réguler la télévision payante : l’exemple britannique a · réguler la télévision payante :...

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Éditoriaux & opinions VENDREDI 30 SEPTEMBRE 2011 - LA TRIBUNE PAGE 30 BSkyB possède une base de plus de 10 millions d’abonnés. REUTERS OLIVIER HERAUT Par FRÉDÉRICK AMIEL Avocat à la cour, Mayer Brown Point de vue A u moment où l’Auto- rité de la concurrence française vient de reti- rer la décision d’auto- risation du rachat de TPS par Canal Plus et où ce der- nier va être obligé de le notifier à nouveau, la question de la bonne régulation du secteur de la télévi- sion payante se pose avec acuité. Faut-il imposer à Canal Plus les mêmes engagements qu’en 2006 ou profiter de cette renotification pour en imposer de nouveaux ? Dans sa recherche, l’Autorité de la concurrence pourrait s’inspirer de l’expérience britannique. Comme en France, le paysage anglais de la télévision payante est articulé autour d’un acteur domi- nant, BSkyB, dont le principal ac- tionnaire est le groupe News Corp. de Rupert Murdoch, et d’un cer- tain nombre de concurrents, com- me le câblo-opérateur Virgin et l’opérateur de télécommunications British Telecom. En 2009, l’Of- com, le gendarme britannique de l’audiovisuel et des télécoms, avait obligé BSkyB à mettre à la dispo- sition de tous les distributeurs ses propres chaînes sport et cinéma : Sky Sports… Cette injonction re- posait sur le constat que les offres concurrentes de BSkyB n’étaient pas assez concurrentielles. Rappe- lons qu’en France l’Autorité de la concurrence avait, lors de l’examen du rachat de TPS par Canal Plus, refusé d’imposer une telle obli- gation, estimant que Canal Plus devait tirer les bénéfices de ses ris- ques industriels. Deux années plus tard, la Competition Commission, l’un des gendarmes de la concur- rence britanniques, livre une ana- lyse implacable. Elle relève que BSkyB détient depuis vingt ans les droits de diffusion des films de l’ensemble des majors hollywoo- diennes et de certains studios américains. Or ces films s’avèrent essentiels pour créer des chaînes payantes attractives et, par voie de conséquence, constituer des trois conséquences dommagea- bles pour le consommateur. Tout d’abord, les prix d’abonnement à BSkyB sont élevés en raison de l’absence de toute véritable concurrence. Ensuite, les inno- vations sont peu nombreuses, comme tend à le démontrer le développement limité des servi- ces de vidéo à la demande. Enfin, l’offre se révèle actuellement peu étoffée. La Competition Com- mission considère que la position bouquets de chaînes payantes concurrentiels. Cette situation ap- paraît actuellement difficilement réversible, puisque BSkyB possè- de une base de plus de 10 millions d’abonnés. Aussi BSkyB peut-il investir des sommes importantes dans l’ac- quisition de films, ayant la certi- tude de les amortir. À l’inverse, ses concurrents ne peuvent se permettre des achats d’un mon- tant aussi élevé, sauf à prendre des risques économiques démesu- rés. La Competition Commission estime que la situation actuelle a Réguler la télévision payante : l’exemple britannique dominante de BSkyB ne sera pas contestée à moyen terme, mal- gré l’arrivée de nouveaux acteurs (opérateurs de l’Internet…) et la commercialisation de nouveaux modes de consommation (té- lévision de rattrapage…). Elle propose donc d’imposer deux obligations à BSkyB. D’une part, limiter le nombre de majors auprès desquelles BSkyB pourra acheter les droits de diffusion de films payants. D’autre part, quand BSkyB a obtenu l’ensem- ble des droits de diffusion des films en exclusivité, elle devra partager les droits en vidéo à la demande avec ses concurrents, afin de permettre l’apparition de nouveaux services. Cette analyse diverge de celle de l’Autorité de la concurrence française. En effet, dans son avis de 2006 relatif au rachat de TPS par Canal Plus, le gendarme de la concurrence avait envisagé les dif- férents modèles industriels pou- vant être adoptés par les acteurs de la télévision payante. Elle avait estimé qu’il ne serait pas pertinent que deux ou plusieurs acteurs dé- tiennent l’ensemble des droits de diffusion des films, des séries ou des sports les plus attractifs. En effet, ces droits seraient alors écla- tés entre les différentes offres. Dès lors, les consommateurs seraient dans l’obligation de s’abonner à l’ensemble des bouquets pour ac- céder aux programmes les plus intéressants. Or la Competition Commission parvient à la conclu- sion inverse, puisqu’elle semble se diriger vers la remise en cause de la situation actuelle, à savoir la dé- tention par un unique acteur des droits payants des films les plus attractifs. Rappelons qu’en France, lors du rachat de TPS, Bercy avait accepté un engagement moins sé- vère, selon lequel Canal Plus limi- tait seulement à trois années la du- rée de ses contrats avec les majors américaines. La Commission européenne avait déjà tenté de réserver une partie des droits au profit de la concur- rence, cette fois dans le football. Une décision peu opérante. Certes, un concurrent irlandais, la société Sétanta, était entrée sur le marché. Mais elle a fait faillite quelques an- nées plus tard, n’ayant pas réussi à amortir le coût d’acquisition des droits de diffusion des matchs de football.

