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Cas clinique Myocardiopathie réversible induite par les médicaments psychotropes À propos d’un cas, revue de la littérature Reversible cardiomyopathy induced by psychotropic drugs: case report and literature overview B. Cruchaudet a , J.C. Eicher a, *, C. Sgro b , J.E. Wolf a a Centre de cardiologie clinique et interventionnelle, hôpital du Bocage, CHU Dijon, 2, boulevard Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 21034 Dijon cedex, France b Service de pharmacovigilance, hôpital général, CHU Dijon, rue du Faubourg-Raines, 21034 Dijon cedex, France Reçu le 10 juillet 2002; accepté le 11 juillet 2002 Résumé Un certain nombre de médicaments psychotropes présente un risque de toxicité cardiovasculaire bien démontré. C’est le cas notamment des antidépresseurs tricycliques, des neuroleptiques du type phénothiazine, et du lithium, chacune de ces classes thérapeutiques prise individuellement possédant des propriétés électrophysiologiques et myocardiques potentiellement délétères. Les auteurs rapportent une observation illustrant les effets parfois graves de l’association de ces différentes classes médicamenteuses lorsqu’il existe une pathologie cardiaque préexistante, même mineure. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A number of psychotropic drugs, including tricyclic antidepressants, phenothiazines and lithium, have a well demonstrated risk of cardiotoxicity. Each individual therapeutic class has potentially deleterious effects on electrophysiology and myocardial function. The authors report a case showing how serious side effects may result from the association of these different classes in the presence of a coexistent heart disease, even when the underlying disease is mild. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Psychotropes; Électrocardiogramme; Myocarde Keywords: Psychotropic drugs; Electrocardiogram; Myocardium Les médicaments psychotropes sont largement prescrits. La toxicité potentielle, notamment sur le système cardio- vasculaire, de certaines molécules n’est cependant pas toujours bien reconnue. L’observation suivante permet d’il- lustrer cette réflexion. 1. Observation Mme B, âgée de 78 ans, présente un syndrome dépressif sévère depuis environ 25 ans, traité par imipramine (100 à 125 mg/j), amineptine (150 mg/j), lévopromazine (25 mg/j), lithium (250 à 500 mg/j), et lorazepam (2,5 mg/j). Depuis quelques semaines, elle présente une dyspnée d’effort et des oedèmes des membres inférieurs. Depuis 5 jours, 60 mg de furosémide et 50 mg de captopril ont été prescrits, sans amélioration. L’examen clinique à l’admission montre un souffle systolique éjectionnel 2/6, un bruit de galop, et des signes d’insuffisance cardiaque globale. Sur le plan biolo- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.C. Eicher). Annales de cardiologie et d’angéiologie 51 (2002) 386–390 www.elsevier.com/locate/ancaan © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 0 0 3 - 3 9 2 8 ( 0 2 ) 0 0 1 3 6 - 1

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Page 1: Myocardiopathie réversible induite par les médicaments psychotropes À propos d’un cas, revue de la littérature

Cas clinique

Myocardiopathie réversible induite par les médicaments psychotropesÀ propos d’un cas, revue de la littérature

Reversible cardiomyopathy induced by psychotropic drugs:case report and literature overview

B. Cruchaudeta, J.C. Eichera,*, C. Sgrob, J.E. Wolfa

aCentre de cardiologie clinique et interventionnelle, hôpital du Bocage, CHU Dijon, 2, boulevard Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny,21034 Dijon cedex, France

bService de pharmacovigilance, hôpital général, CHU Dijon, rue du Faubourg-Raines, 21034 Dijon cedex, France

Reçu le 10 juillet 2002; accepté le 11 juillet 2002

Résumé

Un certain nombre de médicaments psychotropes présente un risque de toxicité cardiovasculaire bien démontré. C’est le cas notammentdes antidépresseurs tricycliques, des neuroleptiques du type phénothiazine, et du lithium, chacune de ces classes thérapeutiques priseindividuellement possédant des propriétés électrophysiologiques et myocardiques potentiellement délétères. Les auteurs rapportent uneobservation illustrant les effets parfois graves de l’association de ces différentes classes médicamenteuses lorsqu’il existe une pathologiecardiaque préexistante, même mineure. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

A number of psychotropic drugs, including tricyclic antidepressants, phenothiazines and lithium, have a well demonstrated risk ofcardiotoxicity. Each individual therapeutic class has potentially deleterious effects on electrophysiology and myocardial function. Theauthors report a case showing how serious side effects may result from the association of these different classes in the presence of acoexistent heart disease, even when the underlying disease is mild. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rightsreserved.

