lucier, p. (2001) « la société du savoir »

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  • 7/29/2019 Lucier, P. (2001) La socit du savoir

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    Chaire Fernand-Dumont sur la culture

    Pierre Lucier 1 de 3 2001

    Lucier, Pierre

    La socit du savoir

    Notes pour l'allocution prononce par Monsieur Pierre Lucier, prsident de l'Universit du

    Qubec, lors de la collation des grades de l'Institut national de la recherche scientifique,

    Qubec, le 17 novembre 2001.

    Monsieur le Directeur gnral,

    Monsieur le Recteur de l'Universit du

    Qubec Montral,

    Mesdames et Messieurs de la direction, du corps

    professoral et du personnel de l'Institut national

    de la recherche scientifique,

    Mesdames et Messieurs de l'Assemble des

    gouverneurs et de la direction de l'Universit du Qubec,

    Monsieur Alain Soucy,

    Mesdames et Messieurs les diplms,

    Mesdames et Messieurs,

    Avant toute chose, j'offre toutes mes flicitations aux diplms de ce jour. Nous sommes

    heureux, chers diplms, de fter aujourd'hui votre russite et tout ce que celle-ci a exig de

    travail, de constance, de courage. Merci de vous tre ainsi investis dans des tches dont notre

    socit a besoin pour construire son avenir et sa prosprit. Merci et flicitations aussi vos

    parents et amis, qui vous ont accompagns dans votre cheminement et qui ont t avec vous

    aux heures de joie et d'enthousiasme comme aux moments plus difficiles. Flicitations aussi

    aux professeurs et aux chercheurs qui vous ont soutenus et guids dans vos travaux. La

    collation des grades est toujours pour eux tous extrmement gratifiante.

    Vos tudes et vos travaux vous ont placs au coeur des dynamiques qui travaillent ce qu'il est

    devenu presque banal d'appeler la socit du savoir ou de la connaissance . Banal, le

    fait de le rpter sans doute, mais srement pas la chose elle-mme. Car nous commenons

    peine prendre la mesure de ce que cela veut dire pour notre manire de conduire larecherche et, plus fondamentalement, pour la manire de remplir notre mission d'universit.

    Et donc, comme toujours quand nous nous situons ces niveaux, pour les approches et lesattitudes qui doivent sous-tendre nos manires de faire.

    Pour vous le dire d'emble, il me semble qu'une partie encore trop importante du discours

    universitaire s'en tient aux mises en garde, aux craintes et aux inquitudes relatives auxdangers qu'il y aurait s'engager de trop prs ou trop volontiers dans les nouveaux montages

    de gestion et de financement de la recherche. On semble s'y rsigner comme un pis-aller;

    tout au mieux comme une tendance irrsistible avec laquelle il vaut mieux composer,

    moins de vouloir s'exclure des ligues qui comptent.

    Il me semble qu'il faut plutt prendre les choses autrement - j'allais dire : l'endroit -, en

    essayant de saisir ce qu'il y a d'interpellant et de nouveau dans le concept et la ralit de la

    socit du savoir . Qu'est-elle, cette socit, sinon une affirmation sans prcdent du

    caractre central et incontournable de la connaissance dans la vitalit des circuits

    socioconomiques et dans la construction des nouvelles prosprits collectives ? Comme

    intellectuels et scientifiques, nous avons ainsi toutes les raisons de nous rjouir de cette

    dmarginalisation radicale de la connaissance, et mme de la connaissance la plus

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    fondamentale. De nous rjouir ds lors aussi de voir ainsi l'universit faire une plonge

    oblige l o l'action se passe. Ce n'est pas une mince avance, n'est-ce pas, que de passer

    d'une situation o la recherche universitaire pouvait sembler daigner partager ses rsultats

    avec des institutions civiles et commerciales qui, elles-mmes, semblaient daigner parfois

    s'y intresser, une situation o, ds le dpart et avant mme toute dcouverte, des questions,

    des proccupations, des attentes, des intrts sont partags et les risques, coassums.

