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7/25/2019 Perrault-La Belle au bois dormant http://slidepdf.com/reader/full/perrault-la-belle-au-bois-dormant 1/58 La Belle au bois dormant (Perrault) 1 La Belle au bois dormant (Perrault) La Belle au bois dormant Charles Perrault Illustration de Gustave Dor€ Il €tait une fois un Roi et une Reine qui €taient si f•ch€s de n'avoir point d'enfants, si f•ch€s qu'on ne saurait dire. Ils all‚rent ƒ toutes les eaux du monde, v„ux, p‚lerinages, menues d€votions ; tout fut mis en „uvre, et rien n'y faisait. Enfin pourtant la Reine devint grosse, et accoucha d'une fille : on fit un beau Bapt…me ; on donna pour Marraines ƒ la petite Princesse toutes les F€es qu'on p†t trouver dans le Pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'€tait la coutume des F€es en ce temps-lƒ, la Princesse e†t par ce moyen toutes les perfections imaginables. Apr‚s les c€r€monies du Bapt…me toute la compagnie revint au Palais du Roi, o‡ il y avait un grand festin pour les F€es. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un €tui d'or massif, o‡ il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place ƒ table, on vit entrer une vieille F€e qu'on n'avait point pri€e parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'€tait sortie d'une Tour et qu'on la croyait morte, ou enchant€e. Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un €tui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept F€es. La vieille crut qu'on la m€prisait, et grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes F€es qui se trouva aupr‚s d'elle l'entendit, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque f•cheux don ƒ la petite Princesse, alla, d‚s qu'on fut sorti de table, se cacher derri‚re la tapisserie, afin de parler la derni‚re, et de pouvoir r€parer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait. Cependant les F€es commenc‚rent ƒ faire leurs dons ƒ la Princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'apr‚s qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisi‚me qu'elle aurait une gr•ce

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La Belle au bois dormant (Perrault) 1

La Belle au bois dormant (Perrault)

La Belle au bois dormant

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois un Roi et une Reine qui €taient si f•ch€s de n'avoir point d'enfants, si f•ch€s qu'on ne saurait dire. Ils

all‚rent ƒ toutes les eaux du monde, v„ux, p‚lerinages, menues d€votions ; tout fut mis en „uvre, et rien n'y faisait.

Enfin pourtant la Reine devint grosse, et accoucha d'une fille : on fit un beau Bapt…me ; on donna pour Marraines ƒ la

petite Princesse toutes les F€es qu'on p†t trouver dans le Pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant

un don, comme c'€tait la coutume des F€es en ce temps-lƒ, la Princesse e†t par ce moyen toutes les perfections

imaginables.

Apr‚s les c€r€monies du Bapt…me toute la compagnie revint au Palais du Roi, o‡ il y avait un grand festin pour les

F€es. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un €tui d'or massif, o‡ il y avait une cuiller, une

fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place ƒ table, on vit

entrer une vieille F€e qu'on n'avait point pri€e parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'€tait sortie d'une

Tour et qu'on la croyait morte, ou enchant€e.

Le Roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un €tui d'or massif, comme aux autres, parce

que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept F€es. La vieille crut qu'on la m€prisait, et grommela quelques

menaces entre ses dents.

Une des jeunes F€es qui se trouva aupr‚s d'elle l'entendit, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque f•cheux don ƒ la

petite Princesse, alla, d‚s qu'on fut sorti de table, se cacher derri‚re la tapisserie, afin de parler la derni‚re, et de

pouvoir r€parer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.

Cependant les F€es commenc‚rent ƒ faire leurs dons ƒ la Princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la

plus belle du monde, celle d'apr‚s qu'elle aurait de l'esprit comme un Ange, la troisi‚me qu'elle aurait une gr•ce

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admirable ƒ tout ce qu'elle ferait, la quatri‚me qu'elle danserait parfaitement bien, la cinqui‚me qu'elle chanterait

comme un Rossignol, et la sixi‚me qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments ƒ la perfection.

Le rang de la vieille F€e €tant venu, elle dit en branlant la t…te, encore plus de d€pit que de vieillesse, que la

princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.

Ce terrible don fit fr€mir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleur•t.

Dans ce moment la jeune F€e sortit de derri‚re la tapisserie, et dit tout haut ces paroles :

ˆ Rassurez-vous, Roi et Reine, votre fille n'en mourra pas : il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour d€faire

enti‚rement ce que mon ancienne a fait. La Princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle

tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un Roi viendra la

r€veiller. ‰

Le Roi, pour t•cher d'€viter le malheur annonc€ par la vieille, fit publier aussitŠt un Edit, par lequel il d€fendait ƒ

tous de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.

Au bout de quinze ou seize ans, le Roi et la Reine €tant all€s ƒ une de leurs Maisons de plaisance, il arriva que la

 jeune Princesse courant un jour dans le Ch•teau, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon

dans un petit galetas, o‡ une bonne Vieille €tait seule ƒ filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avait point entenduparler des d€fenses que le Roi avait faites de filer au fuseau.

ˆ Que faites-vous lƒ, ma bonne femme ? dit la Princesse.

- Je file, ma belle enfant, lui r€pondit la vieille qui ne la connaissait pas.

- Ha ! que cela est joli, reprit la Princesse, comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant. ‰

Elle n'eut pas plus tŠt pris le fuseau, que comme elle €tait fort vive, un peu €tourdie, et que d'ailleurs l'Arr…t des F€es

l'ordonnait ainsi, elle s'en per‹a la main, et tomba €vanouie.

La bonne vieille, bien embarrass€e, crie au secours : on vient de tous cŠt€s, on jette de l'eau au visage de la

Princesse, on la d€lace, on lui frappe dans les mains, on lui frotte les tempes avec de l'eau de la Reine de Hongrie ;

mais rien ne la faisait revenir.

Alors le Roi, qui €tait mont€ au bruit, se souvint de la pr€diction des f€es, et jugeant bien qu'il fallait que cela arriv•t,

puisque les f€es l'avaient dit, fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais, sur un lit en broderie d'or

et d'argent. On e†t dit d'un Ange, tant elle €tait belle ; car son €vanouissement n'avait pas Št€ les couleurs vives de

son teint : ses joues €taient incarnates, et ses l‚vres comme du corail ; elle avait seulement les yeux ferm€s, mais on

l'entendait respirer doucement, ce qui montrait bien qu'elle n'€tait pas morte.

Le Roi ordonna qu'on la laiss•t dormir, jusqu'ƒ ce que son heure de se r€veiller f†t venue.

La bonne F€e qui lui avait sauv€ la vie, en la condamnant ƒ dormir cent ans, €tait dans le Royaume de Mataquin, ƒ

douze mille lieues de lƒ, lorsque l'accident arriva ƒ la Princesse ; mais elle en fut avertie en un instant par un petit

Nain, qui avait des bottes de sept lieues (c'€tait des bottes avec lesquelles on faisait sept lieues d'une seule enjamb€e).La F€e partit aussitŠt, et on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traŒn€ par des dragons. Le

Roi lui alla pr€senter la main ƒ la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait ; mais comme elle €tait

grandement pr€voyante, elle pensa que quand la Princesse viendrait ƒ se r€veiller, elle serait bien embarrass€e toute

seule dans ce vieux Ch•teau.

Voici ce qu'elle fit : elle toucha de sa baguette tout ce qui €tait dans ce Ch•teau (hors le Roi et la Reine),

Gouvernantes, Filles d'Honneur, Femmes de Chambre, Gentilshommes, Officiers, MaŒtres d'HŠtel, Cuisiniers,

Marmitons, Galopins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied ; elle toucha aussi tous les chevaux qui €taient dans les

Ecuries, avec les Palefreniers, les gros m•tins de basse-cour, et Pouffe, la petite chienne de la Princesse, qui €tait

aupr‚s d'elle sur son lit.

D‚s qu'elle les eut touch€s, ils s'endormirent tous, pour ne se r€veiller qu'en m…me temps que leur MaŒtresse, afin

d'…tre tout pr…ts ƒ la servir quand elle en aurait besoin : les broches m…mes qui €taient au feu toutes pleines de perdrix

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et de faisans s'endormirent, et le feu aussi. Tout cela se fit en un moment ; les F€es n'€taient pas longues ƒ leur

besogne.

Alors le Roi et la Reine, apr‚s avoir embrass€ leur ch‚re enfant sans qu'elle s'€veill•t, sortirent du Ch•teau, et firent

publier des d€fenses ƒ qui que ce soit d'en approcher. Ces d€fenses n'€taient pas n€cessaires, car il cr†t dans un quart

d'heure tout autour du parc une si grande quantit€ de grands arbres et de petits, de ronces et d'€pines entrelac€es les

unes dans les autres, que b…te ni homme n'y aurait pu passer : en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des Tours duCh•teau, encore n'€tait-ce que de bien loin. On ne douta point que la f€e n'e†t encore fait lƒ un tour de son m€tier,

afin que la princesse, pendant qu'elle dormirait, n'e†t rien ƒ craindre des Curieux.

Au bout de cent ans, le Fils du Roi qui r€gnait alors, et qui €tait d'une autre famille que la Princesse endormie, €tant

all€ ƒ la chasse de ce cŠt€-lƒ, demanda ce que c'€tait que ces Tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois fort €pais ;

chacun lui r€pondit selon qu'il en avait ou parler.

Les uns disaient que c'€tait un vieux Ch•teau o‡ il revenait des Esprits ; les autres que tous les Sorciers de la contr€e

y faisaient leur sabbat. La plus commune opinion €tait qu'un Ogre y demeurait, et que lƒ il emportait tous les enfants

qu'il pouvait attraper, pour pouvoir les manger ƒ son aise, et sans qu'on le p†t suivre, ayant seul le pouvoir de se faire

un passage au travers du bois.

Le Prince ne savait qu'en croire, lorsqu'un vieux Paysan prit la parole, et lui dit :

ˆ Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire de mon p‚re qu'il y avait dans ce Ch•teau une

Princesse, la plus belle du monde; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait r€veill€e par le fils d'un Roi, ƒ qui

elle €tait r€serv€e. ‰

Le jeune Prince ƒ ce discours se sentit tout de feu ; il crut sans h€siter qu'il mettrait fin ƒ une si belle aventure ; et

pouss€ par l'amour et par la gloire, il r€solut de voir sur-le-champ ce qu'il en €tait.

A peine s'avan‹a-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces €pines s'€cart‚rent d'eux-m…mes pour

le laisser passer : il marcha vers le Ch•teau qu'il voyait au bout d'une grande avenue o‡ il entra, et ce qui le surprit un

peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'€taient rapproch€s d‚s qu'il avait €t€

pass€.

Il continua donc son chemin : un Prince jeune et amoureux est toujours vaillant. Il entra dans une grande avant-cour

o‡ tout ce qu'il vit d'abord €tait capable de le glacer de crainte : c'€tait un silence affreux, l'image de la mort s'y

pr€sentait partout, et ce n'€tait que des corps €tendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il reconnut

pourtant bien au nez bourgeonn€ et ƒ la face vermeille des Suisses qu'ils n'€taient qu'endormis, et leurs tasses, o‡ il y

avait encore quelques gouttes de vin, montraient assez qu'ils s'€taient endormis en buvant.

Il passe une grande cour pav€e de marbre, il monte l'escalier, il entre dans la salle des Gardes qui €taient rang€s en

haie, l'arme sur l'€paule, et ronflants de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes et de

Dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dor€e, et il vit sur un lit, dont

les rideaux €taient ouverts de tous cŠt€s, le plus beau spectacle qu'il e†t jamais vu: une Princesse qui paraissait avoirquinze ou seize ans, et dont l'€clat resplendissant avait quelque chose de lumineux et de divin.

Il s'approcha en tremblant et en admirant, et se mit ƒ genoux aupr‚s d'elle. Alors comme la fin de l'enchantement

€tait venue, la Princesse s'€veilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une premi‚re vue ne semblait le

permettre :

ˆ Est-ce vous, mon Prince ? Lui dit-elle, vous vous …tes bien fait attendre. ‰

Le prince, charm€ de ces paroles, et plus encore de la mani‚re dont elles €taient dites, ne savait comment lui

t€moigner sa joie et sa reconnaissance ; il l'assura qu'il l'aimait plus que lui-m…me. Ses discours furent mal rang€s, ils

en plurent davantage : peu d'€loquence, beaucoup d'amour. Il €tait plus embarrass€ qu'elle, et l'on ne doit pas s'en

€tonner ; elle avait eu le temps de songer ƒ ce qu'elle aurait ƒ lui dire, car il y a apparence (l'Histoire n'en dit pourtant

rien) que la bonne f€e, pendant un si long sommeil, lui avait procur€ le plaisir des songes agr€ables. Enfin il y avait

quatre heures qu'ils se parlaient, et ils ne s'€taient pas encore dit la moiti€ des choses qu'ils avaient ƒ se dire.

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Cependant tout le Palais s'€tait r€veill€ avec la princesse ; chacun songeait ƒ faire sa charge, et comme ils n'€taient

pas tous amoureux, ils mouraient de faim ; la Dame d'honneur, press€e comme les autres, s'impatienta, et dit tout

haut ƒ la Princesse que la viande €tait servie.

Le Prince aida la Princesse ƒ se lever ; elle €tait tout habill€e et fort magnifiquement ; mais il se garda bien de lui

dire qu'elle €tait habill€e comme ma grand-m‚re, et qu'elle avait un collet mont€ : elle n'en €tait pas moins belle.

Ils pass‚rent dans un Salon de miroirs, et y soup‚rent, servis par les Officiers de la Princesse ; les Violons et lesHautbois jou‚rent de vieilles pi‚ces, mais excellentes, quoiqu'il y e†t pr‚s de cent ans qu'on ne les jou•t plus ; et

apr‚s souper, sans perdre de temps, le grand AumŠnier les maria dans la Chapelle du Ch•teau, et la Dame d'honneur

leur tira le rideau : ils dormirent peu, la Princesse n'en avait pas grand besoin, et le Prince la quitta d‚s le matin pour

retourner ƒ la Ville, o‡ son P‚re devait …tre en peine de lui.

Le Prince lui dit qu'en chassant il s'€tait perdu dans la for…t, et qu'il avait couch€ dans la hutte d'un Charbonnier, qui

lui avait fait manger du pain noir et du fromage. Le Roi son p‚re, qui €tait bon homme, le crut, mais sa M‚re n'en fut

pas bien persuad€e, et voyant qu'il allait presque tous les jours ƒ la chasse, et qu'il avait toujours une raison pour

s'excuser, quand il avait couch€ deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu'il n'e†t quelque amourette : car il

v€cut avec la princesse plus de deux ans entiers, et en eut deux enfants, dont le premier, qui fut une fille, fut nomm€e

l'Aurore, et le second un fils, qu'on nomma le Jour, parce qu'il paraissait encore plus beau que sa s„ur.

La Reine dit plusieurs fois ƒ son fils, pour le faire s'expliquer, qu'il fallait se contenter dans la vie, mais il n'osa

 jamais lui confier son secret ; il la craignait quoiqu'il l'aim•t, car elle €tait de race Ogresse, et le roi ne l'avait €pous€e

qu'ƒ cause de ses grands biens ; on disait m…me tout bas ƒ la Cour qu'elle avait les inclinations des Ogres, et qu'en

voyant passer de petits enfants, elle avait toutes les peines du monde ƒ se retenir de se jeter sur eux ; ainsi le Prince

ne voulut jamais rien dire.

Mais quand le Roi fut mort, ce qui arriva au bout de deux ans, et qu'il se vit le maŒtre, il d€clara publiquement son

Mariage, et alla en grande c€r€monie chercher la Reine sa femme dans son Ch•teau.

On lui fit une entr€e magnifique dans la Ville Capitale, o‡ elle entra au milieu de ses deux enfants. Quelque temps

apr‚s, le Roi alla faire la guerre ƒ l'Empereur Cantalabutte son voisin. Il laissa la R€gence du Royaume ƒ la Reine sam‚re, et lui recommanda vivement sa femme et ses enfants: il devait …tre ƒ la guerre tout l'Et€, et d‚s qu'il fut parti, la

Reine-M‚re envoya sa Bru et ses enfants ƒ une maison de campagne dans les bois, pour pouvoir plus ais€ment

assouvir son horrible envie.

Elle y alla quelques jours apr‚s, et dit un soir ƒ son MaŒtre d'HŠtel :

ˆ Je veux manger demain ƒ mon dŒner la petite Aurore.

- Ah ! Madame, dit le MaŒtre d'HŠtel.

- Je le veux, dit la Reine (et elle le dit d'un ton d'Ogresse qui a envie de manger de la chair fraŒche), et je veux la

manger ƒ la Sauce-robert. ‰

Ce pauvre homme, voyant bien qu'il ne fallait pas se jouer d'une Ogresse, prit son grand couteau, et monta ƒ la

chambre de la petite Aurore : elle avait alors quatre ans, et vint en sautant et en riant se jeter ƒ son cou, et lui

demander du bonbon.

Il se mit ƒ pleurer, le couteau lui tomba des mains, et il alla dans la basse-cour couper la gorge ƒ un petit agneau, et

lui fit une si bonne sauce que sa MaŒtresse l'assura qu'elle n'avait jamais rien mang€ de si bon. Il avait emport€ en

m…me temps la petite Aurore, et l'avait donn€e ƒ sa femme pour la cacher dans le logement qu'elle avait au fond de la

basse-cour.

