marie au temple de jerusalem

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© Copyright 2009 domuni.org – tous droits réservés – reproduction et diffusion interdites Marie au Temple de Jérusalem A. Maryam au Mih râb Inscriptions et mosaïques Lors de sa venue à Istanbul, en décembre 2006, le pape Benoît XVI, après Sainte- Sophie, a visité la mosquée Sultan Ahmed, la Mosquée bleue. Là il fut conduit, au cœur de l’édifice, devant le mih râb, où le Grand Müfti d'Istanbul et l'Imam de la Mosquée lui firent les honneurs de ce grandiose édifice du XVIIe siècle. Alors qu'il se trouvait devant ce grand symbole de la prière musulmane, le pape s'est recueilli quelques instants en une profonde prière. C'est alors que la télévision turque montra au monde l'illustre représentant des catholiques : l'attitude si religieuse et respectueuse de Benoît XVI manifestait qu'il était bien un « homme de Dieu », humble devant le Créateur. Revenu à Rome, Benoît XVI eut l'occasion d'expliquer qu'au cours de ces brefs instants de prière, il s'était « tourné intérieurement vers Dieu, Créateur et Providence pour tous les hommes ».

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Page 1: Marie Au Temple de Jerusalem

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Marie au Temple de Jérusalem

A. Maryam au Mihrâb

Inscriptions et mosaïques

Lors de sa venue à Istanbul, en décembre 2006, le pape Benoît XVI, après Sainte-Sophie, a visité la mosquée Sultan Ahmed, la Mosquée

bleue. Là il fut conduit, au cœur de l’édifice, devant le mihrâb, où le Grand Müfti d'Istanbul et l'Imam de la Mosquée lui firent les

honneurs de ce grandiose édifice du XVIIe siècle. Alors qu'il se trouvait devant ce grand symbole de la prière musulmane, le pape s'est recueilli quelques instants en une profonde prière.

C'est alors que la télévision turque montra au monde l'illustre représentant des catholiques : l'attitude si religieuse et respectueuse de Benoît XVI manifestait qu'il était bien un « homme de Dieu », humble devant le Créateur. Revenu à Rome, Benoît XVI eut l'occasion d'expliquer qu'au cours de ces brefs instants de prière, il s'était « tourné intérieurement vers

Dieu, Créateur et Providence pour tous les hommes ».

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Jean-Marie Mérigoux Marie au Temple de Jérusalem

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L'idée d'écrire sur cette visite déjà bien connue, m'a été donnée par l'inscription qui se trouve au dessus du mihrâb devant lequel le pape s'était arrêté, et que je suis allé étudier plusieurs fois sur place après sa visite mémorable, et c'est donc de cette inscription que je me propose de parler dans ces lignes. Il s'agit d'une citation coranique dont la lecture et la méditation m'a semblé manifester une dimension « mystique » supplémentaire à ce que représentait le mihrâb de cette mosquée : à savoir un lien spécial avec le Temple de Jérusalem et la foi en la Providence manifestée par Marie et par Zacharie.

B. Marie/Maryam, « Bénie de Dieu »

Marie/Maryam, la mère de Jésus/'Isa, a une place considérable dans le christianisme et dans l'islam. Pour les chrétiens et pour les musulmans il est clair que la Providence divine a comblée Marie de grands bienfaits, de grâces, dès sa conception et tout au long de sa vie. L'Evangile, le Coran et le Protévangile de Jacques évoquent, chacun à leur manière, le fait que Marie a été « bénie par Dieu, plus que toutes les femmes ». L'évangéliste saint Luc rapporte les paroles de l'ange Gabriel : « Sois sans

crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu »(Luc, 1, 30), de même qu'il nous rapporte celles qu' Élisabeth adressa à Marie : « Tu es bénie entre les

femmes, et béni le fruit de ton sein ! » ( Luc 1,42). Une sourate du Coran fait un récit de l'Annonciation : « Les anges dirent : « O Marie ! Dieu t'a choisie, en vérité ; il t'a purifiée (istafâki ) ; il t'a choisi de préférence à toutes les femmes de l'univers » (La Famille de 'Imran, III, 42). Sur la vie dans la Temple de la toute jeune Marie, seuls le Protévangile de Jacques et le Coran donnent des détails, - « Or Marie demeurait dans le Temple du Seigneur comme une colombe et recevait de la nourriture de la main d'un ange » (Protévangile de Jacques, 8, 1).

