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Le SOUFISME AFRO-MAGHREBIN AUX XIXè et XXè SIÈCLES Cap-Tours S.A. (Rabat, 1995) Par le Professeur Abdelaziz BENABDALLAH

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  • Le SOUFISME AFRO-MAGHREBIN

    AUX XIX et XX SICLES

    Cap-Tours S.A.

    (Rabat, 1995)

    Par le Professeur Abdelaziz BENABDALLAH

  • TABLE DE MATIERE

    Introduction ............................................................................. 7

    I- Sources du Soufisme ............................ 17

    II- Naissance de l'sotrisme :

    modes et secrets du jaillissement des gots initiatiques ....23

    III- Transcendance et compendium des vertus ..37

    IV- L'initi et son comportement ................................... ....49

    V- Fidlit et esprit chevaleresque du musulman ........61

    VI- Vertu auditive : heureuse disposition prter une oreille attentive73

    VII- Diffrence de gots comme signes distinctifs des rites soufis .83

    VIII- Soufisme salafi ou cls du soufisme

    la Tijanya : voie abrahamo-mohammadienne ...... 103

  • INTRODUCTION

    Le grand savant maghrbin, Sidi Larbi Ben sayah a pris, au dbut de ce sicle hgirien, l'heureuse initiative d'laborer une oeuvre magistrale intitule "Boghiat el Moustafid, en guise de commentaire au pome mystique compos par le clbre alem de Chinguit (Mauritanie). Il s'agit d'un compendium, esquisse ou fresque vivante, claire et exhaustive, assise structurale de la pense mystique. Nous allons essayer d'analyser les sept chapitres essentiels qui refltent le souci constant du croyant en qute d'un comportement idal, susceptible d'assurer l'homme imbu de spiritualit, l'quilibre rationnellement humain entre la psych et la matire. Sidi Larbi s'est ingni, grce un esprit prospectif rvlateur, d'introspecter les subconscients, d'lucider les secrets les plus intimes du for intrieur, de sonder la nature intrinsque de l'Etre, dans sa double quintessence humaine et somato-psychique. Le dogme lui -mme est dissqu, dans le but d'humaniser l'idal et d'harmoniser le couronnement plnier, chez le croyant. Toute la documentation de notre clbre auteur, procde d'une exprimentation sre, partir du terre--terre et de la faiblesse de l'homme, o rside le secret d'une surhumanit psycho-rationnelle, toute preuve. Un des buts recherchs par l'thique soufie dont Sidi Larbi esquisse un grand schma vocateur, est de mettre en corrlation les lments vous un tiraillement dchirant, dans toute me, appele merger, en redressant toute distorsion intruse. Le monde afro-asiatique et surtout africain est intress, en premier lieu, car son conformisme aberrant cde ncessairement la place, dans un dialogue constructif, aux options discursives dont la valeur doit se vrifier par son adaptabilit la vie moderne bien entendue. L'lite afro-asiatique a atteint un stade de rayonnement intellectuel tel qu'il serait opportun de fructifier ses larges dispositions, pour un panouissement spirituel. C'est dans le contexte d'une rdition du patrimoine de l'Islam, que nous pourrons mettre en exergue le rle de la religion, dans la cristallisation de l'idalisme transcendant, qui puise sa force et sa vitalit dans cette heureuse quation humaine : le rationnel et le spirituel. L'ide de l'antagonisme classique de l'esprit et de la matire, est, sinon battue en brche, du moins fortement branle, par suite des travaux scientifiques qui ont mis en vidence l'unit nergtique du cosmos et la corrlation profonde entre la physique et la biologie, d'une part et la psychologie d'autre part .

    C'est cette superstructure psychologique - que notre auteur cherche consolider - qui est l'aboutissement de ce psychisme mtamathmatique et nergtique subtil, vers lequel s'oriente la science de demain, bien loin des facteurs - fiction. La raison d'tre d'un tel lan est le lgitime souci d'un libre discernement entre le faux et le vrai o doit tre limin tout traditionisme irraisonn, en tant que mode ventuel de travestissement de la pense, qui s'loigne de l'quilibre, vritable potentiel intellectuel o la ralit transcendante s'identifie la sagesse.

    Nous allons donc parcourir, avec notre minent auteur, ces phases d'objectivisation de la personnalit du croyant, doubl, par dfinition, d'un initi mystique, dgag de tout fatras extatique ou rmitique, en tant qu'lments intrus d'un subjectivisme abrrant , allant l'encontre de l'Islam salafi et sunnite. Sidi Larbi a eu le grand mrite de dpeindre, avec bonheur, profondeur, aisance et lgance, des pripties d'un long itinraire qui tait le propre exclusif des initis et que notre minent Cheikh cherche vulgariser . Le style purement philosophique est banni et une heureuse exemplification se substitue, pour projeter des lumires vivantes trs vocatrices, la porte du simple initi, sinon du simple croyant. La prire intrieure, est, pour Avicenne, une puration, une lvation de l'me qui conduit le cur jusqu' la contemplation de l'Etre Absolu; et, par cette connaissance et cette

    intellection et cette science, une batitude s'pand sur l'me et l'effusion sainte descend du Ciel Suprieur, jusqu'en l'intime de l'me raisonnable.

    Cette prire conduit donc l'me jusqu'au sein de l'intimit du monde, de la domination et des mondes plus levs de la Toute Puissance Divine; l'me humaine raisonnable est apte recevoir, par degrs, une communication, toujours plus haute, de cette lumire du flux manateur, dont elle-mme est forme et qui dcoule en ncessaire surabondance de l'Essence Divine; c'est l la nature mme de la connaissance mystique chez Ibn Sina. Cette

  • conception avicennienne de la transcendance de l'tre vers Dieu, trouve une certaine complmentarit dans la dialectique apparemment contradictoire d'Ibn'Arabi. "Le Dieu rvl - dirait le grand gnostique andalous - est un Dieu qui pense et qui uvre, qui supporte les attributs divins et est capable de relations."

    La causalisation ou la simple orientation imprime l'tre par l'actuation des Noms de Dieu, constitue un catalyseur essentiel o les canalisations confluentes n'infirment gure le principe d'unicit du systme, dans sa supra-structure, malgr la discordance de certaines terminologies, des sources d'inspiration secondaires. Dieu nous a ordonn l'usage de tous moyens de nature nous aider raliser nos vux. Ce sont des causes ou mobiles proprits dterminantes, tant eux-mmes le effets du Nom qui les actue. Chacun de nos actes est "mobilis", grce un Attribut dont il est la manifestation thophanique.

    La rvlation coranique demeure la structure de base chez les deux philosophes qui reprsentent respectivement la pense philosophique et la conception soufie non altre par l'intellect. Le systme Avicennien et Hatimien est caractris, certes, par une double dialectique de lumire et d'amour. Mais, tandis que la pense d'Ibn 'Arabi est de quintessence soufie, celle d'Avicenne ''n'aurait pu se saisir, sans le mouvement initial de mystique naturel qui le traverse". La philosophie d'Avicenne est une philosophie d'influence musulmane o le donn coranique devient une base philosophique qui s'unit certaines influences hellnistiques, de sorte que la pense avicennienne ne saurait se comprendre sans l'Islam.

    Le Prophte Mohammed ainsi que les autres Aptres et Messagers de Dieu, ont atteint l'tape sublime, dans leur ascension vers Dieu. Par le mme processus, quoique limit et miniatur, l'initi voit s'ouvrir, devant lui, tous les accs, vers la grande ouverture. L'homme, dont la vision est voile, n'est - d'aprs Ibn 'Arabi - qu'un simili-homme; Avicenne s'ingnie manier un langage strictement soufi, quand il nous parle de la procession initiatique ou apostolique. Il rejoint les soufis les plus ,,orthodoxes", en prcisant que seul le Prophte est apte pntrer et vivre l'harmonie secrte qui relie l'homme au Cosmos; cette harmonie que l'observance des actes religieux tend, sans cesse, actualiser; les actes cultuels consistent ou en mouvements comme les prires rituelles ou en privation de mouvements, comme le jene. L'initi, habitu orienter son intellect, pour recevoir l'illumination des substances spares, en viendra, dans le miroir purifi de son me, s'lever jusqu' la comprhension intime des fondements de la loi religieuse. Il restera, cependant, toujours tributaire du Prophte quant au contenu et au dtail de chaque acte cultuel; mais, le sage et le saint ne sont gure dispenss des prescriptions imposes tous-, quand bien mme son intellect en arrive reflter, comme un miroir transparent, les lumires du divin, il doit continuer se soumettre aux obligations religieuses. L'observance des prescriptions positives de la loi religieuse, la pratique des actes cultuels, faciliteront au croyant sincre la mise en relation avec le corps du ciel, la captation de l'influx des sphres clestes et l'intensification de la sympathie qui relie le microcosme. C'est l, dans sa double acception philosophique et mystique, le contexte cosmique des Noms divins, dans leur actuation des mondes.

    Dans quelle mesure ces donnes concident-elles, sinon avec la Grande Ralit, du moins avec les ralits transcendantes relatives, c'est--dire le processus de relation Dieu-crature?. Comment raliser cette relation?. Quel est le rle des Noms de Dieu ?. Comment peuvent-ils influer dans "l'idalisation" des comportements cosmiques de l'homme, l'harmonisation de ses rapports avec ses semblables, l'humanisation de l'chelle des valeurs, dans les sphres du sensible et du visible ?.

    Comment concevoir l'homognit psychologique du Monde et de l'homme?. Comment, dans ce contexte, concilier la mtaphysique des Noms de Dieu avec ses implications cosmiques ?. La ralit tant une, en quoi les donnes de la ''Haqiqa (ralit) sont-elles complmentaires de celles de la -Charia" (loi coranique)? ; autant de questions, autant de problmes ardus dont les solutions rie seraient que partielles, tant donn le caractre strictement relatif des investigations humaines ?. Nous voudrions, autant que possible, limiter, sinon liminer, certaines subjectivits d'ordre mystique et philosophique susceptibles

  • de fausser les jugements, de par leur psychisme incontrl ou leur mtaphysisme sans mesure ?. Pour ne pas sombrer dans l'abstrait, nous allons essayer, de passer en revue, certaines expriences mystiques rcentes, tayes par quelques tests personnels, que nous soumettrons au double contrle. du positivisme rigoureux de la "Charia" et du rationalisme de la science moderne . La science sotrique est le fruit et le couronnement d'une stricte application des donnes exotriques de la Charia. L'observance minutieuse de la loi rvle et l'alignement sur ses concepts provoqueront indubitablement, chez le croyant, l'illumination d'un cur sur lequel viennent se projeter les clarts de la foi. . Cet exotrisme, dment appliqu, a pour effet certain, la purification d'une part, de l'me, par limination des vices et concrtisation des vertus, et, d'autre part, une sublimation et une luminescence intimes, dont la fruition spontane et immdiate, est le jaillissement d'ides concises qui se refltent sur le miroir poli de l'me dgage de toute fltrissure. Suivant un rythme altern de lumire et d'obscurcissement , l'initi ralise ncessairement un certain degr de connaissance, grce auquel le voile finit par s'estomper, laissant poindre les clats ou lueurs des Noms de Dieu! Dans cette transcendance de lumire, les projections se prcisent, "les reflets prennent forme et l'clair devient toile filante". Le chemin de l'initi est jalonn d'une gamme d'clats psychiques de ravissement, d'extase et de dgrisement. Quelques lments artificiels peuvent fausser ce processus transcendant; l'alignement sur la rvlation coranique et la tradition prophtique demeurent, d'aprs Ibn 'Arabi - le seul critre diffrenciant l'tat qui doit en dcouler, des procds hypnotiques ou des pouvoirs extra-normaux du Yoga indien ou autre. En effet, Avicenne n'carte point, dans l'volution de l'initi, le perfectionnement de l'me cristallis par ces pouvoirs : mouvements giratoires rapides, fixation par lil de "Chiva" d'un objet brillant ou noir ou tout autre procd pouvant aider dgager, artificiellement, l'me de son corps et recevoir des illuminations. Certains Mages ou sorciers parviennent, grce une pratique de concentration trs pousse, se dtacher de leur ambiance, en liminant l'effet des organes sensoriels. Le subconscient ragit, alors, avec toute la force de ses potentialits distraites par le sensible. Mais, seul l'initi est apte faire intervenir son got intuitif", dvelopp dans l'ambiance luminescente de son me purifie. Voyons donc, comment Sidi Larbi tend expliciter ces donnes exotriques.

