur lui-mme. Ils avaient form une famille heureuse, et John avait trouv en Kate

  • plus qu'une sur : une amie et une confidente. Mais il est des blessures qui ne se referment jamais compltement : John ne pouvait oublier la trahison de sa mre, et c'tait sans doute pourquoi il se montrait si jalousement possessif vis- -vis d'Alice.

    C'est l'avenir seul qui compte, John, pas le pass... Il est inutile que tu te ronges en vain. Aprs tout, Alice a accept de t'pouser... Et d'ailleurs toutes les secrtaires ne sont pas amoureuses de leur patron ! Elle aurait le droit de te harceler propos de Miss Chalmers.

    Certes, si Miss Chalmers avait vingt-cinq ans, et non le double, et pas de lunettes !

    John avait clat de rire, se dtendant enfin. Le mariage avait eu lieu quelques mois plus tard, et Matt Lincoln avait t invit la crmonie. C'tait cette occasion que Kate l'avait rencontr pour la premire fois et elle aurait voulu effacer jamais ce jour de sa mmoire...

    La voix de Clive l'arracha ses sombres penses. Kate! Vous ne m'coutez pas... Etes-vous souffrante ? On

    dirait que vous avez vu un fantme ! En un sens, c'tait vrai, songea-t-elle avec amertume : le

    fantme du bonheur bris de John... Elle se sentait soudain ridicule. De quel droit jugeait-elle ainsi sa belle-sur? Un djeuner n'tait pas obligatoirement compromettant... Ce n'tait en tout cas pas une excuse pour traiter Clive de la sorte !

    Je suis rellement navre, Clive. Je crains d'tre une dtestable convive aujourd'hui... bien indigne de des dlices culinaires !

    Et si vous me disiez ce qui vous proccupe tant ? Oh, des affaires de famille, sans grand intrt... Je

    rflchissais aussi au nouveau recueil de contes de Florence... Il m'est venu quelques ides intressantes.

    Ils taient trop passionns l'un et l'autre par leur mtier pour ne pas se laisser bientt absorber dans une conversation anime, qui fit oublier Kate ses problmes personnels. Lorsqu'elle leva nouveau les yeux vers la table d'Alice et de

  • Matt Lincoln, elle constata que le couple avait dj quitt les lieux. La question de savoir si elle devait ou non les saluer tait du moins rsolue !

    Eh bien, nous ne sommes gure sortis du domaine professionnel, remarqua Clive avec une petite moue de dpit. J'esprais djeuner avec Kate Marston, et pas seulement avec la collaboratrice de Barlow & Herries!

    Ils burent leur caf en silence, puis Kate refusa le taxi qu'il lui proposait. Elle prfrait rentrer pied pour profiter du soleil radieux, inhabituel pour la saison, qui illuminait la ville.

    C'tait par une magnifique journe d'automne comme celle-ci que John et Alice s'taient maris, l'anne prcdente. Le lunch et la rception avaient eu lieu dans un htel des environs de Londres, et il avait fait si beau que les invits avaient envahi la terrasse et les pelouses.

    Sans avoir la prtention d'clipser la jeune pouse, blouissante dans sa vaporeuse toilette d'organza blanc, Kate tait trs lgante avec ses boucles auburn releves en un gracieux chignon et sa longue robe de crpe de chine jaune ple qui soulignait ses formes sveltes. Elle tait sans conteste la plus sduisante des demoiselles d'honneur, et tous les amis clibataires de John papillonnaient dans son sillage.

    Rieuse et insouciante, elle coutait distraitement les compliments outrageusement flatteurs de ses chevaliers servants, attentive n'en favoriser aucun, lorsqu'elle avait eu la sensation insolite d'tre observe son insu. C'tait Matt Lincoln, trnant au milieu d'une cour d'admiratrices, qui la guettait ainsi !

    Jusqu'ici, Kate s'tait tenue soigneusement distance et avait mme pu viter de lui tre prsente. Pourquoi tait-il venu ? Ses parents ne s'attendaient gure ce qu'il honore leur invitation, et ils avaient t extrmement flatts d'apprendre qu'il avait court un voyage au Venezuela pour assister la crmonie. Mais John, visiblement, aurait prfr qu'il s'abstienne : il s'tait dtourn, les mchoires crispes en voyant Matt donner la marie le traditionnel baiser de flicitations.

  • Le mieux tait de l'ignorer dlibrment ! Kate avait jou les belles indiffrentes, sans pouvoir cependant s'empcher de l'pier la drobe. Chaque fois, avec un malaise croissant, elle avait crois son regard, insistant et narquois...

    Incapable de dissimuler plus longtemps son trouble et son irritation, Kate se rfugia l'intrieur de l'htel en compagnie de Simon Marsh, un ancien camarade de collge avec qui elle avait toujours plaisir bavarder. Dans le salon voisin, un orchestre avait commenc jouer. Tout coup une haute silhouette se dressa devant eux. Simon s'interrompit aussitt, avec une dfrence qui la mit en rage.

    Oh, monsieur Lincoln, dsirez-vous un autre verrre ? Non, merci. Il s'inclina crmonieusement devant Kate. Nous n'avons pas encore eu le plaisir de faire

    connaissance, mais quelque chose me dit que cette danse est la ntre...

    Les rythmes modernes avaient fait place un slow tendre et langoureux... Elle s'imagina enlace par ces bras puissants, serre contre cette large poitrine, et un inexplicable sentiment de panique la submergea.

    Je n'ai pas envie de danser. Vous avez ici de nombreuses admiratrices pour qui ce serait le plus grand des honneurs !

    Il souriait toujours, mais ses yeux bleu sombre s'taient imperceptiblement durcis.

    Je ne saurais en discuter sans passer pour un fat... Mais il se trouve prcisment que c'est vous que j'ai invite, Miss... euh...

    Marston, intervint prcipitamment Simon. Kate Marston. Kate... Charmant prnom, dlicieusement romantique. Seuls mes amis sont autoriss m'appeler par mon

    prnom, monsieur Lincoln. Et puisque vous semblez apprcier la prcision, je vous rappelle que j'ai dj dclin votre invitation.

  • Simon la contemplait bouche be, stupfait par son agressivit. Matt Lincoln la fixa longuement en silence tandis qu'elle se sentait rougir. D'une voix sans timbre, il articula enfin:

    Je suis dsol de vous avoir importune. Puis il lui tourna le dos et sortit. Grand dieu Kate, quelle mouche t'a pique ? Il t'a

    seulement invite danser ! Ce n'est pas un crime ! Kate releva le menton d'un air de dfi. Oh, rassure-toi. Je connais ce genre de personnage ! Leur

    amour-propre est toute preuve... Ils s'imaginent qu'il leur suffit de claquer des doigts pour que toutes les femmes se roulent leurs pieds !

    Tu es injuste. Il ne peut rien contre sa clbrit, et je ne savais pas que tu militais avec autant de fougue pour la cause fministe !

    Je ne suis pas fministe, mais il ne m'est pas sympathique. Il me rappelle un peu trop quelqu'un que j'ai bien connu... et ce n'est pas un souvenir agrable. Oh ! je dois aller aider Alice se changer et faire sa valise. Elle et John partent tout l'heure Paris, pour leur voyage de noces... A plus tard, Simon.

    Elle tait soulage de pouvoir chapper son regard scrutateur et elle prfrait ne pas trop analyser ses sentiments. Si sa raction avait t tellement violente, c'est qu'elle n'tait pas aussi insensible qu'elle l'aurait souhait au charme viril qui manait de Matt Lincoln.

    Lorsqu'elle redescendit, portant les bagages du jeune couple, elle constata avec soulagement qu'il tait parti, de mme que la plupart des invits, le dner ne runissant que la famille et quelques intimes. Simon tait de ceux-l, mais elle l'vita autant qu'elle put durant le reste de la soire.

    ... Kate avait cru que Matt Lincoln tait sorti de sa vie pour toujours. Et voil qu'il rapparaissait, au bout d'un an... Quelles taient ses intentions?

    Plonge dans ses rflexions, elle avait cru marcher au hasard, or elle s'apercevait que ses pas l'avaient conduite devant l'immeuble ultra-moderne, tout de verre et d'acier, qui abritait

  • les bureaux de la Tlvision nationale. C'tait sans doute ce que le bon docteur Freud appelait une dmarche de l'inconscient, se dit-elle avec ironie.

    Elle s'tait arrte, sans prendre garde aux passants qui la bousculaient, contemplant les larges baies vitres qui rflchissaient les rayons du soleil, comme si elle esprait y lire une rponse aux questions qui l'obsdaient.

    Elle haussa les paules et se remit en route. Elle n'tait pas mme sre que son inquitude ft justifie. Elle en saurait sans doute plus dans quelques jours. D'ici l, le mieux tait de rentrer chez elle et de se mettre au travail. En un mot, de s'occuper de ses propres affaires.

    Elle habitait un vaste atelier vitr au second et dernier tage d'une de ces maisons anciennes qui sont l'un des charmes de Londres. Un placard-kitchenette, un petit cabinet de toilette et une alcve mansarde qui lui servait de chambre coucher compltaient son appartement. Elle pouvait galement disposer de la salle de bains et de la vaste cuisine situe au rez-de-chausse. Kate s'tait installe ici deux ans auparavant, sduite par la modicit du loyer et par la gentillesse des propritaires : Peter, photographe dans un grand magazine, et sa femme Maria taient devenus de vritables amis, sans oublier leurs deux enfants, le chien Puck et la chatte Sarah.

    Maria la hla de sa cuisine : Alors, comment s'est pass ce djeuner digne de Lucullus ? Oh, j'ai t remarquablement sobre. Mmm ! Qu'est-ce qui

    sent aussi bon ? Rien d'extraordinaire. Juste une sauce italienne pour les

    spaghetti. C'est la fin du mois... Mais vous tes cordialement invite, si toutefois vous n'tes pas compltement rassasie de caviar et de champagne !

    Ce serait avec plaisir, mais je passerai probablement la soire chez mes parents. Il y a longtemps que je ne les ai pas vus, et ils se sentent un peu seuls depuis que nous avons quitt le nid familial, John et moi. Je vais leur tlphoner tout de suite.

    La mre de Kate fut ravie.

  • Nous t'attendons, ma chrie. Justement, John et Alice doivent venir dner.

    Elle raccrocha doucement. Alice parlerait-elle de son djeuner avec Matt Lincoln ? Elle l'esprait de tout son cur.