Huit jours apr‚s, la m€chante Reine dit ƒ son MaŒtre d'HŠtel :

ˆ Je veux manger ƒ mon souper le petit Jour. ‰

Il ne r€pliqua pas, r€solu de la tromper comme l'autre fois ; il alla chercher le petit Jour, et le trouva avec un petitfleuret ƒ la main, dont il faisait des armes avec un gros Singe : il n'avait pourtant que trois ans. Il le porta ƒ sa femme

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La Belle au bois dormant (Perrault) 5

qui le cacha avec la petite Aurore, et donna ƒ la place du petit Jour un petit chevreau fort tendre, que l'Ogresse trouva

admirablement bon.

Cela avait fort bien €t€ jusque-lƒ, mais un soir cette m€chante Reine dit au MaŒtre d'HŠtel : ˆ Je veux manger la

Reine ƒ la m…me sauce que ses enfants. ‰ Ce fut alors que le pauvre maŒtre d'hŠtel d€sesp€ra de pouvoir encore la

tromper. La jeune Reine avait vingt ans pass€s, sans compter les cent ans qu'elle avait dormi : sa peau €tait un peu

dure, quoique belle et blanche ; et le moyen de trouver dans la M€nagerie une b…te aussi dure que cela ?Il prit la r€solution, pour sauver sa vie, de couper la gorge ƒ la reine, et monta dans sa chambre, dans l'intention de

n'en pas faire ƒ deux fois ; il s'excitait ƒ la fureur, et entra le poignard ƒ la main dans la chambre de la jeune reine. Il

ne voulut pourtant point la surprendre, et il lui dit avec beaucoup de respect l'ordre qu'il avait re‹u de la Reine-M‚re.

ˆ Faites votre devoir, lui dit-elle, en lui tendant le cou; ex€cutez l'ordre qu'on vous a donn€ ; j'irai revoir mes enfants,

mes pauvres enfants que j'ai tant aim€s ‰ ; car elle les croyait morts depuis qu'on les avait enlev€s sans rien lui dire.

ˆ Non, non, Madame, lui r€pondit le pauvre maŒtre d'hŠtel tout attendri, vous ne mourrez point, et vous pourrez

revoir vos chers enfants, mais ce sera chez moi o‡ je les ai cach€s, et je tromperai encore la Reine, en lui faisant

manger une jeune biche en votre place. ‰

Il la mena aussitŠt ƒ sa chambre, o‡ la laissant embrasser ses enfants et pleurer avec eux, il alla accommoder unebiche, que la Reine mangea ƒ son souper, avec le m…me app€tit que si c'e†t €t€ la jeune Reine. Elle €tait bien

contente de sa cruaut€, et elle se pr€parait ƒ dire au Roi, ƒ son retour, que les loups enrag€s avaient mang€ la Reine sa

femme et ses deux enfants.

Un soir qu'elle rŠdait comme d'habitude dans les cours et basses-cours du Ch•teau pour y humer quelque viande

fraŒche, elle entendit dans une salle basse le petit Jour qui pleurait, parce que la Reine sa m‚re le voulait faire

fouetter, parce qu'il avait €t€ m€chant, et elle entendit aussi la petite Aurore qui demandait pardon pour son fr‚re.

L'Ogresse reconnut la voix de la Reine et de ses enfants, et furieuse d'avoir €t€ tromp€e, elle commande d‚s le

lendemain au matin, avec une voix €pouvantable, qui faisait trembler tout le monde, qu'on apport•t au milieu de la

cour une grande cuve, qu'elle fit remplir de crapauds, de vip‚res, de couleuvres et de serpents, pour y faire jeter la

Reine et ses enfants, le MaŒtre d'HŠtel, sa femme et sa servante : elle avait donn€ ordre de les amener les mains li€es

derri‚re le dos.

Ils €taient lƒ, et les bourreaux se pr€paraient ƒ les jeter dans la cuve, Lorsque le Roi, qu'on n'attendait pas si tŠt, entra

dans la cour ƒ cheval ; il €tait venu en poste, et demanda tout €tonn€ ce que voulait dire cet horrible spectacle ;

personne n'osait l'en instruire, quand l'Ogresse, enrag€e de voir ce qu'elle voyait, se jeta elle-m…me la t…te la premi‚re

dans la cuve, et fut d€vor€e en un instant par les vilaines b…tes qu'elle y avait fait mettre.

Le Roi ne put s'emp…cher d'en …tre f•ch€, car elle €tait sa m‚re ; mais il s'en consola bientŠt avec sa belle femme et

ses enfants.

Moralit€

Attendre quelque temps pour avoir un €poux,

Riche, bien fait, galant et doux,

La chose est assez naturelle,

Mais l'attendre cent ans, et toujours en dormant,

On ne trouve plus de femelle,

Qui dormit si tranquillement.

La Fable semble encor vouloir nous faire entendre

Que souvent de l'Hymen les agr€ables n„uds,

Pour …tre diff€r€s, n'en sont pas moins heureux,Et qu'on ne perd rien pour attendre ;

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Mais le sexe avec tant d'ardeur,

Aspire ƒ la foi conjugale,

Que je n'ai pas la force ni le c„ur,

De lui pr…cher cette morale.

en:The Sleeping Beauty in the Woods es:La bella durmiente it:I racconti delle fate/La bella addormentata nel bosco

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Le Petit Chaperon rouge (Perrault) 1

Le Petit Chaperon rouge (Perrault)

Le Petit Chaperon rouge

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu€on e•t su voir ; sa m‚re en €tait folle, et sa m‚re-grand plus

folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si bien, que partout on l€appelait

le Petit Chaperon rouge.

Un jour, sa m‚re, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : Va voir comme se porte ta m‚re-grand, car on m€a dit qu€elle

€tait malade. Porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. Le Petit Chaperon rouge partit aussitƒt pour aller chez sa

m‚re-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un bois elle rencontra comp‚re le Loup, qui eutbien envie de la manger ; mais il n€osa, „ cause de quelques B•cherons qui €taient dans la For…t. Il lui demanda o†

elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu€il est dangereux de s€arr…ter „ €couter un Loup, lui dit : Je vais voir

ma M‚re-grand, et lui porter une galette, avec un petit pot de beurre, que ma M‚re lui envoie. Demeure-t-elle bien

loin ? lui dit le Loup.

Oh ! oui, dit le Petit Chaperon rouge, c€est par-del„ le moulin que vous voyez tout l„-bas, „ la premi‚re maison du

Village. Eh bien, dit le Loup, je veux l €aller voir aussi ; je m€y en vais par ce chemin-ci, et toi par ce chemin-l„, et

nous verrons qui plus tƒt y sera. Le loup se mit „ courir de toute sa force par le chemin qui €tait le plus court, et la

petite fille s€en alla par le chemin le plus long, s€amusant „ cueillir des noisettes, „ courir apr‚s des papillons, et „

faire des bouquets des petites fleurs qu€elle rencontrait.

Le loup ne fut pas longtemps „ arriver „ la maison de la M‚re-grand ; il heurte : Toc, toc. Qui est l„ ? C €est votre fille

le Petit Chaperon rouge (dit le Loup, en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une galette et un petit pot de beurre

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Le Petit Chaperon rouge (Perrault) 2

que ma M‚re vous envoie. La bonne M‚re-grand, qui €tait dans son lit „ cause qu €elle se trouvait un peu mal, lui cria

: Tire la chevillette, la bobinette cherra. Le Loup tira la chevillette et la porte s€ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme,

et la d€vora en moins de rien ; car il y avait plus de trois jours qu€il n€avait mang€. Ensuite il ferma la porte, et s €alla

coucher dans le lit de la M‚re-grand, en attendant le Petit Chaperon rouge, qui quelque temps apr‚s vint heurter „ la

porte. Toc, toc.

Qui est l„ ? Le Petit Chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup eut peur d€abord, mais croyant que sa

M‚re-grand €tait enrhum€e, r€pondit : C€est votre fille le Petit Chaperon rouge, qui vous apporte une galette et un

petit pot de beurre que ma M‚re vous envoie. Le Loup lui cria en adoucissant un peu sa voix : Tire la chevillette, la

bobinette cherra. Le Petit Chaperon rouge tira la chevillette, et la porte s €ouvrit.

Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : Mets la galette et le petit pot de beurre

sur la huche, et viens te coucher avec moi. Le Petit Chaperon rouge se d€shabille, et va se mettre dans le lit, o† elle

fut bien €tonn€e de voir comment sa M‚re-grand €tait faite en son d€shabill€. Elle lui dit : Ma m‚re-grand, que vous

avez de grands bras ? C€est pour mieux t€embrasser, ma fille.

Ma m‚re-grand, que vous avez de grandes jambes ? C €est pour mieux courir, mon enfant. Ma m‚re-grand, que vous

avez de grandes oreilles ? C€est pour mieux €couter, mon enfant. Ma m‚re-grand, que vous avez de grands yeux ?

C€est pour mieux voir, mon enfant. Ma m‚re-grand, que vous avez de grandes dents. C€est pour te manger. Et endisant ces mots, ce m€chant Loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge, et la mangea.

MORALIT‡

On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles

Belles, bien faites, et gentilles,

Font tr‚s mal d€€couter toute sorte de gens,

Et que ce n€est pas chose €trange,

S€il en est tant que le Loup mange.

Je dis le Loup, car tous les Loups

Ne sont pas de la m…me sorte ;

Il en est d€une humeur accorte,

Sans bruit, sans fiel et sans courroux,

Qui priv€s, complaisants et doux,

Suivent les jeunes Demoiselles

Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;

Mais h€las ! qui ne sait que ces Loups doucereux,

De tous les Loups sont les plus dangereux.

en:Little Red Riding-Hood es:Caperucita roja it:I racconti delle fate/Cappuccetto Rosso

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La Barbe bleue 1

La Barbe bleue

 La Barbe bleue

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois un homme qui avait de belles maisons • la ville et • la campagne, de la vaisselle d €or et d€argent, des

meubles en broderies et des carrosses tout dor€s. Mais, par malheur, cet homme avait la barbe bleue : cela le rendait

si laid et si terrible, qu€il n€€tait ni femme ni fille qui ne s€enfu‚t de devant lui.

Une de ses voisines, dame de qualit€, avait deux filles parfaitement belles. Il lui en demanda une en mariage, et lui

laissa le choix de celle qu€elle voudrait lui donner. Elles n€en voulaient point toutes deux, et se le renvoyaient l€une •

l€autre, ne pouvant se r€soudre • prendre un homme qui eƒt la barbe bleue. Ce qui les d€goƒtait encore, c€est qu€ilavait d€j• €pous€ plusieurs femmes, et qu€on ne savait ce que ces femmes €taient devenues.

La Barbe bleue, pour faire connaissance, les mena, avec leur m„re et trois ou quatre de leurs meilleures amies et

quelques jeunes gens du voisinage, • une de ses maisons de campagne, o… on demeura huit jours entiers. Ce n €€taient

que promenades, que parties de chasse et de p†che, que danses et festins, que collations : on ne dormait point et on

passait toute la nuit • se faire des malices les uns aux autres ; enfin tout alla si bien que la cadette commen‡a •

trouver que le ma‚tre du logis n€avait plus la barbe si bleue, et que c €€tait un fort honn†te homme.

D„s qu€on fut de retour • la ville, le mariage se conclut. Au bout d€un mois, la Barbe bleue dit • sa femme qu€il €tait

oblig€ de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de cons€quence ; qu€il la priait de

se bien divertir pendant son absence ; qu€elle fit venir ses bonnes amies ; qu€elle les menˆt • la campagne, si elle

voulait ; que partout elle f‚t bonne ch„re.

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La Barbe bleue 2

‰ Voil•, dit-il, les clefs des deux grands garde-meubles ; voil• celles de la vaisselle d €or et d€argent, qui ne sert pas

tous les jours ; voil• celles de mes coffres-forts o… est mon or et mon argent ; celles des cassettes o… sont mes

pierreries, et voil• le passe-partout de tous les appartements. Pour cette petite clef-ci, c €est la clef du cabinet au bout

de la grande galerie de l€appartement bas : ouvrez tout, allez partout ; mais, pour ce petit cabinet, je vous d€fends d €y

entrer, et je vous le d€fends de telle sorte que s€il vous arrive de l€ouvrir, il n€y a rien que vous ne deviez attendre de

ma col„re. Š

Elle promit d€observer exactement tout ce qui lui venait d€†tre ordonn€, et lui, apr„s l€avoir embrass€e, il monte dans

son carrosse, et part pour son voyage. Les voisines et les bonnes amies n€attendirent pas qu€on les envoyˆt qu€rir

pour aller chez la jeune mari€e, tant elles avaient d €impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n€ayant os€ y

venir pendant que le mari y €tait, • cause de sa barbe bleue, qui leur faisait peur.

Les voil• aussit‹t • parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles et plus riches les unes que

les autres. Elles mont„rent ensuite aux garde-meubles, o… elles ne pouvaient assez admirer le nombre et la beaut€ des

tapisseries, des lits, des sofas, des cabinets, des gu€ridons, des tables et des miroirs o… l €on se voyait depuis les pieds

 jusqu€• la t†te, et dont les bordures, les unes de glace, les autres d€argent et de vermeil dor€, €taient les plus belles et

les plus magnifiques qu€on eƒt jamais vues. Elles ne cessaient d€exag€rer et d€envier le bonheur de leur amie, qui

cependant, ne se divertissait point • voir toutes ces richesses, • cause de l €impatience qu€elle avait d€aller ouvrir lecabinet de l€appartement bas.

Elle fut si press€e de sa curiosit€, que sans consid€rer qu €il €tait malhonn†te de quitter sa compagnie, elle y descendit

par un petit escalier d€rob€, et avec tant de pr€cipitation qu€elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois.

Etant arriv€e • la porte du cabinet, elle s€y arr†ta quelque temps, songeant • la d€fense que son mari lui avait faite, et

consid€rant qu€il pourrait lui arriver malheur d€avoir €t€ d€sob€issante ; mais la tentation €tait si forte qu €elle ne put

la surmonter : elle prit donc la petite clef, et ouvrit en tremblant la porte du cabinet.

D€abord elle ne vit rien, parce que les fen†tres €taient ferm€es. Apr„s quelques moments, elle commen‡a • voir que

le plancher €tait tout couvert de sang caill€, et que dans ce sang, se miraient les corps de plusieurs femmes mortes et

attach€es le long des murs : c€€tait toutes les femmes que la Barbe bleue avait €pous€es, et qu

€il avait €gorg€es l

€une

apr„s l€autre.

Elle pensa mourir de peur, et la clef du cabinet, qu €elle venait de retirer de la serrure, lui tomba de la main. Apr„s

avoir un peu repris ses sens, elle ramassa la clef, referma la porte, et monta • sa chambre pour se remettre un peu ;

mais elle n€en pouvait venir • bout, tant elle €tait €mue. Ayant remarqu€ que la clef du cabinet €tait tach€e de sang,

elle l€essuya deux ou trois fois ; mais le sang ne s €en allait point : elle eut beau la laver, et m†me la frotter avec du

sablon et avec du gr„s, il demeura toujours du sang, car la clef €tait f€e, et il n €y avait pas moyen de la nettoyer tout •

fait : quand on ‹tait le sang d €un c‹t€, il revenait de l€autre.

La Barbe bleue revint de son voyage d„s le soir-m†me, et dit qu€il avait re‡u des lettres, dans le chemin, qui lui

avaient appris que l€affaire pour laquelle il €tait parti venait d €†tre termin€e • son avantage. Sa femme fit tout ce

qu€elle put pour lui t€moigner qu€elle €tait ravie de son prompt retour.

Le lendemain, il lui redemanda les clefs ; et elle les lui donna, mais d€une main si tremblante, qu€il devina sans peine

tout ce qui s€€tait pass€.

‰ D€o… vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n €est point avec les autres ?

 • Il faut, dit-elle, que je l€aie laiss€e l•-haut sur ma table.

 • Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tant‹t. Š

Apr„s plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue, l €ayant consid€r€e, dit • sa femme :

‰ Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef ?

 •

Je n€

en sais rien, r€pondit la pauvre femme, plus pˆle que la mort.

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La Barbe bleue 3

 • Vous n€en savez rien ! reprit la Barbe bleue ; je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet ! Eh

bien, madame, vous y entrerez et irez prendre votre place aupr„s des dames que vous y avez vues. Š

Elle se jeta aux pieds de son mari en pleurant, et en lui demandant pardon, avec toutes les marques d€un vrai repentir,

de n€avoir pas €t€ ob€issante. Elle aurait attendri un rocher, belle et afflig€e comme elle €tait mais la Barbe bleue

avait le cŒur plus dur qu€un rocher.

‰ Il faut mourir, madame, lui dit-il, et tout • l €heure. • Puisqu€il faut mourir, r€pondit-elle en le regardant les yeux baign€s de larmes, donnez-moi un peu de temps pour

prier Dieu.

