rencontre avec francois dubet par jean-pierre maurice

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RENCONTRE AVEC François DUBET Q : François DUBET, qui êtes-vous ? R : Je suis sociologue. Avant de publier mes travaux sur l’école et les lycéens, j’ai mené des recherches sur les jeunes des banlieues, la délinquance, la marginalité, et sur les mouvements sociaux également. Disons qu’entre la sociologie et moi, c’est une longue histoire. Q : Vous avez été un précurseur en matière de recherche sur les jeunes scolarisés et la violence, n’est-ce pas ? R : Vraiment ? Disons que mon originalité réside peut-être dans ma démarche qui consiste à étudier le système scolaire certes, mais du point de vue des élèves. Au fond, quand on observe la sociologie de l’école, on s’aperçoit qu’il s’agit très souvent d’une sociologie qui fait des séries statistiques sur l’orientation, la sélection, etc… mais il y a très peu de temps que la sociologie de l’éducation s’intéresse aux élèves, c’est-à-dire à la manière dont les élèves construisent leur expérience, leur métier, à ce qu’ils attendent… Oui, c’est vrai que je suis heureux d’avoir été probablement, sinon le premier, du moins un des premiers à m’être intéressé aux élèves. Q : Vous êtes venu assurer dans l’académie plusieurs formations autour du thème « L’évolution de l’école, de ses missions, de ses publics et de ses enseignants ». Quel est votre message aux enseignants ? R : Ce que j’essaie surtout de dire aux enseignants, c’est une chose extrêmement simple : il faut arrêter de penser l’école en termes de crise. Il faut arrêter de penser que l’école a eu une sorte d’âge d’or et que, depuis 20 ans, 30 ans tout se casse la figure, que tout va de plus en plus mal, que le niveau baisse, que les élèves sont de plus en plus mauvais… Je crois que c’est faux ; non pas parce que les choses vont bien, mais parce que l’école a totalement changé de nature. C’est à dire que l’école de masse, ce n’est pas l’école ancienne en plus grand ; c’set une autre école. Au fond, cette école-là appelle d’autres manières de travailler. Q : Vous êtes l’auteur d’un ouvrage récent, paru en janvier 1997 sur « la famille et l’école : le malentendu ». R : Le malentendu, c’est que l’école attend de plus en plus des parents. L’école attend que les parents soient de plus en plus compétents, de plus en plus capables d’aider les enfants, de les encadrer, de les stimuler. En même temps, l’école n’est pas capable de dire aux parents ce qu’elle attend d’eux. Le malentendu est là : au fond, l’école attend des parents qu’ils se comportent comme des enseignants-parents. Q : Quelles conclusions pour l’école, alors ? R : Je crois qu’il faut que l’école de masse comprenne qu’elle doit sortir de cet isolement un peu aristocratique qui a souvent été le sien. Q : Sur quoi travaillez-vous actuellement ? R : Je viens de terminer un livre de théorie sociologique intitulé « Dans quelle société vivons-nous ? » qui devrait paraître la semaine prochaine. Mais je pense que pendant les 2 ou 3 ans qui viennent, je ne vais pas faire de sociologie. Q : Vraiment ? R : Je suis chargé de la Direction des sciences sociales au ministère de l’Education nationale. Propos recueillis par : Jean-Pierre MAURICE (publication du 20 février 1998) RECTORAT MARTINIQUE HEBDO FLASH Publication du bureau de la Communication. Rédaction : Jean-Pierre MAURICE / Cabinet du Recteur Comité de rédaction : Serge Michel FOUCHE, Daniel WENDOLOWSKI, Jean-Pierre MAURICE Réalisation : Atelier de Reprographie du Rectorat

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Interview réalisée par Jean-Pierre MAURICE.Jean-Pierre MAURICE est né en Martinique en 1951, de parents fonctionnaires originaires du Carbet, petite commune du nord de l’île.Dans son enfance et son adolescence, il habite le quartier des Terres Sainville à Fort de France.Elève du lycée Schoelcher à Fort de France, il obtient son baccalauréat en 1968 et part pour l’université de Bordeaux.De ses études de sociologie, il gardera le goût de l’observation des phénomènes sociaux.De retour en Martinique en 1976, il intègre le rectorat où il travaillera d’abord pendant plusieurs années comme contractuel au service des statistiques.Reçu successivement aux concours de catégorie B puis de catégorie A, il exerce pendant 3 ans, au moment de la décentralisation, comme gestionnaire puis agent comptable d’un collège rural de centre de l’île, au Gros Morne. Cette expérience sur le terrain lui ouvrira les yeux sur les réalités de la vie d’un établissement scolaire et du fonctionnement du système scolaire.De retour au rectorat, il occupe les fonctions de responsable de la formation des personnels administratifs, techniques et ouvriers, puis de chargé de la modernisation du rectorat, de responsable du bureau des pensions et retraites, de chargé de communication.C’est dans le cadre de cette dernière fonction qu’il réalise l’interview du sociologue de l’Education FRANCOIS DUBET venu à la Martinique afin d’y assurer plusieurs séances de formation de personnels de l’Education.François DUBET est un sociologue français auteur de travaux sur l’école.Observateur privilégié et engagé du système éducatif, FRANCOIS DUBET, a travaillé à établir un diagnostic du mal qui ronge l’école républicaineFrançois Dubet relaye une pensée de gauche modérée et réformiste, particulièrement engagée contre les inégalités sociales.