Mots clés: Psychotropes; Électrocardiogramme; Myocarde

Keywords: Psychotropic drugs; Electrocardiogram; Myocardium

Les médicaments psychotropes sont largement prescrits.La toxicité potentielle, notamment sur le système cardio-vasculaire, de certaines molécules n’est cependant pastoujours bien reconnue. L’observation suivante permet d’il-lustrer cette réflexion.

1. Observation

Mme B, âgée de 78 ans, présente un syndrome dépressifsévère depuis environ 25 ans, traité par imipramine (100 à125 mg/j), amineptine (150 mg/j), lévopromazine (25 mg/j),lithium (250 à 500 mg/j), et lorazepam (2,5 mg/j). Depuisquelques semaines, elle présente une dyspnée d’effort et desœdèmes des membres inférieurs. Depuis 5 jours, 60 mg defurosémide et 50 mg de captopril ont été prescrits, sansamélioration. L’examen clinique à l’admission montre unsouffle systolique éjectionnel 2/6, un bruit de galop, et dessignes d’insuffisance cardiaque globale. Sur le plan biolo-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J.C. Eicher).

Annales de cardiologie et d’angéiologie 51 (2002) 386–390

www.elsevier.com/locate/ancaan

© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.PII: S 0 0 0 3 - 3 9 2 8 ( 0 2 ) 0 0 1 3 6 - 1

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gique, on note une hypokaliémie à 2,4 mEq/l, une insuffi-sance rénale avec créatininémie initiale de 133 µmol/l(clearance calculée à 33 ml/min) s’élevant jusqu’à175 µmol/l. Le dosage de la lithiémie ne sera pas réalisé enraison d’un problème technique. Les hormones thyroïdien-nes sont normales. L’électrocardiogramme s’ inscrit enrythme sinusal avec un bloc de branche gauche complet etde fréquentes extrasystoles ventriculaires (Fig. 1) L’écho-cardiogramme montre un ventricule gauche discrètementdilaté, hypertrophié, avec une altération diffuse de lacontractilité (fraction de raccourcissement 20 %), et unesténose aortique modérée (surface valvulaire 1 cm2) ; lapression artérielle pulmonaire systolique est estimée à 65mmHg.

Lithium et neuroleptiques sont stoppés, les antidépres-seurs tricycliques sont remplacés par viloxazine. Une re-charge potassique est entreprise sous monitoring en unité desoins intensifs, avec poursuite des mêmes doses de diuréti-ques et d’ IEC. L’évolution rythmique est favorable avecdisparition de l’extrasystolie ventriculaire, et cliniquementles signes congestifs régressent. Au bout de quelques jours,l’échoDoppler montre une nette diminution de l’hyperten-

sion artérielle pulmonaire (PAP systolique 35 mmHg) et unediscrète amélioration de la fonction ventriculaire gauche. À2 mois il persiste une dyspnée classe III, une tachycardierégulière et un discret bruit de galop ; la créatininémie est à132 µmol/l. À 4 mois, l’échocardiogramme montre unenormalisation de la cinétique ventriculaire gauche, mais lebloc de branche gauche est toujours présent bien que moinslarge. L’amélioration de l’état hémodynamique s’accompa-gne d’une hypertension artérielle méconnue jusqu’à présent,contrôlée par l’augmentation des doses d’ IEC. À huit mois,la patiente est en classe II de la NYHA, et on note unaffinement non fréquence-dépendant des QRS à l’électro-cardiogramme (Fig. 2).

2. Discussion

La réversibilité de la dysfonction ventriculaire gauche etdes troubles conductifs chez cette patiente après modifica-tion du traitement psychotrope suggère fortement une ori-gine iatrogène. Sans nier le caractère excessif et exception-nel de l’ordonnance dans ce cas et la vraisemblable addition

Fig. 1. Électrocardiogramme à l’admission.

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d’effets toxiques, cette observation permet de rappelerqu’un grand nombre de médicaments psychotropes estsusceptible d’engendrer des effets cardiovasculaires indési-rables.

2.1. Neuroleptiques phénothiaziniques [1,2]

Les effets électrophysiologiques des neuroleptiques phé-nothiaziniques sont des effets de type quinidine-like. Invitro ces molécules provoquent un ralentissement de lavitesse de dépolarisation (Vmax), un allongement de ladurée du potentiel d’action dans les fibres de Purkinje et lesfibres ventriculaires, et un allongement de la période réfrac-taire. L’ intensité de ces effets est variable d’un dérivé àl’autre, très marquée pour la thioridazine, faible pour lalévopromazine. Des anomalies de la repolarisation (allon-gement de l’espace QT, anomalies de l’onde T, sous-décalage du segment ST) sont rapportées dans 42 à 67 %des cas, plus fréquemment avec la thioridazine qu’avec lachlorpromazine, et semblent dose-dépendantes. À dosesthérapeutiques, les troubles conductifs sont rares (blocauriculoventriculaire ou intraventriculaire). Enfin, des trou-bles du rythme ventriculaire graves et parfois mortels sontdécrits, mais seule la thioridazine semble impliquée.

