localisations réno-aortiques de la maladie de takayasu

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Article original Localisations réno-aortiques de la maladie de Takayasu* M. Lacombe** Consultation de chirurgie, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France RE ´ SUME ´ But de l’étude : Le but de ce travail était d’étudier les atteintes rénoaortiques de la maladie de Takayasu, les résultats à long terme de leur traitement chirurgical et l’évolutivité de la maladie dans le temps. Patients et méthodes : De 1972 à 2000, 23 patients (16 femmes, sept hommes) ayant une atteinte réno-aortique de maladie de Takayasu ont été opérés. L’âge moyen était de 19,5 ± 12,4 ans. Tous ces patients présentaient une hypertension artérielle sévère non contrôlée par le traite- ment médical. Dix-huit patients avaient des lésions aorti- ques et rénales, cinq des lésions isolées de l’artère rénale, dix des lésions des artères digestives, six des lésions des troncs supra-aortiques. L’angioplastie endoluminale des artères rénales, tentée dans quatre cas, a été constam- ment suivie d’échecs. Du fait de lésions bilatérales chez 12 patients, le traitement chirurgical a comporté trois néphrectomies et 32 réparations de l’artère rénale effec- tuées par chirurgie conventionnelle sur le rein in situ (n = 23) ou chirurgie extracorporelle (n = 9). Un pontage aortique a été effectué chez sept patients et la revascula- risation d’autres artères viscérales chez trois. Le suivi va de 1 à 18 ans (moyenne : cinq ans). Résultats : Il n’y a pas eu de mortalité chirurgicale. Trois thromboses postopératoires sont survenues : rénale (n = 2), mésentérique (n = 1). Les résultats immédiats sur l’hypertension artérielle ont comporté une normalisation totale des chiffres tensionnels chez 18 patients (78 %), une amélioration chez trois (13 %) et un échec avec tension inchangée chez deux (9 %). À terme, une évolu- tion de la maladie a été observée chez dix patients (43 %) : quatre récidives de sténose artérielle rénale par évolution des lésions aortiques avec réinterventions chez deux patients, trois évolutions au niveau des troncs supra- aortiques avec intervention chez un patient, trois aggrava- tions de lésions aortiques (sans atteinte des rénales réparées) avec pontage prothétique chez un patient, enfin, une atteinte coronaire avec pontage chez un patient (à huit ans et demi). À longue échéance, du fait des dégra- dations secondaires ou tardives, les résultats du traite- ment chirurgical sur l’hypertension artérielle sont les sui- vants : guérison chez 14 patients (61 %), amélioration chez quatre (17 %), échec chez cinq (22 %). Conclusions : Le traitement chirurgical des lésions rénoa- ortiques en cas de maladie de Takayasu est indiqué en cas d’hypertension artérielle sévère non contrôlée malgré un traitement médical lourd. Les résultats sont grevés par l’évolution de la maladie, soit localement, soit à distance, nécessitant parfois des interventions multiples. Compte tenu de la fréquence des dégradations tardives, les indi- cations chirurgicales doivent être mûrement pesées et le suivi des patients doit être prolongé. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS maladie de Takayasu / artères rénales / hypertension rénovasculaire ABSTRACT Renal and aortic lesions in Takayasu’s disease. Aim of the study: The aim of this work was to study the localizations of Takayasu’s disease to the aorta and the renal arteries, the long-term results of their surgical treat- ment and the evolution of the disease with time. Patients and methods: From 1972 to 2000, 23 patients (16 females, 7 males) with aortic and/or renal lesions were operated on. Mean age was 19.5±12.4 years. Despite heavy medical treatment, all had severe and uncontrol- lable hypertension. Eighteen patients had associated lesions of the aorta and renal arteries, 5 had isolated lesions of the renal artery, 10 had lesions of mesenteric Reçu le 11 octobre 2001 ; accepté le 31 janvier 2002. *Communication présentée à l’Académie nationale de chirurgie au cours de la séance du 7 novembre 2001. **Correspondance et tirés à part. Ann Chir 2002 ; 127 : 268-75 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394402007472/FLA

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Article original

Localisations réno-aortiques de la maladie de Takayasu*

M. Lacombe**

Consultation de chirurgie, hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118 Clichy cedex, France

