mythocritique dans la littérature québéquoise

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LES MYTHES DANS LA LITTERATURE

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    Article

    Mythocritique, mythanalyse et littrature qubcoise

    Jean LevasseurVoix et Images, vol. 19, n 3, (57) printemps 1994, p. 636-640.

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  • Mythocritique, mythanalyse et littrature qubcoise Jean Levasseur, Universit Bishop's

    Mythocritique et mythanalyse ne font encore que peu d'adeptes au Qubec ; part quelques tudes de Jacques Biais (Saint-Denys Garneau), Maurice mond et Denis Bouchard (Anne Hbert), Victor Taboul (mythe du Juif), Jack Warwick (les grands thmes de la littra-ture qubcoise) et quelques autres1, peu d'auteurs s'taient aventurs jusqu' maintenant dans l'analyse de textes littraires via une appro-che o mythe et culture se conjuguent pour tenter d'expliquer les mo-tivations de l'inconscient collectif du peuple canadien-franais. Trois tudes d'importance, publies en un peu plus de deux ans, viennent raviver ce champ d'tude et, certainement, soulever quelques contro-verses.

    Remaniement d'une thse doctorale, Au commencement tait le mythe de Victor-Laurent Tremblay en possde toute la profondeur in-tellectuelle mais galement quelquefois les dfauts inhrents aux exi-gences de ce travail universitaire (la constante justification des choix et mthodes tant sans doute la plus vidente). Son texte s'ouvre sur un heureux, utile mais trs complexe survol de toutes les grandes tho-ries relies l'tude du mythe (Durand, Girard, Bakhtine, Kristeva, Lvi-Strauss, Gans, Bateson, Propp, Bremond, Greimas, Bastide, etc.). Il apporte ainsi d'utiles claircissements sur les diffrences entre la mythanalyse, qui tudie les manifestations du mythe travers la cul-ture afin d'en tirer non seulement le sens anthropologique, mais le sens sociologique et psychocritique (p. 1), et la mythocritique, qui s'intresse plutt toutes les reprsentations culturelles et sociales du mythe, et particulirement son application en littrature.

    partir des thories de Durand et Girard d'une part, et de Bakh-tine d'autre part, Tremblay propose sa propre thorie psychosociale du mythe, laquelle sert de point de dpart une tude systmatique de toutes les variantes traditionnelles du romanesque qubcois : la l-gende folklorique, le roman d'aventures, le roman sentimental, le ro-man historique et, bien entendu, le roman du terroir. Chaque chapitre, qui se penche sur une uvre en particulier, analyse tour tour : (a) la forme romanesque de l'ouvrage tudi; (b) son contenu textuel et; (c) sa contextualisation sociomythique.

  • L'approche de Tremblay lui permet d'abord de dcouvrir, dans La Chasse-galerie (Honor Beaugrand, 1900), un processus sacrificiel o s'affrontent deux types de victimisation qu'il nomme intra et extra communautaire, selon qu'ils s'adressent au transgresseur-adversaire (intra) ou l'lment tranger au protagoniste principal (par la race, le sexe..., qualifi d'extra-communautaire). Le texte suivant, L'Influence d'un livre (Aubert de Gasp fils, 1837), premier roman qubcois, est analys en fonction de l'union presque naturelle du roman d'aventures et de la tradition orale: Tremblay y voit un symbole de mutation anthropologique nationale, o la collectivit se retrouve partage entre le respect de l'ordre traditionnel et l'attrait pour le discours anti-conformiste, ax principalement sur une critique des valeurs bour-geoises matrialistes.

    Il poursuit son tude avec Les Anciens Canadiens (Aubert de Gasp pre, 1863), o il observe la prsence d'un constant processus de rhabilitation du mauvais double historique (Arche). Dans le ro-man sentimental Angline de Montbrun (Laure Conan, 1884), Trem-blay relve, travers l'emploi du procd pistolaire et du journal in-time, ,1e processus d'individualisation vers lequel tend de plus en plus l'poque de Laure Conan (p. 279). Au commencement tait le mythe se termine avec une brillante mythanalyse d'Un homme et son pch (Claude-Henri Grignon, 1933) o il propose une vision originale de ce roman du terroir, avec comme hypothse de rfrence la dialec-tique mythovictimaire dans laquelle la ville vient remplacer l'Anglais, longtemps favoris par l'ultramontain, en tant que processus runifi-cateur.