    Avant de l'embrasser, son beau-pre la retint quelques secondes bout de bras, l'examinant d'un il critique :

    Tu as mauvaise mine, mon petit. Et tu as besoin de reprendre du poids. Rien de tel que la bonne cuisine anglaise : ta mre a prpar un pudding et une tarte aux pommes.

    Ils burent l'apritif dans la cuisine o la mre de Kate s'affairait aux derniers prparatifs du repas. Cette femme calme et quilibre n'tait jamais aussi heureuse que lorsqu'elle se consacrait aux tches mnagres. Sa famille tait toute sa vie. Son mari et ses enfants lui disaient parfois en plaisantant qu'elle appartenait une espce en voie de disparition. Elle se contentait alors de hocher la tte en souriant, sans pour autant s'interrompre dans sa besogne.

    Quel chagrin serait le sien si le mariage de John se rvlait un chec ! Elle l'aimait autant que s'il tait son fils. Kate avait hte d'tre rassure.

    John fit son entre, seul, un bouquet de fleurs la main. Alice vous envoie ses amitis. Elle est dsole, mais elle a

    d se mettre au lit avec une terrible migraine. Qu'elle se soigne bien surtout et qu'elle ne fasse pas

    d'imprudences, lui recommanda sa belle-mre. Ce malaise ne paraissait pas l'inquiter. Peut-tre mme y

    voyait-elle la confirmation de ses espoirs. Son plus cher dsir tait en effet de devenir rapidement grand-mre! Kate tait moins optimiste. S'taient-ils querells ? D'une voix qui manquait un peu de naturel, elle annona :

    J'ai fort bien djeun aujourd'hui. Au Pre Nicolas. John mit un petit sifflement apprciateur. Excusez du peu ! J'espre que ce n'tait pas toi qui payais

    l'addition... Elle attendit en vain. Il n'ajouta pas : Vraiment, quelle

    concidence ! Alice galement ! De toute vidence, il ignorait

  • compltement ce rendez-vous avec Matt Lincoln. Ainsi les plus sombres pressentiments de Kate se vrifiaient... La gorge serre, elle se fora avaler quelques bouches. John parvenait donner le change ses parents, mais elle le sentait triste et dprim.

    Lorsque sa mre se leva pour desservir, Kate s'empara d'autorit du plateau.

    Je m'en charge. John va m'aider. Repose-toi. Comme au bon vieux temps, n'est-ce pas ? Oui, comme au bon vieux temps... Nous prparerons le

    caf. Ils taient seuls dans la cuisine. Tu es soucieux, John. Qu'y a-t-il ? Alice veut recommencer travailler. Tu ne le souhaites pas ? Non. Et je ne m'en suis jamais cach. Elle avait pourtant

    annonc qu'elle cesserait ses activits aprs notre mariage... Elle voulait un bb, trs vite... Comme elle a chang !

    Il lui faisait piti, mais il y avait encore une question qu'elle devait lui poser.

    Va-t-elle reprendre son ancien emploi la tlvision? Elle fut stupfaite par la violence de sa raction. Jamais ! Je ne supporterai pas que Matt Lincoln se dresse

    nouveau entre nous ! Vois-tu Kate, c'est trange... Autrefois je considrais la jalousie comme un sentiment vil et mprisable... Et aujourd'hui je quitte la pice lorsqu'il apparat sur l'cran! Il est sduisant, clbre, brillant... tout ce que je ne suis pas... Tu as vu toi-mme comme il a conquis les invits le jour de notre mariage.

    Je l'ai rencontr ce jour-l, c'est vrai. Mais il ne m'a pas plu. Eh bien, tu es l'exception qui confirme la rgle. Pour tout te dire, il m'a trop fcheusement rappel

    quelqu'un que je souhaitais oublier... Quelqu'un ? Kate ! Tu penses toujours Douglas

    Wakefield, aprs tout ce temps ?

  • Quand les cicatrices sont trop profondes, elles ne s'effacent pas facilement, John.

    Mais c'est le pass, Kate ! Matt Lincoln appartient au pass. Pourquoi ne l'oublies-tu

    pas ? Touch. Match nul. Il l'embrassa lgrement sur la joue. Si nous servions le caf, murmura-t-elle. Il emporta le

    plateau au salon. Kate s'accouda la fentre, respirant l'air vivifiant de la nuit. Que le diable vous emporte, Matt Lincoln ! Je ne vous laisserai pas briser impunment la vie de John.

    Un frisson la secoua. Etait-ce le vent? Elle avait eu l'impression qu'une main glace lui treignait le cur...

    2 L'adresse de Matt Lincoln ? Vous en avez besoin ? Peter la dvisageait, incrdule. Pensez-vous pouvoir vous la procurer ? Certainement. Je dois l'avoir au bureau. Sinon, je peux la

    demander Lorna Bryce. Elle tait trs lie avec lui, une poque. Mais pourquoi ne pas l'appeler son travail ?

    Kate eut une moue vasive. Je... Il ne sera peut-tre pas ncessaire que je lui tlphone

    personnellement... Je l'espre bien ! Laissez donc les Matt Lincoln Lorna et

    celles de son espce. Il n'est pas du tout votre genre... Maria intervint, consciente de l'embarras de Kate. Peter ! Ne joue pas les croquemitaines. Kate est une fille

    bien, et tu le sais. Il leva comiquement les bras au ciel.

  • Ai-je jamais prtendu autre chose ? C'est justement pourquoi il me rpugne de la jeter dans la fosse aux lions ! A moins qu'elle n'ait dcid de vivre dangereusement, aprs tout... Ce bon vieux Clive deviendrait-il par trop ennuyeux ?

    Kate tait carlate. Maria vint nergiquement son secours. Tu n'es qu'un sale mufle. Kate est raisonnable. Elle sait ce

    qu'elle a faire. Si seulement je le savais vraiment , songea Kate. Elle avait

    pass une trs mauvaise nuit et, toute la matine, elle s'tait efforce en vain de se mettre au travail, incapable de se concentrer. Comment pouvait-elle intervenir ? Avertir John, sans se soucier des consquences ? Ce serait lche et mesquin. Par ailleurs, elle s'imaginait mal abordant Matt Lincoln dans les locaux de la tlvision, sous l'il narquois des assistants et des secrtaires. C'est pourquoi elle avait demand Peter de lui procurer son adresse, car naturellement il ne figurait pas l'annuaire. Mais elle considrait cette dmarche comme un ultime recours, quand elle n'aurait plus d'autre espoir...

    Auparavant, elle devait rendre visite Alice. En descendant de l'autobus, le lendemain matin, Kate se

    sentait dj beaucoup moins sre d'elle, et elle faillit rebrousser chemin. Elle n'avait jamais t trs intime avec sa belle-sur, qui avait toujours oppos une trange rserve toutes ses tentatives de rapprochement. Et mon intervention n'est pas faite pour amliorer nos relations , songea-t-elle amrement.

    Le pavillon de John et d'Alice faisait partie de l'un de ces lotissements modernes pompeusement baptiss Village ou Hameau par les architectes qui avaient peu peu remplac, dans la priphrie londonienne, les vastes proprits d'antan. Uniformment nettes et pimpantes, les faades de brique rose s'alignaient en demi-cercle autour d'un parc aux massifs impeccablement symtriques. Au centre d'un bassin, une sculpture gomtrique rigeait ses angles de mtal tincelants.

    Nul signe de vie. Dans les minuscules jardinets individuels, seuls quelques jouets d'enfants tmoignaient d'une prsence

  • humaine. John leur avait vant la tranquillit de l'endroit. Tranquille certes, et mme mortellement tranquille , se dit Kate, qui commenait comprendre pourquoi Alice souhaitait chapper cette solitude.

    Elle avait peine franchi le portail que la porte s'ouvrit. Eh bien, quelle surprise ! Le sourire ironique d'Alice n'tait pas pour la mettre l'aise. Je suis venue prendre de vos nouvelles. Nous nous

    inquitions pour vous. John nous a dit que vous tiez souffrante hier soir.

    Oh, John dramatise toujours. Ce n'tait qu'une lgre migraine. A dire vrai, c'est surtout la perspective d'une soire en famille qui m'a effraye... Mais asseyez-vous Kate, je vous apporte du caf.

    Kate sourit en se dbarrassant de son manteau. Je vais finir par croire que vous m'attendiez. Seriez-vous

    mdium ? Ce n'est pas ncessaire. Je vous ai aperue ds que vous

    tes entre dans le parc. Vous tes d'ailleurs le seul tre vivant qui ait pntr ici depuis ce matin !

    Kate n'en doutait pas. Pendant que sa belle-sur allait chercher la cafetire dans la cuisine, elle examina le salon. Tout tait parfaitement en ordre. Une lgre odeur de cire et de lavande flottait dans l'air. La pice tait la fois confortable et impersonnelle. Elle se souvint combien Alice se rjouissait, au moment de son mariage, l'ide de dcorer elle-mme leur nouvelle maison. et l, quelques coussins, une gravure encadre, un rideau, tmoignaient de ses efforts, mais ces tentatives semblaient tre restes vellitaires.

    Tout en remuant son caf, elle dclara, d'un ton faussement lger :

    John nous a dit que vous dsiriez travailler nouveau... Alice reposa si brusquement sa tasse sur le plateau que

    quelques gouttes de caf en jaillirent. Ses yeux eurent une lueur de colre. Voil o vous vouliez en venir , disaient-ils... Elle fixa Kate avec un sourire de dfi.

  • C'est tout fait exact. Pour tre plus prcise, je pense reprendre mon ancien emploi.

    A la tlvision ? Oui. Avec Matt Lincoln. Elle avait martel chaque syllabe. Oh, vraiment... Qu'aurait pu ajouter Kate ? Sa belle-sur reprit prci-

    pitamment, comme si elle voulait se convaincre elle-mme : En fait, aucune de celles qui m'ont remplace ne lui a

    donn vraiment satisfaction. Il m'a propos de revenir... Il a un projet trs important, un voyage aux Carabes, dans une dizaine de jours... il voudrait que je l'accompagne.

    Vous avez dj accept ? C'tait pire que tout ce qu'elle avait imagin. Elle fixait

    intensment Alice qui se troubla et rougit. Je... j'ai demand rflchir encore quelques jours avant

    de donner une rponse... Et qu'en pense John ? Oh, il faudra bien qu'il se fasse cette ide ! Le mariage

    n'est pas une fin en soi. Il a sa carrire, pourquoi n'aurais-je pas la mienne ?