    En parlant de la science infuse ou rvle (qui n'est que le reflet de l'attribut de l'Omniscience), de la lumire divine, des tapes de la rvlation, il dit :

    "la rvlation pour l'Aptre, se traduit, soit par la transmission du "livre Sacr", effectue par l'intermdiaire de l'Ange, soit par l'audition du secret, soit par le contact o l'ordre divin est "suggr", sans intermdiaire, soit par une insufflation directe qui peut maner de l'Ange lui-mme. L'inspiration s'identifie, alors, une connaissance infuse, sorte de flux dont l'amplitude est conditionne par le degr hirarchique du Messager de Dieu; il existe d'autres sortes de rvlations qui sont :

    I) Le fruit de contemplation des degrs et des proprits des Noms et Attributs, provoquant un divin "flot de lumires", sous forme d'inspiration qui dcle des "tats de mystres".

    II) L'avnement d'une ide manant d'une source suprieure vague et projetant une vive lumire sur les contours de certains secrets et prvisions.

    III) L'inspiration peut, enfin, s'identifier une sorte de spculation sur les nombres cosmiques et les infrences de l'Attribut ou les proprits inhrentes aux Noms. L'tat prophtique appelle donc une thophanie qui contraste avec l'extase du mystique. L'aptitude apostologique est d'une amplitude sans pair.

    Selon le clbre El-Jilani Abdelkader, le gnostique, habitu la grce et aux Attributs de Beaut, ne saurait rsister l'apparition de la Grandeur de l'Essence. Le grand Matre Mystique Sidi Ahmed Et-Tijani spcifie, en commentant cette thse, que seul le "ple parfait" peut tre le rceptacle de la thophanie de la Ralit de la Magnificence, quand il aura atteint le degr sublime de cette tape, savoir le "cachet" ou l'ultime des stades.

  • La "Boghia" et, notamment, les "Sept Requtes" rcapitulent donc les donnes du "Soufisme islamique appliqu", sur le plan d'un exotrisme pragmatique et clectique. Les autres sources de base de cette Nouvelle Ecole du XlX sicle sont :

    1) "Jawhir el Mani" (Perles des Ides) du Fassi Sidi Ali Berrada Harazim

    2) "el Jmi" (Le Compendium du Saharien Sidi Mohammed Bel Mechri)

    3) (er-Rimh) (les Lances) du prince soudanais, Omar el Fouti ou Founti (de Fouta-Djalon (mort en 1845 ap.J./1261 h).

    Ce sont l quelques clbres disciples du grand Cheikh Sidi Ahmed Tijani (Dcd en 1814 ap. J.C./1230h), chef de la grande Confrrie, difie il y a moins de deux sicles. Se rfrant G.Bonnet Maury, dans son ouvrage "L'Islamisme et le Christianisme en Afrique", le grand leader arabe Chakib Arsalne affirme, dans son livre "Le Monde Musulman Contemporain" (T2 p.398) que l'Afrique aurait t entirement islamise, sans ce coup port par la France l'influence de la Confrrie Tijanie ... ;" le fait - ajoute-t-il - est comparable l'lan d'islamisation de l'Europe, arrt, Poitiers, par Charles Martel".

  • CHAPITRE 1

    SOURCES du SOUFISME

    Le soufisme mohammadien est le compendium des traditions du messager d'Allah, irradi dans l'ambiance prophtique luminescente, dont l'effet initiateur se prolongea, selon le hadith, durant les trois premiers sicles de l'Hgire. Les compagnons du prophte, les suivants du 2me sicle (Et-Tabiynes) et leurs successeurs, avaient, pour seuls stimulants et animateurs, les rcits encore vivants dans les coeurs des adeptes; mais, passs ces premiers sicles, l'initi est propuls dans la masse confuse des traditions o l'apocryphe, l'authenticit douteuse, primait le vridique. Le cheikh Abdelkarim Ibn Hawazine, dit el-Kocheiry, ne manqua pas de rvler, dans sa Rissala, les secrets de cette mutation : les croyants, imbus d'un sens sotrique, lors de ses sources prophtiques, se rfugiaient dans des liturgies plus ou moins authentiques, issues de la Sunna ou des comportements effectifs et affectifs du messager d'Allah ; d'o : pluralisme de "Wirds" et "Wadhifas". Cette phase o les rites soufis se multipliaient, dans un certain dsarroi et confusion d'esprit, parfois excentriques, sinon hrtiques, se prolongea jusqu'au VIIIe. sicle de l'Hgire, maills de vritables soufis, dont Ibn Machich et son disciple Chdhili (tous deux du Nord du Maroc), promoteurs de l'Ecole soufie islamique, tant en Orient qu'en Occident.

    Les pionniers du soufisme surgirent, alors, la suite d'une priode de dcantation, perturbe par des secousses cahotantes, essayant de promouvoir, dans un esprit critique, les tests rels d'un soufi agissant et adquat. L'un de ces minents prcurseurs est AHMED BEN AHMED BEN MOHAMMED EL-BORNOSI ELFASI, connu, alors, sous le nom de Zarroq, originaire de la tribu des Brns, n en 1442 ap.J.C../846H, et mort Mesrta (Tripoli), en 1493 ap.J.C./899H. Grand jurisconsulte, soufi trs vnr dans toute l'Afrique - notamment au Grand Maghreb - il fut unanimement considr comme le "prvt" (mohtassib) et critique du Soufisme (mysticisme islamique).

    Ses oeuvres, dans toutes les branches des sciences canoniques, avaient enrichi le patrimoine de l'Islam, par leur diversit et leur profondeur. Plus d'une cinquantaine d'ouvrages dnotent, chez le Cheikh Zarroq, grand prcurseur et critique implacable des dviations soufies, une audace sans pair, dans la concrtisation du vrai visage du "Tassawwf'', devant s'identifier au legs authentique et bien entendu de l'Islam. Cette symbiose entre les deux tendances a toujours cr une quation harmonieuse alliant deux antagonismes factices : le spirituel et le temporel.

    Le Soufisme salafi, c'est dire issu des sources de l'Islam, n'est autre chose que l'Islam lui-mme, dgag du fatras confus e incohrent.

    Les bibliothques marocaines, tant publiques que prives, conservent en manuscrits la plupart de ces oeuvres.

    Dans une auto-biographie, Zarroq a essay d'esquisser comme son contemporain le grand historien Ibn Khaldoun - une fresque vivante sur les pripties et vicissitudes de sa vie, donnant l'exemple le plus clatant de certains aspects de la vie idale du vrai Musulman, empreinte d'un humanisme universel agissant. Les oeuvres de Zarroq tendent clarifier la position de l'Islam, sur deux thmes qui ont toujours t l'objet de tiraillements et de controverses : savoir, d'une part, la nature des hrsies qui ne doivent pas s'identifier une simple opinion non admise, et, d'autre part, la dfinition de la vie exemplaire que le bon Musulman doit mener et qui est, ncessairement, une image de contingences de l'heure, dans le large contexte des potentialits et des virtualits de l'Islam. Nous citons quelques spcimens de ces ouvrages :

    - Interprtations et commentaires des "Vrits et Affinits" de Mohammed Ben Ahmed Meqquari, cadi de Fs (mort en 1357 av. J.C./751 H,).

  • - Avis et conseils adquats sur l'hrsie (voir son ouvrage "Rplique aux hrtiques", Zeitouna 111, 49).

    - Les innovations hrtiques et la Sounna.

    - Potentiel de l'Initi (100 chapitres sur les hrsies des Fouqara soufis).

    - Le droit musulman et le soufisme

    - Sciences des noms

    - Eptres sur les jugements, sermons thiques et subtilits du Tassawwf (se rfrer au compendium des "Manafi'' de Zarroq, Dublin 4130).

    - Syncrtisation de la Charia (lgislation islamique) et haqiqa (ralit sotrique).

    - Eptres sur les jugements, pome sur les dfections de l'me, comment par El Kharroubi.

    - Particularits des Noms de Dieu B.G. de Rabat (D 952), Ttouan N (826), Zeitouna (111, 158).

    - Aide de l'Initi dans le chemin de l'illumination et de la stabilisation morale.

    - Commentaires au nombre de trente six sur les "Hikam" d'Ibn 'At allah.

    - Commentaire sur (la Dogmatique Sacre) d'Al Ghazali.

    - l'Epiphanie.

    - Appel aux Fouqara (Bibl. de Berlin, N 3345).

    Mais, grce l'esprit encyclopdique de Zarroq, d'autres thmes furent l'objet d'ptres ou de traits dont nous donnons les exemples suivants :

    - l'art (bibl. hassanienne de Rabat, N 10 12).

    - Explication de l'Authentique d'Al-Boukhari, Publie au Caire, lm. Hassn.4 vol. 1975.

    - Eptre sur l'Astronomie (Ttouan 485).

    - Trait sur le Droit musulman (B.G. Rabat d 2129/B.N. Tunis (M. 1885) ( propos de l'Eptre d'Ibn Abi Zeid le Kairouanais), Publi au Caire (1332 H./1913 ap. J.C..

    - Commentaire du Compendium Juridique de Khalil. - Fihrist.

    - Sur la thrapeutique exprimente ( Zarroq n'est pas srement l'auteur. Bibl. d'Alger 1322)/ Caire VII, 14.

    - Conseil l'initi idal (B.G. de Rabat D. 2259/D. 1299/D. 1602/D. 182/D.607, Bibl. de Tanger III, 15/ Zeitouna III, 156.

    REFERENCES:

    Ibn'Askar, Dawhat en-Nachir p.38/El 'Ayyachi, Rihla T. 1, P.96/T.Il,p.378/Ahmed

    Baba, Nal el-ibtihj, p.71/lbn elQdi.Jadhwat el-iqtibs.p.64/ Mohammed el'Arbi el-Fsi, Mir't el-Mahsin, p. 192.

  • Dorrt el-Hijl, T.I,p.42/el-Kettani, Fihris el Fahris T.I., p.341/Chajart en-nor,

    p.267/

    Ez-Zarkli, el-I'lm, T.I.p.87/ Chadhart ed-Dhahab, T.7,p. 363/E

    Ibn Mariem, AI-Bostn, p.45/ es-Sakhawi Ed-daw' el-Lami' T.I., p.222/ el-Kettani, Salwat

    el-Anfs T.III, p. 183.

    Ben Abi Cheneb, Idjza, p.51/

    Brockelmann, ar. litt.TII., p.253.

    Trenga, les Brans in Archives Berbres, T.I,p.293 (1915-1916).