    Mythes et symboles dans la littrature qubcoise2 d'Antoine Sirois dbute peu prs, chronologiquement parlant, l o Tremblay s'tait arrt, et peut donc, au sens strict, tre considr comme un compl-ment l'ouvrage antrieur. Plutt que d'approcher l'tude du mythe par les variantes du romanesque, Sirois prfre subdiviser son corpus selon la nature des mythes les plus constamment employs dans la lit-trature du Qubec depuis le dbut du sicle et, consquemment, de-puis la vogue du roman du terroir. Son objectif n'est donc pas d'offrir une vue. d'ensemble de la littrature qubcoise partir d'une lecture du mythe mais bien d'apporter un clairage particulier sur la faon dont l'crivain contemporain peroit et adapte certains mythes.

    Cette approche implique une thorie de dpart base sur l'appro-che mythocritique ( l'oppos de l'approche mythanalytique favorise par Tremblay), en ceci que l'auteur vacue tout l'espace sociologique et politique qui aurait pu engendrer la cration et la production des

  • textes. Cette dcision consciente de l'auteur lui permet d'viter du mme coup de tomber dans la psychanalyse interprtative de l'incon-scient des textes littraires, mais entrane toutefois la perte du contexte de cration de l'criture.

    Son analyse la plus impressionnante demeure certainement celle de Babylone contre den (p. 25-42) o il scrute 6l romans du terroir crs par des auteurs canadiens-franais (32 romans, 22 auteurs) et canadiens-anglais (29 romans, 20 auteurs). l'instar de Tremblay, Sirois s'attarde sur la symbolique relie l'opposition ville / campagne ; l'intrt de son tude rside toutefois dans son approche comparative qui pourrait certes obliger une re-lecture idologique des romans de la terre au Canada franais. Toujours dans le domaine du terroir, Sirois procde galement une tude du mythe de la terre-mre, d'Homre Zola et Ringuet, avant de s'attaquer l'image de la cit maudite qu'est New York, travers le roman Restons chez nous ! de Damase Potvin.

    Dans les chapitres suivants, l'auteur s'intresse au mythe de la nature chez Gabrielle Roy, aux Parques et muses du Plateau Mont-Royal si chres Tremblay et la Mde de Monique Bosco, avant d'entreprendre une descente aux enfers avec Hlose d'Anne Hbert. Sirois rattache ensuite Le Ciel de Qubec de Jacques Ferron avec Saint-Denys Garneau, un Orphe qubcois (p. 97). Finalement, les deux dernires tudes de l'auteur se concentrent sur la qute du pre dans Le Cercle des arnes de Roger Fournier, et sur l'importance de la Gense dans les romans d'Anne Hbert.

    Moins attach aux structures et dlimitations relies aux innombra-bles thories sur la mythocritique et la mythanalyse, l'ouvrage de Mau-rice Lemire 3 s'inscrit dans une dmarche de sensibilisation plus simple (mais non moins originale et efficace) l'histoire littraire du Qubec. Il y fait preuve d'une immense rudition et d'une connaissance rare-ment gale de la culture canadienne-franaise des xvine et XIXe si-cles; influenc particulirement par les thories de Northrop Frye sur le discours mtaphorique {Anatomie de la critique) et par les hypoth-ses de Gilbert Durand sur l'interprtation de ces reprsentations {Anthropologie structurale de l'imaginaire), Lemire procde une my-thanalyse (au sens large) d'un imposant corpus littraire canadien-franais (qui recoupe souvent celui de V.-L. Tremblay) inscrit entre 1760, date de la rupture avec la France, et 1867, qui concide avec le dclin intellectuel de la ville de Qubec suite au dmnagement des grandes institutions politiques du pays.

    Son ouvrage se divise en cinq grands chapitres qui s'occupent chacun d'un grand thme reprsentant, selon lui, des tentatives de

  • rconciliation des contraires (p. 17). La dlimitation du cosmos qu-bcois, d'un territoire propre, constitue son premier objet d'intrt. Il y souligne la ractualisation constante des mythes primordiaux, Y anam-nesis, qui se manifeste d'abord, au Canada franais, par l'allusion du peuple au clbre bon vieux temps, et travers les contes, lgendes et chansons si chres au peuple. Y est aborde l'inluctable question de l'ici et de Tailleurs o les notions de ville, de campagne et du terri-toire amricain sont abondamment tudies.