    Je croyais que vous souhaitiez vous-mme cesser de travailler ?

    C'est vrai, mais c'tait une ide stupide... Je deviendrais folle si je restais ternellement enferme ici toute la journe, contempler dsesprment par la fentre ce parc bien ratiss, toujours dsert, me rpter que je n'aurais jamais d abandonner Matt ! Je ne vais pas laisser passer une seconde chance... Je pensais qu'au moins vous, Kate, vous comprendriez. Vous avez russi ; vous tes indpendante. Vous avez votre atelier, votre travail. Ne me dites pas que vous renonceriez tout cela si un homme votre diteur par exemple vous le demandait !

    Non... Sans doute pas. Mais j'hsiterais certainement partir l'tranger avec un autre homme au bout d'un an de mariage...

  • Vous tes terriblement vieux jeu, Kate ! Le mariage peut tre autre chose que cette sorte de prison o la plupart des hommes souhaitent vous enfermer.

    Je crois que je comprends ce que vous voulez dire. Si c'est ce que vous ressentez, pourquoi ne pas en parler avec John ?

    J'ai essay. En vain. A ses yeux, votre mre est l'pouse idale : la fe du logis, tendre et dvoue, sans autre horizon que les murs de sa cuisine ou les fleurs de son jardin...

    Pique au vif par la raillerie, Kate rprima un sursaut de colre. Elle se voulait encore persuasive.

    Je ne pense pas que les vues de John soient aussi bornes que vous le prtendez... Et s'il est tellement attach ma mre, n'est-ce pas parce qu'il ne peut oublier que la sienne l'a abandonn ?

    J'y pense parfois... et j'avoue que je ne pourrais gure l'en blmer, si son mari se montrait aussi maladivement possessif que John !

    L'tait-il rellement? La vie d'un couple est toujours plus complexe que ne l'imaginent les autres... Il faut se garder des jugements htifs...

    Que voil une saine philosophie de l'existence ! Vous tes une sage, Kate.

    Vous ne m'aimez pas beaucoup, n'est-ce pas, Alice ? Je me suis souvent demand pourquoi.

    Qu'allez-vous imaginer l ! Croyez que j'apprcie sa juste valeur votre touchante sollicitude. Quel rconfort pour moi de savoir que votre affection ne fera jamais dfaut John ! Encore un peu de caf ?

    Non merci. Je dois m'en aller si je ne veux pas tre en retard.

    Dj ! Quel dommage ! se rcria Alice sur un ton de politesse mondaine.

    Kate s'enfuit plus qu'elle ne prit cong, la gorge serre par l'amertume ; seule l'ide qu'Alice l'observait peut-tre l'empcha de courir jusqu' l'arrt d'autobus. Elle n'en voulait cependant pas sa belle-sur, car elle avait peru la relle dtresse qui se

  • dissimulait derrire son ironie blessante. Alice n'tait pas heureuse ; pourtant elle hsitait briser son mariage, puisqu'elle n'avait pas encore donn de rponse Matt Lincoln. Tout dpendait de l'emprise que celui-ci avait sur elle.

    Encore fallait-il que son intervention maladroite n'ait pas tout gch dfinitivement...

    Maria la guettait au pied de l'escalier. Peter a tlphon, dit-elle en lui tendant une feuille de

    papier. Voici le renseignement demand. Oh, merci. Service ultra-rapide, vraiment. Il a eu la plaisanterie un peu lourde hier... Il ne faut pas

    vous en formaliser. Il se tourmentait l'ide que vous puissiez avoir des ennuis...

    Peter est un amour, je n'en ai jamais dout. Il ne s'agit pas de moi, c'est pourquoi il m'est difficile de vous en parler, Maria. C'est un problme familial. Personnellement, je connais peine Matt Lincoln.

    Vous me rassurez. Voyez-vous, cette Lorna Bryce, dont Peter vous a parle, a eu une liaison avec lui et elle en est sortie dans un tat lamentable... une vraie loque. Et pourtant c'est une fille qui ne manque pas de dfense... Votre Clive ne jette peut-tre pas autant d'tincelles, mais au moins il ne laisse pas ruines et dsolation sur son passage, ajouta-t-elle en rentrant dans sa cuisine.

    En pntrant chez elle, Kate fut tente de dchirer le papier en mille morceaux. Mais la pense de John, de l'effondrement de tous ses rves de bonheur, la retint. Rien n'aurait t irrmdiable si Matt Lincoln n'avait surgi point nomm, tel un dmon tentateur. Alice ne lui tait certainement pas indispensable, contrairement ce qu'elle se plaisait croire. Une secrtaire, aussi comptente soit-elle, n'est jamais irremplaable.

    Elle imaginait trop bien quelle vanit goste avait pu le pousser : l'agrment d'une conqute facile, le plaisir de se sentir irrsistible... Et il tait sans doute trop cyniquement amoral pour qu'il ne lui part pas piquant de sduire une jeune marie !

  • Kate serra rageusement les poings. Elle savait ce qu'il lui restait faire. Minutieusement, elle plia la feuille et la glissa dans son sac.

    En descendant du taxi, elle fut passablement surprise par l'aspect de l'immeuble. Au lieu du luxe tapageur marbre, chrome et verre fum auquel elle s'attendait, elle dcouvrait une faade de brique au charme surann, des encorbellements sculpts, des vitraux de couleur... un endroit ou elle aimerait vivre, songea-t-elle.

    Le hall tait rsolument victorien : acajou luisant, peluche pourpre et tapis d'Orient. A gauche un large escalier, droite un ascenseur. Pas de botes aux lettres ni d'indications d'aucune sorte. Derrire un petit bureau, un portier en uniforme toussota lgrement.

    Puis-je vous aider, Miss ? Je... j'aurais voulu voir M. Lincoln. Etes-vous attendue ? Non, mais... Dans ce cas, je me permettrai de vous demander votre

    nom. Je vais appeler M. Lincoln pour savoir s'il peut vous recevoir, dit-il, courtois, mais inexorable.

    Marston. Kate Marston. Elle s'appliqua prendre un air dtach tandis qu'il s'affairait

    devant son standard, mais son cur battait tout rompre. Elle aurait presque t soulage de l'entendre lui annoncer : Je regrette, M. Marston est absent. Mais il raccrocha en lui souriant.

    Il vous attend, Miss Marston. Second tage, la porte droite.

    L'ascenseur se referma sur elle avec un soupir sinistre. Le sort en tait jet. Elle prit une profonde inspiration.

    Dans le couloir, une paisse moquette touffait ses pas. Elle leva une main tremblante vers la sonnette, mais avant

    qu'elle ait achev son geste, la porte s'ouvrit.

  • Matt Lincoln se tenait devant elle, vtu d'un jean dlav et d'une lgre chemise noire ouverte sur son torse hl, haussant un sourcil interrogateur.

    Monsieur Lincoln... Vous ne vous souvenez pas de moi, mais...

    Je me rappelle parfaitement. Avez-vous toujours la mme aversion pour la danse ? Mais entrez, je vous en prie.

    Il s'effaa pour la laisser passer. Elle pntra dans un immense salon lambriss de bois sombre. Devant la chemine ancienne o ptillait un feu vif, deux vastes canaps de cuir se faisaient face, de part et d'autre d'une table basse en laque chinoise. Prs de la fentre, un bureau d'acajou disparaissait sous les piles de revues et les dossiers. Des rayonnages chargs de livres recouvraient l'un des murs. Dans un angle se trouvait une console supportant un rcepteur de tlvision, et une norme chane hi-fi distillait une musique de clavecin.

    Dtendez-vous, Miss Marston. Ce n'est que mon appartement, pas l'antre de Barbe-Bleue ! Puis-je vous offrir un verre ?

    Non, merci. A vrai dire, ce n'est pas exactement une visite de politesse... Vous... vous devez vous demander pourquoi je suis venue ?

    On ne peut rien vous cacher. Mais je compte sur vous pour me l'apprendre. Voulez-vous vous asseoir, o bien est-ce le genre de discours qui exige la station debout ? Je peux galement arrter la musique ; toutefois je vous promets de ne plus vous inviter danser !

    Elle le foudroya du regard. Trs drle en vrit ! La vie n'est qu'une joyeuse

    plaisanterie pour vous, monsieur Lincoln ? Non, pas toujours. Eh bien, Miss Marston, si vous ne

    voulez ni boire ni vous asseoir, je n'ai pas l'intention de vous imiter.

    Il se versa un doigt de whisky et se laissa tomber au creux d'un canap, sans cesser de l'observer ironiquement. Kate se raidit, le toisant avec mpris.

  • Je serai trs brve, monsieur Lincoln. Laissez Alice tranquille !

    Il s'tait fig, comme un fauve aux aguets. Et si vous vous expliquiez plus clairement ? Vous savez trs bien ce que je veux dire. Je vous ai vus

    ensemble au Pre Nicolas. Nous ne nous cachions pas. Je ne vois l rien de bien

    compromettant. Oh, ne jouez pas sur les mots. J'ai rencontr Alice. Elle m'a

    tout dit. Tout, vraiment ? Je dois dcidment vous paratre bien

    obtus, mais si vous me donniez encore quelques prcisions ? Il semblait plus intrigu que furieux. Kate faillit perdre

    contenance, se sentant soudain ridicule. Eh bien, elle m'a dit que vous lui aviez propos de

    reprendre son ancien emploi, en commenant par vous accompagner aux Carabes.

    Ses yeux bleus taient devenus impntrables. Quel manque de discrtion de sa part ! Vous rendez-vous compte que si elle part avec vous son

    mariage sera bris ? Ah, voil le point crucial... Est-il dfinitivement tabli

    qu'elle doive m'accompagner ? Il est dj regrettable qu'elle l'ait envisag. J'admire vos scrupules moraux. Mais ne vous est-il pas

    venu l'esprit qu'Alice est majeure, et parfaitement capable de dcider par elle-mme de ce qui lui convient ?

    Si, bien sr. Cependant, elle est assez dprime actuellement. Trs franchement, votre intervention risque de tout gcher.

    Je ne suis pas totalement aveugle ; j'ai remarqu qu'elle ne semblait pas heureuse. Quelle en est la raison votre avis ?

    Je ne sais pas, mais c'est elle seule de chercher une solution, sans que vous l'influenciez. Vous exercez trop d'ascendant sur elle pour qu'elle puisse y voir rellement clair.

  • Il clata d'un rire sans gaiet, contemplant les glaons qui tournoyaient dans son verre comme si c'tait le plus fascinant des spectacles.