  • CHAPITRE II:

    NAISSANCE DE L'ESOTERISME:

    MODES ET SECRETS DU

    JAILLISSEMENT DES GOUTS INITIATIQUES

    Ce chapitre est fondamental dans le processus d'ascension de l'initi. Les contours de tout comportement subsquent doivent tre dlimits avec un soin rigoureux. L'analyse des tapes parcourir est le conditionnement psychosomatique de tout progrs adquat dans la "voie"; c'est le seul mode permettant de dpasser, avec bonheur, le stade d'ankylose superficielle, c'est--dire la situation dans laquelle le croyant se sent fig, sous le poids de l'inertie des choses de ce monde. Les accs se librent, alors, vers le summum de l'esprit mme des ides et de la quintessence des sciences auxquelles aspire l'homme parfait . L'initi, en qute de cette connaissance profondment subtile, se doit, ds le premier pas, de s'abstenir de tout dnigrement systmatique; il n'est, certes, pas encore, en mesure d'en sonder le pour et le contre; c'est, pourquoi, il doit carter toute dngation gratuite, car tout jugement, pour tre judicieux, doit procder d'une connaissance approfondie. L'initi est confront, au dbut, avec des propos allusifs trs ambigus et des subtilits qui tranchent dmesurment du normal, pour atteindre, parfois, le surnaturel; y accder d'emble s'identifierait un acquiescement qui n'est gure le propre d'un esprit qui se respecte et qui recherche le vrai. Au contraire, le nihilisme ne doit pas tre l'aboutissement d'une attitude par trop ngative. L'initi doit donc se contrler, peser ses options, dominer ses lans prmaturs et demeurer en expectative, le temps qu'il faudrait, entre les deux alternatives. Il se rendra, bientt, compte que tout prjug htif serait - comme dirait Ibn 'Arabi - une privation, et que les degrs extrmes, dans l'chelle soufie, se situent entre la rsignation et l'acquiescement. C'est ce cheminement chelonn qui fait, donc, l'objet de cette tude prliminaire. La science, dans ses dimensions islamiques, comporte une double srie de proprits caractristiques : l'exotrisme et l'sotrisme. La science exotrique ou sciences des phnomnes et actes exclusivement externes, englobe, comme base essentielle, la science de la Charia, axe sur une premire source, purement coranique et une deuxime traditionnelle, cristallise par des faits et des propos authentiquement attribus au Messager, Aptre de l'Islam. Les concepts aussi bien cultuels que comportementiels tendent dfinir l'origine du Fiqh (droit musulman), comme fin extrme que le croyant se doit d'atteindre. Les branches instrumentales de la science exotrique sont au nombre de douze dont la syntaxe, la grammaire, la rhtorique, la linguistique etc...

    L'sotrisme est une connaissance psycho-spirituelle qui se ddouble en science thique base sur les principes originels du bhaviorisme social d'une part, et, d'autre part, en science piphanique. La premire partie s'identifie, de par sa nature, l'effort soutenu en vue d'assurer une purification du cur et une ducation de l'me : C'est, en fait, s'ingnier rebuter tous les caractres ignobles, blms ou dcommands par le Chra tels la vaine gloire, l'estime de soi, le complexe de supriorit, l'amour des loges et la fiert prtentieuse; mettre en pratique les donnes thiques de la science, c'est raliser la sublimation des vertus tels le dvouement, la puret de l'intention, la gratitude, l'endurance, l'ascse, la crainte pieuse et l'autosuffisance. Dieu n'assure-t-il pas au pratiquant, d'aprs une tradition du Prophte -"le legs sr d'une connaissance des inconnues, comme prime de l'observance des prceptes rvls?". L'intgrit et la rectitude sont le substrat des caractres premptoires dont l'infraction requiert la pire des damnations.

    Cette infrastructure cultuelle, c'est--dire cette pratique adquate sans religiosit excentrique ni bigotisme aberrant -de la loi canonique- dbouche indubitablement sur une seconde tape : l'ouverture piphanique, sorte de certitude positive ou luminescence dont les reflets clairent le subconscient , grce une puration du for intrieur. Cette lueur tincelante illumine les recoins de l'me, par des projections fulgurantes qui font ressortir, sur l'cran d'une psych dcrasse, l'image d'ides condenses, esquisses d'une foi agissante. L'initi ralise, alors, la gnose, connaissance ou sagesse de la divination mystique ou science inne

  • des Noms et Attributs de Dieu; l, les rideaux se lvent, pour dgager les secrets les plus intimes; le processus d'volution psycho-spirituelle constitue, ainsi, le minimum d'un sotrisme qui se dfinit par une connaissance reprsentative des vraies ralits, exotriquement parallles la thologie scolastique ou science dogmatique. L'sotrisme, dans sa double structure est, donc, la raison finale et la fruition d'une pratique adquate des commandements exotriques. Le croyant, en s'astreignant la loi islamique, dans ses limites dment reconnues, en s'alignant strictement sur l'thique sociale telle qu'elle est esquisse dans les sources authentiques, s'illumine le cur, par insufflation divine des clarts de la foi. La conscience, grce cette luminescence, est mme, alors, d'intercepter les secrets des sciences et les merveilles de la connaissance. Les contours dogmatiques se prcisent, dans le cadre de la thologie scolastique; une connaissance secrte, spculative, mane d'une autre connaissance prsentielle, c'est--dire qui s'impose sans ralisation de l'image par l'intellect. Le discursif, ainsi dpass, est sidr, car, pleinement immerg dans la prsence englobante d'une apprhension d'vidence immdiate, priori et inne. Le soufi n'est dans sa pure nature, qu'un fqih pratiquant inspir par la bont divine et qui hrite d'un legs spontan, un pouvoir de perception directe. Il est, alors, assimil, sur le plan sotrique, aux imms, grands jurisconsultes des rites canoniques; il devient, par consquent, mme de s'arroger le droit de lgifrer dans les secrets de la "voie", sans conformisme aveugle, au mme titre que les grandes autorits de la chari, au niveau exotrique.

    Le cachet de la saintet est, certes, conditionn par l'accs ce stade ultime, o seul est pris en considration le consensus de la communaut musulmane, faute de texte lgislatif coranique ou apostolique. Plus le saint ralise sa pleine sublimation, moins il se sent en dpendance, car, il puise directement ses connaissances dans les sources mmes utilises par les "mojtahidines" ; un vritable initi doit donc, au pralable, exceller, dans les sciences islamiques, avant de pouvoir lgifrer sotriquement. Tout effort de dduction ou d'induction juridiques est fonction de cette double connaissance de cause. Les deux voies se compltent, pour converger vers le rel. Aucune ne peut subsister sans l'autre; la chari est le seul lien commun avec Dieu. Le grand Imam soufi, AI-Joned, n'a-t-il pas affirm que la science mystique a pour unique fondement le Coran et la Sounna, infirmant et stigmatisant les prtentions des dngateurs. C'est la diffrentiation essentielle avec les promoteurs des pseudo-rgles de Sagesse. Seul le got intuitif, se cristallisant en exprience initiatrice, ralise la vrit transcendante (AI-Haqiqa). Le Soufisme est la quintessence de la Chari, sa supra-structure. L'sotrisme n'est, gure, un sens cach insaisissable comme le prtendent certains hrtiques. C'est le fruit d'une accommodation du croyant et de son adaptabilit agissante l'thique universelle, code sublime des Messagers de Dieu. Ibn Abd-es-Salm, Sultan des Ulma et Ghazali, qualifi de "Preuve de l'Islam" sentirent, avec amertume, la vanit d'appliquer la ralit un sens unique o l'initiation n'englobe gure la double connaissance exotrique et sotrique. Une dialectique sophistique est creuse, car, purement verbale; une "mystification" superficielle est aussi aberrante. Une mystique canonise est seule concluante. Le Fqih est le fondement de la "voie". Les textes des grands matres de la "Tariqa" (voie) sont, en l'occurrence, explicites et unanimes. Il s'avre, donc, que l'avnement du soufisme est fonction d'un conformisme inconditionnel aux sources de l'Islam et d'un attachement indlbile aux liens sacrs de la foi, deux conditions impratives et premptoires, pour une luminescence du subconscient. Mais, dans tout ce processus d'volution, la pit demeure l'chelle d'actuation des valeurs et de la transcendance. Ibn Ata allah a dit, dans ses Sages Adages : "Comment une conscience peut-elle s'illuminer, si les images des Cosmos se refltent sur son miroir" "Comment l'initi peut-il transcender vers Dieu, alors qu'il est enchan dans ses caprices et dsirs ?. Comment ose-t-il prtendre intgrer la Prsence de Dieu - qu'il soit exalt!-, alors qu'il n'est pas dgag des impurets de ses indiffrences ? Comment aspire-t-il percevoir et sonder les secrtes finesses, s'il ne se repent gure de ses bnins pchs et ngligences ?".

    La perception de la gnose ou science des vraies ralits, est le propre de l' initi qui accde l'tape du repentir ferme, sorte de rtractation ou retour Dieu, doubls d'attrition sincre. C'est la fruition d'une crainte pieuse qui est le substratum de la foi. La constance dans la conviction dogmatique et la certitude dans la foi sont l'apanage exclusif d'une connaissance foncire. Cette constance et cette fermet, dans la connaissance sont le propre des "volus" dont les esprits sont bien assis - d'aprs Abou Bekr el-Wssiti - dans le secret le

  • plus intime des mystres divins. Pour bien s'assurer les aspirations ascensionnelles, ces volus s'engagrent rsolument, dans le plnum des sciences conceptionnelles, pour dgager les ides thsaurises et extraire les perles de la sagesse. L'Imam Ahmed du rite hanbalite n'a-t-il pas accueilli, avec dfrence les propos d'Abi Souleimn, rapports par son minent disciple Ibn Abi Hawri : "Si les mes s'ingnient rebuter, constamment, les pchs, elles se voient accorder, par la grce divine, une large latitude d'voluer dans les sphres de l'invisible, pour capter, directement, les prodiges de la sagesse thosophale infuse". Ce sont l des connaissances d'vidence immdiate que Dieu inculque Ses lus, atteignant, alors - selon le hadith sacr. Un stade sublime gracieusement inspir par l'Omniscience dont la clart rayonnante clipse les tnbres. C'est le caractre exclusif de toute connaissance inne qui ne passe aucunement par la voie des mdia-discursifs, grce -dit Ibn 'Arabi une effusion sacro-sainte d'o est exclus tout processus imaginatif aberrant. Il ne s'agit gure l - prcise encore Ibn 'Arabi - de simples soufis, mais de l'lite pure, chez laquelle le caractre supra-rationnel des actuations s'identifie aux qualifications apostoliques. Nanmoins, cette gnose demeure celle appele "le fiqh Fi ed-dine" dont le degr le plus parfait rside dans la capacit initiatrice de revivification et d'orientation, dans le chemin de Dieu. "La caractristique de l'sotrisme - prcise Chaarni dans ses Yawkit (Hyacinthes) - est d'exceller dans la connaissance des moyens astucieux pour s'accommoder aux directives du Coran et de la Sounna; tandis que les hommes de science exotrique, se contentent de vous annoncer les commandements du Chra, sans prendre la peine de vous montrer la meilleure voie suivre; tel un mdecin qui connat son code thrapeutique par cur, en ignorant la mthode approprie pour gurir le malade.