RESUMEBut de l’étude : Le but de ce travail était d’étudier lesatteintes rénoaortiques de la maladie de Takayasu, lesrésultats à long terme de leur traitement chirurgical etl’évolutivité de la maladie dans le temps.Patients et méthodes : De 1972 à 2000, 23 patients (16femmes, sept hommes) ayant une atteinte réno-aortiquede maladie de Takayasu ont été opérés. L’âge moyen étaitde 19,5 ± 12,4 ans. Tous ces patients présentaient unehypertension artérielle sévère non contrôlée par le traite-ment médical. Dix-huit patients avaient des lésions aorti-ques et rénales, cinq des lésions isolées de l’artère rénale,dix des lésions des artères digestives, six des lésions destroncs supra-aortiques. L’angioplastie endoluminale desartères rénales, tentée dans quatre cas, a été constam-ment suivie d’échecs. Du fait de lésions bilatérales chez12 patients, le traitement chirurgical a comporté troisnéphrectomies et 32 réparations de l’artère rénale effec-tuées par chirurgie conventionnelle sur le rein in situ(n = 23) ou chirurgie extracorporelle (n = 9). Un pontageaortique a été effectué chez sept patients et la revascula-risation d’autres artères viscérales chez trois. Le suivi vade 1 à 18 ans (moyenne : cinq ans).Résultats : Il n’y a pas eu de mortalité chirurgicale. Troisthromboses postopératoires sont survenues : rénale(n = 2), mésentérique (n = 1). Les résultats immédiats surl’hypertension artérielle ont comporté une normalisationtotale des chiffres tensionnels chez 18 patients (78 %),une amélioration chez trois (13 %) et un échec avectension inchangée chez deux (9 %). À terme, une évolu-tion de la maladie a été observée chez dix patients(43 %) : quatre récidives de sténose artérielle rénale parévolution des lésions aortiques avec réinterventions chez

deux patients, trois évolutions au niveau des troncs supra-aortiques avec intervention chez un patient, trois aggrava-tions de lésions aortiques (sans atteinte des rénalesréparées) avec pontage prothétique chez un patient, enfin,une atteinte coronaire avec pontage chez un patient (àhuit ans et demi). À longue échéance, du fait des dégra-dations secondaires ou tardives, les résultats du traite-ment chirurgical sur l’hypertension artérielle sont les sui-vants : guérison chez 14 patients (61 %), améliorationchez quatre (17 %), échec chez cinq (22 %).Conclusions : Le traitement chirurgical des lésions rénoa-ortiques en cas de maladie de Takayasu est indiqué encas d’hypertension artérielle sévère non contrôlée malgréun traitement médical lourd. Les résultats sont grevés parl’évolution de la maladie, soit localement, soit à distance,nécessitant parfois des interventions multiples. Comptetenu de la fréquence des dégradations tardives, les indi-cations chirurgicales doivent être mûrement pesées et lesuivi des patients doit être prolongé. © 2002 Éditionsscientifiques et médicales Elsevier SAS

maladie de Takayasu / artères rénales / hypertensionrénovasculaire

ABSTRACTRenal and aortic lesions in Takayasu’s disease.Aim of the study: The aim of this work was to study thelocalizations of Takayasu’s disease to the aorta and therenal arteries, the long-term results of their surgical treat-ment and the evolution of the disease with time.Patients and methods: From 1972 to 2000, 23 patients(16 females, 7 males) with aortic and/or renal lesions wereoperated on. Mean age was 19.5±12.4 years. Despiteheavy medical treatment, all had severe and uncontrol-lable hypertension. Eighteen patients had associatedlesions of the aorta and renal arteries, 5 had isolatedlesions of the renal artery, 10 had lesions of mesenteric

Reçu le 11 octobre 2001 ; accepté le 31 janvier 2002.*Communication présentée à l’Académie nationale de chirurgie aucours de la séance du 7 novembre 2001.** Correspondance et tirés à part.

Ann Chir 2002 ; 127 : 268-75© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003394402007472/FLA