    De Barbe-Bleue, me voici donc promu au rang de gourou nfaste... Il me reste une question vous poser : Alice sait-elle que vous tes ici ?

    Bien sr que non ! Je vois... Elle ne s'est donc pas jete vos genoux, en vous

    conjurant de la sauver d'elle-mme, c'est--dire, en l'occurrence, de moi ?

    Non. Je vous l'ai dit, elle ne comprend pas ce qu'elle met en jeu...

    Curieux. Lorsqu'elle travaillait avec moi, ses facults m'ont toujours paru normales... Quelle chance que vous soyez l pour lui indiquer le droit chemin ! Puis-je vous demander pourquoi vous avez dcid de voler son secours ?

    John est mon frre, et... Votre demi-frre, si j'ai bien compris. Cela ne fait aucune diffrence. Oh, si. Une diffrence essentielle. Est-ce lui qui vous a

    suggr cette dmarche ? Non. Et remerciez plutt votre bonne toile qu'il ne sache

    rien. Il serait capable de vous tuer ! Se renversant nonchalamment en arrire, Matt Lincoln but

    une autre gorge de whisky. Je devrais peut-tre engager un garde du corps. Vous devriez surtout laisser sa femme en paix ! Pourquoi

    bouleverser inutilement sa vie ? Je suis bien sre que les candidates ne manqueront pas pour ce voyage aux Carabes. Qui rsisterait une telle perspective ?

    Mnagez ma modestie, par piti ! Mais je suppose que vous vous considrez comme inaccessible la tentation ?

    Le sourire qui tirait ses lvres sensuelles n'avait rien de rassurant. Kate se troubla.

    Disons que je suis immunise et n'en parlons plus. Il n'est pas indispensable que ce soit Alice qui vous accompagne. Si

  • vous teniez rellement elle, vous ne l'auriez pas laisse en pouser un autre.

    Croyez-vous que je sois de ceux qui pousent ? D'un mouvement souple, presque flin, il se leva et avana

    vers elle. Alarme, Kate fit un pas en arrire. Il clata de rire. Vous avez peur, Miss Marston ? En vrit ce serait naturel.

    Pour qui vous prenez-vous pour vous poser ainsi en arbitre de la morale sans mme vrifier vos informations ! Etes-vous donc si parfaite, ou n'tes-vous qu'une rpugnante hypocrite double d'une prude ?

    On dit souvent que l'attaque est la meilleure des dfenses, monsieur Lincoln. Aurais-je touch un point sensible ? Vous dcouvrez-vous soudain une conscience ?

    Quelle pitre psychologue vous faites ! Je suis seulement bout de patience, et je vous trouve ravissante quand vous vous laissez emporter par votre zle vertueux. Etes-vous vraiment si invulnrable aux vulgaires passions humaines? Je me demande si l'on peut vous faire descendre de votre pidestal.

    D'un geste dsinvolte, il lana son verre vide derrire lui, en direction du canap, sans mme se retourner. Il la dominait de sa haute taille, menaant.

    Tremblant de tous ses membres, Kate s'lana... Trop tard ! Il la rattrapa avant qu'elle n'ait franchi la porte et, la saisissant par les paules, la contraignit lui faire face.

    Dans un sursaut dsespr, elle martela de ses poings crisps les pectoraux puissants. Ses forces la trahissaient... Comme hypnotise, elle vit s'incliner vers elle le beau visage moqueur et ferma les yeux...

    Kate tressaillit sous la douceur inattendue du baiser. Incroyablement lgres, les lvres chaudes et fermes

    effleuraient son visage d'une impalpable caresse, se posant sur ses tempes, ses paupires closes, atteignant enfin sa bouche dont elles explorrent dlicatement les contours.

    Un trouble insidieux s'emparait d'elle. Le rythme de sa respiration s'tait acclr et une fivre inconnue bouillonnait dans ses veines. Son orgueil se rvolta contre sa propre

  • faiblesse: elle ne serait pas le jouet d'un Matt Lincoln ! Elle se dbattit convulsivement et tenta de se dgager, mais aussitt une main imprieuse se referma sur sa nuque, l'immobilisant. Avec un petit gmissement de douleur, elle se soumit l'treinte.

    La bouche s'tait faite plus insistante, se pressant contre la sienne en une muette et torturante invite laquelle tout son corps aspirait rpondre, embras par une ardeur insouponne qui l'effrayait. Elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Sa volont tait annihile. Exhalant un petit soupir trembl, elle entrouvrit les lvres et s'abandonna.

    Comme s'il lui suffisait d'avoir remport cette victoire, Matt Lincoln releva alors la tte et lui ddia un sourire sardonique.

    Votre prtendue immunit est bien fragile, mon ange. Mais nous pouvons prolonger l'preuve si vous le dsirez...

    Lchez-moi! Il fit un pas en arrire et carta ostensiblement les bras. Vous tes libre, Miss Marston. Aviez-vous autre chose

    me dire ? Non, sinon que je regrette d'tre venue... Quelle stupidit

    de ma part de croire que l'on pouvait faire appel votre sens des responsabilits ! Vous vous moquez bien des consquences de vos actes, n'est-ce pas ? Eh bien, je ne vous envie pas... Bonsoir monsieur Lincoln. Je doute que nous nous revoyions.

    Cette fois il ne fit pas un geste pour l'arrter. Nanmoins elle ne se sentit vraiment en scurit qu'une fois parvenue dans le hall de rception.

    Kate fut effraye par le visage ple, aux yeux profondment cerns, qu'elle dcouvrit dans son miroir le lendemain matin. Elle avait eu un sommeil agit, et maintenant la journe de la veille lui apparaissait comme un mauvais rve, tout aussi irrel que ses cauchemars nocturnes.

    A la lumire crue du petit matin, sa conduite lui semblait ridicule et aberrante. Matt Lincoln n'avait peut-tre pas entirement tort... Pour qui se prenait-elle ? Elle n'avait de leons donner personne... Le rouge de la honte lui monta

  • aux joues l'vocation de son baiser et de l'inexplicable dfaillance qui l'avait anantie dans ses bras.

    Elle avait succomb sa sduction, et qui sait ce qui aurait pu se passer s'il ne l'avait pas repousse. Elle seule tait blmer! Elle aurait pu crier, griffer, mordre... Sa passivit n'avait t qu'une illusoire dfense. Elle toisa svrement son reflet : Oses-tu prtendre que tu es reste passive, Kate Marston ? Non, et tu le sais parfaitement !

    Le sifflement du percolateur la tira de sa rverie morose. La leon avait t amre, mais elle serait profitable! Dornavant elle ne se mlerait plus de la vie des autres ! Sa table dessin l'attendait. Elle avait promis Clive de lui apporter la fin de la semaine les premires esquisses des illustrations destines au livre de Florence Carrington.

    Lorsque Kate travaillait, elle perdait toute notion du temps... A ses pieds, d'innombrables feuilles froisses tmoignaient des caprices de l'inspiration... Elle sursauta en entendant frapper la porte du studio. C'tait probablement Maria qui venait partager son caf matinal. Elle l'avait entendue sortir quelques minutes auparavant : elle avait d courir jusqu' la petite boulangerie, au coin de la rue. Eh bien, quelques brioches seraient les bienvenues... Elle courut rallumer le percolateur.

    Entrez, cria-t-elle sans se retourner. Elle prpara deux tasses et sortit le lait du minuscule

    rfrigrateur. Quelle bonne ide, Maria, je... Les mots moururent sur ses lvres. Matt Lincoln tait en face

    d'elle. Que faites-vous ici ? Sortez ! Comment avez-vous eu mon

    adresse ? Quant cela, je pourrais vous retourner votre question.

    Disons que je suis aussi bon dtective que vous... Soit, monsieur Lincoln. Et maintenant je vous prierai de

    me laisser. J'ai du travail ! Il ramassa dlicatement l'une des paves de papier qui

    jonchaient le sol et l'expdia dans la corbeille.

  • Les affres de la cration, ce que je vois... Rassurez-vous, je serai bref.

    Il me parat inutile de prolonger notre entretien d'hier... Je n'en ai ni le temps ni l'envie.

    Je ne suis pas de cet avis. Je ne vous ai pas jete dehors. A votre tour de m'couter... Quelle bonne odeur de caf ! M'en offrirez-vous ? Je n'ai pas encore pris mon petit djeuner.

    Kate hsita, puis prfra se montrer courtoise, esprant ainsi courter cette insupportable intrusion. Sans daigner lui rpondre, elle disposa les tasses, le sucrier et le lait sur un plateau. Il s'tait install dans un fauteuil, croisant les jambes avec dsinvolture, sans cesser de l'observer.

    Savez-vous, Miss Marston, que votre belle loquence m'a branl. Vous possdez un trs grand pouvoir de persuasion et je commence entrevoir la lumire de la rdemption. J'avais tort de songer emmener Alice aux Carabes...

    Monsieur Lincoln, si c'est encore l'une de vos plaisanteries, je la trouve dtestable et parfaitement dplace !

    Je ne plaisante pas. Je suis prt renoncer ce projet. Elle le fixa, incrdule, brusquement alarme par l'ironie qui

    ptillait dans les yeux bleus. Il ajouta suavement : A une petite condition cependant... Elle avala pniblement sa salive. Et peut-on savoir laquelle ? Il lui sourit, tandis que son regard s'attardait insolemment

    sur les courbes du corps svelte moul par le jean troit. Je n'emmnerai pas Alice si vous venez sa place...

    3 Ptrifie, Kate faillit laisser chapper sa tasse. J'aurais d savoir que vous vous moquiez de moi ! Le sourire de Matt Lincoln s'tait effac. Son visage hl avait

    une expression cruelle.

  • Pas du tout. Je suis parfaitement srieux, ma chre. Je pars aux Carabes dans une dizaine de jours. Et je n'ai pas l'intention de voyager seul. Si vous dsirez qu'Alice continue jouer les pouses fidles, venez avec moi. Sinon ce sera elle. A vous de choisir. Quoi de plus facile !

    Facile? Kate cherchait en vain des mots suffisamment cinglants pour

    exprimer son mpris. Une rage aveugle la submergea soudain et elle lui lana sa tasse de caf au visage.

    Ses rflexes taient aussi foudroyants que ceux d'un tigre. Elle avait peine esquiss son mouvement qu'il avait fait un bond de ct et le liquide brlant claboussa le mur. Indemne, il la nargua.