    Un sotriste est un pdagogue doubl d'un psychiatre capable de diagnostiquer un mal ou malaise psychique et d'ordonner une mdication adquate; il est, en effet, pleinement conscient de la nature de certains recoins intimes de la psych, ainsi que des convenances dues aux "Prsences Divines", c'est-dire aux divers plans d'adaptation de l'tre aux charges et devoirs canoniques. A chaque plan ses exigences que seul l'sotrisme dcle. D'un exotriste, vous apprenez le code, mais d'un sotriste, les moyens de bien pratiquer ce code. Cette excellence de l'sotrisme dans les options et les actuations cultuelles et comportementielles, se double, donc, d'une connaissance profonde et exclusive de la gnose des vraies ralits, c'est--dire des sciences divines sur le plan des manifestations piphaniques, autrement dit, la vision directe, la vision du Rel dans le contingent, de l'Absolu dans le relatif, du Crateur dans la crature; d'o un comportement rvrenciel et compatissant de l'tre (c'est--dire humain), vis--vis de son semblable, objet d'amour de l'Etre. C'est l le degr sublime de l'Unicit ou de l'Univocit o l'unit transcendantale de l'Etre n'exclut nullement l'existence contingente des tres.

    Il est noter, cependant, que l'approfondissement des sciences islamiques n'est pas une condition sine qua non, pour accder l'sotrisme. Il y a un minimum de connaissance ncessaire et suffisant, devant tre concrtis, chez l'initi, par un atout indispensable dans toute laboration touchant le comportement et le culte. Le saint parfait, c'est--dire le croyant fermement attach l'esprit de la loi et qui est, en perfectionnement continu dans cette voie - ralise, par captation piphanique et inspiration divine gracieuse, une vision englobante du chra, dans ses sources, ses applications, ses motivations et ses modes dductifs. C'est, d'aprs notre Matre Sidi Ahmed Tijani, le Grand ple, rceptacle du secret coranique, interprte inspir de l'hermneutique spirituelle du Livre Sacr. Connatre le Coran par cur n'est pas absolument ncessaire, pour une exgse sotrique de la Rvlation. Les Elus de Dieu voluent dans une stricte observance du Chra, aussi bien dans leurs attitudes permissives que restrictives, extrieures ou intrieures. Nous sommes dans la rigoureuse obligation de les tenir comme tels et de ne se permettre un quelconque dnigrement qu'en connaissance de cause, c'est-dire , aprs avoir connu leur langage cach et pes le pour et le contre de leurs propos. Les propos excentriques mis par un dbutant, en tat d'extase, est un signe d'intrusion inopine dans la voie; "l'initi", qui en est l'auteur, perd toute reprsentativit. Plus l'initi transcende dans la voie, mieux il s'attache la loi dont le Ple est protecteur. Point n'est besoin de signaler que la finesse de certaines conceptions et l'ambigut de certains propos incitent plus de pondration, pour viter les prjugs ou les jugements htifs; sauf au cas o il y aurait infraction f lagrante du Coran, de la Sounna ou du Consensus gnral de la Oumma (communaut musulmane). Il faut, en

  • tout cas, se garder de stigmatiser, sans une connaissance intgrale et exhaustive de toutes les donnes et de tous les dires des "Moujtahidines". Il est, certes, raisonnable de souscrire et d'acquiescer tout ce qu'on a dment admis, sans nier systmatiquement ce qu'on n'a pu saisir. Une certaine envie ou jalousie peut provoquer, parfois, des prjugs-, un attachement irrflchi une dialectique scolastique est de nature rendre certains jugements plus rigides et moins coulants. Certaines situations chappent quelquefois aux normes discursives d'une rationalit abusive, car aucune ligne de dmarcation ne dtache nettement le physique du mtaphysique et un certain mta-psychisme tend mieux orienter la pense humaine. C'est, pourquoi, les Soufis recourent, souvent, des expressions allusives et allgoriques. Tout verset ou hadith prsente - d'aprs l'cole sotrique - un double aspect : introspectif et externe. "Nous leur montrerons nos signes - affirme le Coran - dans les horizons extrieurs et dans leur for intrieur". Dieu aurait pu, s'il l'avait voulu, expliciter les versets et les dbuts des sourates qui prtent diverses interprtations. Il ne l'a pas fait, car il a intgr dans chaque terme ou caractre divin, des notions scientifiques que seul l'Elu est mme de saisir. "Si vous craignez Dieu- affirme encore le Coran - Il vous dotera d'une lumire (qui vous permettra de capter le sens intrinsque des choses). Certains "dnigreurs" ou "ngateurs" ne voient souvent pas de bon oeil ces soufis qu'ils considrent, priori, comme excentriques et ignorants, parce qu'ils ne se rfrent point un Matre ou Alem, autorit de la loi exotrique islamique.

    Ils oublient ou omettent les versets coraniques o Dieu dclare avoir inculqu Adam ou Khadir, ce qu'ils ignoraient. Cette science (appele hikma dans le Coran), Dieu l'accorde qui Lui plait, sans tre ncessairement un prophte ou un Messager. Leur habitude de recueillir la science des voies de leurs matres ou des ouvrages, les a obnubils, au point d'oublier que Dieu est le Matre de toute l'humanit et que son Omniscience n'est l'objet d'aucune suspicion, de la part aussi bien des croyants que des mcrants. La spculation discursive n'a aucune emprise sur cette connaissance infuse, car elle est d'vidence immdiate, en dehors de toute marche syllogistique habituelle. Quand Dieu inspire un instinct mme, il devient infaillible ; ces visions captes par une imagination dgage de toute fltrissure, travers une conscience pure, ne sont pas la porte du commun des gens. L'intellect ou raison pure rebute ces visions que ni l'expression ni l'allgorie ne sauraient dpeindre. C'est un got intime, fruit d'une exprience mystique exprime allusivement par des phnomnes piphaniques initiaux, c'est--dire des inspirations divines; le Cheikh Ali Roudhbri a bien dit:

    "Cette science qui est la ntre est une pure allusion, elle s'obscurcit derrire tout voile d'expression". C'est pourquoi les Soufis ont senti le besoin d'laborer des signes conventionnels qu'ils emploient, en prsence d'un tiers ou dans leurs oeuvres. C'est, par compassion pour l'intrus qui serait tent d'en fausser le sens, de nier ce qu'il n'est pas mme de concevoir et de se priver, ainsi, des avantages d'une science qu'il s'ingnie ignorer. Ibn 'Arabi - cit par Chaarni - a fait remarquer, en l'occurrence, que dans toute science, une terminologie conventionnelle doit tre inculque, pour tre comprise par un nouvel intrus; ce qui n'est pas le cas dans le concert des Soufis o le nouvel initi n'a pas besoin d'tre difi, pour concevoir; il se sent spontanment dispos et apte saisir le sens des propos changs. Nullement dpays ni tonn de se retrouver dans une ambiance qu'il sent tre proprement la sienne - AI Kocheiri a dcommand, dans sa clbre ptre, la lecture des oeuvres soufies, sans l'aide d'un matre ou d'un frre chevronn; certains gnostiques proclament mme la prohibition d'une telle lecture pour les non-initis et la transmission des propos soufis ceux qui n'en ajoutent gure foi; car celui qui dcle le secret mrite la peine capitale. On pourrait se demander s'il n'tait pas plus opportun de se restreindre et de se refuser, au pralable toute laboration dans ce domaine, surtout sur le plan des fines allusions et des intimits de la trans-conscience; et ce, par compassion pour ceux qui ne sont pas habilits saisir ces nuances. Le grand Arif Ali Wafa rplique, en prcisant que Dieu fait rayonner la clart solaire de par le monde, quoiqu'elle nuise la vue des chauves-souris. Le profit est sr, quelque minime soit le nombre de ceux dont le miroir reflte l'puration des consciences et la sublimation des essences; car une codification thrapeutique, sur le plan psychique, constitue un impratif catgorique.

  • Nous avons donn libre cours notre plume, dans ce chapitre initial, pour relancer la crativit du cur, la concentration de l'esprit et la ferme intention d'actualisation, en esquissant de l'sotrisme une fresque aussi rafrachissante qu'agissante. Il s'agit, certes, d'une science qui est le reflet clatant de cette luminescence que Dieu fait rayonner dans le cur du croyant, embras par une foi ardente. L'utilit et le rconfort d'une telle connaissance se mesurent - d'aprs le fameux traditionaliste mystique Mohamed Ibn al Tirmidhi - au degr de stabilisation d'un subconscient illumin par les reflets du Vrai; le faux demeure ankylos dans la pnombre des recoins du cur. Ces reflets sont les signes de sublimation de l'idal inspir. Pour l'Imam Mlik, la science profitable n'est pas fonction des nombres de recensions; elle est conditionne par la force de projection luminescente dans la conscience. La potentialit de cette connaissance est dfinie, chez Ibn 'Abbad, par le degr de proximit du croyant , par rapport son Crateur et de son dtachement de l'gosme : Cette dualit "tiraillante" constitue le summum du bonheur. D'autres dfinitions non moins intressantes dpeignent les contours et les dimensions de l'sotrisme. Pour Al-Joned, matre minent du soufisme sunnite des premiers sicles de l'Islam, c'est la gnose qui consiste connatre Dieu dans sa grandeur et son propre tre dans sa faiblesse, laquelle une vie tout entire mrite d'tre consacre. Damn - pense Abou el-Hassan Chadhili - est celui qui ne s'y met pas entirement; alors que pour Ibn 'Abbad, "une persistance dans l'tude d'autres sciences est inutile sinon nuisible". Le Prophte Mohammed - que Dieu le bnisse - a invoqu Dieu contre toute science non profitable. Ibn 'Arabi classifie donc la science en deux catgories : une science dont on n'a besoin que dans la mesure de nos exigences temporelles; nous devons nous en astreindre au strict ncessaire, il s'agit des commandements de la Charia qui doivent se limiter aux impratifs immdiats et aux contingences de l'heure. Une deuxime science, sans limite, est celle affrant Dieu et l'adaptation aux ncessits de l'au-del. Cel ne minimise en rien la porte de l'xotrisme et ne dvalorise gure le mrite des Ulema, porteurs du flambeau de la Charia. Mais, les vritables reprsentants de la loi organique de l'Islam, sont ceux qui ralisent, en une heureuse symbiose entre la connaissance et l'adaptation au conditionnement de cette connaissance, c'est--dire assurer une synthse so-xotrique. Mais, dans ce processus, tout est relatif, car une gnose et un sotrisme digne de ce nom ne sont plus de mise dans les temps que nous vivons, absorbs que nous sommes par les vicissitudes de l'heure. Dj, AI-Joned et Sahrawardi proclamaient, depuis des sicles, cette douloureuse ralit ! que dirions-nous aujourd'hui ?.

  • CHAPITRE III:

    COMPENDIUM DES VERTUS ET

    TRANSCENDANCE

    Ce chapitre a pour objet l'analyse de la nature de l'Ethique chez le soufi et l'esquisse d'un compendium des vertus qui caractrisent le comportement idal d'un initi et la transcendance, devant aboutir la sublimation de l'acte cultuel et de l'actuation psycho-spirituelle de la trans-conscience.