    Car c'est bien cela qui se produit dans la socit du savoir en mergence : le savoir intresse

    avant mme qu'il ne soit produit, avant mme qu'on sache exactement quoi en faire et quel

    profit en tirer. La ligne gnrale est connue : c'est celle de la ncessit d'innover. Mais les

    voies pour y accder demeurent frappes d'un fort coefficient d'incertitude, celui-l mme qui

    caractrise l'imprvisibilit de l'intelligence et de son pouvoir crateur. Cette nouvelle

    dynamique, faite d'attentes partages bien plus que d'offre et de demande, parfois aussi

    d'impatiences et de pressions elles-mmes partages, il faut que nous en mesurions les

    implications pour nos faons de faire et de vivre l'universit. On ne peut pas, en mme temps

    et sous le mme rapport - Aristote nous rattrape toujours! -, tre et ne pas tre dans le trafic

    , c'est--dire exposs, permables, donc dstabilisables, et, en mme temps, protgs,

    tranquilles, en retrait. Chacun sait que les voies de circulation les plus denses comportent plus

    de risques, mais qu'elles conduisent gnralement aux endroits les plus intressants.

    Disant cela, je ne suis pas en train de faire l'loge de l'engagement tte baisse dans tout ce

    qui bouge de nouveaux cadres de fonctionnement de la recherche. Nous avons garder la tte

    sur les paules. Il y a mme des distances critiques qui ne se ngocient pas, pas plus que les

    valeurs thiques qui nous paraissent absolument prfrables. Mais, en mme temps, n'allons

    pas confondre distance critique avec mise en retrait, passivit ou, pire, impermabilit aux

    enjeux. Et rservons le discours de la dfense des valeurs pour les situations de vraie dcision

    thique. Ne donnons pas raison Sartre qui stigmatisait durement ceux qui ont les mains

    pures , justement parce qu' ils n'ont pas de mains .

    Pour ma part, il me semble de plus en plus qu'il faut aborder ces questions par le fond, c'est--

    dire en partant de ce que nous constatons et voulons tout la fois, une socit qui fait sa place

    au savoir au point de s'intresser lui avant, pendant et aprs sa production. Promouvoir cetype de socit - et comment pourrions-nous ne pas le faire ? -, c'est en accepter les

    consquences, les nouvelles tches et les nouveaux risques. C'est assurment aussi rompreavec certains conforts et certaines protections d'antan. C'est donc trs exigeant, en ce que nous

    avons y tre fidles ce que nous pensons tre essentiel la ralisation de notre missionuniversitaire. Mais ce peut tre formidablement exaltant, comme lorsqu'on russit garder les

    contrles ncessaires et matriser les virages. Au bout du compte, cela exige, pour voquerBergson, un supplment d'me .

    Chers diplms, vous avez, l'Institut national de la recherche scientifique, travaill dans un

    tablissement qui a rsolument dcid de s'engager dans les circuits de la nouvelle socit dusavoir. Ces circuits sont eux-mmes en pleine mutation et obligent souvent opter pour

    l'indit. Et, pour cela, adopter des attitudes et des comportements dont on ne contrle pas

    tous les tenants et aboutissants, prendre des risques calculs. Mais, j'en tmoigne volontiers,

    l'INRS y navigue avec mesure et discernement tout autant qu'avec audace et crativit. Il le

    fait en s'appuyant sur le meilleur de ses traditions de rigueur scientifique, de souci de la

    pertinence, de fidlit ses convictions de droiture. Je souhaite que vos cheminements

    l'Institut national de la recherche scientifique vous aient ouverts ces nouvelles ralits, qu'ils

    vous aient aussi aguerris pour y contribuer efficacement. Je vous souhaite, dans la

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    construction de la socit du savoir, beaucoup de joie et d'occasions d'panouissement

    personnel.

    Merci d'avoir choisi cette faon exigeante de btir nos socits de demain. Et bonne route!