pancréatite aiguë secondaire à une dengue

2
Lettres à la rédaction 85 Un autre problème est celui de la prise en charge thérapeuti- que. En l’absence de traitement efficace, des complications à type de sténose ou plus rarement de fistule [2] peuvent survenir. La prise en charge des lésions œsophagiennes de la MC repose en première intention sur la corticothérapie et les inhibi- teurs de la pompe à protons. Ainsi, dans l’étude de Decker et al. [1], 50 % des malades avaient évolué favorablement. Pour ce qui est des 5-aminosalicylés, leur utilisation ne semble pas perti- nente du fait de leur libération digestive distale. La difficulté apparaît en cas de résistance à ces traitements. En effet, l’utilisa- tion de molécules plus puissantes (immunosuppresseurs) pose le problème de la certitude diagnostique, ne reposant le plus sou- vent que sur un faisceau d’arguments, la confirmation histologi- que étant exceptionnelle dans cette localisation. Chez notre malade, un diagnostic de certitude associé à une corticorésis- tance a motivé la mise en route d’un traitement par infliximab. L’utilisation de l’infliximab dans les localisations œsopha- giennes de MC n’a été rapportée que trois fois [3-5]. Un malade de 74 ans présentait une MC œsophagienne sévère, et résistante à divers traitements : corticostéroïdes, 6-mercaptopu- rine. L’utilisation d’une simple dose d’infliximab (5 mg/kg) avait permis une évolution favorable en 4 semaines, et un sevrage des corticoïdes en 6 mois [3]. Un autre malade âgé de 30 ans présentait une MC avec localisation œsophagienne, dont le cours évolutif était marqué par l’apparition d’une fistule oeso- phago-bronchique. Pour éviter la chirurgie, un traitement par infliximab était tenté, et permettait la fermeture complète de la fistule [4]. Enfin, Fefferman et al. rapportaient l’efficacité de l’infliximab dans les localisations œsophagiennes de MC, chez 2 malades aux antécédents de MC iléo-colique. Une malade de 39 ans présentait une dysphagie et une odynophagie réfractai- res à la corticothérapie, et avait déjà bénéficié sans succès d’un traitement par immunosuppresseurs (azathioprine et métho- trexate). Le second malade, âgé de 50 ans, présentait les mêmes symptômes. Une endoscopie objectivait un volumineux ulcère du 1/3 inférieur de l’œsophage, avec signes tomodensi- tométriques de micro-perforation (bulles d’air dans la paroi œsophagienne). L’infliximab avait été utilisé chez ce malade en raison d’un mauvais état nutritionnel, contre-indiquant un traite- ment chirurgical [5]. Nous rapportons ainsi un nouveau cas de traitement efficace d’une MC œsophagienne invalidante, corticorésistante, par infliximab. Cette option thérapeutique nous semble particulière- ment intéressante, puisqu’elle a permis une amélioration sympto- matologique très rapide et un sevrage de la corticothérapie. Enfin, ce traitement a permis à notre malade de « passer le cap » dans l’attente d’une pleine efficacité de l’azathioprine, celle-ci n’ayant pas présenté de récidive symptomatique à 1 an. En con- clusion, l’utilisation de l’infliximab dans les localisations œsopha- giennes de MC, symptomatiques et résistantes aux traitements de première ligne, semble être une option thérapeutique séduisante. RÉFÉRENCES 1. Decker GA, Loftus EV, Jr., Pasha TM, Tremaine WJ, Sandborn WJ. Crohn’s disease of the esophagus: clinical features and outcomes. In- flamm Bowel Dis 2001;7:113-9. 2. Cosme A, Bujanda L, Arriola JA, Ojeda E. Esophageal Crohn’s dis- ease with esophagopleural fistula. Endoscopy 1998;30:S109. 3. Heller T, James SP, Drachenberg C, Hernandez C, Darwin PE. Treat- ment of severe esophageal Crohn’s disease with infliximab. Inflamm Bowel Dis 1999;5:279-82. 4. Ho IK, Guarino DP, Pertsovskiy Y, Cerulli MA. Infliximab treatment of an esophagobronchial fistula in a patient with extensive Crohn’s disease of the esophagus. J Clin Gastroenterol 2002;34:488-9. 5. Fefferman DS, Shah SA, Alsahlil M, Gelrud A, Falchulk KR, Farrell RJ. Successful treatment of refractory esophageal Crohn’s disease with infliximab. Dig Dis Sci 2001;46:1733-5. Pancréatite aiguë secondaire à une dengue Observation Un homme de vingt-neuf ans d’origine mélanésienne, sans antécédent particulier (consommation d’alcool nulle, pas de prise de médicaments, pas de notion de maladie pancréatique familiale), était hospitalisé au Centre Hospitalier de Nouméa pour des douleurs épigastriques associées à une hyperthermie à 40 , des céphalées rétro-orbitaires, des myalgies intenses, l’ensemble des signes survenant brutalement vingt-quatre heures plus tôt. À l’admission, on notait une fièvre à 39 , une douleur provoquée épigastrique sans défense, un météorisme abdo- minal modéré ; il n’existait pas de signes méningés. La pres- sion artérielle était de 130/75 mmHg, la fréquence cardiaque de 96/mn. Les résultats des examens biologiques étaient les suivants : ionogramme sanguin, glycémie, créatinine sérique, calcémie, triglycérides normaux ; leuconeutropénie à 1 800 éléments/ mm 3 , lymphocytes à 2 000 éléments/mm 3 , plaquettes : 240 000 éléments/mm 3 , proteïne C réactive : 50 mg/L (nor- male (N) < 5), fibrinogène : 6 g/L (N < 4,2), gamma-GT : 2 N, Fig. 1 – Aspect endoscopique. Endoscopic view. Jérôme FILIPPI (1), Pierre MAMBRINI (2), Kamel ARAB (1), Stéphane M. SCHNEIDER (1), Xavier HÉBUTERNE (1) (1) Fédération d’ Hépato-Gastroentérologie et de Nutrition Clinique, Hôpital de l’Archet 2, 06 202 Nice ; (2) 3, rue Prosper Mérimée, 20 000 Ajaccio.