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- « Chaque fois que Zacharie allait la voir, dans le Temple (mihrâb), il trouvait auprès d'elle la

nourriture nécessaire, et il lui demandait : « O Marie ! D'où cela te vient-il ? » Elle répondait : « Cela vient de

Dieu : Dieu donne, sans compter, sa subsistance à qui il veut » (La Famille de 'Imran, III, 37 ) 1 Les liturgies chrétiennes se font l'écho de cette présence de Marie au Temple lorsque, le 21 novembre, par exemple, elles évoquent la manière dont celle-ci fut introduite par ses parents en ce lieu sacré. Les liturgies arménienne et latine évoquent la « Présentation (taqdamat) de Marie au Temple ». Quant à la liturgie maronite elle parle de son « Entrée (dukhûl) dans le Temple » et la liturgie byzantine également, tout en ajoutant que Marie est « Le vrai Temple du

Verbe de Dieu ».

C. Le Mihrâb de Sultan Ahmed

Rappelons qu'un mihrâb (en arabe mihrâb, au pluriel mahârîb) dans une mosquée est ce petit édifice en forme de niche qui, encastré dans l'un de ses murs intérieurs, indique la qibla, c'est-à-dire « la direction » vers laquelle les fidèles doivent se tourner pour prier2. Les premiers musulmans priaient tournés vers le Temple de Jérusalem, «La Mosquée très éloignée », al-masjid al-aqsâ (Le Voyage nocturne, sourate

XVII, 1). Le Prophète de l'islam changea cette orientation et c'est orientés vers la Mecque, que les musulmans accomplissent maintenant la prière.

1 « kollama dakhala zakaria al-mihrâba, wajada ‘inda-ha rizqan » 2 Cf. art. “Mihrâb”, Encyclopédie de l'Islam, 2 ed. et Dictionnaire du Coran, Paris Laffont, art. “mihrâb”.

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A Constantinople/Istanbul, les églises et les mosquées témoignent d'une grande vénération envers Marie/Maryam. Dans plusieurs grandes mosquées de la ville, et tout spécialement à Sultan Ahmed, on trouve au dessus de leurs mahârîb, admirablement calligraphiées en arabe, les citations coraniques qui évoquent les visites que Zacharie au Temple/mihrâb où se trouvait Marie. A l'église Saint-Sauveur in Chora (musée de Karye camii) d'admirables mosaïques représentent la vie de Marie selon le Protévangile de Jacques ; on peut y voir un ange apportant la nourriture à Marie, alors qu'elle était au Temple.

D. Des versets/ayat marials

Les versets/ayat coraniques calligraphiés au dessus du mihrâb de la mosquée Sultan Ahmed sont extraits de la troisième sourate, La famille de

'Imran. Ils évoquent les fréquentes visites que Zacharie, le futur père de Jean le Baptiste/Yaya, faisait à petite Marie dont il était responsable. Marie se trouvant alors dans cette partie du Temple de Jérusalem appelée "mihrâb". Marie était providentiellement nourrie d’aliments célestes et ceci causait l’étonnement de Zacharie. Cette provende (rizq) nécessaire à sa subsistance, consistait, selon la tradition musulmane en aliments qui étaient des « fruits du

paradis ».

Voici ces textes translittérés à partir de l'arabe : kullama dakhala 'alayhâ zakariyyâ al-mihrâb, wadjada 'indahâ rizqan. (Chaque fois que Zacharie allait la voir, dans le Temple (mihrâb), il trouvait auprès d'elle la nourriture nécessaire (verset 37). Et : - fa-nâdat-hu al-malâ'ikatu wahua qâ'imun yusalli fi al- mihrâb. (Tandis qu'il priait dans le Temple (mihrâb) les anges lui crièrent… (verset 39) Voici tout le passage de la sourate III, 35 à 39 3 qui concerne Marie et où se trouvent les deux versets étudiés :

