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60 - pierreactual 2/2011 monumentfunéraire Plasticien, réalisateur, photographe... Wolfgang Natla- cen a dessiné le monument funéraire de sa mère en s’inspirant du rituel philippin qui consiste à célébrer les défunts en partageant un repas sur leur tombe. Une réalisation forte en symbolique, un témoignage d’amour, une aventure humaine, artistique et tech- nique. Momtomb ! C’est ainsi que Wolfgang Natla- cen a nommé le monument qu’il a créé pour sa mère, toujours en vie, et qui a été posé dans le petit cimetière de la commune de Mons-en-Montois (77), près de Provins. Jeune artiste plasticien, photographe et réalisateur de ci- néma, Wolfgang Natlacen a été fortement marqué par le pique-nique au cimetière par Claude Gargi L’inauguration festive de Momtomb dans le cimetière de Mons-en-Montois, petit bourg de Seine-et-Marne, situé non loin des villages de La Tombe et de Sigy... cela ne s’invente pas.

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monumentfunéraire

Plasticien, réalisateur, photographe... Wolfgang Natla-cen a dessiné le monument funéraire de sa mère ens’inspirant du rituel philippin qui consiste à célébrerles défunts en partageant un repas sur leur tombe.Une réalisation forte en symbolique, un témoignaged’amour, une aventure humaine, artistique et tech-

nique. Momtomb !C’est ainsi queWolfgang Natla-cen a nommé lemonument qu’il a

créé pour sa mère, toujours en vie, et qui a été posé dansle petit cimetière de la commune de Mons-en-Montois(77), près de Provins.Jeune artiste plasticien, photographe et réalisateur de ci-néma, Wolfgang Natlacen a été fortement marqué par le

pique-nique au cimetière par Claude Gargi

L’inauguration festive de Momtombdans le cimetière de Mons-en-Montois,petit bourg de Seine-et-Marne, situénon loin des villages de La Tombe etde Sigy... cela ne s’invente pas.

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décès de son père il y a quelques années à Mi-lan et notamment par les pratiques des entre-prises funéraires italiennes. Et lorsqu’il dé-couvre dans les cimetières de la capitale lom-barde des monuments créés par des artistescontemporains, il se persuade que lui aussipeut créer le monument familial.Des voyages chez un ami philippin lui font dé-couvrir le rituel local qui célèbre la mémoiredes défunts en organisant un repas sur leurtombe. C’est cette symbolique qu’il choisit dedécliner pour créer le monument qu’il destine àsa mère : un ensemble table-banc aux formesdouces.Ne restait plus qu’un détail à régler... expliquercette démarche à sa mère ! Surprise dans unpremier temps, elle s’approprie néanmoins leprojet, orientant même son fils sur le choix dessculptrices italiennes capables de réaliser leprojet.Dès lors, l’aventure de la fabrication pouvaitcommencer.La grand-mère maternelle de Wolfgang Natla-cen ayant vécu dans le village de Mons-en-Montois, c’est là qu’il décide d’acheter uneconcession, dans le petit cimetière qui entourel’église romane. Pour s’intégrer à l’environne-ment local, il choisit la pierre de Saint-Maximinpour réaliser le monument. Il trouvera auprèsde Frédéric Milleville de la carrière Ouachée-

Corpechot, un conseiller technique extrême-ment précieux. Il va choisir les blocs sur la car-rière et en récupère même un qui se destinait àla restauration de l‘église Saint-Sulpice. Lesblocs bruts sont expédiés dans le village et ins-tallés dans la cour du cinéma. Et pas n’impor-te quel cinéma, le plus petit cinéma d’art etd’essai de Seine-et-Marne. Là, des sculpteurset sculptrices venus directement d’Italie, semettent au travail à partir d’une maquette.Le village tout entier vit dès lors au rythme del’avancement du travail. Ce sont au total septmorceaux qui sont façonnés. La conceptionaurait pu permettre la réalisation d’un mono-lithe, mais la manutention de la pièce aurait étépérilleuse et son installation quasiment impos-sible de par la configuration du cimetière et deses accès.Car la pose a aussi été une aventure. Confiée àl’entreprise de marbrerie pompes funèbresBriois, elle a d’abord nécessité la mise enœuvre d’un caveau six places dont l’ouverturese fait par le devant, sous le gravier devant lemonument. La mise en œuvre d’IPN a été né-cessaire pour permettre de supporter lespierres et notamment la table sarcophage mo-nolithe. Wolfgang Natlacen y a participé, tout àla fois enthousiaste, inquiet et finalement sou-lagé par le bon travail réalisé.Le funéraire souffre souvent du manque d’im-

Momtomb, en pierre de Saint-Maximin au pied de l’égliseromane de Mons-en-Montois.