 • Je vous donne un demi-quart d€heure, reprit la Barbe bleue ; mais pas un moment davantage. Š

Lorsqu€elle fut seule, elle appela sa sŒur, et lui dit

‰ Ma sŒur Anne, car elle s€appelait ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour pour voir si mes fr„res ne viennent

point : ils m€ont promis qu€ils me viendraient voir aujourd€hui ; et si tu les vois, fais-leur signe de se hˆter. Š

La sŒur Anne monta sur le haut de la tour ; et la pauvre afflig€e lui criait de temps en temps :

‰ Anne, ma sŒur Anne, ne vois-tu rien venir ? Š

Et la sŒur Anne, lui r€pondait :

‰ Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l €herbe qui verdoie. Š

Cependant, la Barbe bleue, tenant un grand coutelas • sa main, criait de toute sa force • sa femme :

‰ Descends vite ou je monterai l•-haut.

 • Encore un moment, s€il vous pla‚t Š, lui r€pondait sa femme.

Et aussit‹t elle criait tout bas :

‰ Anne, ma sŒur Anne, ne vois-tu rien venir ? Š

Et la sŒur Anne r€pondait : ‰ Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l €herbe qui verdoie.

 • Descends donc vite, criait la Barbe bleue, ou je monterai l•-haut.

 • Je m€en vais Š, r€pondait la femme et puis elle criait :

‰ Anne, ma sŒur Anne, ne vois-tu rien venir ?

 • Je vois, r€pondit la sŒur Anne, une grosse poussi„re qui vient de ce c‹t€-ci‚

 • Sont-ce mes fr„res ?

 • H€las ! non, ma sŒur : c €est un troupeau de moutons‚

 • Ne veux-tu pas descendre ? criait la Barbe bleue.

 • Encore un moment Š, r€pondait sa femme, et puis elle criait :

‰ Anne, ma sŒur Anne, ne vois-tu rien venir ? • Je vois, r€pondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce c‹t€, mais ils sont bien loin encore.

 • Dieu soit lou€ ! s€€cria-t-elle un moment apr„s, ce sont mes fr„res ; je leur fais signe tant que je puis de se hˆter. Š

La Barbe bleue se mit • crier si fort que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, et alla se jeter • ses

pieds tout €pleur€e et tout €chevel€e.

‰ Cela ne sert • rien, dit la Barbe bleue ; il faut mourir. Š

Puis, la prenant d€une main par les cheveux, et de l€autre, levant le coutelas en l€air, il allait lui abattre la t†te. La

pauvre femme, se tournant vers lui, et le regardant avec des yeux mourants, le pria de lui donner un petit moment

pour se recueillir.

‰ Non, non, dit-il, recommande-toi bien • Dieu Š ; et, levant son bras‚

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La Barbe bleue 4

Dans ce moment, on heurta si fort • la porte que la Barbe bleue s€arr†ta tout court. On l€ouvrit, et aussit‹t on vit

entrer deux cavaliers, qui mettant l€€p€e • la main, coururent droit • la Barbe bleue.

Il reconnut que c€€taient les fr„res de sa femme, l€un dragon et l€autre mousquetaire, de sorte qu€il s€enfuit aussit‹t

pour se sauver ; mais les deux fr„res le poursuivirent de si pr„s qu €ils l€attrap„rent avant qu€il pƒt gagner le perron. Ils

lui pass„rent leur €p€e au travers du corps, et le laiss„rent mort. La pauvre femme €tait presque aussi morte que son

mari, et n€avait pas la force de se lever pour embrasser ses fr„res.Il se trouva que la Barbe bleue n€avait point d€h€ritiers, et qu€ainsi sa femme demeura ma‚tresse de tous ses biens.

Elle en employa une partie • marier sa sŒur Anne avec un jeune gentilhomme dont elle €tait aim€e depuis longtemps

; une autre partie • acheter des charges de capitaines • ses deux fr„res, et le reste • se marier elle-m†me • un fort

honn†te homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu €elle avait pass€ avec la Barbe bleue.

MORALIT

La curiosit€, malgr€ tous ses attraits,

Coƒte souvent bien des regrets ;

On en voit, tous les jours, mille exemples para‚tre.

C€est, n€en d€plaise au sexe, un plaisir bien l€ger ;D„s qu€on le prend, il cesse d€†tre.

Et toujours il coƒte trop cher.

AUTRE MORALIT

Pour peu qu€on ait l€esprit sens€

Et que du monde on sache le grimoire,

On voit bient‹t que cette histoire

Est un conte du temps pass€.

Il n€est plus d

€€poux si terrible,

Ni qui demande l€impossible :

Fƒt-il malcontent et jaloux.

Pr„s de sa femme on le voit filer doux ;

Et de quelque couleur que sa barbe puisse †tre,

On a peine • juger qui des deux est le ma‚tre.

en:Blue Beard it:I racconti delle fate/Barba-blu ru: Ž‘‘ ’“”“– (—˜””“, ™˜”˜š“ ›œ”˜˜š–)

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Le Ma€tre chat ou le Chat bott• 1

Le Ma€tre chat ou le Chat bott•

Le Ma€tre chat ou le Chat bott•

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor•

Un meunier ne laissa pour tous biens, ‚ trois enfants qu €il avait, que son moulin, son ƒne et son chat. Les partages

furent bient„t faits : ni le notaire, ni le procureur n€y furent point appel•s. Ils auraient eu bient„t mang• tout le pauvre

patrimoine. L€a€n• eut le moulin, le second eut l€ƒne, et le plus jeune n€eut que le chat. Ce dernier ne pouvait se

consoler d€avoir un si pauvre lot :

… Mes fr†res, disait-il, pourront gagner leur vie honn‡tement en se mettant ensemble ; pour moi, lorsque j €aurai

mang• mon chat, et que je me serai fait un manchon de sa peau, il faudra que je meure de faim. ˆLe Chat, qui entendait ce discours, mais qui n€en fit pas semblant, lui dit d€un air pos• et s•rieux :

… Ne vous affligez point, mon ma€tre, vous n€avez qu€‚ me donner un sac et me faire faire une paire de bottes pour

aller dans les broussailles, et vous verrez que vous n €‡tes pas si mal partag• que vous croyez. ˆ

Quoique le ma€tre du Chat ne f€t pas grand fond l‚-dessus, il lui avait vu faire tant de tours de souplesse pour prendre

des rats et des souris, comme quand il se pendait par les pieds, ou qu €il se cachait dans la farine pour faire le mort,

qu€il ne d•sesp•ra pas d€en ‡tre secouru dans la mis†re.

Lorsque le Chat eut ce qu€il avait demand•, il se botta bravement, et, mettant son sac ‚ son cou, il en prit les cordons

avec ses deux pattes de devant, et s €en alla dans une garenne o‰ il y avait grand nombre de lapins. Il mit du son et des

laiterons dans son sac, et s€

•tendant comme s€

il eŠt •t• mort, attendit que quelque jeune lapin, peu instruit encore desruses de ce monde, v€nt se fourrer dans son sac pour manger ce qu €il y avait mis. ‹ peine fut-il couch•, qu €il eut

contentement : un jeune •tourdi de lapin entra dans son sac, et le ma€tre Chat, tirant aussit„t les cordons, le prit et le

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Le Ma€tre chat ou le Chat bott• 2

tua sans mis•ricorde.

Tout glorieux de sa proie, il s€en alla chez le roi et demanda ‚ lui parler. On le fit monter ‚ l €appartement de Sa

Majest•, o‰ •tant entr•, il fit une grande r•v•rence au roi, et lui dit :

… Voil‚, sire, un lapin de garenne que monsieur le marquis de Carabas (c €•tait le nom qu€il lui prit en gr• de donner ‚

son ma€tre) m€a charg• de vous pr•senter de sa part.

 • Dis ‚ ton ma€tre, r•pondit le roi, que je le remercie et qu €il me fait plaisir. ˆ

Une autre fois, il alla se cacher dans un bl•, tenant toujours son sac ouvert, et lorsque deux perdrix y furent entr•es, il

tira les cordons et les prit toutes deux. Il alla ensuite les pr•senter au roi, comme il avait fait du lapin de garenne. Le

roi reŒut encore avec plaisir les deux perdrix, et lui fit donner boire.

Le Chat continua ainsi, pendant deux ou trois mois, ‚ porter de temps en temps au roi du gibier de la chasse de son

ma€tre. Un jour qu€il sut que le roi devait aller ‚ la promenade, sur le bord de la rivi†re, avec sa fille, la plus belle

princesse du monde, il dit ‚ son ma€tre :

… Si vous voulez suivre mon conseil, votre fortune est faite : vous n €avez qu€‚ vous baigner dans la rivi†re, ‚ l€endroit

que je vous montrerai, et ensuite me laisser faire. ˆ

Le marquis de Carabas fit ce que son chat lui conseillait, sans savoir ‚ quoi cela serait bon. Dans le temps qu €il sebaignait, le roi vint ‚ passer, et le Chat se mit ‚ crier de toute ses forces :

… Au secours ! au secours ! voil‚ monsieur le marquis de Carabas qui se noie ! ˆ

‹ ce cri, le roi mit la t‡te ‚ la porti†re, et, reconnaissant le Chat qui lui avait apport• tant de fois du gibier, il ordonna

‚ ses gardes qu€on allƒt vite au secours de monsieur le marquis de Carabas.

Pendant qu€on retirait le pauvre marquis de la rivi†re, le Chat s€approcha du carrosse et dit au roi, que dans le temps

que son ma€tre se baignait, il •tait venu des voleurs qui avaient emport• ses habits, quoiqu €il eŠt cri• au voleur ! de

toute ses forces ; le dr„le les avait cach•s sous une grosse pierre.

Le roi ordonna aussit„t aux officiers de sa garde-robe d€aller qu•rir un de ses plus beaux habits pour monsieur le

marquis de Carabas. Le roi lui fit mille caresses, et comme les beaux habits qu€on venait de lui donner relevaient sabonne mine (car il •tait beau et bien fait de sa personne), la fille du roi le trouva fort ‚ son gr•, et le marquis de

Carabas ne lui eut pas jet• deux ou trois regards, fort respectueux et un peu tendres, qu €elle en devint amoureuse ‚ la

folie.

Le roi voulut qu€il montƒt dans son carrosse et qu€il fŠt de la promenade. Le Chat, ravi de voir que son dessein

commenŒait ‚ r•ussir, prit les devants, et ayant rencontr• des paysans qui fauchaient un pr•, il leur dit :

… Bonnes gens qui fauchez, si vous ne dites au roi que le pr• que vous fauchez appartient ‚ monsieur le marquis de

Carabas, vous serez tous hach•s menu comme chair ‚ pƒt•. ˆ

Le roi ne manqua pas ‚ demander aux faucheurs ‚ qui •tait ce pr• qu €il fauchaient :

… C€est ‚ monsieur le marquis de Carabas ˆ, dirent-ils tous ensemble, car la menace du chat leur avait fait peur.

… Vous avez l‚ un bel h•ritage, dit le roi au marquis de Carabas.

 • Vous voyez, sire, r•pondit le marquis ; c€est un pr• qui ne manque point de rapporter abondamment toutes les

ann•es. ˆ

Le ma€tre Chat, qui allait toujours devant, rencontra des moissonneurs et leur dit :

… Bonnes gens qui moissonnez, si vous ne dites que tous ces bl•s appartiennent ‚ monsieur le marquis de Carabas,

vous serez tous hach•s menu comme chair ‚ pƒt•. ˆ

Le roi, qui passa un moment apr†s, voulut savoir ‚ qui appartenaient tous les bl•s qu €il voyait.

… C€est ‚ monsieur le marquis de Carabas ˆ, r•pondirent les moissonneurs ; et le roi s €en r•jouit encore avec le

marquis. Le Chat, qui allait devant le carrosse, disait toujours la m‡me chose ‚ tous ceux qu €il rencontrait, et le roi•tait •tonn• des grands biens de monsieur le marquis de Carabas.

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Le Ma€tre chat ou le Chat bott• 3

Le ma€tre Chat arriva enfin dans un beau chƒteau, dont le ma€tre •tait un ogre, le plus riche qu€on ait jamais vu ; car

toutes les terres par o‰ le roi avait pass• •taient de la d•pendance de ce chƒteau.

Le Chat, qui eut soin de s€informer qui •tait cet ogre et ce qu€il savait faire, demanda ‚ lui parler, disant qu€il n€avait

pas voulu passer si pr†s de son chƒteau sans avoir l€honneur de lui faire la r•v•rence. L€ogre le reŒut aussi civilement

que le peut un ogre et le fit reposer.

… On m€a assur•, dit le Chat, que vous aviez le don de vous changer en toutes sortes d €animaux ; que vous pouviez,par exemple, vous transformer en lion, en •l•phant.

 • Cela est vrai, r•pondit l€ogre brusquement, et, pour vous le montrer, vous m €allez voir devenir lion. ˆ

Le Chat fut si effray• de voir un lion devant lui, qu €il gagna aussit„t les goutti†res, non sans peine et sans p•ril, ‚

cause de ses bottes, qui ne valaient rien pour marcher sur les tuiles.

Quelque temps apr†s, le Chat, ayant vu que l€ogre avait quitt• sa premi†re forme, descendit et avoua qu €il avait eu

bien peur.

… On m€a assur• encore, dit le Chat, mais je ne saurais le croire, que vous aviez aussi le pouvoir de prendre la forme

des plus petits animaux, par exemple de vous changer en un rat, en une souris ; je vous avoue que je tiens cela tout ‚

fait impossible. • Impossible ! reprit l€ogre ; vous allez voir. ˆ

Et en m‡me temps il se changea en une souris, qui se mit ‚ courir sur le plancher. Le Chat ne l €eut pas plus t„t

aperŒue, qu€il se jeta dessus et la mangea.

Cependant le roi, qui vit en passant le beau chƒteau de l€ogre, voulut entrer dedans.

Le Chat, qui entendit le bruit du carrosse, qui passait sur le pont-levis, courut au-devant et dit au roi :

… Votre Majest• soit la bienvenue dans ce chƒteau de monsieur le marquis de Carabas !

 • Comment, monsieur le marquis, s€•cria le roi, ce chƒteau est encore ‚ vous ! il ne se peut rien de plus beau que

cette cour et que tous ces bƒtiments qui l€environnent ; voyons les dedans, s€il vous plait. ˆ

Le marquis donna la main ‚ la jeune princesse, et suivant le roi, qui montait le premier, ils entr†rent dans une grande

salle, o‰ ils trouv†rent une magnifique collation que l €ogre avait fait pr•parer pour ses amis, qui le devaient venir voir

ce m‡me jour-l‚, mais qui n€avaient pas os• entrer, sachant que le roi y •tait.

Le roi, charm• des bonnes qualit•s de monsieur le marquis de Carabas, de m‡me que sa fille, qui en •tait folle, et

voyant les grands biens qu€il poss•dait, lui dit, apr†s avoir bu cinq ou six coups :

… Il ne tiendra qu€‚ vous, monsieur le marquis, que vous ne soyez mon gendre. ˆ

Le marquis, faisant de grandes r•v•rences, accepta l€honneur que lui faisait le roi, et, d†s le m‡me jour, il •pousa la

princesse. Le Chat devint le grand seigneur, et ne courut plus apr†s les souris que pour se divertir.

MORALIT

Quelque grand que soit l€avantage

De jouir d€un riche h•ritage

Venant ‚ nous de p†re en fils,

Aux jeunes gens, pour l€ordinaire,

L€industrie et le savoir-faire

Valent mieux que des biens acquis.

AUTRE MORALIT

Si le fils d€un meunier, avec tant de vitesse,

Gagne le cŽur d€une princesse,

Et s€en fait regarder avec des yeux mourants ;

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Le Ma€tre chat ou le Chat bott• 4

C€est que l€habit, la mine et la jeunesse,

Pour inspirer de la tendresse,

N€en sont pas des moyens toujours indiff•rents.

en:The Master Cat, or Puss in Boots

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Cendrillon (Perrault) 1

Cendrillon (Perrault)

 Pour les autres utilisations de ce mot, voir Cendrillon.

Cendrillon ou la petite pantoufle de verre

Charles PerraultIllustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois un gentilhomme qui €pousa, en secondes noces, une femme, la plus hautaine et la plus fi•re qu'on e‚t

 jamais vue.

Elle avait deux filles de son humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses.

Le mari avait, de son cƒt€, une jeune fille, mais d'une douceur et d'une bont€ sans exemple : elle tenait cela de sa

m•re, qui €tait la meilleure personne du monde.

Les noces ne furent pas plus tƒt faites que la belle-m•re fit €clater sa mauvaise humeur : elle ne put souffrir les

bonnes qualit€s de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus ha„ssables. Elle la chargea des plus viles

occupations de la maison : c'€tait elle qui nettoyait la vaisselle et les mont€es, qui frottait la chambre de madame et

celles de mesdemoiselles ses filles ; - elle couchait tout au haut de la maison, dans un grenier, sur une m€chante

paillasse, pendant que ses s…urs €taient dans des chambres parquet€es, o† elles avaient des lits des plus ‡ la mode, et

des miroirs o† elles se voyaient depuis les pieds jusqu'‡ la tˆte.

La pauvre fille souffrait tout avec patience et n'osait s'en plaindre ‡ son p•re, qui l'aurait grond€e, parce que sa

femme le gouvernait enti•rement. Lorsqu'elle avait fait son ouvrage, elle s'allait mettre au coin de la chemin€e, et

s'asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu'on l'appelait commun€ment dans le logis Cucendron. La cadette, quin'€tait pas si malhonnˆte que son a‰n€e, l'appelait Cendrillon.

