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Page 1: Régurgitation tricuspide dans les suites de l’implantation d’un défibrillateur automatique : à propos d’un cas et revue de la littérature

24 AMC pratique � n°224 � janvier 2014

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© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

CAS CLINIQUE

Introduction

La mise en place percutanée de stimulateurs et défibrillateurs est un traitement de choix des bradycardies et troubles du rythme ventricu-laire. Le passage transvalvulaire de sondes de stimulation ou défibrillation peut avoir un rôle délétère pour l’appareil valvulaire tricuspide [1]. Les régurgitations tricuspides qui en résul-tent sont le plus souvent minimes à modérées. Des régurgitations sévères sont parfois obser-vées, pouvant être à l’origine d’une insuffi-sance ventriculaire droite [2]. L’imputabilité des sondes endocavitaires est parfois difficile à démontrer en échocardiographie bidimension-nelle et l’échocardiographie tridimensionnelle transthoracique peut être utile pour préciser le mécanisme de la régurgitation [3]. Nous rap-portons le cas d’une patiente de 70 ans pour laquelle l’ajout d’une sonde de défibrillation a aggravé une fuite tricuspide et entraîné une insuffisance ventriculaire droite.

Observation

Une patiente de 70 ans est admise en octobre 2012 dans notre service pour insuffi-sance ventriculaire droite. En raison d’une car-diomyopathie hypertrophique compliquée de troubles du rythme ventriculaire syncopaux, un défibrillateur double chambre avait été implanté en 2005. Le premier remplacement de boîtier a été réalisé en mai 2010. Il existait alors une régurgitation tricuspide grade I en préopératoire. Au cours de cette procédure,

une nouvelle sonde de défibrillation est ajou-tée en raison d’une lésion du conducteur de la précédente sonde. La première sonde de défi-brillation est laissée en place.La patiente présente un premier épisode d’in-suffisance cardiaque quatre mois plus tard, d’évolution favorable sous traitement médical.Elle présente par la suite une aggravation de sa symptomatologie (dyspnée et œdèmes des membres inférieurs) en dépit d’une majora-tion progressive du traitement diurétique. Elle est admise dans notre service en octobre 2012 pour décompensation cardiaque.L’examen clinique initial met en évidence de volumineux œdèmes des membres inférieurs avec, à l’auscultation, un souffle systolique sous xiphoïdien se majorant à l’inspiration.L’échocardiographie transthoracique met en évidence une hypertrophie asymétrique ven-triculaire gauche non obstructive avec une fonction systolique segmentaire et globale conservée. Les cavités droites sont sévèrement dilatées, avec une fonction systolique ventricu-laire droite altérée et la veine cave inférieure, également dilatée, ne présente pas de variation inspiratoire de son diamètre. La pression arté-rielle pulmonaire n’est pas estimable. L’anneau tricuspide est dilaté et mesuré à plus de 40 mm en coupe parasternale grand axe en télédias-tole. L’analyse des mouvements des feuillets valvulaires met en évidence une limitation des mouvements du feuillet valvulaire septal, semblant contraint par les sondes de défibrilla-tion et un défaut de coaptation central des feuillets tricuspides, avec une régurgitation tricuspide excentrée sévère (figures 1, 2 et 3).

J.-P. Labbé, E. Brochet, F. Extramiana, A. Messali, A. LeenhardtService de cardiologie, Centre de référence maladies cardiaques héréditaires, Hôpitaux universitaires Paris-Nord Val-de-Seine, Hôpital Bichat, [email protected]

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contraire une absence de retentissement écho-cardiographique sur les fuites tricuspides [6, 7].Le pronostic de ces régurgitations iatrogènes reste à préciser, faute de données prospectives sur le sujet. Néanmoins, il est désormais démon-tré que la sévérité des fuites tricuspides est asso-ciée à une mortalité accrue, indépendamment de la fraction d’éjection ventriculaire gauche et de la pression artérielle pulmonaire [8]. Plusieurs mécanismes, possiblement intriqués, ont été proposés pour préciser l’origine de ces régurgitations. Les sondes de stimulation et défibrillation peuvent ainsi être à l’origine de

La surface de l’oreillette droite est mesu-rée à 30 cm², suggérant une dilatation de celle-ci.Le traitement médical est majoré, avec un recours transitoire aux diurétiques intravei-neux et l’évolution est favorable sur le plan cardiologique. L’état général de la patiente étant par ailleurs fortement altéré, avec la survenue secondaire d’une neuropathie dégénérative, une prise en charge chirurgi-cale avec extraction du matériel endocavi-taire ne peut être envisagée.

Discussion

Les interactions entre les sondes de stimulation ou de défibrillation endocavitaires et l’appareil tricuspide peuvent être à l’origine de régurgi-tations valvulaires. Leur fréquence de survenue et leur sévérité sont variables selon les séries, notamment en raison d’une grande hétérogé-néité dans le mode d’évaluation des régurgita-tions. Dans une série rétrospective portant sur 374 patients, les sondes endocavitaires de sti-mulation cardiaque seraient à l’origine d’une incidence accrue de 7,2 % des régurgitations tricuspides modérées à sévères, comparative-ment à une population témoin [4]. Dans une série prospective de 248 patients, Kim et al. rapportent une augmentation d’un grade ou plus de la régurgitation tricuspide dans 24 % des cas [5]. D’autres auteurs rapportent au

Figure 3. Coupe sous costale, Doppler couleur : jet de régurgitation tricuspide massive.

