lucier, p. (2001) « de la chose publique »

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  • 7/29/2019 Lucier, P. (2001) De la chose publique

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    Chaire Fernand-Dumont sur la culturePierre Lucier 1 de 3 2001

    Lucier, PierreDe la chose publique

    Notes pour l'allocution prononce par Monsieur Pierre Lucier, prsident de l'Universit duQubec, l'occasion de la collation des grades de l'cole nationale d'administration publique, Montral, le 9 novembre 2001.

    Monsieur le Ministre Sylvain Simard,Monsieur le Directeur gnral,Mesdames et Messieurs du corps professoral,de la direction et du personnel del'cole nationale d'administration publique,Mesdames et Messieurs les diplms de ce jour,Mesdames, Messieurs,

    D'abord et avant tout, j'adresse mes voeux les plus chaleureux aux nouveaux diplms. Nousclbrons aujourd'hui votre russite et l'aboutissement de cheminements auxquels vous avezconsacr temps et nergie. Flicitations. Flicitations aussi vos proches, et celles et ceux

    qui vous ont accompagns aux jours d'enthousiasme et de dcouverte comme aux heures plussombres o le doute et la lassitude ont pu vous assaillir. Pour celles et ceux qui font del'universit leur mtier, cette fte de la russite constitue galement un plaisir toujoursnouveau et extrmement tonifiant.

    Je tiens adresser un salut particulier au directeur gnral, Monsieur Marcel Proulx, dont c'estla premire collation des grades ce titre. Tous mes voeux et mon appui vous accompagnent,Monsieur Proulx, pour la conduite judicieuse des affaires de l'cole nationale d'administrationpublique. C'est en plein exercice de ces mmes responsabilits - je ne pense pas ternir la joiede cette rencontre en le rappelant - que Monsieur Pierre De Celles nous a t enlev cetteanne. Puisse-t-il nous tre tous deux une source d'inspiration dans notre attachement l'cole nationale d'administration publique et l'Universit du Qubec.

    J'ai pens partager aujourd'hui avec vous quelques brves rflexions sur l'tat, et sur le servicepublic qui y trouve son fondement et sa lgitimit. Et, cette fin, de me situer de nouveaudans la mouvance sociopolitique des vnements du 11 septembre, une date hlas devenueune rfrence oblige en raison des nombreuses et importantes interpellations qui s'yrattachent. Il me semble, en effet, que ce que nous vivons depuis lors remet en pleine lumirele caractre fondamental et incontournable de l'tat - qui englobe beaucoup plus que le seulappareil gouvernemental, ce n'est pas vous que je dois le rappeler -, cet tat mme que lescourants no-libraux avaient presque russi renvoyer aux ides ringardes et doucementnostalgiques. Crment, mais puissamment, et si tant est qu'on ait pu l'avoir oubli, le 11septembre nous rappelle tous que l'tat de droit est absolument suprieur la terreur

    dbride, que c'est vers l'tat et le service public que les populations se tournent pour chercherla paix et la scurit, comme aussi pour organiser les secours et panser les blessures. C'estaussi cette porte que l'on frappe, si libre entreprise que l'on soit, pour rclamer protection etaides spciales.

    Je suis depuis longtemps de ceux qui estiment que l'tat, comme la chose publique et lesvaleurs qui la fondent, constitue une des plus grandes conqutes de l'humanit. La victoire dudroit, de la raison et du bien commun sur l'arbitraire, la force et l'intrt particulier n'est pasune mince affaire, en effet, et il saute aux yeux que la bataille des Horaces et des Curiaces

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    valait dj sans doute mieux que la tuerie gnrale, et aussi, qu'une campagne lectoraledmocratique, si pre soit-elle, vaut infiniment mieux que la guerre civile. L'vocation de telscas limites a ceci d'instructif qu'elle nous ramne nos derniers retranchements, l o il fautultimement faire les choix qui comptent. Il y a galement l une sorte de raisonnement parl'absurde , qui fait ressortir la lgret de certains discours sur la fin de l'tat, providentiel ou non, ou sur la promotion d'une minceur qui, comme en rgime d'anorexie, finit par faire

    disparatre son sujet.

    J'voque cela avec vous parce que, au cours de vos tudes et de vos tches professionnelles enadministration publique, il vous est srement arriv de vous demander si vous tiez engagsdans une voie d'avenir ou si vous ne risquiez pas de vous retrouver parmi les derniers desMohicans du service public. Et je ne parle pas ici des blagues relatives ces messieurs lesronds-de-cuir , qui n'ont pas beaucoup de porte mme et qui n'ont pas toujours non plus letalent des propos caustiques de Courteline. Je pense plutt ces campagnes tenaces, qui,mme ici au Qubec, o on ne devrait pourtant pas trop oublier ce que notre collectivit doit la cration de l'tat qubcois moderne, ont systmatiquement grug l'estime de la chosepublique : moins d'tat, clame-t-on. C'est--dire, sans doute, moins de taxes, moins deservices de caractre public. Mais moins d'tat ne signifie pas ncessairement plus de

    justice et de progrs social.

    Je ne veux pas laisser entendre pour autant que rien ne doit changer du genre d'tat que, dansla foule de notre Rvolution tranquille et l'instar des socits d'aprs-guerre, nous noussommes donn. Non, il y a bel et bien telles choses que l'tat et le genre d'tat. On ne doit pasconfondre l'tat, sa ralit et ses fondements, avec les modles de gestion et d'organisationdans lesquels, selon les priodes et les besoins, l'on traduit concrtement son action et sesmodes d'intervention.

    Ainsi, une nouvelle loi de l'Administration publique vient d'tre adopte au Qubec, quimodifie sensiblement les approches en place en mettant l'accent sur la mesure des rsultats,sur le service aux citoyens, sur la responsabilit des gestionnaires publics et donc sur leurimputabilit. Mais je n'y ai rien vu qui sonne le glas de l'tat et du service public, pas plusd'ailleurs que quelque affirmation l'effet que la fin justifierait les moyens ou que les citoyensexerant leurs droits seraient devenus les simples clients d'une entreprise. Ce qui estpropos, c'est essentiellement la base d'un nouveau cadre de gestion, un cadre exigeant,d'ailleurs, stimulant, capable de rajeunir les pratiques et d'inspirer la relve qui, massivementau cours des prochaines annes, fera son entre dans les administrations publiques. Celles etceux qui assurent le service public accomplissent et continueront d'accomplir une tchedifficile, mais essentielle. Pour ma part, je me considre honor d'avoir pu, pendant plusieursannes, porter le titre d' administrateur d'tat , un terme qui dit fort bien ce qu'il en est : unservice de la chose publique qui dpasse la fois les modles d'organisation, les paradigmesde gestion et les programmes politiques. On dit souvent, Monsieur le Ministre, que les

    politiciens passent et que les fonctionnaires demeurent. Mais, en fait, les fonctionnaires aussipassent. C'est l'tat, la chose publique et le bien commun qui demeurent et doivent demeurer.

    Chers diplms, l'estime de la chose publique a srement t au coeur de vos cheminementsde formation l'cole nationale d'administration publique. Je souhaite qu'elle vousaccompagne dans vos engagements professionnels. Les vnements du 11 septembre mesemblent inviter la raffirmation de nos convictions cet gard. Puissiez-vous y trouver,comme l'ENAP elle-mme, une puissante source de motivation.

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    Je vous offre tous mes voeux pour une excellente route et je vous souhaite beaucoup de joiedans le service de la chose publique.