magazine france pittoresque specimen 35 reduit

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N°35 - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2010 - 6,90 R Guerre et pigeons voyageurs - Pêche miraculeuse du hareng - 1786 ou la grève des gagne-deniers - Garoé arbre pourvoyeur d’eau - Entremets divertissants - Croix cousues imposées aux hérétiques - Voltaire et chariot invincible - Foire des fées de Limes - Vertus de l’ostensible écharpe... Le magazine de la petite Histoire de France LA FRANCE PITTORESQUE DANS CE NUMÉRO WWW. FRANCE-PITTORESQUE. COM L’ANTIMOINE UN ÉLIXIR SULFUREUX MESUREURS MESUREURS La France La France pittoresque pittoresque UNE ENCYCLOPÉDIE DE LA VIE D’AUTREFOIS LUNE LUNE Influence sur la gent féminine ? Influence sur la gent féminine ? FÊTE DES FOUS FÊTE DES FOUS Entre cavalcades et indécences Entre cavalcades et indécences IMPÔT INEPTE IMPÔT INEPTE Portes et fenêtres contre déficit Portes et fenêtres contre déficit Gardiens d’un commerce loyal Gardiens d’un commerce loyal SCHWILGUÉ SCHWILGUÉ Vie rythmée par une horloge Vie rythmée par une horloge

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Magazine trimestriel de la petite Histoire de France : moeurs, traditions, fêtes, coutumes, art de vivre, personnages, objets, métiers, institutions, costumes, mode, anecdotes historiques, légendes, rites, superstitions, faune, flore, villes, villages, inventions, découvertes, monuments, procès. Spécimen du numéro 35

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Page 1: Magazine France Pittoresque Specimen 35 Reduit

Numéro 35 – La France pittoresque 1

N°35 - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2010 - 6,90 R

Guerre et pigeons voyageurs - Pêche miraculeuse du hareng - 1786 ou la grève desgagne-deniers - Garoé arbre pourvoyeur d’eau - Entremets divertissants - Croix

cousues imposées aux hérétiques - Voltaire et chariot invincible - Foire des fées de Limes - Vertus de l’ostensible écharpe...

Le magazine de la petite Histoire de FranceLA

FRAN

CEPI

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ESQU

E

DANS CE NUMÉRO

WWW.FRANCE-PITTORESQUE.COM

L’ANTIMOINEUN ÉLIXIR SULFUREUX

MESUREURSMESUREURS

La FranceLa Francepittoresquepittoresque

UNE ENCYCLOPÉDIE DE LA VIE D’AUTREFOIS

LUNELUNEInfluence sur la gent féminine ?Influence sur la gent féminine ?FÊTE DES FOUSFÊTE DES FOUSEntre cavalcades et indécencesEntre cavalcades et indécencesIMPÔT INEPTEIMPÔT INEPTEPortes et fenêtres contre déficitPortes et fenêtres contre déficitGardiens d’un commerce loyalGardiens d’un commerce loyalSCHWILGUÉSCHWILGUÉVie rythmée par une horlogeVie rythmée par une horloge

Page 2: Magazine France Pittoresque Specimen 35 Reduit

La France pittoresque – Numéro 352

2 CATÉGORIES / 1248 QUESTIONS / 8 THÈMES

PRÉSENTATION DÉTAILLÉE et COMMANDE DU JEU surwww.france-pittoresque.com/histofoly

petite HistoireAIDE À COMPRENDRE LA grande

QUAND LA

Un jeu pour petits et grands

Page 3: Magazine France Pittoresque Specimen 35 Reduit

Numéro 35 – La France pittoresque 3

Professeur de physique à l’université de Florence, l’abbé GiovanniCaselli fut tenté par la solution d’un problème physico-mécaniquenon complètement résolu, en dépit de quelques tentatives effec-tuées : la reproduction, par l’électricité, des signes de l’écriture à lamain, des traits du dessin, et en général, de toute oeuvre de la mainde l’homme. Dès 1843, l’horloger écossais Alexander Bain s’étaitoccupé d’exécuter un télégraphe autographique, en d’autres termesun appareil reproduisant le fac-simile d’une écriture ou d’un dessinquelconque ; mais l’appareil n’avait pu donner dans la pratique aucunrésultat avantageux, par suite de la difficulté de réaliser le synchro-nisme des deux plateaux situés l’un à la station de départ, et l’autre àcelle d’arrivée, chacun communiquant un mouvement de va-et-vientà un style. En effet, il importait d’une part, qu’à chaque fois que le styleportait sur un trait à l’encre, le courant fût interrompu, de façon que lestyle de la station opposée cessât de marquer sur le papier, d’autre partque les oscillations soient d’une amplitude parfaitement égale. En 1848,le mécanicien écossais Blackwell, remplaçant les plateaux par des cy-lindres, n’avait pas été plus heureux que son devancier.L’abbé Caselli ne crut pas néan-moins au-dessus des effortsde l’art contemporain la repro-duction de l’écriture par l’élec-tricité, et vint à Paris, installantchez le mécanicien et inven-teur français Paul-GustaveFroment le pantélégraphequ’il avait construit à Florenceen 1856. Pendant six ans, il necessa pas un seul jour de se con-sacrer au perfectionnement decet appareil : il s’agissait d’éta-blir, à chacune des deux stationstélégraphiques, deux pendulesdont les oscillations fussent exactement les mêmes en amplitude eten durée, c’est-à-dire d’installer, à 20 lieues de distance, deux pen-dules isochrones. Trouvant cette pierre philosophale de la télégra-phie en 1860, il fut en mesure, trois ans plus tard, de proposer enfinun appareil donnant des résultats irréprochables et construit avecFroment. On pouvait, à l’aide de cet instrument, reproduire une dé-pêche d’une ville à l’autre, avec l’exacte fidélité de la photographie.Il transmettait l’écriture même, la signature même de l’expéditeur.Un dessin, un portrait, un plan, de la musique, une écriture étran-gère, des traits confus et embrouillés, tout arrivait fidèlement et sereproduisait dans son intégrité d’une station à l’autre.Le gouvernement étant frappé des avantages et du côté brillant del’invention du savant florentin, une loi fut votée en mai 1863 procla-mant l’adoption du pantélégraphe Caselli par l’administration fran-çaise et son établissement sur la ligne de Paris à Lyon. C’est seule-ment le 16 février 1865 que le public fut admis, pour la premièrefois, à transmettre des dépêches autographiques entre ces deuxvilles.

Directeur de la publication :Valéry VIGANComité éditorial :Valéry VIGAN, Gwenaël D’AVREY,Camille MESSINE, Louis-Jean THIBERVILLE,Clothilde BRASSAC, Florent BROSSARDMaquette, conception graphique :AragornSiège social :LA FRANCE PITTORESQUE14 avenue de l’Opéra - 75001 PARISASSOCIATION LOI [email protected]édaction, abonnements :LA FRANCE PITTORESQUE46140 ALBASN° I.S.S.N. :1632-9457N° Commission paritaire :0211 G 81949Dépôt légal :à date de parutionImpression :3ESSE s.r.l. (www.3esse.net)70029 SANTERAMO IN COLLE (ITALIE)Illustration de couverture :d’après Charlatan et son assistantpar Jan Miense Molenaer (vers 1630)

La lune et la gent féminine. Action de la lunesur les naissances. Lune, maladies et médicaments.4

TRIMESTRIEL - N° 35JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2010

Un magazine édité par LA FRANCE PITTORESQUE

SOMMAIRE

ÉDITORIAL

ancêtre du FAX moderne

Un site recommandé par de nombreuxmedias, dont LE FIGARO, FRANCE 2, FRANCE 3,LE MONDE, LE PARISIEN, RTL

LA FRANCE PITTORESQUEc’est aussi un site Internetdepuis 1999, consacré à laFRANCE D’HIER ET D’AUJOURD’HUIwww.france-pittoresque.com

¨̈̈̈̈ ACCÉDEZ... rapidement à plus de 10 000sites consacrés aux villes et villages de France,régions, départements, musées, artisans, produitsdu terroir¨̈̈̈̈ CONSULTEZ... plus de 1 800 chroniquesvous aidant à mieux cerner la France des sièclespassés et la France contemporaine

VOUS AIMEZ L’HISTOIRE ?Partez à la découverte des...

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Pour en savoir plus : Livres-audio.frPour en savoir plus : Livres-histoire.com

Le PANTÉLÉGRAPHE : véritable

LÉGENDES/INSOLITE

Trompettes-Jongleurs à l’origine du sobriquet deshabitants de Chauny et vacher Tout-le-monde7

LIEUX

Cavalcades de la fête des Fous. Extravagance à lamode provençale. Église contre « diacres saouls ».8

MOEURS/COUTUMES

La grève des gagne-deniers contre la collusion.1786 : une arrestation qui met le feu aux poudres.11

ÉVÉNEMENTS

Les pigeons voyageurs sortent de l’ombre etenrayent le siège allemand de Paris en 187013

FAUNE/FLORE

Garoé ou arbre saint pourvoyeur d’eau. Foire des féesdans la cité de Limes. Fattura ou « mauvais-oeil ».14

VOUS AVEZ DIT BIZARRE ?

L’antimoine : sulfureux métal faisant polémique.Guy Patin contre l’antimoine. Un élixir de jouvence ?15

INVENTIONS/DÉCOUVERTES

Impôt des portes et fenêtres pour pallier le déficitbudgétaire. Impôt arbitraire et onéreux à percevoir.18

INSTITUTIONS

Des entremets entre les services pour divertirles convives. 1378 : entremets de haut vol.20

MOEURS/COUTUMES

Quand vin et sel étaient considérés commenécessaires à la contruction des ponts et des routes.21

LÉGENDES/INSOLITE

Mesureurs pour veiller sur le commerce. Ethique desmesureurs de sel. Contrôle des oignons et pommes.22

MÉTIERS

Voltaire et chariot de guerre. Avoir l’air piteux ou« revenir de Pontoise ». Reine pour les annonciades.25

LE SAVIEZ-VOUS ?

La pêche française s’éprend du hareng. Théâtres deguerre et hareng. Renouveau des pêcheries picardes.26

ARTS/INDUSTRIES

L’ostensible écharpe déroule ses vertus. Royalisteset Ligueurs s’écharpent par couleurs interposées.29

MODE/COSTUMES

Schwilgué sauve l’horloge de Strasbourg. Soncalendrier mécanique. Les honneurs pour Schwilgué.31

PERSONNAGES

XIIIe siècle : la peine des croix cousuessur les vêtements imposée aux hérétiques34

LÉGENDES/INSOLITE

BULLETIN D’ABONNEMENT en page 35

Valéry VIGANDirecteur de la publication D’APRÈS... Les merveilles de la science ou Description

populaire des inventions modernes (T. 2) paru en 1867

Le pantélégraphe Caselli

La FranceLa Francepittoresquepittoresque Vouant une inébranlable confiance

dans l’exercice de la liberté, l’économisteet homme politique bayonnais FrédéricBastiat, trop conservateur pour les répu-blicains, trop républicain pour les con-

servateurs, dépeint vers 1850 au fil de pamphlets pédagogi-ques confinant parfois à l’ingénieuse fable satirique, les so-phismes contemporains et vices à venir d’un État-Providencedont il déplore l’interventionnisme s’accentuant, et qu’il re-garde comme la « grande fiction à travers laquelle tout le mondes’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».Réformateur résolu, farouche partisan de l’assurance sociale,il annonce dans ses Harmonies économiques les effets perversd’une centralisation étatique d’associations ouvrières pourl’heure libres et dont les membres exercent, avec succès, unesurveillance vigilante mutuelle : « Supposez que le gouverne-ment intervienne. (...) Il nommera des vérificateurs, des con-trôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombres’interposer entre le besoin et le secours. (...) Les ouvriers neverront plus dans la caisse commune une propriété qu’ils admi-nistrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits.Peu à peu, ils s’accoutumeront à regarder le secours en cas demaladie ou de chômage, non comme provenant d’un fonds li-mité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dettede la Société. Ils n’admettront par pour elle l’impossibilité depayer, et ne seront jamais contents des répartitions. L’État severra contraint de demander sans cesse des subventions aubudget ». Conséquence inéluctable, « les abus iront toujourscroissant, et on en reculera le redressement chaque année,comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour de l’explo-sion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avecune population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attendtout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance ».Condamné à prodiguer d’illusoires promesses, car d’une partaccusé d’impuissance s’il refuse d’assouvir les exigences descitoyens, d’autre part fustigé lorsque pour s’aviser d’y répon-dre il frappe la population de taxes redoublées, l’État démo-cratique se trouve réduit à « user du crédit, c’est-à-dire dévorerl’avenir » – pis-aller éphémère évoquant selon Bastiat « le spec-tre de la banqueroute » – avant de lancer une ultime offensivepour se maintenir et prévenir une révolte qu’il sent sourdre : « ilétouffe l’opinion, il a recours à l’arbitraire, (...) il déclare qu’onne peut administrer qu’à la condition d’être impopulaire ».Un discours prémonitoire ?...

Page 4: Magazine France Pittoresque Specimen 35 Reduit

La France pittoresque – Numéro 354

GARE À L’ASTRE MAL LUNÉ !

LÉGENDES/INSOLITE

De la conception à l’accouchement et en dépit de protestations scientifiquess’élevant dès le XVIe siècle, la lune passe, dans la croyance populaire etdepuis Aristote jusqu’au début du XXe siècle, pour exercer une considérableinfluence sur diverses phases de la génération humaine, fixant notammentle sexe de l’enfant ou déterminant la facilité de sa mise au monde

influence de la luneL’ÉNIGMATIQUE et PUISSANTE

sur la GENT FÉMININE

Dans l’Antiquité, la lune fut tan-tôt associée au soleil pour for-mer un couple divin, tantôt op-posée au roi du jour. Tenant, au

témoignage d’Homère, la femme dans sonétroite dépendance, elle préside au sexeféminin d’après Galien, cette liaison s’ex-pliquant par l’humidité commune à la luneet à la femme pour les Anciens, leurs facul-tés génératrices découlant de cette humi-dité même.

L’astre humide et le sexeféminin intimement liés ?Pline, Plutarque et Macrobe ont prétenduque cet astre produisait de l’humidité etétait la cause active de la dé-composition des corps,le dernier expliquant dela sorte la coutume desnourrices de couvriravec soin les enfantsqu’elles allaitaient lors-qu’elles marchaient sousl’action des rayons lu-naires : elles craignaientque, remplis de l’humi-dité naturelle à leur âge,ils n’en prennent davan-tage par l’influence de lalune, et que par cet ac-croissement d’humidité,leurs membres ne secontournent. Celui quidort longtemps au clairde lune éprouve du ma-laise et ressemble à un

insensé, « parce que la lumière lunaire adilaté et ouvert ses pores par l’humiditéqu’elle a répandue par tout son corps ».Chez les écrivains de la Renaissance, etchez Antoine Mizauld en particulier, la lune« semble soutenir et représenter l’état dela femme dans la génération et la conser-vation des choses de ce bas monde », etles femmes ont avec la lune « une mani-feste sympathie, un consentement, un ac-cord, une harmonie ». Le même reconnaîtque, dans cette liaison de l’astre et du sexeféminin, l’humidité joue un grand rôle : « LaLune a certaine puissance, autorité et pri-vilège sur les femmes et surtout sur lesparties et membres d’icelles qui sont desti-

nez à la génération, formation,garde et nourriture de leurfruit et enfants comme lamatrice ou amarris, lestétins ou mamelles et lesparties qu’on appellehonteuses, naturellementhumides et subjectes àplusieurs défluxions,escoulements etvuidanges », écrit-il en-core dans les Secrets dela Lune en 1571.De toutes les croyancesrelatives aux influenceslunaires, aucune n’étaitaussi générale que celletendant à leur attribuerun rôle dans le phéno-mène mystérieux de lamenstruation et dans les

actes organiques qui en dépendent. Aris-tote affirme que « les fins de mois sontfroides à cause de la disparition de la lune ;et c’est là ce qui fait que les fins de moissont généralement plus agitées et plus re-froidies que leurs milieux. C’est à cette pé-riode que l’excrétion, qui s’est changée ensang, tend à produire les évacuations mens-truelles ». Il ajoute : « Le flux auquel lesfemmes sont sujettes se produit chaquemois. Aussi dit-on, par manière de plaisan-terie, que la lune est un astre femelle, parceque c’est à la même époque que les fem-mes ont leurs évacuations épuratives etque la lune a son décours ; et qu’aprèsl’écoulement et le déclin, les femmes et lalune deviennent pleines de nouveau ».Si au XVIe siècle Mizauld reconnaît quetoutes les femmes n’ont pas leurs règles àla même période, il ne rejette pourtant pasl’influence de la lune en la matière : « lesjeunes, comme par un certain consent etaccord, se purgent communément quandla lune est jeune, c’est-à-dire, quand ellecroist en lumière ; et les autres, selon leuraage proportionné et rapporté à celuy dela lune. Toutefois, je sçay que cela n’a lieuen toutes, et ne peut estre universel, pourles particuliers empeschements qui y peu-vent fournir, et différence des températu-res ». Le grave Ambroise Paré justifie cetteinterprétation : « La lune est une planètequi seigneurie et émue les corps : de làvient que pour la diversité du cours d’icelle,la mer s’enfle, flue et reflue, les os s’em-plissent de moelle, et les planètes d’humi-dité ; parquoi les jeunes, qui ont beaucoupde sang et sont plus fortes et gaillardes,sont aisément émues, voire au premierquartier et croissant de la lune nouvelle ;mais les vieilles, de tant qu’elles ont moinsde sang, requièrent une lune pus forte etvigoureuse ; parquoi ne sont émues à avoirleurs mois, sinon en pleine lune, ou dé-croissante, en laquelle le sang amassé parla plénitude et vigueur de la lune passée,est aisément incité à couler et fluer ».

Une lune participant du fluxmenstruel et du sexe de l’enfant ?Au XVIIIe siècle, Richard Mead, grandchampion de l’influence de la lune, pro-pose et défend, avec succès, la théorie desmarées atmosphériques, et croit pouvoirexpliquer ainsi en 1704 la périodicité despertes menstruelles chez les femmes, ren-contrant cependant de sérieux opposants,parmi lesquels Zimmermann qui écrit en1774 dans son Traité de l’expérience engénéral et en particulier dans l’art deguérir : « Il ne se passe pas de jour sansque quelques femmes aient leurs règles.D’ailleurs, il faudrait que toutes les fem-

La Lune (milieu du XVIe siècle)

( Del’AntiquitéauXXe siècle

)

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Page 5: Magazine France Pittoresque Specimen 35 Reduit

Numéro 35 – La France pittoresque 5

LÉGENDES/INSOLITE

mes eussent leurs règles le même jour, sicette opinion était quelque chose de plusqu’une hypothèse », trouve dans les pha-ses lunaires la cause de l’éruption mens-truelle et de son retour périodique.Nos ancêtres estimaient en général que lesexe de l’enfant à venir dépendait avanttout de la qualité de la semence, la luneagissant puissamment sur celle-ci ; et nousvoyons Salgues devoir combattre encore,au tout début du XIXe siècle, ce préjugé aunom de l’observation scientifique :

« Qu’importe la position d’un astre, quandun homme se livre aux travaux mystérieuxde Lucine ? Si le germe qui doit former leroi de l’univers est mâle, l’aspect de la lunechangera-t-il sa nature ? Et s’il est femelle,le transformera-t-il en mâle ? Le savantchirurgien Mauriceau a réfuté victorieu-sement ce préjugé dans son Traité desMaladies des Femmes grosses. Il a remar-

qué que, de onze femmes qu’il avait ac-couchées le même jour à l’Hôtel-Dieu, cinqeurent des garçons, et les six autres eurentdes filles. Or, toutes ces femmes étaientaccouchées à terme ; elles avaient doncconçu dans le même temps, sous le mêmeaspect, la même position de la lune : ellesdevaient donc mettre au monde onze roisou autant de petites reines de l’univers. Lalune reçut ici un furieux démenti ».

Durée cruciale d’une grossessemesurée en mois lunairesDurant tout le XIXe et même durant le pre-mier quart du XXe siècle, cette croyancepersistait. A cette époque, dans les Vosgeset la Gironde, on pense que si une femmeconçoit en jeune lune, son enfant appar-tiendra au sexe fort, en vieille lune au sexefaible. En Beauce et dans le Bourbonnais,lorsqu’un enfant va naître dans les cornesdu décours, on peut dire à l’avance que cesera un garçon. Mais il y a mieux encore : onpeut déterminer le sexe de l’enfant de la gros-sesse future, si l’on connaît la phase de lalune qui présidait à la naissance du der-nier-né. En Cornouailles, si un enfant naîten lune décroissante, le suivant sera unefille. En Poitou, si la lune ne change pasdans les huit jours qui suivent un accou-chement, l’enfant à venir sera du même sexeque celui qui vient de naître, à moins qu’ilne soit conçu en vieille lune. En Norman-die, en Anjou et en Loire-Atlantique, il suf-fit que la lune ne change pas dans les troisderniers jours. Dans le Morbihan, « s’il n’y

a pas eu de changement de quartier dansles vingt-quatre heures qui ont précédé ousuivi l’heure de la dernière naissance, l’en-fant consécutif sera du même sexe », rap-porte le Dr Fouquet dans Légendes, Con-tes, Chansons populaires du Morbihan.A Saint-Pol (Pas-de-Calais), le distique avaleur de proverbe : « Quand les enfants

viennent en décours, / Le suivant est unefille tout cours ». Le Dr Duprat résume ainsile fondement de cette croyance : « la Nou-velle Lune est considérée empiriquementcomme ayant une influence attractive (diteascensionnelle, hypertrophique, etc.) et elledéterminerait les mâles ; la Pleine Luneaurait au contraire une influence dépres-sive et serait génératrice de femelles ».On comptait jadis le temps de la grossesseen mois lunaires, et la viabilité de l’enfantdépendait surtout de notre satellite, opi-nion remontant aux plus anciens observa-teurs des phénomènes célestes, aux Chal-déens, à qui sans doute elle fut empruntéepar Pythagore et son école. De là elle se pro-pagea parmi les médecins grecs Polybe,Dioclès, etc., et plus tard chez les Arabes.Ainsi, l’enfant était considéré comme nonviable avant le 7e mois ; les 8e et 10e étaientdéfavorables ; les 9e et 11e donnaient à l’en-fant une grande viabilité. Pour Pline, « lesenfants conçus à la veille ou le lendemain dujour de la pleine lune, ou pendant l’interlune,sont les seuls qui naissent au 7e mois ». Pourl’auteur des Erreurs populaires touchantla médecine (1601), « il y a plus de raisonque la lune conduise ce compte [le nombrede mois de la grossesse], plutôt que les autresplanètes puisqu’elle conduit les menstruesdes femmes qui sont la règle de la concep-tion, de la nourriture de l’enfant dedans et endehors de la matrice, en un mot de tout sonavancement. Dont aussi les Anciens ont tou-jours eu recours à la Lune qu’ils appelaientdiversement Diane et Lucine ». Livret po-pulaire qui eut plus de 250 éditions duXVIIe au XIXe siècle, le Grand Albert faitlarge part à l’influence des astres sur le

Être ATTENTIF à la lunepour assurer sa DESCENDANCE

Dans son 28e opuscule, après avoir invoqué Aristote, saint Thomas suppose que la lune possèdela propriété d’exciter l’humeur séminale ; « par l’influence du soleil, elle communique la vie à lasemence qui est en mouvement, et d’un autre côté, par l’influence de Vénus, elle donne à lafaculté génératrice de la semence d’imprimer les formes convenables de l’embryon. De plus, laplanète Mercure tirant un mélange de propriétés de ses évolutions autour des autres planètes,la lune acquiert cette faculté de ses connexions avec cet astre et, par son influence, produit lemélange de la semence de l’homme et de la femme. L’enracinement de cette croyance n’estpas démenti lorsqu’en 1574 Levin Lemne, dans Les Occultes merveilles et secrets de lanature, estime l’action de l’astre fâcheuse lorsque l’homme connaît sa femme « au défaut dela lune et le quatrième jour après qu’elle est nouvelle – qui est lorsque les menstrues coulentaux femmes ». On avait alors coutume de dire en son pays que c’était « pisser contre la lune ».Un autre médecin du même temps, Jean Liébault, l’un des meilleurs savants d’alors, affirmesavoir quels sont les phases et les lieux de la lune favorables à la génération : « à savoir quandla Lune est en l’un de ces trois signes : Cancer, Scorpion et les Poissons ; et encore mieux si laLune est en la cinquième, dixième ou onzième maison du ciel, en l’un de ces trois signes ;outre cela, quand Jupiter et Vénus se regardent d’un aspect trine ou sextile, qui sont aspectsbénins ; les malheureux aspects sont ceux de Saturne et de Mars, les médecins ayant expéri-menté que la Lune a puissance et gouvernement sur les corps humains, et que leurs humeurssont conduites selon le mouvement et cours d’icelle, ont aussi observé que la conjonction dumari avec la femme est toujours infauste, néfaste et malheureuse au déclin de la Lune, ou à laconjonction d’icelle avec le Soleil, c’est-à-dire à la lune nouvelle, mais que ceux qui sontconçus en ce temps naissent, non seulement difformes, mutilés, chétifs, tortus, bossus,contrefaits et maladifs, mais aussi sont stupides, sots, lourdeaux, dépourvus de tous bénéficeset dots de nature, de tous sens et entendement, de tout conseil, sagesse et jugement ; en toutet par tout mutilés, inhabiles entièrement à entreprendre ou conduire quelque bonne affaire,bref si malheureux en toutes leurs actions et entreprises, que rien ne vient à prospère succèsde ce qu’ils attendent ; de là, les Latins ont tiré leur proverbe Quarta luna natus, quand ilsveulent décrire une personne disgraciée en toutes ses actions ».

Influence de la lune sur la têtedes femmes (estampe du XVIIe siècle)

Saturne arrosant les fleurs du soleilet de la lune dans le jardin de l’amour

D’APRÈS... L’astrologie populaire étudiée spécialement dans les doctrines et les traditions relatives à l’influence de la lune paru en 1937SPÉC

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La France pittoresque – Numéro 356

LÉGENDES/INSOLITE

développement du foetus, et prétend quel’âme reçoit, des étoiles et des planètes, sesdiverses qualités : « enfin la lune, qui estl’origine de toutes les vertus naturelles, lafortifie ». De son côté, le corps développeses qualités propres sous les mêmes influen-ces, chaque mois étant dominé par une pla-nète ; « la lune achève le septième mois cequi était commencé par les autres planètes ;car elle remplit de son humidité tous les vi-des qui se rencontrent dans la chair ». EnIslande, si la femme enceinte commettaitl’imprudence de regarder la lune en face,l’enfant qu’elle portait devenait lunatique.