    Quel temprament volcanique pour un ange ! Est-ce l la faon dont vous ragissez lorsque l'on vous offre des vacances? Les plus belles vacances de votre vie, peut-tre !

    Les ongles de Kate s'enfoncrent dans ses paumes, en un effort surhumain pour se contrler.

    Ce n'est pas ainsi que je dfinirais votre proposition. Je la trouve surtout insultante.

    Vous n'avez sans doute pas l'habitude d'tre insulte. Quoi qu'il en soit, il est bien inutile de fracasser votre prcieuse vaisselle. Rpondez simplement non . Et c'est Alice qui viendra.

    Comment avez-vous pu imaginer un seul instant que j'accepterais !

    Vous n'tes pas logique avec vous-mme ! Hier vous donniez l'impression d'tre prte tout pour sauver le mariage de votre demi-frre bien-aim... Je vous donne l'occasion de prouver votre beau dvouement et vous vous drobez aussitt. Je vous trouve bien inconsquente!

    De quel droit osez-vous douter de ma sincrit ! Vous tournez tout en drision... Vous n'avez fait cette suggestion stupide que pour me rendre ridicule... pour vous venger.

    Bravo pour votre intuition... Mais ce n'est qu'en partie vrai. Je vous avais remarque au mariage d'Alice, et notre brve et

  • tumultueuse rencontre d'hier a encore aviv mon dsir de mieux vous connatre.

    Eh bien, la rciproque n'est pas vraie. Alors il vous suffit de dire non, et Alice vous remplacera... Il l'enveloppa d'un long regard admiratif et reprit, avec un

    soupir de feinte rsignation : Je reconnais que cette perspective me sduit moins. Alice

    sera surtout une agrable camarade. Pourtant elle a une qualit que vous n'avez pas : elle ne triche pas avec elle-mme.

    Kate blmit, tremblante de fureur. Qu'insinuez-vous ? Vous le savez trs bien. Lorsque je vous ai vue ce jour-l,

    au mariage, il s'est produit une sorte d'tincelle... et je n'tais pas le seul concern. Vous affectiez trop de ne pas me voir pour n'avoir rien ressenti vous-mme. J'tais irrsistiblement attir, comme par un aimant, vers ce salon o vous vous tiez rfugie. J'avais envie de tout connatre de vous... Nos relations ont dbut sous des auspices peu favorables, mais il n'est jamais trop tard !

    S'il ne tient qu' moi, nous n'aurons aucune relation, monsieur Lincoln.

    Il ne faut jurer de rien ! Ma proposition tient toujours. Je vous laisse vingt-quatre heures pour y rflchir. Merci pour le caf, Miss Marston.

    Reposant sa tasse, il se dirigea vers le bloc-notes suspendu au-dessus du tlphone et y inscrivit rapidement quelques chiffres.

    Voici le numro o vous pouvez me joindre. La porte s'tait referme sur lui. Hbte, Kate coutait son

    pas dcrotre dans l'escalier avec un sentiment de soulagement auquel se mlaient d'autres motions qu'elle tait incapable d'identifier.

    Dsempare, elle errait dans l'appartement qui lui semblait dsormais oppressant et hostile, comme encore imprgn par la prsence menaante de Matt Lincoln. Soudain, elle frona les sourcils la vue du mur macul de caf. Elle alla chercher une

  • ponge et frotta les taches nergiquement, souhaitant que toutes les traces de son passage soient aussi aises effacer.

    Il existait pourtant une solution radicale. Qu'elle dchire et oublie jamais ce numro de tlphone, et elle serait dlivre... Etait-ce aussi sr ? Matt Lincoln avait un atout important dans son jeu : Alice, qui risquait de gcher irrversiblement sa vie et celle de John.

    Car Kate ne nourrissait aucune illusion quant aux sentiments de Matt pour sa belle-sur. Celle-ci ne serait entre ses mains qu'un jouet docile, vite rpudi pour une nouveaut plus attrayante. Elle aurait pu la rigueur l'excuser s'il avait succomb une passion dvastatrice et irrsistible... Mais non. Rien d'aussi romantique! Don Juan prenait des vacances, et il ne voulait pas partir seul : le soleil, la mer, le sable chaud, les palmiers, plus une jolie fille peu farouche un vrai dpliant publicitaire !

    Alice tait disponible, mais une autre ferait aussi bien l'affaire. Pourquoi pas Kate ? Confiant dans son pouvoir de sduction, il devait estimer qu'un seul baiser suffisait vaincre ses rticences.

    Qu'il aille au diable ! Certes, elle avait perdu tout contrle d'elle-mme, mais elle avait t prise au pige par tratrise. Et Matt Lincoln tait un virtuose, de ceux qui laissent aux femmes des souvenirs ineffaables... Kate se raidit, refusant de laisser vagabonder plus longtemps ses penses sur une voie aussi prilleuse.

    Il ne l'intressait pas. Tout ce qu'elle dsirait, c'tait prserver le bonheur de John. Malheureusement, son intervention s'tait rvle dsastreuse. Elle n'avait russi qu' le conforter dans sa vanit, avec pour seul rsultat cet ignoble chantage.

    Sur le bloc-notes, les chiffres lui lanaient un silencieux dfi. N'y aurait-il donc personne pour faire subir Matt Lincoln, son tour, l'humiliation de la dfaite ?

    Tout coup, le regard de Kate s'claira. Pourquoi pas ? Elle se versa une autre tasse de caf, rflchissant intensment. Aucun obstacle matriel ne s'opposait son dpart. En fait, elle avait

  • plus ou moins prvu de prendre des vacances rien d'aussi somptueux que les Carabes, naturellement et son passeport tait en rgle.

    Il tait d'ailleurs plus que probable qu'elle ne sjournerait pas longtemps dans ces les paradisiaques. Ds que son compagnon s'aviserait qu'il avait t bern et que Kate n'avait nulle intention de tomber dans ses bras il la raccompagnerait au premier avion. Il cumerait de rage, mais Alice serait en sret.

    Kate fit taire la petite voix qui lui soufflait que ce jeu n'tait pas sans danger. Matt Lincoln tait bien trop sr de lui, bien trop confiant en son sex-appeal, pour user de violence. S'il connaissait un fiasco, il aurait hte de se dbarrasser d'elle.

    C'tait surtout sa propre faiblesse qu'elle devait redouter. Mais cette fois elle serait sur ses gardes. Elle n'tait pas aussi nave qu'il le croyait : sa vie professionnelle l'exposait frquemment des assauts galants, et elle tait devenue experte dans l'art de dcourager les ardeurs les plus brlantes. Enfin, la perspective d'infliger une dconvenue au sducteur patent constituerait assurment le meilleur des antidotes.

    Kate se sentait l'me d'un stratge. Elle ne devrait pas commettre d'impair quand elle lui tlphonerait : elle affirmerait se sacrifier pour le salut d'Alice, tout en laissant entendre entre les mots qu'elle ne pouvait rsister la tentation. Elle ne doutait pas de le convaincre. Il tait trop habitu aux conqutes faciles pour imaginer un chec. Elle pourrait mme le tenir en haleine pendant des jours, si elle se montrait suffisamment habile : en jouant la timidit, en s'enfermant cl et en prtendant que les chambres d'htel la rendaient nerveuse...

    Elle savoura lentement ses dernires gouttes de caf. Elle l'appellerait au dernier moment, juste avant l'expiration du dlai.

    Si Matt fut surpris par sa dcision, il n'en laissa rien paratre. Sans l'interroger sur les motifs qui l'avaient pousse accepter, il s'en tint strictement aux dtails pratiques. Aprs s'tre

  • inform de la validit de son passeport, il lui prcisa leur destination.

    Nous nous rendons Saint-Antoine. C'est un endroit qui n'a rien de sophistiqu. Inutile donc de faire des frais de toilette.

    Kate tait surprise. Elle aurait plutt mis sur La Barbade ou Antigua, ou un autre de ces paradis pour touristes en qute de farniente.

    Due? Pas du tout. Je suis sre que ce sera fascinant. Je m'y emploierai de mon mieux. Si vous avez une carte,

    cherchez dans les parages de Sainte-Lucie, de prfrence avec une loupe ! Je vais tre passablement occup jusqu'au jour du dpart. Aussi je suggre que nous nous donnions rendez-vous directement au comptoir d'embarquement, une heure avant le vol.

    J'y serai. Qu'allez-vous dire Alice ? Ce serait manquer de tact que de lui annoncer que vous

    partez sa place, ne croyez-vous pas ? A moins que vous ne soyez fanatiquement hostile tout mensonge, mme charitable.

    Je crois que vous avez raison. Je souhaite qu'elle ne l'apprenne pas... Je... En fait, je prfrerais que personne ne sache...

    Je suis la discrtion mme. Kate s'empourpra, consciente du sous-entendu quivoque. Il

    ajouta sur un ton de badinage : Oh ! Kate, j'insiste encore pour que vous ne vous

    encombriez pas de bagages superflus... comme des vtements de nuit par exemple. Les nuits sont assez chaudes Saint-Antoine... Eh bien, je vous reverrai l'aroport.

    Il avait raccroch. Elle dut se contenir pour ne pas fracasser l'appareil contre le mur.

    Kate commena ds le lendemain avertir sa famille et ses amis qu'elle allait sans doute prendre quelques jours de vacances. Elle fit quelques allusions l'Espagne, aux Balares, sans donner plus de prcisions. Qu'il tait facile de tromper ses proches, dcouvrit-elle. Comme ce projet n'tait pas totalement

  • nouveau, personne ne s'tonna. Seul Clive parut navr qu'elle n'et pas attendu une priode o il serait libre galement.

    L'preuve la plus pnible fut d'affronter Alice. Le sentiment de culpabilit de Kate s'accrut encore devant l'air malheureux de la jeune femme. Sa dception avait d tre amre, mais lui avait sans doute pargn un sort encore plus lamentable. C'tait du moins ce que voulait croire Kate. Alice ne fit aucune allusion son intention de retravailler. Lorsque Kate l'interrogea, en tte tte, elle rpondit vasivement :

    Je n'ai encore aucun projet prcis... Mais j'ai renonc ce voyage. Ce serait dloyal envers John.

    Kate admira cette ingnieuse manire de sauver la face. Je crois que vous avez choisi la meilleure voie, Alice. Pouvait-elle tre aussi affirmative en ce qui la concernait ? Depuis qu'elle tait rassure au sujet d'Alice, elle envisageait

    en effet une drobade pure et simple. Elle prtendrait tre malade, ou tout simplement elle ne se rendrait pas au rendez-vous... Matt ne raterait pas son avion pour s'enqurir d'elle. Elle pourrait toujours lui dire qu'elle s'tait trompe de date.