    Les grands matres de la gnose considrent l'Ethique comme une assise foncire de la morale, d'autant plus qu'elle constitue une sorte de "politesse comportementielle" pralable qui prime toute qualification moralisante et toute fluctuation agissante, marquant les options les plus subtiles du mourd. C'est l'aspect sublime dans la voie qui synthtise le processus transcendental de l'initi, travers les clats et les tapes dont il est le support et le substrat. L'observance stricte de cette "politesse" thique est un couronnement plnier de la transcendance. Toute dviation dans le cheminement initiatique est un biais impardonnable quel que imperceptible soit-il ! La moindre incartade et l'infime anicroche aboutissent une rupture d'quilibre, c'est--dire un transbordement, sinon une vritable dchirure. En effet, chaque tat ou stade son thique. Cet ensemble d'actes ou de gestes raffins, de rgles et usages "polics" sont le propre d'un homme parfait : en tre dpourvu constitue une des privations les plus irrmissibles. Ce raffinement consiste - d'aprs l'auteur des "'Awrif", en une double ducation, la fois exotrique et sotrique. Seul un gnostique polic dans ses agissements extrieurs et introspectifs, est digne d'une perfectibilit thique.

    Ce code de convenances morales s'labore en quatre squences:

    I) Celle axe sur la charia, c'est--dire un raffinement d'ordre suprieur marqu par la Providence et divinement inspir. C'est cette Morale transcendante que Dieu a bien inculque au Prophte et que celui-ci nous a transmise.

    II) Acte de serviabilit ou service religieux consistant en une clbration adquate de l'office divin ou servilit rvrentielle vis--vis du Souverain Suprme. La lgislation divine, en l'occurrence, labore une approche vers le Crateur, sorte de mouvement transcendant vers Dieu.

    Cette squence est exclusivement divine, tandis que la squence antrieure, celle de la charia, comporte la fois le Droit d Dieu et les droits rservs Sa crature.

    III) Ethique du vrai, qui consiste s'adapter aux exigences de la Vrit, par une soumission irrversible et inconditionnelle aux sentences et directives divines, quel que soit le degr de l'metteur. Ainsi, une vrit, imprime d'une telle vertu, demeure constamment et valablement agissante. L'acquiescement au vrai est une qualit essentielle chez le 'Arif, abstraction faite de l'ge ou des contingences sociales de l'agent de transmission.

    IV) Ethique de la Ralit qui consiste, au contraire, se dgager de toute prtention ou vanit et s'en remettre Dieu, en lui faisant entirement confiance, et en se reposant premptoirement sur Lui. Cela se ralise par un autocontrle permanent, un effort soutenu de domination et de mditation et une contemplation rvrentieuse des signes de Dieu. L'minent 'Arif Abdellah Ibn El-Moubrak dfinit cette thique rvrentielle comme la conscience des dimensions de la psych. Commentant cette sentence, l'auteur des 'Awarif' prcise bien que l'me est la source de toutes les mconnaissances et les ignorances. Se connatre soi-mme, c'est se raliser, grce un flot d'inspirations luminescentes. La tradition ne rapporte-t-elle pas que celui qui est conscient de soi est apte connatre Dieu ? Etre conscient - affirme En-Nawawi dans ses Fatawi - de sa faiblesse, de son dnuement et de sa servilit, c'est apprcier, avec justesse, l'Omnipotence, la Suzerainet et la Perception

  • absolue, dans le cadre des Attributs Divins. Deux autres acceptions de ce hadith sont rapportes par Abou AI Abbas El Murci : d'une part, une auto-conscience, c'est--dire une profonde conscience de soi qui fait transcender l'initi vers la connaissance de Dieu; et, d'autre part, une gnose, ou une sublime conscience de l'Etre, source d'une connaissance d'ordre secondaire, ou de son propre tre. La premire version concerne les initis normaux, ceux qui ont parcouru les tapes mystiques normales et la seconde, les attirs, autrement dit les alins lus par Dieu et qui transcendent spontanment, sans effort personnel ni souffrance, ni peine. Abou Tlib el Mekki donne, dans son clbre ouvrage "Qot El Qolob" (Nutrition des curs) - qui est le code des Soufis - une troisime version, plus explicite, savoir : si tu te connais toi-mme, et tes propres qualifications devant marquer tes relations avec tes semblables, rebutant, ainsi, toute opposition et toute critique ton encontre, tu seras amen mieux connatre Dieu et ses Attributs et observer le rigoureux devoir de bien agrer Son destin et de te comporter envers Lui de la mme manire que tu dsires voir les gens se comporter envers toi.

    Ces trois versions se compltent et convergent vers le but recherch; dans la synthse de toutes ces recensions, Es-Souyouti corrobor par Nawawi dans ses Fatawi - fait remarquer que ce Hadith n'est pas authentique. C'est un adage attribu par EzZarkachi et Samni Yahia Ibn Mo'dh-Er-Razi. L'Ethique ..police" fait ainsi l'objet, d'une multitude de dfinitions. Les uns comme Ibn Ata Illah y voient l'obligation de s'astreindre ce qui est bon, optant constamment, pour le mieux , dans son cheminement vers Dieu. Dans ses tats, la fois statiques et nergtiques, l'initi ralise, alors, l'optimum. Pour d'autres, il s'agit de s'ingnier policer ses agissements, en s'adaptant exotriquement la Charia et sotriquement la Haqiqa (Ralit), recevant rvrentiellement et de bon cur, tout ce qui vient de Dieu, comme le meilleur des biens raliser; les maux eux-mmes sont considrs comme des bienfaits, tant infimes par rapport d'autres ventuels plus graves et constituant des primes anticipes, pour le croyant. C'est dans cette vision du bien-tre, dans les malchances, du bonheur dans le malheur o rside le summum des accommodations thiques. Le grand gnostique Abderrahmane Ben Mohammed AI-Fassi rapporte le point de vue avanc, propos du verset coranique : "Il (Dieu) vous a dots de Ses biens apparents et internes", par le fameux exgte Ibn 'Abbas qui prcise que toute dlectation matrielle constitue un bienfait exotrique; tandis que les calamits s'abattant sur l'initi sont, sur le plan sotrique, des touches divines, initiatrices de bonheur. La nature de toute "politesse" mystique rside, donc, selon ces diverses approches - dans une condition, tendant assurer au Mourid une perfectibilit des rapports, le liant, d'une part son Seigneur et, d'autre part, au monde anglique et apostolique, ainsi qu' tout le genre humain, quelles qu'en soient les catgories et les espces. Si on s'ingniait, alors, analyser ces donnes, l'thique "police" sublime se rduirait - d'aprs Ibn 'Arabi - deux versions que l'minent auteur des (Jawahir el-Mani) (Perles des Ides) ramne une seule : une symbiose juridico- spirituelle concrtise par des actes surrogatoires et des actuations destines sublimer tout tat comportementiel, et ce, dans un contexte de servilit rvrencielle la Souveraine Magnificence. Cette finalit ne saurait se raliser pleinement chez l'initi qui demeure assujetti certaines murs vulgaires, l'loignant de la Prsence Englobante. Le profane croit bien faire, mais l'initi, en ludant toute tentation de ce genre, doit trier rigoureusement ses options, pour s'aligner strictement - comme l'exige le Cheikh Tijni - sur les normes de la Charia et les prceptes de la Tradition prophtique. Toutes les vertus et convenances manent, au fond, d'une 'caractrisation" inne, actue par la grce divine, en dehors de toute potentialit humaine. L'initi est hautement inspir par une insufflation luminescente de l'Omnipotent, adquatement qualifi par la Sagesse Thosophale, pour s'adapter l'Ethique transcendantale, travers un effort soutenu d'ducation, de mortification et de purification. Cette qualification gt virtuellement, en puissance, tel un nucleus gnrateur de vitalit formelle. C'est par un traitement et une initiation appropris que le feu jaillit du briquet et le palmier-dattier du noyau. L'me, rceptacle du bien et du mal, est faonne par une acculturation, grce laquelle une puration psychique se double d'une "moralisation" discursive, d'o jaillit, spontanment une thique "police". La prdisposition au changement caractriel chez l'homme est une preuve de perfectibilit de sa nature. Ce concept n'est gure infirm par l'exgse hermneutique aberrante du verset coranique qui dit : "Pas de changement dans la cration de Dieu" ou par l'interprtation superficielle du Hadith affirmant que Dieu a imprim une forme dfinitive quatre des lments primordiaux, chez l'homme,

  • dont la structure matrielle et le caractre moral. Dieu n'a-t-il pas dit, en parlant de l'me : "Comme il l'a bien modele, en lui inspirant son libertinage et sa pit; heureux celui qui la purifie ! Mais, celui qui la corrompt est perdu" (Sourate du Chams (Soleil), verset 8). D'o la ncessit d'un ducateur et d'un guide de conscience, tel le cheikh, par rapport au Mourid, c'est--dire le Matre qui aide son disciple formaliser les virtualits qui existent en puissance. C'est pourquoi, I'ducation est axe, dans notre "voie", sur une certaine liturgie de la Tariqa, substrat de toute initiation, conditionne par une gamme de litanies dont le dhikr fonctionnel quotidien (= Wadhifa), la rcitation hebdomadaire du Nom d'Allah. L'observance des cinq Prires demeure la condition sine qua non, surrogatoirement soutenue par Es-salt ala en-Nabi", invocation de Dieu, pour le salut et la bndiction du Prophte. Ces actes cultuels doivent tre, accomplis, en pleine confiance dans la pure grce divine, sans mortification, ni effort soutenu dans l'ascse. Notre voie est effectivement esquisse et ordonnance par son promoteur apostolique, seigneur et suzerain existentiel, source substantielle des tres, sublime caution, mdiateur agr de Dieu et unique initiateur.

    Le fait que notre Tariqa est dgage de tout engagement rmitique et isolement du monde, est une marque d'originalit, tel l'Islam dans sa phase initiale o le catalyseur essentiel rsidait dans la conformation sotrique de l'me et la structuration d'un sentiment plnier de gratitude envers le Pourvoyeur Suprme.

    Trois sicles aprs l'avnement de la Prophtie mohammadienne, tout cheminement transcendantal devait impliquer, sans l'impulsion d'exigences conjoncturelles, un surcrot de mortification de la chair et des passions, de souffrance, d'endurance et de privation.

    Deux options opposes qui impriment, respectivement, une procession pralable du cur ou une dmarche strictement corporelle. Point n'est besoin de signaler, dans ce cas, l'excellence d'une adhsion psycho-spirituelle, vritable lan du cur, sur tout mcanisme purement somatique. Il s'agit, spcifiquement, d'assurer un quilibre adquat des pulsations spirituelles, en adhrant, sans bigotisme ou resserrement outrancier, traduit par une indlicatesse alimentaire ou vestimentaire. C'est l un chelonnement transcendant des tats d'me, rigoureusement align sur un bhaviorisme authentique, qui ne refuse gure une impulsion introspective contrle, dgage de tous caprices fantastiques ou sautes d'humeur excentriques. C'est l'atout appropri pour liminer de la psych tous fatras capricieux et lui imprimer une luminescence puratoire. Tout dpassement excessif des limites lgales est dcommand par le Chra. Cette ligne de dmarcation s'esquisse par une disposition spontane obir et se soumettre, sans trop - dirait Ibn 'Abbad - de rserves restrictives, mouvements d'austrit abusive ou rigueur puritaine. Les fluctuations de la conscience constituent le ressort foncier de toute ouverture concrtise par une ferme intention, une forte crativit et concentration du cur. Maints initis ont opt, dans leurs errements, pour l'ascse excessive, ngligeant le facteur prjudiciel en l'occurrence, savoir une dpuration pralable toute intimit introspective, Tout excs se traduit, en fin de compte, par un drglement de l'intellect, un dsquilibre psychique et des troubles somatiques. Cette excentricit dnote une mconnaissance flagrante de la Sounna et de la pratique universelle de la Oumma (communaut). Chaque systme a ses infrences ; les flashs piphaniques de l'un sont impromptus se dclenchant au moment o on s'y attend le moins ; les accs sont alors, librs, les ouvertures dgages, grce une luminance projete par l'lan naturel, spontan et sincre du croyant. Le cur s'panouit, sous l'heureuse impulsion d'un flux thophanique et d'une effusion sacro-sainte. La rsultante se cristallise en une certitude positive surminente. Les optimums de ce processus ne s'opposent nullement certaines accommodations cultuelles appropries tels l'isolement rmitique, la cure de silence et la retraite spirituelle. La tradition authentique corrobore toute pratique non susceptible d'enfreindre les impratifs catgoriques de la loi sociale islamique. Selon le Cheikh Tijani, dans son analyse des mobiles d'une certaine difficult d'insoumission de l'initi l'ordre divin et des quelques incartades impertinentes qui marquent ses agissements; ces dviations sont I'aboutissement fatal d'une auto-ngligence, c'est--dire d'un laisser-aller capricieux incontrl.