Pour un accouchement facile,une lune favorisant la moiteurLes Anciens croyaient en outre fermementà l’action de la lune sur le travail de l’ac-couchement. Plutarque écrit dans sesSymposiaques : « On dit que la lune faciliteles accouchements quand elle est dans sonplein, et que le relâchement qu’elle procure

aux humeurs rend les douleurs moins vi-ves », cependant qu’un autre passage dumême auteur affirme que « de la lune nousviennent (...) les enfantements faciles ».Selon Varron, « les Latins semblent avoirdonné à la lune le nom de Junon-Lucine parceque, depuis la conception jusqu’à l’accou-chement, la lune aide au développement del’enfant » ; et il ajoute : « Autrefois les fem-mes étaient dans l’usage de consacrer leurssourcils à cette déesse, comme l’offrande laplus agréable pour elle, la partie du corpsqui reçoit la lumière étant naturellement laplus digne de cette divinité ».Pour Mizauld, qui approuve les idéesd’Aristote et de Plutarque, il y a risque sicelles qui accouchent « se trouvent débi-litées, faibles et en dangereuses peines quiproviennent le plus souvent (y exceptantles femmes maladives et la débilitation deleur fruit) par faute d’humidité ou moiteurrequise en telle affaire. Laquelle ne peutêtre provoquée et avancée par la lune ré-

Les Anciens étaient si persuadés que l’épi-lepsie et certaines aliénations dépendentd’une maligne influence de la lune, qu’ilsappelaient lunatiques les malheureux quien étaient frappés. On cite ainsi un grandnombre d’exemples d’accès épileptiqueséclatant particulièrement à la pleine lune ;« je me souviens, dit le médecin anglaisMead, que pendant la dernièreguerre avec la France, j’eusà traiter de cette maladieplusieurs de nos jeu-nes matelots quiavaient contracté lemal dans la frayeurdu combat ou dela tempête. Lapuissance de lalune se faisait tel-lement sentir sureux, qu’il m’étaitfacile de prédire leretour de leurs ac-cès aux approchesde la nouvelle ou dela pleine lune ». Tho-mas Bartholin rapportele cas d’une jeune fille épi-leptique ayant sur le visagedes taches dont la couleur etles dimensions augmentaientou diminuaient selon les diffé-rentes phases lunaires : « telle est l’éten-due de notre correspondance avec les corpscéleste », ajoute notre observateur.Selon Charles Pison, une jeune fille étaitprise, chaque printemps aux environs de lapleine lune, de symptômes hystériques siopiniâtres, qu’ils persistaient durant tout lequartier ; après vingt-quatre heures de mou-vements assez vifs, elle perdait la parole etrestait deux jours entiers dans un étatsoporeux ; c’était ensuite, jusqu’à la fin de

la lunaison, des plaintes continuelles, unléger délire et une agitation sans repos.Mead cite l’exemple d’une fillette de cinqans, atteinte d’un accès de danse de Saint-Guy si effroyable qu’elle resta commemorte. La pleine lune survint quelques joursaprès, et les paroxysmes de la maladiesuivirent si régulièrement les périodes de

cet astre, qu’ils répondaient parfai-tement aux marées ; elle per-

dait toujours la parole et laconnaissance le temps

du flux, ne revenant àelle qu’à l’époque du

reflux, état singulierpersistant 14 jours,jusqu’au temps dela nouvelle lune.La guérison défini-tive fut obtenuepar un cautère et

des purgatifs.Les anciens méde-

cins étaient persua-dés que l’administra-

tion d’un médicamentdevait s’opérer au mo-

ment opportun. Ainsi, pourchasser le ver solitaire, ils ad-

ministraient le remède au pa-tient pendant la lune décrois-sante, parce que le parasite

est alors moins vorace et, conséquemment,oppose moins de résistance. Pour traiter lagale, ils avaient soin de ne donner le soufrequ’à la lune décroissante, alors que le sar-copte est doué de moins d’activité et demoins d’énergie. Aux goîtreux, ils faisaientprendre l’éponge calcinée un peu avant lepremier quartier de la lune, et obtenaientde la sorte de meilleurs résultats.

De l’emprise de la lune surles MALADIES et les MÉDICAMENTS

gente et maîtresse de toutes humidités,pour autant qu’elle-même, pour lors, estempêchée et débilitée. Ce qu’on ne voitguère advenir environ le temps de la pleineLune. Car, lors, elle est féconde en lumière, etpar conséquent en force et vigueur, laquellelibéralement elle communique à son sexe fé-minin, avec un occulte éguillonnement deses eaux et vidanges utérines. Le tout, parune sympathie et harmonie cachées dans lecabinet de dame Nature ». Au XVIIe siècle,Bacon ne semble pas attacher grande im-portance à ces sortes de propos, bien qu’ilaffirme « possible que les enfants et lejeune bétail qui naissent durant la pleinelune soient plus grands et plus vigoureuxque ceux qui naissent durant son déclin ».Guy Patin, grand adversaire des astrolo-gues rassure ainsi son ami, le médecinCharles Spon : « Un peu de soin que vousapporterez à l’éducation de votre petitnouveau-né le garantira des accidents dontvous craignez qu’il soit menacé pour êtrené dans la nouvelle lune ».D’après la tradition populaire, le temps leplus favorable est celui qui correspond à lalune silencieuse ou à l’interlune, à savoirles trois derniers jours et les trois premiersjours du mois lunaire. En Cornouailles, onestimait que l’enfant né entre la vieille et lanouvelle lune n’atteindrait pas la puberté,et l’on disait couramment : pas de lune, pasd’homme. Les paysans du Bourbonnaisjugeaient quant à eux les accouchementsplus faciles en lune croissante qu’en lunedécroissante. Au début du XXe siècle en-core, dans le Morbihan, le garçon né dansle décours ne vivrait pas ; sur le littoral desCôtes-d’Armor et en Basse-Bretagne,c’est la fille qui, en pareil cas, était exposéeà mourir ; en Normandie, en Ille-et-Vilaine,l’enfant, quel que soit son sexe, serait decomplexion faible et demeurerait ainsi savie durant, alors qu’il serait vigoureux pourpeu qu’il fût né dans le croissant ; enBéarn, on disait d’une personne prospèrequ’elle était née quand la lune montait.

Phases de la lune (extrait d’un atlas de 1708)

La lune par le graveurClaude Mellan (XVIIe siècle)

> L’astrologie populaire étudiée spécialement dans les doctrineset les traditions relatives à l’influence de la lune paru en 1937

> Moeurs intimes du passé (11e série) paru en 1935> De la météorologie dans ses rapports avec la science de l’homme etprincipalement avec lamédecine et l’hygiène publique (T. 2) paru en 1854

D’APRÈS...

D’APRÈS...De la météorologie dans ses rapports avec la science de l’homme etprincipalement avec la médecine et l’hygiène publique (T. 2) paru en 1854

ET Moeurs intimes du passé (11e série) paru en 1935

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Numéro 35 – La France pittoresque 7

LIEUX

LES SEPT ATTRIBUTS DU SINGE

Parmi les sobriquets donnés anciennement à plusieurs villes de Picardie,celui de Singes de Chauny a suscité plusieurs explications, la communeétant également connue pour son curieux vacher nommé Tout-le-monde

deCHAUNY à

La confrérie des Trompettes-Jongleurs

L’ORIGINE d’un étrange SOBRIQUET

Une opinion assez généralementaccréditée à Chauny, communede l’Aisne, veut que le sobri-quet de singes vienne de ce

qu’un jour la municipalité, désirant peu-pler de cygnes les pièces d’eau de la ville,demanda à Paris un certain nombre de cesanimaux. Or celui qui fut chargé de cetterequête, soit par distraction, soit par igno-rance, aurait écrit cynges au lieu de cygnesen mettant l’n avant le g, au lieu du g avantl’n, ce qui fit bien le mot cynges, comme onl’orthographiait alors. Les Parisiens en-voyèrent donc une collection de sapajous,cet étrange quiproquo donnant naissanceau sobriquet.Mais c’est une erreur, car au début duXVIIIe siècle, époque où cette aventure seserait produite, le dicton existait déjà de-puis longtemps. Le Dit de l’Apostoile lecite au XIIIe siècle, et Rabelais, écrivant vers1540, nous parle des « basteleurs,treiectaires [faiseurs de tours], etthériacleurs [vendeurs d’orviétan dethériaque, remède alors fort à la mode] », de« leurs gestes, leurs ruses, leurs sobressaulxet beau parler : singulièrement de ceulx deChaunys en Picardie, car ilz sont de naturegrands jaseurs et beaulx bailleurs debaillivernes en manière de cinges verdz ».Boileau de Maulaville en donne une autrepreuve en citant le quatrain suivant, cu-rieuse épigramme sur les singes de Chaunyqu’il a trouvée dans un manuscrit latin duMoyen Age : « Calnia, dulce solum, cuiseptem commoda vitae : / Poma, menus,segetes, linum, pecus, herba, racemus ; /Cujus et indigenis simii sunt propria septem :/ Fraus, amor, ira, jocus, levitas, imitatio, ric-tus », qui se traduit par : « Chauny, richesol, qui possède ces sept biens de la vie :vergers, bois, moissons, lin, troupeaux,prairies et vignes, et dont les habitants pos-sèdent ces sept attributs du singe : ruse,libertinage, colère, joyeuseté, légèreté, es-prit d’imitation, grimaces ».Ainsi, l’épithète de singes donnée auxhabitants de Chauny vient du goûtprononcé qu’ils avaient pour les jeuxpublics, les jongleries, les singeries,et remonte au delà du XIIIe siècle. Dèscette époque, existait en effet àChauny une corporation connuesous le nom de confrérie des Trom-pettes-Jongleurs, dont les membresavaient pour habitude de quitter leursfoyers pendant la belle saison pouraller chercher fortune dans d’autreslieux : ils conduisaient en laisse dessinges et des chiens savants, et les fai-saient danser sous les yeux du public, afind’en obtenir quelques pièces de monnaie.Tous les ans, le 1er octobre, jour de la fête

patronale de Chauny, ils étaient tenus derevenir en cette ville et d’y donner un spec-tacle de danse et de saults que le goût dutemps et un usage immémorial autori-saient alors, nous révèlent les Causes duroi, bailliage de Chauny. Pasquier, dansses Recherches de la France, au chapitredes Chants royaux et Ballades, dit qu’ensa jeunesse il avait vu « les joingleurs setrouver à certain jour, tous les ans, en laville de Chauny en Picardie, pour fairemonstre de leur mestier devant le monde àqui mieux mieux », faisant ainsi allusion auxréjouissances annuelles du premier lundid’octobre qui se déroulaient à Chauny.

Des jongleurs gesticulantet adeptes de singeriesCes jongleurs, précédés de violons, tam-bours, trompettes ou cornets, et autres ins-truments de musique bruyante, commen-çaient leur marche par la porte de Sois-sons, où ils sonnaient de la trompette, fai-

sant de même à la porte des moulins, puis àcelles des boucheries, d’où, après avoir par-couru toute la ville, ils allaient se présenterau lieutenant général du bailliage en chan-

tant, gesticulant, jouant, dansant et faisantfaire des sauts et des gambades à un singeou à un chien qu’ils avaient avec eux. Ilsoffraient à ce lieutenant une tarte ou un pâtéde forme atypique, garni de marrons et dejaunes d’oeufs, surmonté de coqueluchesou cornets sur le couvercle de la tarte, etpour lequel ils percevaient cinq setiers deblé franc-moulu, sur les moulins de Chauny,et un muteau de boeuf sur les boucheries.Quant au proverbe Tout le monde, le Va-cher de Chauny, il s’explique semble-t-ilainsi : il y eut jadis à Chauny un hommeappelé Tout-le-monde, qui conserva long-temps la garde des vaches des habitantsdes faubourgs, cet emploi, peu remarqua-ble ailleurs, étant sans doute plus impor-tant dans cette ville eu égard à la bontédes pâturages et à leur très grande éten-due. Les enfants de Tout-le-monde luiayant succédé dans ce même emploi, onétait si accoutumé à nommer le vacher deChauny Tout-le-monde, que les vachers

qui suivirent jusqu’au XVIIIe sièclefurent ainsi appelés.La légende lui prête une force et unetaille monstrueuse ; on dit qu’il gar-dait les vaches à cheval et donnait duvin à boire dans son cornet d’argent àtous ceux qui le venaient voir par curio-sité ; qu’il fut vacher soixante-dix ans,et vécut cent vingt ans ; qu’il ne perditaucune bête, qu’il fut enterré dans laprairie de Sénicourt, l’un des faubourgsde Chauny, en un lieu appelé le Saint-Camp ou le Camp-Solant ; que les

bêtes n’y paissent pas par respect.

Chauny en 1610

> Dictons et sobriquets populaires des départementsde l’Aisne, de l’Oise et de la Somme paru en 1887

> Mémoires de l’Académie celtique paru en 1812

D’APRÈS...

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La France pittoresque – Numéro 358

DIACRES SAOULS DANS LES ÉGLISES

MOEURS/COUTUMES

Devant semble-t-il son origine au penchant naturel des hommes pour lesspectacles, la fête des Fous ou des diacres saouls se caractérise par l’électiond’un évêque donnant la bénédiction solennelle au peuple, et qui, assistéd’un clergé licencieux, devient le maître d’une extravagante cérémoniemêlant danses, chants et farces obscènes au grand dam de l’Eglise

fête desFOUSCAVALCADES et INDÉCENCES

au menu de la vivace

( DuIVe siècleauXVIIe siècle

)

Les réjouissances marquant la fêtedes Fous et auxquelles les clercs,les diacres et les prêtres mêmes’adonnaient dans plusieurs égli-

ses pendant l’office divin, en certains jours,principalement depuis les fêtes de Noël jus-qu’à l’Epiphanie – d’où l’appellation defête des calendes –, donnaient lieu à descérémonies singulières.

Travestissement et posturesimpudiques des fidèlesOn élisait dans les églises cathédrales unévêque ou un archevêque des fous, son élec-tion étant confirmée par nombre de bouf-fonneries lui servant de sacre ; après quoion le faisait officier pontificalement, jusqu’àdonner la bénédiction publique et solen-nelle au peuple, devant lequel il portait lamitre, le concile de Paris tenu en 1212 men-tionnant qu’un de ces fous prenait une crosseavec les autres ornements épiscopaux. Dansles églises exemptes ou qui relevaient immé-diatement du Saint-Siège, on élisait unpape des fous à qui l’on donnait pareille-ment, et avec grande dérision, les orne-ments de la papauté, afin qu’il pût agir etofficier comme le Saint-Père.Des pontifes et dignitaires de cette es-pèce étaient assistés d’un clergé aussilicencieux. Les prêtres étaient bar-bouillés de lie, masqués ou travestisde la manière la plus folle et la plus ridi-cule ; ils dansaient en entrant dans lechoeur, et y chantaient des chansonsobscènes ; les diacres et les sous-dia-cres mangeaient des saucisses sur

l’autel, devant le célébrant, jouaient sousses yeux aux cartes et aux dés, mettaientdans l’encensoir des morceaux de vieillessavates pour lui en faire respirer l’odeur.Après la messe, chacun courait, sautait etdansait par l’église, avec tant d’impudenceque quelques-uns n’avaient pas honte dese porter à toutes sortes d’indécences, etde se dépouiller entièrement ; ensuite ilsse faisaient traîner par les rues dans destombereaux pleins d’ordures, d’où ils pre-naient plaisir d’en jeter aux personnes quis’assemblaient autour d’eux. Ils prenaientdes postures lascives et faisaient des ges-tes impudiques, plusieurs monuments rap-pelant encore des farces impies, des cré-dences de stalles figurant des moines avecune marotte et des oreilles d’âne.À Vienne en Dauphiné, le 15 décembre, lesplus jeunes clercs de l’église de Saint-Maurice, que nous appelons novices, s’as-semblaient après complies dans la sacris-tie ou dans le chapitre, pour choisir entre

eux un évêque, qu’ils introduisaient en-suite dans le choeur avec la chape et lamitre, en chantant le Te Deum ; ils le fai-saient asseoir sur le trône archiépiscopal,du côté droit, auprès du sanctuaire, et pre-naient les places de ceux du haut choeur,qui descendaient aux stalles basses. Lelendemain, après dîner, on conduisait lejeune évêque en procession générale partoute la ville. L’archevêque de Vienne étaittenu de donner à l’évêque des innocentstrois florins, monnaie de Saint-Maurice,avec une mesure de vin et deux années debois : il recevait aussi une charge de boisde chaque chanoine. Le jour de Saint-Etienne, les diacres du bas choeur faisaientl’office, remplacés le jour de Saint-Jeanl’évangéliste par les prêtres, auxquels suc-cédaient le même jour les clercs et les no-vices. On faisait encore après vêpres uneprocession. La même coutume s’observaità Châlons-sur-Saône.Dans son Histoire de la métropole deReims, dom Marlot présente la fête desFous comme louable au commencement,mais à laquelle succédèrent ensuite desjeux si comiques et si bouffons, que l’onjugea à propos de l’abolir tout à fait, ajou-tant qu’à Reims, la permission de faire cessortes de fêtes avait été accordée par déli-bération du chapitre en 1479, ce dernier sechargeant des frais du festin, à la « condi-tion que les cérémonies se feraient sansfarce, sans bruit d’instruments, et sanscavalcade par la ville. (...) A la requête dePierre Remy, grand archidiacre, il fut faitdéfense aux enfants de porter la mitre, lacrosse et les autres ornements épiscopaux,suivant la pragmatique sanction renouve-lée au concile de Bâle ».

Certaines contrées l’agrémententdu chant et de la prose de l’âneA Dijon, dans l’église de Saint-Etienne, onfaisait une espèce de farce sur un théâtredevant cette église, où l’on récitait toutessortes de sottises, et où l’on rasait la barbedu préchantre des fous. Les vicaires cou-raient par les rues, avec fifres, tambours, et

autres instruments, portant des lanter-nes devant le préchantre. A Sens, la fêtedes Fous était célébrée avec la plusgrande solennité. Au sein de l’officedes fous, figure le triomphe de Bac-chus, avec tous les accessoires de lavendange : le Dieu est debout, barbu,un peu âgé et nu ; près de lui, se trouveson ami Pan ; et son char, traîné par uncentaure et une centauresse, semblesortir du sein des eaux sur lesquelleson voit les divinités de la mer. Vénus,Diane et d’autres dieux du paganisme,sont représentés dans les autresLe roi des Fous à Notre-Dame de Paris

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Numéro 35 – La France pittoresque 9

MOEURS/COUTUMES

feuilles. L’office dujour de cette fête,dans laquelle on ré-pétait cent fois cetteexclamation consa-crée dans les Bac-chanales, Evohe !Evohe ! renferme lesprières les plus sin-gulières et fut com-posé par Pierre deCorbeil, archevêquede Sens mort en1222. Il commençaitpar quatre vers si-gnifiant : « tous lesans la ville de Sens

célèbre, d’après les an-ciens usages, la fête des fous ; ce qui ré-jouit le préchantre ; cependant, tout l’hon-neur doit être pour le Christ, qui nous estet nous sera toujours favorable ».Le chant de la prose de l’âne était l’unedes principales cérémonies de la fête desFous ; elle avait lieu le jour de la Circonci-sion : son objet était d’honorer l’humble etutile animal qui avait assisté à la naissancedu Christ, et l’avait porté sur son dos lorsde son entrée dans Jérusalem. L’église deSens était l’une de celles où cette solen-nité se faisait avec le plus d’appareil. Avantle commencement des vêpres, le clergé se

rendait processionnellement à la porte prin-cipale de l’église, et deux chantres à grossevoix chantaient, dans le ton mineur, cesdeux vers : « Lumière aujourd’hui, lumièrede joie ! À mon avis, quiconque sera tristedevra être éloigné de ces solennités ». Ilscontinuaient sur le même ton les vers sui-vants : « Que tous les sentiments d’enviesoient bannis aujourd’hui ! Loin d’ici toutce qui est triste ! Ceux qui célèbrent la fêtede l’âne ne veulent que de la gaieté ». Deuxchanoines, députés, se rendaient alorsauprès de l’âne, pour le conduire à la table,qui était le lieu où le préchantre lisait l’ordredes cérémonies, et proclamait les noms deceux qui devaient y prendre part. À Beau-vais, le 14 janvier, l’âne portait sur son dos,jusqu’à la porte, une jeune fille, qui figuraitla Vierge Marie tenant le petit Jésus entreses bras. On couvrait le modeste animald’une belle chape, et on le menait au lutrin.

La durée de l’office justified’abreuver âne et « convives »Les matines étaient séparées, ce jour-là,en trois nocturnes ou veilles : la longueurdes nuits rendait la chose facile ; etd’ailleurs cet usage donnait un caractèreplus singulier et plus particulier à cette fête.A chaque nocturne, on faisait une invita-tion. Du reste, l’office entier était une véri-table rhapsodie de tout ce qui se chantait

pendant le cours de l’année. On y retrou-vait les pièces des autres offices, cellesdes fêtes des saints, des mystères, leschants de Pâques, ceux du carême, des frag-ments de psaumes : les morceaux tristesse mêlaient aux joyeux. L’office devait du-rer deux fois plus longtemps que ceux desplus grandes fêtes : il était bien nécessaireque chantres et assistants se désaltéras-sent ; aussi n’y manquaient-ils pas, ce ra-fraîchissement étant même indiqué par unarticle intitulé Conductus ad poculum.Dans les intervalles des leçons, on faisaitmanger et boire l’âne ; enfin, après les troisnocturnes, on le menait dans la nef, oùtout le peuple, mêlé au clergé, dansaitautour de lui, ou tâchait d’imiter son chant.La danse achevée, on le reconduisait auchoeur, où le clergé terminait la fête. Pen-dant que l’on conduisait l’âne, on chantaitle morceau suivant intitulé Conductus adludos, narrant la naissance de Jésus « quiefface les péchés du monde ». À Sens, aprèsles premières vêpres et les complies, lepréchantre conduisait alors dans les rues labande joyeuse, précédée d’une énorme lan-terne : on allait au grand théâtre dressé de-vant l’église ; on y répétait les farces les plusindécentes. Au chant et à la danse succé-daient des seaux d’eau que l’on jetait sur latête du préchantre. On rentrait pour les mati-nes, où quelques hommes nus recevaientégalement plusieurs seaux d’eau sur le corps.Après vêpres on allait se mettre à table.Si ces fêtes se déroulaient initialement avecassez de simplicité, s’il ne s’y passait rienqui fût contre la bienséance, il s’y mêlabientôt beaucoup d’abus, principalementaux fêtes de la Circoncision et de l’Epipha-nie. Outre les extravagances auxquelles onassistait ces deux jours-là, on prenait de forceun homme, on le mettait sur un gril puis leportait ainsi dans les rues, en chantant descouplets obscènes et satiriques n’épargnantpas les ecclésiastiques. Si celui qui avait

été ainsi enlevé refusait de servir de jouet,il était injurié, battu, et contraint de payerune somme ou de fournir une justificationpour se rédimer de cette vexation. L’Eglise

L’extravagante FÊTE DES FOUSà la mode PROVENÇALE

Ce n’était pas seulement dans les cathé-drales et dans les collégiales que se dé-roulait la fête des Fous ; cette impiété pas-sait jusque dans les monastères des moi-nes et des religieuses. Dans une lettre deMathurin de Neuré adressée en 1645 à sonami philosophe Gassendi, invective véhé-mente contre certaines pratiques de reli-gion qu’il considère comme abusives etreproche aux Provençaux, le Chartreux s’ex-prime ainsi, à propos de la fête des Fousse déroulant à Antibes : « Jamais les païensn’ont solennisé avec tant d’extravaganceleurs fêtes pleines de superstitions et d’er-reurs, que l’on solennise la fête des Inno-cents à Antibes, chez les Cordeliers. Ni lesreligieux prêtres, ni les gardiens ne vontpoint au choeur ce jour-là ; les frères laï-ques, les frères coupe-choux, qui vont à laquête, ceux qui travaillent à la cuisine, lesmarmitons, ceux qui font le jardin, occu-pent leurs places dans l’église et disentqu’ils font l’office convenable à une tellefête lorsqu’ils font les fous et les furieux, etqu’ils le sont en effet ».Selon Neuré, les cérémonies avec lesquel-les on célèbre cette fête sont aussi imperti-nentes et aussi folles qu’on faisait autre-fois la cérémonie des faux dieux. Et depoursuivre : « Ils se revêtent d’ornementssacerdotaux, mais tout déchirés, s’ils en

trouvent, et tournés à l’envers ; ils tiennentdans leurs mains des livres renversés et àrebours, où ils font semblant de lire avecdes lunettes dont ils ont ôté les verres, etauxquelles ils ont agencé des écorcesd’orange, ce qui les rend si difformes et siépouvantables, qu’il faut l’avoir vu pour lecroire, surtout après qu’ayant soufflé dansles encensoirs qu’ils tiennent en leurs mainset qu’ils remuent par dérision, ils se sontfait voler de la cendre au visage, et s’ensont couvert la tête les uns des autres.Dans cet équipage, ils ne chantent ni deshymnes, ni des psaumes, ni des messes àl’ordinaire, mais ils marmottent certainsmots confus, et poussent des cris aussi fous,aussi désagréables et aussi discordantsque ceux d’une troupe de pourceaux quigrondent ; de sorte que les bêtes brutesne feraient pas moins bien qu’eux l’officede ce jour ; car il vaudrait mieux en effetamener des bêtes brutes dans l’églisepour louer leur Créateur à leur manière,et ce serait assurément une plus saintepratique d’en user ainsi, que d’y souffrirces sortes de gens qui, se moquant de Dieuen voulant chanter ses louanges, sont plusfous et plus insensés que les animaux lesplus insensés et les plus fous ».

Réjouissances lors de la fête des Fous

D’APRÈS... Cérémonies et coutumes religieusesde tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809

Fête des Fousdans une église

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La France pittoresque – Numéro 3510

MOEURS/COUTUMES

n’approuva jamais cette fête qui, recevantdes modifications dans les diverses con-trées où elle était célébrée, prit différentsnoms en raison de quelques cérémoniesbizarres qui y furent ajoutées ; ainsi onl’appelait la fête des Sous-diacres (fête desdiacres saouls selon Ducange, par allu-sion à la débauche des diacres qui s’y aban-donnaient aux excès du vin), desCornards, des Innocents. Les évêques fi-rent leur possible pour l’abolir, ordonnantdes prières publiques, des processions etdes jeûnes à cette occasion, ainsi qu’onpeut le voir dans le concile de Tolède tenuen 633. Longtemps auparavant, saintAugustin avait commandé qu’on châtiâtrigoureusement ceux qui seraient convain-cus de cette impiété ; et depuis ce temps-là, les conciles, les papes et les évêquess’appliquèrent à détruire entièrement cesdésordres.

Une suppression de la fête quise profile au fil des concilesSelon Beleth, docteur en théologie de lafaculté de Paris qui vivait à la fin du XIIe

siècle et fait mention de quatre danses, ilétait des églises de certains diocèses oùles évêques et archevêques, après la fêtede Noël, jouaient aux dés, à la paume, à laboule et aux autres jeux ; dansaient et sau-taient avec leur clergé, dans les monastè-res, dans les maisons épiscopales, et oùce divertissement s’appelait la liberté dedécembre. Maurice, évêque de Paris, quimourut vers 1196, avait travaillé à détruireces folles superstitions ; mais il n’y putréussir, et un acte de 1245 tiré des archivesdu chapitre de Sens, nous apprend qu’àcette époque, Odon, évêque de cetteéglise, prohiba les travestissements et ré-prima quelques-unes des dissolutions ac-compagnant toujours cette fête. Les dé-sordres furent notamment prohibés en1385 en vertu d’une bulle donnée par lepape Clément VI, sous peine d’excommu-nication encourue ipso facto et dont onne pouvait être relevé qu’après une répa-ration suffisante de l’injure et du dommage.Cependant, une circulaire que l’universitéde Paris écrivit aux prélats et aux églises

de France en 1444, porte que dans letemps même de la « célébration de l’of-fice divin », les ecclésiastiques y parais-saient les uns avec des masques d’unefigure monstrueuse, les autres en habitde femmes, de gens insensés et d’his-trions, et confirme qu’ils faisaient l’of-fice et y assistaient en habits séculiers,qu’ils dansaient dans le choeur et ychantaient des chansons dissolues,qu’ils y mangeaient jusque sur l’autel, ycouraient et dansaient sans aucune

honte.Les actes des conciles qui se tinrent à lafin du XVe siècle ne parlent encore que desabus qu’il fallait en retrancher. Il y est sti-pulé que tous ceux à qui il est prescrit d’as-sister à l’office de la Circoncision doiventêtre vêtus d’une manière convenable à leurdignité ecclésiastique, et chanter le plusmélodieusement qu’ils pourront, sans dis-sonance ; que chacun doit remplir son de-voir sans être troublé et avec décence, sur-tout dans l’église ; qu’aux vêpres on nejettera sur le préchantre des fous que troisseaux d’eau au plus ; qu’on ne doit pointconduire des hommes nus le lendemain deNoël ; mais qu’il faut seulement les menerau puits du cloître, et ne jeter sur eux qu’unseau d’eau, sansleur faire de mal ;que tous les con-trevenants en-courront la peinede suspension. Ilest cependantpermis aux fous defaire hors del’église toutes lesautres cérémo-nies d’usage,pourvu qu’il n’enarrive aucune in-jure ni aucun dom-mage à personne.En 1511, nous voyons en-core un préchantre des fous, nommé Bissard,se permettre de faire tondre la barbe et dejouer quelque personnage dans la fête de laCirconcision ; car cela lui avait été défendu,parlant à sa personne, et la fête des Fousn’eut pas lieu cette année. Malgré la cen-sure de la Sorbonne, ces réjouissancessubsistèrent encore quelque temps, despermissions étant parfois accordées pourleur tenue, avec des contraintes tendanttoujours à en diminuer l’indécence. Maiscette fête ne cessa réellement pas avant lafin du XVIe siècle.

