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14 | La Lettre du Sénologue n° 62 - octobre-novembre-décembre 2013 Actualités sur l’esthétique C onsidérée comme un véritable art, la chirurgie plastique mammaire a profondément évolué. Les grandes revues de cohorte ont analysé non seulement les résultats à court terme des tech- niques chirurgicales classiques mais aussi leur stabi- lité dans le temps. Le scandale de l’entreprise PIP (Poly Implant Prothèse, liquidée en 2010), dépisté par les registres des chirurgiens plasticiens français, a jeté un trouble majeur dans la population générale et l’on observe une tendance de fond à éviter l’utili- sation de dispositifs médicaux implantables dont la durée de vie est limitée. En chirurgie reconstructrice mais aussi en chirurgie esthétique, la tendance est à l’autologue, c’est-à-dire l’utilisation des propres tissus des patients. Nous aborderons les différentes innovations qui ont bouleversé ce domaine au cours des 10 dernières années. Innovations en chirurgie esthétique mammaire La demande principale en chirurgie esthétique mammaire étant l’augmentation mammaire, nous nous concentrerons sur ce sujet. Cinquième génération d’implants mammaires Le scandale PIP a mis en évidence la nécessité d’améliorer les contrôles et d’évaluer les dispo- sitifs médicaux avant et après leur mise sur le marché. Le marquage CE ne peut rester le seul critère permettant la commercialisation de matériel innovant. L’exemple à suivre vient des États-Unis, où les implants en gel de silicone de quatrième et cinquième générations ont fait l’objet d’une évalua- tion extensive avant leur introduction en 2007. Les “core studies” diligentées par les 3 laboratoires autorisés par la Food and Drug Administration (Allergan, Mentor, et Sientra-Silimed) ont permis à ce jour de mieux évaluer le profil de sécurité des implants mammaires dans leur indication (1-3). On retiendra que, malgré leurs multiples évolutions (gel haute cohésivité, enveloppe trilaminaire avec membrane barrière), cette chirurgie comporte un nombre non négligeable de complications et de réinterventions, notamment un taux de coques ou contractures capsulaires (CC) variant de 8,3 à 14,3 % pour les implants lisses. Mythes et réalités en chirurgie plastique mammaire Plastic surgery of the breast: myths and realities M.D. Benjoar*, Y. Berdah* * Cabinet de chirurgie plastique Plasticiens-Paris, Paris. Figure 1. Augmentation mammaire esthétique par implants silicone anatomiques 330 cm 3 haut profil recouverts de mousse de polyuréthane : résultat à 2 mois.

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14 | La Lettre du Sénologue • n° 62 - octobre-novembre-décembre 2013

actualités sur l’esthétique

Considérée comme un véritable art, la chirurgie plastique mammaire a profondément évolué. Les grandes revues de cohorte ont analysé

non seulement les résultats à court terme des tech-niques chirurgicales classiques mais aussi leur stabi-lité dans le temps. Le scandale de l’entreprise PIP (Poly Implant Prothèse, liquidée en 2010), dépisté par les registres des chirurgiens plasticiens français, a jeté un trouble majeur dans la population générale et l’on observe une tendance de fond à éviter l’utili-sation de dispositifs médicaux implantables dont la durée de vie est limitée. En chirurgie reconstructrice

mais aussi en chirurgie esthétique, la tendance est à l’autologue, c’est-à-dire l’utilisation des propres tissus des patients. Nous aborderons les différentes innovations qui ont bouleversé ce domaine au cours des 10 dernières années.

Innovations en chirurgie esthétique mammaireLa demande principale en chirurgie esthétique mammaire étant l’augmentation mammaire, nous nous concentrerons sur ce sujet.

