rupture spontanée du long extenseur du pouce sur arthrose trapézométacarpienne : à propos...

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Cas clinique Rupture spontanée du long extenseur du pouce sur arthrose trapézométacarpienne : à propos d’un cas et revue de la littérature Spontaneous rupture of extensor pollicis longus in isolated trapeziometacarpal arthritis T. Apard * , L. Marcucci, J. Jarriges Centre de chirurgie de la main, hôpital privé Saint-Martin, 18, rue des Roquemonts, 14050 Caen, France Reçu le 15 mars 2011 ; reçu sous la forme révisée le 3 juillet 2011 ; accepté le 18 août 2011 Résumé Une rupture spontanée du tendon de l’extensor pollicis longus (EPL) ou long extenseur du pouce, sur arthrose trapézométacarpienne isolée est décrite. Une infiltration cortisonique intra-articulaire avait été réalisée un an avant la rupture. Cet épisode exceptionnel atteste d’une cause mécanique de la rupture, par frottement du tendon sur les ostéophytes de la rhizarthrose. # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Arthrose ; Long extenseur du pouce ; Rhizarthrose ; Main ; Rupture ; Tendon Abstract A spontaneous rupture of the extensor pollicis longus (EPL) tendon occurred in a patient with trapeziometacarpal arthritis. We hypothesize that a mechanical attrition by protrusion at the trapeziometacarpal joint alone was responsible of a spontaneous rupture of the extensor pollicis longus tendon. # 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Arthritis; Extensor pollicis longus; Thumb Arthritis; Hand; Rupture; Tendon 1. Introduction La rupture spontanée du tendon de l’extensor pollicis longus (EPL) ou long extenseur du pouce n’est pas un événement rare, mais il n’a jamais été décrit sur arthrose trapézométacarpienne (TM) isolée. L’étiologie est discutée chez cette patiente qui ne présente pas d’autres facteurs de risque de rupture tendineuse, sauf deux infiltrations cortisoniques trois ans et un an auparavant. 2. Observation Une femme de 42 ans, droitière, travaillant dans une blanchisserie, a consulté pour des douleurs de l’avant-bras droit avec une impossibilité de relever la seconde phalange du pouce droit depuis cinq jours. La douleur est apparue en poussant un caddie. L’interrogatoire rapportait un traitement par infiltration pour une arthrose trapézométacarpienne bien tolérée avec le port d’orthèse nocturne. Deux infiltrations d’Altim 1 intra-articulaires sous amplificateur de brillance avaient été réalisées par le rhumatologue trois ans et un an avant cet épisode. La patiente ne prenait aucun traitement médica- menteux et n’avait pas d’antécédent rhumatismal. L’examen neurologique était normal. Le bord ulnaire de la tabatière anatomique avait disparu. L’extension de la phalange proxi- male était possible. La rétropulsion du pouce était faible. Les radiographies (Fig. 1 et 2) montraient une arthrose trapézométacarpienne essentielle stade 3 de Eaton et Littler [1] et stade 2 de Comtet [2], c’est-à-dire sans atteinte scapho- trapézotrapézoïdienne (STT) ni interphalangienne mais avec une hyperextension métacarpophalangienne réductible. L’ostéophytose (dorsale et médiale) était importante. Chirurgie de la main 30 (2011) 349351 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (T. Apard). 1297-3203/$ see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.main.2011.08.004

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Page 1: Rupture spontanée du long extenseur du pouce sur arthrose trapézométacarpienne : à propos d’un cas et revue de la littérature

(2011) 349–351

Chirurgie de la main 30

Cas clinique

Rupture spontanée du long extenseur du pouce sur arthrosetrapézométacarpienne : à propos d’un cas et revue de la littérature

Spontaneous rupture of extensor pollicis longus in isolated trapeziometacarpal arthritis

T. Apard *, L. Marcucci, J. JarrigesCentre de chirurgie de la main, hôpital privé Saint-Martin, 18, rue des Roquemonts, 14050 Caen, France

Reçu le 15 mars 2011 ; reçu sous la forme révisée le 3 juillet 2011 ; accepté le 18 août 2011

Résumé

Une rupture spontanée du tendon de l’extensor pollicis longus (EPL) ou long extenseur du pouce, sur arthrose trapézométacarpienne isolée estdécrite. Une infiltration cortisonique intra-articulaire avait été réalisée un an avant la rupture. Cet épisode exceptionnel atteste d’une causemécanique de la rupture, par frottement du tendon sur les ostéophytes de la rhizarthrose.# 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Arthrose ; Long extenseur du pouce ; Rhizarthrose ; Main ; Rupture ; Tendon