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monumentfunéraire pique-nique au cimetière

le moment tombe à pic«Ta tête de mort, c’est moi qui l’ai sculptée» Olivier Messiaen

Une mise en cèneEn bordure d’un champ, dans le poudroiementdes moissons, une table a été dressée avec ungrand soin, juste pour nous. Il n’est pas un coinqui n’ait été arrondi, poli ou adouci pour qu’au-tour de cette table nous puissions nous serrersans compter. La table est prête, au bout de larue de l’Eglise. Dans l’enclos de la paroisse mortede ce petit village en surplomb, nous avons unrendez-vous mystérieux entre les générations pasencore défuntes et celle dont nous faisons partienous-mêmes.Une forme joyeuse de profanation s’est invitée àMons-en-Montois, dont le cimetière a désormaisson banquet en pierre à la gloire des vivants etsur le dos des morts. Wolfgang Natlacen aura pristrois années de sa vie sans âge pour faire sortir lagrande idée de Momtomb d’un bloc de calcairepesant six tonnes. Trois années d’échanges com-plices entre lui et sa mère l’artiste PatriciaLegrand pour comprendre en acte ce que seraitun exemple édifiant de deuil anticipé abolissant lapompe du duel morose que nous entretenonsavec nos trépassés. Le fait d’associer le miam-miam au culte des morts rend compte en quelquesorte de notre insociable sociabilité par quoi ledeuil devient enfin digeste.On l’aura compris, Momtomb est tout sauf unetombe, plutôt l’alliance de l’art du deuil avec le“eat Art” ; un objet qui joint l’utile au désagrémentsuscité par la vie de ces farfadets importuns quesont les morts lesquels ont perdu depuislongtemps la bataille du silence dès lors que lesvivants les ont dépassés en nombre. Le bruit durepas a définitivement recouvert la nuit du repos.Notre communication avec les défunts est deve-

nue aujourd’hui beaucoup plus technique quecelle des anciens, nous ne les chantons pluscomme le faisaient les Grecs pour dire leur gloireet leur mémoire face à la terreur indicible ducadavre et de la décomposition. L’idéologiefunéraire n’apparaît plus comme cet écho où seredoublerait la société des vivants. Toutes lesgrandes civilisations du passé ont tenté d’ap-porter une variété de réponses au problème del’intégration sociale de la mort. Les Mésopota-miens avaient choisi l’inhumation comme pratiquefunèbre afin de pouvoir localiser leurs morts ;d’autres comme les Indiens ont choisi l’incinéra-tion et ne connaissent pas les sépultures, ils necreusent ni tombeaux ni cénotaphes, ils n’érigentaucun monument funéraire ; leurs morts ne dis-posent d’aucun espace ; ils n’occupent pas delieu où situer leur présence ; dénués de territoire,ils ne sont nulle part. Nous retrouvons encoreaujourd’hui dans le spectacle de la vanité cesdeux tendances divergentes avec leurs teintespostmodernes. Je me souviens de l’artiste per-formeur Robert Flanagan peu avant sa mort quisouhaitait en guise d’œuvre d’art ultime installersa mort dans le salon d’un collectionneur et luivendre l’accès à la décomposition de son corpspar le biais d’une caméra embarquée dans soncercueil. Il jouissait à l’idée qu’un riche collection-neur libanais puisse avoir un retour vidéo de sacharogne dans son living-room à la manière d’uneprédelle de Grunewald.

A la même époque, David Bowie eût cette sen-tence décisive : «il ne faut pas laisser traîner samort dans un coin». Même un coin de table ?

Adrian O. Smith

plication de ses acteurs dans la conceptiondes monuments. Wolfgang Natlacen nous offrelà un remarquable exemple de ce que devraittoujours être la réalisation d’un monument fa-milial : une création unique, née d’une envie,d’une idée et d’un dialogue. Bien sûr, cette fa-mille à la fibre naturellement très artistique re-présentait un “terreau” particulièrement propi-ce à ce genre de projet. Encore fallait-il ne pasrefuser l’obstacle psychologique que peut re-présenter la réflexion autour d’un monumentfunéraire. Wolfgang Natlacen a su faire passerson message et sans doute que toute cette ré-flexion menée sera un facteur apaisant au mo-ment du deuil. C’est, ensuite, et à coup sûr,avec plaisir qu’il reviendra y pique-niquer...

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Aventure humaine, familiale, créative, Momtomb est aussiune aventure professionnelle et technique, tant au niveaude sa fabrication que de sa mise en œuvre. Les blocs depierre de Saint-Maximin fournis par Ouachée-Corpechotont été sculptés dans la cours du cinéma de Mons-enMontois, par une équipe de sculpteurs et sculptrices ita-liens, avec l’aide d’amis de Wolfgang Natlacen : Nada Pi-vetta, Daniela Novello, Patrizia Novello, Mimmo Pontillo,Jean-Benoît Ugeux, Adrian O. Smith et Alice Jeannel. Lapose, sur une concession de 2,50 m x 2,50 m a été assu-rée par l’entreprise Briois, avec la participation de Wolf-gang Natlacen et de Jean-Benoît Ugeux.Le monument est constitué par un bloc de 158 x 66 x 75cm, deux blocs de 183 x 27 x 50 cm, ; un bloc de 170 x27 x 50 cm, deux blocs de 158 x 25 x 80 cm et 1 bloc de116 x 25 x 80 cm.

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