Cinquième génération d’implants mammaires

Le scandale PIP a mis en évidence la nécessité d’améliorer les contrôles et d’évaluer les dispo-sitifs médicaux avant et après leur mise sur le marché. Le marquage CE ne peut rester le seul critère permettant la commercialisation de matériel innovant. L’exemple à suivre vient des États-Unis, où les implants en gel de silicone de quatrième et cinquième générations ont fait l’objet d’une évalua-tion extensive avant leur introduction en 2007. Les “core studies” diligentées par les 3 laboratoires autorisés par la Food and Drug Administration (Allergan, Mentor, et Sientra-Silimed) ont permis à ce jour de mieux évaluer le profil de sécurité des implants mammaires dans leur indication (1-3). On retiendra que, malgré leurs multiples évolutions (gel haute cohésivité, enveloppe trilaminaire avec membrane barrière), cette chirurgie comporte un nombre non négligeable de complications et de réinterventions, notamment un taux de coques ou contractures capsulaires (CC) variant de 8,3 à 14,3 % pour les implants lisses.

Mythes et réalités en chirurgie plastique mammaire Plastic surgery of the breast : myths and realit ies

M.D. Benjoar*, Y. Berdah*

* Cabinet de chirurgie plastique Plasticiens-Paris, Paris.

Figure 1. Augmentation mammaire esthétique par implants silicone anatomiques 330 cm3 haut profi l recouverts de mousse de polyuréthane : résultat à 2 mois.

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RésuméMots-clésEsthétiqueAutologueImplantReconstructionLipomodelageDIEP

La pratique de la chirurgie plastique du sein a connu des changements majeurs au cours des 10 dernières années. La publication de grandes études de cohortes et de résultats à long terme a montré les limites de l’utilisation des implants en gel de silicone et poussé le développement des techniques autologues utilisant les propres tissus de la patiente. Nous aborderons les avantages et inconvénients de ces différentes innovations.

SummaryThe practice of breast plastic surgery has undergone major changes over the past decade. Publishing large cohort studies and long-term results showed the limits of the use of sili-cone implants and pushed the development of autologous techniques using the patient’s own tissues. We discuss the advantages and disadvantages of these innovations. KeywordsAestheticAutologousImplantReconstructionLipofillingDIEP

La CC est une complication majeure qui, dans ses stades avancées (stade 3 ou 4), entraîne des phéno-mènes douloureux avec une véritable déformation pierreuse du sein. Elle implique alors une reprise chirurgicale, qui induit un taux important de récidives. Cet échec de la procédure chirurgicale, qu’il s’agisse d’une augmentation mammaire esthétique ou d’une reconstruction mammaire, est très mal vécu par la patiente, comme nous le verrons ultérieurement.Un ancien type d’implant recouvert de mousse de polyuréthane, récemment réintroduit en Europe et en Amérique du sud, présente selon nous un intérêt certain dans l’augmentation mammaire esthétique, car le taux de CC de ces implantations est inférieur à 1 % (4). Nous réalisons désormais plus de 90 % de nos cas d’augmentation mammaire esthétique avec ce type d’implant, qui permet par ailleurs d’utiliser des formes anatomiques plus naturelles sans risque de rotation (figure 1).

Lipofilling mammaire esthétique

L’idée d’obtenir une augmentation mammaire par transfert de graisse a été remise au goût du jour depuis 5 ans par l’amélioration des techniques de purifica-tion de la graisse aspirée (prélèvement à la canule fine avec une dépression contrôlée, purification de la graisse par centrifugation ou filtrage, réinjection de tissu graisseux par petites quantités). On obtient ainsi un taux de survie à 1 an du tissu graisseux d’en-viron 60 %, ce qui permet d’offrir aux patientes une augmentation mammaire de 1 bonnet par séance en moyenne. Toutefois, il existe 3 limites majeures au développement du lipofilling mammaire esthétique. La première vient de la nécessité de disposer d’un important site donneur de graisse chez la patiente, ce qui interdit cette technique aux femmes dont l’indice de masse corporelle (IMC) est inférieur à 20. La deuxième vient des images radiologiques provo-quées par la cicatrisation de la graisse greffée dans le sein. Elles peuvent éventuellement gêner le dépistage du cancer du sein par mammographie en créant des micro- ou des macrocalcifications suspectes. Cepen-dant, aucun cas de modification de la classification ACR pré- et postopératoire n’a été retrouvé, dans une étude rétrospective portant sur 76 femmes (5) ; dans