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Cendrillon (Perrault) 2

Cependant Cendrillon, avec ses m€chants habits, ne laissait pas d'ˆtre cent fois plus belle que ses s…urs, quoique

vˆtues tr•s magnifiquement.

Il arriva que le fils du roi donna un bal et qu'il en pria toutes les personnes de qualit€. Nos deux demoiselles en furent

aussi pri€es, car elles faisaient grande figure dans le pays.

Les voil‡ bien aises et bien occup€es ‡ choisir les habits et les coiffures qui leur si€raient le mieux. Nouvelle peine

pour Cendrillon, car c'€tait elle qui repassait le linge de ses s…urs et qui godronnait leurs manchettes. On ne parlaitque de la mani•re dont on s'habillerait. - "Moi, dit l'a‰n€e, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture

d'Angleterre." - "Moi, dit la cadette, je n'aurai que ma jupe ordinaire ; mais, en r€compense, je mettrai mon manteau

‡ fleurs d'or et ma barri•re de diamants, qui n'est pas des plus indiff€rentes."

On envoya qu€rir la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes ‡ deux rangs, et on fit acheter des mouches de la

bonne faiseuse. Elles appel•rent Cendrillon pour lui demander son avis, car elle avait le go‚t bon. Cendrillon les

conseilla le mieux du monde, et s'offrit mˆme ‡ les coiffer ; ce qu'elles voulurent bien. En les coiffant, elles lui

disaient : - "Cendrillon, serais-tu bien aise d'aller au bal ?" - "H€las, mesdemoiselles, vous vous moquez, de moi : ce

n'est pas l‡ ce qu'il me faut." - "Tu as raison, on rirait bien, si on voyait un Cucendron aller au bal." Une autre que

Cendrillon les aurait coiff€es de travers ; mais elle €tait bonne, et elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent pr•s

de deux jours sans manger, tant elles €taient transport€es de joie. On rompit plus de douze lacets, ‡ force de les serrerpour leur rendre la taille plus menue, et elles €taient toujours devant le miroir.

Enfin l'heureux jour arriva ; on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus longtemps qu'elle put. Lorsqu'elle ne

les vit plus, elle se mit ‡ pleurer. Sa marraine, qui la vit tout en pleurs, lui demanda ce qu'elle avait. "Je voudrais

bien... je voudrais bien..." Elle pleurait si fort qu'elle ne put achever. Sa marraine, qui €tait f€e, lui dit : - "Tu voudrais

bien aller au bal, n'est-ce pas ?" - H€las! oui." dit Cendrillon en soupirant. - Eh bien ! seras-tu bonne fille ? dit sa

marraine, je t'y ferai aller."

Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : - "Va dans le jardin, et apporte-moi une citrouille. " Cendrillon alla aussitƒt

cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta ‡ sa marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la

pourrait faire aller au bal. Sa marraine la creusa et, n'ayant laiss€ que l'€corce, la frappa de sa baguette, et la citrouillefut aussitƒt chang€e en un beau carrosse tout dor€. Ensuite elle alla regarder dans la sourici•re, o† elle trouva six

souris toutes en vie. Elle dit ‡ Cendrillon de lever un peu la trappe de la sourici•re, et ‡ chaque souris qui sortait, elle

lui donnait un coup de sa baguette, et la souris €tait aussitƒt chang€e en un beau cheval : ce qui fit un bel attelage de

six chevaux, d'un beau gris de souris pommel€. Comme elle €tait en peine de quoi elle ferait un cocher :

- "Je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a pas quelque rat dans la rati•re, nous en ferons un cocher." - "Tu as raison, dit

sa marraine, va voir." Cendrillon lui apporta la rati•re, o† il y avait trois gros rats. La f€e en prit un d'entre les trois, ‡

cause de sa ma‰tresse barbe, et, l'ayant touch€, il fut chang€ en un gros cocher, qui avait une des plus belles

moustaches qu'on ait jamais vues. Ensuite elle lui dit :

"Va dans le jardin, tu y trouveras six l€zards derri•re l'arrosoir : apporte-les moi. " Elle ne les eut pas plutƒt apport€s,

que sa marraine les changea en six laquais, qui mont•rent aussitƒt derri•re le carrosse, avec leurs habits chamarr€s, etqui s'y tenaient attach€s comme s'ils n'eussent fait autre chose de toute leur vie.

La f€e dit alors ‡ Cendrillon :

- "Eh bien! voil‡, de quoi aller au bal : n'es-tu pas bien aise ?"

- Oui, mais est-ce que j'irai comme cela, avec mes vilains habits ?"

Sa marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en mˆme temps ses habits furent chang€s en des habits d'or et

d'argent, tout chamarr€s de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du

monde.

Quand elle fut ainsi par€e, elle monta en carrosse ; mais sa marraine lui recommanda, sur toutes choses, de ne pas

passer minuit, l'avertissant que, si elle demeurait au bal un moment davantage, son carrosse redeviendrait citrouille,

ses chevaux des souris, ses laquais des l€zards, et que ses beaux habits reprendraient leur premi•re forme.

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Cendrillon (Perrault) 3

Elle promit ‡ sa marraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie.

Le fils du roi, qu'on alla avertir qu'il venait d'arriver une grande princesse qu'on ne connaissait point, courut la

recevoir. Il lui donna la main ‡ la descente du carrosse, et la mena dans la salle o† €tait la compagnie. Il se fit alors

un grand silence ; on cessa de danser, et les violons ne jou•rent plus, tant on €tait attentif ‡ contempler les grandes

beaut€s de cette inconnue. On n'entendait qu'un bruit confus :

"Ah! qu'elle est belle !"Le roi mˆme, tout vieux qu'il €tait, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas ‡ la reine qu'il y avait longtemps

qu'il n'avait vu une si belle et si aimable personne.

Toutes les dames €taient attentives ‡ consid€rer sa coiffure et ses habits, pour en avoir, d•s le lendemain, de

semblables, pourvu qu'il se trouvŠt des €toffes assez belles, et des ouvriers assez habiles.

Le fils du roi la mit ‡ la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener danser. Elle dansa avec tant de grŠce,

qu'on l'admira encore davantage. On apporta une fort belle collation, dont le jeune prince ne mangea point, tant il

€tait occup€ ‡ la consid€rer. Elle alla s'asseoir aupr•s de ses s…urs et leur fit mille honnˆtet€s; elle leur fit part des

oranges et des citrons que le prince lui avait donn€s, ce qui les €tonna fort, car elles ne la connaissaient point.

Lorsqu'elles causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts ; elle fit aussitƒt une grander€v€rence ‡ la compagnie, et s'en alla le plus vite qu'elle put.

D•s qu'elle fut arriv€e, elle alla trouver sa marraine, et, apr•s l'avoir remerci€e, elle lui dit qu'elle souhaiterait bien

aller encore le lendemain au bal, parce que le fils du roi l'en avait pri€e.

Comme elle €tait occup€e ‡ raconter ‡ sa marraine tout ce qui s'€tait pass€ au bal, les deux s…urs heurt•rent ‡ la porte

; Cendrillon leur alla ouvrir.

- "Que vous ˆtes longtemps ‡ revenir !" leur dit-elle en bŠillant, en se frottant les yeux, et en s'€tendant comme si elle

n'e‚t fait que de se r€veiller.

Elle n'avait cependant pas eu envie de dormir, depuis qu'elles s'€taient quitt€es.

- "Si tu €tais venue au bal, lui dit une de ses s…urs, tu ne t'y serais pas ennuy€e il est venu la plus belle princesse, laplus belle qu'on puisse jamais voir ; elle nous a fait mille civilit€s elle nous a donn€ des oranges et des citrons."

Cendrillon ne se sentait pas de joie : elle leur demanda le nom de cette princesse ; mais elles lui r€pondirent qu'on ne

la connaissait pas, que le fils du roi en €tait fort en peine, et qu'il donnerait toutes choses au monde pour savoir qui

elle €tait. Cendrillon sourit et leur dit :

- "Elle €tait donc bien belle ? Mon Dieu ! que vous ˆtes heureuses ! ne pourrais-je point la voir ? H€las !

mademoiselle Javotte, prˆtez-moi votre habit jaune que vous mettez tous les jours."

- "Vraiment, dit mademoiselle Javotte, je suis de cet avis ! Prˆter son habit ‡ un vilain Cucendron comme cela ! il

faudrait que je fusse bien folle."

Cendrillon s'attendait bien ‡ ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait €t€ grandement embarrass€e, si sa s…ure‚t bien voulu lui prˆter son habit.

Le lendemain, les deux s…urs furent au bal, et Cendrillon aussi, mais encore plus par€e que la premi•re fois. Le fils

du roi fut toujours aupr•s d'elle, et ne cessa de lui conter des douceurs. La jeune demoiselle ne s'ennuyait point et

oublia ce que sa marraine lui avait recommand€ ; de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit,

lorsqu'elle ne croyait point qu'il f‚t encore onze heures: elle se leva, et s'enfuit aussi l€g•rement qu'aurait fait une

biche.

Le prince la suivit, mais il ne put l'attraper. Elle laissa tomber une de ses pantoufles de verre, que le prince ramassa

bien soigneusement.

Cendrillon arriva chez elle, bien essouffl€e, sans carrosse, sans laquais, et avec ses m€chants habits ; rien ne lui €tant

rest€ de sa magnificence qu'une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu'elle avait laiss€ tomber.

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Cendrillon (Perrault) 4

On demanda aux gardes de la porte du palais s'ils n'avaient point vu sortir une princesse ils dirent qu'ils n'avaient vu

sortir personne qu'une jeune fille fort mal vˆtue, et qui avait plus l'air d'une paysanne que d'une demoiselle.

Quand les deux s…urs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elles s'€taient encore bien diverties, et si la belle

dame y avait €t€ ; elles lui dirent que oui, mais qu'elle s'€tait enfuie, lorsque minuit avait sonn€, et si promptement

qu'elle avait laiss€ tomber une de ses petites pantoufles de verre, la plus jolie du monde ; que le fils du roi l'avait

ramass€e, et qu'il n'avait fait que la regarder pendant tout le reste du bal, et qu'assur€ment il €tait fort amoureux de labelle personne ‡ qui appartenait la petite pantoufle.

Elles dirent vrai ; car, peu de jours apr•s, le fils du roi fit publier, ‡ son de trompe, qu'il €pouserait celle dont le pied

serait bien juste ‡ la pantoufle.

On commen‹a ‡ l'essayer aux princesses, ensuite aux duchesses et ‡ toute la cour, mais inutilement. On l'apporta

chez les deux s…urs, qui firent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans la pantoufle mais elles ne purent en

venir ‡ bout. Cendrillon, qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant :

- "Que je voie si elle ne me serait pas bonne."

Ses s…urs se mirent ‡ rire et ‡ se moquer d'elle. Le gentilhomme qui faisait l'essai de la pantoufle, ayant regard€

attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela €tait tr•s juste, et qu'il avait ordre de l'essayer ‡ toutesles filles.

Il fit asseoir Cendrillon, et approchant la pantoufle de son petit pied, il vit qu'il y entrait sans peine, et qu'elle y €tait

 juste comme de cire. L'€tonnement des deux s…urs fut grand, mais plus grand encore quand Cendrillon tira de sa

poche l'autre petite pantoufle qu'elle mit ‡ son pied. L‡-dessus arriva la marraine, qui ayant donn€ un coup de

baguette sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus magnifiques que tous les autres.

Alors ses deux s…urs la reconnurent pour la belle personne qu'elles avaient vue au bal. Elles se jet•rent ‡ ses pieds

pour lui demander pardon de tous les mauvais traitements qu'elles lui avaient fait souffrir.

Cendrillon les releva et leur dit, en les embrassant, qu'elle leur pardonnait de bon c…ur, et qu'elle les priait de l'aimer

bien toujours. On la mena chez le jeune prince, par€e comme elle €tait. Il la trouva encore plus belle que jamais; et,

peu de jours apr•s, il l'€pousa.

Cendrillon, qui €tait aussi bonne que belle, fit loger ses deux s…urs au palais, et les maria, d•s le jour mˆme, ‡ deux

grands seigneurs de la cour.

MORALITŒ

La beaut€, pour le sexe, est un rare tr€sor.

De l'admirer jamais on ne se lasse ;

Mais ce qu'on nomme bonne grŠce

Est sans prix, et vaut mieux encore.

C'est ce qu'‡ Cendrillon fit avoir sa marraine,En la dressant, en l'instruisant,

Tant et si bien qu'elle en fit une reine :

(Car ainsi sur ce conte on va moralisant).

Belles, ce don vaut mieux que d'ˆtre bien coiff€es :

Pour engager un c…ur, pour en venir ‡ bout,

La bonne grŠce est le vrai don des f€es ;

Sans elle on ne peut rien, avec elle on peut tout.

AUTRE MORALITŒ

C'est sans doute un grand avantage,

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Cendrillon (Perrault) 5

D'avoir de l'esprit, du courage,

De la naissance, du bon sens,

Et d'autres semblables talents

Qu'on re‹oit du Ciel en partage ;

Mais vous aurez beau les avoir,

Pour votre avancement ce seront choses vaines,

Si vous n'avez, pour les faire valoir,

Ou des parrains, ou des marraines.

it:I racconti delle fate/Cenerentola ru:Ž‘’“ (”‘‘–, —‘˜–™ š›‘œ˜) es: La Cenicienta (Perrault)

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Riquet € la houppe 1

Riquet € la houppe

Riquet € la houppe

Charles Perrault

Il •tait une fois une reine qui accoucha d'un fils, si laid et si mal fait, qu'on douta longtemps s'il avait forme humaine.

Une f•e qui se trouva € sa naissance assura qu'il ne laisserait pas d'‚tre aimable, parce qu'il aurait beaucoup d'esprit;

elle ajouta m‚me qu'il pourrait, en vertu du don qu'elle venait de lui faire, donner autant d'esprit qu'il en aurait € celle

qu'il aimerait le mieux.

Tout cela consola un peu la pauvre reine, qui •tait bien afflig•e d'avoir mis au monde un si vilain marmot. Il est vrai

que cet enfant ne commenƒa pas plus t„t € parler qu'il dit mille jolies choses, et qu'il avait dans toutes ses actions je

ne sais quoi de si spirituel, qu'on en •tait charm•. J'oubliais de dire qu'il vint au monde avec une petite houppe de

cheveux sur la t‚te, ce qui fit qu'on le nomma Riquet € la houppe, car Riquet •tait le nom de la famille. Au bout de

sept ou huit ans la reine d'un royaume voisin accoucha de deux filles. La premi…re qui vint au monde •tait plus belle

que le jour : la reine en fut si aise, qu'on appr•henda que la trop grande joie qu'elle en avait ne lui fit mal. La m‚me

f•e qui avait assist• € la naissance du petit Riquet € la houppe •tait pr•sente, et pour mod•rer la joie de la reine, ellelui d•clara que cette petite princesse n'aurait point d'esprit, et qu'elle serait aussi stupide qu'elle •tait belle. Cela

mortifia beaucoup la Reine; mais elle eut quelques moments apr…s un bien plus grand chagrin, car la seconde fille

dont elle accoucha se trouva extr‚mement laide. "Ne vous affligez point tant, Madame" , lui dit la f•e ; " votre fille

sera r•compens•e d'ailleurs, et elle aura tant d'esprit, qu'on ne s'apercevra presque pas qu'il lui manque de la beaut•. -

Dieu le veuille , r•pondit la Reine, mais n'y aurait-il point moyen de faire avoir un peu d'esprit € l'a†n•e qui est si

belle ? - Je ne puis rien pour elle, Madame, du c„t• de l'esprit, lui dit la f•e, mais je puis tout du c„t• de la beaut•; et

comme il n'y a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau

qui lui plaira."

A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections cr‡rent aussi avec elles, et on ne parlait

partout que de la beaut• de l'a†n•e, et de l'esprit de la cadette. Il est vrai aussi que leurs d•fauts augment…rent

beaucoup avec l'ˆge. La cadette enlaidissait € vue d'oeil, et l'a†n•e devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne

r•pondait rien € ce qu'on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle •tait avec cela si maladroite qu'elle n'e‡t pu

ranger quatre Porcelaines sur le bord d'une chemin•e sans en casser une, ni boire un verre d'eau sans en r•pandre la

moiti• sur ses habits.

Quoique la beaut• soit un grand avantage chez une jeune femme, cependant la cadette l'emportait presque toujours

sur son a†n•e dans toutes les Compagnies. D'abord on allait du c„t• de la plus belle pour la voir et pour l'admirer,

mais bient„t apr…s, on allait € celle qui avait le plus d'esprit, pour lui entendre dire mille choses agr•ables, et on •tait

•tonn• qu'en moins d'un quart d'heure l'a†n•e n'avait plus personne aupr…s d'elle, et que tout le monde s'•tait rang•

autour de la cadette. L'a†n•e, quoique fort stupide, le remarqua bien, et elle e‡t donn• sans regret toute sa beaut• pour

avoir la moiti• de l'esprit de sa s‰ur. La Reine, toute sage qu'elle •tait, ne put s'emp‚cher de lui reprocher plusieurs

fois sa b‚tise, ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre Princesse.