Expérimentalement, les phénothiazines possèdent enoutre des effets inotropes négatifs. Parmi les mécanismesinvoqués, un effet cardiotoxique direct, avec des modifica-tions ultrastructurales voisines de celles observées dans lamyocardiopathie alcoolique, et une réduction du débitsanguin coronaire sont suspectés.

L’effet secondaire clinique le plus fréquemment rencon-tré avec les phénothiazines est une hypotension artérielle àcomposante orthostatique ; elle est généralement modérée,mais des accidents plus sévères de collapsus cardiovascu-laire, voire d’ infarctus du myocarde ont été rapportés,notamment lors d’ induction anesthésiologique après prémé-dication avec les phénothiazines [1]. Le mécanisme semblepasser par des propriétés alpha-sympatholytiques, un effetvasodilatateur direct, et un effet dépresseur myocardique.

2.2. Antidépresseurs tricycliques (ADT)

Sur le plan électrophysiologique [3], on observe in vitroune diminution de la Vmax avec l’ imipramine, l’amoxa-pine, la désimipramine, la métapramine et la maprotiline, cequi peut se traduire en clinique humaine par des troublesconductifs intraventriculaires. La durée du potentiel d’ac-tion est diminuée par l’ imipramine, augmentée par l’amoxa-

Fig. 2. Électrocardiogramme 8 mois après modification du traitement psychotrope.

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pine et la désimipramine ce qui se traduit par un allonge-ment de l’espace QT. L’ imipramine, l’amoxapine, ladésimipramine, la métapramine et la maprotiline bloquentégalement le canal sodique rapide, leur conférant un effetquinidine-like et stabilisant de membrane. L’amitryptilineraccourcit la durée du cycle sinusal, allonge l’espace PR etaugmente la durée du QRS [4]. En revanche, la miansérineet l’amineptine se distinguent des autres antidépresseurs parla discrétion de leur action sur le potentiel d’action. Demême, les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine,fluvoxamine et fluoxétine, n’affecteraient pas les paramètresconductifs, bien que de rares cas de bradycardie avecsyncope aient été rapportés avec la fluoxétine. En pratiqueclinique, les ADT sont responsables d’arythmies supraven-triculaires ou ventriculaires (tachycardies ventriculaires,torsades de pointes), et de troubles conductifs auriculo-ventriculaires ou intraventriculaires. Des observations demorts subites sont également rapportées. Le risque de cetype d’effets indésirables est considéré comme 7 fois plusélevé qu’avec l’ensemble des autres médicaments ; il estmajoré par les associations médicamenteuses, le surdosage,l’existence d’une cardiopathie sous-jacente.

Expérimentalement, les ADT possèdent également uneffet inotrope négatif [4]. In vivo, cet effet dépresseurmyocardique n’est observé qu’avec de fortes doses. Cepen-dant il semble que la concentration plasmatique puisse êtremodifiée par la prise concomitante de neuroleptiques, quifavoriserait l’apparition de taux toxiques [4]. Un certainnombre d’observations d’ insuffisance cardiaque induite parces médicaments ont été rapportées. Il s’agit souvent detableaux de myocardiopathies dilatées avec insuffisancecardiaque globale, réversibles à l’arrêt du traitement [4,5].Dans une majorité des observations, il existe une cardiopa-thie sous-jacente quiescente [4,6,7]. Cependant, il semble

que l’ imipramine puisse induire de novo une myocardiopa-thie hypokinétique totalement réversible après sevrage [7].

Les mécanismes physiopathologiques des effets cardio-vasculaires délétères des ADT sont mal connus. On invoquedes effets quinidine-like et anticholinergiques, une interac-tion avec les catécholamines au niveau des récepteurs oudes terminaisons noradrénergiques, ou une fixation de cesdrogues sur le myocarde [2]. Il a également été décrit desdépôts de mucopolysaccharides au niveau des artériolessous-endocardiques, suggérant un rôle de l’ ischémie myo-cardique (Tableau 1).

2.3. Lithium

Sur le plan de l’électrogenèse, les études transmembra-naires sur myocytes de différents modèles animaux mon-trent que le chlorure de lithium entraîne une diminution dela pente de la repolarisation diastolique (phase 4) donc unralentissement de la fréquence des cellules du nœud sinusalet des fibres de Purkinje [8]. On note de plus une diminutiondu potentiel de repos, une augmentation de l’amplitude dupotentiel d’action et de sa durée, un allongement de lapériode réfractaire effective [9]. En clinique humaine, destroubles de la repolarisation de type hypokaliémie sontfréquemment signalés, que la kaliémie soit normale oubasse. Des troubles du rythme ou de la conduction peuventsurvenir lors de traitements au long cours : bradycardie etpauses sinusales [8], extrasystoles ventriculaires, blocs debranche ou blocs auriculoventriculaires complets, flutters etfibrillations auriculaires, tachycardies et fibrillations ventri-culaires.