Upload: tristan-derycke

Post on 17-Sep-2016

219 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Page 1: Pancréatite aiguë secondaire à une dengue

Lettres à la rédaction

85

Un autre problème est celui de la prise en charge thérapeuti-que. En l’absence de traitement efficace, des complications àtype de sténose ou plus rarement de fistule [2] peuvent survenir.

La prise en charge des lésions œsophagiennes de la MCrepose en première intention sur la corticothérapie et les inhibi-teurs de la pompe à protons. Ainsi, dans l’étude de Decker et al.[1], 50 % des malades avaient évolué favorablement. Pour cequi est des 5-aminosalicylés, leur utilisation ne semble pas perti-nente du fait de leur libération digestive distale. La difficultéapparaît en cas de résistance à ces traitements. En effet, l’utilisa-tion de molécules plus puissantes (immunosuppresseurs) pose leproblème de la certitude diagnostique, ne reposant le plus sou-vent que sur un faisceau d’arguments, la confirmation histologi-que étant exceptionnelle dans cette localisation. Chez notremalade, un diagnostic de certitude associé à une corticorésis-tance a motivé la mise en route d’un traitement par infliximab.

L’utilisation de l’infliximab dans les localisations œsopha-giennes de MC n’a été rapportée que trois fois [3-5]. Unmalade de 74 ans présentait une MC œsophagienne sévère, etrésistante à divers traitements : corticostéroïdes, 6-mercaptopu-rine. L’utilisation d’une simple dose d’infliximab (5 mg/kg) avaitpermis une évolution favorable en 4 semaines, et un sevragedes corticoïdes en 6 mois [3]. Un autre malade âgé de 30 ansprésentait une MC avec localisation œsophagienne, dont lecours évolutif était marqué par l’apparition d’une fistule oeso-phago-bronchique. Pour éviter la chirurgie, un traitement par

infliximab était tenté, et permettait la fermeture complète de lafistule [4]. Enfin, Fefferman et al. rapportaient l’efficacité del’infliximab dans les localisations œsophagiennes de MC, chez2 malades aux antécédents de MC iléo-colique. Une malade de39 ans présentait une dysphagie et une odynophagie réfractai-res à la corticothérapie, et avait déjà bénéficié sans succès d’untraitement par immunosuppresseurs (azathioprine et métho-trexate). Le second malade, âgé de 50 ans, présentait lesmêmes symptômes. Une endoscopie objectivait un volumineuxulcère du 1/3 inférieur de l’œsophage, avec signes tomodensi-tométriques de micro-perforation (bulles d’air dans la paroiœsophagienne). L’infliximab avait été utilisé chez ce malade enraison d’un mauvais état nutritionnel, contre-indiquant un traite-ment chirurgical [5].

Nous rapportons ainsi un nouveau cas de traitement efficaced’une MC œsophagienne invalidante, corticorésistante, parinfliximab. Cette option thérapeutique nous semble particulière-ment intéressante, puisqu’elle a permis une amélioration sympto-matologique très rapide et un sevrage de la corticothérapie.Enfin, ce traitement a permis à notre malade de « passer le cap »dans l’attente d’une pleine efficacité de l’azathioprine, celle-cin’ayant pas présenté de récidive symptomatique à 1 an. En con-clusion, l’utilisation de l’infliximab dans les localisations œsopha-giennes de MC, symptomatiques et résistantes aux traitements depremière ligne, semble être une option thérapeutique séduisante.