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Page 1: Rencontre Avec Francois Dubet Par Jean-pierre Maurice

RENCONTRE AVEC

François DUBET

Q : François DUBET, qui êtes-vous ?

R : Je suis sociologue. Avant de publier mes travaux sur l’école et les lycéens, j’ai mené des recherches sur les jeunes des

banlieues, la délinquance, la marginalité, et sur les mouvements sociaux également. Disons qu’entre la sociologie et moi,

c’est une longue histoire.

Q : Vous avez été un précurseur en matière de recherche sur les jeunes scolarisés et la violence, n’est-ce pas ?

R : Vraiment ? Disons que mon originalité réside peut-être dans ma démarche qui consiste à étudier le système scolaire

certes, mais du point de vue des élèves. Au fond, quand on observe la sociologie de l’école, on s’aperçoit qu’il s’agit très

souvent d’une sociologie qui fait des séries statistiques sur l’orientation, la sélection, etc… mais il y a très peu de temps que

la sociologie de l’éducation s’intéresse aux élèves, c’est-à-dire à la manière dont les élèves construisent leur expérience, leur

métier, à ce qu’ils attendent… Oui, c’est vrai que je suis heureux d’avoir été probablement, sinon le premier, du moins un des

premiers à m’être intéressé aux élèves.

Q : Vous êtes venu assurer dans l’académie plusieurs formations autour du thème « L’évolution de l’école, de ses

missions, de ses publics et de ses enseignants ». Quel est votre message aux enseignants ?

R : Ce que j’essaie surtout de dire aux enseignants, c’est une chose extrêmement simple : il faut arrêter de penser l’école en

termes de crise. Il faut arrêter de penser que l’école a eu une sorte d’âge d’or et que, depuis 20 ans, 30 ans tout se casse la

figure, que tout va de plus en plus mal, que le niveau baisse, que les élèves sont de plus en plus mauvais… Je crois que c’est

faux ; non pas parce que les choses vont bien, mais parce que l’école a totalement changé de nature. C’est à dire que l’école

de masse, ce n’est pas l’école ancienne en plus grand ; c’set une autre école. Au fond, cette école-là appelle d’autres manières

de travailler.

Q : Vous êtes l’auteur d’un ouvrage récent, paru en janvier 1997 sur « la famille et l’école : le malentendu ».

R : Le malentendu, c’est que l’école attend de plus en plus des parents. L’école attend que les parents soient de plus en plus

compétents, de plus en plus capables d’aider les enfants, de les encadrer, de les stimuler. En même temps, l’école n’est pas

capable de dire aux parents ce qu’elle attend d’eux. Le malentendu est là : au fond, l’école attend des parents qu’ils se

comportent comme des enseignants-parents.

Q : Quelles conclusions pour l’école, alors ?

R : Je crois qu’il faut que l’école de masse comprenne qu’elle doit sortir de cet isolement un peu aristocratique qui a souvent

été le sien.

Q : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

R : Je viens de terminer un livre de théorie sociologique intitulé « Dans quelle société vivons-nous ? » qui devrait paraître la

semaine prochaine.

Mais je pense que pendant les 2 ou 3 ans qui viennent, je ne vais pas faire de sociologie.

Q : Vraiment ?

R : Je suis chargé de la Direction des sciences sociales au ministère de l’Education nationale.

Propos recueillis par : Jean-Pierre MAURICE (publication du 20 février 1998)

RECTORAT MARTINIQUE HEBDO FLASH

Publication du bureau de la Communication. Rédaction : Jean-Pierre MAURICE / Cabinet du Recteur

Comité de rédaction : Serge Michel FOUCHE, Daniel WENDOLOWSKI, Jean-Pierre MAURICE

Réalisation : Atelier de Reprographie du Rectorat