DIACRES SAOULS

Assauts répétés deL’EGLISE contre les

Tenu en 1404, le synode de Langres défendsous peine d’excommunication et de dix li-vres tournois d’amende, non seulement auxecclésiastiques, mais encore à tous les fidè-les, de jouer aux jeux déshonnêtes qu’on acoutume de faire en certaines églises à lafête des Fous. Le concile de Bâle s’expliquasur ces réjouissances par un décret de 1435 :« Il y a un indigne abus qui se pratique dansquelques églises, et qui est, qu’en certainesfêtes de l’année, quelques-uns se revêtantd’habits pontificaux avec la mitre et la crosse,donnent la bénédiction, comme font les évê-ques. D’autres s’habillent en rois et en ducs ;et c’est ce qu’on appelle en quelques provin-ces, la Fête des Fous, des Innocents ou desEnfants. D’autres se masquent et représen-tent des jeux de théâtre ; d’autres enfin, pardes danses d’hommes et de femmes, atti-rent les spectateurs, et les portent à des risdissolus ». Détestant ces désordres, ce con-cile enjoignit, tant aux ordinaires qu’aux doyenset aux recteurs des églises, sous peine desuspension de tous leurs revenus ecclésiasti-ques durant trois mois, de ne plus permettreà l’avenir qu’on fasse ces jeux et ces badine-ries, ni dans l’église, qui doit être une maisonde prière, ni dans le cimetière ; et de n’êtrepas négligents à punir par les censures ecclé-siastiques et par les autres peines du droit,ceux qui contreviendront à cette ordonnance.

Le concile provincial deRouen tenu en 1445 sti-pule : « Afin que le Créa-teur soit servi honnê-tement et saintement,ce saint concile défendde faire dans les égli-ses ni dans les cimetiè-res, les jeux vulgaire-ment appelés des Fous,où l’on porte des mas-ques, et où il se prati-que quantité de chosesindécentes », les quali-fiant de « contraires àl’honnêteté cléricale ».En 1456, le concile pro-vincial de Reims tenu àSoissons, « enjoint d’ex-terminer entièrementde toutes les églises et

de tous les monastères de reli-gieux et religieuses de cette

province, cet infâme abus qui s’y était intro-duit, et qui avait déjà été condamné par leconcile de Bourges ; défend d’y faire des mas-carades, des jeux de théâtre, des danses, destrafics, et autres choses qui troublent le ser-vice divin, ou qui blessent l’honneur des saintslieux ». Quant au concile provincial de Sens tenuà Paris en 1528, il défend aux farceurs et auxbouffons d’entrer dans les églises pour y jouerdu tambour, de la harpe, ou de quelque autreinstrument de musique ; et d’en jouer effec-tivement, soit dans les églises, soit dans leslieux voisins des églises. Il défend ensuite defaire à l’avenir la fête des Fous. En vain, car lesynode de Chartres de l’an 1575 doit renou-veler le décret du concile de Bâle « qui bannitdes églises les spectacles profanes, de crainteque Dieu ne soit offensé dans les lieux où l’ondoit implorer sa miséricorde, et lui demanderpardon des péchés que l’on a commis contrelui ».

Réjouissances après l’office

Manifestation contre l’abolitionde la fête des Fous de Nîmes

> Des comédiens et du clergé paru en 1825> Cérémonies et coutumes religieusesde tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809

> Collection des meilleurs dissertations, notices et traitésparticuliers relatifs à l’Histoire de France (T. 9) paru en 1838

> La Revue philosophique, littéraire et politique paru en 1807

D’APRÈS...

D’APRÈS... Cérémonies et coutumes religieusesde tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809

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Numéro 35 – La France pittoresque 11

Éclatant suite au monopole accordé à une régie de transport détenue pardes personnages liés au pouvoir, la grève des gagne-deniers remportel’adhésion d’un peuple observant que dans le désarroi de la fortune de laFrance, celle des familles en faveur à la cour continue à s’affermir

UN AVANT-GOÛT DE RÉVOLUTION

1786 : la contrariante GRÈVE des

GAGNE-DENIERS

ÉVÉNEMENTS

muselée par le gouvernement

( XVIe siècleXVIIe siècleXVIIIe siècleXIXe siècle

)

Indispensables à la vie de la capitale etpourtant isolés, faibles, mal organiséscar n’ayant ni apprentis, ni compa-gnons, ni maîtres, ni syndics, les ga-

gne-deniers, dont l’existence légale avaitété implicitement reconnue par nombre d’ar-rêts de police – dont l’ordonnance du9 avril 1746 qui stipulait qu’ils devaient êtreinscrits aux bureaux de la police et porter àla boutonnière une plaque numérotée –,chargeaient et déchargeaient les voituresd’approvisionnement sur les ports et auxhalles, s’occupaient aux déménagements,au transport des colis et lettres des parti-culiers dans l’intérieur de Paris, faisaientles commissions, aidaient au déplacementdes lourds objets.

Les gagne-deniers s’insurgentavec violence contre la collusionMais le 28 décembre 1785, on vit pour lapremière fois dans les rues de Paris circu-ler des petites voitures en forme de four-gon, peintes en rouge et conduites par deuxhommes du plus pittoresque costume :veste verte à parements et collet rouge, cu-lotte de matelot, grise, chapeau ciré et ra-battu ; sur la poitrine, une plaque de métalaux armes du roi. Le même jour parut uneordonnance, annexée au Journal de Paris,expliquant que ces voitures étaient « desti-nées à transporter toutes sortes de paquetsgros ou petits d’un quartier dans un autre,pourquoi elles faisaient leur ronde quatrefois le jour dans chaque district ». Le mo-nopole de ce systèmede transport, dont onattendait de conforta-bles bénéfices, avait étéaccordé à une puis-sante compagnie recon-nue, installée par le gou-vernement et dans la-quelle, on le devinait, degrands personnagesavaient des intérêts.Protestant immédiate-ment, les gagne-de-niers non seulementattaquèrent les con-ducteurs des voituresde la nouvelle régie quine purent plus circulerqu’escortés de plusieurs soldats de lagarde de Paris, mais déclarèrent dans lemême temps la grève, cessant, ce qui étaitfort gênant pour l’alimentation de Paris,de charger et décharger sur les ports etaux halles comme de livrer la marchandise.Mais pour des sujets accablés d’impôts etlivrés à tous les hasards d’une administra-tion d’aventures, cette révolte mettait à nules expédients auxquels les finances du

régime étaient réduites tant pour subsisterque pour alimenter des favoris qui, par leurcortège de luxe, donnaient encore une illu-sion de solidité au gouvernement du roi. Iln’en fallait pas tant pour que la cause desgagne-deniers suscitât immédiatement del’intérêt : le public prit d’autant plus facile-ment fait et cause pour eux que ces voitu-res rouges qu’on voulait lui imposer fai-saient double emploi avec la fonction des

gagne-deniers, sans of-frir d’avantages nou-veaux. De suite le bruitcourut que le gouverne-ment avait déjà touchésur l’entreprise 90 000livres, et on citait touthaut les noms de ceuxau profit de qui avait étéinstitué ce privilège : lesPolignac, « qui jouis-saient à la cour dans lemoment actuel du plusgrand crédit, M. le ba-ron de Breteuil, ministredu département de Pa-ris, etc. », écrit Siméon-Prosper Hardy dans

Mes loisirs ou Journal d’événements telsqu’ils parviennent à ma connaissance.Les choses se seraient peut-être bornéesà quelques chansons, quelques paradeset une désertion du travail relativementcalme, lorsqu’au matin du 2 janvier 1786,un gagne-denier nommé Maréchal, avided’en découdre avec le premier conducteurde la nouvelle régie qu’il rencontrerait, futarrêté suite à la bagarre qu’il initia et qui

exigea l’intervention de deux escouadesdu guet de la garde de Paris. L’après-midimême, une foule de gagne-deniers mani-festait ouvertement son intention de tirerson camarade des mains de la police, etpénétrait dans la cour du commissariat.

La police de Paris tente de ruinerla tentative de rassemblementEn dépit de la sévérité de la justice quel’on pouvait redouter pour les fauteurs detrouble, on apprit le 5 janvier que ceux quiavaient été arrêtés lors de ce soulèvementgénéral, « après interrogatoire, venaientd’obtenir le préau, ce qui semblait annon-cer qu’ils ne seraient pas traités aussi ri-goureusement qu’on l’avait appréhendéd’abord », nous révèle encore Hardy. Maisl’accalmie qui suivit cette nouvelle ne futque très superficielle. Les gagne-deniers,décidés à lutter pour leur survie, se concer-taient simplement. Le 10, dans la journée,un indicateur de police déguisé en maçonet qui flânait vers le marché Daguesseau,entendant un homme engager les gagne-deniers à se réunir le lendemain de grandmatin à un endroit convenu pour porterun mémoire à Versailles, permit au lieute-nant général de police Thiroux-Decrosnede déjouer le projet : le chevalier Dubois,commandant du guet à pied et à cheval,chargé d’endiguer l’émeute attendue, dépê-cha place Louis XV (actuelle place de la Con-corde) et dès six heures toute la police deParis, assisté du guet. Mais si ces forces dis-persèrent bien quelques rassemblements enroute vers le rendez-vous, la foule devint deplus en plus dense, de plus en plus puis-

Louis Le Tonnelier de Breteuil,ministre de Paris (1783-1788)

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sante. Tous les faubourgs déversaient leurpeuple de miséreux vers le centre, les gagne-deniers tentant de détourner les porteursd’eau et de les entraîner à leur suite.L’impressionnant déploiement de troupesfut vain ; les gagne-deniers, au nombre desept à huit cents, se mirent en route pourVersailles, en vue d’en appeler au roicomme à un arbitre équitable et à un sou-verain tutélaire. Les chroniques du tempsnous apprennent que bientôt les premiersarrivent à Sèvres, près de la grille du parcde Saint-Cloud, courant à perdre haleine,comme poursuivis, stupéfaits, peut-être,de leur hardiesse, une fouleénorme marchant assezloin derrière eux. Les of-ficiers de la maréchaus-sée, qui s’avancent etparlementent avec eux,ont reçu des ordres pré-cis leur recommandantla douceur, la modéra-tion, de tout faire et toutsupporter pour éviterune effusion de sang.Ils décident les gagne-deniers à députer 12d’entre eux à Versaillesavec le placet qu’ils veu-lent remettre au roi. Maisà peine cette premièrebande calmée et con-vaincue a-t-elle repris le

chemin de Paris qu’une seconde colonneplus nombreuse et plus excitée se rue surla maréchaussée et la déborde. La troupeest forcée de se retirer et ouvre la route dupalais.

Un pouvoir « organisant » lasédition pour mieux l’endiguerCependant, quelques cavaliers gagnentVersailles et donnent l’alarme. Les gardesfrançaises et suisses prennent immédiate-ment position dans les avenues. Les ga-gne-deniers arrivent, et on parlemente denouveau ; les officiers, « du ton le plus

imposant, quoiqu’en mêmetemps le plus modéré etle plus honnête, étaientparvenus à leur persua-der qu’ils ne pourraientvoir le roi ni parler à SaMajesté qui était à lachasse, d’où elle ne re-viendrait pas de sitôt ».On décide alors d’uncommun accord que 24gagne-deniers seront ad-mis à la grille du château,12 à la première cour, jus-qu’à la deuxième grille, et6 seulement, porteursd’un mémoire, seront ad-mis dans la galerie. Cesderniers attendent troisheures et, quand ils sont

convaincus que le roi est absent, se déci-dent à laisser leur placet entre les mainsd’un officier des gardes du corps, qui leremettra au premier gentilhomme de lachambre, lequel le fera passer sous les yeuxdu roi. La foule reprend la route de Paris enpromettant de revenir si satisfaction n’est

pas obtenue le mercredi 18.La police opéra quelques arrestations, etle 19 janvier, vers midi, en vertu d’un arrêtrendu en chambre criminelle du Parlement,Blaise Chancel, gagne-denier de la placeCambrai, Jean Taillaud, brocanteur de laMontagne-Sainte-Geneviève, « sont con-duits avec la plus nombreuse escorte desoldats de la compagnie de robe courte,soutenus de plusieurs brigades du guet àcheval, (...) ayant chacun un écriteau de-vant et derrière portant ces mots : Violent etrebelle envers la garde », rapporte Hardy,pour demeurer attachés place Maubert aucarcan depuis midi jusqu’à deux heures àdes poteaux qu’on avait eu la précautiond’y faire planter dès sept heures du matin.Le vendredi, ils subirent une nouvelle ex-position « dans la place des hale » et lesamedi place de Grève. Ils furent ensuitebannis pour neuf ans de la ville, prévôté etvicomté de Paris, interdits de séjour et con-damnés chacun à 3 livres d’amende. L’opi-nion publique ne les abandonna point ;pendant qu’ils étaient exposés au carcan,la foule, émue, fit une collecte en leur fa-veur. Le premier jour, place Maubert, onrecueillit 48 livres, 236 le troisième jour, surla place de Grève. Quant aux premiers ac-teurs du mouvement, Antoine Clément, ditMaréchal, François Chassaint et JacquesCissac, les gagne-deniers qui avaient pa-rié d’insulter les « suppôts de la nouvellerégie », ils furent mandés dans la chambrepour y être admonestés, « étant deboutderrière le barreau », et condamnés cha-cun à 3 livres d’amende.Les petites voitures rouges continuèrentà circuler, sous escorte, pendant quelquetemps. Pratiquement, la grève des gagne-deniers n’avait eu aucun résultat.

ÉVÉNEMENTS

On pouvait croire, après l’arrestation de Maréchal le 2 janvier 1786, que le mouvement degrogne avait vécu, quand soudain vers trois heures, la rue des Noyers, sur un mot d’ordre partid’on ne sait où, est envahie par une foule de gagne-deniers qui bientôt, dans un tumulteeffrayant de chants violents, de cris exaspérés, de vociférations menaçantes, pénètrentdans la cour du commissariat en vue de libérer leur confrère. Ils sont d’abord 200 manifes-tants ; une voiture de bois passe, ils l’arrêtent, la pillent et à coups de bûches attaquent leposte qui n’est pas en nombre. L’un d’eux même, armé de ses crochets professionnels,frappe un soldat à la tête. Cependant, le nombre des émeutiers s’augmente de tout unpeuple descendu du faubourg Saint-Marcel et qui presse de plus en plus la garde du poste.Railleries et coups tombent à la fois sur les soldats qu’on essaye de désarmer. Quelquesfusils sont cassés à coups de bâton. Une escouade de 200 hommes du guet, baïonnette aufusil, arrive en courant et, maltraitant les grévistes, les repousse hors de la rue des Noyersqu’elle occupe, ne laissant plus passer que les voitures. Cinq des manifestants sont restésaux mains de la police.Vers quatre heures et demie du soir, Pierre Clément, âgé de 33 ans, caissier du sieurGermain, receveur des impositions royales, sort de son bureau, rue Saint-Jacques, et veutentrer dans la rue des Noyers. Pris pour un commis de la nouvelle régie, il est immédiate-ment assailli par un groupe de gagne-deniers armés de bâtons et ne doit son salut qu’à« une femme herboriste qui tient une petite boutique au coin de la rue des Noyers » et luidonne retraite, mentionnent les archives du commissaires Dupuy. Vers six heures etdemie, on décide d’écrouer les mutins au Châtelet, sans omettre de prendre de grandesprécautions. On barre complètement la rue des Noyers, on ne laisse plus passer que les person-nes « bien vêtues », celles qui peuvent justifier qu’elles y demeurent ou y ont des affaires. Puisles coupables sortent du commissariat, liés, garrottés, escortés chacun de trois soldats de front,entourés d’une brigade du guet à cheval, d’un fort piquet de soldats à pied, baïonnette au canon.Des cavaliers ouvrent le cortège et font arrêter les voitures, et ce sont ainsi 200 hommes quiaccompagnent les prisonniers.Tandis que les grévistes arrêtés sont conduits au Châtelet, 500 de leurs camarades se portentvers le quai et le pont de la Tournelle, pensant que l’on dirige les captifs sur la Force. Lorsqu’ilsprennent conscience de leur erreur, ils se dirigent vers la rue des Noyers, un infernal tapage seprolongeant assez tard dans la soirée.

L’ARRESTATION d’un gagne-denierssigne le début des HOSTILITÉS

Place Louis XV au XVIIIe siècle

La duchesse de Polignac,personnage influent de la cour

> Revue historique paru en 1910D’APRÈS...

D’APRÈS... Revue historique paru en 1910

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Numéro 35 – La France pittoresque 13

Plumes de pigeons voyageursportant les timbres du point de départ

l’extérieur, mais encore celle d’en recevoirde la province, assurant la communicationpermanente de la capitale avec l’intérieurdu pays en dépit de l’investissement alle-mand, de la destruction des voies ferréeset des lignes télégraphiques.

Une façon très efficace derétablir les communicationsAu commencement du siège, 800 pigeonsprovenant de diverses villes du Nordétaient déjà internés dans Paris ; cepen-dant, soit oubli, soit inadvertance, onn’avait pas réquisitionné les oiseaux ap-partenant aux Sociétés colombophiles dela capitale, de sorte que la moitié seule-ment du programme des colombophiles putêtre rempli : Paris fut bien en état de don-ner de ses nouvelles à la province, mais illui fut impossible ou difficile d’en recevoir

de l’extérieur. Le 23 septembre 1870 se pré-senta l’occasion de combler cette lacune,lorsqu’un certain Van Roosebecke, vice-président de la Société colombophile l’Es-pérance, eut l’idée, en voyant l’aérostatle Neptune s’élever à Paris pour se dirigerau delà des lignes allemandes, d’utiliser

FAUNE/FLORE( Del’AntiquitéauXIXe siècle

)

LA DÉFENSE FRANÇAISE JOUE À PIGEON VOLE

Déjà employé par les Egyptiens, le pigeon voyageur messager tarde às’imposer en Europe, et connaît son heure de gloire lorsque Paris, assiégéepar les Allemands, peut ainsi communiquer avec le reste du pays en 1870

PIGEONS voyageurs

Le siège de Paris révèleles précieuses aptitudes des

Si les princes de la IVe dynastieégyptienne (2500 ans av. J.-C.) uti-lisaient des pigeons messagerspour leur correspondance, cet

oiseau paraît n’avoir été possédé par lesGrecs qu’un peu après la période d’Homère(fin du VIIIe siècle av. J.-C.), et les Hellènesn’avaient pas vu d’individus à plumage blancjusqu’au Ve siècle avant notre ère ; ces indi-vidus blancs venant vraisemblablement dePerse. Le même pays passe pour avoir donnéle pigeon à l’Egypte, mais à une époque plusreculée, car dès le temps d’Aristote (IVe siè-cle av. J.-C.) l’animal était devenu un desoiseaux les plus communément et les plushabilement cultivés dans la plaine du Nil.En 1125, les Vénitiens ayant mis le siègedevant Tyr, avaient eu connaissance de laposte par pigeons voyageurs et avaient suretourner contre leurs adversaires le sys-tème de correspondance usité par ces der-niers, en capturant l’un de ces oiseaux et ensubstituant le message dont il était porteurpar un autre. En 1167, le sultan Nour-Eddinréorganisa le service des pigeons messa-gers et unit ainsi Bagdad aux principalesvilles de son empire, et le calife Achmedétendait l’organisation jusqu’à la Syrie ; leréseau fonctionnait pleinement en 1249quand le roi Saint-Louis débarqua devantDamiette, et Joinville rapporte que l’arrivéedu roi de France fut annoncée « par troisfoys, par coulons messagiers ». Pourtant, àcette date encore, le pigeon voyageur paraîtavoir été complètement ignoré en Europe ;cependant qu’au siècle suivant, on le voitcommunément employé pour les usages dela guerre. Mais en dépit des services ren-dus, on ne les voit utilisés dans aucuneguerre des XVIIe et XVIIIe siècles.L’oiseau messager connut de nouveau sonheure de gloire en France durant le siègede Paris. Fin août 1870, diverses person-nes adonnées à la colombophilie, infor-mées par les journaux de la marchedes armées allemandes sur la capi-tale et de la possibilité d’un siège,informèrent le ministre de la Guerre des ser-vices qu’on pouvait attendre des pigeonsvoyageurs, et arguant de son usage pourla poste en Belgique, prônèrentles mesures suivantes : 1° Réqui-sitionner, moyennant indemnité, tous lespigeons voyageurs détenus par les Socié-tés colombophiles de la capitale ; 2° Fairesortir de Paris ces messagers avant l’arri-vée des Allemands ; 3° Réquisitionner àLille et à Roubaix tous les pigeons desSociétés colombophiles de ces deux vil-les ; 4° Transporter ces oiseaux à Parisavant l’arrivée des Allemands. Ainsi, onse donnerait non seulement la possibilitépour Paris d’envoyer de ses nouvelles à

un ballon emportant un sac de dépêchespour y glisser également une cage conte-nant quelques pigeons voyageurs nésdans les colombiers de la capitale : où quetombât l’aéronaute, pourvu que ce fût endehors des lignes ennemis, il lui serait fa-cile de faire passer ces pigeons au siègedu gouvernement de la Défense, et là, onn’aurait plus qu’à les conserver pour leslâcher suivant les besoins.Le premier essai eut lieu le 25 septembre, leballon la Ville-de-Florence emportant troispigeons ; six heures plus tard, Paris savaitque l’aéronaute Mangin avait atterri àVernouillet et partait pour Tours avec lesdépêches officielles. D’autres tentatives,pourtant fructueuses, ne donnèrent pas sa-tisfaction à Van Roosebecke, qui estimaitqu’à l’aide d’un lâcher des pigeons correc-tement effectué, Paris pouvait être journel-lement au courant de ce qui se passait en

province. Plusieurs colombophiles par-tageant cet avis, s’associèrent à luipour obtenir du gouvernementl’autorisation de convoyer en per-

sonne leurs pigeons en province: du 12 octobre au 18 novembre,

ils quittèrent eux-mêmes la capi-tale en ballon, emportant chacun un

nombre suffisant de messagers pour don-ner à la correspondance le caractère decontinuité et de régularité qui lui manquait.Grâce aux pigeons voyageurs, Paris assié-gée put recevoir 115 000 dépêches officielleset 1 million de dépêches privées ou de man-dats-poste photo-microscopiques, c’est-à-dire en moyenne de quatre à cinq lettres parfamille pour la période du siège.

> Le Mois littéraire et pittoresque paru en 1909D’APRÈS...

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La France pittoresque – Numéro 3514

VOUS AVEZ DIT BIZARRE ?

pourvoyeur d’EAULE GAROÉ ou arbre saint

dans la cité de LIMESLa foire des FÉES

Conjurer LA FATTURA ou « mauvais-oeil »

Attirant spécialement l’attention des sa-vants, l’île de Fer (Canaries) fut long-temps le point d’où les géographes comp-tèrent la longitude, Louis XIII érigeant en1634 cette coutume en loi, laquelle futsuivie par l’Europe jusqu’au début du XIXe

siècle. La plus ancienne description decette île fut consignée par Jean de Bé-thencourt en 1402 : « Le païs est haut etassez plein, garny de grands bocagesde pins et de lauriers portant meures sigrosses et si longues que merveilles, etsont les terres bonnes pour labourer bled,vin et toutes autres choses. On y trouvemaints autres arbres portant fruicts dediverses conditions ».Il existait au sein de cette île avant qu’ilne fût détruit par un ouragan en 1625, unarbre appelé garoé ou encore arbre saint,que plusieurs écrivains mal informés onttraité de « fabuleux ». Selon Abreu Galindo,historien des Canaries, son tronc avait6 mètres de hauteur, et sa tête, ronde,près de 60 mètres de circonférence ; lefeuillage en était fort touffu, consistant,poli, ne tombant point, et toujours vert,comme celui du laurier, mais plus grand.Du côté du nord, on avait élevé deuxgrands bassins, de 40 mètres de sur-face et de 6 mètres de profondeur, afinque l’eau tombant de l’arbre y fût rete-nue. Le même historien, écrivant au dé-but du XVIIe siècle, explique qu’ « il ar-rive souvent, et sur le matin, qu’il s’élèvede la terre, non loin de la vallée, desvapeurs et des nuages, qui sont portéspar les vents d’est, fréquents en ces pa-rages, contre les grands rochers qui sem-blent destinés à les arrêter ; ces vapeurss’amoncellent sur l’arbre et s’y résolventen gouttes sur ses feuilles polies. Lagrande ronce, les hêtres et les buissonsdu voisinage, les condensent de la mêmemanière. Plus les vents d’est ont régné,plus la récolte d’eau est abondante ; lesréservoirs s’en remplissant, on en ré-colte plus de vingt outres pleines ».

Pour l’humaniste hollandais OlfertDapper, qui écrit dans la deuxième moitiédu XVIIe siècle, ce garoé était uniquedans l’île de Fer, et « les nuages qui encouvrent la cime, excepté pendant lesfortes chaleurs du jour, y répandent unerosée si abondante qu’on en voit conti-

nuellement couler de l’eau, et qu’il entombe chaque jour vingt tonneaux dansdes citernes de pierre, profondes deseize pieds et larges de vingt ».

Linschoten et beaucoup d’autres voya-geurs rapportent la même chose, à celaprès que plusieurs ne parlent pas deciternes, et prétendent que les habitantsviennent recevoir l’eau dans des va-ses. Richard Hawkins, voyageur an-glais, se rapproche de la vérité en attri-buant à plusieurs arbres ce que les autresattribuent à un seul : « Il y a, dans unevallée, un arbre d’une hauteur immense,entouré d’une forêt épaisse de grandspins qui, étant défendus contre les ar-deurs du soleil par les montages voisi-nes, reçoivent sur leurs feuilles les va-peurs qui s’exhalent de la vallée, et re-tombent ensuite sur la terre, après s’êtrecondensées en nuages ».

A une demi-lieue au nord-est de Dieppe, près du village de Puys, ontrouve, au sommet d’une côte, un plateau entouré de tous côtés de grandsretranchements, excepté du côté de la mer, où la falaise le rend inacces-sible. Ces retranchements forment une enceinte de plus de 1800 toi-

ses de tour, si on y joint la partie de falaise qui laborde. Cette vaste enceinte porte, dans de vieuxtitres, le nom de Cité de Limes, et, dans les dénomi-nations modernes, le nom de Camp de César, et deCatel ou Castel. On disait que les fées avaient cou-tume d’y tenir une foire ; là elles excitaient la convoi-tise des assistants par l’offre des marchandises mer-veilleuses que recèlent leurs trésors magiques :c’étaient des plantes surnaturelles, guérissant les ma-ladies de l’âme aussi bien que les blessures du corps ;des parfums qui rendent la jeunesse immortelle ; desfleurs qui chantent pour charmer les ennuis du coeur ;des pierres précieuses, dont chacune est douée d’unevertu particulière ; le grenat, qui fait braver tous lesdangers et préserve de tous les malheurs ; le saphir,qui rend chaste et pur ; l’onyx, qui donne santé etbeauté, et fait revoir, en songe, l’ami absent ; puis, despierres antiques qu’une main inconnue a gravées, et

dont chaque image est un talisman de bonheur et de gloire ; des armesinvincibles, des miroirs magiques où se lit l’avenir, où se dévoilent les plusintimes secrets de l’âme ; des oiseaux devins, comme le Caladrius, quis’empare de la maladie avec un regard, mais qui détourne sa vue de ceuxqu’il ne peut guérir et dont la mort est proche ; de beaux oiseaux parleursenseignant aux hommes une philosophie simple et persuasive.Ajoutez à ces précieuses merveilles tout le léger bagage des toilettesféeriques : de magnifiques écrins, où brillent, au lieu de diamants etavec des feux mille fois plus étincelants et plus limpides, des gouttes derosée que l’art des fées a su cristalliser ; une collection de petites ailes defées, souples et flexibles, parées d’une mosaïque à mille couleurs, pourlaquelle ont été dépouillés les plus jolis insectes de la création ; destuniques aériennes, tissées de ces filandres cotonneuses qui voltigentdans les airs ; de mignonnes aigrettes, formées de ces globes duveteuxqu’un souffle éparpille ; de folâtres écharpes que l’arc-en-ciel a teintes.Mais, hélas, il semble que toujours l’homme soit sacrilège en se saisis-sant du plus fragile bonheur. Fasciné ou vaincu, quelqu’un des assistantsavançait-il la main pour s’emparer de l’objet désiré, le perfide courrouxdes fées ne faisait point attendre sa vengeance : elles précipitaient duhaut de la falaise le malheureux qu’elles avaient séduit.