Expérimentalement, le lithium possède également deseffets inotropes négatifs dose-dépendants, pouvant provo-quer à fortes doses un arrêt cardiaque en systole [9] ; il

Tableau 1Principaux psychotropes cités dans l’article (source : Vidal 2001)

Neuroleptiques phénothiazines Antidépresseurs

Classe DCI Nom commercial Classe DCI Nom commercial

Aliphatiques Chlorpromazine Largactylt Tricycliques Imipramine TofraniltLévopromazine Nozinant Desimipramine Pertofrant

Cyamémazine Terciant Clomipramine AnafraniltTriflupromazine Psyquilt Amoxapine Défanylt

Pipéridinées Thioridazine Mellerilt Amitriptyline Laroxylt, ElaviltPropériciazine Neuleptilt Doxépine Quitaxont

Pirimétazine Leptrylt Trimipramine SurmontiltPipérazinées Fluphénazine Modécatet,

Moditent

Maprotiline Ludiomilt

Pipotiazine PiportiltAmineptine* Survectort

Thiopropérazine MajeptiltIRS Citalopram Séropramt

Prochlorpérazine TémentiltFluoxétine Prozact

Perphénazine Trilifant

Fluvoxamine FloxyfraltParoxétine DéroxattSertraline Zoloftt

Autres Miansérine AthymiltTianeptine Stablont

Viloxazine Vivalant

Métapramine* Timaxelt

.

IRS : inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. * : n’est plus commercialisé

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existe également un effet hypotenseur, mais peu significatifen clinique. De manière exceptionnelle, il a été décrit desatteintes myocardiques avec tableau d’ insuffisance cardia-que globale sévère, parfois avec troubles du rythme et/ou dela conduction, observées avec des lithiémies élevées ounormales, régressant à l’arrêt du traitement mais se réaggra-vant toujours lorsque le traitement est réintroduit. L’étudeanatomique montre des lésions de myocardite interstitiellediffuse [10].

Le mécanisme de l’action cardiovasculaire du lithium estcomplexe. La molécule bloque le système adénylcyclase-AMP cyclique, s’opposant ainsi aux effets inotropes descatécholamines et du glucagon ; elle induirait une altérationdes protéines contractiles [11] ; enfin, elle modifie l’équili-bre ionique de la cellule myocardique, en se substituant aupotassium intracellulaire, et produisant une hypokalicytie etparfois une hyperkaliémie en cas d’ intoxication. De nom-breuses associations médicamenteuses peuvent s’avérerdangereuses. L’association aux diurétiques est classique-ment contre-indiquée, en raison du risque d’hypokaliémiepouvant potentialiser les effets arythmogènes, mais surtouten raison d’un risque de surdosage lié à la réabsorptiontubulaire proximale favorisée par la déplétion hydrosodée.Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont aussi capables de majo-rer la toxicité du lithium par l’ intermédiaire de leurs effetssur le flux sanguin rénal. Inversement, le lithium seraitcapable de majorer la toxicité d’autres médicaments, enparticulier celle des neuroleptiques les plus incisifs, enaugmentant le blocage dopaminergique de ces médica-ments ; cette interaction pourrait favoriser l’apparition desyndrome extrapyramidal et de syndrome malin des neuro-leptiques [12].

3. En résumé

Cette observation illustre particulièrement bien la toxicitécardiovasculaire potentielle des médicaments psychotropes.Que ce soit pour les neuroleptiques de type phénothiazine,les antidépresseurs tricycliques, ou le lithium, la littératureétablit un lien formel entre chacune de ces classes médica-menteuses et des effets secondaires cardiaques parfois

sévères ; cette toxicité relève d’effets électrophysiologiqueset myocardiques. Fait important, si les répercussions clini-ques des effets de ces classes thérapeutiques, lorsqu’ellessont prises isolément, et en cas de cœur sain, semblent peuimportantes, il apparaît que l’association des différentesclasses entre elles puisse potentialiser les toxicités indivi-duelles, et que l’existence d’une cardiopathie sous-jacentefavorise l’expression de cette toxicité. L’âge [6] et lafonction rénale conditionnent également le risque. Celapermet de rappeler la prudence nécessaire en cas d’utilisa-tion de drogues psychotropes lorsqu’ il existe une cardiopa-thie, et le dialogue utile entre cardiologue, pharmacologueet psychiatre afin d’opter le cas échéant pour des moléculesmoins cardiotoxiques.

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