notre pratique, nous demandons une écho-/mammo-graphie et une IRM avant l’intervention et 12 mois après, chez le même radiologue spécialisé. Enfin, la limite majeure vient de la possible augmentation du risque de cancer du sein. En effet, cette technique apporte des cellules souches mésenchymateuses et des facteurs de croissance dans la glande mammaire, et de nombreux auteurs ont évoqué un possible effet oncogène (6). À la différence des implants mammaires en silicone, qui ont prouvé leur innocuité oncologique sur des cohortes comptant plus de 15 000 patientes (7), il n’existe aucun recul sur cette technique en dehors de séries rétrospectives limitées. À la suite d’un débat houleux lors de son congrès de 2011, la Société française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (Sof CPRE) a recommandé de limiter le lipofilling aux femmes de moins de 35 ans, sans anté-cédent personnel ou familial de cancer du sein et avec un bilan radiologique ACR-1 ou 2. Dans notre pratique quotidienne, le lipofilling mammaire esthétique occupe une place crois-sante mais limitée, car son rapport coût/efficacité reste défavorable par rapport à une augmentation mammaire par implant. Tandis que les patientes souhaitent souvent une augmentation de 2 bonnets au moins, une seule séance de lipofilling ne permet qu’une augmentation de 1 bonnet (figure 2, p. 16). Nous développons néanmoins des approches compo-sites associant implant et lipofilling afin d’améliorer nos résultats esthétiques, notamment dans les cas d’asymétrie ou de sein tubéreux.

Innovations en chirurgie reconstructrice mammaire

Chirurgie oncoplastique

La chirurgie oncoplastique est l’application à la chirurgie primaire du cancer du sein des tech-niques de traitement de la ptôse et de la réduction mammaire en chirurgie esthétique. Elle vise à limiter les séquelles esthétiques des traitements conserva-teurs et, éventuellement, à étendre ses indications. Cette technique n’est pas une innovation récente, puisqu’elle a été développée par les équipes de

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l’institut Curie dans les années 1990. La plupart des études cliniques ont mis en évidence un taux de réci-dive locale identique à celui constaté avec le traite-ment conservateur standard, mais une amélioration des résultats esthétiques (8, 9). Nous intervenons régulièrement avec nos confrères chirurgiens onco-logues lors de ces procédures. Cependant, selon nous, cette innovation ne doit pas justifi er une conserva-tion du sein à tout prix, et les limites rappelées par l’European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC) [10] doivent être prises en compte, notamment pour les patientes porteuses de tumeurs T3 et les patientes jeunes.

Prise en charge des séquelles de traitement conservateur

Deux techniques ont été évaluées pour traiter les séquelles esthétiques des traitements conservateurs,

parfaitement classifi ées par K.B. Clough et al. en 2004 (11). Le lipofi lling a été proposé pour le trai-tement des séquelles de type 1 à type d’encoche. Son effi cacité a été prouvée, mais le plus souvent en 2 séances. L’innocuité oncologique de la technique est beaucoup plus controversée, d’autant qu’elle a été le principal argument pour autoriser l’appli-cation du lipofi lling en augmentation mammaire esthétique.En effet, la seule série publiée concernant une cohorte signifi cative de patientes laisse entrevoir une augmentation importante du taux annuel de récidives locales par année (2,07 versus 0,4 %) [12]. La Sof CPRE recommande un suivi sans récidive de 3 ans au moins avant de proposer cette technique. Nous sommes beaucoup plus conservateurs dans nos indications, et le risque de récidive est toujours expliqué à la patiente et évalué en concertation avec son sénologue.Pour les séquelles de type 2, les lambeaux régio-naux pédiculés, notamment le lambeau musculo-cutané de grand dorsal ou sa version perforante, Thoracodorsal Artery Perforator (TAP), permettent de corriger des encoches importantes. Cependant, il faut peser l’indication, sachant que l’on sacrifi e un lambeau qui pourrait s’avérer indispensable en cas de mastectomie de rattrapage. Dans les cas de séquelles majeures, que l’on peut considérer comme un échec fonctionnel du traitement conservateur, nous préfé-rons réaliser une mastectomie avec reconstruction mammaire immédiate par lambeau autologue micro-anastomosé de type DIEP (Deep Inferior Epigastric artery Perforator Flap).