    Cependant les jours passaient avec une rapidit confondante, et Kate s'tait surprise remonter sa valise de la cave. Par une trange ironie du sort, elle constatait que son entourage avait admis l'ide de son dpart prochain. Comment justifierait-elle ds lors sa prsence Londres !

    Elle commenait rcapituler mentalement la liste de ce qu'elle emporterait. La garde-robe achete pour ses dernires vacances en Grce conviendrait encore parfaitement. Elle n'avait aucune intention de se ruiner en prvision de ce sjour, car elle voulait tre en mesure de rembourser son billet Matt Lincoln.

    Elle hsita jusqu'au dernier moment et fut encore tente de faire demi-tour en apercevant sa haute silhouette l'aroport. Trop tard ! Il l'avait dj repre et agitait la main en signe de bienvenue...

    Elle se savait son avantage dans sa robe chemisier en soie sauvage crme qui mettait en valeur ses yeux mordors et les

  • reflets cuivrs des longues boucles dansant librement sur ses paules. Elle lut dans ses yeux une approbation admirative tandis qu'il s'emparait de sa valise.

    Non seulement ravissante, mais ponctuelle. Je suis un homme enviable.

    Kate baissa pudiquement ses longs cils afin qu'il ne surprt pas le ptillement moqueur de ses prunelles. Il convenait de iui laisser encore ses illusions.

    Une fois les formalits d'embarquement accomplies, il lui proposa de prendre un verre. Il leur restait presque une heure patienter. Kate s'tait jur de limiter au maximum sa consommation d'alcool tant que Matt Lincoln serait proximit.

    Pour ma part, je me contenterai d'un caf. Il feignit l'inquitude. Est-ce pour le boire ou pour me le lancer au visage ? Elle se permit un petit sourire mutin. Pour le boire, rassurez-vous. Vous avez d tre surpris par

    mon appel ? Stupfi. Et ravi. Vous m'expliquerez un jour les raisons de

    ce revirement. Oh, elles sont toutes simples, rtorqua-t-elle. Vous m'avez

    demand jusqu' quel point j'tais prte aider John et Alice sauvegarder leur mariage... Voil ma rponse.

    Est-ce votre seule motivation ? Les yeux bleus, qu'elle avait vus si impitoyables, lui

    souriaient, caressants, et elle sentit une trange chaleur envahir sa poitrine. Elle rpondit doucement :

    Nous laisserons cette question en suspens pour l'instant. La caftria tait pleine craquer. De nombreuses ttes se

    retournrent sur leur passage. Kate se sentit dvisage avec curiosit. Bien sr, se dit-elle, je suis la femme qui accompagne le clbre Matt Lincoln. Ce n'tait pas une sensation agrable, et, pour la premire fois, elle fut soulage l'ide que Saint-Antoine tait une le minuscule.

    Vous avez l'air bien songeuse...

  • Je ne me sens pas tout fait l'aise, c'est vrai. Nous sommes encore des trangers l'un pour l'autre...

    Voil prcisment ce quoi notre voyage est cens remdier.

    C'est une faon un peu insolite de faire connaissance, non? Je dois dire que les recettes classiques ne m'ont gure

    russi jusqu' prsent ! Elle eut un petit rire indulgent. S'imaginait-il qu'il aurait plus

    de chance dans un dcor exotique ? Eh bien, il se trompait ! L'attente lui parut interminable. Enfin, on les fit monter

    bord de l'appareil. Elle attacha sa ceinture avec un petit soupir. Cette fois, elle avait atteint le point de non retour. Au moment o l'avion s'arracha la piste, elle ferma les yeux et se pelotonna dans son fauteuil. Son compagnon l'observait, amus.

    Nerveuse? Un peu, oui. Mais pas cause du dcollage , ajouta-t-elle intrieu-

    rement. Elle n'avait que trop conscience de la chaleur de ce robuste

    corps masculin ses cts, si proche qu'il lui tait impossible de faire un mouvement sans le toucher.

    N'ayez pas peur, murmura-t-il. Il s'empara de sa main troitement crispe sur l'accoudoir et

    la porta ses lvres. Kate se raidit tout entire. Elle avait envie de crier, de s'enfuir loin de lui...

    L'htesse va bientt servir des rafrachissements. Cette fois, je vous recommande d'accepter un verre et mme deux ! Rien de tel pour vous relaxer.

    Se relaxer tait la dernire chose qu'elle souhaitait. Il lui fallait garder toute sa vigilance. Neuf heures de vol jusqu' Sainte-Lucie ! Et l, il faudrait encore emprunter la ligne intrieure qui desservait les les de moindre importance... Jamais elle ne pourrait supporter aussi longtemps cette promiscuit !

    Fort heureusement, Matt ne se livra aucune autre tentative de rapprochement, et le temps passa tant bien que mal. Elle lut,

  • de la premire la dernire ligne, les magazines qu'on leur distribua. Les repas crrent galement une diversion. Elle n'avait pas faim, mais elle se fora manger. Matt s'tait plong dans l'tude de dossiers qu'il avait tirs de son attach-case, parcourant feuillets dactylographis et coupures de presse. S'il ne lui avait adress de temps autre un bref sourire, elle aurait presque pu croire qu'elle voyageait seule.

    La somnolence la gagna peu peu. Elle sombra par intermittence dans des rves confus et ouvrit pniblement les yeux en entendant une voix lui dire d'attacher sa ceinture.

    Elle ralisa alors qu'elle avait gliss sur son sige pendant son sommeil. Sa tte reposait sur l'paule de Matt Lincoln qui avait pass un bras autour d'elle. Elle se redressa brutalement, cramoisie. Ses doigts tremblaient tellement qu'elle ne parvenait pas fermer la boucle de la ceinture. Il se pencha au-dessus d'elle et fit jouer le dclic en lui jetant un regard ironique.

    Il devait se demander pourquoi elle faisait tant d'embarras pour un anodin parcours en avion, alors qu'il tait persuad qu'elle partagerait son lit ds la nuit prochaine !

    L'avion s'tait pos dans une obscurit moite et touffante. Kate trbucha en descendant les marches et il la retint fermement par le bras. Elle eut envie de crier Ne me touchez pas ! Mais elle tait trop lasse.

    Dsoriente, bout de nerfs, elle dut attendre Matt qui tait parti rcuprer leurs bagages.

    Venez. Le taxi nous attend. Elle le dvisagea, panique. Un taxi ! Mais je croyais que c'tait un autre avion. Il s'agit pourtant d'un taxi. Vous savez bien : une chose en

    mtal, avec quatre roues, un volant et un chauffeur derrire le volant... Il va nous conduire l'htel. Nous passerons la nuit ici et nous prendrons l'avion demain matin pour Saint-Antoine.

    Kate sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle avait cru que le voyage se poursuivrait pendant le reste de la nuit, et elle avait besoin de ce rpit avant l'invitable confrontation avec Matt Lincoln.

  • Vous ne me l'aviez pas dit ! Vous ne me l'aviez pas demand ! Est-ce si important ? Et

    d'ailleurs, mme si j'avais rserv pour le vol du soir, j'aurais sans doute annul... Vous avez l'air puise.

    Elle se mit soudain rire. Un rire nerveux et sans joie. Il la considra attentivement, perplexe.

    Etes-vous capable de marcher jusqu'au taxi ou dois- je vous porter avec les valises ?

    Je peux marcher. Elle ne lui adressa pas un mot pendant le trop bref trajet

    jusqu' l'htel. Elle entrevit un btiment brillamment illumin dont elle n'eut pas le temps de lire l'enseigne. Un portier en uniforme s'empara de leurs bagages. Elle pntra dans un vaste hall dbordant de plantes vertes. L'employ de la rception s'empressa, obsquieux.

    Ravi de vous revoir, monsieur Lincoln. Je regrette que votre sjour soit aussi bref.

    Il salua crmonieusement Kate. Bonsoir, madame. Il lui glissa un stylo dans la main et elle signa le registre

    tandis qu'il tendait une cl Matt. Un groom les prcda avec leurs valises. Tout le monde souriait, sauf Kate, qui venait soudain de comprendre la signification de cette cl unique.

    Jusqu'ici, elle avait tenu pour certain qu'ils occuperaient des chambres spares ne serait-ce que pour sauvegarder les apparences. Tous ses plans s'croulaient...

    Il n'y a pas d'ascenseur, mais un seul tage, lui disait Matt. Croyez-vous pouvoir y arriver ?

    Je... Non... certainement non... Oh si, mon ange. Sa voix tait suave, mais son sourire s'tait effac et ses yeux

    taient aussi froids que deux lames d'acier. Sa main se referma implacablement sur son bras, et il la

    guida vers l'escalier. Montons dans notre chambre, mon amour ! J'ai tellement

    hte d'tre enfin seul avec vous...

  • 4

    La premire chose que Kate remarqua en pntrant dans la

    chambre, ce fut le lit, immense, capitonn de satin, hollywoodien !

    Puis elle aperut la bouteille de champagne qui rafrachissait dans un seau glace, les corbeilles de fruits, les gerbes de fleurs. Je suis sre que c'est la suite nuptiale , se dit-elle, et elle se sentit nouveau prte clater d'un rire hystrique. La situation n'avait pourtant rien de comique ! Elle s'tait jete tout droit dans un guet-apens dont elle ne savait pas encore comment elle pourrait s'chapper.

    Elle ouvrit la porte-fentre et sortit sur le balcon. La nuit tait tide, parfume. Assourdi par la distance, un battement syncop de tambour rsonnait, lancinant, et de plus loin encore lui parvenait le doux murmure du ressac sur la plage.

    Elle entendit Matt congdier le groom en prcisant qu'ils ne voulaient pas tre drangs. Il avait d le gratifier d'un pourboire gnreux, en juger par le Bonne nuit chaleureux du jeune garon. La porte se referma. Elle attendit, immobile, la gorge noue par l'angoisse.

    Enfin seuls ! susurra-t-il. Kate se retourna lentement et lui fit face, les bras croiss en

    une drisoire attitude de protection. Posment,il retira son lgante veste de lin et commena dnouer sa cravate. Les yeux bleus plongrent dans les siens, nigmatiques.