3 Le Coran, traduction de Denise Masson, Paris, 1967, La Pléiade, page 65 :

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35 - “ La femme de 'Imran dit : “Mon Seigneur ! Je te consacre ce qui est dans mon sein ; accepte-le de ma part. Tu es, en vérité, celui qui entend et qui sait”. 36 - Après avoir mis sa fille au monde, elle dit : “Mon Seigneur ! J'ai mis au monde une fille “. - Dieu savait ce qu'elle avait enfanté : un garçon n'est pas semblable à une fille - “Je l'appelle Marie, je la mets sous ta protection, elle et sa descendance, contre Satan, le réprouvé”. 37 - Son Seigneur accueillit la petite fille en lui faisant une belle réception ; il la fit croître d'une belle croissance et il la confia à Zacharie. Chaque fois que Zacharie allait la voir, dans le Temple

4 (mihrâb), il trouvait

auprès d'elle la nourriture nécessaire, et il lui demandait : “O Marie ! D'où cela te vient-il ?” Elle répondait : Cela vient de Dieu : Dieu donne, sans compter, sa subsistance à qui il veut”. 38 - Alors Zacharie invoqua son Seigneur ; il dit : “Mon Seigneur ! Accorde-moi, venant de toi, une excellente descendance. Tu es, en vérité, celui qui exauce la prière”. 39 – Tandis qu'il priait debout dans le Temple (mihrâb), les anges lui

crièrent : “Dieu t'annonce la bonne nouvelle de la naissance de Jean : celui-ci déclarera véridique un Verbe émanant de Dieu ; un chef, un chaste, un Prophète parmi les justes”.

E. Les mosaïques de Saint-Sauveur in Chora

Le Protévangile de Jacques est un apocryphe chrétien qui eut une grande diffusion en Orient et qui marqua la piété mariale et la liturgie. Ce texte fut une source d'inspiration pour bien des artistes comme en témoignent les mosaïques de l'église Saint-Sauveur in Chora à Istanbul. Ce document condamné par le Décret de Gélase au VIe siècle, fut mis de côté par les Latins mais il refit surface en Occident grâce à Guillaume Postel qui en publia la traduction latine en 1552. L'église Saint-Sauveur, aujourd'hui musée, date de la fin du XIIIe siècle et du début du XIVe. Ses riches mosaïques sont dues à la générosité de Théodore Métochite. La vie de la Vierge Marie qui y est représentée doit beaucoup au récit de Jacques : naissance et enfance de Marie, sa Présentation au Temple, sa vie et son travail au Temple 5 et enfin on voit Marie recevoir d'un ange sa nourriture. Marie y est représentée résidant dans une partie spéciale du Temple, peut être le troisième degré de l'autel6, qui correspond peut être au mihrâb

évoqué par la Sourate III.

4 “Mihrâb, désigne ici, comme au verset suivant, le Temple de Jérusalem, op cit., page 805 5 Ilhan Aksit, Le Musée de Chora, mosaïques et fresques, p. 30 6 Le troisième degré de l'autel : le protévangile ne se soucie pas de l'interdiction de pénétrer jusqu'à l'autel qui frappe non seulement les femmes, mais également les hommes qui ne travaillent pas au service du Temple. Il lui semble tout naturel que la petite fille soit bénie par le grand prêtre et installée au Temple. Le troisième degré de l'autel désigne la plate-forme même où est érigé l'autel, selon la description qu'en donne Ez 43, 13-17. (Note de la Pléiade, p. 88)

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Voilà comment le Protévangile parle de Marie, qui, à l'âge de trois ans, entre au Temple7.

7– 2. “Et le prêtre la reçut et, l'ayant embrassée, il la bénit et dit : “Le Seigneur a exalté ton nom dans toutes les générations. En toi, aux derniers jours, le Seigneur manifestera la rédemption aux fils d'Israël”. 3- Et il la plaça sur le troisième degré de l'autel. Et le Seigneur fit descendre sa grâce sur elle. Et ses pieds se mirent à danser et toute la maison d'Israël l'aima. 8 – 1. Et ses parents redescendirent, admirant, louant et glorifiant Dieu, le Maître, de ce qu'elle ne s'était pas retournée vers eux. Or Marie demeurait dans le Temple du Seigneur comme une colombe et recevait de la nourriture de la main d'un

ange”.