Reconstruction mammaire après mastectomie

◆ Reconstruction mammaire par implantUne littérature abondante montre que la reconstruc-tion mammaire par implant (Implant Based Breast Reconstruction [IBBR]) est une technique simple et rapide, mais qui comporte un taux de complications immédiates et à long terme très important, notam-ment sur terrain irradié (13). Même si les compli-cations sont évitées, le résultat esthétique à long terme est souvent moyen, car le sein reconstruit par implant reste fi gé alors que le sein controlatéral est sujet, avec le temps, à une ptôse (14). Plusieurs innovations ont été proposées afi n de diminuer le taux de complications et améliorer les résultats esthétiques.

Figure 2. Augmentation mammaire esthétique par lipofi lling (1 séance avec injection de 270 cm3 de graisse purifi ée dans chaque sein) : résultat à 9 mois.

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IBBR avec implant de cinquième générationLes études de cohorte menées sur les implants de troisième et quatrième générations en reconstruc-tion mammaire montrent un taux de CC important à 10 ans, de 6,5 % (13). Le risque relatif de CC est de 3,3 en cas d’irradiation (15). Les publications de cohorte concernant les implants de cinquième géné-ration sont rares. La seule étude à 6 ans portant sur les implants anatomiques Allergan Natrelle® 410 retrouve un taux de CC de 10,7 %, équivalent aux taux de CC des implants d’anciennes générations (16). Dans notre pratique quotidienne, les implants de cinquième génération semblent donner de meilleurs résultats esthétiques, notamment en prévenant les plis, mais ils n’évitent pas les complications habituelles des IBBR.

IBBR en deux temps après expansionL’idée de cette méthode est de distendre progres-sivement la peau thoracique par un ballon en sili-cone gonflé au moyen d'une valve (expanseur), en injectant de petites doses de sérum physiologique chaque semaine pendant 3 mois, puis de mettre en place un implant définitif en gel de silicone avec, en principe, davantage de sécurité. Cependant, toute la littérature concorde pour conclure que cette approche ne réduit pas le taux de compli-cations, voire l’augmente (13) par rapport à la mise en place d’un implant en 1 temps. En terrain irradié, le taux de complications des expanseurs est de 44 % et le taux d’échec de la procédure est de 15 % (17). Selon nous, cette technique ne peut pas être proposée comme alternative aux lambeaux après irradiation.

IBBR avec derme artificielLe principe du derme artificiel est d’interposer un tissu biologique artificiel entre la peau thoracique et l’implant. Une étude comparative a mis en évidence une diminution de taux de CC avec l’usage du derme artificiel (18), mais une méta-analyse récente a montré un taux d’infections doublé (19). Le coût de ces matrices (plus de 2 000 € hors liste des produits et prestations remboursables [LPPR]) et leur possible origine humaine sont des inconvénients majeurs. Nous n’avons pas l’expérience clinique de ces matrices, car nous avons trouvé des solutions alternatives à leurs possibles indications (lipofilling en IBBR secondaire, préimplantation dans les mastectomies prophylac-tiques, lambeaux autologues). IBBR avec grand dorsal de couvertureLe lambeau musculocutané de grand dorsal pour couverture d’un implant mammaire était la tech-

nique de référence en France sur terrain irradié. Il s’agit d’une technique fiable dont les résultats sont toutefois mitigés : une analyse rétrospective a montré un taux de complications immédiates faible mais un taux de complications à long terme (CC et réinterven-tions) non négligeable, finalement assez comparable à l’IBBR sans lambeau sur terrain non irradié (20). Les séquelles du site donneur (perte de fonction de l’épaule dans 15 % des cas) ne sont pas négligeables. Cette technique, selon nous, n’a plus d’indication en première intention et doit être réservée après échec d’un autre lambeau ou d’une IBBR après lipofilling.