    Une fois le territoire dfini, Lemire cherche, dans un deuxime temps, expliquer les liens qui se dveloppent entre l'homme et sa patrie, laquelle prsente une insoluble dichotomie entre le respect de la terre ancestrale et l'attachement aux grands espaces amricains. Il y souligne la prsence de deux grands mythes, ceux de la terre promise et de la qute, son avis indissociables l'un de l'autre. S'y ajoute, chez les auteurs canadiens-franais, la symbolique du voyage qui, contraire-ment la tradition littraire europenne, prend constamment une con-notation ngative.

    Le quatrime chapitre (qui devrait logiquement tre le troisime, comme l'indique l'introduction, errone [p. 17]), se penche sur les liens qui doivent invitablement se tisser entre les Canadiens et les premiers habitants de l'Amrique. L'auteur en profite pour dresser un historique du mythe de l'Indien amricain, cration littraire des ro-mantiques franais du xixe sicle. Il scrute ensuite la loupe la l-gende de Plroquoise, le moule formel idal dans lequel se coule le mythos indien canadien (p. 155), avant d'aborder la question des ma-nuels d'histoire du Canada et des lgendes canadiennes.

    Toujours dans le cadre des relations humaines, Lemire s'intresse, dans un fascinant troisime chapitre, l'interdit par excellence de la littrature canadienne-franaise des xviiie et XIXe sicles : ros et l'attrait de la chair, interdit qui ne peut tre relev, selon ses dcouvertes, que par la mort. travers la littrature, il y observe avec minutie l'institu-tion du mariage, d'amour ou d'affaire, avant de souligner et d'analyser la prsence constante du groupe binaire amour/mort, qui va bien au-del de l'attrait romantique.

    Lgrement isol des autres, le cinquime et dernier chapitre de la Formation de l'imaginaire au Qubec tente de rconcilier l'imaginaire savant, chasse garde de l'lite des bourgeois et des lettrs, et l'envo-tant imaginaire populaire, o dominent la superstition, l'aventure et le fantastique. C'est donc par une tude de la littrarisation de ces contes et lgendes populaires que Lemire dmontre l'importance de ces rcits dans la formation de l'identit collective. Il y souligne par ailleurs le

  • rle prpondrant jou la fois par le narrateur intermdiaire et par les ultramontains dans ce passage de l'oral l'crit, alors que le conte populaire devint selon lui un prolongement de la prdication (p. 208-209). Voil pourquoi il choisit de se concentrer, dans son ana-lyse, sur le conte fantastique, forme prfre des libraux, o abon-dent les pactes avec le diable, sous toutes ses formes, et les revenants, associs au thme de la fte, au dfoulement et la libration des ta-bous (p. 232).

    Mythanalyse et mythocritique sont des outils fondamentaux une meilleure apprciation de la littrature; les trois ouvrages recenss ici s'avrent une richissime mine d'informations et apportent des l-ments nouveaux et originaux dans l'interprtation des uvres littrai-res au Canada franais et au Qubec. Cette approche thorique vhi-cule toutefois avec elle le danger d sombrer dans une psychanalyse facile d'une collectivit et dans un respect trop grand pour les thori-ciens et leur jargon souvent incomprhensible et inutile. Chacun de nos auteurs chute malheureusement, l'occasion, dans l'un de ces deux piges. Le lecteur doit donc apprendre oublier (et pardonner !) l'emploi des eirnes, alazanes et bmolochoi (alors que les termes timides, imposteurs et bouffons, beaucoup plus clairs et parfaite-ment acceptables, faciliteraient tellement la lecture), les innombrables thories freudiennes qui cherchent expliquer l'inconscient de per-sonnages fictifs, et les applications la lettre des structures schizomor-phes et des dominantes posturales, copulatives et digestives qui, avouons-le, apportent peut-tre beaucoup la science de l'homme, mais bien peu la comprhension de sa littrature. Il n'en demeure pas moins que plusieurs des tudes prsentes dans ces ouvrages sont la fois intelligentes, intressantes et novatrices, et pourront certes servir de modles aux analyses critiques venir.

    1. On peut en trouver une liste exhaustive dans l'ouvrage de Victor-Laurent Tremblay, Au commencement tait le mythe, Ottawa, Les Presses de l'Universit d'Ottawa, 1991, p. 289-290,.

    2. Antoine Sirois, Mythes et Symboles dans la littrature qubcoise, Montral, Tripty-que, 1992, 154 p.

    3. Maurice Lemire, Formation de l'imaginaire littraire au Qubec 1764-1867, Montral, l'Hexagone, 1993, 280 p.