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Éditoriaux & opinionsVendredi 30 septembre 2011 - La tribune

page 30

Sous la double pression des réseaux sociaux et du mobile, ne serait-on pas en train d’assister à l’émergence d’une nouvelle génération de l’Internet ?

BSkyB possède une base de plus de 10 millions d’abonnés.

REUT

ERS

dR

OliviER HERaUT

Par XaVier pauLik� PDG de Tiki’labs

Point de vue

Avec Google, le nouveau Web

passe par l’individu L

e premier virage effectué par Google n’a pas tou-ché directement les per-sonnes mais tout l’éco-système du Web. Pour

la première fois, Google a modifié profondément ses algorithmes de recherche, avec une nouvelle ver-sion du moteur de recherche : Pan-da. Le résultat a été spectaculaire : certains sites aux États-Unis ont perdu 90 % de leur trafic du jour au lendemain.

Pourquoi ce mouvement ris-qué ? Google, sous la pression de Facebook, a intégré la dimension « sociale » du Web et tenté d’in-troduire une dimension plus qua-litative à son moteur de recherche. Devant la prolifération d’informa-tions, Google a dû tenir compte de ce tri « naturel » sous peine de perdre en pertinence et, par consé-quent, sa place de premier agent de renseignements universel, déjà convoitée par Facebook. Exit donc les sites qui se contentaient de res-servir des articles piochés ailleurs

grante de son service. Google+ est le deuxième volet de la riposte de Google à Facebook. La puissance de Google et la connaissance qu’il a déjà emmagasinée sur nous (via nos contacts gmail, notre naviga-tion Web ou encore l’utilisation de smartphones Android) lui per-mettent d’afficher une croissance vertigineuse et donnent à chacun la possibilité de reconstituer en très peu de temps son réseau pro-fessionnel ou personnel dans le « superrépertoire Google+ ». La question étant : dans quel but ? Les premiers utilisateurs déçus in-diquent qu’ils ne font aujourd’hui que répliquer Facebook et parta-ger leurs informations sur deux médias au lieu d’un. En fait, ce que veut Google aujourd’hui, c’est reconstituer la base de données des personnes ! On peut déjà d’un clic éviter de ressaisir ses données de profils sur de nombreux sites via Facebook Connect ou Goo-gle. Demain, un compte Google+ pourrait permettre de passer ou recevoir des appels, faire des paie-

sur le Web, Google veut donner la primeur à la source de l’infor-mation… avec plus ou moins de succès, car il arrive que la copie de l’article soit plus diffusée que l’ori-ginal ! Avec Panda, cette dimen-sion à la fois temporelle et person-nelle de l’information, que Google avait commencé à introduire avec Twitter, fait désormais partie inté-

ments, gérer ses comptes, etc., autant d’activités lucratives pour Google, surtout si elles transitent par un mobile… Android !

Cependant, le virage de Google est plus fondamental. En effet, nous accédons à de plus en plus d’informations véhiculées par les personnes : au travers de recom-mandations via les réseaux so-ciaux, en suivant les avis sur les produits que nous achetons, etc. De plus en plus souvent, une ren-contre physique est précédée par une « prise de contact virtuelle ». La connaissance de l’identité de l’internaute et son « e-réputation » sont donc de plus en plus essentiel-les. Or, il existe peu d’informations « authentifiées » sur nous. Il suffit, par exemple, de taper son propre nom dans Google pour s’aperce-voir que les moteurs de recherche comme les réseaux sociaux ne sont pas capables, seuls, de trier la bon-ne information ni d’en authenti-fier la source. La tentative de Goo-gle est stratégique : se positionner comme le tiers qui authentifie la personne et à qui nous confions nos « vraies » données, qu’il peut ensuite exploiter à sa guise. Au-delà de Google+, il est clair que le « nouveau » Web passera par les individus ! Aujourd’hui, la nou-velle génération de plates-formes « .me » qui émerge permet désor-

mais à chacun d’entre nous d’être son propre producteur et diffuseur de contenu, sous sa propre iden-tité, et de reprendre ainsi la main sur son look numérique en triant et mettant en scène les informa-tions qu’il veut montrer de lui.

Les mouvements de Google depuis cet été dépassent donc la simple riposte à Facebook. Un nouveau moteur de recherche, un réseau social qui tient plus de l’an-nuaire, la mainmise sur la division mobile et les brevets de Motorola qui pourraient accentuer la domi-nation d’Android… Sous la double pression des réseaux sociaux et du mobile, ne serait-on pas en train d’assister à l’émergence d’une nouvelle génération de l’Internet centrée sur l’individu ? Exit la gé-nération « .com », bienvenue à la génération « .me » !