Au nombre des superstitions corses ayant encorecours au XIXe siècle, on comptait la fattura, c’est-à-dire le mauvais-oeil. On ne désigne alors ja-mais personne comme possédant cet esprit mal-

faisant ; mais si quelqu’un s’approched’un enfant et lui dit qu’il est beau, sage,etc., il faut qu’il y joigne : Que Dieu lebénisse, autrement la mère, ou la per-sonne qui tient l’enfant, lui fait des re-proches. Lorsqu’une femme craint queson fils soit innochiato, frappé du mau-vais-oeil, elle s’empresse d’appeler lafemme qui sache le charmer. Cettefemme, qui jouit de la réputation deguérir les enfants atteints de cette ma-ladie, arrive, regarde l’enfant, et puiselle se fait apprêter une lampe de cui-sine en fer, qu’elle allume ; elle fait en-suite verser de l’eau dans une assiettequ’elle confie à une personne qui setrouve dans la maison ; tout cela fait,elle commence par se signer trois fois

de la croix et récite en secret des prières. Lors-qu’elle a fini, elle recommence le signe de lacroix, et faisant apporter l’assiette qui contientl’eau, au-dessus de la tête de l’enfant, elle plongedeux de ses doigts dans l’huile de la lampe etlaisse tomber quelques gouttes dans l’assiette :c’est d’après les formes que ces gouttes d’huile

prennent en tombant dans l’eau qu’elle prononceles oracles.Si les gouttes d’huile ne donnent pas à la femmeune assurance complète que l’enfant soit atteintpar le mauvais-oeil, alors elle renouvelle lecharme pour le mal des vers, dont les enfantssont souvent exposés à être tourmentés. Pour pro-céder à cette opération, elle prend une balle deplomb, qu’elle met dans une lampe en fer sanshuile ; elle place cette lampe sur les charbonsardents ; lorsque le plomb est fondu, elle prendune assiette où l’on a versé de l’eau, et aprèss’être signée encore trois fois du signe de la croixet avoir dit des mots en secret, elle verse le plombfondu dans l’assiette. Si le métal, en touchantl’eau, se sépare en lignes se dirigeant d’un côtéet d’autre, alors le malade est vraiment atteintpar les vers ; mais si le plomb forme une masse,elle prononce ses oracles et affirme que le maldes vers n’y est pour rien. Enfin, si dans le mau-vais-oeil, comme dans le mal des vers, les si-gnes se montrent apparents par l’effet que pro-duit le charme sur le malade, la femme prononcela guérison complète et instantanée de l’enfant.A l’époque dont nous parlons, curés et prêtresn’avaient pu obtenir de ces femmes de renoncerà leurs enchantements, ni même d’y croire.

Le garoé

Enceinte de la cité de Limes

D’APRÈS... Histoire et légendes des plantes utileset curieuses paru en 1868 ET Voyage pittoresque

à l’Ile-de-France, etc. (T. 1) paru en 1812 D’APRÈS... La Normandie romanesque et merveilleuse paru en 1845

D’APRÈS... Histoire illustrée de la Corse, contenant environ trois centsdessins représentant divers sujets de géographie et d’histoire naturelle,

les costumes anciens et modernes, les usages, etc. paru en 1863

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Numéro 35 – La France pittoresque 15

Réservé originellement à l’usage externe avant d’être suggéré comme re-mède interne par les alchimistes puis proscrit en 1566 par le parlement etla Faculté de Paris, l’antimoine et sa préparation le vin émétique, vantéavec une exagération que la persécution pouvait seule justifier, alimentede vifs débats agitant le corps médical durant un siècle

Une GUERRE de 100 ANSDIVISE LES MÉDECINS sur l’usage

de l’antimoine

( Del’AntiquitéauXVIIe siècle

) INVENTIONS/DÉCOUVERTES

SULFUREUX MÉTAL TRIOMPHANT DE L’OPPROBREEntrant dans la composition d’unfard utilisé par les Egyptiens etappelé Stem, l’antimoine tireraitson nom de ce dernier, Stem don-

nant naissance à Ithmid chez les Arabespuis à Athmond, d’où les Latins auraientfait Antimonium. L’emploi thérapeutique del’antimoine date de l’antiquité : si l’on pré-tend qu’Hippocrate l’utilisa sous le nom detétragone, plus connu sous celui de fusain,mentionné par Théophraste et dont lesfeuilles et les fruits quadrangulaires sontpurgatifs et un peu vomitifs, son usage esten réalité certain à compter de Dioscoride(Ier siècle), médecin de Cléopâtre et d’An-toine, qui l’appelait Stimmi, expliquantl’autre appellation stibium de l’antimoine ;dernière désignation restée jusque dans lanomenclature moderne, en dépit de celled’antimoine fabriquée vers la Renaissance.

Paracelse prête à l’antimoinede merveilleuses vertusDioscoride le décrit comme « un excellentmédicament pour raffermir les chairs et lesconsolider, cicatriser les ulcères et les brû-lures, sécher les ulcérations des yeux, ar-rêter les hémorragies provenant des mé-ninges », propriétés également signaléespar Pline, qui nous donne même le moyende préparer le médicament à base de sul-fure d’antimoine natif, tel que l’extractionminière le livrait à nos ancêtres : « On lebrûle dans une tourtière, après l’avoir en-touré de fumier de boeuf ; puis on l’éteintavec du lait de femme et on le broie dans unmortier avec de l’eau de pluie ». Mais lesGrecs et les Romains, loin de soupçonnerles plus importantes propriétés de ce métal-loïde, le réservèrent exclusivementpour l’usage externe, son introduc-tion dans la thérapeutique interne ledevant aux alchimistes, qui vers la findu Moyen Age le travaillèrent à l’enviet conçurent ainsi : le régule d’anti-moine, régule signifiant petit roi, l’an-timoine étant supposé l’un des élé-ments de l’or ; les oxysulfures d’anti-moine, sous les noms de safran desmétaux (ou crocus metallorum) et deverre d’antimoine ; l’antimoinediaphorétique ; le vin antimonié ouémétique, qui s’obtenait par macé-ration de vins blancs sur le safran des mé-taux ou sur le verre d’antimoine.Les premiers documents positifs à l’égardde cet usage interne se trouvent dansl’oeuvre de Paracelse, né en 1493 et hardipromoteur des remèdes énergiques em-pruntés à la chimie minérale, qui recom-mande l’antimoine contre plusieurs mala-dies, lui prête de merveilleuses vertus, en-tre autres celles de restaurer et de renou-

veler toutes les forces et facultés du corps.Toutefois, il ne s’attribue pas la priorité deson emploi, et cite Avicennes comme enayant fait le remède du mal caduc ou épi-lepsie. Peu après la mort de l’alchimiste,survenue en 1541, parut en 1564 un autreouvrage sur le même thème, de Louis deLaunay, médecin de La Rochelle. Sous l’in-fluence de ce livre et de la pratique de sonauteur, les remèdes antimoniaux commen-cèrent à se généraliser en France, et unelutte ardente s’ouvrit entre les partisans etadversaires de cette substance. La Faculté

de médecine de Paris intervint dès le 3 août1566, en proscrivant par décret l’antimoinecomme poison, et sollicita un arrêt conformedu parlement, lequel fit défense à quicon-que d’employer des préparations de cettesubstance. L’année suivante, le médecin deClermont-en-Beauvaisis, Jacques Grévin,l’accusa dans un Discours contre l’anti-moine d’être un violent poison dans l’étatoù on le donnait alors, affirmant avoir failli

lui-même en être la victime et concluant qu’ilconvenait de l’abandonner complètementou bien de chercher une meilleure prépara-tion ne contenant plus de partie vénéneuse.

Médecins parfois farouchementhostiles au vin antimoniéMais cette fronde officielle eut pour con-séquence la poursuite des expérimentationsdont ce métal était la base et l’essor de sonemploi. Paulmier, médecin de Caen, s’attiraen 1591 la censure de l’Ecole pour avoirvanté les bienfaisantes propriétés de l’anti-

moine et pour avoir voulu faire auxapothicaires et aux médecins un coursde chimie. Riolan père (1600) étaitacharné contre les antimoniens, sim-plement parce qu’Aristote n’avait pasparlé de ce médicament. En 1604, l’at-tention fut vivement attirée sur ce mé-tal, ses préparations et ses applica-tions, par la première édition de l’apo-logie emphatique Triumphwagen desAntimonii (Char triomphal de l’anti-moine), officiellement l’oeuvre d’uncertain Basile Valentin – présentécomme un moine bénédictin ayant

vécu au XVe siècle –, en réalité rédigée parl’éditeur lui-même, Johann Thölde qui, s’ilappelle l’antimoine « une des sept merveillesdu monde » en promettant richesse et santéavec cette substance, en signale cependantavec insistance les « propriétés vénéneu-ses » et indique le vin émétique, employécomme vomi-purgatif. Dans son Traité desminéraux, le même Basile Valentin est en-core plus explicite : « Les fleurs d’anti-

Paracelse

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moine [?] purgent avec nausée et incom-modité du corps. (...) Si l’antimoine est di-géré un certain temps avecl’esprit de tartre et le selammoniac, il s’en fait unsublimé, lequel, par lavertu du fer, passe en mer-cure coulant, qui a été re-cherché de plusieurs ettrouvé de peu ».En 1620, Cornachinus, pro-fesseur à Pise, fit connaîtrela composition d’une pou-dre à l’aide de laquelle Du-dley, comte de Warwick,avait opéré des cures mer-veilleuses en Italie. Compo-sée de scammonée, d’anti-moine diaphorétique et decrème de tartre, cette pou-dre fut bientôt connuesous le nom de poudrecornachine. Il devait s’ef-fectuer dans ce mélangeune réaction qui le transformaitpartiellement en émétique ;soupçonnant cette réaction, ou constatantune activité exceptionnelle d’effets théra-peutiques, l’observation allait nécessaire-

ment conduire à la découverte du tartrestirbié. Peu après en effet, en 1631, sa prépa-

ration fut décrite par l’alchi-miste allemand Adrien deMynsich dans son Thesau-rus et armamentariummedico-chimicum. Unauteur comme Hoefer luiconteste cette découverte,arguant que le tartrate depotasse et d’antimoine de-vait être depuis longtempsconnu des médecins chi-mistes, qui employaient déjàles fleurs d’antimoine et fai-saient si souvent entrer letartre dans leurs prépara-tions. Quoi qu’il en soit,c’est seulement à partir deMynsich que l’usage dutartre stirbié ou poudreémétique en médecine serépandit, et la Faculté demédecine de Paris, qui avait

déclaré l’antimoine poison, dé-cida de mettre le vin émétique

au rang des remèdes purgatifs en 1637. Surson avis, le parlement rendit un arrêt parlequel il était permis aux docteurs en méde-

cine seuls de se servir de l’antimoine, eten particulier du vin émétique, d’écrire surses propriétés, de les discuter, défendantà toute autre personne d’en faire usagesans un avis ou une ordonnance demédecin. Nous retrouvons la descrip-tion du vin émétique dans un Codexmedicamentarius que Hardoin deSaint-Jacques fit imprimer en 1638.

Echange musclé d’invectivesentre hommes de scienceMais la querelle au sujet de l’antimoineredoubla lorsque l’esprit le plus mordantet le plus caustique de l’époque, Guy Pa-tin, se prit à diriger ses sarcasmes les plusacérés contre ce métal et ses partisans. Dé-nigrant systématiquement un remède qu’ilavoue lui-même n’avoir jamais expéri-menté, il s’emploie à dresser un martyro-loge puéril de l’antimoine au lieu de déter-miner consciencieusement les cas où, pardes vices d’application, par inopportunité,par témérité même, cette substance pou-vait nuire, et ceux en revanche où il semontrait réellement utile. Dès 1652 paru-rent de nouvelles diatribes contre l’anti-moine, à l’image de celle de Claude Ger-main intitulée Orthodoxe, ou de l’abus del’antimoine, sorte de dialogue écrit à lafaçon de Platon et destiné à établir le syl-logisme suivant : « Le vomitif est d’unpérilleux usage ès-fièvres continues, et nul-lement nécessaire aux intermittentes. Or est-il que le vomitif d’antimoine est violent.Donc le vomitif d’antimoine est d’un pé-rilleux usage ès-fièvres continues et nulle-ment nécessaire aux intermittentes ».L’année suivante, Eusèbe Renaudot, frèredu célèbre Théophraste, répondit à Ger-

main et recommanda letartre stirbié sous le nomde poudre émétiquedans L’Antimoine jus-tifié et l’Antimoinetriomphant : « Vous ap-pelez la chimie une nou-velle médecine. Vousfaites à la servantel’honneur de la prendrepour la maîtresse. (...) Lachimie n’a d’autre am-bition que de rentrerdans la thérapeutiqueoù elle tranchera lenoeud gordien de la ma-ladie ». Il s’étendait lon-

guement sur le principe vénéneux prêté auxpréparations antimoniales : « Evidemment,c’est un remède violent. Où serait son mé-rite s’il n’avait pas cette qualité ? Si c’estun poison, s’il est la quintessence de tousles venins et le plus grand en malice, comme

INVENT IONS/DÉCOUVERTES

GUY PATIN s’insurge avec verveVers 1640, Guy Patin, docteur-régent de laFaculté ayant beaucoup d’esprit et auxleçons duquel on allait admirer son beaulatin et ses bons mots, prenait part à laquerelle opposant partisans et détracteursde l’antimoine. Il déclarait n’avoir aucuneconfiance dans les découvertes de la chi-mie moderne et se prononça hautementcontre cette substance, ayant même dresséun gros registre des malades qui, selonlui, étaient morts victimes de ce remède, etqu’il appelait le Martyrologe de l’Anti-moine. Il ne meurt personne à Paris sansqu’il aille demander si le malade a pris ounon de l’antimoine ; s’il en a pris, il devientde suite un martyr.Patin s’exprime notamment ainsi : « L’Anti-moine, duquel on ne parle plus guère iciqu’avec détestation, reçut hier un vilaincoup de pied chez un conseiller de la Cour,M. de Villemontel, dont la fille mourut, âgéede quatorze ans, d’une double dose de ceremède. (...) Il court ici une pièce fort secrètetouchant le mérite de quelques-uns de nosdocteurs qui ont, par la cabale de Guénaut,signé que l’antimoine est un excellent re-mède. A vous dire vrai, tous ces maîtres etseigneurs sont le fretin et la racaille del’Ecole ». Patin n’hésite pas à accuserGuénaut d’avoir empoisonné sa femme, safille, son neveu et ses deux gendres. Sansnul doute, c’est d’après cette belle réputa-tion que Boileau écrivait : « Il compterait plu-tôt combien, dans un printemps, / Guénautet l’antimoine ont fait mourir de gens ».

Et Patin d’écrire encore : « Oui ! Les chimis-tes, les apothicaires et les charlatans sontles démons du genre humain en leur sorte,principalement quand ils servent de l’anti-moine ». Il bombardait les pauvres apothi-caires de suaves et douces épithètes, dontcelles de triacleurs, d’empoisonneurs, deq u i p r o q u o q u e u r s ,p h a r m a c o p o l e s ,n’étaient que les plustendres. Patin écrit en-core : « Il a eu raison,Renaudot, d’intituler sonlivre : L’Antimoine triom-phant ; car, pour triom-pher, il fallait avoir tuéau moins 6000 hom-mes. Il en a tué plusque le roi de Suède enAllemagne. Asclé-piade pensait que ledevoir de l’excellentmédecin était de gué-rir ses malades tuto,celeriter et jucunde ;nos antimoniens nousenvoient dans l’autremonde tuto etceleriter ». Le mot stibium, sous sa plume,devenait par malice stygium, Patin tenantl’antimoine pour aussi funeste que les eauxdu Styx dont il lui semblait venu.

contre le recours à l’antimoine

Guy Patin

Frontispice du Chartriomphal de l’antimoine

D’APRÈS... Bulletin de la Société libre d’émulation du commerceet de l’industrie de la Seine-Inférieure paru en 1904

ET La pharmacie à travers les siècles : Antiquité,Moyen Age, Temps modernes paru en 1886

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INVENT IONS/DÉCOUVERTES

le prétend Germain, oùsont les marques decette malignité étrange ?Pour détruire les char-latans, employons bienles remèdes dont ils seservent mal ».Ce à quoi JacquesPerreau riposta par leRabat-joie de l’Anti-

moine : « Renaudot estun traître et un fils de traî-

tre (...) Ne pactisons pas avecl’insurrection (...) Il faut rejeter

ces nouveautés, autant dangereu-ses en notre art qu’elles le sont en religion ».La légende veut que le supposé moine Ba-sile Valentin, dans le couvent d’Erfurth, ayantjeté dans la cour de son laboratoire le caputmortuum d’une préparation contenant unepetite quantité d’antimoine, observa que descochons qui l’avaient avalé ne tardèrent pasà ressentir l’effet émético-purgatif de ce mé-lange, et maigrirent pendant quelques joursavant d’engraisser considérablement.Perreau prétendit que Valentin voulantpurger les autres moines de son couventavec la même préparation, leur administradans leurs mets un peu du nouveau re-mède ; il ne réussit qu’à les empoisonnertous, d’où le nom d’anti-moine donnédorénavant à l’antique stibium. Ces dis-cussions thérapeutiques inspirèrent mêmela verve poétique et reconnaissante d’uncélestin, Carneau, qui composa en 1656 laStimmimachie ou le Grand combat desmédecins modernes touchant l’usage del’antimoine, poème historico-comiqued’environ 2000 vers de huit syllabes : « Jedis donc que je vais décrire / Un grandcombat à faire rire... / C’est un combat demédecins, / Dont les tambours sont desbassins ; / Les syringues y sont bombar-des, / Les bastons de casse hallebardes ; /Les lancettes y sont poignards, / Lesfeuilles de sené pétards ».

La guérison de Louis XIV asseoitla réputation de l’antimoineLa réhabilitation du remède si longtempshonni le dut au jeune Louis XIV qui, pen-dant la campagne de 1658 et alors qu’iln’avait que 20 ans, tomba gravement ma-lade à Mardick, d’une maladie qu’on peutaffirmer, d’après les symptômes complaisam-ment détaillés par les premiers médecins duroi dans le Journal de sa santé, avoir étéune fièvre typhoïde des mieux caractérisées.En dépit ou peut-être à cause de tous lestraitements infligés à l’auguste patient, lemal ne faisait qu’empirer, et pour mettred’accord les médecins de la Cour, on eutrecours aux lumières d’un médicastre d’Ab-

beville, nommé du Saussoy, qui, au dire deplusieurs contemporains, conseilla d’ad-ministrer au roi de l’émétique. D’autres pré-tendent qu’une grande consultation eutlieu, sous la présidence de Mazarin, et quele cardinal ayant opiné le premier pour l’an-timoine, il fut résolu qu’on donnerait cemédicament – version donnée notammentpar Guy Patin dans sa lettre du 20 juillet1658. Il suffit d’une once du précieux re-mède pour que le roi fût purgé vingt-deuxfois. Des Te Deum furent chantés ; ce futune allégresse sans pareille, excepté pourPatin, qui expliquait : « Ce n’est pas lapeine de dire que c’est le vin émétiquequi a sauvé le roi, vu qu’il en a pris si peuqu’il ne se peut moins. Ce qui a sauvé leroi a été son innocence, son âge fort etrobuste, neuf bonnes saignées et les priè-res de gens de bien comme nous ».La fortune de l’antimoine était faite, et Char-les de Lorme, dont les grands recherchaientla société, qui fut médecin de Louis XIII,qui conseilla le premier médecin de Henri IVau sujet de cas épineux et initia d’Aquin,médecin de Louis XIV, à la médecine, pro-mut la miraculeuse substance qu’il fit en-trer dans la composition de son bouillonrouge. Il préconisait l’antimoine à tout ve-nant, même sans voir le malade, ayant cou-tume de dire que, s’il ne faisait pas de bien,il ne ferait point de mal. Selon Saint-Martin,son panégyriste, « M. de Lorme remerciaitsouvent la bonté divine d’avoir donné unsi excellent remède aux hommes et à bonmarché, et qui se trouve dans toutes les

En 1683, Michel de Saint-Martin affirme dans son ouvrage intitulé Moyens faciles et éprouvés,dont M. de Lorme s’est servi pour vivre près de cent ans : « La chimie, qui est une des colonnesde la médecine, recuit l’antimoine, le raffine et réduit en un estre très-molle ou vraie quintes-sence : alors il est dénué de ses prétendues mauvaises qualitez ; c’est un remède en la composi-tion duquel il entre du tartre et du salpêtre ; M. de Lorme le tenoit pour le meilleur de tous lesremèdes, et pour estre aussi naturel à l’homme que le meilleur pain de froment ; il estimoit qu’il estfort bon pour purger la bile qui cause mille maux aux hommes. Les principaux effets de l’antimoinesont de renouveler le corps, reverdir la jeunesse, mondifier la peau, transmuer le sang infect en unsang pur et net, si bien qu’il est admirable pour la conservation et pour la prolongation de la vie. Ilne laisse aucune impuretez dans le corps ; on en peut prendre en toutes saisons et mêmependant la canicule. La prise ordinaire pour un homme est de 40 grains et de 30 pour une femme.Jamais ce remède ne peut nuire quoy que mal préparé, et il se peut conserver mille ans ».Plus loin, Saint-Martin écrit : « Un des ennemis de l’antimoine m’ayant dit qu’il brûloit le corpsdes hommes, j’en ai parlé à M. de Lorme pour en sçavoir son sentiment : il me dist pour responseque si on vouloit obtenir d’un juge qu’il luy baillast un criminel condamné à la mort, il luy en feroitprendre six prises en même temps, et que s’il en mouroit, il se soumettoit de mettre sa tête ensa place. Ce discours, joint à la connoissance que j’avois de sa longue vie et de ses malades,l’éloquent Balzac, qui en estoit un, ayant vescu jusques à quatre-vingt-quatorze ans, bien qu’il nel’eust connu qu’après avoir esté longtemps travaillé de la goutte et de la gravelle, et M. lemareschal d’Estrées, qui se fist tailler par son ordre à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, vescutencore par ses remèdes jusques à cent trois ans, m’empeschoient de douter de sa suffisanceextraordinaire. Et si M. de Maisons, second président au parlement de Paris, avec qui il avoitl’honneur de demeurer, est mort à l’âge de 84 ans après avoir esté taillé, cela n’est arrivé quepour avoir préféré l’avis d’un opérateur à celuy de M. de Lorme, qui estoit absent ». De Lormefaisait prendre l’antimoine, soit dans du pain à chanter, soit mêlé à une certaine quantité de vin,et préconisait également le mercure de vie qu’il associait volontiers à l’antimoine, dans laproportion de 20 grains d’antimoine sur 3 grains de mercure. Il aimait en prescrire une dose versle 20 septembre, comme moyen prophylactique pour se gendarmer contre l’hyver, selon sapropre expression.

L’impérissable ANTIMOINE pour« se gendarmer contre l’hyver »

minières métalliques » ; en outre, il « neparlait des vertus de l’antimoine qu’avecde grands transports, disant lui avoir vufaire cent et cent cures miraculeuses ; qu’iln’était jamais sorti meilleur remède de laboutique d’un apothicaire ; qu’on ne sau-

rait enfin en payer la valeur ».Le 29 mars 1666, la Faculté de médecine deParis se réunit par ordre du Parlement, etsur 102 docteurs présents, 92 se prononcè-rent pour l’antimoine, le parlement rendantun arrêt permettant à tous docteurs régentsde se servir du vin émétique. Un seul, Fran-çois Blondel, ancien doyen, protesta avecopiniâtreté, plaida contre la Faculté, con-tre le doyen, fut condamné, refusa de payeret vit vendre ses meubles.

Basile Valentin

Calcination solaire de l’antimoine

> Bulletin de la Société libre d’émulation du commerceet de l’industrie de la Seine-Inférieure paru en 1904

> Bibliothèque du médecin praticien (T. 14) paru en 1850> Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (T. 5) paru en 1866> La pharmacie à travers les siècles : Antiquité,Moyen Age, Temps modernes paru en 1886

> Remèdes d’autrefois (T. 1) paru en 1910> L’ancienne Faculté de médecine de Paris paru en 1877

D’APRÈS...

D’APRÈS... L’art de prolonger la vie et de conserver la santé paru en 1852SPÉC

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DE L’ART DE VENDRE L’AIR

des portes et fenêtres

INSTITUTIONS

instaure l’IMPÔTEn 1798, le Conseil des Cinq-Cents accouche d’une loi instaurant lacontribution des portes et fenêtres, présentée comme temporaire et motivéepar un impérieux besoin d’argent, ses détracteurs en dénonçant le caractèreattentatoire à l’hygiène et à la santé populaire, de même que l’iniquité

1798 : l’Etat DÉFICITAIRE

( XVIIe siècleXVIIIe siècleXIXe siècleXXe siècle

)

Sinclair a retrouvé dans les annalesde l’Empire byzantin les tracesd’un impôt sur les cheminées éta-bli sous la dynastie des Comnène

(XIIe siècle), cite aussi une taxe sur les foyers,levée par Marguerite, reine du Danemark etde la Norvège (XVe siècle), et rappelle cellequi fut instaurée au XVIIe siècle et perçuesur le même objet en Angleterre.

Une contribution inspiréede la « window-tax » anglaiseCet impôt y était devenu fort impopulaire,le collecteur devant entrer dans toutes lespièces de l’habitation pour vérifier la ma-tière imposable. Si Guillaume III, peu aprèsson entrée en Grande-Bretagne (lors de laGlorieuse Révolution en 1688) s’empressade l’abolir, il la remplaça cependant septans plus tard par une autre, chaque mai-son anglaise devant s’acquitter de2 shillings par an, la taxe s’élevant à6 shillings pour les habitations compor-tant plus de neuf fenêtres, 8 shillingspour celles qui en avaient plus de dix-neuf, sachant que « le nombre des fenê-tres pouvait être compté du dehors, et,dans tous les cas, sans qu’on fût obligéd’entrer dans toutes les chambres deshabitations », rapporte Adam Smith ;nouvelle taxe qui céda elle-même la placeen 1766 à une autre forme d’imposition :l’impôt des fenêtres (window-tax).En France, l’impôt des portes et fenêtres, dequotité dans un premier temps – taux déter-miné à l’avance et indépendant du budgets’avérant nécessaire par la suite –, fut établipar la loi du 4 frimaire an VII (24 novembre

1798) au terme d’un vif débat entre les dé-putés. Considéré par ses détracteurscomme prélevé sur la pureté de l’air et laclarté du jour qui ont été données àl’homme sans les lui mesurer, ainsi que nui-sible à la vie et à la santé, il ne convainc pasLaussat, député des Basses-Pyrénées auConseil des Anciens – organe concourant,avec le Conseil des Cinq-Cents, à la confec-tion et la ratification des lois sous le Direc-toire – qui s’exprime ainsi peu avant l’adop-tion de cette taxe : « Je la regarde commeun nouvel embarras ajouté à la triste posi-tion où des négociants se trouvent réduitspar l’effet des circonstances ; comme unesurtaxe ruineuse pour les manufacturiers,dont les ateliers ont besoin d’être extrême-ment éclairés et aérés, et qui languissent

depuis longtemps », ajoutant « qu’elle neserait, dans tout état de cause, admissibleque comme base d’une contribution di-recte sagement modérée sur les maisons ;qu’en conséquence, avant de l’adopter, il

faudrait les décharger de la partie de con-tribution de cette espèce qu’elle supportedéjà sous d’autres dénominations ».Le même présente ensuite cette mesurecomme désastreuse et injuste : « Le re-venu des maisons est maintenant commeperdu dans toute la France, et a besoin dequelques années de paix pour s’y relever.Ce genre de propriété est même devenutrès onéreux à ses possesseurs : n’en ju-gez point par les beaux quartiers de Paris,mais parcourez les villes notables des dé-partements, et vous en resterez convain-cus. Avez-vous songé à l’effet infaillibleque produirait à la longue, sur les foyers,cet impôt, pour peu qu’il durât ? La con-currence augmentant sur les petits loyers,ils hausseraient de prix ; cette même con-currence diminuant sur les loyers consi-dérables, il arriverait que les riches locatai-res resteraient magnifiquement logés àmeilleur marché. Vous vouliez frapperl’opulent, et vous frapperiez le nécessiteux.Cet impôt n’est pas assis sur la base d’unevéritable égalité. Le nombre des fenêtresn’a, le plus ordinairement, aucun rapportavec les facultés de l’habitant ; ici il tientau goût régnant de l’architecture ; là, à lacommodité des distributions ; ailleurs, àdes accidents de localité, comme l’obscu-rité d’une rue ou la symétrie commandéed’une place, bien souvent à la quantitéd’individus composant une famille. Lenombre des fenêtres dépend aussi beau-coup du climat et des moeurs ».