Figure 2. Echographie 3D transthoracique : feuillet valvulaire septal contraint par l’une des 2 sondes de défibrillation.

Figure 1. Coupe apicale 4 cavités orientée sur les cavités droites en Doppler couleur : jet de régurgitation tricuspide massive.

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perforation [9] ou lacération [1] des feuillets valvulaires, d’une fibrose adhérente à l’appareil valvulaire ou sous valvulaire et à l’origine d’un défaut de coaptation [10]. D’autres auteurs attribuent ces régurgitations à un rôle délétère de la stimulation cardiaque, par le biais d’un asynchronisme mécanique ou d’une modifica-tion de la géométrie ventriculaire droite [11].Le diagnostic doit être suspecté en cas d’appari-tion de signes d’insuffisance ventriculaire droite ou d’auscultation d’un nouveau souffle systo-lique au niveau xiphoïdien. Il peut être confirmé par la réalisation d’une échocardiographie transthoracique, voire transœsophagienne mais il est parfois difficile de préciser le mécanisme à l’origine de la régurgitation notamment en raison des artéfacts acoustiques liés aux sondes endocavitaires. L’échocardiographie tridimen-sionnelle peut être utile pour préciser le type d’interférence entre la sonde ventriculaire et la valve tricuspide, en réduisant les artéfacts acous-tiques, et en permettant parfois la visualisation simultanée des trois feuillets valvulaires [12]. Les régurgitations qui en résultent sont parfois sévères, pouvant être responsables d’insuffi-sance ventriculaire droite et une extraction de la sonde ou des sondes en cause doit alors être envisagée. L’extraction percutanée suivie d’une réimplantation endovasculaire est par-fois possible [13], mais cette procédure peut aussi être à l’origine de régurgitation tricus-pide iatrogène. Une prise en charge chirurgi-cale est parfois nécessaire, comprenant selon les cas la réalisation d’une réparation valvu-laire, d’une annuloplastie tricuspide, voire d’un remplacement valvulaire, associé à la mobilisation ou à l’extraction de la ou des sondes en place [2]. Le degré de dilatation annulaire tricuspide pourrait être associé à une incidence accrue de régurgitation persistante après extraction seule du matériel endocavi-taire, mais des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer l’efficacité d’ap-proches combinées médico-chirurgicales [14].

Conclusion

L’implantation percutanée de sondes de sti-mulation ou défibrillation peut être à l’origine d’une régurgitation tricuspide parfois sévère et pouvant entraîner une insuffisance cardiaque.

Le diagnostic doit être suspecté à l’examen cli-nique et une échocardiographie orientée sur les interactions entre les sondes endocavitaires et la valve tricuspide doit alors être réalisée. L’échocardiographie tridimensionnelle peut être un outil complémentaire pour affirmer l’imputabilité des sondes endocavitaires dans la dysfonction valvulaire. Dans les cas les plus sévères, l’extraction des sondes en cause doit être envisagée et une correction chirurgicale peut être nécessaire.

Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

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tricuspid valve regurgitation due to permanent pacemaker or implantable cardioverter-defibrillator leads. J Am Coll Cardiol 2005;45:1672-5.

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[4] Paniagua D, Aldrich HR, Lieberman EH, et al. Increased prev-alence of significant tricuspid regurgitation in patients with transvenous pacemakers leads. Am J Cardiol 1998;82:1130-2.

[5] Kim JB, Spevack DM, Tunick PA, et al. The effect of transvenous pacemaker and implantable cardioverter defibrillator lead placement on tricuspid valve function: an observational study. J Am Soc Echocardiogr 2008;21:284-7.

[6] Leibowitz DW, Rosenheck S, Pollak A, et al. Transvenous pace-maker leads do not worsen tricuspid regurgitation: a prospec-tive echocardiographic study. Cardiology 2000;93:74-7.

[7] Kucukarslan N, Kirilmaz A, Ulusoy E, et al. Tricuspid insuffi-ciency does not increase early after permanent implantation of pacemaker leads. J Card Surg 2006;21:391-4.

[8] Nath J, Foster E, Heidenreich PA. Impact of tricuspid regurgita-tion on long-term survival. J Am Coll Cardiol 2004;43:405-9.

[9] Petterson SR, Singh JB, Reeves G, et al. Tricuspid valve perfo-ration by endocardial pacing electrode. Chest 1973;63:125-6

[10] Chen TE, Wang CC, Chern MS, et al. Entrapment of permanent pacemaker lead as the cause of tricuspid regurgitation. Circulation J 2007;71:1169-71.

[11] Krupa W, Kozlowski D, Derejko P, et al. Permanent cardiac pacing and its influence on tricuspid valve function. Folio Morphol 2001;60:249-57.

[12] Nucifora G, Badano LP, Allocca G, et al. Severe tricuspid regur-gitation due to entrapment of the anterior leaflet of the valve by a permanent pacemaker lead: role of real time three dimen-sional echocardiography. Echocardiography 2007;24:649-52.

[13] Polewczyk A, Kutarski A, Tomaszewski A, et al. Lead depen-dent tricuspid dysfunction: analysis of the mechanism and management in patients referred for transvenous lead extrac-tion. Cardiol J 2013;20:402-10.

[14] Nazmul MN, Cha YM, Lin G, et al. Percutaneous pacemaker or implantable cardioverter-defibrillator lead removal in an attempt to improve symptomatic tricuspid regurgitation. Europace 2013;15:409-13.