Un jour qu'elle s'•tait retir•e dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir € elle un petit homme fort laid et

fort d•sagr•able, mais v‚tu tr…s magnifiquement. C'•tait le jeune Prince Riquet € la houppe, qui •tant devenu

amoureux d'elle d'apr…s ses portraits qui circulaient par tout le monde, avait quitt• le royaume de son p…re pour avoir

le plaisir de la voir et de lui parler.

Ravi de la rencontrer ainsi toute seule, il l'aborde avec tout le respect et toute la politesse imaginables. Ayant

remarqu•, apr…s lui avoir fait les compliments ordinaires, qu'elle •tait fort m•lancolique, il lui dit : "Je ne comprends

point, Madame, comment quelqu'un aussi belle que vous l'‚tes peut ‚tre aussi triste que vous le paraissez; car,

quoique je puisse me vanter d'avoir vu une infinit• de belles dames, je puis dire que je n'en ai jamais vu dont labeaut• approche de la v„tre. - Cela vous pla†t € dire, Monsieur", lui r•pondit la Princesse, et en demeure l€. - La

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Riquet € la houppe 2

beaut•, reprit Riquet € la houppe, est un si grand avantage qu'il doit tenir lieu de tout le reste; et quand on le poss…de,

 je ne vois pas qu'il y ait rien qui puisse nous affliger beaucoup. - J'aimerais mieux, dit la Princesse, ‚tre aussi laide

que vous et avoir de l'esprit, que d'avoir de la beaut• comme j'en ai, et ‚tre b‚te autant que je le suis. - Il n'y a rien,

Madame, qui marque davantage qu'on a de l'esprit, que de croire n'en pas avoir, et il est de la nature de ce bien-l€,

que plus on en a, plus on croit en manquer. - Je ne sais pas cela , dit la Princesse, mais je sais bien que je suis fort

b‚te, et c'est de l€ que vient le chagrin qui me tue. - Si ce n'est que cela, Madame, qui vous afflige, je puis ais•ment

mettre fin € votre douleur." - Et comment ferez-vous ? dit la Princesse. - J'ai le pouvoir, Madame, dit Riquet € la

houppe, de donner de l'esprit autant qu'on en saurait avoir € celle que je dois aimer le plus; et comme vous ‚tes,

Madame, celle-l€, il n'en tiendra qu'€ vous que vous n'ayez autant d'esprit qu'on en peut avoir, pourvu que vous

vouliez bien m'•pouser."

La Princesse demeura toute interdite, et ne r•pondit rien. "Je vois" , reprit Riquet € la houppe, que cette proposition

vous fait de la peine, et je ne m'en •tonne pas; mais je vous donne un an tout entier pour vous y r•soudre." La

Princesse avait si peu d'esprit, et en m‚me temps une si grande envie d'en avoir, qu'elle s'imagina que la fin de cette

ann•e ne viendrait jamais; de sorte qu'elle accepta la proposition qui lui •tait faite.

Elle n'eut pas plus t„t promis € Riquet € la houppe qu'elle l'•pouserait dans un an € pareil jour, qu'elle se sentit tout

autre qu'elle n'•tait auparavant; elle se trouva une facilit• incroyable € dire tout ce qui lui plaisait, et € le dire d'une

mani…re fine, ais•e et naturelle. Elle commenƒa d…s ce moment une conversation galante et soutenue avec Riquet € la

houppe, oŠ elle brilla d'une telle force que Riquet € la houppe crut lui avoir donn• plus d'esprit qu'il ne s'en •tait

r•serv• pour lui-m‚me.

Quand elle fut retourn•e au Palais, toute la Cour ne savait que penser d'un changement si subit et si extraordinaire,

car autant qu'on lui avait entendu dire d'impertinences auparavant, autant lui entendait-on dire des choses bien

sens•es et infiniment spirituelles. Toute la Cour en eut une joie qui ne peut s'imaginer; il n'y eut que sa cadette qui

n'en fut pas bien aise, parce que n'ayant plus sur son a†n•e l'avantage de l'esprit, elle ne paraissait plus aupr…s d'elle

qu'une guenon fort d•sagr•able. Le roi se conduisait selon ses avis, et allait m‚me quelquefois tenir le conseil dans

son Appartement.

Le bruit de ce changement s'•tant r•pandu, tous les jeunes Princes des Royaumes voisins firent grands efforts pour

s'en faire aimer, et presque tous la demand…rent en Mariage; mais elle n'en trouvait point qui e‡t assez d'esprit, et elle

les •coutait tous sans s'engager avec l'un d'eux. Cependant il en vint un si puissant, si riche, si spirituel et si bien fait,

qu'elle ne put s'emp‚cher d'avoir de la bonne volont• pour lui. Son p…re s'en •tant aperƒu lui dit qu'il la faisait la

ma†tresse sur le choix d'un •poux, et qu'elle n'avait qu'€ se d•clarer. Comme plus on a d'esprit et plus on a de peine €

prendre une ferme r•solution sur cette affaire, elle demanda, apr…s avoir remerci• son p…re, qu'il lui donnˆt du temps

pour y penser.

Elle alla par hasard se promener dans le m‚me bois oŠ elle avait trouv• Riquet € la houppe, pour r‚ver plus

commod•ment € ce qu'elle avait € faire. Dans le temps qu'elle se promenait, r‚vant profond•ment, elle entendit un

bruit sourd sous ses pieds, comme de plusieurs gens qui vont et viennent et qui agissent. Ayant pr‚t• l'oreille plusattentivement, elle entendit que l'un disait : "Apporte-moi cette marmite"; l'autre : "Donne-moi cette chaudi…re";

l'autre : "Mets du bois dans ce feu." La terre s'ouvrit dans le m‚me temps, et elle vit sous ses pieds comme une

grande Cuisine pleine de Cuisiniers, de Marmitons et de toutes sortes d'Officiers n•cessaires pour faire un festin

magnifique. Il en sortit une bande de vingt ou trente R„tisseurs, qui all…rent se camper dans une all•e du bois autour

d'une table fort longue, et qui tous, la lardoire € la main, et la queue de renard sur l'oreille, se mirent € travailler en

cadence au son d'une chanson harmonieuse.

La Princesse, •tonn•e de ce spectacle, leur demanda pour qui ils travaillaient. C'est, Madame, lui r•pondit le plus

apparent de la bande, pour le prince Riquet € la houppe, dont les noces se feront demain." La Princesse, encore plus

surprise qu'elle ne l'avait •t•, et se ressouvenant tout € coup qu'il y avait un an qu'€ pareil jour elle avait promis

d'•pouser le prince Riquet € la houppe, elle pensa tomber de son haut. Ce qui faisait qu'elle ne s'en souvenait pas,

c'est que, quand elle fit cette promesse, elle •tait b‚te, et qu'en prenant le nouvel esprit que le prince lui avait donn•,

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Riquet € la houppe 3

elle avait oubli• toutes ses sottises. Elle n'eut pas fait trente pas en continuant sa promenade, que Riquet € la houppe

se pr•senta € elle, brave, magnifique, et comme un Prince qui va se marier. "Vous me voyez, dit-il, Madame, exact €

tenir ma parole, et je ne doute point que vous ne veniez ici pour ex•cuter la v„tre, et me rendre, en me donnant la

main, le plus heureux de tous les hommes." - Je vous avouerai franchement, " r•pondit la princesse, " que je n'ai pas

encore pris ma d•cision l€-dessus, et que je ne crois pas pouvoir jamais la prendre comme vous la souhaitez. - Vous

m'•tonnez, Madame, lui dit Riquet € la houppe. - Je le crois, dit la Princesse, et assur•ment si j'avais affaire € un

brutal, € un homme sans esprit, je me trouverais bien embarrass•e. Une Princesse n'a que sa parole, me dirait-il, et il

faut que vous m'•pousiez, puisque vous me l'avez promis; mais comme celui € qui je parle est l 'homme du monde qui

a le plus d'esprit, je suis s‡re qu'il entendra raison. Vous savez que, quand j'•tais b‚te, je ne pouvais n•anmoins me

r•soudre € vous •pouser; comment voulez-vous qu'ayant l'esprit que vous m'avez donn•, qui me rend encore plus

difficile en gens que je n'•tais, je prenne aujourd'hui une .d•cision que je n'ai pu prendre dans ce temps-l€ ? Si vous

pensiez tout de bon € m'•pouser, vous avez eu grand tort de m'„ter ma b‚tise, et de me faire voir plus clair que je ne

voyais. - Si un homme sans esprit, r•pondit Riquet € la houppe, serait bien reƒu, comme vous venez de le dire, € vous

reprocher votre manque de parole, pourquoi voulez-vous, Madame, que je n'en use pas de m‚me, dans une chose oŠ

il y va de tout le bonheur de ma vie ? Est-il raisonnable que ceux qui ont de l'esprit soient d'une pire condition que

ceux qui n'en ont pas ? Pouvez-vous le pr•tendre, vous qui en avez tant, et qui avez tant souhait• d'en avoir ? Maisvenons au fait, s'il vous pla†t : € la r•serve de ma laideur, y a-t-il quelque chose en moi qui vous d•plaise ? Etes-vous

mal contente de ma naissance, de mon esprit, de mon humeur, et de mes mani…res ? - Nullement , r•pondit la

Princesse, j'aime en vous tout ce que vous venez de me dire. - Si cela est ainsi, reprit Riquet € la houppe, je vais ‚tre

heureux, puisque vous pouvez me rendre le plus aimable de tous les hommes. - Comment cela se peut-il ? lui dit la

Princesse. - Cela se fera, r•pondit Riquet € la houppe, si vous m'aimez assez pour souhaiter que cela soit; et afin,

Madame, que vous n'en doutiez pas, sachez que la m‚me f•e qui au jour de ma naissance me fit le don de pouvoir

rendre spirituelle qui me plairait, vous a aussi fait le don de pouvoir rendre beau celui que vous aimerez, et € qui

vous voudrez bien faire cette faveur." - Si la chose est ainsi, dit la Princesse, je souhaite de tout mon c‰ur que vous

deveniez le prince du monde le plus beau et le plus aimable; et je vous en fais le don autant qu'il est en moi."

La Princesse n'eut pas plus t„t prononc• ces paroles, que Riquet € la houppe parut € ses yeux l'homme du monde leplus beau, le mieux fait, et le plus aimable qu'elle e‡t jamais vu.

Quelques-uns assurent que ce ne furent point les charmes de la f•e qui op•r…rent, mais que l'amour seul fit cette

M•tamorphose. Ils disent que la Princesse ayant fait r•flexion sur la pers•v•rance de son amant, sur sa discr•tion, et

sur toutes les bonnes qualit•s de son ˆme et de son esprit, ne vit plus la difformit• de son corps, ni la laideur de son

visage, que sa bosse ne lui sembla plus que le bon air d'un homme qui fait le gros dos; et qu'au lieu que jusqu'alors

elle l'avait vu boiter effroyablement, elle ne lui trouva plus qu'un certain air pench• qui la charmait; ils disent encore

que ses yeux, qui •taient louches, ne lui en parurent que plus brillants, que leur d•r…glement passa dans son esprit

pour la marque d'un violent exc…s d'amour, et qu'enfin son gros nez rouge eut pour elle quelque chose de martial et

d'h•ro‹que.

Quoi qu'il en soit, la Princesse lui promit sur-le-champ de l '•pouser, pourvu qu'il en obtint le consentement du roi son

p…re. Le roi ayant su que sa fille avait beaucoup d'estime pour Riquet € la houppe, qu'il connaissait d'ailleurs pour un

prince tr…s spirituel et tr…s sage, le reƒut avec plaisir pour son gendre. D…s le lendemain les noces furent faites, ainsi

que Riquet € la houppe l'avait pr•vu, et selon les ordres qu'il en avait donn•s longtemps auparavant.

MORALITE

Ce que l'on voit dans cet •crit,

Est moins un conte en l'air que la v•rit• m‚me;

Tout est beau dans ce que l'on aime,

Tout ce qu'on aime a de l'esprit.

AUTRE MORALITE

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Riquet € la houppe 4

Dans un objet oŠ la Nature,

Aura mis de beaux traits, et la vive peinture

D'un teint oŠ jamais l'Art ne saurait arriver,

Tous ces dons pourront moins pour rendre un c‰ur sensible,

Qu'un seul agr•ment invisible

Que l'Amour y fera trouver.

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Le Petit Poucet 1

Le Petit Poucet

Le Petit Poucet

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois un b•cheron et une b•cheronne qui avaient sept enfants, tous gar‚ons; l'aƒn€ n'avait que dix ans, et le

plus jeune n'en avait que sept.

On s'€tonnera que le b•cheron ait eu tant d'enfants en si peu de temps ; mais c'est que sa femme allait vite en

besogne, et n'en avait pas moins de deux „ la fois.

Ils €taient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvait encore

gagner sa vie. Ce qui les chagrinait encore, c'est que le plus jeune €tait fort d€licat et ne disait mot : prenant pour

b…tise ce qui €tait une marque de la bont€ de son esprit.

Il €tait fort petit, et, quand il vint au monde, il n'€tait gu†re plus gros que le pouce, ce qui fit qu'on l'appela le petit

Poucet. Ce pauvre enfant €tait le souffre-douleur de la maison, et on lui donnait toujours tort. Cependant il €tait le

plus fin et le plus avis€ de tous ses fr†res, et, s'il parlait peu, il €coutait beaucoup. Il vint une ann€e tr†s f‡cheuse, et

la famine fut si grande que ces pauvres gens r€solurent de se d€faire de leurs enfants.

Un soir que ces enfants €taient couch€s, et que le b•cheron €tait aupr†s du feu avec sa femme, il lui dit, le cˆur serr€

de douleur :

" Tu vois bien que nous ne pouvons plus nourrir nos enfants; je ne saurais les voir mourir de faim devant mes yeux,

et je suis r€solu de les mener perdre demain au bois, ce qui sera bien ais€, car, tandis qu'ils s'amuseront „ fagoter,nous n'avons qu'„ nous enfuir sans qu'ils nous voient.

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Le Petit Poucet 2

- Ah! s'€cria la b•cheronne, pourrais-tu toi-m…me mener perdre tes enfants ? "

Son mari avait beau lui repr€senter leur grande pauvret€, elle ne pouvait y consentir; elle €tait pauvre, mais elle €tait

leur m†re. Cependant, ayant consid€r€ quelle douleur ce lui serait de les voir mourir de faim, elle y consentit, et alla

se coucher en pleurant. Le petit Poucet ou‰t tout ce qu'ils dirent, car ayant entendu, de dedans son lit, qu'ils parlaient

d'affaires, il s'€tait lev€ doucement et s'€tait gliss€ sous l'escabelle de son p†re, pour les €couter sans …tre vu. Il alla se

recoucher et ne dormit point du reste de la nuit, songeant „ ce qu'il avait „ faire.Il se leva de bon matin, et alla au bord d'un ruisseau, oŠ il emplit ses poches de petits cailloux blancs, et ensuite

revint „ la maison. On partit, et le petit Poucet ne d€couvrit rien de tout ce qu'il savait „ ses fr†res. Ils all†rent dans

une for…t fort €paisse, oŠ „ dix pas de distance, on ne se voyait pas l'un l'autre. Le b•cheron se mit „ couper du bois,

et ses enfants „ ramasser des broutilles pour faire des fagots. Le p†re et la m†re, les voyant occup€s „ travailler,

s'€loign†rent d'eux insensiblement, et puis s'enfuirent tout „ coup par un petit sentier d€tourn€.

Lorsque ces enfants se virent seuls, ils se mirent „ crier et „ pleurer de toute leur force.

Le petit Poucet les laissait crier, sachant bien par oŠ il reviendrait „ la maison, car en marchant il avait laiss€ tomber

le long du chemin les petits cailloux blancs qu'il avait dans ses poches. Il leur dit donc :

" Ne craignez point, mes fr†res; mon p†re et ma m†re nous ont laiss€s ici, mais je vous ram†nerai bien au logis:suivez-moi seulement. "

Ils le suivirent, et il les mena jusqu'„ leur maison, par le m…me chemin qu'ils €taient venus dans la for…t. Ils n'os†rent

d'abord entrer, mais ils se mirent tous contre la porte, pour €couter ce que disaient leur p†re et leur m†re.

Dans le moment que le b•cheron et la b•cheronne arriv†rent chez eux, le seigneur du village leur envoya dix €cus,

qu'il leur devait il y avait longtemps, et dont ils n'esp€raient plus rien.

Cela leur redonna la vie, car les pauvres gens mouraient de faim. Le b•cheron envoya sur l'heure sa femme „ la

boucherie. Comme il y avait longtemps qu'elle n'avait mang€, elle acheta trois fois plus de viande qu'il n'en fallait

pour le souper de deux personnes. Lorsqu'ils furent rassasi€s, la b•cheronne dit :

" H€las ! oŠ sont maintenant nos pauvres enfants ? Ils feraient bonne ch†re de ce qui nous reste l„. Mais aussi,

Guillaume, c'est toi qui les as voulu perdre ; j'avais bien dit que nous nous en repentirions. Que font-ils maintenant

dans cette for…t ? H€las! mon Dieu, les loups les ont peut-…tre d€j„ mang€s! Tu es bien inhumain d'avoir perdu ainsi

tes enfants ! "

Le b•cheron s'impatienta „ la fin ; car elle redit plus de vingt fois qu'ils s'en repentiraient, et qu'elle l'avait bien dit. Il

la mena‚a de la battre si elle ne se taisait.