    Vous tes bien silencieuse, mon ange. Fatigue par ce long voyage? Dans ce cas, mieux vaut vous coucher immdiatement.

    Kate ne trouva rien lui rpondre. Il ajouta, en dboutonnant sa chemise :

  • J'ai besoin d'une douche. Dsirez-vous utiliser la salle de bains la premire ?

    Non... c'est--dire oui... Je voulais dire que... Oui ? Que vouliez-vous dire exactement ? Je... je ne m'attendais pas cela. Elle dsignait d'un geste large du bras la chambre luxueuse. Oh ! Cet appartement ne vous plat pas ? Il est superbe, mais... je pensais avoir une chambre

    spare. Vraiment? Cela ne faisait pas partie du march. Justement, ce propos... Je vous coute. Sa chemise avait rejoint sa veste et sa cravate sur le lit. Les

    poings sur les hanches, il la toisait, moqueur, avec dans les yeux le mme clat mtallique qui l'avait tant effraye tout l'heure dans le hall. Kate lui rendit son regard de dfi.

    Est-ce bien utile que je m'explique ? Vous avez dj devin.

    Que vous n'aviez pas l'intention d'honorer votre part du contrat ? Naturellement. Vous n'avez mme pas essay de donner le change... ou alors vous tes une pitre comdienne ! Vous me sous-estimez. Je ne suis pas ce point aveugl par mes propres mrites. J'ai immdiatement compris que vous aviez l'intention de me duper, et je sais aussi pourquoi.

    Et elle qui s'tait crue si machiavlique ! Elle prouvait un certain dpit d'avoir t si facilement perce jour.

    Eh bien, nous savons au moins o nous en sommes, dclara-t-elle. Donnez-moi ma valise, et je vais aller demander une autre chambre la rception.

    Epargnez-vous cette peine. Il n'y a plus une seule chambre de libre.

    Oh ! Mais il existe sans doute d'autres htels en ville? Des quantits. Pourtant vous n'irez nulle part. Du moins

    cette nuit. Demain vous venez avec moi Saint-Antoine, comme prvu.

  • Il n'en est plus question ! Vous tes fou si vous avez pens...

    Vous n'avez pas la plus lgre ide de ce que je peux penser ! Vous vous basez uniquement sur des suppositions, et je ne vous ai pas contredite...

    Son calme glacial tait plus effrayant que la colre. Il avana vers Kate qui ne put rprimer un frisson. Il se rendit compte de son imperceptible mouvement de recul, et son visage se durcit davantage. Il lui dsigna un fauteuil.

    Asseyez-vous. Je prfre rester debout, rtorqua-t-elle, mfiante. Vos prfrences ne m'intressent pas. Asseyez-vous ! Quelque chose dans sa voix dissuada Kate d'insister plus

    longtemps. Elle obit. Il lui adressa un lger sourire condescendant.

    Voil la premire leon que vous ayez enfin comprise, mon ange. Et maintenant je vais vous dire pourquoi je vous ai demand de venir. Et pourquoi vous devez rester. Et cela n'a rien voir avec mon apptit luxurieux pour votre jeune corps dlectable !

    Kate frmit sous le sarcasme. Personne ne l'avait jamais humilie ainsi. Son orgueil se rebellait, pourtant elle resta immobile, attentive, subjugue par une volont plus forte que la sienne. Il poursuivit.

    Je vais Saint-Antoine pour des motifs professionnels, mais je ne veux pas qu'on le sache. Vous tes en quelque sorte ma couverture . Officiellement, je viens en simple touriste. Une escapade d'amoureux ! Et vous tes l'heureuse lue. Aussi j'aimerais que vous soyez plus convaincante que vous ne l'avez t jusqu' prsent.

    Elle le fixa, les yeux largis par l'incrdulit. Vous voulez que je me conduise exactement comme si

    j'tais amoureuse de vous ? Oh, je n'en demande pas tant ! Contentez-vous des

    apparences extrieures. Jouez le rle comme je l'ai crit, et je

  • vous promets que vous n'aurez rien craindre de moi. Est-ce clair ?

    Et si je refuse ? Alors je ne me contenterai plus des apparences. Croyez-

    moi, j'en suis trs capable. Elle le croyait aisment. Le regard qu'il laissait peser sur elle

    tait assez loquent. Si vous tes prt employer la force, comment saurai-je si

    je peux vous faire confiance ? Vous ne le saurez pas. Sachez cependant, si cela peut vous

    rassurer, que je n'ai de ma vie jamais employ la force avec une femme...

    Elle n'tait pas du tout rassure, au contraire. Elle songeait ce baiser qu'il lui avait donn, et elle savait qu'il y pensait galement. Ce n'tait pas par la force qu'il l'avait vaincue !

    N'ai-je vraiment pas le choix ? Qu'est-ce qui m'empche de sortir tout simplement de cette pice et de repartir ?

    Moi. Vous n'iriez pas loin sans votre passeport, or vous me l'avez confi au moment des formalits.

    Vous tes vraiment un ignoble individu ! On me l'a dj dit plusieurs fois. Mais moi, je ne renie pas

    mes engagements. Kate prfra dtourner la conversation. Qu'est-ce que ce mystrieux travail qui vous appelle

    Saint-Antoine ? Si j'y joue un rle, j'ai le droit de savoir. Tant que durera ce voyage, vous avez seulement les droits

    que je veux bien vous accorder. Pour reprendre vos propres termes, comment saurai-je jusqu'o je peux vous faire confiance? Non, je ne vous dirai rien d'autre pour le moment, mon ange.

    Cessez de m'appeler ainsi ! Il paratrait bien peu vraisemblable que je vous appelle

    Miss Marston... mais que diriez-vous de mon cher amour ? Oh ! je vous en prie !... A Saint-Antoine, j'exige de disposer

    d'une chambre spare.

  • Vous devrez pourtant vous rsigner la cohabitation. Les rservations sont dj faites. Il ne vous reste plus qu' prier le ciel pour qu'il y ait des lits jumeaux.

    Et cette nuit ? Vous vous croyez donc si irrsistible ? Kate le hassait. Cependant, elle ne pouvait dtacher ses yeux

    de son torse nu, o les muscles harmonieux et puissants jouaient souplement sous la peau hle. A la plage, cette semi-nudit n'aurait rien eu que de banal, mais ici, dans l'intimit de cette chambre d'htel, elle prenait l'allure d'une provocation. Matt ajouta, sarcastique :

    N'ayez aucune inquitude. Je me sens si fatigu que la reine de Saba elle-mme me laisserait de marbre.

    Je suis sensible l'intention, riposta-t-elle, mais il est hors de question que je partage ce lit avec vous!

    Pourquoi ? Ne le trouvez-vous pas assez large ? Elle rprima un sourire. Il n'tait pas seulement large, il tait

    colossal ! L n'est pas la question. A votre guise. J'espre que vous trouverez ce fauteuil

    confortable. Kate s'trangla de fureur. Un gentleman m'aurait offert le lit ! Je ne suis pas un gentleman, d'aprs vous. Je me

    contenterai donc de vous proposer un compromis. A l'aide des oreillers, il difia une sorte de barrire au milieu

    du matelas. Voil. Ce n'est pas tout fait le mur de Berlin, mais c'est

    un rempart acceptable pour votre pudeur. Et maintenant, si vraiment vous ne voulez pas profiter de la salle de bains, j'y vais.

    Kate restait prostre, comprenant avec dsespoir qu'elle tait entirement la merci de Matt Lincoln. Sa seule consolation tait de penser qu'Alice aurait pu se trouver sa place... A une seule diffrence prs : Alice aurait jou avec enthousiasme le rle qui lui tait offert !

  • Mais elle n'tait pas Alice ! Tout en reconnaissant Matt Lincoln un trange pouvoir de fascination sensuelle, elle le jugeait en toute lucidit. Et cela elle le devait Douglas Wakefield. Il l'avait immunise contre les mirages de la sduction.

    La porte de la salle de bains s'ouvrit, et Matt rapparut, drap dans une sobre robe de chambre de soie bleu marine pas trace de pyjama ! nota-t-elle. Des glaons tintrent, puis elle entendit le plop caractristique d'un bouchon qui saute : il ouvrait la bouteille de champagne...

    Je bois au succs de notre collaboration. Voulez- vous vous joindre moi ?

    Non, merci. Je ne vois rien clbrer. Comme il vous plaira. Si vous dsirez quoi que ce soit

    d'autre, faites-le-moi savoir. Il se moquait ouvertement d'elle. Elle se souvint du jour o

    leurs regards s'taient croiss pour la premire fois. Il levait ainsi une coupe de champagne ; Kate avait d lutter de toute sa volont pour rsister l'attraction imprieuse qui l'entranait vers lui. Elle subissait nouveau cette attirance irrsistible et elle n'tait plus spare de lui par la foule des invits : ils taient seuls dans une chambre !

    Elle avait eu tort de se fliciter de son invulnrabilit. Elle tait en danger. En danger mortel ! Son cur battait tout rompre... La fuite tait son seul espoir. Elle courut sa valise, dont elle tira fbrilement ses vtements de nuit et son ncessaire de toilette, puis elle se rua dans la salle de bains.

    La porte comportait un verrou, qu'elle poussa avec un soupir de soulagement, se sentant pour la premire fois en scurit depuis le dbut du voyage. Elle s'attarda avec dlices sous le jet brlant de la douche qui dissipait peu peu sa pnible lassitude. Le miroir lui renvoyait l'image embue d'une svelte et gracieuse naade, les deux bras levs en amphore pour retenir sa chevelure, l'eau ruisselant sur ses seins ronds et fermes.

    Votre corps dlectable , avait dit Matt... Mais il prfrait sans doute des courbes plus voluptueuses... comme celles

  • d'Alice, Alice qui lui enviait sa minceur et qui s'astreignait priodiquement des rgimes draconiens ! Eh bien, elle ne lui fournirait pas l'occasion d'tablir des comparaisons : la chemise de nuit qu'elle avait emporte, d'une svrit toute monacale avec son col montant, tombait en longs plis jusqu' ses pieds.

    Matt Lincoln ne leva mme pas les yeux lorsqu'elle sortit de la salle de bains. Ses paules nues mergeant des couvertures, il lisait, appuy sur un coude, s'interrompant de temps autre pour boire une gorge de champagne. Il n'avait pas tenu compte du refus de Kate : sur le chevet oppos, une autre coupe pleine l'attendait, tentatrice.