  • Le redressement d'un tort quelconque et l'quilibration d'une psychose ncessitent une actuation mortifiante immdiate, suivie de retraite spirituelle, de cure dittique, de concentration liturgique, loin de toutes motivations temporelles ou d'irrsolution. C'est en s'adaptant la tradition apostolique et en s'ingniant dmatrialiser les actes volitifs, que l'initi pure les lans de sa trans-conscience. Le Cheikh n'est qu'un directeur de conscience qui initie et oriente. Toute transmutation demeure luvre exclusive de l'Omnipotent. Dans un autre mmoire, le Cheikh, dfinissant les obstacles qui empchent ou compromettent les ralisations de l'au-del, cite, entre autres mobiles, le penchant du mourid vers les loisirs, les agrments et les plaisirs, croyant atteindre, sans peine, le stade gnostique. Si l'initi a la ferme conviction que toute connaissance mystique n'est que la fruition d'un dploiement rgulier d'activits, il redoublera d'ardeur, en brlant les tapes et en se dtachant de ce qui est vain et futile. Toute dfection ou dfaillance constitue une preuve d'empchement; car l'ordre divin ne souffre gure d'infirmation dans les relations de cause effet, concept premptoire dans les enchanements rationnels de notre Monde. Une pleine clart solaire est fonction d'une dispersion totale des nuages; les clats d'une vive luminescence ne sauraient jaillir qu'au sein d'un cur dgag des vellits mondaines et des virtualits cosmiques, une image virtuelle ne peut, en effet, se projeter sur l'cran d'une conscience impure. Les caprices, qui assaillent le for intrieur, provoquent des troubles psychiques qui obnubilent et loignent de la Prsence Sacro-Sainte. Seul l'avnement de la grande ouverture limine les perturbations de l'me, par le flux lumineux de la gnose, sublime connaissance de Dieu. Une incidence tnbreuse, suscite par une dviation ou une incartade quelconque, affecte la clart scintillante de la souveraine lumire.

    Les plans de l'tre ou prsences, telle la prsence du cur, sont incompatibles avec toute scorie ou crasse ventuelle. D'autre part, "sois conscient que le Dcret infrangible de Dieu ton gard est bien la situation dans laquelle tu volues; y acquiescer servilement est la meilleure des options; rsigne-toi, donc, Son acte Volitif et n'aspire gure un tat auquel rien ne te destine". Toute requte a un dlai d'excution; rien ne saurait abrger une chance. S'armer de patience, c'est savoir garder sa quitude et son sang-froid, dans l'expectative, c'est--dire dans une persvrance qui se double d'esprance. L'espoir est, en l'occurrence, une attente de pied ferme, car fonde sur une Promesse Sublime o Dieu ne s'engage gure la lgre. Un trouble provoqu par des probabilits chancelantes s'clipse fatalement par une cure de dsengagement, au sein d'un concert liturgique harmonieux et irrversible. On ne rcolte que ce qu'on a sem. Mais, gare aux perles de culture; un scaphandrier recherche les vritables perles dans les profondeurs.

    Cette dialectique est le processus de vulgarisation le plus adquat par lequel Notre cheikh synthtise la transcendance. C'est l une orientation heureuse, un mode agissant de direction o l'initiateur est un pdagogue qui faonne, en optant pour la meilleure impression des tats de conscience. Une lecture romance, incruste de contes dpeignant les merveilles des Soufis, est, certes, ncessaire, mais nullement suffisante, pour le dclenchement d'une fruition introspective. La thorie s'extriorise, alors, par une pratique judicieuse et un comportement cultuel bien adapt aux prceptes authentiques. Le mourid doit s'adjoindre un Matre gnostique, dot de crativit, de puissance d'actualisation et de ferme volont, pour accder une flicit totale. L'eau vive de la grce divine inonde la trans-conscience; un dbordement du cur actue la transcendance des degrs sublimes; une troite accommodation l'Ethique est implique par les prsences, c'est--dire les divers plans de l'essence ou de la nature de l'tre, source subsistantielle immanente. La morale police qui s'impose, donc, est le substrat des tats et stades dans lequel volue l'initi. ''L'Islam -dit le Prophte - est cern par les nobles vertus et les murs raffines". Un acte qui respecte les rgles de la politesse - affirme Anas Ibn Mlik - est susceptible d'tre agr de Dieu. Une indlicatesse dans le comportement est, par contre, une marque de privation. Nulle exemption des exigences de la charia n'est concevable, pour un mourid, quel que soit le degr qu'il atteint, dans la hirarchie initiatique. Dans ce stade, l'initi est en vision interne de Dieu, dans son invocation; une haute matrise pse lourdement sur ses actes; une pudeur infinie l'astreint un auto-contrle, sans faille, seul moyen d'une transcendance. Ainsi donc, chaque tape dans la ''voie'' est commande par un code particulier de la science des murs et de la morale. La premire, parmi les trois tapes, est celle de l'Islam ; c'est le stade du repentir ou du retour Dieu. La rtractation qui en dcoule est une vritable

  • infrastructure, sorte de quatuor o l'initi tente de rebuter tout contact avec des indsirables, rechercher le soutien moral des compagnons adquats, fuir les lieux de plaisir illicite et ressentir une vive amertume la rminiscence de toute luxure antrieure.

    La seconde tape est celle affrant une radaptation du croyant, lui assurant une probit irrprochable, sur le double plan temporel et spirituel. Il s'agit d'un intgrisme s'accommodant

    aux rigueurs apostoliques, dans la pense et l'acte, d'une manire assidue et rgulire. En se contrlant minutieusement, l'initi s'assure : un minimum de pondration dans les lans du

    cur, un rebut efficient de tous penchants imaginatifs fonds sur des chimres et enfin, une ferme rsolution, dans le credo et le culte. La pit est, dans une troisime tape, un leitmotiv ou motif conducteur, dans le cheminement de tout mourid, qui doit s'ingnier se librer, par

    acquit de conscience, d'un superflu, mme licite, dont il peut aisment se passer et de tout excs aboutissant, fatalement, une rupture d'quilibre. Quant la dernire tape, celle de la

    foi, elle se cristallise dans un dvouement total et un fidle attachement ses engagements vers Dieu. C'est une servilit faite d'abngation de soi, d'auto-imputation de dfauts et vices, d'apprhension anxieuse, suscitant des invocations ritres et un surcrot de fidlit. Dans ce

    contexte, une sincrit objective s'allie une vracit dgage de toute dfection : l'initi vridique tend, alors, se purifier, se librer de tout psychisme aberrant, s'acquitter,

    ponctuellement, de tous ses devoirs envers ses semblables dont il doit mnager les susceptibilits, en agissant, avec rserve et circonspection, grce une crainte pieuse d'empitement sur les droits sacrs des tres, de tous les tres. L, une quitude entire

    envahit la trans-conscience, mue par cette foi agissante ou cette certitude infuse qui est la marque indlbile de la saintet. Le cur devient, alors, le creuset ou rceptacle o se fondent

    et se confondent toutes les clarts de la Providence et de la proximit de Dieu. Mais, l aussi, toute une gamme d'tats psychiques doivent tre strictement observs, dont le moindre est le soin mticuleux des intimits secrtes du subconscient. Le flux gnostique, accompagnant,

    ainsi, les inspirations divines, est de nature inflchir, alors, les lueurs transcendantes. Une vigilance accrue - dont la grande Sagesse mane de ce processus qui demeure le fil

    conducteur, dans cette sophia thophanique.

  • CHAPITRE IV

    LINITIE ET SON COMPORTEMENT

    ENVERS DIEU

    Ce chapitre essaie d'analyser les attitudes et comportement du Mourid, tendant lui assurer une parfaite adaptabilit l'ordre divin , grce une modulation approprie de l'acte cultuel. Les prophtes, sublimes lus de Dieu, sont les tres les plus hauts placs dans l'chelle des valeurs thiques. La psychologie du comportement apostolique, vis--vis de la Prsence divine, est des plus idales; Introspective et fonctionnelle, cette immanence prophtique est actue par le souci constant d'une observance, minemment adquate aux exigences suprieures du Droit Divin. Dieu n'a-t-il pas couvert d'loges, dans son Livre Sacr, le caractre Magnanime de Son Messager Sidna Mohammed ? Cette magnificence dont Allah exalte les mrites Mohammadiens englobe l'ensemble des structures psychosomatiques, savoir la haute manire d'tre et d'agir. AI-Hassan AI-Besri interprte ce verset coranique, en mettant l'accent sur une confortation divine qui immunise l'Elu contre toute indlicatesse humaine. C'est le summum de l'Ethique transcendante du Prophte. Le propre de cette grandeur suprme est - d'aprs AI-Wsiti - d'luder, avec adresse, tout mobile de confusion et de malentendu. Un autre aspect de cette morale majestueuse, chez l'initi par excellence, Sidna Mohammed - que Dieu le bnisse - se cristallise - affirme al-Joned - dans la crativit et la concentration de son cur, la puissance de sa volont et son attachement Dieu et Dieu seul. Le verset fait, donc, allusion ce raffinement subtil qui est une marque de prminence des principes de la conscience, de la puret des murs et de l'efficience socio-cultuelle des impratifs du bien. En l'occurrence, l'minent Messager atteint un stade de transcendance o la vue - prcise un autre verset coranique - ne saurait souffrir "ni dviation ni dbordement". C'est l - fait remarquer l'auteur d'AI-Awrif - un des dcrets de cette suprmatie sans pair, vers laquelle le prophte transcende avec aisance, grce l'quilibre accompli de sa trans-conscience, dgage de toute vellit de fluctuation. Les lans, chez le grand Initi apostolique, se contrebalancent : une propension transcendante vers Dieu, double d'un mouvement lusif qui tend esquiver ou tourner le dos tout ce qui loigne de l'Etre Suprme. Le regard ne doit gure se porter, ailleurs, dans une dviance ou dtournement. Le cur se doit d'viter tout repentir ou regret de ce dont on s'est sciemment et sincrement dtourn, pour l'amour de Dieu. Le Prophte s'ingnie se remmorer, par vocation rvrencieuse, les faveurs, les grces et les touches divines de la Nuit de l'Ascension. Ce sont l des dons providentiels que l'intellect ne saurait ni imaginer ni valoriser. Dans sa sublime trans-conscience, le Messager de Dieu ne se permet nulle transgression des convenances de la Prsence. D'o, chez les Soufis, cet tat mystique excr et abhorr, car imprgn d'aise et d'allure de dilettante, handicaps dirimants irrmissibles.