Ce n'est pas que le b•cheron ne f•t peut-…tre encore plus f‡ch€ que sa femme, mais c'est qu'elle lui rompait la t…te, et

qu'il €tait de l'humeur de beaucoup d'autres gens, qui aiment fort les femmes qui disent bien, mais qui trouvent tr†s

importunes celles qui ont toujours bien dit. La b•cheronne €tait tout en pleurs :

" H€las! oŠ sont maintenant mes enfants, mes pauvres enfants! "

Elle le dit une fois si haut, que les enfants, qui €taient „ la porte, l'ayant entendue, se mirent „ crier tous ensemble:

" Nous voil„! nous voil„! "

Elle courut vite leur ouvrir la porte, et leur dit en les embrassant :

" Que je suis aise de vous revoir, mes chers enfants ! Vous …tes bien las, et vous avez bien faim ; et toi, Pierrot,

comme te voil„ crott€, viens que je te d€barbouille."

Ce Pierrot €tait son fils aƒn€, qu'elle aimait plus que tous les autres, parce qu'il €tait un peu rousseau, et qu'elle €tait

un peu rousse. Ils se mirent „ table, et mang†rent d'un app€tit qui faisait plaisir au p†re et „ la m†re, „ qui ils

racontaient la peur qu'ils avaient eue dans la for…t, en parlant presque toujours tous ensemble. Ces bonnes gens

€taient ravis de revoir leurs enfants avec eux, et cette joie dura tant que les dix €cus dur†rent.

Mais, lorsque l'argent fut d€pens€, ils retomb†rent dans leur premier chagrin, et r€solurent de les perdre encore ; et,

pour ne pas manquer leur coup, de les mener bien plus loin que la premi†re fois. Ils ne purent parler de cela si

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Le Petit Poucet 3

secr†tement qu'ils ne fussent entendus par le petit Poucet, qui fit son compte de sortir d'affaire comme il avait d€j„

fait ; mais, quoiqu'il se f•t lev€ de grand matin pour aller ramasser de petits cailloux, il ne put en venir „ bout, car il

trouva la porte de la maison ferm€e „ double tour.

Il ne savait que faire, lorsque, la b•cheronne leur ayant donn€ „ chacun un morceau de pain pour leur d€jeuner, il

songea qu'il pourrait se servir de son pain au lieu de cailloux, en rejetant par miettes le long des chemins oŠ ils

passeraient: il le serra donc dans sa poche.Le p†re et la m†re les men†rent dans l'endroit de la for…t le plus €pais et le plus obscur; et, d†s qu'ils y furent, ils

gagn†rent un faux-fuyant, et les laiss†rent l„.

Le petit Poucet ne s'en chagrina pas beaucoup, parce qu'il croyait retrouver ais€ment son chemin, par le moyen de

son pain qu'il avait sem€ partout oŠ il avait pass€ ; mais il fut bien surpris lorsqu'il ne put en retrouver une seule

miette; les oiseaux €taient venus qui avaient tout mang€.

Les voil„ donc bien afflig€s ; car, plus ils marchaient, plus ils s'€garaient et s'enfon‚aient dans la for…t.

La nuit vint, et il s'€leva un grand vent qui leur faisait des peurs €pouvantables. Ils croyaient n'entendre de tous c‹t€s

que les hurlements de loups qui venaient „ eux pour les manger. Ils n'osaient presque se parler, ni tourner la t…te. Il

survint une grosse pluie, qui les per‚a jusqu'aux os ; ils glissaient „ chaque pas, et tombaient dans la boue, d'oŠ ils serelevaient tout crott€s, ne sachant que faire de leurs mains.

Le petit Poucet grimpa au haut d'un arbre, pour voir s'il ne d€couvrirait rien ; ayant tourn€ la t…te de tous c‹t€s, il vit

une petite lueur comme d'une chandelle, mais qui €tait bien loin, par del„ la for…t. Il descendit de l'arbre, et lorsqu'il

fut „ terre, il ne vit plus rien: cela le d€sola. Cependant, ayant march€ quelque temps avec ses fr†res, du c‹t€ qu'il

avait vu la lumi†re, il la revit en sortant du bois. Ils arriv†rent enfin „ la maison oŠ €tait cette chandelle, non sans

bien des frayeurs : car souvent ils la perdaient de vue; ce qui leur arrivait toutes les fois qu'ils descendaient dans

quelque fond.

Ils heurt†rent „ la porte, et une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu'ils voulaient. Le petit Poucet

lui dit qu'ils €taient de pauvres enfants qui s'€taient perdus dans la for…t, et qui demandaient „ coucher par charit€.

Cette femme, les voyant tous si jolis, se mit „ pleurer, et leur dit :

" H€las ! mes pauvres enfants, oŠ …tes-vous venus ? Savez-vous bien que c'est ici la maison d'un Ogre qui mange les

petits enfants ?

- H€las ! madame, lui r€pondit le petit Poucet, qui tremblait de toute sa force, aussi bien que ses fr†res, que

ferons-nous ? Il est bien s•r que les loups de la for…t ne manqueront pas de nous manger cette nuit si vous ne voulez

pas nous retirer chez vous, et cela €tant, nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange ; peut-…tre qu'il

aura piti€ de nous si vous voulez bien l'en prier."

La femme de l'Ogre, qui crut qu'elle pourrait les cacher „ son mari jusqu'au lendemain matin, les laissa entrer, et les

mena se chauffer aupr†s d'un bon feu ; car il y avait un mouton tout entier „ la broche, pour le souper de l'Ogre.

Comme ils commen‚aient „ se chauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups „ la porte : c'€tait l'Ogre

qui revenait. Aussit‹t sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L'Ogre demanda d'abord si le souper

€tait pr…t, et si on avait tir€ du vin, et aussit‹t se mit „ table. Le mouton €tait encore tout sanglant, mais il ne lui en

sembla que meilleur. Il flairait „ droite et „ gauche, disant qu'il sentait la chair fraƒche.

" Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce veau que je viens d'habiller*, que vous sentez.

- Je sens la chair fraƒche, te dis-je encore une fois, reprit l'Ogre, en regardant sa femme de travers, et il y a ici quelque

chose que je n'entends pas. "

En disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit.

" Ah! dit-il, voil„ donc comme tu veux me tromper, maudite femme! Je ne sais „ quoi il tient que je ne te mange

aussi : bien t'en prend d'…tre une vieille b…te. Voil„ du gibier qui me vient bien „ propos pour traiter trois ogres demes amis, qui doivent me venir voir ces jours-ci. "

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Le Petit Poucet 4

Il les tira de dessous le lit, l'un apr†s l'autre. Ces pauvres enfants se mirent „ genoux, en lui demandant pardon; mais

ils avaient affaire au plus cruel de tous les ogres, qui, bien loin d'avoir de la piti€, les d€vorait d€j„ des yeux, et disait

„ sa femme que ce seraient l„ de friands morceaux, lorsqu'elle leur aurait fait une bonne sauce. Il alla prendre un

grand couteau ; et en approchant de ces pauvres enfants, il l'aiguisait sur une longue pierre, qu'il tenait „ sa main

gauche. Il en avait d€j„ empoign€ un, lorsque sa femme lui dit :

" Que voulez-vous faire „ l'heure qu'il est ? n'aurez-vous pas assez de temps demain ?- Tais-toi, reprit l'Ogre, ils en seront plus mortifi€s.

- Mais vous avez encore l„ tant de viande, reprit sa femme : voil„ un veau, deux moutons et la moiti€ d'un cochon !

- Tu as raison, dit l'Ogre : donne-leur bien „ souper afin qu'ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. "

La bonne femme fut ravie de joie, et leur porta bien „ souper; mais ils ne purent manger, tant ils €taient saisis de

peur. Pour l'Ogre, il se remit „ boire, ravi d'avoir de quoi si bien r€galer ses amis. Il but une douzaine de coups de

plus qu'„ l'ordinaire : ce qui lui donna un peu dans la t…te, et l'obligea de s'aller coucher.

L'Ogre avait sept filles, qui n'€taient encore que des enfants. Ces petites ogresses avaient toutes le teint fort beau,

parce qu'elles mangeaient de la chair fraƒche, comme leur p†re ; mais elles avaient de petits yeux gris et tout ronds, le

nez crochu, et une fort grande bouche, avec de longues dents fort aiguŒs et fort €loign€es l'une de l'autre. Ellesn'€taient pas encore fort m€chantes; mais elles promettaient beaucoup, car elles mordaient d€j„ les petits enfants pour

en sucer le sang.

On les avait fait coucher de bonne heure, et elles €taient toutes sept dans un grand lit, ayant chacune une couronne

d'or sur la t…te. Il y avait dans la m…me chambre un autre lit de la m…me grandeur: ce fut dans ce lit que la femme de

l'Ogre mit coucher les sept petits gar‚ons; apr†s quoi, elle s'alla coucher aupr†s de son mari.

Le petit Poucet, qui avait remarqu€ que les filles de l'Ogre avaient des couronnes d'or sur la t…te, et qui craignait qu'il

ne prƒt „ l'Ogre quelques remords de ne les avoir pas €gorg€s d†s le soir m…me, se leva vers le milieu de la nuit, et

prenant les bonnets de ses fr†res et le sien, il alla tout doucement les mettre sur la t…te des sept filles de l'Ogre, apr†s

leur avoir ‹t€ leurs couronnes d'or, qu'il mit sur la t…te de ses fr†res, et sur la sienne afin que l'Ogre les prƒt pour ses

filles, et ses filles pour les gar‚ons qu'il voulait €gorger.

La chose r€ussit comme il l'avait pens€ ; car l'Ogre, s'€tant €veill€ sur le minuit, eut regret d'avoir diff€r€ au

lendemain ce qu'il pouvait ex€cuter la veille. Il se jeta donc brusquement hors du lit, et, prenant son grand couteau:

" Allons voir, dit-il, comment se portent nos petits dr‹les; n'en faisons pas „ deux fois. "

Il monta donc „ t‡tons „ la chambre de ses filles, et s'approcha du lit oŠ €taient les petits gar‚ons, qui dormaient tous,

except€ le petit Poucet, qui eut bien peur lorsqu'il sentit la main de l'Ogre qui lui t‡tait la t…te, comme il avait t‡t€

celles de tous ses fr†res. L'Ogre, qui sentit les couronnes d'or :

" Vraiment, dit- il, j'allais faire l„ un bel ouvrage; je vois bien que je bus trop hier au soir. "

Il alla ensuite au lit de ses filles, oŠ ayant senti les petits bonnets des gar‚ons:

" Ah ! les voil„, dit-il, nos gaillards ; travaillons hardiment. "

En disant ces mots, il coupa, sans balancer, la gorge „ ses sept filles. Fort content de cette exp€dition, il alla se

recoucher aupr†s de sa femme. Aussit‹t que le petit Poucet entendit ronfler l'Ogre, il r€veilla ses fr†res, et leur dit de

s'habiller promptement et de le suivre. Ils descendirent doucement dans le jardin et saut†rent par-dessus les

murailles. Ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant, et sans savoir oŠ ils allaient.

L'Ogre, s'€tant €veill€, dit „ sa femme :

" Va-t'en l„-haut habiller ces petits dr‹les d'hier au soir. "

L'Ogresse fut fort €tonn€e de la bont€ de son mari, ne se doutant point de la mani†re qu'il entendait qu'elle les

habill‡t, et croyant qu'il lui ordonnait de les aller v…tir, elle monta en haut, oŠ elle fut bien surprise, lorsqu'elle

aper‚ut ses sept filles €gorg€es et nageant dans leur sang. Elle commen‚a par s'€vanouir, car c'est le premier

exp€dient que trouvent presque toutes les femmes en pareilles rencontres.

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Le Petit Poucet 5

L'Ogre, craignant que sa femme ne f•t trop longtemps „ faire la besogne dont il l'avait charg€e, monta en haut pour

lui aider. Il ne fut pas moins €tonn€ que sa femme lorsqu'il vit cet affreux spectacle.

"Ah ! qu'ai-je fait l„ ? s'€cria-t-il. Ils me le payeront, les malheureux, et tout „ l'heure. "

Il jeta aussit‹t une pot€e d'eau dans le nez de sa femme ; et, l'ayant fait revenir:

" Donne-moi vite mes bottes de sept lieues, lui dit-il, afin que j'aille les attraper. "

Il se mit en campagne, et apr†s avoir couru bien loin de tous les c‹t€s, enfin il entra dans le chemin oŠ marchaient

ces pauvres enfants, qui n'€taient plus qu'„ cent pas du logis de leur p†re. Ils virent l'Ogre qui allait de montagne en

montagne, et qui traversait des rivi†res aussi ais€ment qu'il aurait fait le moindre ruisseau.

Le petit Poucet qui vit un rocher creux proche le lieu oŠ ils €taient, y fit cacher ses six fr†res et s'y fourra aussi,

regardant toujours ce que l' Ogre deviendrait. L'Ogre, qui se trouvait fort las du long chemin qu'il avait fait

inutilement (car les bottes de sept lieues fatiguent fort leur homme), voulut se reposer; et, par hasard, il alla s'asseoir

sur la roche oŠ les petits gar‚ons s'€taient cach€s. Comme il n'en pouvait plus de fatigue, il s'endormit apr†s s'…tre

repos€ quelque temps, et vint „ ronfler si effroyablement, que les pauvres enfants n'eurent pas moins de peur que

quand il tenait son grand couteau pour leur couper la gorge.

Le petit Poucet en eut moins de peur, et dit „ ses fr†res de s'enfuir promptement „ la maison pendant que l'Ogredormait bien fort, et qu'ils ne se missent point en peine de lui. Ils crurent son conseil, et gagn†rent vite la maison.

Le petit Poucet, s'€tant approch€ de l'Ogre, lui tira doucement ses bottes, et les mit aussit‹t. Les bottes €taient fort

grandes et fort larges ; mais, comme elles €taient f€es, elles avaient le don de s'agrandir et de se rapetisser selon la

 jambe de celui qui les chaussait; de sorte qu'elles se trouv†rent aussi justes „ ses pieds et „ ses jambes que si elles

eussent €t€ faites pour lui. Il alla droit „ la maison de l'Ogre, oŠ il trouva sa femme qui pleurait aupr†s de ses filles

€gorg€es.

" Votre mari, lui dit le petit Poucet, est en grand danger; car il a €t€ pris par une troupe de voleurs, qui ont jur€ de le

tuer s'il ne leur donne tout son or et tout son argent. Dans le moment qu'ils lui tenaient le poignard sur la gorge, il m'a

aper‚u et m'a pri€ de vous venir avertir de l'€tat oŠ il est, et de vous dire de me donner tout ce qu'il a de vaillant, sans

en rien retenir, parce qu'autrement ils le tueront sans mis€ricorde. Comme la chose presse beaucoup, il a voulu que je

prisse ses bottes de sept lieues que voil„, pour faire diligence, et aussi afin que vous ne croyiez pas que je sois un

affronteur. "

La bonne femme, fort effray€e, lui donna aussit‹t tout ce qu'elle avait; car cet Ogre ne laissait pas d'…tre fort bon

mari, quoiqu'il mange‡t les petits enfants.

Le petit Poucet, €tant donc charg€ de toutes les richesses de l'Ogre, s'en revint au logis de son p†re, oŠ il fut re‚u

avec bien de la joie. Il y a bien des gens qui ne demeurent pas d'accord de cette derni†re circonstance, et qui

pr€tendent que le petit Poucet n'a jamais fait ce vol „ l'Ogre; qu'„ la v€rit€ il n'avait pas fait conscience de lui prendre

ses bottes de sept lieues, parce qu'il ne s'en servait que pour courir apr†s les petits enfants. Ces gens l„ assurent le

savoir de bonne part, et m…me pour avoir bu et mang€ dans la maison du b•cheron.

Ils assurent que lorsque le petit Poucet eut chauss€ les bottes de l'Ogre, il s'en alla „ la cour, oŠ il savait qu'on €tait

fort en peine d'une arm€e qui €tait „ deux cents lieues de l„, et du succ†s d'une bataille qu'on avait donn€e. Il alla,

disent-ils, trouver le roi et lui dit que, s'il le souhaitait il lui rapporterait des nouvelles de l'arm€e avant la fin du jour.

Le roi lui promit une grosse somme d'argent s'il en venait „ bout.

Le petit Poucet rapporta des nouvelles, d†s le soir m…me; et cette premi†re course l'ayant fait connaƒtre, il gagnait

tout ce qu'il voulait; car le roi le payait parfaitement bien pour porter ses ordres „ l'arm€e ; et une infinit€ de

demoiselles lui donnaient tout ce qu'il voulait, pour avoir des nouvelles de leurs fianc€s et ce fut l„ son plus grand

gain.

Il se trouvait quelques femmes qui le chargeaient de lettres pour leurs maris; mais elles le payaient si mal, et cela

allait „ si peu de chose qu'il ne daignait mettre en ligne de compte ce qu'il gagnait de ce c‹t€-l„. Apr†s avoir fait

pendant quelque temps le m€tier de courrier, et y avoir amass€ beaucoup de biens, il revint chez son p†re, oŠ il n'est

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Le Petit Poucet 6

pas possible d'imaginer la joie qu'on eut de le revoir. Il mit toute sa famille „ son aise. Il acheta des offices de

nouvelle cr€ation pour son p†re et pour ses fr†res ; et par l„ il les €tablit tous, et fit parfaitement bien sa cour en

m…me temps.