arteries, 6 had lesions of supra-aortic trunks. Percutane-ous transluminal angioplasty of the renal artery (ies) wasattempted in 4 cases and was unsuccessful in all. Due tobilateral lesions in 12 patients, the surgical treatmentconsisted of 3 nephrectomies and 32 artery repairs ofwhich 23 were performed by conventional in situ surgeryand 9 by extracorporeal repair. An aortic bypass wasperformed in 7 patients and revascularization of othervisceral arteries in 3. The follow-up extends from 1 to 18years (mean: 5).Results: There was no mortality. Three postoperativethromboses of repairs occurred: 2 of renal artery and 1 ofmesenteric artery. Immediate results on blood pressurecontrol were as follows: complete cure in 18 patients(78%), improvement in 3 (13%) and failure in 2 (9%).During the follow-up, evolution of the disease wasobserved in 10 patients (43%): 4 repeat stenoses of renalarteries due to aggravation of aortic lesions requiringreoperation in 2 patients, 3 aggravation of aortic lesionsrequiring an aortic bypass in 1 patient, 1 coronary insuffi-ciency requiring a coronary bypass at 8.5 years. Duringthe long-term follow up, due to secondary anatomicaldeteriorations, the results of surgery on blood pressurecontrol were as follow: complete cure in 14 patients (61%),improvement in 4 (17%), failure in 5 (22%).Conclusion: Surgical treatment of reno-aortic lesions inTakayasu’s disease must be reserved to patients whosearterial hypertension is uncontrollable despite heavy medi-cal treatment. Results are altered by the evolution of thedisease either locally or in other territories and that mayrequire several operations. Due to frequently occurringlate degeneration of repairs, surgical therapy must becarefully decided and patients’ follow-up must be pro-longed. © 2002 Éditions scientifiques et médicalesElsevier SAS

Takayasu’s disease / renal artery / renovascularhypertension

En 1908, Takayasu, ophtalmologiste japonais, décri-vait des anévrismes artérioveineux d’origine isché-mique, observés chez des femmes dont les poulsradiaux étaient absents [1]. Les descriptions initialesde la maladie faisaient état uniquement d’atteintesdes troncs artériels supra-aortiques, mais les étudesultérieures ont montréque la maladie pouvait attein-dre, en réalité, l’ensemble du système artériel et,notamment, l’aorte et ses branches. L’atteinte del’aorte et des artères rénales est la cause majeure del’hypertension artérielle chez ces patients. Elle est

retrouvée chez 40 à 60 % des patients explorés parangiographie [2-4].

Le traitement chirurgical de cette localisationparticulière de la maladie et l’étude des résultats àlongue échéance de celui-ci, la possibilité de dété-riorations secondaires ou tardives des réparationsartérielles liées à l’évolutivité de la maladie justi-fient la présentation de notre série.

PATIENTS ET MÉTHODES

Population

De 1972 à 2000, 23 patients ayant une atteinterénale et/ou aortique de cette maladie ont étéopérés.Il s’agissait de 16 femmes et sept hommes, âgés de7 à 54 ans (moyenne : 19,5). Leur origine géogra-phique était la suivante : bassin méditerranéen(n = 8), Afrique noire (n = 2), Antilles (n = 1), ÎleMaurice (n = 1), Portugal (n = 1), Extrême Orient(n = 1), France (n = 9).

Tous ces patients avaient une hypertension arté-rielle non contrôlée malgré une tri- ou quadrithéra-pie médicamenteuse. Six présentaient des symptô-mes dans le territoire des troncs supra-aortiques(déficit circulatoire des membres supérieurs, symp-tômes neurologiques) mais aucun n’a dû être opérépour simple surveillance de la tension artérielle. Dixavaient une atteinte cardiaque (valvulopathie,atteinte coronaire, cardiopathie hypertensive).Aucun n’avait de troubles artériels aux membresinférieurs.

Bilan préopératoire

Il a comporté :– l’étude du retentissement de l’hypertension arté-rielle par le fond d’œil et l’étude de l’état cardiaque(ECG, échocardiographie) ;– l’étude de la fonction rénale : dosages de créati-ninémie, mesure de la clairance de la créatinine ;– des investigations vasculaires morphologiques :échodoppler, radiographies de l’abdomen sans pré-paration à la recherche de calcifications artérielles,opacification vasculaire par aorto-artériographieclassique ou angiographie numérisée par voie arté-rielle (depuis 1982), tomodensitométrie de l’aortesans et avec injection pour étudier les modifications

Maladie de Takayasu 269

de la paroi du vaisseau et de l’atmosphère péri-aortique, tomodensitométrie 3D pour les cas les plusrécents ;– la recherche d’un syndrome inflammatoire :mesure de la vitesse de sédimentation, dosages dufibrinogène, de la C reactive proteine, des fractionsdu complément ;– le bilan de l’atteinte de l’ensemble du systèmeartériel : en dehors de l’atteinte aortorénale abdomi-nale, l’exploration de l’aorte thoracique, des troncssupra-aortiques, des coronaires a été effectuée paréchodoppler et éventuellement opacifications vascu-laires spécifiques.