Un impôt gradué très égalitaireaux yeux de certainsMais l’impôt, qui demeura plus d’un siè-cle, eut ses partisans, à l’image de ThibaultLefevre, avocat à la cour de Paris qui, en1843, considèrera infondé le reproche d’iné-galité : « L’impôt assis sur les portes et

fenêtres est gradué d’après l’aisancede chacun ; le riche prend un apparte-ment éclairé et vaste, le pauvre, rétréciet obscur. L’impôt porte ainsi sur toutle monde ; mais sévissant sur le riche,il ménage le pauvre. (...) Il est perçu àraison du nombre des portes et fenê-tres donnant sur les rues, cours ou jar-dins, d’après un tarif qui varie suivantla nature, le nombre, la position desouvertures, et la population du lieu oùla maison est bâtie ; de telle sorte quemoins la population est forte, moins letarif est élevé ; plus l’ouverture peutêtre employée à des usages différents,

plus élevé est le tarif, telles sont les portescochères, et plus l’ouverture est placée àun étage inférieur, plus elle paie cher ».N’étaient pas imposables les portes et lesfenêtres servant à éclairer ou à aérer les

Séance du Conseil des Anciens

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INSTITUTIONS

granges, bergeries, étables, laiteries, cha-lets, serres et orangeries, de même que cel-les des locaux servant exclusivement àl’agriculture. Les remises ne donnant pasaccès à des locaux d’habitation ou de com-merce, les caves non considérées commemagasins ou comme tout ou partie d’habi-tation, les pressoirs particuliers, les gre-niers ne servant pas de magasins pour lecommerce étaient également exonérés dupaiement de l’impôt suivant la loi du 4 fri-maire. Il en était de même pour les embra-sures pratiquées dans un mur de clôturen’éclairant pas de locaux habitables, lesportes communiquant intérieurementd’une cour dans une autre cour, une porteconduisant à un jardin où il n’y avait pasde logement habitable, les vitraux placésau-dessus des portes, l’oeil de boeufn’éclairant pas de locaux habitables. Quantaux portes et fenêtres des bâtiments pu-

blics, civils, religieux ou militaires, d’édu-cation ou d’hospices, ils n’étaient pas as-sujettis non plus à l’impôt.

Afin d’augmenter les recettesl’impôt devient « de répartition »Le faible produit de cet impôt décida legouvernement à le transformer en impôtde répartition par la loi du 13 floréal an X(3 mai 1802) : on fixa des contingents auxdépartements ; ces contingents furent ré-partis par les préfets entre les arrondisse-ments, et les contingents des arrondisse-ments furent distribués entre les commu-nes par les sous-préfets. Ces fonctionnai-res opéraient, soit d’après le produit de l’an-cien impôt, soit d’après leurs connaissan-ces locales, soit d’après les renseignementsqui leur étaient donnés sur le nombre exactou probable des ouvertures de chaque com-mune. Dans tous les cas, la somme assi-gnée à chaque commune était répartie entreses habitants d’après le nombre de leursportes. La loi du 25 mars 1803 exempta decet impôt les grands établissements indus-triels appelés manufactures, mais on main-tint à une contribution les magasins, bou-tiques, ateliers et petites usines.Les choses restèrent ainsi jusqu’en 1831 ;les dépenses occasionnées par la Révolu-tion de 1830 ayant exigé que l’Etat augmen-tât ses ressources, et le nombre des ouver-tures s’étant beaucoup accru par suite desnouvelles constructions depuis1802, une loi rétablit la contributiondes portes et fenêtres sous forme

d’impôt de quotité, avec les tarifs de l’an X,l’application des ces tarifs au nombred’ouvertures existant alors triplant pres-que la contribution. Les réclamations quis’ensuivirent contraignirent le gouverne-ment à rétablir la répartition le 21 avril 1832.La taxe des maisons à cinq, à quatre, à trois,à deux et à une ouverture, fut progressive-ment abaissée en raison inverse du nombredes ouvertures ; mais les contribuables quel’on dégrevait, c’est-à-dire les propriétairesde maisons ayant peu d’ouvertures, n’étaientpas ceux qui réclamaient, même avant ce dé-grèvement ; ceux qui se plaignaient étaientgénéralement des ouvriers qui occupent desateliers percés d’un grand nombre de fenê-tres, et on ne les avait pas dégrevés.Dans son Mémoire sur la situation despopulations rurales de la France, AugusteBlanqui, membre de l’Institut, s’indigne devoir qu’en 1835, « trois millions de loge-ments dans les villages, où ne saurait man-quer l’espace forcément restreint dans lesvilles, sont privées d’air et de lumière pouréchapper à la taxe des portes et fenêtres !C’est là pourtant que vivent d’une vie tropsouvent commune avec les bestiaux quiles nourrissent, plusieurs millions d’hom-mes, ceux-là même dont les modestes co-tes foncières composent la plus sûre par-tie du revenu national ». Après avoir épuisétoutes les combinaisons, après avoir ré-formé, modifié les tarifs, remanié, changé

la loi primitive, après avoir abandonné l’im-pôt de quotité pour l’impôt de répartition,l’impôt de répartition pour l’impôt de quo-tité, le gouvernement imagina de confieraux communes le soin d’introduire danscette matière des améliorations qu’il n’avaitpu réaliser lui-même. Cet impôt ne fut sup-primé qu’en 1926.

Un impôt arbitraire PRODUISANT PEUet fort ONÉREUX À PERCEVOIR

Dans un rapport présenté au Conseil des Cinq-Cents peu avant l’adoption de la loi sur lacontribution des portes et fenêtres, le député de la Seine au Conseil des Anciens Théo-dore-François Huguet affirme « qu’on aurait pu trouver un impôt moins odieux » que celuiproposé « sur le jour et sur l’air », le revenu attendu dans toute la République ayant étécalculé sur la base de celui que produirait Paris. Expliquant avoir été pendant trois ansadministrateur de la capitale et livrant sa méthode de calcul, Huguet aboutit à une recettede 300 000 francs pour Paris, et poursuit : « Paris fait la vingtième partie de la République,surtout par rapport aux portes et fenêtres, car un grand nombre des maisons qu’ilrenferme ont 5, 6 ou 7 étages, tandis que celles des autres départements ont au plus 3 étages.Mais supposer que Paris ne fasse que la trentième partie de la république, il en résultera quel’impôt produira en totalité neuf millions, desquels il faudra déduire au moins un million pourles frais de perception. Et c’est pour un si modique produit qu’on crée un impôt si odieux ! »En 1886, Armand Malaval, dans Le conseiller des contribuables et des consommateurs, dénoncequant à lui les lacunes dans la perception de l’impôt : « Que l’on fasse opérer le recensementd’une vaste maison par cent agents de l’Administration, en comparant les résultats obtenus parchacun on ne trouvera jamais le même nombre d’ouvertures. (...) Ici l’arbitraire règne en maître.Tel estime qu’une ouverture est imposable, tel autre le nie. Tel compte pour trois ouvertures unebaie divisée par deux meneaux, tel autre ne comptera qu’une seule ouverture ». Un autre motif desa suppression est selon lui « le temps que les agents du Trésor sont obligés d’employer à laconstatation de cette matière imposable et aux divers travaux qui en sont la conséquence.J’estime qu’un agent consacre le quart de son temps à cette partie de son service. Le nombredes contrôleurs pourrait donc être diminué dans la même proportion, si cet impôt était aboli, etla diminution du personnel permettrait d’améliorer la position si digne d’intérêt des agents d’uneadministration qui a été constamment tenue en défaveur (...). Il y a d’autres motifs à invoquer. Ensupprimant la taxe des portes et fenêtres, il serait possible de réduire environ de moitié ladimension des avertissements de contributions d’où une économie notable de papier. Les rôlesdes percepteurs seraient aussi moins volumineux. Enfin, on économiserait les frais de calculs etd’écritures qui atteignent un chiffre assez élevé ».

Pierre-Clément de Laussat

Les portes et fenêtres étaient murées parleur propriétaire pour réduire l’impôt

> Traité des impôts considérés sous le rapport historiqueéconomique et politique, en France et à l’étranger (T. 2) paru en 1866

> Constitution et pouvoirs des Conseils généraux et des Conseilsd’arrondissement ou Législation complète, etc. paru en 1843

> Questions de mon temps 1836 à 1856. Questionsfinancières (T. 11) paru en 1858

> Les impôts en France. Traité à l’usage des contribuableset des aspirants à la perception paru en 1869

D’APRÈS...

D’APRÈS... Questions de mon temps1836 à 1856. Questions financières (T. 11) paru en 1858 ET Le conseiller des contribuables et des consommateurs paru en 1886

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La France pittoresque – Numéro 3520

ALLIER LE PLAISIR DU PALAIS ET CELUI DES YEUX

Dès le XIIIe siècle et dans la plupart des circonstances solennelles telles quemariages des princes et entrevues politiques, on occupait, durant le repas,l’assemblée, de différents spectacles propres à l’émouvoir ou à l’intéresser

ouentremetsDes SPECTACLES à MACHINES

entre les services des FESTINS

MOEURS/COUTUMES ( DuXIIIe siècleauXVIIe siècle

)

Les scènes de distraction de l’as-semblée au cours d’un banquet,presque toujours muettes, et dontles sujets variaient à l’infini, rece-

vaient le nom d’entremets, parce qu’elless’exécutaient le plus souvent dans l’inter-valle du service d’un mets à un autre.

Une véritable représentationthéâtrale pour hauts dignitairesC’était assez ordinairement une sorte dereprésentation théâtrale, accompagnée demachines, où l’on voyait des hommes etdes animaux accomplir une action quelcon-que, ou figurer quelque trait connu de l’his-toire ou de la fable. Elles avaient lieu quel-quefois autour de la table même du festin,

mais souvent aussi sur un échafaudagedressé à l’une des extrémités de la salle,que séparait des spectateurs un grand ri-deau, ou courtine, derrière lequel se pré-paraient les personnes et les décorations

de la scène qui devait être représentée.L’usage de ces entremets était connu enFrance dès le XIIIe siècle, sous le règnemême du roi Saint-Louis. Au commence-ment du siècle suivant, Philippe le Bel enfit célébrer plusieurs assez remarquables àSaint-Denis, lorsqu’il conféra la chevalerieà ses trois fils (1313). Ce fut aussi dans unesorte d’entremets qu’eut lieu en 1338, à l’ins-tigation de Robert d’Artois, le célèbre Voeudu Héron, qui décida, dit-on, Edouard III, roid’Angleterre, à déclarer la guerre à Philippede Valois. En 1453, le duc de Bourgogne,Philippe le Bon, se servit d’un semblable

moyen pour engager une nouvelle croi-sade contre les Turcs Ottomans, qui ve-naient de s’emparer de Constantinople,en proposant à la noblesse françaisequ’il avait réunie à Lille, sous prétexted’une fête, de prendre les armes de lareligion. Rien n’avait été négligé : onavait élevé à l’une des extrémités de l’im-mense salle du festin, construite, tapis-sée et décorée avec un luxe plus queroyal, un vaste échafaudage, cachéd’abord par un rideau, sur lequel fut re-présentée, comme entremets, en plu-sieurs scènes, la conquête de la Toisond’or par Jason. Les longues tables autourdesquelles avait pris place l’illustre assem-blée, étaient ornées de plusieurs pièces re-présentant des châteaux, des navires, desforêts, des animaux, et enfin des person-nages assis sur des rochers, d’où coulaientdes sources d’eau-rose ou d’hypocras.

Des entremets grandiosesgagnant bientôt en sobriétéMais rien ne surpassait une église avec sesvitraux coloriés, placée sur l’une des tables,dont la cloche faisait entendre ses tintements,et où quatre chantres vivants entonnaientde temps à autre des motets ou airs appro-priés à la circonstance ; tandis que sur uneseconde table, figurait un immense pâté ren-fermant tout un orchestre de vingt-huitmusiciens, pourvus de leurs instruments,qu’ils faisaient résonner aux oreilles de l’as-semblée, chaque fois que le rideau s’abais-sait sur l’un des exploits fabuleux de l’héroï-que Jason combattant tour à tour et domp-

1378 : des ENTREMETS notoiresretraçant la conquête de Jérusalem

Le 6 janvier 1378, la visite de l’empereur Charles IV qui, accompagné de son fils, rencontra le roide France Charles V, fut l’occasion de fêtes splendides et d’un banquet avec entremets se propo-sant de retracer la conquête de Jérusalem par Godefroi de Bouillon : « Au bas bout de la salle dupalais, qui étoit fermé de rideaux tellement qu’on ne pouvoit rien voir par dehors, il y avoit une nefbien façonnée, dans la forme d’un vaisseau de mer, garnie de voiles et de mâts, château devantet derrière, sans oublier rien des agrès qui appartiennent à nef pour aller en mer. De plus, elleétoit joliment peinte, et pavoisée plus richement qu’on ne sauroit dire, et garnie par dedans degens très bien armés, avec cottes d’armes, écus et bannières des armes de Jérusalem que Godefroyde Bouillon portoit. Et étoient jusqu’à douze, comme dit est, armés des armes des notables capitai-nes qui furent à la dite conquête de Jérusalem. (...) Et fut la dite nef poussée en avant par gens quiétoient cachés dedans, et fut menée très facilement par le côté gauche de la salle du palais, etsi légèrement tournée qu’il sembloit que ce fût une nef flottant sur l’eau ».La chronique se poursuit ainsi : « sortit de derrière les rideaux, à côté de la place d’où la nef étoitsortie, un autre entremets fait à la façon et ressemblance de la cité de Jérusalem. Et y étoit letemple bien imité, et aussi une tour haute assise auprès du temple, ainsi comme les Sarrasinsont coutume d’en avoir, pour de là crier leur loi. Là étoit un homme vêtu très exactement enhabit de Sarrasin, et qui, en langue arabique, crioit la loi en la manière que font les Sarrasins. Etétoit la dite tour si haute, que celui qui étoit dessus joignoit bien près des lambris de la dite salle.Et le bas, tout autour de la dite cité, où il y avoit forme de créneaux, et de murs, et de tours, étoitgarni de Sarrasins armés à leur manière et ordonnés à combattre pour défendre la cité. Ainsi futamené à force de gens, qui étoient dedans si bien cachés qu’on ne les pouvoit voir, jusque devantle dit grand dais, au côté droit. Et lors se mirent les deux entremets l’un contre l’autre ; etdescendirent ceux de la nef, et par belle et bonne ordonnance vinrent donner l’assaut à la dite cité,et longuement l’assaillirent, et y eut bon ébattement de ceux qui montoient à l’assaut par leséchelles. Finalement montèrent dessus ceux de la nef et conquirent la dite cité, et jetoient horsceux qui étoient en habits de Sarrasins, en élevant les bannières de Godefroy et des autres. Et mieuxet plus proprement fut fait et vu que en écrit ne se peut mettre. Et quand l’ébattement fut achevé,les dits entremets furent ramenés en leur place première ».

Banquet avec entremets de Charles Vdonné pour l’empereur d’Allemagne

D’APRÈS... Le Magasin pittoresque paru en 1846

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LÉGENDES/INSOLITE

tant, au moyen des char-mes que lui avait confiés lamagicienne Médée, lesmonstres mythologiqueschargés de défendre la pré-cieuse Toison.Parfois les entremetsétaient conçus pour teniroccupée l’attention desconvives pendant tout lebanquet. Aux noces deCharles le Téméraire avecMarguerite d’York, célé-

brées en 1468 et dont lesfêtes, tournois et banquets,

ne durèrent pas moins de dix jours, on re-présenta en plusieurs séances, les douzetravaux d’Hercule, scènes suivies de l’ap-parition d’une baleine monstrueuse, appor-tée dans la salle même par deux géants ar-més de bâtons, au son des trompettes etdes clairons, et dont la gueule béante livrapassage à deux Sirènes et à douze Dieuxmarins, désignés par le chroniqueur sous lenom de « Chevaliers de Mer », qui exécutè-rent un ballet au bruit d’un tambourin ca-ché dans le corps même du vaste cétacé.Au XVIe siècle, le goût s’épurant, on pros-crivit dans les entremets toutes ces pom-pes disparates et confuses. On donna àces spectacles une harmonie plus galante,plus noble. Il y a loin des fêtes donnéespar Philippe le Bon aux entremets ordon-nés par Catherine de Médicis, pendant lefestin par lequel elle célébra, à Bayonne,en 1565, son entrevue et celle de son filsavec le duc d’Albe et Isabelle de France,femme de Philippe II d’Espagne. Là, ce fu-rent des tables dressées dans une salle deverdure, des musiciens vêtus en dieuxmarins, en satyres ; des bergères habilléesde toiles d’or et de satin, servant le repas ;des nymphes assises sur un rocher artifi-ciel, puis dansant un ballet.Au XVIIe siècle, on s’ingéniait encore àcomposer à Versailles, à Chantilly, debrillants entremets. Lors des fêtes appe-lées les plaisirs de l’île enchantée don-nées par Louis XIV en 1664, on vit entrerdans la salle du festin les 4 saisons, chevau-chant un coursier espagnol, un éléphant, unchameau et un ours ; puis Diane et Pan,pour offrir leurs tributs, descendirent d’unegrande machine représentant une monta-gne couverte d’arbres. On admira encoreles ballets des 12 heures et des 12 signes duzodiaque ; les services empressés des Ris,des Jeux et des Plaisirs, apportant les metssous la conduite de la Propreté, de l’Abon-dance, de la Bonne chère et de la Joie.

Festin donné parCharles V au XIVe siècle

> L’histoire des moeurs et coutumes des Français,racontée à la jeunesse paru en 1845

> Dictionnaire encyclopédique de l’Histoire de France (T. 7) paru en 1842

D’APRÈS...

EN ROUTE POUR DES SIÈCLES

PONTS etROUTESVin et sel INDISPENSABLES

à la construction des

La construction d’une route ou d’un pont s’accompagnait, notammenten Bretagne, de rituels, enfouissements ou sacrifices, visant à se préserverde l’action de mauvais esprits et à garantir la pérennité de l’ouvrageJadis en Haute-Bretagne, avant de commen-cer une route, on creusait un trou dans le sol,avant d’y verser du vin et des liqueurs, of-frande aux esprits de la terre. Si durant la cons-truction ne se produisait aucun éboulement,on jugeait que les esprits avaient trouvé àleur goût les boissons offertes ; s’il survenaitquelque accident, on estimait leur avoir donnétrop à boire et que, s’étant saoulés, ils étaientdevenus méchants. On mettait aussi parfoisdans ces trous de l’huile et des oeufs, afin queles esprits devinssent doux comme les objetsqu’on leur offrait, et l’on assurait qu’en ce casil n’arrivait presque jamais d’accident.Lorsque les travaux étaient terminés et qu’unchemin allait être livré à la circulation, il y avaitprobablement quelques cérémonies, surtoutaux époques où la construction des routes étaitdifficile et coûteuse. Dans la partie centraledes Côtes-d’Armor, la première femme quipassait sur une route en cours d’achèvement,devait se laisser embrasser par un des terras-siers. On raconte aux environs de Dinan quelorsque les Romains avaient achevé un chemin,ils immolaient un homme et offraient son sangaux esprits de la terre, afin d’assurer la durée deleur oeuvre. Le sang était recueilli et répandugoutte à goutte sur la voie nouvelle.Reflet d’une époque où la solidité d’un pontn’était assurée que si une créature vivanteétait ensevelie sous ses fondements, une lé-gende bretonne a trait aux ponts de Rospordenqui ne duraient guère. Ayant été successive-ment détruits, on consulta une sorcière quirépondit : « Si les gens de Rosporden veulentavoir un pont qui ne fasse plus la culbute, ilsdevront enterrer vivant sous les fondationsun petit garçon de quatre ans. On placera l’en-fant dans une futaille défoncée, tout nu, et iltiendra d’une main une chandelle bénite, del’autre un morceau de pain ». On trouva unemère qui livra son enfant ; une grande fête futcélébrée, et l’innocente créature fut murée. Lepont s’éleva alors comme par enchantement,et depuis des centaines d’années il a résisté àtoutes les charges et à toutes les inondations.Mais, ajoute la légende, on a entendu maintesfois dans la nuit l’enfant appeler sa mère, pleu-rer, se lamenter, comme au premier jour, répé-tant sans cesse : « Ma chandelle est morte, mamère, / Et de pain il ne me reste miette ».En Haute-Bretagne, quand on construisait ja-dis un pont, on mélangeait du sel avec lemortier employé à la maçonnerie des piles,afin d’empêcher fées et sorciers de hanterl’ouvrage après son achèvement ; et on pré-tendait que les pièces d’argent qu’il était

d’usage de mettre sous la pile des ponts étaientune offrande au génie de la rivière, pour leconjurer de ne pas démolir la constructionfaite sur son cours. Cette coutume était re-gardée comme nécessaire, et dans cet esprit,lors de la pose de la première pierre du pontde Conflans, sur la Seine, effectuée en 1890sous la présidence d’Yves Guyot, ministre destravaux publics, au moment où l’on allait scel-ler dans la maçonnerie la boîte contenant leprocès-verbal de l’opération, quelqu’un fit ob-server qu’on avait oublié de mettre dans celle-ci les pièces de monnaie d’usage : personne

n’ayant de monnaie au millésime de l’année,on alla, sur les instances des maçons et dequelques assistants, dans le voisinage quérirdes pièces au millésime de 1890, qui furentplacées dans la boîte en dépit du retard quecela occasionna.La tradition populaire prête à certains ponts lefait de reposer sur des objets assez inatten-dus. Ainsi, en Loire-Atlantique, on prétend, àpropos du Pont d’Os et du Pont d’Armes, sur letrait de Mesquer, qu’il s’y livra jadis de grandesbatailles et que l’un d’eux a été construit surles os, l’autre sur les armes des vaincus. LePont du Diable, sur le Lignon, était considérécomme un lieu redouté, et devait son nom aufait qu’un seigneur, attaqué traîtreusementpar un de ses rivaux qui s’était recommandéaux fayettes et au démon, avait fait voeu, encas de victoire, de bâtir un pont.

Visite d’un chantierde bâtisseurs au Moyen Age

D’APRÈS... Revue des traditions populaires paru en 1891

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La France pittoresque – Numéro 3522

DES HOMMES QUI VEILLENT AU GRAIN

MÉTIERS

Constituant une des nombreuses précautions prises par l’autorité pourassurer la loyauté des transactions commerciales, la communauté desmesureurs, jaugeurs et auneurs, fonctionnaires assermentés, a pour missionde mesurer un nombre croissant de denrées, « service public » lui valantd’être exemptée de contraintes auxquelles sont assujettis d’autres métiers

MESUREURS garants

Indispensables et assermentés

( DuXIIIe siècleauXVIIIe siècle

)

de la loyauté commerciale

La prévôté des marchands, pou-

voir établi à l’Hôtel de Ville de Pa-ris, avait obtenu du roi l’adminis-tration directe de divers corps de

gens de métier comme les mesureurs degrains, plus spécialement occupés à ser-vir d’intermédiaire entre les forains et lesmarchands de la ville. Leur situation n’estpas celle des autres métiers ; ils sont agentsde l’administration et n’ont ni apprentis,ni compagnons, ni réceptions à la maîtrise.

Chargés de veiller sur l’échangede grains, sel, étoffes, etc.À tort ou à raison, l’Etat paraissait con-vaincu que tout fabri-cant, tout vendeurchercheraient infailli-blement à tromperl’acheteur. Bien que lemarchand eût en géné-ral le droit de mesurerlui-même sa marchan-dise quand il ne s’agis-sait que d’une ventesans grande impor-tance, un boisseau ouun setier par exemple, audelà, le mesureur inter-venait, sauf si les deuxcontractants s’étaiententendus à l’amiable etne réclamaient pas sonministère. Ce fait était rare, surtout entre mar-chands et bourgeois, car le mesureur, inter-médiaire désintéressé et à qui le commerceétait défendu, servait de garantie, non seu-

lement pour l’exactitude des mesures etdu mesurage, mais encore pour le prix et laqualité. Le Livre des métiers nous le con-firme, ainsi que l’ordonnance du 4 février1567 qui punit du fouet et de 20 livresd’amende tout mesureur juré qui« voudroit user de contrainte sur les ven-deurs ou les acheteurs ». Si quelques char-ges de mesureurs sont antérieures au XIIIe

siècle, d’autres ne furent créées que beau-coup plus tard, et on finit par préposer desmesureurs à la vente de presque toutesles denrées, grains, charbon, ail, oignons,noix, pommes, nèfles, châtaignes, chaux,guède, huile, sel, plâtre, draps, toiles, etc.

Quelques-uns por-taient des noms spé-cifiques, tels les mou-leurs de bois et les jau-geurs de vin, notam-ment.Dès le XIIIe siècle, lesmesureurs étaientexempts du service duguet « en considéra-tion des services qu’ilsrendaient, et qu’on re-gardait comme servi-ces publics », écritLecaron dans ses Mé-moires de la Sociétéde l’Histoire de Pa-ris ; mais le Livre des

métiers déclare expressément qu’ils de-vaient ce privilège à la modicité de leursalaire : « Nus mesureur ne doit point degueit, quar ce sont une manière de gaigne-

maille ». La grande ordonnance de février1415 nous montre en outre qu’ils étaient àla nomination du prévôt des marchands,chef de la municipalité. Celui-ci devait choi-sir pour ces fonctions « homme qui, parinformation deüment faite, sera trouvé estrede bonne vie, renommée et honneste con-versation, sans aucun blasme ou repro-che, suffisant et idoine pour iceluy officeexercer ». Avant d’entrer en charge, lemesureur jurait « que justement etloyaument il exercera iceluy office en sapersonne, et gardera le droit du vendeur etde l’acheteur ; qu’il ne prendra ny deman-dera plus grand salaire que celuy qui estordonné pour ledit office exercer, (...) et ques’il sçait chose qui soit faite au préjudicedes privilèges et franchises de la Ville, in-continent il le fera sçavoir au prévost ».Certains mesureurs versaient une caution ;d’autres offraient un past ou repas de bien-venue à leurs collègues.Les mesureurs de grains existaient dès leXIIIe siècle, car leurs statuts figurent dansle Livre des métiers. La mesure dont ils seservaient, « mine ou minot », devait être« seigniée au seing le Roi » ; si elle s’endom-mageait par l’usage, il fallait la porter « auparloir aux Bourgeois » (Hôtel de Ville) pourla faire contrôler, et dans le cas où elle étaitreconnue inexacte on la brisait, ne rendantau mesureur que les cercles de fer : l’examencoûtait quatre deniers, et le mesureur devaitse procurer à ses frais une nouvelle mesure.L’ordonnance de janvier 1350 limita à 54 lenombre des mesureurs de grains sur Pa-ris : 24 pour les Halles, 18 pour la place deGrève, 12 pour la place de la Juiverie. Cellede février 1415 le réduisit à 50, et fixa à10 livres parisis la caution qu’ils devaientverser. Le mesurage de la farine était payédeux fois plus cher que celui des grains.Nous trouvons dans l’ordonnance du pré-vôt de Paris du 12 juillet 1438, renouveléenotamment en 1471 et en 1546, l’origine denos mercuriales officielles. Les mesureursde grains étaient tenus de faire connaître,après chaque marché, « au greffier de lapolice ou clerc de la prévôté le prix queaura valu iceluy jour le blé froment, le sei-gle et l’orge ». En 1556, on retrouve cesmesureurs demandant une augmentationde salaire en se basant sur les renchérisse-ments de toute nature. Ils disent égalementqu’ils doivent fournir les comptes et lesprix des grains, comme éléments de statis-tique. L’édit de février 1633 porta à 63 lenombre des mesureurs de grains.