MORALITE

On ne s'afflige point d'avoir beaucoup d'enfants,

Quand ils sont tous beaux, bien faits et bien grands,

Et d'un ext€rieur qui brille;

Mais si l'un d'eux est faible, ou ne dit mot,

On le m€prise, on le raille, on le pille :

Quelquefois, cependant, c'est ce petit marmot

Qui fera le bonheur de toute la famille.

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Peau d€€ne 1

Peau d€€ne

Peau d€€ne

Charles Perrault

1694Version modernis•e

 € Madame la marquise de L*** [1]

Il est des gens de qui l€esprit guind•,

Sous un front jamais d•rid•,

Ne souffre, n€approuve et n€estime

Que le pompeux et le sublime ;

Pour moi, j€ose poser en fait

Qu€en de certains moments l€esprit le plus parfait

Peut aimer sans rougir jusqu€aux Marionnettes ;

Et qu€il est des temps et des lieux

O‚ le grave et le s•rieux

Ne valent pas d€agr•ables sornettes.

Pourquoi faut-il sۥmerveiller

Que la Raison la mieux sens•e,

Lasse souvent de trop veiller,

Par des contes d€Ogre et de F•eIng•nieusement berc•e,

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Peau d€€ne 2

Prenne plaisir ƒ sommeiller ?

Sans craindre donc qu€on me condamne

De mal employer mon loisir,

Je vais, pour contenter votre juste d•sir,

Vous conter tout au long l€histoire de Peau-d€„ne.

Il •tait une fois un Roi,

Le plus grand qui f…t sur la Terre,

Aimable en Paix, terrible en Guerre,

Seul enfin comparable ƒ soi :

Ses voisins le craignaient, ses †tats •taient calmes,

Et l€on voyait de toutes parts

Fleurir, ƒ l€ombre de ses palmes,

Et les Vertus et les beaux Arts.

Son aimable Moiti•, sa Compagne fid‡le,

†tait si charmante et si belle,

Avait l€esprit si commode et si doux

Qu€il •tait encor avec elle

Moins heureux Roi qu€heureux •poux.

De leur tendre et chaste Hym•n•e

Pleine de douceur et d€agr•ment,

Avec tant de vertus une fille •tait n•e

Qu€ils se consolaient ais•mentDe n€avoir pas de plus ample lign•e.

Dans son vaste et riche Palais

Ce nۥtait que magnificence ;

Partout y fourmillait une vive abondance

De Courtisans et de Valets ;

Il avait dans son †curie

Grands et petits chevaux de toutes les faˆons ;

Couverts de beaux caparaˆonsRoides d€or et de broderie ;

Mais ce qui surprenait tout le monde en entrant,

C€est qu€au lieu le plus apparent,

Un ma‰tre „ne •talait ses deux grandes oreilles.

Cette injustice vous surprend,

Mais lorsque vous saurez ses vertus nonpareilles,

Vous ne trouverez pas que l€honneur f…t trop grand.

Tel et si net le forma la Nature

Qu€il ne faisait jamais d€ordure,

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Peau d€€ne 3

Mais bien beaux †cus au soleil

Et Louis de toute mani‡re,

Qu€on allait recueillir sur la blonde liti‡re

Tous les matins ƒ son r•veil.

Or le Ciel qui parfois se lasse

De rendre les hommes contents,

Qui toujours ƒ ses biens mŠle quelque disgr€ce,

Ainsi que la pluie au beau temps,

Permit qu€une €pre maladie

Tout ƒ coup de la Reine attaqu€t les beaux jours.

Partout on cherche du secours ;

Mais ni la Facult• qui le Grec •tudie,

Ni les Charlatans ayant cours,

Ne purent tous ensemble arrŠter l€incendie

Que la fi‡vre allumait en s€augmentant toujours.

Arriv•e ƒ sa derni‡re heure

Elle dit au Roi son †poux :

‹ Trouvez bon qu€avant que je meure

J€exige une chose de vous ;

C€est que s€il vous prenait envie

De vous remarier quand je n€y serai plus•

 ‚ Ah! dit le Roi, ces soins sont superflus,Je n€y songerai de ma vie,

Soyez en repos lƒ-dessus.

 ‚ Je le crois bien, reprit la Reine,

Si j€en prends ƒ t•moin votre amour v•h•ment ;

Mais pour m€en rendre plus certaine,

Je veux avoir votre serment,

Adouci toutefois par ce temp•rament

Que si vous rencontrez une femme plus belle,Mieux faite et plus sage que moi,

Vous pourrez franchement lui donner votre foi

Et vous marier avec elle. Œ

Sa confiance en ses attraits

Lui faisait regarder une telle promesse

Comme un serment, surpris avec adresse,

De ne se marier jamais.

Le Prince jura donc, les yeux baign•s de larmes,

Tout ce que la Reine voulut ;

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Peau d€€ne 4

La Reine entre ses bras mourut,

Et jamais un Mari ne fit tant de vacarmes.

l€ouŽr sangloter et les nuits et les jours,

On jugea que son deuil ne lui durerait gu‡re,

Et qu€il pleurait ses d•funtes Amours

Comme un homme press• qui veut sortir d €affaire.

On ne se trompa point. Au bout de quelques mois

Il voulut proc•der ƒ faire un nouveau choix ;

Mais ce n€•tait pas chose ais•e,

Il fallait garder son serment

Et que la nouvelle †pous•e

E…t plus d€attraits et d€agr•ment

Que celle qu€on venait de mettre au monument.

Ni la Cour en beaut•s fertile,

Ni la Campagne, ni la Ville,

Ni les Royaumes d€alentour

Dont on alla faire le tour,

N€en purent fournir une telle ;

L€Infante seule •tait plus belle

Et poss•dait certains tendres appas

Que la d•funte n€avait pas.

Le Roi le remarqua lui-mŠmeEt br…lant d€un amour extrŠme

Alla follement s€aviser

Que par cette raison il devait lۥpouser.

Il trouva mŠme un Casuiste

Qui jugea que le cas se pouvait proposer.

Mais la jeune Princesse triste

D€ouŽr parler d€un tel amour,

Se lamentait et pleurait nuit et jour.De mille chagrins l€€me pleine,

Elle alla trouver sa Marraine,

Loin, dans une grotte ƒ l€•cart

De Nacre et de Corail richement •toff•e.

C€•tait une admirable F•e

Qui n€eut jamais de pareille en son Art.

Il n€est pas besoin qu€on vous die

Ce qu€•tait une F•e en ces bienheureux temps ;

Car je suis s…r que votre Mie

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Peau d€€ne 5

Vous l€aura dit d‡s vos plus jeunes ans.

‹ Je sais, dit-elle, en voyant la Princesse,

Ce qui vous fait venir ici,

Je sais de votre cur la profonde tristesse ;

Mais avec moi n€ayez plus de souci.

Il n€est rien qui vous puisse nuire

Pourvu qu€ƒ mes conseils vous vous laissiez conduire.

Votre P‡re, il est vrai, voudrait vous •pouser ;

†couter sa folle demande

Serait une faute bien grande,

Mais sans le contredire on le peut refuser.

Dites-lui qu€il faut qu€il vous donne

Pour rendre vos d•sirs contents,

Avant qu€ƒ son amour votre cur s€abandonne,

Une Robe qui soit de la couleur du Temps.

Malgr• tout son pouvoir et toute sa richesse,

Quoique le Ciel en tout favorise ses vux,

Il ne pourra jamais accomplir sa promesse. Œ

Aussitt la jeune Princesse

L€alla dire en tremblant ƒ son P‡re amoureux

Qui dans le moment fit entendre

Aux Tailleurs les plus importantsQue s€ils ne lui faisaient, sans trop le faire attendre,

Une Robe qui f…t de la couleur du Temps,

Ils pouvaient s€assurer qu€il les ferait tous pendre.

Le second jour ne luisait pas encor

Qu€on apporta la Robe d•sir•e ;

Le plus beau bleu de l€Empyr•e

N€est pas, lorsqu€il est ceint de gros nuage d€or

D€

une couleur plus azur•e.De joie et de douleur l€Infante p•n•tr•e

Ne sait que dire ni comment

Se d•rober ƒ son engagement.

‹ Princesse, demandez-en une,

Lui dit sa Marraine tout bas,

Qui plus brillante et moins commune,

Soit de la couleur de la Lune.

Il ne vous la donnera pas. Œ

peine la Princesse en eut fait la demande

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Peau d€€ne 6

Que le Roi dit ƒ son Brodeur :

‹ Que l€astre de la Nuit n€ait pas plus de splendeur

Et que dans quatre jours sans faute on me la rende. Œ

Le riche habillement fut fait au jour marqu•,

Tel que le Roi s€en •tait expliqu•.

Dans les Cieux o‚ la Nuit a d•ploy• ses voiles,

La Lune est moins pompeuse en sa robe d €argent

Lors mŠme qu€au milieu de son cours diligent

Sa plus vive clart• fait p€lir les •toiles.

La Princesse admirant ce merveilleux habit,

†tait ƒ consentir presque d•lib•r•e ;

Mais par sa Marraine inspir•e,

Au Prince amoureux elle dit :

‹ Je ne saurais Štre contente

Que je n€aie une Robe encore plus brillante

Et de la couleur du Soleil. Œ

Le Prince qui l€aimait d€un amour sans pareil,

Fit venir aussitt un riche Lapidaire

Et lui commanda de la faire

D€un superbe tissu d€or et de diamants,

Disant que s€il manquait ƒ le bien satisfaire,

Il le ferait mourir au milieu des tourments.Le Prince fut exempt de s€en donner la peine,

Car l€ouvrier industrieux,

Avant la fin de la semaine,

Fit apporter l€ouvrage pr•cieux,

Si beau, si vif, si radieux,

Que le blond Amant de Clym‡ne,

Lorsque sur la vo…te des Cieux

Dans son char d€

or il se prom‡ne,D€un plus brillant •clat n€•blouit pas les yeux.

L€Infante que ces dons ach‡vent de confondre,

son P‡re, ƒ son Roi ne sait plus que r•pondre.

Sa Marraine aussitt la prenant par la main :

‹ Il ne faut pas, lui dit-elle ƒ l €oreille,

Demeurer en si beau chemin ;

Est-ce une si grande merveille

Que tous ces dons que vous en recevez,

Tant qu€il aura l€„ne que vous savez,

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Peau d€€ne 7

Qui d€•cus d€or sans cesse emplit sa bourse?

Demandez-lui la peau de ce rare Animal.

Comme il est toute sa ressource,

Vous ne l€obtiendrez pas, ou je raisonne mal. Œ

Cette F•e •tait bien savante,

Et cependant elle ignorait encor

Que l€amour violent pourvu qu€on le contente,

Compte pour rien l€argent et l€or ;

La peau fut galamment aussitt accord•e

Que l€Infante l€eut demand•e.

Cette Peau quand on l€apporta

Terriblement lۥpouvanta

Et la fit de son sort am‡rement se plaindre.

Sa Marraine survint et lui repr•senta

Que quand on fait le bien on ne doit jamais craindre :

Qu€il faut laisser penser au Roi

Qu€elle est tout ƒ fait dispos•e

subir avec lui la conjugale Loi,

Mais qu€au mŠme moment, seule et bien d•guis•e,

Il faut qu€elle s€en aille en quelque †tat lointain

Pour •viter un mal si proche et si certain.

‹ Voici, poursuivit-elle, une grande cassetteO‚ nous mettrons tous vos habits,

Votre miroir votre toilette,

Vos diamants et vos rubis.

Je vous donne encor ma Baguette ;

En la tenant en votre main,

La cassette suivra votre mŠme chemin

Toujours sous la Terre cach•e ;

Et lorsque vous voudrez l€

ouvrir, peine mon b€ton la Terre aura touch•e

Qu€aussitt ƒ vos yeux elle viendra s€offrir.

Pour vous rendre m•connaissable,

La d•pouille de l€€ne est un masque admirable.

Cachez-vous bien dans cette peau,

On ne croira jamais, tant elle est effroyable,

Qu€elle renferme rien de beau. Œ

La Princesse ainsi travestie

De chez la sage F•e ƒ peine fut sortie,

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Peau d€€ne 8

Pendant la fra‰cheur du matin,

Que le Prince qui pour la FŠte

De son heureux Hymen s€apprŠte,

Apprend tout effray• son funeste destin.

Il n€est point de maison, de chemin, d€avenue,

Qu€on ne parcoure promptement ;

Mais on s€agite vainement,

On ne peut deviner ce qu€elle est devenue.

Partout se r•pandit un triste et noir chagrin ;

Plus de Noces, plus de Festin,

Plus de Tarte, plus de Drag•es ;

Les Dames de la Cour toutes d•courag•es,

N€en d‰n‡rent point la plupart ;

Mais du Cur• surtout la tristesse fut grande,

Car il en d•jeuna fort tard,

Et qui pis est n€eut point d€offrande.

L€Infante cependant poursuivait son chemin,

Le visage couvert d€une vilaine crasse ;

tous Passants elle tendait la main,

Et t€chait pour servir de trouver une place.

Mais les moins d•licats et les plus malheureux

La voyant si maussade et si pleine d €ordure,Ne voulaient •couter ni retirer chez eux

Une si sale cr•ature.

Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin ;

Enfin elle arriva dans une M•tairie

O‚ la Fermi‡re avait besoin

D€une souillon, dont l€industrie

All€t jusqu€ƒ savoir bien laver des torchons

Et nettoyer l€

auge aux Cochons.On la mit dans un coin au fond de la cuisine

O‚ les Valets, insolente vermine,

Ne faisaient que la tirailler

La contredire et la railler ;

Ils ne savaient quelle pi‡ce lui faire,

La harcelant ƒ tout propos ;

Elle •tait la butte ordinaire

De tous leurs quolibets et de tous leurs bons mots.

Elle avait le Dimanche un peu plus de repos ;

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Peau d€€ne 9

Car ayant du matin fait sa petite affaire,

Elle entrait dans sa chambre en tenant son huis clos,

Elle se d•crassait, puis ouvrait sa cassette,

Mettait proprement sa toilette,

Rangeait dessus ses petits pots.

Devant son grand miroir, contente et satisfaite,

De la Lune tantt la robe elle mettait,

Tantt celle o‚ le feu du Soleil •clatait,

Tantt la belle robe bleue

Que tout l€azur des Cieux ne saurait •galer,

Avec ce chagrin seul que leur tra‰nante queue

Sur le plancher trop court ne pouvait sۥtaler.

Elle aimait ƒ se voir jeune, vermeille et blanche

Et plus brave cent fois que nulle autre n ۥtait ;

Ce doux plaisir la sustentait

Et la menait jusqu€ƒ l€autre Dimanche.

J€oubliais ƒ dire en passant

Qu€en cette grande M•tairie

D€un Roi magnifique et puissant

Se faisait la M•nagerie,

Que lƒ, Poules de Barbarie,

R€les, Pintades, Cormorans,Oisons musqu•s, Canes Peti‡res,

Et mille autres oiseaux de bizarres mani‡res,

Entre eux presque tous diff•rents,

Remplissaient ƒ l€envi dix cours toutes enti‡res.

Le Fils du Roi dans ce charmant s•jour

Venait souvent au retour de la Chasse

Se reposer boire ƒ la glace

Avec les Seigneurs de sa Cour.Tel ne fut point le beau C•phale :

Son air •tait Royal, sa mine martiale,

Propre ƒ faire trembler les plus fiers bataillons.

Peau d€„ne de fort loin le vit avec tendresse,

Et reconnut par cette hardiesse

Que sous sa crasse et ses haillons

Elle gardait encor le cur d€une Princesse.

‹ Qu€il a l€air grand, quoiqu€il l€ait n•glig•,

Qu€il est aimable, disait-elle,

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Peau d€€ne 10

Et que bienheureuse est la belle

qui son cur est engag• !

D€une robe de rien s€il m€avait honor•e,

Je m€en trouverais plus par•e

Que de toutes celles que j€ai. Œ

Un jour le jeune Prince errant ƒ l€aventure

De basse-cour en basse-cour,

Passa dans une all•e obscure

O‚ de Peau d€„ne •tait l€humble s•jour.

Par hasard il mit l€il au trou de la serrure.

Comme il •tait fŠte ce jour,

Elle avait pris une riche parure

Et ses superbes vŠtements

Qui, tissus de fin or et de gros diamants,

†galaient du Soleil la clart• la plus pure.

Le Prince au gr• de son d•sir

La contemple et ne peut qu€ƒ peine,

En la voyant, reprendre haleine,

Tant il est combl• de plaisir.

Quels que soient les habits, la beaut• du visage,

Son beau tour, sa vive blancheur,

Ses traits fins, sa jeune fra‰cheurLe touchent cent fois davantage ;

Mais un certain air de grandeur,

Plus encore une sage et modeste pudeur,

Des beaut•s de son €me assur• t•moignage,

S€empar‡rent de tout son cur.

Trois fois, dans la chaleur du feu qui le transporte,

Il voulut enfoncer la porte ;

Mais croyant voir une Divinit•,Trois fois par le respect son bras fut arrŠt•.