IBBR après lipofillingCe procédé repose sur l’injection de graisse purifiée sur le lit de la mastectomie afin d’améliorer la trophi-cité de la peau thoracique en vue de la mise en place d’un implant. L’objectif serait de diminuer le taux de complications immédiates et de limiter les CC. La seule publication disponible à ce jour concerne 68 patientes avec un recul moyen de 2 ans et montre un taux de coques nul (21). Ces chiffres contrastent fortement avec le taux moyen de CC de 20 à 30 % dans les IBBR sur terrain irradié. Le nombre moyen de séances de lipofilling doit être pris en compte (2,3 séances en moyenne avec un maximum de 6 séances). Les séquelles des sites donneurs ne sont pas décrites mais ne sont pas nulles dans notre expé-rience (trous, vagues, asymétries, douleurs, etc.). Pour résumer, il s’agit probablement de l’innovation la plus intéressante dans le domaine de l’IBBR. Cepen-dant, elle permet d’offrir au mieux une diminution des taux de complications avec un résultat qui n’est pas stable dans le temps et nécessite des réinterventions fréquentes sur le sein opposé. Nous la proposons aux patientes irradiées ne souhaitant pas de lambeau, en les informant des limites du résultat final.

◆ Reconstruction mammaire autologueLa description et la fiabilisation des techniques de reconstruction mammaire autologue (Autologous Breast Reconstruction [ABR]) utilisant les tissus de la patiente a révolutionné la reconstruction mammaire au cours des 10 dernières années. Ces techniques représentent désormais 40 % des reconstructions mammaires en France, et la proportion va proba-blement évoluer rapidement aux alentours de 80 %, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni.

Lambeau libre DIEPLe lambeau libre perforant d’artère épigastrique infé-rieure est l’évolution ultime du lambeau musculo-cutané pédiculé du muscle grand droit (Transverse

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Rectus Abdominis Myocutaneous [TRAM]). Le TRAM est désormais abandonné par la majorité des chirur-giens plasticiens, en raison des séquelles au niveau du site donneur et de son taux de nécroses partielles supérieur à 10 %.Le lambeau DIEP évite ces écueils, car nous dissé-quons l’artère et la veine qui vont vasculariser plus de 75 % de la peau et de la graisse de l’abdomen sous-ombilical à travers le muscle grand droit. Le muscle n’est donc pas prélevé et il n’existe prati-quement aucune complication du site donneur (22). Le lambeau est directement anastomosé sous microscope à des vaisseaux de gros calibre (vais-seaux mammaires internes), ce qui limite les cas de nécrose partielle à moins de 2 %.On obtient ainsi en une seule intervention une reconstruction mammaire d’un volume supérieur à un bonnet C dans plus de 95 % des cas. Le résultat est stable dans le temps et le lambeau n’est pas considéré comme un corps étranger par la patiente. Le lambeau DIEP permet une ptôse harmonieuse du sein et évite une symétrisation du sein controlatéral dans plus de 60 % des cas. Une série rétrospective avec plus de 15 ans de recul en cours de publication met en évidence un taux de satisfaction élevé à très élevé dans plus de 90 % des cas (fi gure 3).Cette technique connaît toutefois 3 limites prin-cipales :

➤ elle repose sur des sutures microchirurgicales équivalentes à celles utilisées dans les pontages cardiaques et présente un taux de 2 % de throm-boses, lesquelles nécessitent une reprise opéra-toire immédiate afi n d’éviter une nécrose totale du lambeau. Ainsi, le taux d’échec global de cette technique est inférieur à 1 % entre nos mains ;

➤ la durée totale d’intervention est d’environ 5 heures, ce qui expose la patiente à un risque thromboembolique veineux supérieur à une IBBR. Nous demandons systématiquement un arrêt du tamoxifène 1 mois avant l’intervention et utilisons un protocole antithrombose renforcé avec héparine de bas poids moléculaire (HBPM) et bas de compression pneumatique intermittente ;

➤ la patiente doit disposer d’un site donneur compatible, ce qui exclut les femmes ayant déjà eu une plastie abdominale. En revanche, les femmes avec un IMC inférieur à 20 ne le sont pas forcément si leur ventre est légèrement relâché et si leur sein restant présente un volume d’un bonnet inférieur à C.Une reconstruction mammaire bilatérale peut même être proposée en séparant 1 lambeau en 2 (tech-nique double DIEP). La technique étant beaucoup plus longue (6 à 9 heures d’intervention), le taux de complications est augmenté.Le lambeau DIEP est notre technique de reconstruc-tion mammaire unilatérale de première intention chez les femmes ayant un ventre “favorable”, et ce même en l’absence d’irradiation préalable. Si la technique DIEP n’est pas possible chez la patiente, nous envisageons préférentiellement les autres techniques de reconstruction autologue.