    Cette sublimit de l'me est un mouvement d'esquive de Dieu vers Dieu : subtile finalit d'une Ethique suprieure, mue par une initiation gnostique agissante.

    Le lot qui choit l'initi apostolique, dans ce processus de transcendance, est hautement prfrentiel. L'auteur des ''Awrif'' en fait une minutieuse analyse, en se rfrant l'exgte Sahl Ibn Abdillah, dans l'interprtation du verset coranique qui dpeint la perception conceptionnelle du Prophte, s'inspirant, exclusivement, des approches sublimement inculques. Les qualifications minentes, qui en dcoulent, impriment l'me une ferme constance, Ibn 'Arabi en tire, pour le soufi, la ncessit de se raffiner, de s 'armer de dignit, de crainte rvrentielle, dans le concert de la grande gnose. Son esprit ne saurait, en l'occurrence, tre envahi par des visions et des combinaisons imaginatives. Sur le double plan exotrique et sotrique, il ne doit gure sombrer dans une intellectualisation excentrique, une obnubilation capricieuse et un emportement passionnel irrflchi. Une lucidit objective est seule susceptible d'imprimer l'esprit une nette distinction entre le faux et le vrai, le bien et le mal. Tout un flux d'impondrables, de qualifications indicibles, mane, ainsi, d'un Esprit purifi dont la fine Ethique "police" est une marque indlbile d'une parfaite et inimitable connaissance de Dieu. D'autres hermneutiques spirituelles

  • synthtisent les dimensions infinies de ce Verset coranique qu'on essaierait, vainement, de rcapituler, dans ce sommaire contexte. La sublime Ethique comportementielle du Prophte, sa stricte observance des hautes convenances, dues la Prsence divine, ne sauraient tre expressivement dpeintes ni foncirement dlimites. C'est le domaine du surnaturel ineffable !

    Notre matre, le Saint des Saints a pu, dans une syncrtisation trs vocatrice, rsumer toutes ses variantes. "Quand - prcise-t-il - le Prophte - que la bndiction et le salut soient sur lui - avait intgr l'impntrable Plnum proximal de stabilisation de la Suprme Prsence, il tait, dj, impeccablement imbu de l'Ethique des biensances, ayant parachev ses volitions et s'tant acquitt, plein, des exigences fonctionnelles de l'Ordre Divin. Il est, alors, mme de percevoir et de recevoir les subtils secrets et les actuations thophaniques du plan de l'Etre, dans le double contexte exotrique et sotrique de la gnose, et, travers l'manence exclusive des intimits de la Prsence divine. Dans tout ce processus, le Messager de Dieu ne cesse d'observer, avec fermet, les convenances "occurrentes". Il ne saurait flchir, mme d'un clin dil, ni enfreindre le moindre des droits piphaniques, auxquels il s'astreint servilement, sans faille, dviance ou simple cart des perfectibilits de l'Heure. Les cycles de l'existence, avec tout ce qu'ils comportent de phnomnes opposs (bien, mal, attrait, rebut, don, privation, statisme, nergtisme ou chromatisme) sont confronts, avec bonheur et constance, dans les lans du Prophte.

    Ces manifestations existentielles de la conscience se dploient, aussi, dans un cadre thophanique, dans le contexte des Noms et Attributs de Dieu, travers les volutions imaginatives, volitives, suggestives, conjecturales et discursives". Ces squences coraniques, que nous venons d'voquer, esquissent une fresque suffisante dmontrer le raffinement plnier de l' ''ethos" spirituel prophtique. Mais l, l'Ethique externe n'est, chez tous les prophtes, que le reflet d'une fine puration interne. Les aptres se rfrent Dieu comme l'Initiateur exclusif, la source unique et premptoire de toute manation ou inspiration. Ils ne s'arrogent nul pouvoir dans l'actuation des choses. "La Terre a t dploye - dit le Prophte Sidna Mohammed - devant mon regard, ses continents furent alors prsents mes yeux". Il ne s'est gure attribu une vision directe, sans l'aide de Dieu; il s'est donc avr, par cet humble geste, digne d'une stricte accommodation aux subtiles exigences prsentielles. Dieu rapporte dans le Coran que Job s'cria, en ressentant une souffrance physique intense : " Mon Dieu, le mal m'a prouv et tu es le plus Clment parmi les Clments !". Abou Ali ed-Deqqaq, commentant ce verset, prcise que Job s'est montr conscient des convenances de la Prsence, en s'abstenant d'invoquer, directement, la clmence divine. La rplique de Jsus fut, aussi, des plus "polices" en l'occurrence.Le Seigneur, en lui demandant s'il a vraiment os dire aux gens de l'adorer, lui et Marie sa Mre, il ne chercha gure se disculper et se contenta de rpondre : "si je l'avais bien dit, Tu l'aurais su". Ceux qui se sont le mieux accords avec les comportements des Envoys de Dieu, sont les heureux compagnons de Sidna Mohammed. Sa fameuse pouse Acha n'a-t-elle pas qualifi les caractres mohammdiens de coraniques, fine et nigmatique allusion aux qualifications divines. Doue d'une dlicate pudeur, elle n'a gure os se permettre de qualifier de divines les attributions caractrielles du Prophte. Elle s'est cache derrire le voile coranique, pour se drober des Splendeurs embrasantes de la Haute Majest qui inspire une pieuse crainte. Nanmoins, les grands matres soufis tels Ibn Arabi et Cheikh Tijani ne manquent nullement de parler d'exemplification divine, en tant que manire sublime de se caractriser divinement, en s'inspirant servilement des Attributs de Dieu; le soufi tire de chaque Attribut l'lment qui sied sa nature humaine vassale. Autrement dit, il prend, entre autres, comme modles, la Misricorde, la Clmence et la grce de Dieu, pour asseoir et stimuler sa propre compassion aux misres des autres, dans la mesure de sa faiblesse et de son impuissance. Cette caractrisation peut, ainsi, se modeler, en nous, sur l'ensemble des Attributs pouvant tre pris comme sources d'inspiration. Point n'est besoin de souligner que les propos soufis ne doivent aucunement tre interprts comme une allusion une quelconque inclusion ou incarnation de la divinit dans l'humanit. C'est l une indniable marque d'hrsie. Il ne s'agit que d'une simple infusion de touches divines. Dieu seul est Absolu. Tout, chez l'homme, est relatif. Une conformation adquate s'ensuit, chez les Sahaba (compagnons), par comparaison avec le

  • Prophte, aux initis, par rapport leurs matres. Toute une Ethique s'est labore sur cette assise traditionnelle.

    Une luminescence se reflte rversiblement, en jaillissant dans le sens inverse, ramenant l'initi raffin transcender hirarchiquement vers Dieu.

    Les marques spirituelles imprimes sur la conscience des Cheikhs leurs mourids qui s'ingnient se modeler, refltant ainsi, sur leur pur miroir, l'image authentique de l'Initiateur. Grce ce modelage adquat, faonn l'image de Dieu, la substance de leur vritable nature s'extriorise, sans se dmettre de leur assujettissement vassal au Seigneur, Initiateur des Mondes. Jilani Abdelkader, dont les concepts font l'objet d'un soutien assidu du fameux salafi Ibn Taimya, dans ses "Fatawi'', tomba dans la grave mprise sur les clats divins et lucifriens. Il ne manqua pas de s'en apercevoir, confort par la ferme stabilit de son me. De ce processus transcendantal, le gnostique dont la trans-conscience se dpure constamment, tire les enseignements qui stabilisent ses attitudes rvrencieuses, au sein de la Prsence. Il ne se permet jamais des familiarits, dans cette haute Audience. Al-Quochari rapporte qu'Abou Ali ed-Deqqaq ne s'autorisait, en aucune faon, le libre geste de s'accouder, par pudeur vis--vis de cette Prsence. Il vitait, toujours, indiscrtement les accoudoirs qu'on lui offrait. Es-Sariy es-Saqati raconte avoir entendu une voix qui lui disait, une nuit, au cours de ses litanies, alors qu'il s'tendait les pieds dans le Mihrab : ! Sariy, c'est ainsi qu'on tient audience au Roi?!". Il retira immdiatement les jambes, pour ne jamais les tendre, de toute sa vie. Il demeura, ainsi, - prcise AI-Joned durant une soixantaine d'annes. Une autre anecdote est cite dans "AI-Awrif'', propos de la grande mystique, Acha la mkkoise, qui dut avertir un collgue tombant, par mgarde, dans une mme incartade, de risquer son limination du Registre des Elus. Le Cheikh Tijani en fait - d'aprs l'auteur des "Jawhir" -une des assises de sa vole, rappelant constamment les commandements de la Sounna, en l'occurrence. Jamais, il n'osa lever sa voix, s'allonger ou cracher dans la mosque. Cet ouvrage est incrust de concepts et prceptes, dfinissant la nature et les dimensions de cette haute politesse spirituelle. Il ordonna un de ses mourids, dont une demeure est contigu au Tombeau du vnrable Moulay Idriss Fs, de ne point orienter ses pieds vers l'difice sacr, par rvrence pour un serviteur de Dieu aussi bien aim : La conscience du Cheikh Tijani est pntre du souci constant de s'aligner rigoureusement sur les normes de la Charia, tous les niveaux cultuel et comportementiel, prfrant s'abstenir, en cas de doute et agir avec circonspection, tact et doigt, dans toutes les instances. Il ne relchait gure son attention, ni celle de ses adeptes et partisans, les tenant en haleine, dans un amour passionn du Prophte, des siens et de tous ses collgues dans la voie. Il ragissait vivement contre tout cart de conduite ou de langage, grce la vivante crativit et la forte concentration de son cur, imbu d'une puret toute preuve. C'est l le cachet normal de tous les lus de Dieu, quelles que soient leurs optiques et leurs options. Ce chapitre ne se prte pas une longue digression dans ce domaine. Nous nous contentons, donc, de ce bref aperu assez vocateur. Cependant, il convient de mieux dvelopper certaines approches dont l'analyse tient cur tous les Soufis, soucieux de s'assurer un conformisme intgral. Un des exemples typiques se cristallise dans un manque d'gard, durant les litanies o l'Elu ne doit nullement s'autoriser un tat mystique dbordant d'aise et d'espoir, qu'une crainte pieuse ne refrne gure. Tout geste doit tre brid, sous les rnes de la Sounna, avec une rsignation, sans fatalisme, la Volont de Dieu. On doit, certes, agir et agir toujours selon les normes psycho-discursives, quelles que soient les infrences de l'acte accompli. Mais, il faut mnager certaines subtilits et susceptibilits impondrables. Sur certains plans, l'action devient une inertie. Il faut en mesurer et peser toutes les latitudes. Zarrouk, prvt des Soufis et auteur de leur code, cite le cas du grand Messager Abraham qui, jet dans le brasier par Nemroud,se vit intercept par l'Ange Gabriel qui lui demanda : "0. Abraham ! As-tu besoin de quelque chose ?", "Pas de toi, mais de Dieu", lui rpondit-il. "Invoque-le donc?". Et Abraham de rpliquer, dans un lan de confiance infinie en Dieu : "La pleine conscience divine de mon tat me dispense de toute invocation !". Le Cheikh Zarrouk essaie d'expliquer la nature de ce geste abrahamique, en prcisant que c'est le comportement normal des Soufis qui ne conoivent un retour Dieu qu'aprs avoir puis exhaustivement, toutes les motivations psycho-somato-discursives. Des anecdotes sont alors, notoirement cites, comme celle de la Mre de Mose, le bb, le plaant, par inspiration suprieure, sur un radeau en aval du Nil, prs du Palais Royal, pour

  • tre recueilli et adopt par Pharaon. L aussi, le mobile rationnel qui l'a incite agir, ainsi, est manifeste. Le Mohtassib (prvt) des Soufis met en exergue, par souci de clart et de prcision, trois tendances chez les initis, au cas o il s'avrerait impossible de recourir des facteurs matriels dterminants. Ils ne peuvent gure, alors, que se rsigner l'actuation divine, se confier, par sincre invocation Sa providence et profiter, enfin, de ces embarras, pour en appeler, avec insistance, en serviteur impuissant, Sa clmence. Chaque situation ncessite un comportement adquat, dans le contexte gnral d'une thique approprie. Mais, dans ce triple processus, la conscience servile de l'initi demeure le promoteur sublimement agr, grce son sincre catalyseur humain. La foi efficiente est celle qui demeure foncirement humaine, sans duplicit ni dguisement. Une double motivation doit, donc, marquer tout lan et toute option, chez l'initi, savoir : agir constamment, sans se soucier des impondrables premptoires et se fier Dieu, en dernier ressort, en cas d'empchement dirimant. Le Coran dpeint, spcifiquement, ces deux approches, dans un verset proverbial :

    "Quant tu auras pris la dcision d'agir (c'est--dire un ferme planning), fie-toi Dieu!