Dans le Palais, pensif il se retire,

Et lƒ, nuit et jour il soupire ;

Il ne veut plus aller au Bal

Quoiqu€on soit dans le Carnaval.

Il hait la Chasse, il hait la Com•die,

Il n€a plus d€app•tit, tout lui fait mal au cur,

Et le fond de sa maladie

Est une triste et mortelle langueur.

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Peau d€€ne 11

Il s€enquit quelle •tait cette Nymphe admirable

Qui demeurait dans une basse-cour,

Au fond d€une all•e effroyable,

O‚ l€on ne voit goutte en plein jour.

‹ C€est, lui dit-on, Peaud€„ne, en rien Nymphe ni belle

Et que Peau d€„ne l€on appelle,

cause de la Peau qu€elle met sur son cou ;

De l€Amour c€est le vrai rem‡de,

La bŠte en un mot la plus laide,

Qu€on puisse voir apr‡s le Loup. Œ

On a beau dire, il ne saurait le croire ;

Les traits que l€amour a trac•s

Toujours pr•sents ƒ sa m•moire

N€en seront jamais effac•s.

Cependant la Reine sa M‡re

Qui n€a que lui d€enfant pleure et se d•sesp‡re ;

De d•clarer son mal elle le presse en vain,

Il g•mit, il pleure, il soupire,

Il ne dit rien, si ce n €est qu€il d•sire

Que Peau d€„ne lui fasse un g€teau de sa main ;

Et la M‡re ne sait ce que son Fils veut dire.

‹ ‘ Ciel ! Madame, lui dit-on,Cette Peau d€„ne est une noire Taupe

Plus vilaine encore et plus gaupe

Que le plus sale Marmiton.

 ‚ N€importe, dit la Reine, il le faut satisfaire

Et c€est ƒ cela seul que nous devons songer. Œ

Il aurait eu de l€or, tant l€aimait cette M‡re,

S€il en avait voulu manger.

Peau d€

„ne donc prend sa farineQu€elle avait fait bluter expr‡s

Pour rendre sa p€te plus fine,

Son sel, son beurre et ses ufs frais ;

Et pour bien faire sa galette,

S€enferme seule en sa chambrette.

D€abord elle se d•crassa

Les mains, les bras et le visage,

Et prit un corps d€argent que vite elle laˆa

Pour dignement faire l€ouvrage

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Peau d€€ne 12

Qu€aussitt elle commenˆa.

On dit qu€en travaillant un peu trop ƒ la h€te,

De son doigt par hasard il tomba dans la p€te

Un de ses anneaux de grand prix ;

Mais ceux qu€on tient savoir le fin de cette histoire

Assurent que par elle expr‡s il y fut mis ;

Et pour moi franchement je l€oserais bien croire,

Fort s…r que, quand le Prince ƒ sa porte aborda

Et par le trou la regarda,

Elle s€en •tait aperˆue :

Sur ce point la femme est si drue

Et son il va si promptement

Qu€on ne peut la voir un moment

Qu€elle ne sache qu€on l€a vue.

Je suis bien s…r encor et j€en ferais serment,

Qu€elle ne douta point que de son jeune Amant

La Bague ne f…t bien reˆue.

On ne p•trit jamais un si friand morceau,

Et le Prince trouva la galette si bonne

Qu€il ne s€en fallut rien que d€une faim gloutonne

Il n€aval€t aussi l€anneau.

Quand il en vit l€•meraude admirable,Et du jonc d€or le cercle •troit,

Qui marquait la forme du doigt,

Son cur en fut touch• d€une joie incroyable ;

Sous son chevet il le mit ƒ l€instant,

Et son mal toujours augmentant,

Les M•decins sages d€exp•rience,

En le voyant maigrir de jour en jour,

Jug‡rent tous, par leur grande science,Qu€il •tait malade d€amour.

Comme l€Hymen, quelque mal qu€on en die,

Est un rem‡de exquis pour cette maladie,

On conclut ƒ le marier ;

Il s€en fit quelque temps prier

Puis dit : ‹ Je le veux bien, pourvu que l €on me donne

En mariage la personne

Pour qui cet anneau sera bon. Œ

cette bizarre demande,

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Peau d€€ne 13

De la Reine et du Roi la surprise fut grande ;

Mais il •tait si mal qu€on n€osa dire non.

Voilƒ donc qu€on se met en quŠte

De celle que l€anneau, sans nul •gard du sang,

Doit placer dans un si haut rang ;

Il n€en est point qui ne s€apprŠte

venir pr•senter son doigt

Ni qui veuille c•der son droit.

Le bruit ayant couru que pour pr•tendre au Prince,

Il faut avoir le doigt bien mince,

Tout Charlatan, pour Štre bienvenu,

Dit qu€il a le secret de le rendre menu ;

L€une, en suivant son bizarre caprice,

Comme une rave le ratisse ;

L€autre en coupe un petit morceau ;

Une autre en le pressant croit qu€elle l€apetisse ;

Et l€autre, avec de certaine eau,

Pour le rendre moins gros en fait tomber la peau ;

Il n€est enfin point de manuvre

Qu€une Dame ne mette en uvre,

Pour faire que son doigt cadre bien ƒ l€anneau.

L€essai fut commenc• par les jeunes Princesses,Les Marquises et les Duchesses ;

Mais leurs doigts quoique d•licats,

†taient trop gros et n€entraient pas.

Les Comtesses, et les Baronnes,

Et toutes les nobles Personnes,

Comme elles tour ƒ tour pr•sent‡rent leur main

Et la pr•sent‡rent en vain.

Ensuite vinrent les GrisettesDont les jolis et menus doigts,

Car il en est de tr‡s bien faites,

Sembl‡rent ƒ l€anneau s€ajuster quelquefois.

Mais la Bague toujours trop petite ou trop ronde

D€un d•dain presque •gal rebutait tout le monde.

Il fallut en venir enfin

Aux Servantes, aux Cuisini‡res,

Aux Tortillons, aux Dindonni‡res,

En un mot ƒ tout le fretin,

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Peau d€€ne 14

Dont les rouges et noires pattes,

Non moins que les mains d•licates,

Esp•raient un heureux destin.

Il s€y pr•senta mainte fille

Dont le doigt, gros et ramass•,

Dans la Bague du Prince e…t aussi peu pass•

Qu€un c€ble au travers d€une aiguille.

On crut enfin que cۥtait fait,

Car il ne restait en effet,

Que la pauvre Peau d€„ne au fond de la cuisine.

Mais comment croire, disait-on,

Qu€ƒ r•gner le ciel la destine !

Le Prince dit: ‹ Et pourquoi non ?

Qu€on la fasse venir. Œ Chacun se prit ƒ rire,

Criant tout haut : ‹ Que veut-on dire,

De faire entrer ici cette sale guenon ? Œ

Mais lorsqu€elle tira de dessous sa peau noire

Une petite main qui semblait de l€ivoire

Qu€un peu de pourpre a color•,

Et que de la Bague fatale,

D€une justesse sans •gale

Son petit doigt fut entour•,La Cour fut dans une surprise

Qui ne peut pas Štre comprise.

On la menait au Roi dans ce transport subit ;

Mais elle demanda qu€avant que de para‰tre

Devant son Seigneur et son Ma‰tre,

On lui donn€t le temps de prendre un autre habit.

De cet habit, pour la v•rit• dire,

De tous ct•s on s€

apprŠtait ƒ rire ;Mais lorsqu€elle arriva dans les Appartements,

Et qu€elle eut travers• les salles

Avec ses pompeux vŠtements

Dont les riches beaut•s n€eurent jamais d€•gales ;

Que ses aimables cheveux blonds

MŠl•s de diamants dont la vive lumi‡re

En faisait autant de rayons,

Que ses yeux bleus, grands, doux et longs,

Qui pleins d€une Majest• fi‡re

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Peau d€€ne 15

Ne regardent jamais sans plaire et sans blesser,

Et que sa taille enfin si menue et si fine

Qu€avec que ses deux mains on e…t pu l€embrasser,

Montr‡rent leurs appas et leur gr€ce divine,

Des Dames de la Cour, et de leurs ornements

Tomb‡rent tous les agr•ments.

Dans la joie et le bruit de toute l€Assembl•e,

Le bon Roi ne se sentait pas

De voir sa Bru poss•der tant d€appas ;

La Reine en •tait affol•e,

Et le Prince son cher Amant,

De cent plaisirs l€€me combl•e,

Succombait sous le poids de son ravissement.

Pour l€Hymen aussitt chacun prit ses mesures ;

Le Monarque en pria tous les Rois d €alentour,

Qui, tous brillants de diverses parures,

Quitt‡rent leurs †tats pour Štre ƒ ce grand jour.

On en vit arriver des climats de l€Aurore,

Mont•s sur de grands †l•phants ;

Il en vint du rivage More,

Qui, plus noirs et plus laids encore,

Faisaient peur aux petits enfants ;Enfin de tous les coins du Monde,

Il en d•barque et la Cour en abonde.

Mais nul Prince, nul Potentat,

N€y parut avec tant d€•clat

Que le p‡re de l€†pous•e,

Qui d€elle autrefois amoureux

Avait avec le temps purifi• les feux

Dont son €me •tait embras•e.Il en avait banni tout d•sir criminel

Et de cette odieuse flamme

Le peu qui restait dans son €me

N€en rendait que plus vif son amour paternel.

D‡s qu€il la vit : ‹ Que b•ni soit le Ciel

Qui veut bien que je te revoie,

Ma ch‡re enfant Œ, dit-il, et tout pleurant de joie,

Courut tendrement l€embrasser ;

Chacun ƒ son bonheur voulut s€int•resser,

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Peau d€€ne 16

Et le futur †poux •tait ravi d €apprendre

Que d€un Roi si puissant il devenait le Gendre.

Dans ce moment la Marraine arriva

Qui raconta toute l€histoire,

Et par son r•cit acheva

De combler Peau d€„ne de gloire.

Il n€est pas malais• de voir

Que le but de ce Conte est qu€un Enfant apprenne

Qu€il vaut mieux s€exposer ƒ la plus rude peine

Que de manquer ƒ son devoir ;

Que la Vertu peut Štre infortun•e

Mais qu€elle est toujours couronn•e ;

Que contre un fol amour et ses fougueux transports

La Raison la plus forte est une faible digue,

Et qu€il n€est point de riches tr•sors

Dont un Amant ne soit prodigue ;

Que de l€eau claire et du pain bis

Suffisent pour la nourriture

De toute jeune Cr•ature,

Pourvu qu€elle ait de beaux habits ;

Que sous le Ciel il n€est point de femelle

Qui ne s€imagine Štre belle,Et qui souvent ne s€imagine encor

Que si des trois Beaut•s la fameuse querelle

S€•tait d•mŠl•e avec elle,

Elle aurait eu la pomme d€or.

Le Conte de Peau d€„ne est difficile ƒ croire,

Mais tant que dans le Monde on aura des Enfants,

Des M‡res et des M‡res-grands,

On en gardera la m•moire.[1] Anne-Th•r‡se de Marguenat de Courcelle, marquise de Lambert (1647-1733). ‚ Note Wikisource.

it:I racconti delle fate/Pelle d'asino

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Sources et contributeurs de l'article 17

Sources et contributeurs de l'articlePeau d€€ne  Source: http://fr.wikisource.org/w/index.php?oldid=1125144 Contributeurs: Caton, Micaelange, Philippe Kurlapski, ThomasV, Yann, Zyephyrus

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Les F€es 1

Les F€es

Tsss€ (Texte Sans Source Scann€e)

Ce texte est fourni sans images scann€es, sa conformit€ • l'original ne peut ‚tre v€rifi€e publiquement.

Si vous disposez d'une €dition papier de ce texte (de plus de 70 ans), vous pouvez participer • sa num€risation, afin de faire disparaƒtre ce

message.

Les F€es

Charles Perrault

Illustration de Gustave Dor€

Il €tait une fois une veuve qui avait deux filles ; l'a•n€e lui ressemblait si fort et d'humeur et de visage, que qui la

voyait voyait la m‚re. Elles €taient toutes deux si d€sagr€ables et si orgueilleuses qu'on ne pouvait vivre avec elles.La cadette, qui €tait le vrai portrait de son P‚re pour la douceur et pour l'honnƒtet€, €tait avec cela une des plus belles

filles qu'on e„t su voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette m‚re €tait folle de sa fille a•n€e, et en

mƒme temps avait une aversion effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger … la cuisine et travailler sans cesse.

Il fallait entre autres choses que cette pauvre enfant all†t deux fois le jour puiser de l'eau … une grande demi lieue du

logis, et qu'elle en rapport†t plein une grande cruche. Un jour qu'elle €tait … cette fontaine, il vint … elle une pauvre

femme qui la pria de lui donner … boire. - Oui-d…, ma bonne m‚re, dit cette belle fille ; et rin‡ant aussitˆt sa cruche,

elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine, et la lui pr€senta, soutenant toujours la cruche afin qu'elle b„t

plus ais€ment. La bonne femme, ayant bu, lui dit :

- Vous ƒtes si belle, si bonne, et si honnƒte, que je ne puis m'empƒcher de vous faire un don (car c'€tait une F€e qui

avait pris la forme d'une pauvre femme de village, pour voir jusqu'o‰ irait l'honnƒtet€ de cette jeune fille). Je vous

donne pour don, poursuivit la F€e, qu'… chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une Fleur, ou

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Les F€es 2

une Pierre pr€cieuse.

Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa m‚re la gronda de revenir si tard de la fontaine.

- Je vous demande pardon, ma m‚re, dit cette pauvre fille, d'avoir tard€ si longtemps ; et en disant ces mots, il lui

sortit de la bouche deux Roses, deux Perles, et deux gros Diamants. - Que vois-je ? dit sa m‚re tout €tonn€e ; je crois

qu'il lui sort de la bouche des Perles et des Diamants ; d'o‰ vient cela, ma fille ? (Ce fut l… la premi‚re fois qu'elle

l'appela sa fille.) La pauvre enfant lui raconta naŠvement tout ce qui lui €tait arriv€, non sans jeter une infinit€ deDiamants. - Vraiment, dit la m‚re, il faut que j'y envoie ma fille ; tenez, Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de

votre s‹ur quand elle parle ; ne seriez-vous pas bien aise d'avoir le mƒme don ? Vous n'avez qu'… aller puiser de l'eau

… la fontaine, et quand une pauvre femme vous demandera … boire, lui en donner bien honnƒtement. Il me ferait beau

voir, r€pondit la brutale, aller … la fontaine. Je veux que vous y alliez, reprit la m‚re, et tout … l'heure.

Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau Flacon d'argent qui f„t dans le logis. Elle ne fut pas plus

tˆt arriv€e … la fontaine qu'elle vit sortir du bois une Dame magnifiquement vƒtue qui vint lui demander … boire :

c'€tait la mƒme F€e qui avait apparu … sa s‹ur mais qui avait pris l'air et les habits d'une Princesse, pour voir jusqu'o‰

irait la malhonnƒtet€ de cette fille.

- Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner … boire, justement j'ai apport€ unFlacon d'argent tout expr‚s pour donner … boire … Madame ! J'en suis d'avis, buvez … mƒme si vous voulez. - Vous

n'ƒtes gu‚re honnƒte, reprit la F€e, sans se mettre en col‚re ; h€ bien ! puisque vous ƒtes si peu obligeante, je vous

donne pour don qu'… chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou un serpent ou un crapaud.

D'abord que sa m‚re l'aper‡ut, elle lui cria : - H€ bien, ma fille ! - H€ bien, ma m‚re ! lui r€pondit la brutale, en jetant

deux vip‚res, et deux crapauds. - ˆ Ciel ! s'€cria la m‚re, que vois-je l… ? C'est sa s‹ur qui en est cause, elle me le

payera ; et aussitˆt elle courut pour la battre. La pauvre enfant s'enfuit, et alla se sauver dans la Forƒt prochaine.

Le fils du Roi qui revenait de la chasse la rencontra et la voyant si belle, lui demanda ce qu'elle faisait l… toute seule

et ce qu'elle avait … pleurer. H€las ! Monsieur c'est ma m‚re qui m'a chass€e du logis. Le fils du Roi, qui vit sortir de

sa bouche cinq ou six Perles, et autant de Diamants, la pria de lui dire d'o‰ cela lui venait. Elle lui conta toute son

aventure. Le fils du Roi en devint amoureux, et consid€rant qu'un tel don valait mieux que tout ce qu'on pouvait

donner en mariage … un autre, l'emmena au Palais du Roi son p‚re o‰ il l'€pousa. Pour sa s‹ur elle se fit tant haŠr que

sa propre m‚re la chassa de chez elle ; et la malheureuse, apr‚s avoir bien couru sans trouver personne qui voul„t la

recevoir alla mourir au coin d'un bois.

Moralit€

Les Diamants et les pistoles

Peuvent beaucoup sur les Esprits ;

Cependant les douces paroles

Ont encore plus de force, et sont d'un plus grand prix.

Autre Moralit€

L'honnƒtet€ co„te des soins,

Elle veut un peu de complaisance,

Mais tˆt ou tard elle a sa r€compense,

Et souvent dans le temps qu'on y pense le moins.

en:The Fairy it:I racconti delle fate/Le fate ru:ŒŽ‘’“” (–——, ̃ —™š ›œ—’™)

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