Traitements préopératoires

Tous ces patients recevaient un traitement anti-hypertenseur, habituellement lourd et qui contrôlaitmal l’hypertension artérielle.

Quatre patients présentaient un syndrome inflam-matoire très actif et ont reçu un traitement corticoïdedurant quelques semaines. L’ intervention n’a étéeffectuée qu’après normalisation des tests del’ inflammation.

Enfin, quatre patients ont eu une tentative dedilatation endoluminale des artères rénales avec unéchec complet dans tous les cas. Cet échec a étéimmédiat, anatomique, par impossibilité de la dila-tation, même après utilisation du rotablator (chez lapatiente illustrée par la figure 1) : dans ces quatrecas, l’aspect radiologique de la sténose est restéinchangéau contrôle postangioplastie et, par voie deconséquence, l’échec clinique sur le contrôle del’hypertension artérielle a été constant.

Traitement chirurgical

Du fait de la bilatéralité des lésions des artèresrénales chez 12 patients, le traitement chirurgical acomporté 32 réparations de l’artère rénale et troisnéphrectomies. Les réparations ont été effectuéespar chirurgie conventionnelle sur le rein en placedans 23 cas et par chirurgie extracorporelle suivie deréimplantation du rein dans neuf cas. Les techniquesréparatrices utilisées figurent sur le tableau I.

Un pontage aortique prothétique a été effectuéchez sept patients : simultanément à la revasculari-sation rénale chez six ; avant la réparation artériellerénale (effectuée secondairement) chez un. Enfin,chez deux patients, une réparation de l’artère rénale

contre-latérale a été effectuée secondairement aprèspontage aortique et réparation artérielle rénale uni-latérale. Une revascularisation mésentérique a étéassociée à la revascularisation rénale chez quatrepatients.

Un substitut artériel a été utilisé 18 fois. Chez cessujets jeunes, l’autogreffe artérielle (le plus souvent,artère hypogastrique) a été préférée chaque fois quecela était possible (15 fois sur 18) car c’est le seulmatériau qui ne subit pas de dégradation anatomiqueavec le temps.

Figure 1. Radiographie d’abdomen sans préparation montrant descalcifications massives de l’aorte chez une jeune fille de 18 ansatteinte de maladie de Takayasu sévère.

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Surveillance postopératoire

Tous les patients ont eu un contrôle angiographiquede leur(s) réparation(s) artérielle(s) avant leur sortie.

Ultérieurement, la surveillance a été clinique etpar échodoppler. Une opacification artérielle a étéfaite secondairement chez dix patients, notammenten cas de récidive de l’hypertension artérielle etchez les patients les plus jeunes afin d’étudier ledevenir des réparations artérielles avec la crois-sance.

Le suivi des patients va de un à 18 ans (moyenne :cinq ans).

RÉSULTATS

Mortalité, morbidité

Aucune mortalité postopératoire n’a été observéedans cette série.

Trois thromboses postopératoires sont survenues :deux d’une artère rénale réparée entraînant la pertedu rein et une d’une revascularisation mésentéri-que ; cette dernière thrombose est restée clinique-ment muette du fait de la suppléance circulatoiredigestive par une grosse arcade de Riolan.

Lésions observées

Chez 18 patients (78 %), des lésions associées del’aorte et des artères rénales étaient présentes. Chezcinq patients (22 %), l’atteinte des artères rénalesétait isolée.

Chez dix patients (43 %), existait une atteinte desartères digestives (anévrisme, sténose ou obstruc-tion), intéressant préférentiellement la mésentériquesupérieure.

Six patients (23 %) avaient des atteintes des troncssupra-aortiques : sténoses ou anévrismes des axeshuméro-sous-claviers et/ou carotidiens.

Six patients (23 %) avaient une ou plusieurs attein-te(s) à distance : valvulopathie cardiaque (n = 3),coronarite (n = 1), atteinte des artères pulmonaires(n = 1), malformation artérioveineuse médullaire(n = 1).

Enfin, cinq patients avaient une cardiopathiehypertensive avec hypertrophie ventriculaire gau-che, cardiomyopathie dilatée, épisodes d’œdèmeaigu du poumon.