Lambeau de grand dorsal puis lipofi llingDans un premier temps, le lambeau de grand dorsal est transféré, de manière à être associé, le plus souvent, à un lambeau d’avancement abdominal. Il va servir de lame porte-vaisseaux aux futures injec-tions de graisse. En effet, le volume du seul lambeau ne permet pas d’obtenir un bonnet suffi sant pour une symétrie. La technique initiale de grand dorsal “autologue” incluant un prélèvement extensif des parties molles dorsales a été abandonnée, du fait des séquelles au site donneur (séromes chroniques, encoches). L’augmentation de volume repose donc sur des séances de lipofi lling successives, dont le nombre moyen est de 1,22 sur 200 patientes trai-tées à Lyon (23). Les séquelles fonctionnelles de l’épaule ne sont pas décrites dans cet article mais devraient être comparables aux résultats des séries de grand dorsal avec implant (15 % des cas environ). Une publication récente a proposé une technique de prélèvement modifi é du grand dorsal dérivé des lambeaux perforants visant à conserver 80 % du muscle grand dorsal (24). Même si l’évaluation fonctionnelle a été sommaire, cette méthode nous semble intéressante. Le principal reproche que nous adressons à la technique du grand dorsal + lipo-fi lling est le manque de volume fi nal qu’elle offre.

Figure 3. Reconstruction mammaire gauche par lambeau libre abdominal DIEP enfoui avec reconstruction de l’aréole par skate fl ap modifi é et symétrisation du sein droit : résultat à 3 mois.

Mythes et réalités en chirurgie plastique mammaire

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Cela se traduit par un taux de symétrisation du sein controlatéral de 67,5 % (23). Ce lambeau s’adresse plutôt à des patientes avec un IMC élevé et un stock de graisse suffisant, chez qui la technique DIEP nous paraît plus logique et plus efficace (taux de symétri-sation inférieur à 40 %). Chez les patientes maigres, nous n’arrivons jamais à dépasser un bonnet B. Des techniques alternatives nous paraissent utiles dans ces cas.

Autres lambeaux perforantsDernières évolutions techniques des lambeaux perfo-rants, ces 3 lambeaux s’adressent aux patientes pour lesquelles le lambeau DIEP n’est pas disponible, qui ont été irradiées ou qui ne souhaitent pas d’implant, et ont un IMC faible avec un volume de sein supérieur à un bonnet B. Ce sont des alternatives au lambeau de grand dorsal avec lipofilling. Le SGAP (lambeau perforant d’artère glutéale supérieure) repose sur un prélèvement du haut de la fesse et laisse une cicatrice bien cachée dans le maillot. La mauvaise qualité de ses vaisseaux nourriciers rend sa réalisation difficile, avec un taux d’échec supérieur à 5 %. Le TUG (lambeau transversal de gracilis supérieur) prélève la face interne du haut de la cuisse ainsi que le muscle gracilis. Sa technique est simple et fiable mais la cicatrice du site donneur

est souvent disgracieuse. Le PAP (lambeau perforant d’artère fémorale profonde), décrit il y a moins de 1 an, prélève la peau et la graisse situées juste sous la fesse en cachant la cicatrice dans le pli sous-fessier. Il nous semble particulièrement intéressant dans les recons-tructions mammaires immédiates bilatérales.

Conclusion

La chirurgie plastique mammaire est passée du stade artisanal à une evidence-based surgery qui vise à offrir un résultat fiable, stable dans le temps, avec un minimum de séquelles.Les implants en gel de silicone de cinquième géné-ration restent la technique de référence en augmen-tation mammaire esthétique, mais il est primordial d’informer les patientes de la durée de vie limitée de ces prothèses et des complications possibles, notamment les CC.En reconstruction du sein après mastectomie, les reconstructions mammaires autologues, notamment le lambeau DIEP, sont aujourd’hui le gold standard en Europe et en Amérique du Nord et devraient, à terme, représenter plus de 80 % des cas de recons-tructions mammaires en France. ■

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M.D. Benjoar déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.Y. Berdah n'a pas précisé ses éven-tuels liens d'intérêts.

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