pli rétinien bilatéral et forte hypermétropie familiale, à propos d’un cas

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Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, e177—e179 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com LETTRE À L’ÉDITEUR Pli rétinien bilatéral et forte hypermétropie familiale, à propos d’un cas Bilateral retinal folds and familial high hyperopia: A case report Nous rapportons le cas d’un enfant de quatre ans, adressé pour une amblyopie bilatérale et un aspect anormal du fond d’œil. Il s’agit du premier enfant d’une fratrie de deux, de parents non consanguins, la grossesse et l’accouchement ont été normaux ; il n’a aucun autre antécédent, ni notion de traumatisme crânien ou d’inflammation oculaire. Une forte hypermétropie est observée chez sa mère avec +6D et +3D tandis que son père n’a pas de trouble réfractif. Le premier fils est très hypermétrope à +16D et le fils cadet est égale- ment fortement hypermétrope avec +10D de chaque côté. À l’examen, l’acuité est limitée à 3/10, R10 à droite et 2/10, R8 à gauche. Les segments antérieurs sont normaux. Au fond d’œil, il existe un pli rétinien de localisation macu- laire, bilatéral (Fig. 1 et 2). Ces plis ne s’accompagnent d’aucun pigment. D’une longueur d’environ 3 mm, ils n’intéressent pas la papille et respectent une partie de l’aire maculaire. L’OCT (Fig. 3 et 4) maculaire objective les plis du neuro-épithélium et l’intégrité de l’épithélium pigmentaire sous-jacent. La biométrie permet de mesurer une longueur axiale courte, de 15 mm pour les deux yeux ; l’échographie en mode B montre une sclère épaisse (Fig. 5). Les plis rétiniens chez l’enfant sont des entités rares pouvant néanmoins s’inscrire dans différents cadres noso- logiques. Leur aspect est relativement spécifique selon les différentes étiologies. Par ordre de fréquence décroissant, ce sont : les traumatismes crâniens ; la chirurgie de décollement de rétine ; le syndrome du pli rétinien congénital ; certaines vitréo-rétinopathies ; la prématurité ; la microphtalmie postérieure [1]. Le texte de cet article est également publié en intégralité sur le site de formation médicale continue du Journal franc ¸ais d’ophtalmologie http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Clinique » (consultation gratuite pour les abonnés). Le principal diagnostic différentiel d’un pli rétinien est le pli choroïdien qui donne un aspect froissé du pôle postérieur voire de la périphérie. En OCT, les plis choroïdiens impliquent l’épithélium pigmentaire [2]. La microphtalmie postérieure est une cause rare de pli réti- nien papillo-maculaire bilatéral congénital. La majorité des microphtalmies affecte harmonieusement les segments antérieur et postérieur. La microphtalmie postérieure est définie par un segment antérieur, une cornée et un cristallin normaux avec un segment postérieur d’une longueur axiale totale (sclère incluse) trop courte (< 21 mm). Le diagnos- tic de microphtalmie postérieure est généralement tardif car l’aspect des globes oculaires est cliniquement normal. Au fond d’œil, un pli papillomaculaire n’est observé que dans 70 % des cas [1]. Il peut également exister un épais- sissement fovéolaire par absence de dépression fovéolaire [3]. Les analyses récentes en OCT de type spectral domain montrent que seules les couches internes de la rétine sont touchées par le pli [4] et révèlent la présence de logettes cystoïdes aux dépens de la couche nucléaire interne de la rétine [5]. Une nouvelle explication physiopatholo- gique concernant la constitution des plis rétiniens chez les microphtalmes postérieurs a donc été proposée : les plis seraient liés à une croissance différentielle des vaisseaux rétiniens qui seraient distribués en avant des éléments neu- ronaux de la rétine, ce qui créerait un pli n’impliquant Figure 1. Rétinographie droite : pli maculaire droit. 0181-5512/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.03.013

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Page 1: Pli rétinien bilatéral et forte hypermétropie familiale, à propos d’un cas

Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, e177—e179

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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msldgmseraient liés à une croissance différentielle des vaisseauxrétiniens qui seraient distribués en avant des éléments neu-ronaux de la rétine, ce qui créerait un pli n’impliquant

LETTRE À L’ÉDITEUR

Pli rétinien bilatéral et fortehypermétropie familiale,à propos d’un cas�

Bilateral retinal folds and familial high hyperopia:A case report

Nous rapportons le cas d’un enfant de quatre ans, adressépour une amblyopie bilatérale et un aspect anormal du fondd’œil. Il s’agit du premier enfant d’une fratrie de deux, deparents non consanguins, la grossesse et l’accouchement ontété normaux ; il n’a aucun autre antécédent, ni notion detraumatisme crânien ou d’inflammation oculaire. Une fortehypermétropie est observée chez sa mère avec +6D et +3Dtandis que son père n’a pas de trouble réfractif. Le premierfils est très hypermétrope à +16D et le fils cadet est égale-ment fortement hypermétrope avec +10D de chaque côté.

À l’examen, l’acuité est limitée à 3/10, R10 à droite et2/10, R8 à gauche. Les segments antérieurs sont normaux.Au fond d’œil, il existe un pli rétinien de localisation macu-laire, bilatéral (Fig. 1 et 2). Ces plis ne s’accompagnentd’aucun pigment. D’une longueur d’environ 3 mm, ilsn’intéressent pas la papille et respectent une partie de l’airemaculaire. L’OCT (Fig. 3 et 4) maculaire objective les plis duneuro-épithélium et l’intégrité de l’épithélium pigmentairesous-jacent. La biométrie permet de mesurer une longueuraxiale courte, de 15 mm pour les deux yeux ; l’échographieen mode B montre une sclère épaisse (Fig. 5).