L’examen histologique des lésions artérielles a étéeffectué chez 19 patients (83 %). Les difficultés dedissection n’ont pas permis de prélèvement artérielchez les quatre autres patients. Cet examen a mon-tré, dans la majorité des cas, des lésions essentiel-lement fibreuses souvent infiltrées de néovaisseauxet plus rarement des infiltrats inflammatoires lym-phoplasmocytaires. Des adénopathies avec réactioninflammatoire ont été observées à plusieurs reprisesau voisinage des vaisseaux, notamment de l’aorte.

Résultats anatomiques

Les contrôles angiographiques postopératoiresimmédiats ont tous montré un bon résultat anatomi-que, en dehors des trois thromboses signalées plushaut.

Le suivi des patients a montré, chez sept d’entreeux, la survenue d’une dégradation des réparationseffectuées, provoquée par l’évolution de la maladie :– chez quatre, une sténose de revascularisationrénale à partir de l’aorte est survenue dans lapremière année ; elle était due à l’aggravation delésions aortiques initialement peu marquées et/ou àune atteinte de l’artère rénale réimplantée ; deux deces patients ont été réopérés après tentative infruc-tueuse de dilatation endoluminale (réparation itéra-tive par prothèse) avec récidive postopératoire desténose chez un.– chez trois, une aggravation des lésions de l’aortesans atteinte des artères rénales réparées est apparue.Elle a nécessité la réalisation d’un pontage aortiquechez un patient, trois ans après la réparation arté-rielle rénale.

Tableau I. Techniques réparatrices de l’artère rénale

Réimplantation aortique 16— directe (dans une prothèse aortique) 5indirecte par substitut artériel 11• autogreffe artérielle 8• autogreffe veineuse 2• mixte (prothèse + artère) 1Anastomoses splanchnorénales 7splénorénales 5hépatorénales 2Chirurgie extracorporelle avec réim-plantation du rein

9

• avec autogreffe artérielle 6

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Évolution de la tension artérielle

L’évolution postopératoire immédiate s’est faite versla normalisation totale des chiffres de tension arté-rielle chez 18 patients (78 %) et une amélioration del’équilibre tensionnel chez trois autres (13 %), chezlesquels le traitement anti-hypertenseur a été allégéde façon très importante. Enfin, chez deux patients(9 %), un échec avec persistance sans changementde l’hypertension artérielle a été observé.

À distance, la dégradation des résultats anatomi-ques s’est accompagnée d’une altération parallèledes résultats sur l’évolution de la maladie hyperten-sive : le pourcentage de guérisons a baissé à 61 %(n = 14), celui des améliorations est passé à 17 %(n = 4), celui des échecs a plus que doublé à22 %(n = 5).

Évolution de la maladie

Outre l’évolution des lésions locales décriteci-dessus, une évolution clinique s’est produite dansd’autres territoires chez quatre patients :– chez trois, des troubles fonctionnels sont apparusou se sont aggravés au niveau des troncs supra-aortiques. Un a subi une revascularisation unilaté-rale de l’artère humérale à deux reprises successivesavec évolution finale vers la thrombose définitive.Les deux autres n’ont pas été réopérés ;– chez un, un syndrome de menace coronarien estsurvenu à huit ans et demi et a nécessité un pontagecoronarien en urgence. Les investigations vasculai-res effectuées à cette occasion ont montré la bonnequalité de la réparation artérielle rénale ancienne.

DISCUSSION

La maladie de Takayasu est une artériopathie inflam-matoire granulomateuse àcellules géantes. Sa patho-génie est inconnue. Le rôle de la tuberculose a étéinvoqué [5] mais cette maladie n’est pas la seule encause. L’association de pathologies dysimmunitaires(lupus, maladie de Crohn, thyroïdite de Hashimoto)à la maladie de Takayasu tend à faire considérercette dernière comme une maladie auto-immune [6,7]. Celle-ci est ubiquitaire avec de grands foyersjaponais, indiens, mexicains et africains. L’originegéographique de nos patients est très variée avec uneprédominance de pays du bassin méditerranéen

(Maghreb, Proche-Orient, Turquie), les Français desouche étant loin d’être épargnés.

Les lésions artérielles sont très variables d’unpatient à l’autre car la maladie peut atteindre tous lesterritoires artériels.

L’atteinte de l’aorte thoracique et/ou abdominaleest relativement fréquente et souvent associée à deslésions des artères rénales. L’extension de la maladieen hauteur et son siège sont variables d’un patient àl’autre ainsi que la sévérité des lésions de l’aorte :tous les intermédiaires peuvent être observés entreles lésions discrètes qui altèrent peu l’ image radio-graphique de l’aorte et les mutilations sévères de saparoi (figures 1 et 2).