RÉFÉRENCES

1. Decker GA, Loftus EV, Jr., Pasha TM, Tremaine WJ, Sandborn WJ.Crohn’s disease of the esophagus: clinical features and outcomes. In-flamm Bowel Dis 2001;7:113-9.

2. Cosme A, Bujanda L, Arriola JA, Ojeda E. Esophageal Crohn’s dis-ease with esophagopleural fistula. Endoscopy 1998;30:S109.

3. Heller T, James SP, Drachenberg C, Hernandez C, Darwin PE. Treat-ment of severe esophageal Crohn’s disease with infliximab. InflammBowel Dis 1999;5:279-82.

4. Ho IK, Guarino DP, Pertsovskiy Y, Cerulli MA. Infliximab treatmentof an esophagobronchial fistula in a patient with extensive Crohn’sdisease of the esophagus. J Clin Gastroenterol 2002;34:488-9.

5. Fefferman DS, Shah SA, Alsahlil M, Gelrud A, Falchulk KR, Farrell RJ.Successful treatment of refractory esophageal Crohn’s disease withinfliximab. Dig Dis Sci 2001;46:1733-5.

Pancréatite aiguë secondaire à une dengue

Observation

Un homme de vingt-neuf ans d’origine mélanésienne, sansantécédent particulier (consommation d’alcool nulle, pas deprise de médicaments, pas de notion de maladie pancréatiquefamiliale), était hospitalisé au Centre Hospitalier de Nouméapour des douleurs épigastriques associées à une hyperthermie à40 , des céphalées rétro-orbitaires, des myalgies intenses,l’ensemble des signes survenant brutalement vingt-quatre heuresplus tôt.

À l’admission, on notait une fièvre à 39 , une douleurprovoquée épigastrique sans défense, un météorisme abdo-minal modéré ; il n’existait pas de signes méningés. La pres-sion artérielle était de 130/75 mmHg, la fréquence cardiaquede 96/mn.

Les résultats des examens biologiques étaient les suivants :ionogramme sanguin, glycémie, créatinine sérique, calcémie,triglycérides normaux ; leuconeutropénie à 1 800 éléments/mm3, lymphocytes à 2 000 éléments/mm3, plaquettes :240 000 éléments/mm3, proteïne C réactive : 50 mg/L (nor-male (N) < 5), fibrinogène : 6 g/L (N < 4,2), gamma-GT : 2 N,

Fig. 1 – Aspect endoscopique.Endoscopic view.

Jérôme FILIPPI (1), Pierre MAMBRINI (2), Kamel ARAB (1),Stéphane M. SCHNEIDER (1), Xavier HÉBUTERNE (1)

(1) Fédération d’ Hépato-Gastroentérologie et de Nutrition Clinique,Hôpital de l’Archet 2, 06 202 Nice ;

(2) 3, rue Prosper Mérimée, 20 000 Ajaccio.

Page 2: Pancréatite aiguë secondaire à une dengue

Lettres à la rédaction

86

ASAT : 2,5 N, ALAT : 2,5 N, LDH : 2,5 N, amylasémie : 10 N,lipasémie : 20 N. Le score de Ranson était égal à 1 (LDH supé-rieure à 1,5 N).

La tomodensitométrie effectuée 48 heures après le début cli-nique objectivait une augmentation globale du volume du pan-créas, sans nécrose intra-pancréatique, ni coulée extra-pancréatique. L’index de sévérité tomodensitométrique étaitdonc de 2 [1]. On ne notait ni lithiase vésiculaire, ni dilatationdes voies biliaires intra ou extra-hépatiques. L’écho-endoscopiebilio-pancréatique effectuée le lendemain de l’admissionn’objectivait pas de lithiase.

Le bilan infectiologique (hémocultures et ECBU, AntigèneHBs et Anticorps HBc, sérologies de leptospirose, salmonellose,brucellose, mycoplasme, coksackie A et B, cytomégalovirus,EBV, oreillons) était négatif.

La sérologie de la dengue était positive en IgG mais surtouten IgM, traduisant ainsi une infection récente [2], confirmée parune polymerase chain reaction (PCR) également positive dans lesérum du malade.

L’évolution était marquée par une sédation complète desdouleurs et une apyrexie en 48 heures, une normalisation destransaminases, de la CRP, du fibrinogène, de la lipasémie et del’amylasémie en 4 jours. La tomodensitométrie était normale auseptième jour. Après deux mois de suivi, aucune récidive dou-loureuse n’a été notée.