    Kate contempla avec apprhension le rigide fauteuil de bambou, puis elle haussa lgrement les paules et se glissa prcautionneusement entre les draps. Elle jeta un regard furtif vers la longue silhouette qui se dessinait sous la courtepointe et se pelotonna l'extrme bord du ht. Elle retenait son souffle, douloureusement consciente de la proximit obsdante de ce corps masculin, la fois rassure et secrtement irrite par sa mprisante indiffrence.

    Il se redressa soudain, et elle se figea, tout entire raidie en une attente angoisse. Mais il se borna dposer son livre sur sa table de chevet et teindre sa lampe, lui lanant un bref Bonne nuit d'une voix ensommeille.

    Kate teignit son tour sa lumire. Elle resta tendue dans l'obscurit, coutant la respiration paisible de Matt, assaillie par un tourbillon vertigineux de penses confuses et d'motions contradictoires...

    Les premires lueurs de l'aube filtraient travers les persiennes lorsqu'elle s'endormit enfin, anantie de fatigue.

    L'avion survolait l'unique piste d'atterrissage de Saint- Antoine, minuscule ruban cern par la vgtation luxuriante. Beaucoup trop courte, nous allons nous fracasser , pensa Kate en fermant les yeux dans l'attente de la catastrophe... L'appareil se posa cependant sans autre dommage que quelques cahots qui lui donnrent la nause.

    Dcidment les voyages vous rendent nerveuse !

  • Matt l'observait, goguenard. Elle le toisa sans rpondre. Les dernires vingt-quatre heures auraient suffi branler les nerfs les plus solides, songea-t-elle amrement, et il faut tout votre cynisme pour rester aussi insolemment frais et dispos...

    L'aroport se rduisait quelques baraquements de tle ondule, qui semblaient simplement poss au hasard au bout de la piste, prts s'envoler la moindre tornade. Les formalits de douane furent htivement expdies.

    Il tait bien inutile de vous entourer d'un tel luxe de prcautions, fit remarquer Kate, ironique. Ils ont peine jet un coup d'oeil votre passeport !

    C'est ce que vous croyez ! Eh bien, je peux vous affirmer qu' ce moment mme le tlphone fonctionne dj et que la nouvelle est transmise aux intresss...

    Je vous savais pntr de votre propre importance, mais ce point, c'est de la mgalomanie...

    Satisfaite de sa riposte, Kate porta toute son attention au paysage. Avant son dpart, une rapide incursion la bibliothque municipale lui avait appris que Saint-Antoine avait d autrefois sa prosprit ses plantations de caf et de canne sucre : L'Ancre du Paradis , tel tait le nom potique que lui avaient donn les pirates, aux temps hroques o ils rgnaient sur la mer des Carabes.

    Aujourd'hui, les chantiers navais et les conserveries avaient succd aux lgantes rsidences coloniales des planteurs, mais l'le se souvenait encore de son pass romantique.

    Matt avait annonc au petit djeuner qu'il avait retenu une chambre l'Htel du Paradis. En d'autres circonstances, Kate aurait vu dans ce nom la promesse d'un sjour enchanteur mais, dans la situation prsente, elle s'tait plutt senti l'me d'une condamne qui entend prononcer sa sentence : deux semaines seulement, qui lui paraissaient une angoissante ternit.

    Elle resta bouche be la vue du taxi, peint d'un jaune flamboyant faire plir d'envie le soleil tropical. Matt s'amusa de son ahurissement.

  • Tonique, n'est-ce pas ? C'est la couleur distinctive de la compagnie. Ils sont tous ainsi. Ici, on les surnomme le rgime de bananes . Ils louent galement des vhicules la journe. Je compte rserver une Jeep pour faire le tour de l'le.

    Dans un intrt tout professionnel, bien sr ? Naturellement. A peine s'taient-ils installs dans le taxi que Matt passa

    ngligemment son bras autour de ses paules, lui murmurant l'oreille :

    Juste une note de couleur locale, pour vous remettre en mmoire votre scnario.

    Il avait pos son bras sur sa nuque, en un geste de tranquille possession, et ses doigts effleuraient sa poitrine. Kate s'efforait de contrler les battements prcipits de son cur. Ils traversaient la ville dont elle ne distingua, comme travers un brouillard, qu'un halo de bruits et de couleurs, uniquement consciente de cette caresse tnue et lancinante.

    Ils avaient dormi dans le mme lit la nuit prcdente, mais aucun moment elle n'avait t aussi proche de lui que sur ce sige de taxi. La chaleur de son corps, qui la pntrait peu peu d'une douce langueur, l'odeur lgre et pice de son eau de toilette agissaient comme une drogue qui annihilait toute sa volont. Comme il aurait t doux de s'abandonner l'treinte, de poser doucement ses lvres sur son cou, pour vrifier si ses pulsations taient aussi follement dsordonnes que les siennes.

    Kate tait terrifie par la violence sauvage de son impulsion. Aucun homme n'avait encore suscit en elle ce dsir irrpressible. Dans un sursaut farouche, elle crispa convulsivement ses mains l'une contre l'autre, avec une telle force que ses jointures blanchirent. Matt remarqua son geste.

    Dtendez-vous, mon ange. Nous sommes arrivs. L'Htel du Paradis mritait bien son nom. Un long btiment

    bas, enfoui sous les fleurs grimpantes, regroupait la rception, les salons, le bar et le restaurant, ainsi que quelques boutiques. Les chambres consistaient en une trentaine de petits bungalows

  • individuels nichs dans la verdure, de part et d'autre d'une alle de palmiers qui conduisait directement la plage.

    Par contraste avec la chaleur torride, l'intrieur du bungalow offrait une agrable impression de fracheur, qu'accentuaient encore le crpi blanc des murs et le dallage de terre cuite. Le lger mobilier de bambou du living-room apportait la note indispensable d'exotisme discret. Au fond de la pice, deux portes s'ouvraient, l'une sur la chambre, l'autre sur une petite salle de bains entirement carrele d'un dlicat beige ros qui voquait l'intrieur d'un coquillage.

    Vos souhaits ont t exaucs : ce sont des lits jumeaux, lui fit remarquer Matt.

    Kate avait ouvert sa valise et rangeait ses vtements dans la penderie. Il l'observait, paresseusement allong sur l'un des lits, les bras croiss sous la nuque.

    Ne craignez-vous pas de vous ennuyer ? Elle secoua l'une de ses robes pour en effacer les plis. Ne vous souciez pas de moi. Je saurai me distraire... Vous

    aurez tout loisir de vous consacrer vos obligations professionnelles.

    Votre collaboration m'est trop prcieuse pour que je vous abandonne votre sort. Mais ce propos, je dois dire que je ne suis pas entirement satisfait de votre prestation...

    Si vous voulez parler de ce petit intermde dans le taxi, qu'espriez-vous ? Que je me jette fougueusement votre cou ?

    Je n'irais pas jusque-l, mais je prfrerais nanmoins que vous ne sursautiez pas comme si vous aviez t mordue par un serpent chaque fois que je vous touche. Si vous n'y mettez pas plus de conviction, personne au monde ne pourra croire un seul instant votre personnage d'amoureuse.

    Est-ce donc si important ? Je vous l'ai dj dit. Je sais. Mais vous ne m'avez pas dit pourquoi il tait si

    ncessaire de donner le change. Ni ce que vous tes venu faire ici.

    Non, en effet.

  • Vous n'tes pas encore dcid me mettre dans la confidence ?

    Pas pour le moment. Mais vous n'auriez pas eu de secrets pour Alice, n'est-ce

    pas ? Toujours Alice ! Elle vous obsde... presque autant que

    vous l'obsdez vous-mme... Que voulez-vous dire par l ? Devinez, mon ange. Voil un beau sujet de mditation

    pour vos longues nuits solitaires. Cela vous sera beaucoup plus profitable que de vous recroqueviller en vous demandant quel moment je vais bondir sur vous pour vous violer !

    Les joues de Kate s'empourprrent. Puisqu'il est question de nuits solitaires, je vous signale

    qu'il y a un canap dans la pice voisine. Et auquel de nous deux est-il destin, selon vous ? persifla-

    t-il. Voyons, Kate, vous tes de mauvaise foi! Elle lui fit face, rvolte. C'est faux ! J'accepte de jouer mon rle pendant la journe,

    devant votre public, mais il n'a jamais t question des nuits ! Etes-vous totalement inconsciente? Qui croira encore que

    je ne songe qu' filer le parfait amour avec vous, si l'on dcouvre que nous faisons chambre part ?

    Mais qui le saurait? protesta-t-elle. A vous entendre, ne dirait-on pas que nous sommes surveills ?

    Croyez-vous que le garon qui viendra nous apporter notre petit djeuner ne remarquera rien ? Ni la femme de chambre? L'le n'est pas si grande, les nouvelles circulent vite.

    Et ce serait un rude coup port votre vanit masculine ! L'irrsistible Matt Lincoln essuyant un chec ! En vrit, je finirai par croire que toute cette comdie n'est destine qu' prserver votre rputation de Don Juan !

    Les yeux bleus taient aussi froids que deux blocs de glace. Sur la mchoire de Matt, un petit muscle tressautait. Il respira profondment puis articula lentement d'une voix atone :

  • Quelle flatteuse opinion vous avez de moi, mon ange... Et si je m'efforais de vous donner raison?

    D'un brusque lan, il se redressa et avana vers elle, menaant. Panique, Kate chercha des yeux une issue. Trop tard. Elle tait accule contre la porte de la penderie. Elle balbutia, suppliante :

    Matt, je regrette... Je suis dsole... Oh non, vous ne l'tes pas encore... Mais vous le serez

    bientt... La belle bouche sensuelle se tordit en un rictus de mpris et

    de drision. Avant que Kate ait pu esquisser un geste de dfense, il l'avait saisie dans ses bras et il la soulevait du sol. En quelques pas rapides, il l'emporta vers le lit le plus proche o il la laissa tomber avec une brutalit dlibre.

    Le souffle coup par le choc, Kate se rendait peine compte de ce qui lui arrivait... Elle leva les yeux vers la haute silhouette qui se penchait inexorablement vers elle... Elle tenta dsesprment de rouler sur le ct, de manire mettre le lit entre eux. Mais il avait t plus rapide qu'elle. Deux mains nerveuses s'emparaient de ses paules, la clouant implacablement au matelas.

    Trs bien. Vous avez prouv, s'il en tait besoin, que vous tes plus fort que moi. Etes-vous satisfait prsent ?

    Non, mon ange, gronda-t-il entre ses