Des transactions de boiségalement très encadréesLe bois à brûler était quant à lui mesuréautrefois au moule ou à la corde. Toutes

Mesureur de grains

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Numéro 35 – La France pittoresque 23

MÉTIERS

les bûches devaient avoir trois pieds etdemi (environ 1m15) de longueur. Le moule,

anneau de fer de six pieds et demi de dia-mètre marqué d’une fleur de lys – l’étalonétant conservé à l’Hôtel de Ville –, servaità mesurer les bûches ayant au moins17 pouces (environ 50cm) de grosseur. Engénéral, il entrait environ 16 bûches parmoule, et trois moules auxquels on ajou-tait 12 bûches faisaient la charge d’unecharrette. Aussi appelait-on le gros boisbois de moule ou bois de compte, et lenom de Compteurs de bûches était sou-vent donné aux mouleurs. Les bûchesd’une grosseur inférieure à 17 pouces semesuraient à la corde, composée de qua-tre pieux fichés en terre et formant un qua-drilatère de huit pieds (2m64) sur quatre.C’est en 1641 seulement que, par ordre dela municipalité, fut construit l’étalon decette mesure, membrure en charpente à la-quelle on ne donna que quatre pieds entous sens. Elle contenait environ 96 bûches.Delamarre, auteur du Traité de la police,pense qu’il existait des mouleurs de boisdès 1170 ; on les trouve mentionnés pour lapremière fois dans la Taille de 1292, qui encite quatre. L’ordonnance de 1350 veut qu’ily ait à Paris « cinquante mesureurs debusches tant seulement », et celle de 1415fixe leur nombre à quarante « jurez comp-teurs et mouleurs de busche ».Après avoir prêté serment, les mouleursdevaient bailler au clerc de la ville 5 sous,et verser 6 livres dans la caisse de la con-frérie. Ils étaient tenus de « faire continuellerésidence à jours ouvriers » sur les portsde la Grève, de l’école Saint-Germain et dela Bûcherie, « afin que le peuple en soitdiligemment servy ». En cas de maladie, lacorporation fournissait à celui de ses mem-bres qui était incapable de travailler quatresous par semaine. Le nombre des mouleursde bois fut porté à 51 par l’édit de 1633, 100par celui de 1644, 160 par celui de 1646.Louis XIV créa en outre des offices de Con-trôleurs de la bûche, qui furent rachetéspar les mouleurs, et ceux-ci purent alorsprendre le titre un peu prétentieux de jurés

mouleurs-compteurs-cordeurs-mesureurset visiteurs de toutes sortes de bois, à brû-ler, à bâtir et d’ouvrages. Ils se faisaientsuppléer par les Aides à mouleurs de bois,dont l’ordonnance de 1672 stipule qu’ilssont « tenus de mettre les bois par le mi-lieu dans les membrures, et les ranger desorte que la mesure s’y trouve bonne etloyale, sans y souffrir aucuns bois courtsou si tortus que la mesure en soit dimi-nuée » ; il doivent de surcroît ne travaillerqu’en présence des jurés-mouleurs.

Des jaugeurs versés dansl’art de mesurer les boissonsLes jaugeurs, dont les statuts figurent dansle Livre des métiers, étaient chargés de dé-terminer la contenance des tonneaux em-ployés par les mar-chands de vin, de vi-naigre, d’huile et demiel. Leur interventionétait facultative ; maissi vendeur ou acheteurla requéraient, ils nepouvaient refuser leurministère. Ils exerçaient« par tout dedenz laprevosté de Paris » ;aussi, quand la dis-tance à parcourir exi-geait l’emploi de plu-sieurs heures, celui quiles appelait devaitpayer les frais de dé-placement et leur four-

nir un cheval, « cil qui le maine doit livrercheval et leurs despens ». Ils touchaientdeux deniers par tonneau jaugé, le doublepour un tonneau de miel. Si un jaugeurétait embarrassé pour déterminer la conte-nance d’un vaisseau, il devait appeler àson aide un de ses confrères, et s’ils nepouvaient s’entendre, un troisième venaitencore se joindre à eux. Les jaugeurs étaientalors au nombre de 10, la Taille de 1292n’en mentionnant néanmoins que 3. L’or-donnance de février 1415 déclare que cesfonctionnaires sont établis pour jauger« toutes liqueurs qui se vendent en gros,comme bières, cidres, vinaigres, verjus,huilles, graisses, etc. » Charles VI en fixealors le nombre à 12, à savoir 6 maîtres et6 apprentis, ces derniers devant servir pen-

dant une année aumoins sous la directiond’un jaugeur avantd’être reconnus aptesà mesurer. En outre, ilest prévu que « nuljaugeur ne jaugeraseul ».En 1596, Henri IV éri-gea leur maîtrise en ti-tre d’office, avec attri-bution de 12 denierspour chaque muid. Leroi Louis XIII porta à 8le nombre de leurs of-fices, mais n’accordaqu’aux six plus anciensun apprenti destiné à

L’existence des mesureurs de sel parisiens, que l’on trouve aussi nommés amineurs etqui avaient encore le titre de Compteurs de saline et celui d’Etalonneurs et Visiteursdes mesures, paraît antérieure à 1200, l’ordonnance de février 1415 fixant leur nom-bre à 24. Comme Compteurs de saline, ils étaient chargés de compter les poissonssalés et le beurre qui arrivaient à Paris par bateaux. Comme Etalonneurs et Visiteurs,ils devaient « adjuster les estalons de cuyvre qui sont à l’Hostel de ville » et poinçonneraprès examen les mesures destinées au commerce du sel et à celui des grains : minots,boisseaux, picotins, etc. Ils faisaient chaque année une visite chez les marchands quise servaient de ces mesures, s’assuraient qu’elles étaient en bon état, et signalaientau besoin les contraventions. Toute fraude non révélée les exposait à une amende de60 sous. L’ordonnance de décembre 1672 statue que l’armoire de l’Hôtel de Ville,renfermant les étalons des mesures employées par les marchands de grains et par lesmarchands de sel, sera fermée à deux clefs, dont l’une restera entre les mains du plusancien des mesureurs de sel, l’autre entre les mains du dernier nommé.Les statuts des mesureurs de sel de la ville de Rouen nous révèlent certaines formalités

prescrites pour la sûreté du travail. Aucun bac à porter du sel ne devait rester entre lesmains de deux hommes de peine étrangers au corps. Lorsqu’un maître juré employait unjournalier, le maître devait toujours tenir le poste de derrière dans le portage du bac afinde surveiller les sacs. Si un porteur avait mal fermé son sac par négligence ou par fraude,afin de donner lieu aux regrattières de ramasser le sel dont ils partageaient ensuiteclandestinement les profits, on le condamnait à une amende de 10 sols pour la premièrefois et, en cas de récidive, à une interdiction de ses fonctions pendant huit jours. Il étaitexpressément défendu de se livrer à aucun jeu dans les magasins. « Le service de latrémuie à mesurer le sel, se fera ainsi, disent les statuts, sçavoir, deux mesureurs àdébouter le minot, deux autres au chapiteau de la trémuie pour avoir soin des grilles et letire-minot au trou pour vuider le coffre ».

Les MESUREURS DE SEL tenus dese conformer à une rigoureuse ÉTHIQUELe port au blé de Paris au XVIIe siècle

Mouleurs de bois

D’APRÈS... La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888ET Histoire des anciennes corporations d’arts et métiers et des confréries religieuses de la capitale de la Normandie paru en 1850

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La France pittoresque – Numéro 3524

MÉTIERS

leur succéder. Louis XIVfixa le nombre des jau-geurs à 13, et leur ac-corda 5 sous par muidou demi-queue de vin,cidre, bière, eau-de-vie,verjus, vinaigre etautres liqueurs entrantà Paris, tant par eau quepar terre. En 1703, il y eutune nouvelle créationde 52 jaugeurs, sous letitre d’Essayeurs etContrôleurs d’eau-de-vie, qui, avec les 32de la création de décembre 1689 et les 50de 1690, portait le nombre total de jaugeursà 150. Mais par l’édit de septembre 1719,Louis XV les supprima, et chargea les pré-vôts des marchands et échevins de com-mettre quelqu’un à leur place, pour la jaugeet l’essai des vins et eaux-de-vie, en leurpayant des droits qu’il fixa par un tarif bieninférieur à ceux auparavant exigés. Cescommis furent fixés par l’arrêt du conseildu 12 septembre 1719 au nombre de 24 ;mais les officiers jaugeurs furent rétablispar l’édit de juin 1730.

Les adroits auneurs jettentun pouce expert sur les étoffesLes auneurs-visiteurs de toiles sont euxaussi mentionnés dans le Livre des mé-tiers, au nombre de 2 – les statuts deschanevaciers prouvent qu’en 1393 ilsn’étaient pas plus nombreux –, l’aune deParis mesurant environ 1m19. Les statutsaccordés aux lingères en 1645 interdisentaux auneurs d’ « aller boire ni manger avecles marchands forains, ni leur dire ce quevaut la marchandise » ; ils ne devaient nonplus « loger ni retirer les forains en leursmaisons ». L’arrêt du conseil du 3 octobre1689 accorda à l’acheteur le choix de faireauner toutes les pièces des marchandises,tant par la lisière que par le dos ou le faîte,et d’en payer le prix sur le pied du moindreaunage qu’elles contiennent. Cette commu-nauté, dont le nombre avait alors été porté à50, prêtait serment devant le lieutenant gé-néral de police : il lui est attribué pour droits12 deniers par aune sur toutes sortes detoiles, tant fines que grossières, étrangèresou du royaume ; canevas, coutils, treillis,crépons, bougrans, serviettes, mousselines,batistes, futaines, basins, toiles de coton etde lin, et autres ouvrages de fil, qui sontamenés et vendus à la ville et faubourgs deParis. Les auneurs possédaient deux bu-reaux où ils exerçaient leurs fonctions etpercevaient leurs droits : l’un à l’Hôtel desFermes, l’autre à la Halle aux toiles.La déclaration du 10 septembre 1704 sti-pula que les maîtres et gardes des mar-

chands drapiers et mer-ciers pouvaient choisiret nommer à leur guise12 auneurs, qui ne fontaucune visite sur les mar-chandises, mais qui lesaunent sous la halle auxdraps ou dans les maga-sins et boutiques desmarchands, lorsqu’ils ensont requis par eux, parles forains ou leurs com-missionnaires. Un règle-

ment d’août 1669 défendait d’auner aucunouvrage, qu’il ne fût marqué du lieu de lafabrique, et que le nom de l’ouvrier ne fûtsur le chef et le premier bout de la pièce, àpeine de 50 livres d’amende, et d’interdic-tion des fonctions d’auneur en cas de ré-cidive ; il fixait en outre que toutes les mar-chandises de laine devaient être aunées« bois à bois, parfaitement et sans évent »,à peine de 100 livres d’amende pour cha-que contravention des auneurs. Cette pres-cription visait une habitude remontantpour le moins au XIIIe siècle : il étaitd’usage, quand on mesurait des draps oudes toiles, de placer le pouce au bout del’aune et d’augmenter ainsi la mesure.Au commencement du XVIIe siècle, le roise substitua à la Ville pour la nominationde l’ensemble des mesureurs, et Louis XIVaugmenta à plusieurs reprises le nombredes charges, qui furent dès lors venduespar l’Etat, et devinrent la propriété des ac-quéreurs. Aussi,malgré les édits, lesordonnances et lesrèglements, les titu-laires de ces chargesse bornaient à tou-cher les intérêts deleur office, et le fai-saient exercer par desaides. C’est ainsi quePhilippe Caffieri, pèrede l’artiste à qui l’ondoit les beaux bustesdu Théâtre-Français,put, dans son acte dedécès, être qualifié de « sculpteur du royet mouleur de bois ». Presque toutes lescharges de mesureurs jurés furent suppri-mées par l’édit de 1719, qui confia ces fonc-tions à de simples commis nommés par leprévôt des marchands.

aux MESUREURS

Oignons ou pommesdoivent être SOUMIS

L’ordonnance de 1415 fixe le nombre desmesureurs d’aulx et d’oignons à 2, et lesnomme mesureurs et revisiteurs d’aulx etd’oignons. Outre ces deux légumes, ils mesu-rent encore les noix, noisettes, châtaignes, etautres fruits. Après avoir prêté serment, ilspayaient deux sous au sergent de la prévôtéqui les installait, et fournissaient une cautionde 10 livres parisis. Les marchands pouvaienteux-mêmes mesurer les petites quantités, lesmesureurs jurés n’intervenant que si la venteatteignait au moins un minot. Ils devaient ainsiopérer : « L’un sera à genoux et embrassera leminot par les bords de dessus ; et l’autremettra les oignons dedans le minot, et l’em-plira tant que les bras de l’autre seront touscombles. Et quand il sera ainsi plein, leditmesureur ostera ses bras, et adonc les oignonsdu comble qui cherront à terre appartiendrontau marchand vendeur, et ceux qui demeure-ront au minot seront à l’achepteur ». Leur sa-laire était fixé à 6 sous parisis pour chaquemuid d’oignons mesuré, et 6 deniers parisispour chaque setier. Ces mesureurs visitaientchaque jour l’ail et les oignons arrivant soitpar eau, soit par terre, et devaient détruiretous ceux qui n’étaient pas trouvés « bons,loyaux et marchands », les statuts mention-nant qu’ « ilz seront ars et gectez en tel lieuque jamais personne ne s’en puisse aidier,pource que se on les gettoit aux champs, aucu-nes simples gens les pourroient recueillir eten user, ou par aventure les pourroient re-vendre en aucuns lieux, parquoy plusieursinconveniens s’en pourroient ensuir ; et pource, lesdits mesureurs seront songneux de lesrevisiter, sur paine d’amende arbitraire ». Tousles ans se tenait à Paris, au mois de septem-bre et d’abord au parvis Notre-Dame puis, vers

la fin du XVIIe

siècle sur lequai Bourbon,une foire auxoignons, où lesbourgeois ve-naient faireleur provisionpour l’hiver.La même or-donnance fixaitencore à 2 lenombre demesureurs denoix, pommeset autre fruit, lacaution exigées’élevant à2 0 l i v r e sparisis, l’ins-

trument de mesure étant également le minot,et leur salaire étant fixé à 4 sous parisis pourchaque muid de marchandise, 4 deniers pourchaque setier, et un denier parisis pour cha-que minot. Pour mesurer noisettes et châtai-gnes « qui se mesurent à une petite mesureappelée le comble, dont les trois font le bois-seau, pour chascun comble, un denier. Il yavait encore dans la capitale trois mesureursde guède (pastel), sachant que ceux-ci doi-vent avoir « une mesure et une pelle etratouere pour ycellui office exercer ». Pourchaque muid de guède mesuré, ils percevaient24 sous parisis, et pour chaque setier 2 sousparisis.

Jaugeurs de vin

Les plaisirs de la taverne (XVe siècle)

> Les métiers et corporations de la ville de Paris(XIVe - XVIIIe siècle). Ordonnances générales,métiers de l’alimentation paru en 1886

> La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888> Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (T. 8) paru en 1791> Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercésdans Paris depuis le XIIIe siècle paru en 1906

> Encyclopédieméthodique. Jurisprudence, dédiée et présentée àmonseigneurHue de Miromesnil, Garde des Sceaux de France (T. 1) paru en 1782

> Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers (T. 1) paru en 1801

D’APRÈS...

D’APRÈS... La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888ET Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420

jusqu’à la Révolution de 1789 (T. 4) paru en 1825

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Numéro 35 – La France pittoresque 25

LE SAVIEZ-VOUS ?

CHARIOT de GUERREVoltaire et son invincible

semble revenir de PONTOISEUN HOMME à l’air piteux

Une reine de France institue les ANNONCIADES

Dans une lettre du 18 juin 1757, Voltairevante au duc de Richelieu les méritesd’un chariot de guerre dont il avait prisl’idée dans la Bible : « Donnez-vous leplaisir, je vous en prie, de vousfaire rendre compte par Florian de lamachine dont je lui ai confié le des-sin. Il l’a exécutée ; il est convaincuqu’avec six cents hommes et sixcents chevaux on détruirait en plaineune armée de dix mille hommes.Je lui dis mon secret au voyagequ’il fit aux Délices, l’année passée.Il en parla à M. d’Argenson, qui fitsur-le-champ exécuter le modèle.(...) Si un moine, avec du charbon,du soufre et du salpêtre, a changél’art de la guerre dans tout ce vilainglobe, pourquoi un barbouilleur depapier comme moi ne pourrait-il pasrendre quelque petit service inco-gnito ? Je m’imagine que Florianvous a déjà communiqué cette nouvellecuisine. J’en ai parlé à un excellent offi-cier qui se meurt, et qui ne sera pas, parconséquent, à portée d’en faire usage. Ilne doute pas du succès ; il dit qu’il n’y aque cinquante canons, tirés bien juste,qui puissent empêcher l’effet de ma pe-tite drôlerie (...). Enfin, j’ai dans la tête quecent mille Romains et cent mille Prussiensne résisteraient pas. Le malheur est quema machine n’est bonne que pour unecampagne, et que, le secret connu, de-vient inutile ; mais quel plaisir de renver-ser à coup sûr ce qu’on rencontre dansune campagne ! Sérieusement, je croisque c’est la seule ressource contre lesVandales victorieux. Essayez, pour voirseulement, deux de ces machines contreun bataillon ou un escadron. J’engagema vie qu’ils ne tiendront pas ».

Le philosophe renonça avec un vif re-gret à son invention : « J’aurais sou-haité, pour vous et pour la France, dit-il

ailleurs à Florian, que mon petit char eûtété employé : cela ne coûte presquepoint de frais ; il faut peu d’hommes, peude chevaux ; le mauvais succès ne

peut mettre le désordre dans une ligne ;quand le canon ennemi fracasserait tousvos chariots, ce qui est bien difficile,qu’arriverait-il ? Ils vous serviraient derempart, ils embarrasseraient la mar-che de l’ennemi qui viendrait à vous »,ajoutant qu’il regarde cette machine,« après l’invention de la poudre, commel’instrument le plus sûr de la victoire ». Le18 juillet suivant, Voltaire écrivait à Mme deFontaine : « Jamais aucun général n’oseras’en servir, de peur du ridicule en cas demauvais succès. Il faudrait un hommeabsolu, qui ne craignît point le ridicule,qui fût un peu machiniste et qui aimâtl’histoire ancienne ».

Au temps jadis, lorsque les châteaux avaient de hauts donjons, destours crénelées et à mâchicoulis, vivait en la ville de Pontoise unseigneur grincheux, grand coupeur de bourses, et par conséquent fortcurieux de connaître la valeur des gens qui passaient sur son territoire.Si cette valeur se chiffrait bien, il gardait le voyageur prisonnier, jusqu’àce qu’il payât une bonne rançon. Etait-elle nulle au contraire, il ren-voyait le pauvre diable à grands coups de hampe de pertuisane, lemenaçant de le faire brancher haut et court au premier arbre de la forêt,s’il s’avisait de vouloir traverser son territoire une seconde fois, en sipiètre équipage et aussi peu monté en argent qu’un crapaud en plu-mes. Ces coups et ces menaces ne laissaient pas que d’effrayer cesmalheureux, surtout si, pour les besoins de leur trafic, il leur fallaitabsolument voyager sur les terres dudit seigneur de Pontoise. C’était làmatière à de pénibles réflexions. Aussi, aux portes de Paris, reconnais-sait-on aisément à leur mine contristée tous ceux qui revenaient dePontoise, et de là l’habitude de dire de tout homme à l’air piteux : Ilrevient de Pontoise !Cette légende paraît inventée, car du seigneur de Pontoise, on ne nousdit ni le nom ni la naissance. Aussi certains font-ils remonter l’expres-sion à la prise de Pontoise par les Anglais, le 29 juillet 1419 : leshabitants de cette ville arrivèrent si mal en point sous les murs deParis, que les Parisiens, quoique manquant de vivres, les accueillirentaussitôt. D’autres l’attribuent aux différentes circonstances qui obligè-rent le Parlement de Paris à se réfugier à Pontoise. En effet, de 1652 à1753, le Parlement de Paris y fut transféré trois fois. La première fois(31 juillet 1652) en partie seulement. Sous la régence du duc d’Orléans,s’étant permis de faire des remontrances au sujet de la compagnie desIndes et de la banque Law, il fut une seconde fois exilé à Pontoise le21 juillet 1720.Le troisième exil ne dura pas moins de seize mois. Outre qu’il futaccompagné des mêmes circonstances qui avaient signalé l’exil de1720, dit Nisard, que les voyageurs étaient assiégés d’une multituded’hommes turbulents et avides de nouvelles, que plus on pressaitceux-là de parler, plus ils mettaient de mystérieux et d’importancedans leurs récits, qu’enfin les versions sur le Parlement et ses actesétaient si diverses, si embrouillées, si contradictoires, que les audi-teurs n’y pouvaient rien comprendre, les magistrats exilés avaient pucraindre de n’être plus que la cour du Parlement de Pontoise et de n’enrevenir jamais. Ils en revinrent pourtant et lorsqu’ils ne s’y attendaientpas. C’est à la naissance du duc de Berry (23 août 1754), futur Louis XVI,qu’ils durent ce retour le 30 août suivant. Ils en furent assez surprispour en laisser voir quelque chose et pour avoir eux-mêmes l’air derevenir de Pontoise.

Les religieuses de l’ordre de l’Annonciation ouannonciades, eurent pour fondatrice une reinede France, Jeanne de Valois, femme de Louis XIInée en 1464 et fille d’un Louis XI qui, pour l’em-pêcher de se faire religieuse, l’avait mariée, ce-pendant qu’elle était âgée de 12 ans, au ducd’Orléans, futur roi de France. En dépit du dé-goût que lui inspirait Jeanne, ce dernier n’osas’y opposer, et on dit que la veille du jour fixépour cette union, en 1476, l’évêque d’Orléansayant été envoyé au prince pour savoir sa der-nière volonté sur cette alliance, le duc lui répon-dit : « Hélas ! Monseigneur d’Orléans, mon ami,que ferai-je ? Je ne saurais résister ; il vaudraitautant être mort que de faillir, car vous savez àqui j’ai affaire. – Mais enfin, Monseigneur, lui ditle prélat, quel est votre dernier mot ? – Il m’estbien force, répondit le prince, et il n’y a remède ».Mais ce dernier, accédant au trône après la mortde son frère Charles VIII en 1498, fit annuler unmariage qui n’avait jamais été de son goût etau motif qu’il n’avait jamais été consommé,Jeanne se retirant à Bourges dotée d’un revenuconsidérable et où elle fit une entrée des plusmagnifiques.Concevant alors le projet de fonder un ordre re-ligieux en l’honneur des vertus de la sainte Vierge,elle voulut que cet ordre portât le nom du plusgrand des mystères de la religion, c’est-à-dire

de l’Annonciation. Puis, obtenant la permissionroyale de bâtir un couvent à Bourges, elle y plaçaen 1501 douze jeunes filles qu’elle avait forméeselle-même à tous les exercices religieux, en leurdonnant une règle approuvée en 1502 par lepape Alexandre VI, pour que, « sur la terre, cha-cune de nous, bien consciente de ses propresdéficiences, devienne cependant conforme à lavie de la Vierge Marie pour l’honneur de Dieu etle salut du monde ». Les religieuses de l’ordreportaient un voile noir, un manteau blanc, un sca-pulaire rouge, une robe brune, une croix et unecorde qui leur servait de ceinture. La supérieureavait le nom d’ancelle, du latin ancilla (servante).La reine Jeanne fit les mêmes voeux que ses reli-gieuses, mais n’en prit pas l’habit. Elle crut devoirtoujours habiter son palais, pour être plus à por-tée de soutenir l’oeuvre qu’elle avait commencée.Au moyen d’une porte de communication de sesappartements dans le couvent, elle allait passerles heures les plus agréables de sa vie au milieudes saintes filles qu’elle y avait réunies. Elle ymourut en 1505, âgé de 40 ans, et fut enterrée,ainsi qu’elle le souhaitait, en habit de religieuse.Les huguenots brûlèrent ses reliques en 1562,l’un d’eux lui enfonçant son épée dans le coeur,avant qu’on jetât son cadavre au feu. Elle futcanonisée par le pape Clément XII, en 1738.

Voltaire

Religieuse annonciade

D’APRÈS... Curiosités militaires paru en 1855 D’APRÈS... Journal de la jeunesse. Nouveau recueil hebdomadaire illustré paru en 1885

D’APRÈS... Histoire et costumes des ordres religieux, civils et militaires (T. 2) paru en 1845

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La France pittoresque – Numéro 3526

Départ des pêcheurs de harengs

QUAND LA PÊCHE DEVIENT MIRACULEUSE

Déjà mentionnée au XIe siècle, la pêche du hareng en France prendrapidement le caractère d’une industrie considérable, eu égard au prixmodique d’un aliment particulièrement indiqué en période d’abstinenceet de jours maigres, ainsi qu’aux droits perçus par les abbés et seigneurspuis par l’Etat sur ce poisson en dépit des révoltes qui parfois grondent

la pêche françaiseLe HARENG sort

de sa longue TORPEUR

ARTS/INDUSTRIES ( DuXIe siècleauXVIIe siècle

)

Aucun des écrivains de la Grèceou de Rome n’a parlé du ha-reng. Vivant sur les bords de laMéditerranée et n’observant

guère que les productions de cette mer, ilsn’ont pu connaître cet hôte de l’Océanseptentrional, et il faut arriver au MoyenAge pour trouver des renseignements his-toriques sur ces poissons que l’industriemoderne répandit dans le monde entier.

Une dîme acquittée en harengset un commerce réglementéSorti des forêts de la Germanie, le peuplefranc n’était pas un peuple pêcheur, et pen-dant longtemps les rois de France n’ap-précièrent pas l’utilité des hommes demer. Les premiers documents que l’ontrouve sur la pêche du hareng enFrance remontant à l’an 1030 : la chartede fondation de l’abbaye de Sainte-Catherine, près de Rouen, établit l’exis-tence dans la vallée de Dieppe de cinqsalines et cinq habitations, ou, selonl’expression du temps, cinq masures,dont la redevance annuelle était de 5000harengs. En 1070, une donation de cespoissons fut effectuée à l’abbaye de Saint-Amand de Rouen, et il existe un autre titre,de 1088, par lequel Robert, duc de Nor-mandie, accorde à l’abbaye de la Sainte-Trinité de Fécamp une foire qui doit êtreouverte pendant tout le temps de laharengeaison ou pêche du hareng. Dansle siècle suivant, les avantages que lesports compris entre la Seine et la Brêle reti-raient de cette pêche ne se bornèrent pas à

la consommation locale : le commerce dupoisson, et notamment celui du hareng salé,commença à prendre de l’extension.En 1141, une véritable compagnie, dansl’acception industrielle donnée de nosjours à ce mot, formée à Paris semble-t-ilen 1070 sous le titre de Confrérie des mar-chands de l’eau, composée des plus richesbourgeois de la cité et qui avait pour objetle commerce sur la Seine et la police de lanavigation, acheta la place de Grève. Y éta-blissant un port de décharge, elle reçut denombreux privilèges : entre autres droits

établis par elle, nous voyons qu’elle perce-vait un cent de harengs sur chaque bateauchargé de salaisons. Paris et les villes voisi-nes tiraient en effet de la Normandie, par laSeine, des épiceries, du sel, du poissonsalé, etc. Un diplôme de Louis VII, donnéen 1179 à la ville d’Etampes, porte défensed’acheter aucune denrée dans cette villepour l’y revendre ensuite, excepté le ha-

reng et le maquereau salés. Le commercedu hareng devint bientôt plus protégé parles ordonnances de Philippe-Auguste.Fécamp par sa pêche, Rouen par sa posi-tion sur la Seine, Dieppe avec ses salines,faisaient la plus grande partie du commercede ce poisson. En 1181, le roi défendit defaire monter par la Seine aucun bateau de-puis Mantes jusqu’à Paris, s’il n’était affi-lié à la société des marchands de cetteville ; en 1187, il confirma, par lettres pa-tentes, un accord passé entre cette sociétéet Gathon de Poissy, pour le péage deMaisons-sur-Seine. Là furent réglés lesdroits que paieraient à l’avenir les bateauxchargés de hareng, de sel et de vin montantla Seine, pour se rendre à Paris.L’importance du commerce de ce poissonne fait alors aucun doute, le hareng étant aucoeur de concessions et de privilèges par-fois vivement disputés. Il en arrivait à Rouende tous les ports de Normandie, l’Angle-terre et la Flandre concurrençant cet arri-vage. Un acte de 1170 fait mention de cettepêche au Tréport, dans la concession dedroit obtenu par l’abbaye de la ville d’Eu,d’acheter tous les ans 20 000 harengs fraisou salés exemptés de tout droit. Un autreacte établit également que la pêche de cepoisson avait déjà lieu à Calais. Nous y ap-prenons que Simon II, abbé de Saint-Ber-tin, revenait de Rome muni de plusieursbulles favorables qu’il avait reçuesd’Alexandre III ; une entre autres, accordaità son abbaye la dîme de la pêche des ha-rengs sur toute la côte maritime du Calaisis.