F. Piété mariale

Avec émotion et intérêt on remarque comme une sorte de convergence entre la piété des deux grandes traditions religieuses locales envers Marie. Sommes nous en face d'un exemple de ce que le professeur Michel Balivet appelle un precessus d'interaction culturelle entre le vieil empire romano-

byzantin et les sultanats turcs ?8 La piété mariale byzantine est bien connue, rappelons la dévotion aux icônes de Marie Odighitria, « la Guide » qui représentent Marie indiquant son Fils de sa main. Par ce geste elle devient notre « Guide ». Ainsi, à Galata, au couvent dominicain de Saint-Pierre on peut voir une icône de l'Odighitria, vénérée depuis des siècles. Nombreuses par ailleurs sont les mosquées de la ville dont les mahârîb portent des versets coraniques évoquant la présence de Marie au mihrâb. Quant à la piété des musulmans envers Marie, mère de Jésus, elle a été évoquée au concile Vatican II : «Ils honorent sa Mère virginale Marie, et parfois même

l'invoquent avec piété 9» et le Père Abd el-Jalil lui a consacré une livre : « Marie

et l'islam».

1. Les inscriptions mariales dans les mosquées d'Istanbul

Les deux versets coraniques présents au mihrâb de la mosquée Sultan Ahmed, je les ai retrouvés dans plusieurs mosquées d'Istanbul, diversement cités : soit les deux versets sont cités à la suite, comme c'est le cas à Sultan Ahmed, soit un seul est cité, tantôt l'un tantôt l'autre.

7 Protévangile de Jacques, in “Ecrits apocryphes chrétiens”, I, Paris, 1997, “La Pléiade, p. 88. 8 Michel Balivet, Turcobyzantiae, échanges régionaux, contacts urbains, Les éditions Isis, Istanbul, 2008, p.115. 9 Vatican II, Nostra aetate, N° 3.

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Seule la Mosquée bleue comporte la citation des deux versets. Beaucoup de mosquées n'ont que le verset 37, plusieurs autres n'ont que le verset 39. Des mahârîb de mosquées stanbouliotes ont parfois d'autres textes au dessus du mihrâb, mais certaines n'ont pas d'inscriptions sur leur mihrâb.

2. Mosquées d’Istanbul dont le mihrâb portent les deux versets

Seule, à ma connaissance, la mosquée de Sultan Ahmed, (1616), donne les deux versets : Premier verset (37) : Chaque fois que Zacharie allait la voir, dans le

Temple10101010 (mihrâb), il trouvait auprès d'elle la nourriture nécessaire.

Deuxième verset (39) : Tandis qu'il priait debout dans le Temple (mihrâb),

les anges lui crièrent.

3. Mosquées d’Istanbul qui ont seulement le verset 37

Texte du verset : “Chaque fois que Zacharie allait la voir...” (S'il y a un ajout à la citation, il est donné ici en caractères gras) - Kılıç Ali Paşa Tophane (1580). - Rüstempaşa camii (1580). Le verset y est précédé de : subhânahu wa ta'âlâ

11, kullama... (Gloire à Lui, le Très haut : chaque

fois que...) - Yeni camii (1597). Le verset est précédé de : qâla llaha subhânahu wa ta'âla, kullama...( Le Dieu très haut dit : chaque fois que...) - Nuruosmaniye camii (1755). - Kalender camii. - (Musée) Sainte Sophie. - Şehzade camii (1548). Le verset est précédé de : 10 “Mihrâb, désigne ici, comme au verset suivant, le Temple de Jérusalem, op cit., page 805 11 Sur cette formule laudative, voir : D. Gimaret, art. “Subhân”, EI 2

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qâla llaha ta'âla, kullama...(Le Dieu très haut dit : chaque fois que...) - Sulemaniyyé (1522). - Sinan Pasa à Besiktas (1556) - Sokollu Mehmad Pasa camii (1551) Mosqués d'Istanbul qui n'ont que le verset 39 Texte du verset : « Tandis qu'il priait debout dans le Temple.. » Fatih (1470). Le verset est précédé de : qâla llaha ta'âla, fa-nadat-hu...(Le Dieu très haut dit : Tandis qu'il priait...) - Kasimpaşa Büyük piyale Paşa camii (1573). - Gazi atikli Paşa camii (1496).

4. Invitation à la prière La présence des inscriptions à la Mosquée bleue, m'a paru intéressante et je me suis réjoui de savoir que le pape avait vécu en ce lieu un moment d'adoration de Dieu unique. Par ce nom de mihrâb, il y avait comme un lien avec le Temple de Jérusalem, l'un des lieux saints majeurs du Christianisme, du Judaïsme et de l'Islam.

Edition et mise en forme : www.domuni.org