Discussion

La dengue est une arbovirose, transmise par un moustiquevecteur, l’Aedes aegypti, caractérisée par un syndrome algiqueet fébrile, sévissant sous forme de cycles épidémiques en zonetropicale ou sub-tropicale [3]. Parfois grave, voire mortelle, danssa forme hémorragique où il existe une thrombopénie majeure,elle constitue, notamment en Nouvelle Calédonie, un problèmede santé publique. Le diagnostic de certitude repose sur la PCRqui détecte l’ARN viral dans le sérum, et sur la sérologielorsqu’elle est positive en IgM [2].

Au cours de la dengue, les perturbations de la biologiehépatique sont fréquentes [3], consistant en une élévation destransaminases, de la gamma-GT, des phosphatases alcalines.Parfois et plus particulièrement dans les formes hémorragiques[3], la cytolyse est supérieure à 10 N. Dans notre observation,la dengue était peu sévère, non hémorragique, et la cytolysehépatique modérée. De nombreux agents infectieux sont connuspour être responsables de pancréatites aiguës (PA) [4]. Il peuts’agir de bactéries : mycoplasmes, salmonelles, leptospires,légionelles ou de virus : oreillons, hépatite B, coxsackie A et B,cytomégalovirus, adénovirus et varicelle chez l’immunodéprimé.Les PA survenant au cours d’une dengue sont rares. Chezl’adulte, nous n’avons trouvé dans la littérature qu’une seulepublication rapportant un cas [5] survenant au cours d’une

forme hémorragique, moins documenté que le nôtre, sanséchoendoscopie bilio-pancréatique notamment. Chez l’enfant,une publication [6] fait état d’anomalies échographiques pan-créatiques relativement fréquentes au cours de dengues hémor-ragiques. Ces anomalies, non corrélées à un examentomodensitométrique nous semblent cependant de significationincertaine. Dans notre observation, la PA est certaine : lipasé-mie supérieure à 3 N et aspect tomodensitométrique dans uncontexte de douleurs épigastriques de type pancréatique. La PApeut raisonnablement être imputée à l’arbovirus en raison del’absence d’autre cause d’une part et d’une dengue concomit-tante sérologiquement prouvée d’autre part [4]. Notre observa-tion confirme que même dans une forme non hémorragique, levirus de la dengue peut être la cause d’une PA.

Le mécanisme par lequel l’arbovirus est cause de lésionspancréatiques n’est pas connu. Cependant, au cours d’infectionsbactériennes ou virales, la présence de l’agent infectieux consta-tée à la fois dans le parenchyme pancréatique et dans lescanaux excréteurs pourrait suggérer une action délétère directe[4]. En conclusion, la dengue est une cause possible de PA enrégion tropicale ou sub-tropicale, et doit être évoquée en paystempéré chez les malades revenant d’une zone d’épidémie et quiprésentent un tableau infectieux au stade inaugural d’une PA.

RÉFÉRENCES

1. Balthazar EJ, Freeny PC, vanSonnenberg E. Imaging and interventionin acute pancreatitis. Radiology 1994;193:297-306.

2. Cheunge E. Nouvelles techniques diagnostiques de la Dengue. MedMal Infect 1995;25:696-701.

3. Kuo CH, Tai DI, Chang-Chien CS, Lan CK, Chiou SS, Liaw YF. Liv-er biochemical tests and dengue fever. Am J Trop Med Hyg1992;47:265-70.

4. Parenti DM, Steinberg W, Kang P. Infectious causes of acute pancre-atitis. Pancreas 1996;13:356-71.

5. Jusuf H, Sudjana P, Djumhana A, Abdurachman SA. DHF with com-plication of acute pancreatitis related hyperglycemia: a case report.Southeast Asian J Trop Med Public Health 1998;29:367-9.

6. Setiawan MW, Samsi TK, Wulur H, Sugianto D, Pool TN. Epigastricpain and sonographic assessment of the pancreas in dengue hemor-rhagic fever. J Clin Ultrasound 1998;26:257-9.

Tristan DERYCKE (1), Philippe LEVY (2),Bernard GENELLE (1), Philippe RUSZNIEWSKI (2),

Catherine MERZEAU (3)(1) Service d’Hépato-Gastroentérologie,

Centre Hospitalier Territorial de Nouméa, Nouvelle Calédonie ;(2) Fédération médico-chirurgicale d’Hépato-Gastroentérologie,

Hôpital Beaujon, Clichy ;(3) Service d’Imagerie Médicale,

Centre Hospitalier Territorial de Nouméa, Nouvelle Calédonie.