Une pêche menée des côtescalaisiennes aux côtes bretonnesL’exécution y occasionna une révolte : tousles pêcheurs s’étaient unis pour en refu-ser le paiement. Quoique ce droit fût con-

firmé par le comte de Flandre et parPhilippe-Auguste, et que la dîme fûtdemandée par le seigneur du territoire,elle fut constamment refusée. Il semblequ’un vieux matelot donna seul sonadhésion à payer cette dîme à soncuré, en lui observant que cet impôtdevait être levé dans champ ; que ce-lui où il moissonnait et où il faisait sarécolte était la mer, et qu’il aurait soin

d’y laisser le dixième de sa pêche. Lesannales de Calais nous montrent que lesquerelles liées à cette dîme ont duré entrel’abbaye et les Calaisiens jusqu’à ce quel’évêque Lambert II y eût mis fin par unetransaction. Cette même charge suscitaplus tard d’âpres contestations entre l’ab-baye de Sainte-Walburge, en Flandre, etles pêcheurs de Dunkerque et ceux deNieuport, mais dans lesquelles les pê-cheurs finirent par succomber.

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Numéro 35 – La France pittoresque 27

Le hareng

chands forains et des voituriers de pois-sons de mer ; les harengs y sont distinguésen poissons frais, salés ou secs. L’ordon-nance de 1258 et celle édictée en 1326 sousCharles IV, défendirent de mêler ensembledes harengs de deux mors, c’est-à-dire dedeux marées. Cette distinction fut conser-vée sous la dénomination de harengs dela nuit et de harengs de deux nuits.

Des droits pléthoriques incitantLouis IX à y mettre bon ordreIl n’y eut pas de roi de France ayant renduplus d’ordonnances ou fait plus de règle-ments en faveur du commerce du harengque Louis IX. Nombreux furent les obsta-cles qu’il fallut surmonter pour vivifier cecommerce entravé par la prétention desseigneurs, des évêques et des abbés, quil’avaient chargé d’une foule de droits, con-nus sous les noms de prise, de transit, debarage, de tonlieu, de rive, de chaussée,de travers et de truage, par les fournituresde poissons à des conditions arbitrairesque s’octroyaient quelques abbayes, et

ARTS/INDUSTRIES

Au cours du XIIe siècle, plu-sieurs donations de harengs,faites à des maisons religieu-ses, portent à croire que la pêche de ce pois-son se pratiquait entre la Seine et l’Orne,car les donations s’acquittaient à Pont-Audemer ; il est également certain qu’il yavait dans le même temps une pêche dehareng près des îles de Jersey et de Guer-nesey, puisque le roi d’Angleterre Henri IIrelate dans les privilèges de la ville dePontorson, les droits à percevoir sur lesharengs frais et salés qui passaient de làen Normandie. Le poisson de cette pêcheest désigné dans les ordonnances posté-rieures sous le nom de hareng de Garnisy.On pense aussi que cette pêche avait lieusur les côtes de Bretagne, entre la Vilaineet la Loire, et le nom du village appelé enbas-breton Penharing, ce qui signifie têtede hareng, dérive nécessairement de quel-que circonstance remarquable de la pêchede ce poisson. Quant à celle qui se prati-quait au midi de la Loire, elle est établie pardifférents actes ; il en est question dansles coutumes de la mer, autrement dites loid’Oléron, datant de 1152 et publiées parEléonore de Guienne quand Louis le Jeunel’eût répudiée à son retour de la Palestine– la date de 1266 parfois rencontrée est enréalité celle d’une seconde publication. Re-marquons cependant qu’il s’agit plus pro-bablement ici des très grandes sardinesou des pilchards que l’on confond sou-vent avec le hareng quand elles atteignentleur plus grande taille.Le commerce des ports de mer avec Parisobtint de plus grands accroissements lors-que Philippe-Auguste eut réuni à la cou-ronne la Normandie et la Picardie, d’où lacapitale et les principales villes du royaumetirèrent dès lors leurs provisions en pois-son de mer. Si un nouveau port de déchargepour les marchandises remontant la Seinefut établi, le roi octroyant de nouveauxdroits à la société des marchands de l’eau,c’est pourtant seulement sous Louis IX,avec les ordonnancesde 1250, 1254 et 1258,que le commerce despoissons de mer ac-quit l’importance qu’ilméritait, la secondesurtout, constituantdes encouragementsindirects sans précé-dent que reçut la pê-che du hareng. Elleétablit l’ordre et la po-lice de la vente à ob-server à Paris ; il y estfait mention pour lapremière fois des mar-

par les vexations que lesmarchands éprouvaient,tant de la part des princi-

paux habitants des villes, que de celledes garnisons des places fortes et des pour-voyeurs des grandes maisons, qui arrê-taient le poisson destiné à la capitale. Poursurveiller la vente du poisson de mer, oncréa des jurés-vendeurs dans la plupartdes grandes villes, telles que Paris, Rouen,Langres, Laon, etc., et on régla la quantitéde harengs qu’il serait permis d’acheter, eten plusieurs endroits les officiers du roifurent chargés d’en fixer le prix. Le mar-chand forain était libre de vendre lui-mêmeson hareng le jour du vendredi. Le droit devente, qui appartenait aux vendeurs pu-blics pour tous les autres jours, était assezconsidérable, puisqu’en 1369 il s’élevait à12 deniers par livre. En 1350 et 1351, Jean IIaccorda aux voituriers des lettres patentesportant peine de confiscation, d’amendeet de privation d’offices, contre ceux quientraveraient à l’avenir la liberté du com-merce des poissons de mer.Dans une ordonnance publiée en 1320, lesharengs y sont distingués en poissonssaurs, blancs et frais, et ils doivent êtrevendus de plusieurs manières : 1° en meze,messe ou maise, sorte de mesure qui de-vait contenir 1020 harengs saurs ou 816

Quand LE HARENG s’inviteLes guerres du XIVe siècle entre la France etl’Angleterre nuirent à la pêche du hareng. LesAnglais s’étant rendus maîtres de Calais, pro-fitèrent de cet avantage pour prescrire deslimites à la pêche française, et le malheur dutemps imposa la dure obligation de les res-pecter. Si les Dieppois, abandonnés à leurspropres forces, s’opposèrent seuls aux agres-sions de l’ennemi en armant en 1383 deuxgrosses barges et un bargot pour tenter depêcher à leur guise, ils échouèrent ; car onvoit, deux ans plus tard, Charles VI permettreaux pêcheurs de Dieppe et de Boulogne deprendre du gouverneur anglais de Calais un

sauf-conduit pour lapêche, avec la clause dene la faire qu’entre « laSeine et la Somme, etjusqu’à Noël seule-ment », et aux offresd’en accorder de pa-reils aux pêcheurs an-glais et calaisiens.Il y était également sti-pulé que si, par la vio-lence ou la contrariétédes vents, ou pour évi-ter la poursuite dequelque pirate, les pê-cheurs français sevoyaient forcés d’en-trer dans un des portsde la côte de France oc-cupés par les Anglais,ils y trouveraient bonaccueil, sûreté, et s’y

fourniraient de vivres et de tous les autresobjets dont ils auraient besoin. Le roi d’Angle-terre Henri IV sentait en effet la nécessité dese concilier la bienveillance des Français, etsurtout de se rendre favorables les provincesmaritimes, dont il convoitait la possession.Au commencement du XVe siècle, la pêche etle commerce français des harengs passèrentun temps entre les mains de nos ennemis,ces derniers occupant presque tout le Nordde notre pays. L’année 1429 assiste à la jour-née des harengs, combat lors duquel le ducde Bourbon fut défait en voulant s’emparerd’un convoi composé en grande partie de cespoissons salés destinés comme provision decarême à l’armée anglaise qui faisait le sièged’Orléans.Les guerres fréquentes qu armèrent l’unecontre l’autre la France et l’Angleterre, rendi-rent notre pêche lointaine fort difficile ; aussi,vers le milieu du XVIIe siècle, les Dieppoisabandonnèrent-ils les grands drogueurs qu’ilsy employaient, et équipèrent des bateaux pluspetits pour pêcher sur les fonds de la Manche.La France étant alors en guerre avec l’Espagne,les corsaires flamands poursuivirent nos pê-cheurs sur toute la mer du Nord. Pour les met-tre à l’abri de leurs attaques, on eut l’idée d’em-barquer des soldats et d’armer les bateaux depetits canons. Devant l’insuffisance de ce stra-tagème, le gouvernement dut cependant ar-mer deux frégates pour donner la chasse auxcorsaires, Dieppe abandonnant les expéditionsde pêche à la hauteur des Shetland.

Journée des harengs

D’APRÈS... Histoire naturelle des poissons (T. 20) paru en 1847ET Traité général des eaux et forêts, chasses et pêches. Quatrième

partie : dictionnaire des pêches paru en 1827

sur les théâtres de GUERRESP

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La France pittoresque – Numéro 3528

Chariot pour le transport du hareng

harengs blancs (celle d’Irlande n’en con-tenait que 500) ; 2° en tresonel outressoumel ; 3° en pignon, qui équivalait àun millier de harengs ; 4° en caque, tonnelou quecce (caisse). Elle nous apprend en-

core, avec celle de 1350, que l’on saurissaitle hareng à Paris même. On distinguaitaussi les harengs indigènes ou étrangerspar un nombre assez considérable de nomsqui prouvent, par conséquent, que ce pois-son était déjà l’objet de l’attention géné-rale. Ainsi, l’on disait les harengs deGarnisy, de Saffore, Saffaire, de Serne,d’Escone, de Frainclais ou Franchès, etc.L’ordonnance de 1320 fait mention de ha-rengs poudrés, expression qui désigneraitle hareng salé en vrac ou en grenier. Unacte de 1326 nous révèle que la ville deCaen recevait de l’étranger les harengsappelés milliers, et qui y étaient apportésen caques ou en rondelles. Il en venaitdans la saison quatre à cinq cents last etplus, qui se distribuaient non seulementdans la ville, mais encore dans les pays duMaine, d’Alençon et d’Anjou.

Les côtes fourmillent de navirescontenant jusqu’à 200 tonneauxL’importation et l’exportation du harengdevenaient alors un objet de commerceimportant. Les villes du nord envoyaient àDieppe et à Rouen le hareng salé de leurpêche, qui était ensuite réexporté dans leLevant. Les bateaux employés à la pêchede ce poisson dans les différents ports dela Manche, variaient pour la grandeur etétaient distingués par des noms particu-liers. Les plus grands paraissent avoir étéles drogueurs ou dragueurs, soit que cenom leur vînt du commerce de droguerieque les Dieppois faisaient dans les échel-les du Levant, soit qu’ils l’eussent tiré dufilet appelé drague, dont ils se servaientpour d’autres pêches. Le port de cesdrogueurs était ordinairement de 200 ton-neaux ; ils servaient pour les pêches dansles mers du Nord, des Orcades et des cô-tes d’Ecosse, et ensuite à transporter, aprèsla pêche, le hareng salé en caques outonnels dans les pays étrangers, ou dans

Le hareng souffle un vent de renouveausur les PÊCHERIES de PICARDIE

L’invasion franque ayant détruit les pêcheries, les riverains de la mer ne purent se livrerà aucune opération sérieuse de pêche pendant près de deux siècles ; mais bientôt,l’observation rigoureuse du carême nécessitant de remplacer la viande dont les comman-dements ecclésiastiques prohibaient l’usage, des bateaux furent armés pour traquer lespoissons de passage, harengs et maquereaux qui pénétraient à certaines époques dansles parages du Boulonnais et de la Somme. Les filets et les engins reçurent des améliora-tions enseignées par la pratique ; puis on s’appliqua dans l’art de conserver le poisson ;des salines furent établies sur les côtes, dans le voisinage de tous les ports de pêche : il yen eut autour de Saint-Valery, à Sallenelle, à Saigneville, à Noyelles, à Rue, à Waben, àSaint-Josse, à Boulogne. Des charretées de poissons salés étaient journellement expé-diées sur tous les établissements de charité et de prières, et même pour la nourriture desarmées pendant le carême.Un grand débit de harengs se faisait dans toutes les villes de Picardie. Au XIVe siècle, uncent de harengs saurets valait 5 sols. En 1389, il en fut vendu, sur le port de Boulogne, 10 000pour l’hôtel de la reine Blanche, au prix de 51 livres 13 sous parisis. Les barques de pêchesdont on se servait sur les côtes picardes pour prendre le hareng et le maquereau, étaientdes espèces de petites caravelles nommées hirondelles, allant à la voile et à la rame, etdont la contenance pour les plus importantes étaient à peine de quinze tonneaux.Les établissements de pêches tels que Saint-Valery, Etaples, Boulogne, Calais, durent àcette consommation considérable de poissons une importance non seulement commer-ciale, mais politique : la population de ces villes s’accrut ; l’industrie y apporta lescapitaux ; les pêcheurs s’aguerrirent au rude métier de la mer et formèrent cette pépinièrede valeureux marins qui, plus tard, devaient tenir tête aux Espagnols, aux Hollandais etaux Anglais, et préparer la grandeur de la marine française. Un rapport adressé àColbert par le chevalier de Clerville au XVIIe siècle nous montre la réputation alors ac-quise par Saint-Valery : « les pescheurs de ce lieu sçavent accommoder le poisson avecune industrie qui est si fort au-dessus de celle des austres pescheurs de la coste dePicardie et de Normandie, que les harengs dont les barils sont marqués à la marque deSaint-Valery, se vendent par préférence quarante sols par baril plus que les austres ». En1697, ce port et celui de Boulogne faisaient annuellement pour plus de 400 000 livres enharengs et maquereaux qui étaient distribués en Flandre, en Artois et à Paris.

Retour des pêcheurs de harengs

les autres ports de France. Venaient en-suite les barges, sorte de bâtiments pluspetits que les drogueurs, et qu’on em-ployait à la pêche d’Yarmouth, et à cellequi s’effectuait le long de la Manche. Onéquipait également des bargots ou pe-tites barges et des tourets, qui parais-sent avoir été des demi-barges.L’exportation annuelle de tant de mil-liers de tonneaux de harengs que pro-duisait chaque saison la pêche, ali-mentait, au Moyen Age, la navigationd’une incroyable quantité de bâti-ments de toutes grandeurs. Le bas prixde ce poisson en assurait partout ledébouché, la France, l’Angleterre et laFlandre répondant aux besoins des pro-vinces du midi. Les souverains s’appli-quaient à attirer dans leurs Etats un com-merce qui augmentait leurs revenus par lesdroits de tonlieu, d’estaple, etc. La grandeconsommation de hareng, et plus large-ment de tout poisson de mer, était la sé-vère abstinence qu’observaient toutes lesclasses de citoyens, et même les armées,pendant le carême et les jours maigres, etla règle de la plupart des monastères.La pêche française du hareng se faisait alorssur toutes les côtes de la Manche : dans labaie de Saint-Michel, sur les côtes deBayeux, sur celles de Caen et de Honfleurjusqu’à la Seine, aussi librement que sur les

côtes de Haute-Normandie. La pêche étaitlibre, et n’avait d’autre époque de clôtureque celle de la disparition du poisson, quand

les premières chaleurs du printemps le for-cent à abandonner les côtes et à regagnerles grandes eaux ; et s’il y eut quelqueslimitations, ce ne fut que dans des circons-tances extraordinaires, et seulement pourquelques années. En temps de paix, les re-lations entre les Français et les Anglaisétaient telles, que les deux nations n’avaientqu’un même système de police sur la pê-che, l’une d’elles ne pouvant s’en écarterdans nuire à ses propres intérêts.

ARTS/INDUSTRIES

> Histoire naturelle des poissons (T. 20) paru en 1847> Traité général des eaux et forêts, chasses et pêches. Quatrièmepartie : dictionnaire des pêches paru en 1827

> Revue des deux mondes paru en 1849

D’APRÈS...

D’APRÈS... La Picardie, revue littéraire et scientifique paru en 1857

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Numéro 35 – La France pittoresque 29

En vogue au sein des chevaliers du Moyen Age qui y ont semble-t-il d’abordrecours comme objet d’utilité personnelle puis plus certainement commemarque d’une faveur féminine, l’écharpe devient pour les croisés un signedistinctif nécessaire, ensuite adopté par le monde militaire et les factions

UNE LÉGÈRE ÉTOFFE LOURDE DE SIGNIFICATION

Signe ou insigne ostensible

l’ÉCHARPE déroule

MODE/COSTUMES

ses VERTUS au fil des siècles

( DuXe siècleauXVIIIe siècle

)

Quelques auteurs prétendent quel’usage de porter l’écharpeaurait succédé aux croix blan-ches dont les drapeaux français

étaient armoriés depuis Clovis : il sembleque ce soit à tort. Si les chevaliers duMoyen Age ont généralement porté desbandes, des lambrequins, des écharpesavant les croisades, celles-ci n’étaientqu’un objet de mode, de coquetterie, oud’utilité personnelle ; elles n’avaient riende national, rien qui fût militairement né-cessaire.

Suaire puis façon d’afficherla livrée d’une maîtresseNous pouvons supposer que des hom-mes emprisonnés dans des vêtements defer aient tenu à avoir extérieurement, fautede poches, un morceau d’étoffe, un suaire,pour essuyer, au besoin, la sueur de leurfront, ou étancher le sang d’une blessure.Bientôt la mode, la vanité, la galanterie, s’em-parèrent de ce signe extérieur : l’écharpe nefut plus un simple mouchoir, une visière,une bande à pansements ; ce fut un tissureçu des mains de quelque haute châte-laine, ou une faveur octroyée à un cheva-lier par la dame de ses pensées. Chaqueguerrier ayant, ou voulant passer pouravoir une maîtresse adorée, porta ce qu’ilappelait ses couleurs, ses livrées, chiffonsque les femmes livraient en s’en dé-pouillant. Souvent l’objet donné étaitblanc, parce que c’était la nuance la plusgénérale, celle des tissus de lin, celle del’habillement des vierges. Mais une autrecause donna de la vogue à l’écharpe blan-che : l’Eglise, qui avait affecté cette cou-leur à la reine des cieux, fit revêtir aux che-valiers néophytes les couleurs de l’inno-cence, de la pureté, le jour de leur baptêmed’initiation.Lorsque les chevaliers commencèrent àservir par grandes masses, on reconnutqu’il manquait aux armures de fer une mar-que qui pût, un jour d’action, constituerun signe national de ralliement, et on re-courut ainsi à une écharpe d’une couleurconvenue. Dès la première croisade, etnotamment en 1097 affirme Michaud, « surla cotte d’armes de chaque écuyer, flottaitune écharpe bleue, rouge, verte ou blan-che ». Ce que dit Joinville de l’écharpe descroisés la montre comme prenant une im-portance qui ressemble à celle que la cein-ture militaire avait eu plus anciennement àtitre d’armement d’honneur. En croisant lacotte d’armes désignative de l’individu,l’écharpe devient elle-même désignative dela nation ou de la confédération de plu-sieurs nations. Aux croisades, les guerriersla portaient en sautoir, comme on conti-

nua de le faire jusqu’au XVIIe siècle ; c’estmême de cette position oblique del’écharpe qu’est venue la locution pren-dre en écharpe, pour dire prendreobliquement. Elle était blanche sousLouis IX, quoique ce ne fût pas la couleurnationale, mais bien la couleur anglaise,car alors la couleur française était le pour-pre de l’oriflamme. Si une association dechevaliers chrétiens porta l’écharpe blan-che en Orient, ce ne fut donc pas commecouleur nationale, mais comme emblèmede chevalerie, comme couleur d’allianceentre chevaliers de diverses provinces ;voilà pourquoi alliance etécharpe ont été synony-mes. Sous Philippe le Bel,elle était encore blanchepour nous en souvenir descroisades, puisque selonGuillaume Guyart, en 1304,les Français dans une ba-taille navale contre les Fla-mands, « Ont entr’eus touzsus leur atours, / Et lesgranz gens et les menues,Escherpettes blanchescousues / (...) Limalveuillant s’entrecon-noissent / Par le saing desescherpes blanches / (...)Qu’il soit seigniezd’escherpe blanche / Pourestre au férir conneuz ». Onla mettait alors soit en cein-ture, soit en baudrier, et elleservait aussi bien aux sim-ples soldats qu’aux offi-

ciers – ce qui paraît différer des usagesadmis sous Louis IX.

À l’écharpe et au bourdon,on reconnaît un pèlerinAu XIIIe siècle, l’écharpe et le bourdonétaient si bien la marque distinctive dupèlerin, que les rois partant en croisadeestimaient devoir prendre solennellementces deux objets des mains des évêques ouabbés : « Quant li rois ot atourné sa voie,si prist s’eskerpe et son bourdon à Notre-Dame à Paris ; et li canta la messe lievesques », mentionne La Chronique de

Reims. Ces écharpes auxquellesétait suspendue la sacoche ou

l’escarcelle du pèlerinn’étaient qu’une courroie.Déjà en 1190, le roi Phi-lippe-Auguste prenait« l’escherpe et le bour-don » à la basilique Saint-Denis. Quand le sire deJoinville, se préparant auvoyage de l’Orient avecLouis IX, quitte en 1248 sondomaine pour s’embarquerà Marseille, il envoie quérirl’abbé de Cheminon : « Cisabbes de Cheminon si medonna m’escharpe et monbourdon ». Dans le Romande Renart, composé de 1175à 1250, le goupil se déguiseen pèlerin : « Or voit Renartfere l’estuet, / Escrepe etbordon prent, si muet, / Siest entrez en son chemin, /

Chevalier croisé, avecl’écharpe et le bourdon

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La France pittoresque – Numéro 3530

Colonel-général de l’Infanteriesous Henri IV

Arquebusier protestant, encostume blanc, sous Henri III

MODE/COSTUMES

Moult resemble bien pelerin, / Et bien lisist l’escrepe au col ».Après que les temps de pèlerinage et de croi-sades furent passés, l’écharpe perdit insen-siblement l’escarcelle qu’elle portait suspen-due, prit en place une frange ou un gland,mais se maintint et devint un attribut, unedistinction, voire un effet d’uniforme, quandl’armure plate commença à devenir d’unusage général : ainsi, c’est de 1330 à 1600que l’écharpe accompagne le costume defer et constitue une marque purement mili-taire. Sous le règne de Charles VI, elle cessad’être blanche, parce qu’elle n’était plusalors un signe d’alliance entre des cheva-liers, et que la gendarmerie du monarquecommençait à l’emporter sur la chevalerie :elle se portait en bandoulière, sur les vête-ments d’étoffe et de cour. Les écharpes exer-çaient pourtant une grande influence, plutôtcomme marques de factions que comme in-signes de la monarchie : les Armagnacs seulsconservèrent alors la couleur blanche, et lesMémoires de Pierre de Fenin nous appren-nent qu’ « en ce tems [1408], les gens duduc d’Orléans et du comte d’Armignacestoient logez par delà Paris ; et alors oncommença fort à parler des gens au comted’Armignac, pour ce qu’ils estoient ha-billez d’escharpes blanches, car on estoitencores peu vuille [on avait encore peu vu]au pays de France et de Picardie de tellesescharpes », de Barante écrivant qu’en 1413« on était aussi mal venu à ne pas l’avoirqu’on l’eût été à ne pas avoir l’écharpe deBourgogne un an auparavant ».

La couleur de l’écharpene doit rien au hasardFaisant partie de l’uniforme des officiersdes compagnies d’ordon-nance sous Charles VII,elle était blanche sousLouis XI. Il n’en fut plusfait usage sous les prin-ces qu’on range parmiles plus chevaleresques,sous Louis XII ni sousFrançois Ier ; du moins lesbas-reliefs de leurs tom-beaux n’en montrentaucune. Ceci tient sansdoute à ce que depuis l’in-vention des armes à feu,les écharpes étaient deve-nues embarrassantes ; lesarquebusiers n’en por-taient pas, et sous les rè-gnes suivants, les seulspiquiers de l’infanteriefrançaise les conservè-rent, au témoignage deGheyn. Si Henri II fit repren-

dre l’écharpe aux compa-gnies d’ordonnance, ellesen eurent alors deux ; celleque leur donna le roi croi-sait de droite à gauche surl’écharpe aux couleurs ducapitaine, et elle remplaça,comme signe distinctif, lescasaques d’armes ; cettemode eut peu de durée.Charles IX et Henri III por-tèrent l’écharpe rouge, paropposition aux huguenotset leurs chefs qui la por-taient blanche, commenous l’apprend d’Aubigné,avant que ce dernier sou-verain n’adoptât, en signede réconciliation, de nou-veau la couleur blanche, demême que son successeur Henri IV.Chaque nation avait alors de même sa cou-leur : l’écharpe des Anglais et des Sa-voyards était bleue ; celle des Espagnols,rouge ; celle des Hollandais, orange ; celledes Autrichiens, noire et jaune, etc.L’usage survécut peu en France aux der-niers tournois, et l’écharpe fut abandon-née quand l’uniformité des habits militai-res s’établit. Après la paix de Ryswick(1697), on reconnut qu’elle était une déco-ration sans objet, coûteuse, embarras-

sante, dangereuse mêmedans la mêlée. Il n’en futplus question lors de laguerre de 1701, comme leprouvent les ordonnancesdes troupes françaises, en1695 ; et en 1703 l’entièreabolition des écharpes eut

lieu dans l’infante-rie, comme consé-

quence de l’adoption gé-nérale du fusil.Il ne resta de l’écharpe quela cravate des drapeauxfrançais, cravate qui origi-nellement n’était autrechose que l’écharpe, ou,si l’on veut, le lien, la bri-

cole du porte-enseigne ;d’une extrémité, il l’attachait

au fer de la lance du drapeau ou de la cor-nette ; de l’autre, il s’en faisait une cein-ture ; c’était le moyen d’empêcher que levent ou l’ennemi n’emportât cette volumi-neuse enseigne. Cette manière de lier l’uneà l’autre l’enseigne vivante et l’enseigned’étoffe dura jusqu’à la moitié du XVIIIe

siècle.

s’écharpent par couleurs interposéesLes huguenots ayant conservé le blanc, le roi Charles IX crut devoir adopter l’écharpe rouge, età la bataille de Dreux, en 1562, lorsque la guerre éclata entre le parti protestant et le particatholique, « le combat avoit déjà duré plus de cinq heures, et à peine pouvoit-on plus discerner

les écharpes blanches que portoit l’amiral [Gaspard de Coligny, chef des troupesprotestantes] d’avec l’écharpe rouge de ses ennemis », raconte La Popelinière.Henri III continua de porter l’écharpe rouge, mais quand en mai 1589, le duc deMayenne, général de la Ligue catholique, après s’être avancé jusqu’à Tours où lemonarque et le roi de Navarre – futur Henri IV – étaient réunis, fut contraint debattre en retraite par les troupes protestantes, Henri III, « pour honorer leurvaleur, prit l’écharpe blanche, ce qui fâcha à plusieurs des siens, ne pouvanthonorer de bon coeur la marque contre laquelle ils avoient eu et avoient encoretant de passion », rapporte d’Aubigné. Ce que la Ligue ne put obtenir à forceouverte en Touraine, elle l’obtint le 1er août suivant du poignard de JacquesClément, la duchesse de Montpensier se vantant d’avoir commandité cet acteet faisant « par une fureur insolente et ostentation enragée, distribuer à tous lesconjurés des écharpes vertes, disant : Je ne suis marrie que d’une chose, c’estqu’il n’a sceu, devant que de mourir, que c’estoit moi qui l’avois fait faire ». Leduc de Mayenne et ses partisans quittèrent l’écharpe noire qu’ils portaientdepuis la mort des Guises, et prirent la verte en signe de réjouissance.Cependant, cette frénésie et ces excès, qui valurent bientôt à la Ligue de voir lesvilles se détacher peu à peu d’elle, n’empêchèrent pas l’imprescriptible couleurde remonter sur le trône avec Henri IV. En 1592, après l’abjuration du roi, Villars,commandant de la ville de Rouen, répondit à Rosny, chargé de mener les pourpar-lers : « Je ne connais plus qu’une Ligue, celle de tous les bons Français pour aimeret servir leur roi ! ». A ces mots, Rosny lui jeta au cou l’écharpe blanche, et le peuplecria : Vive le roi Henri, témoigne Millin. Le 27 décembre 1593, L’Hospital Vitry,commandant de Meaux pour la Ligue, fit savoir au duc de Mayenne qu’il voulaitrentrer au service du roi devenu catholique, et prit l’écharpe blanche, avant de lafaire prendre à toute la ville aux cris de Vive le roi ! Le 12 février 1594, à Lyon, « oncommença à prendre des panaches blancs, et peu de temps après des écharpesblanches ; et à dix heures du matin ne se trouvoit plus de tafetas ni de crespeblanc dans la ville, tant fut grande l’affluence de ceux, et jusques aux enfans, qui

voulurent porter les marques du roy ».