Abstract

A spontaneous rupture of the extensor pollicis longus (EPL) tendon occurred in a patient with trapeziometacarpal arthritis. We hypothesize thata mechanical attrition by protrusion at the trapeziometacarpal joint alone was responsible of a spontaneous rupture of the extensor pollicis longustendon.# 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Arthritis; Extensor pollicis longus; Thumb Arthritis; Hand; Rupture; Tendon

1. Introduction

La rupture spontanée du tendon de l’extensor pollicis longus(EPL) ou long extenseur du pouce n’est pas un événement rare,mais il n’a jamais été décrit sur arthrose trapézométacarpienne(TM) isolée. L’étiologie est discutée chez cette patiente qui neprésente pas d’autres facteurs de risque de rupture tendineuse,sauf deux infiltrations cortisoniques trois ans et un anauparavant.

2. Observation

Une femme de 42 ans, droitière, travaillant dans uneblanchisserie, a consulté pour des douleurs de l’avant-bras

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (T. Apard).

1297-3203/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservdoi:10.1016/j.main.2011.08.004

droit avec une impossibilité de relever la seconde phalange dupouce droit depuis cinq jours. La douleur est apparue enpoussant un caddie. L’interrogatoire rapportait un traitementpar infiltration pour une arthrose trapézométacarpienne bientolérée avec le port d’orthèse nocturne. Deux infiltrationsd’Altim1 intra-articulaires sous amplificateur de brillanceavaient été réalisées par le rhumatologue trois ans et un an avantcet épisode. La patiente ne prenait aucun traitement médica-menteux et n’avait pas d’antécédent rhumatismal. L’examenneurologique était normal. Le bord ulnaire de la tabatièreanatomique avait disparu. L’extension de la phalange proxi-male était possible. La rétropulsion du pouce était faible.

Les radiographies (Fig. 1 et 2) montraient une arthrosetrapézométacarpienne essentielle stade 3 de Eaton et Littler [1]et stade 2 de Comtet [2], c’est-à-dire sans atteinte scapho-trapézotrapézoïdienne (STT) ni interphalangienne maisavec une hyperextension métacarpophalangienne réductible.L’ostéophytose (dorsale et médiale) était importante.

és.

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[(Fig._ 1)TD$FIG]

Fig. 1. Radiographie de face de la main droite.

[(Fig._ 2)TD$FIG]

Fig. 2. Radiographie de profil de la main droite.

T. Apard et al. / Chirurgie de la main 30 (2011) 349–351350

L’échographie demandée en urgence, objectivait la rupture dulong extenseur du pouce au niveau de l’articulation trapé-zométacarpienne.

L’exploration chirurgicale montrait le tendon de l’EPLrompu et délaminé au niveau trapézométacarpien. Le premiercompartiment des extenseurs était intact. Il n’y avait pas desynovite, ni de dépôts calciques, ni de signes infectieux. Lasuture était impossible et un transfert de l’extenseur propre de[(Fig._ 3)TD$FIG]

Fig. 3. Scanner postopératoire montrant l’ostéophytose dorso-latérale et le t

l’index a été réalisé dans le même temps opératoire.L’ostéophyte n’a pas été abattu. Une tomodensitométrie dela rhizarthrose permet de voir l’ostéophytose dorso-latérale et letransfert tendineux (Fig. 3). Une attelle a été posée pour un moiset une autorééducation a permis la reprise du travail à la sixièmesemaine postopératoire. À deux mois, l’opposition selonKapandji était de 8/10 et l’extension de la phalange distale

ransfert de l’extenseur propre de l’index sur le long extenseur du pouce.

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T. Apard et al. / Chirurgie de la main 30 (2011) 349–351 351

du pouce était complète. À six mois, l’opposition du pouce étaitmesurée à 10/10. La rétropulsion postopératoire était normale.

3. Discussion

La rupture spontanée de l’EPL survient le plus souvent dansles cadres suivants : fractures de l’extrémité distale du radiusopérée ou non [3], traitement oral par corticoïdes [4],microtraumatismes sportifs [5] ou polyarthrite rhumatoïde [6].