Les plis rétiniens chez l’enfant sont des entités rarespouvant néanmoins s’inscrire dans différents cadres noso-logiques. Leur aspect est relativement spécifique selon lesdifférentes étiologies. Par ordre de fréquence décroissant,ce sont :• les traumatismes crâniens ;• la chirurgie de décollement de rétine ;• le syndrome du pli rétinien congénital ;• certaines vitréo-rétinopathies ;

• la prématurité ;• la microphtalmie postérieure [1].

� Le texte de cet article est également publié en intégralitésur le site de formation médicale continue du Journal francaisd’ophtalmologie http://www.e-jfo.fr, sous la rubrique « Clinique »(consultation gratuite pour les abonnés). F

0181-5512/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droitshttp://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.03.013

Le principal diagnostic différentiel d’un pli rétinienst le pli choroïdien qui donne un aspect froissé duôle postérieur voire de la périphérie. En OCT, les plishoroïdiens impliquent l’épithélium pigmentaire [2]. Laicrophtalmie postérieure est une cause rare de pli réti-

ien papillo-maculaire bilatéral congénital. La majoritées microphtalmies affecte harmonieusement les segmentsntérieur et postérieur. La microphtalmie postérieure estéfinie par un segment antérieur, une cornée et un cristallinormaux avec un segment postérieur d’une longueur axialeotale (sclère incluse) trop courte (< 21 mm). Le diagnos-ic de microphtalmie postérieure est généralement tardifar l’aspect des globes oculaires est cliniquement normal.u fond d’œil, un pli papillomaculaire n’est observé queans 70 % des cas [1]. Il peut également exister un épais-issement fovéolaire par absence de dépression fovéolaire3].

Les analyses récentes en OCT de type spectral domainontrent que seules les couches internes de la rétine

ont touchées par le pli [4] et révèlent la présence deogettes cystoïdes aux dépens de la couche nucléaire internee la rétine [5]. Une nouvelle explication physiopatholo-ique concernant la constitution des plis rétiniens chez lesicrophtalmes postérieurs a donc été proposée : les plis

igure 1. Rétinographie droite : pli maculaire droit.

réservés.

Page 2: Pli rétinien bilatéral et forte hypermétropie familiale, à propos d’un cas

e178 Lettre à l’éditeur

Figure 2. Rétinographie gauche : pli maculaire gauche.

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Figure 5. Échographie en mode B montrant un aspect de sclèreéd

igure 3. OCT maculaire droit (time domain) : pli rétinien droitvec respect de l’épithélium pigmentaire.

ue les couches internes de la rétine. Les autres anoma-ies du segment postérieur pouvant s’inscrire dans le cadree la microphtalmie postérieure sont des plis chorioréti-iens, un syndrome d’effusion uvéale, un épaississementcléro-choroïdien, une rétinopathie pigmentaire, des trousaculaires ou encore un pseudo-œdème maculaire [6,7].Sur le plan génétique, trois gènes ont récemment été

eliés à la nanophtalmie (définie par un œil harmonieuse-ent court, une longueur axiale inférieure à 16 mm, des

hambres antérieures étroites et une sclère épaisse) et àa microphtalmie postérieure : MFRP, PRSS56 et CRB1. Dans

es trois cas, il s’agissait de transmissions récessives autoso-iques. Le gène PRSS56 a pu être identifié dans des familles

rès consanguines des îles Faroe [8]. Le gène MFRP a été

igure 4. OCT maculaire gauche (time domain) : pli rétinienauche avec respect de l’épithélium pigmentaire.

impegr

dcmnfàm

d

paisse. A. Coupe horizontale de l’œil droit. B. Coupe horizontalee l’œil gauche.

dentifié dans trois pathologies différentes : la nanophtal-ie, le syndrome associant microphtalmie et rétinopathieigmentaire et la microphtalmie postérieure [9]. Enfin, Paunt al. [10] ont récemment identifié des mutations dans leène CRB1 dans une famille atteinte de nanophtalmie avecétinopathie pigmentaire et drusens du nerf optique.

Dans notre observation, l’aîné de la fratrie est atteinte microphtalmie postérieure et l’absence de pli rétinienhez le frère cadet ne remet pas en cause le diagnostic deicrophtalmie postérieure puisque dans 30 % des cas celui-ci

’est pas présent. L’histoire familiale plaide donc plutôt enaveur d’une transmission autosomique dominante ou liée

l’X avec une mère conductrice et donc atteinte dans une

oindre mesure que ses fils.Une étude génétique familiale est en cours pour tester

ans un premier temps les gènes MFRP, CRB1 et PRSS56.

Page 3: Pli rétinien bilatéral et forte hypermétropie familiale, à propos d’un cas

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Microphtalmie postérieure avec plis rétiniens

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt enrelation avec cet article.

Références

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e179

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10] Paun CC, Pijl BJ, Siemiatkowska AM, Collin RW, Cremers FP,Hoyng CB, et al. A novel crumbs homolog 1 mutation in a familywith retinitis pigmentosa, nanophthalmos, and optic disc dru-sen. Mol Vis 2012;18:2447—53.

O. Xerri a,∗,b, C. Orssauda,b, M. Kaluszynera,J.-L. Dufiera, O. Rochea

a Centre de référence des maladies rares enophtalmologie, hôpital Necker—Enfants malades,

149, rue de Sèvres, 75015 Paris, Franceb Service d’ophtalmologie, hôpital européen

Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75015 Paris,France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (O. Xerri)

Disponible sur Internet le 8 aout 2013