ROYALISTES et LIGUEURS catholiques

> Dictionnaire de la conversation et de la lecture (T. 8) paru en 1854> Histoire du drapeau, des couleurs et des insignesde la monarchie française, précédée de l’histoire desenseignes militaires chez les anciens (T. 2) paru en 1837

> Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époquecarolingienne à la Renaissance (T. 3) paru entre 1858 et 1875

D’APRÈS...

D’APRÈS... Histoire du drapeau, des couleurset des insignes de la monarchie française, précédée de l’histoire des enseignes militaires chez les anciens (T. 2) paru en 1837

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Numéro 35 – La France pittoresque 31

Jean-Baptiste-Schwilgué

PERSONNAGES

Manifestant très tôt un goût prononcé pour la mécanique et lesmathématiques, l’autodidacte Schwilgué, menant de front études, carrièredans l’enseignement et dans l’horlogerie, poursuit des travaux scientifiquesvisant à tenir le serment de ses 15 ans : conférer l’ « immortalité » à unehorloge astronomique de Strasbourg au passé chaotique

LA TÊTE DANS LES ÉTOILES

Quand LE RÊVE D’ENFANT de

devient PROGRÈS scientifiqueSchwilgué

Né à Strasbourg le 18 décembre1776, Jean-Baptiste Schwilguéperdit sa mère à l’âge de six ans,et montra dès ses plus tendres

années un goût si décidé pour tout ce quise rattachait aux arts mécaniques qu’il par-vint, sans autre guide que son intelligenceet son adresse manuelle, à confectionner,seul, les outils nécessaires à l’établissementd’un petit atelier. Son plus grand bonheurétait en effet d’imiter, en petit, les machinesqu’il avait l’occasion de voir, et de façonnerdes instruments à l’usage de la physiqueexpérimentale, ses camarades et les amis desa famille le qualifiant ainsi de petit sorcier.

Le destin de Schwilgué lié à celuide l’horloge dès ses 15 ansC’est vers l’âge de 15 ans, toute la familles’étant établie à Sélestat après les événe-ments de 1789, qu’il conçut la première idéede restaurer l’horloge astronomique deStrasbourg, construite par Dasypodius en1574 et ayant cessé de fonctionner en 1790.Cette dernière remplaçait elle-même cellequi, achevée en 1352 par les mécaniciens etastronomes les plus habiles du temps, est àl’origine d’une étrange légende : les chanoi-nes du chapitre de Strasbourg délibérant surla récompense à donner à l’artiste, convin-rent de lui crever les yeux afin qu’il ne fût pasen mesure, fort de son expérience, de cons-truire pour une autre ville une horloge plusmerveilleuse encore ; mais apprenant la rai-son du traitement barbare à lui infligé, le mal-heureux s’écria « Insensés ! Qu’avez-vousfait ? Cette horloge n’est point achevée ; elleva s’arrêter si je n’y ajoute la pièce qui ymanque, et dont moi seul connais laplace ». Conduit au chef-d’oeuvre, ilen brisa les rouages, personnene s’avérant capable dela réparer.Le jeune Alsacien,ne manquant ja-mais les diman-ches versl’heure de midi,de se rendre à lacathédrale pourcontempler celle deDasypodius bienqu’elle fût devenueinactive et que personnene savait non plus réparer,Schwilgué s’écria un jour de-vant une assemblée à laquelle le sacristainvenait de narrer la légende de sa construc-tion : « Eh bien ! moi, je la ferai marcher ! » ;avant de s’exclamer : « Je jure ici devantDieu qui m’entend, qu’avec le secours desa divine protection, je ferai marcher cettehorloge et chanter le coq », promesse qu’il

brandit de nouveau en 1793, cette foiscomme « monnaie d’échange » devant uncitoyen commissaire indifférent, en vued’obtenir la libération de son père empri-sonné pour cause d’opinions modérées.S’il savait indispensable l’étude des hau-tes mathématiques et principalement cel-les de l’astronomie pour rendre à cette hor-loge son antique splendeur, il dut cepen-dant patienter avant de s’y atteler, en rai-son d’un service militaire qu’il effectua

comme canonnier sédentaire de lagarde nationale de Sélestat, etdont il ne fut définitivement libéré

que le 20 mars 1801, alors qu’ilétait marié depuis cinq ans

à une Mlle Hihn ren-contrée lors d’un bal

auquel il avaitété prié d’as-sister en sa

qualité d’officierde la garde na-

tionale, et étaitdéjà père de trois

enfants. Chaquenaissance – il eut huit

enfants – était pour luil’occasion de se rendre à

Strasbourg et d’acheter à la li-brairie Levrault un nouvel ouvrage de ma-thématiques qu’il lisait chaque soir, sontravail journalier achevé, étudiant fortavant dans la nuit.Plus de douze ans après la loi constitutivedu système métrique décimal, édictée parla Convention nationale le 7 avril 1795, le

gouvernement entreprit de convaincre unepopulation rétive à cet usage au moyend’hommes capables de le bien comprendrepour pouvoir ensuite le bien expliquer, et fitainsi appel comme vérificateur des poids etmesures de l’arrondissement de Sélestatentre 1808 et 1825, à Schwilgué, qui déjàs’était déjà distingué par un travail impor-tant relatif au rapport existant entre cetteéchelle uniforme et l’ancien système alsa-cien. Jean-Baptiste n’eut pas plus de maî-tres pour les sciences qu’il étudia, qu’il n’enavait eu pour l’horlogerie qu’il pratiquaitalors : sa méthode consistait à appliquer,après l’avoir approfondie, la théorie à lapratique, en rendant sensible et en quel-que sorte palpable à l’oeil par le secoursdu dessin, tout ce qui était possible d’êtrereproduit ; et ce fut ainsi qu’il apprit la géo-métrie descriptive, avant de se douter que lesavant Monge eut rassemblé depuis long-temps en un corps d’ouvrage imprimé, lesingénieuses applications de cette brancheimportante des mathématiques. De tels suc-cès n’ayant pas tardé à être connus, on son-gea à Schwilgué pour occuper dès 1808 leposte de professeur suppléant à la chaire demathématiques du collège de Sélestat, quoi-qu’il ne possédât encore aucun diplôme.

Persévérance et déterminationenfantent le calendrier perpétuelFin 1815, songeant plus que jamais à lareconstruction de l’horloge astronomiquede Strasbourg, il eut l’idée de remplacerpar un calendrier mécanique et mobile l’an-cien calendrier de cette horloge qui n’indi-

( XVIIe siècleXVIIIe siècleXIXe siècleXXe siècle

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quait qu’en peinture, sur son disque debois et seulement pour l’espace d’un siè-cle, les jours de Pâques de chaque annéeainsi que quelques-unes des principalesfêtes mobiles. A cet effet, et en dépit d’unentourage pour la plupart dubitatif l’enga-geant à renoncer, il parvint et en six semai-nes de temps à créer un mécanisme de troiscents pièces dont il avait voulu que lesindications fussent perpétuelles, et qui re-produisait également celles des annéesécoulées depuis la réformation du calen-drier grégorien, intervenue en 1582. Six ansplus tard, fin septembre 1821, animé du désirde faire connaître au monde savant soncomput ecclésiastique et muni de son pré-cieux mécanisme portatif – mesurant 20 cmde haut sur 15 de large et 10 d’épaisseur –,il mit à profit l’époque où les élèves étaienten vacances pour se rendre dans la capi-tale où il ne connaissait personne sinonson fils aîné, mais décidé à soumettre sontravail tant à l’Académie des sciences qu’àLouis XVIII. Respectant scrupuleusementune étiquette à laquelle le roi tenait parti-culièrement, Schwilgué fut admis un moisplus tard à lui présenter lors d’une audienceparticulière de plus d’une demi-heure soninvention, avant de quitter Paris pour re-gagner Sélestat en vue de la rentrée desclasses du collège.La notoriété de Jean-Baptiste ne se démen-tit pas. En 1824, il fut chargé par le conseilmunicipal d’établir dans la tour de l’égliseSaint-Georges la grande horloge qui de-vait attirer l’attention des connaisseurs etmarqua un progrès sensible dans la cons-truction des grandes horloges publiques.L’année suivante, la grande bascule à pontdont on se servait alors à Sélestat étantdevenue hors de service en raison de dé-gradations successives,il supervisa les répara-tions qu’elle exigeait ensa qualité de vérificateurdes poids et mesures, eten profita pour faire su-bir à l’instrument tantd’innovations et de per-fectionnements que,d’une vieille machine entout point défectueuse,il en fit une nouvelle ser-vant de modèle pourtoutes celles qui depuisfurent construites. Onse contentait autrefoisdans l’opération du pe-sage, d’une exactitudevariant de 25 à 50 kg,prise sur la charge to-tale d’une voiture ; la précision fut portéeà un demi-kilogramme, même à l’égard des

bascules d’une portée de 125 tonnes jadisà l’usage des ponts et chaussées.

Passé maître dans l’art de créerdes appareils de précisionUn compte-rendu qu’il élabora en 1826 àla demande expresse deCharles Dupin, membrede l’Académie des scien-ces le sollicitant dans lecadre de la rédaction d’unouvrage sur « l’impor-tance et le caractère desprincipaux établisse-ments d’industrie qui fonthonneur à notre patrie »,nous montre queSchwilgué fabriquaitalors « des horloges pu-bliques d’un nouveaugenre, des machines àfendre perfectionnées etdes outils servant à laconfection de pièces mé-caniques qui exigent unecertaine précision », maisencore « des appareilsutiles à la vérification despoids et mesures, des machines pour lafabrication des toiles métalliques, connues

sous le nom de vergure, des régulateurspour métier à tisser, etc. », mentionnantque toutes les pièces sont de son inven-tion et ont été perfectionnées par lui. En1827, il prit la direction technique de l’éta-blissement de son ami Rollé avec lequel il

s’associa et qui l’avaitengagé à s’établir à Stras-bourg, où Jean-Baptisteput dès lors se livrer toutà son aise à son génie in-ventif.La même année, dans laprévision que l’horlogeastronomique de la ca-thédrale de sa ville nataleserait tôt ou tard réparéeet même reconstruite en-tièrement, il adressa àl’administration munici-pale de Strasbourg unmémoire dans lequel ilproposait trois modesd’exécution : 1° remettrel’horloge dans son étatprimitif, c’est-à-dire tellequ’elle avait été cons-truite à l’origine ; 2° la

perfectionner et la compléter ; 3° la recons-truire entièrement sur un plan tout nou-

PERSONNAGES

Lorsque Jean-Baptiste Schwilgué parvint à mettre au point ce comput ecclésiastique per-pétuel qu’il crut un moment irréalisable au point d’envisager d’être contraint de prouvercette impossibilité par de nouveaux calculs, il s’empressa d’en faire part à son fils aîné,dans une lettre datée du 14 décembre 1815 à neuf heures du soir : « Les dimanchesprécédents je me suis occupé du Quantième perpétuel de M. Kunckel [un des amis les plusintimes de Jean-Baptiste], qui est maintenant fini ; il fonctionne avec tant de précision quej’en suis on ne peut plus satisfait. Dimanche dernier, il y aura quinze jours, je lui montrai

comment cela s’organisait. M. Kleitz [autre ami, professeur au collègede Sélestat] se trouvait chez lui : tous deux en ont été étonnés. Je leur aidit que depuis longtemps je cherchais à inventer un autre objet, maisque je croyais impossible de trouver, à cause des trop grandes compli-cations de calculs que cet objet nécessiterait. M. Kunckel m’a réponduque quelque difficile que cela puisse être, il ne doutait pas que si jem’en occupais sérieusement, je parviendrais à le découvrir (c’est d’in-diquer mécaniquement les fêtes mobiles). Dès ce jour je m’y suis livré,et le mercredi jour de saint Nicolas, à dix heures du matin, je l’aiheureusement trouvé. Aussi pendant les trois nuits précédentes je n’avaispu fermer l’oeil, tant cela m’avait occupé l’esprit ; il m’a fallu pourréussir, combiner mes calculs et mon mécanisme d’une manière si ex-traordinaire, que je m’étonne encore d’y être parvenu ».Schwilgué poursuit : « J’en ai fait part plus tard au maire de Sélestat, enlui disant que je venais d’inventer une pendule à calendrier perpétuelmécanique où les fêtes mobiles étaient représentées ; qu’elles se trans-portaient d’elles-mêmes sur les jours et les mois qui leur correspon-daient pour chaque année, ainsi que le comput ecclésiastique qui yrépondait (...) ; je lui ai dit également que (...) j’étais parvenu à rendrele mouvement des aiguilles indépendant du rouage de la mesure dutemps, pour celles dont les cadrans sont éloignés du corps de l’horloge,et cela sans rouages intermédiaires ou auxiliaires (...). Comme le mairese trouve en ce moment à Strasbourg, je pense qu’il est assez lié avecson collègue de cette ville pour lui faire part de ma nouvelle décou-verte. Peut-être aussi cela pourra-t-il me servir à quelque chose, lors-

qu’on aura les moyens de réparer l’horloge astronomique de la cathédrale ».

Calendrier PERPÉTUEL MÉCANIQUE :étape CRUCIALE du rêve de Schwilgué

Comput ecclésiastiquede Schwilgué

Horloge astronomique deDasypodius construite en 1574

D’APRÈS... Notice sur la vie, les travaux, les ouvrages de mon père, J.-B. Schwilgué, etc. paru en 1858

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PERSONNAGES

veau et de façon à ce qu’elle pût réunirtout ce que l’art mécanique et les connais-sances astronomiques pouvaient offrir deplus exact et de plus complet. Deux ansplus tôt, il avait pu pénétrer dans la cagede l’horloge et en visiter le mécanisme,constatant alors « que la plupart des ouvra-ges étaient démontés ; que presque tou-tes les figures mouvantes qui servaient,tant à la sonnerie qu’à d’autres fonctions,étaient mutilées, que ses diverses piècesétaient d’une construction vicieuse et partrop matérielle ; que presque toutes étaientconstruites en fer, un très petit nombre enacier, et qu’il n’en existe pas une seule quisoit en cuivre ; que le frottement avait gran-dement altéré quelques-unes d’elles, maisqu’il n’avait mis hors de service que cellesdont le mouvement était le plus continuelou qui agissaient avec le plus de vitesse ;enfin, que l’oxydation, je veux dire la rouille,n’avait presque pas mordu sur l’ensembledes rouages ».

L’homme d’un projet titanesqueexigeant un savoir-faire hors pairIl avait été plusieurs fois question d’uneréparation complète ; mais, sous le PremierEmpire et la Restauration, l’autorité muni-cipale de Strasbourg avait reculé devant ladépense qu’un semblable travail eût né-cessitée, et si ce fut dans sa séance du24 septembre 1833 que le conseil de la villes’occupa pour la première fois et sérieuse-ment de la résurrection de l’horloge astro-nomique, trois années supplémentairess’écoulèrent avant que l’exécution des tra-vaux de réhabilitation fût confiée àSchwilgué. Il lui fallut d’abord se livrer auxcalculs les plus ardus ; puis, inventer unefoule d’instruments et d’outils qui pussentdonner aux rouages du nouveau méca-nisme qu’il voulait créer, une précision quejusqu’alors la main de l’homme n’avait ja-mais atteinte, et enfin former un nombred’ouvriers qui fussent capables de biencomprendre les détails de cette grandeconception ; ceci en respectant un bud-get imposé par l’administration. Le traitéle liant à son collègue Rollé expirant en1837, Jean-Baptiste quitta l’associationpour s’occuper exclusivement de la cons-truction de la nouvelle horloge astrono-mique, pour laquelle il n’employa aucune

des pièces qui existaient dans l’ancienne ;quand même l’aurait-il voulu que cela luieût été impossible. On ne conserva de l’an-cienne horloge que le cabinet, dont lespeintures et les ornements asiatiquesavaient été habilement restaurés aupara-vant ; mais c’est précisément en raison durespect pour la première disposition decette cage, que l’inventeur alsacien dutvaincre d’immenses difficultés, tant pourcoordonner et placer le mécanisme entierdans un espace ne s’y prêtant que médio-crement, que pour en harmoniser les fonc-tions avec les indications anciennes. Ilconsigna la description complète de sonoeuvre au sein de 40 cahiers manuscrits,avec plans et dessins.Entamée le 24 juin 1838, la constructionnécessita quatre années de labeur, cou-ronnées par la mise en route de la nouvellehorloge le dimanche 2 octobre 1842, à l’oc-casion du 10e congrès scientifique tenualors à Strasbourg. Les journaux de la lo-calité avaient annoncé que le chef-d’oeuvre de Dasypodius, qu’on avait crumort pour toujours, allait revivre et qu’ainsil’antique basilique verrait renaître son plusbel ornement ; « ce miracle, disait-on, de-vait s’opérer à midi précis ». Peu avantmidi, Schwilgué s’avança seulvers son horloge qu’il mit enmouvement, et bientôt l’undes petits génies tenant unsceptre frappa le timbre quiannonça le premier des qua-tre quarts précédant l’heure,dont les douze coups se firententendre. Aussitôt les apôtresvinrent s’incliner devant leurdivin maître, puis le coq agitases ailes, fit entendre sonchant et apprit ainsi à la popu-lation qui se pressait au de-hors comme au dedans de lacathédrale que le miracle étaitaccompli.Jean-Baptiste, qui poursuivitdepuis ses travaux scientifi-ques et effectua d’incessan-tes recherches sur les engrena-ges et les machines de précision,perdit son épouse en 1851, deux ans avantde recevoir la visite du cousin de l’Empe-reur qui avait vu fonctionner la nouvellehorloge astronomique, et de se voir dé-coré de la Légion d’Honneur. Une santédéclinante le priva de l’Exposition univer-selle de 1855 tenue à Paris, peu avant samort survenue le 15 décembre 1856.

la visite d’un PRINCE

L’horloge astronomiquede SCHWILGUÉ lui vaut

Le 31 octobre 1853, le prince impérial Napo-léon, cousin de l’empereur Napoléon III, re-venant de Stuttgart, arriva le soir à Strasbourget descendit à la Préfecture. Le lendemain,jour de la Toussaint, il se rendit à la cathédralependant l’office, et s’arrêta devant l’oeuvrede Schwilgué, avant de s’enquérir de l’origineet du nouveau mécanisme de celle-ci, puisde se rendre chez lui, désireux de lui expri-mer de vive voix le plaisir qu’il avait éprouvéà voir fonctionner son horloge. L’Alsacien s’em-pressa de montrer au prince quelques-uns desinstruments de précision et de calcul qu’ilavait inventés et exécutés : celui-ci les exa-mina les uns après les autres en connaisseur,et les observations précises et multipliéesqu’il fit sur l’emploi de ces instruments dé-notèrent, chez lui, un appréciateur compé-tent. Après avoir adressé à Schwilgué des pa-roles de félicitation et d’encouragement, leprince le quitta, devant parvenir à Paris lemême jour.S’il voulait garder un strict incognito et avait àdessein voyagé sous le nom de comte deMeudon, le bruit se répandit bientôt dans laville, que le cousin de l’empereur avait dai-gné visiter l’inventeur dans sa modeste habi-tation ; de sorte qu’en se dirigeant vers l’em-barcadère du chemin de fer de Paris, il ren-contra sur son passage une foule de person-nes venues le saluer. Schwilgué, absorbé par

les calculs auxquelsl’astreignait songrand ouvrage surles engrenages, nesongeait déjà plusà cette visite, lors-qu’il reçut une let-tre du prince datéedu 11 novembresuivant et ainsiconçue : « Monsieur,je m’empresse devous faire savoirque j’ai été assezheureux pour appe-ler l’attention del’empereur sur vosremarquables tra-vaux qui méritentd’être mieux con-nus, et que j’espèrevoir figurer à lagrande expositionoù la France doitêtre dignement re-p r é s e n t é e .J’éprouve un véri-

table plaisir à vous an-noncer que S.M. adonné l’ordre, au mi-

nistre de l’instruction publique, de lui propo-ser un décret qui vous nomme officier de laLégion d’Honneur ». Il avait ajouté de sa main,en forme de post-scriptum : « J’ai conservéun vif souvenir de ma visite à l’horloge deStrasbourg et dans vos ateliers ». Dans le Mo-niteur du 13 novembre était publié un décretimpérial confirmant cette décoration, et lerédacteur en chef du Courrier du Bas-Rhin fai-sait suivre la même annonce des réflexionssuivantes : « Jamais distinction plus méritéen’est venue trouver, dans sa retraite, un sa-vant plus digne, plus honorable et plus ho-noré que M. Schwilgué père ».

Horloge de l’église Saint-Georgesà Sélestat, conçue par Schwilgué

Détail de l’horloge astronomiquede Schwilgué à Strasbourg

> Notice sur la vie, les travaux, les ouvrages de mon père,J.-B. Schwilgué, ingénieur (...), créateur de l’horlogeastronomique de la cathédrale de Strasbourg paru en 1858

> Le Génie industriel paru en 1857> Le cabinet de l’amateur et de l’antiquaire paru en 1842

D’APRÈS...

D’APRÈS... Notice sur la vie, les travaux, les ouvragesde mon père, J.-B. Schwilgué, etc. paru en 1858

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La France pittoresque – Numéro 3534

MARQUÉ DE LA CROIX OU CRUCESIGNATUS

Au XIIIe siècle, l’Eglise prend l’initiative d’imposer le signe aux hérétiques,enjoints de porter deux croix sur la poitrine, peine humiliante dont certainstentent de s’affranchir au risque d’être flagellés ou emmurés

desCROIXimposée aux HÉRÉTIQUES

L’humiliante peine

LÉGENDES/INSOLITE

Il est fait, pour la première fois, officiel-lement mention du signe des héréti-ques dans le concile de Toulouse de1229, le statut 10 prescrivant qu’ils de-

vront, pour témoigner qu’ils ont renoncé àleurs anciennes erreurs, porter deux croixsur la poitrine, l’une à droite, l’autre à gau-che, et de couleur différente de leurs vête-ments, la même prescription étant renouve-lée par les conciles de Béziers de 1233, et deTarragone, de 1242. Celui qui était marquéde la croix était dit crucesignatus.Ces premières mesures étant semble-t-ilpeu efficaces, la matière, la couleur, la placeet les dimensions du signe ne tardèrentpas à être déterminées rigoureusement :les croix furent d’abord au nombre dedeux ; elles devaient être de feutre jaune,l’une sur la poitrine, l’autre derrière le dos,entre les épaules. Elles devaient être cou-sues sur tous les vêtements des héréti-ques, excepté la chemise, et être toujoursbien apparentes. Les dimensions impo-sées étaient : pour le grand bras, de deuxpalmes et demi de long ; pour le brastransversal, de deux palmes ; de troisdoigts de largeur pour chacun. Les héré-tiques étaient tenus de porter ces croixaussi bien chez eux qu’au dehors, de lesréparer et de les remplacer lorsqu’ellesétaient déchirées ou usées.Le concile de Béziers, de 1246, fixa le nom-bre de ces croix à trois pour les hérétiquescondamnés ; la troisième devait être égale-ment de couleur jaune et de grandeur suf-fisante. Les hommes la portaient à leurchaperon et les femmes à leur voile. Cettepeine constituait non seulement la plushumiliante qui pût être infligée, mais en-core devait exposer les porteurs à la risée

publique, à en juger par la prohibition deles tourner en dérision.

La dispense exige réconciliationet une attestation de l’évêqueLeurs intérêts matériels s’en trouvant enoutre lésés, certains usaient de différentsmoyens pour s’en débarrasser : ainsi deGuillemette Bonet, qui donne trois oies àBérengère, épouse de P.-G. Morlana, cares-sant l’espoir de voir cette dernière la faireexempter par l’évêque de Carcassonne duport des croix ; de Raimonde Manifacier,arguant, pour se justifier de comparaîtresans ses croix devant l’inquisiteur, quecelles-ci étaient usées et qu’elle n’avait pas

les moyens d’en acheter de nouvelles,qu’elle en avait sur sa cape, cependant quesa maîtresse lui avait défendu de portercette cape et lui avait ordonné d’en porterune autre dépourvue de croix. Le concilede Toulouse, de 1229, ne dispensait, enprincipe, du port de la croix que ceux quipourraient justifier, par lettre de leur évê-

que, de s’être réconciliés avec l’Eglise, lespeines les plus sévères étant édictées con-tre les délinquants ; tantôt la confiscationest prononcée, tantôt l’interdit est lancé ;c’est la flagellation qui fut prescrite par leconcile de Narbonne, de 1235, comme com-plément du port de la croix. C’est ce quiarriva à un certain Ulysse, de Cabaret, quiobtint le 6 octobre 1251 de l’évêque deCarcassonne la permission de déposer jus-qu’à Noël les croix, qu’il devait reprendresans attendre l’ordre de l’évêque ou detout autre. S’étant gardé de le faire, les in-quisiteurs le condamnèrent le 26 janvier1652 à venir à Carcassonne, le dimanchede la Septuagésime, pour visiter toutes leséglises du bourg, en allant de l’une à l’autre,nu-pieds, en chemise et en braies, avecune poignée de verges dans la main, et àen faire autant le premier dimanche de cha-que mois, jusqu’au moment où il s’embar-querait pour le voyage d’outre-mer.Enfin l’emmuration – enfermement dansun cachot qu’on murait ensuite – était en-core une des peines imposées à ceux quicessaient de porter des croix ou les dissi-mulaient. Elle fut notamment infligée à Ar-naud de Savinhac, de Tarascon de l’Ariège,qui, cité pour ce fait devant les inquisi-teurs, le 14 mai 1323, eut beau infirmer qu’illes portait, les jours de fête, sur son man-teau et que, les autres jours, il les déposaitlorsqu’il était à son travail, mais qu’il lesreprenait en revenant ; il avouait cepen-dant être allé à Tarascon sans ses croix.Pour les relaps, pour ceux qui rejetaientleurs croix sans autorisation, les inquisi-teurs avaient imaginé une peine tout à faitraffinée. Puisqu’ils ne savaient pas se con-

tenter de deux croix, ils en porteraientquatre. Ainsi, Gaillard Vassal, par sen-tence du 2 mars 1253, fut condamné àporter, outre les croix ordinaires qu’ilétait tenu d’avoir sur ses vêtements,d’avoir sur son chaperon deux autrescroix, chacune d’une palme, et avec or-dre de porter ce chaperon chez luicomme à l’extérieur. De plus, chaque di-manche du carême de cette année, il de-vait visiter toutes les églises du bourg,c’est-à-dire de la ville basse de Carcas-sonne, en chemise et en braies, les piedsnus, avec des verges dans la main etcoiffé du chaperon. Le concile de Bé-

ziers, de 1246, enjoignait aux relaps ou àceux qui auraient poussé les autres à re-tomber dans l’hérésie, de mettre au-des-sus des deux croix qu’ils portaient déjà surla poitrine et derrière les épaules, un brastransversal de la largeur d’un palme et dela même étoffe.

Scène de l’Inquisition : L’Agitateur du LanguedocPeinture de Jean-Paul Laurens

> Les signes d’infamie au Moyen Age : juifs, sarrasins,hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques paru en 1891

D’APRÈS...

( XIe siècleXIIIe siècleXIVe siècleXVe siècle

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La France pittoresque – Numéro 3536

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