Deux théories sont avancées pour expliquer la physiopa-thologie de cette atteinte : la théorie vasculaire et la théoriemécanique. La théorie vasculaire explique que l’œdème post-traumatique comprime la vascularisation tendineuse déjà trèsprécaire entre le tubercule de Lister et la partie distale durétinaculum des extenseurs [7,8]. La théorie mécaniqueexplique que la rupture est due à l’agression osseuse d’unefracture ou d’un cal vicieux [3].

Les ruptures tendineuses à la main existent juste aprèsinjection cortisonique. Björkman et Jörgsholm [3] ont rapportédeux cas de rupture de l’EPL juste après injection de cortisone.Mills et al. [9] ont rapporté une rupture bilatérale des deux EPLaprès infiltration chez un sportif. Aucun cas de rupturetendineuse n’a été décrit plusieurs mois après infiltration intra-articulaire. Quand il n’y a pas eu d’injections récentes decorticoïdes, les ruptures tendineuses atraumatiques de la maindécrites dans la littérature sont alors toujours liées à desaltérations tendineuses chroniques provoquées par une inflam-mation synoviale ou par une infection (polyarthrite rhumatoïde[6], infection [10]. . .). Dans le cas décrit, on ne note niantécédent récent d’infiltration cortisonique, ni inflammationsynoviale chronique, ni infection. Dans une étude prospective à3 ans de recul moyen, Maarse et al. [11] ne rapportent pas derupture tendineuse après infiltration sous scopie de l’articula-tion trapézométacarpienne chez 41 patients. Balasubramaniamet Prathap [12] ont en effet montré qu’une injection de cortisonedans le tendon d’Achille de lapins était toxique sur le collagène.La réparation spontanée du tendon doit contrebalancer uneprise chronique de corticoïde comme l’ont supposé Morgan etMc Carty. [13].

Malgré l’existence de formes ostéophytiques majeures et dedésaxation importante, une rupture tendineuse spontanée due àl’arthrose n’a été rapportée qu’une fois par Morizaki et al. [14].Il s’agissait une femme de 59 ans, venue consulter pour desdouleurs du poignet depuis quelques jours. À l’interrogatoire,on retrouvait un traitement oral par corticoïde et un antécédentde lupus érythémateux disséminé ; or la rupture tendineuse peutêtre expliquée par la corticothérapie [4] et le lupus [15]. Il estdonc difficile d’affirmer pour leur cas l’origine de cette rupture.Morizaki et al. [14] ont réalisé un transfert de l’extenseur proprede l’index (comme le cas décrit ici) mais ils ont choisi deréaliser dans le même temps une trapézectomie avec brochagepour cinq semaines. Le traitement de la rhizarthrose de la

patiente présentée ici pourrait être fait dans un second temps sile traitement orthétique devenait inefficace. L’indication detrapézectomie en cas de rupture de l’EPL sur arthrose TM estdiscutable : La course de l’extenseur propre de l’index transféréne croise pas l’articulation TM.

Comme la dernière infiltration a été réalisée il y a un an, larupture de l’EPL chez cette patiente est probablement d’originemécanique, due à l’arthrose TM. Ce cas clinique est le seul de lalittérature illustrant la théorie mécanique, suffisante pourexpliquer la rupture spontanée tendineuse de l’EPL.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

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[2] Comtet JJ, Gazarian A, Fockens W. Definition and classification of basaljoint osteoarthritis. A critical analysis and proposals. Treatment optionsChir Main 2001;20(1):5–10 [Review. French].

[3] Björkman A, Jörgsholm P. Rupture of the extensor pollicis longus tendon:a study of aetiological factors. Scand J Plast Reconstr Surg Hand Surg2004;38:32–5.

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[11] Maarse W, Watts AC, Bain GI. Medium-term results outcome followingintra-articular corticosteroid injection in first CMC joint arthritis usingfluoroscopy. Hand Surg 2009;14(2–3):99–104.

[12] Balasubramaniam P, Prathap K. The effect of injection of hydrocortisoneon articular cartilage in rabbits. J Bone Joint Surg 1996;48A:1383–8.

[13] Morgan J, Mc Carty DJ. Tendon ruptures in patients with systemic lupuserythematosus treated with corticosteroids. Arthritis Rheum1974;17(6):1033–6.

[14] Morizaki Y, Ohe T, Kamekura S, Takamure H. Rupture of the extensorpollicis longus tendon in trapeziometacarpal joint osteoarthritis: casereport. J Hand Surg 2008;33A:1179–81.

[15] Apard T, Moui Y. Spontaneous rupture of extensor pollicis longus insystemic lupus erythematosus. Chir Main 2004;23(5):254–6.