    Les prceptes avancs par le Cheikh Tijani, pour asseoir ces donnes de la haute thique spirituelle, sont corrobors rationnellement et sotriquement par leur -propos et leur pertinence, dans la structuration du comportement social de l'initi et de ses attitudes raffines, grce auxquelles il essaie de transcender vers le Plnum. La trans-conscience elle-mme est faonne, dans ses coins et recoins les plus secrets, pour se rallier au temporel et s'aligner humainement sur des concepts psychosomatiques. Trois squences rcapitulent les fines recommandations du Cheikh Tijani, tendant modeler les invocations litaniques, dans une liturgie efficiente du Mourid. Dans ses lans implorateurs, l'initi se doit de se rfrer au Dcret volitif, pour actuer sa propre volont, au cas o l'objet des invocations serait d'une d'une finalit inconnue, confuse ou douteuse. L, la pure connaissance hirophanique ne s'oppose gure au processus humain de causalisation. L'initi, tout en se fiant la dcision infrangible de son Seigneur, Son impratif actif, ne se dfait nullement de ses initiatives agissantes. L aussi, le leitmotiv demeure le mme : agir pleinement, tout en se rsignant, dans un abandon confiant et un conformisme l'exemple du Prophte, toujours en qute des gracieusets divines. C'est l'amour de Dieu qui, dans toute actuation de l'tre, doit susciter, en dernier ressort, chez le gnostique, un sentiment de co-dpendance ternelle o le contingent relatif est faonn par l'Absolu. La concentration de l'entymsis, c'est--dire de la pense et de l'intention, rside dans l'orientation vers le Soi et la bate expectative de l'infusion des touches divines. C'est le stade transcendental d'une fugue mystique, d'une escapade de toute sensation externe o le coeur gay est rgnr au contact de l'Aim. Tout caprice de l'me ou lubie est alors limin, sous l'effet des Splendeurs Embrasantes de l'Etre Infini. Limpression de l'irrel, dans une telle conjoncture, peut susciter une vive raction du sens temporel. Nanmoins, il ne s'agit l, que du ct spiritualit oppos au ct matire, dans l'quation humaine o le subconscient corrobore le rationnel. Ce problme, considr, jusqu'ici, par la science comme entier, touche au fond un point essentiel de la connaissance : l'existence d'un dualisme sujet-objet, d'une unit psychologique du Monde et de l'homme, de la nature de cette "substance", dans laquelle on commence entrevoir une ventuelle expression de l'tre psychique. L'volution sensationnelle des sciences physiques, biologiques et psychologiques, depuis le dbut de ce sicle, a boulevers certaines notions traditionnelles et mis en exergue la ncessit d'une rvision radicale de certains concepts anciens. L'ide d'antagonisme classique de l'Esprit et de la matire est, sinon battue en brche, du moins fortement branle. La science met ainsi en vidence l'unit nergtique de l'univers et la profonde corrlation entre la physique et la biologie, d'une part et la psychologie, d'autre part. Dj, l'ide de complmentarit entre faits jugs contradictoires, vient d'tre introduite en physique par W. Heisenberg et Niels Bohr qui en font, dsormais, l'une des cls fondamentales, permettant l'homme d'accder la comprhension du paradoxal, sinon de l'incomprhensible. Le physicien Alfred Herrmann n'a pas hsit avancer, avec assurance, que l'lectron qui est le constructeur et l'animateur de tout ce qui est vivant, est "la seule unit matrielle qui puisse entrer en contact direct, avec le psychisme individuel, aussi bien que cosmique". La science progresse pas de gants. La mtamathmatique, vers laquelle s'orientent les savants, est la science de demain qui dmontre l'existence d'une ralit intemporelle, se situant au-del de nos catgories

  • d'espace-temps, c'est dire l'existence de formes subtiles de l'nergie, et d'une superstructure psychologique. En clturant le cycle d'quilibration entre le conscient et le subconscient, la psychologie, ainsi rationalise finira par ragir bnfiquement la thrapeutique spirituelle, marquant l'authenticit et la vracit de la vision intuitive mystique.

  • CHAPITRE V

    FIDELITE ET ESPRIT CHEVALERESQUE DU MUSULMAN

    Les devoirs et obligations, incombant aux compagnons et frres, dans la vie initiatique , constituent le compendium caractristique de l'Ethique soufie. C'est l'immunothrapie spirituelle dans le processus d'ascension vers les sphres de la Prsence Divine. Cette jurisprudence mystique rigoureuse forme, notamment dans l'optique Tijanie, le substrat de toute transcendance, "car - souligne le Cheikh Tijani - quiconque manque ses devoirs, en ngligeant les droits de ses frres, risque l'preuve de faillir au respect d aux Droits d'Allah". Le promoteur de notre Tarika, a exprim, maintes occasions, son souci d'laborer un Trait sur la manire raffine de vivre et d'agir, chez l'initi, marquant, ainsi, le caractre premptoire de cette politesse comportementielle, vritable catalyseur qui dclenche tous les lans de la conscience. C'est l, certes, un degr sublime dans l'chelle des valeurs et les matres de la voie en font le motif conducteur (leitmotiv). Les hommes de la foi ne sont-ils pas - d'aprs le Coran - de vritables confrres ? Dieu a unifi leurs curs, dans une harmonieuse cohrence, car ils s'ingnient constamment se crer une mutuelle affection de leur Seigneur. "Seul cet amour en Dieu persistera - affirme un Hadith - Le Jour du Jugement. Tout lien de parent ou mobile de corrlation disparatront, l'exception de l'amour pour Dieu. "Les amis deviendront, alors, des ennemis, hormis les gens de pit" (verset coranique). Le Calife Omar que le Prophte considrait comme un digne modle suivre et un porte-parole exprimant la vrit manant de Dieu, a dit : "Attachez-vous aux frres sincres et vridiques, pour vivre dans leur ambiance, car ils sont une parure, en priode d'aisance et un soutien, en cas de dtresse". L'auteur des Awrif rapporte d'autres propos d'Omar, savoir : "Si un homme jene toute sa journe, prie Dieu tout le long de la nuit, accomplissant ses aumnes canoniques et se sacrifiant dans les guerres saintes, sans chrir ou dtester, pour l'amour de Dieu, ses actes ne lui profitent gure". Un vritable attachement Dieu implique une confraternit sans faille. Sahraward, citant AI-Qocheri - rapporte encore les paroles d'Abou Bekr Tamsatni : "Cherchez la compagnie de Dieu; si vous ne le pouvez pas, cherchez celle de ceux qui tiennent compagnie Dieu : leur baraka saura vous y faire parvenir". Le mme auteur cite le Cheikh Ali Ibn Sahl qui dit : "Se dlecter d'une prsence auprs de Dieu, c'est se dplaire en la compagnie de personnes autres que celles marques par la saintet". Dieu rvla David : " ! David, pourquoi je te trouve solitaire, menant une vie l'cart des gens?". Il rpondit : " ! Mon Dieu, j'ai dtest le monde, par amour pour toi !". Le Seigneur lui rpliqua : " ! David ! sois vigilant et fais-toi des frres, en rebutant tout compagnon qui ne t'aide pas t'assurer Mon agrment; c'est un ennemi qui endurcit ton cur et t'loigne de Moi". La fraternit entre initis comporte, donc, des droits et des devoirs identiques ceux dcoulant d'une parent ou d'une alliance : elles ont des trames similaires. Bien mieux : la premire qui lie deux frres spirituels, prime l'autre. "Une parent religieuse - affirme Zarrouk a la prminence sur tout lignage gnalogique". Questionn sur l'acception du verset : "Les parents ont des droits prioritaires la bienveillance ou la bienfaisance", Ibn 'Arabi rpliqua impromptu : "Les parents - ici sont les proches de Dieu". Cette camaraderie, qui englobe les proches et les compagnons les plus familiers, est fonde sur une double approche temporelle et religieuse. Deux frres spirituels, notamment, se conjuguent les efforts et se corroborent, profitant l'un des connaissances et contingences sociales de l'autre. "Le Moumin - affirme le Prophte - trouve un rconfort en la personne d'un frre ami"... "Deux moumins - prcise-t-il encore - se soutiennent l'un l'autre tels deux appuis dans un difice". Un des avantages de cette cordiale fraternit est - d'aprs el-Awrif - de dgager les pores de tout ce qui les encombre et en obstrue les orifices, dbouchant sur les canaux de l'me, librant ainsi les accs la connaissance, grce un renforcement de la vision intuitive luminescente et aux flux mutuels.

    Un adage devient courant chez les soufis, savoir : "Quand un initi ralise un tat, son ambiance en profite". Les lans d'affection qui animent un compagnon sont le degr le plus bas, dans l'chelle des valeurs mystiques ; mais, un simple accompagnement des initis vaut mieux qu'un manque total d'intgration dans leur concert; le Prophte prcise, en effet, dans un Hadith : "l'homme s'intgre avec ceux qu'il aime". L'auteur de l'lhi incite le croyant

  • chercher la compagnie des pieux, arm d'un amour sincre, d'un fidle attachement et d'un abandon confiant. Le grand 'Arif, Abderrahman Ben Mohammed El-Fassi conseilla un mourd qui se tenait l'cart de ses frres, en se contentant d'grener son chapelet et de lire sa planchette : "Ce n'est point l la voie sublime des initis qui doivent, au contraire, se contacter effectivement les uns les autres, dans un brassage ferme et constant". Deux tres, qui se touchent, se fcondent, ainsi, spirituellement. La partie vivante, dans l'un, s'insre et se greffe dans le subconscient de l'autre. C'est un srum thrapeutique, fertilisant, grce auquel les deux initis s'immunisent mutuellement, contre les effets malfiques qui faussent l'volution transcendante des gnostiques. Ces infrences ont une profonde efficience. Le bien, comme le mal, se communique d'individu individu. Un heureux compagnonnage est un support matriel, dans la vie temporelle, un bon soutien, en toutes circonstances, et, surtout, un lment d'intercession auprs de Dieu. Un saint intervient en faveur d'un initi de degr moindre. Tout confrre peut refuser, dans l'au-del, l'accs au paradis, s'il n'est