Par Frédérick� amieL Avocat à la cour, Mayer Brown

Point de vue

Au moment où l’Auto-rité de la concurrence française vient de reti-rer la décision d’auto-risation du rachat de

TPS par Canal Plus et où ce der-nier va être obligé de le notifier à nouveau, la question de la bonne régulation du secteur de la télévi-sion payante se pose avec acuité. Faut-il imposer à Canal Plus les mêmes engagements qu’en 2006 ou profiter de cette renotification pour en imposer de nouveaux ? Dans sa recherche, l’Autorité de la concurrence pourrait s’inspirer de l’expérience britannique.

Comme en France, le paysage anglais de la télévision payante est articulé autour d’un acteur domi-nant, BSkyB, dont le principal ac-tionnaire est le groupe News Corp. de Rupert Murdoch, et d’un cer-tain nombre de concurrents, com-me le câblo-opérateur Virgin et l’opérateur de télécommunications British Telecom. En 2009, l’Of-com, le gendarme britannique de l’audiovisuel et des télécoms, avait obligé BSkyB à mettre à la dispo-sition de tous les distributeurs ses propres chaînes sport et cinéma : Sky Sports… Cette injonction re-posait sur le constat que les offres concurrentes de BSkyB n’étaient pas assez concurrentielles. Rappe-lons qu’en France l’Autorité de la concurrence avait, lors de l’examen du rachat de TPS par Canal Plus, refusé d’imposer une telle obli-gation, estimant que Canal Plus devait tirer les bénéfices de ses ris-

ques industriels. Deux années plus tard, la Competition Commission, l’un des gendarmes de la concur-rence britanniques, livre une ana-lyse implacable. Elle relève que BSkyB détient depuis vingt ans les droits de diffusion des films de l’ensemble des majors hollywoo-diennes et de certains studios américains. Or ces films s’avèrent essentiels pour créer des chaînes payantes attractives et, par voie de conséquence, constituer des

trois conséquences dommagea-bles pour le consommateur. Tout d’abord, les prix d’abonnement à BSkyB sont élevés en raison de l’absence de toute véritable concurrence. Ensuite, les inno-vations sont peu nombreuses, comme tend à le démontrer le développement limité des servi-ces de vidéo à la demande. Enfin, l’offre se révèle actuellement peu étoffée. La Competition Com-mission considère que la position

bouquets de chaînes payantes concurrentiels. Cette situation ap-paraît actuellement difficilement réversible, puisque BSkyB possè-de une base de plus de 10 millions d’abonnés.

Aussi BSkyB peut-il investir des sommes importantes dans l’ac-quisition de films, ayant la certi-tude de les amortir. À l’inverse, ses concurrents ne peuvent se permettre des achats d’un mon-tant aussi élevé, sauf à prendre des risques économiques démesu-rés. La Competition Commission estime que la situation actuelle a

Réguler la télévision payante : l’exemple britannique

dominante de BSkyB ne sera pas contestée à moyen terme, mal-gré l’arrivée de nouveaux acteurs (opérateurs de l’Internet…) et la commercialisation de nouveaux modes de consommation (té-lévision de rattrapage…). Elle propose donc d’imposer deux obligations à BSkyB. D’une part, limiter le nombre de majors auprès desquelles BSkyB pourra acheter les droits de diffusion de films payants. D’autre part, quand BSkyB a obtenu l’ensem-ble des droits de diffusion des films en exclusivité, elle devra partager les droits en vidéo à la

demande avec ses concurrents, afin de permettre l’apparition de nouveaux services.

Cette analyse diverge de celle de l’Autorité de la concurrence française. En effet, dans son avis de 2006 relatif au rachat de TPS par Canal Plus, le gendarme de la concurrence avait envisagé les dif-férents modèles industriels pou-vant être adoptés par les acteurs de la télévision payante. Elle avait estimé qu’il ne serait pas pertinent que deux ou plusieurs acteurs dé-tiennent l’ensemble des droits de diffusion des films, des séries ou des sports les plus attractifs. En effet, ces droits seraient alors écla-tés entre les différentes offres. Dès lors, les consommateurs seraient dans l’obligation de s’abonner à l’ensemble des bouquets pour ac-céder aux programmes les plus intéressants. Or la Competition

Commission parvient à la conclu-sion inverse, puisqu’elle semble se diriger vers la remise en cause de la situation actuelle, à savoir la dé-tention par un unique acteur des droits payants des films les plus attractifs. Rappelons qu’en France, lors du rachat de TPS, Bercy avait accepté un engagement moins sé-vère, selon lequel Canal Plus limi-tait seulement à trois années la du-rée de ses contrats avec les majors américaines.

La Commission européenne avait déjà tenté de réserver une partie des droits au profit de la concur-rence, cette fois dans le football. Une décision peu opérante. Certes, un concurrent irlandais, la société Sétanta, était entrée sur le marché. Mais elle a fait faillite quelques an-nées plus tard, n’ayant pas réussi à amortir le coût d’acquisition des droits de diffusion des matchs de football.