L’atteinte des artères rénales peut être isolée, sansanomalie aortique radiologiquement visible. Enrègle générale, la sténose rénale est longue, com-mençant dès l’origine du vaisseau et intéressant lamajeure partie de la longueur de l’artère.

Figure 2. Reconstruction par tomodensitométrie 3D de l’aortethoracique de la même patiente que figure 1, montrant l’extensiondes calcifications à toute la hauteur de l’aorte thoraciquedescendante.

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L’atteinte de l’aorte et des artères rénales, obser-vée chez, pratiquement la moitiédes patients atteintsde maladie de Takayasu [2-4], représente la princi-pale cause d’hypertension artérielle au cours de cettemaladie [8, 9]. En règle générale, l’hypertension estsévère, pas ou mal contrôlée par le traitementmédical et s’accompagne d’un retentissement car-diaque ou neurologique.

Une atteinte des artères digestives peut s’associeraux lésions rénales et aortiques. Elle prédomine surl’artère mésentérique supérieure. Habituellement,les obstructions n’ont pas de traduction clinique dufait de la suppléance circulatoire par une arcade deRiolan bien développée.

Les lésions artérielles à distance, présentes chezapproximativement un quart de nos opérés, ont leurssymptômes propres. Les atteintes cardiaques (valvu-lopathies, lésion coronaire, cardiopathie hyperten-sive), observées chez dix de nos patients (43 %)constituent un risque opératoire àprendre en comptepour l’ indication thérapeutique.

Au total, 18 patients de notre série sur 23 (78 %)présentaient des atteintes multiples à l’étage abdo-minal ou à distance.

Les critères diagnostiques de la maladie, enl’absence de preuve histologique, varient selon leséquipes. Les plus constamment pris en compte sont :– l’âge jeune des patients, en règle générale, infé-rieur ou égal à 40 ans,– leur provenance d’un pays d’endémie,– l’existence d’un syndrome inflammatoire,– la multiplicité des atteintes artérielles dans diffé-rents territoires,– l’atteinte des troncs supra-aortiques avec dessymptômes au niveau des membres supérieurs ou dusystème nerveux,– l’aspect angiographique des lésions artérielles.

Le traitement par angioplastie a étéun échec cheztous nos patients où ce geste a été tenté. La longueurdu rétrécissement de l’artère rénale, la constanced’une fibrose importante, artérielle et péri-artérielle,constatée en opératoire, l’existence de calcificationsmassives de l’aorte chez un patient expliquentl’ inefficacité de ce mode de traitement dans notresérie.

Les publications de la littérature montrent lafaisabilité de l’angioplastie. Le pourcentage de suc-cès techniques immédiats est voisin de 85 % dans

toutes les séries [10-12] avec une réponse tension-nelle favorable chez trois quarts des patients envi-ron. Toutefois, la plupart des publications insistentsur les difficultés techniques de ce geste et lapossibilité de complications : outre les complica-tions fréquentes (spasme artériel, hématome au pointde ponction, dissection de l’artère dilatée), uneobservation de rupture de la veine rénale lors d’uneangioplastie de l’artère a été rapportée [13]. Le tauxde récidive de sténose à moyen terme va de 15 à25 % selon les séries ; Fava et al. [14] n’ont que33 % de perméabilité à cinq ans. Les facteurs quisemblent favoriser la survenue d’une re-sténosesont : le sexe masculin, les sténoses commençant àl’ostium rénal, les sténoses longues, l’existenced’une sténose résiduelle de plus de 20 % aprèsangioplastie. Les résultats apparaissent ainsi moinsfavorables que pour les dysplasies ou l’athérome auprix de difficultés plus grandes. Les indications del’angioplastie doivent donc être sélectives.

Le traitement chirurgical de nos patients a été,dans tous les cas, motivé par la sévérité de l’hyper-tension artérielle dont ils étaient atteints, par l’ inef-ficacité du traitement anti-hypertenseur et parl’échec des tentatives d’angioplastie endoluminale.

L’existence d’un syndrome inflammatoire actifnécessite un traitement préopératoire par les corti-coïdes jusqu’à normalisation des tests de l’ inflam-mation et notamment de la vitesse de sédimentation.Un délai de plusieurs semaines est parfois nécessairepour la disparition du syndrome inflammatoire maisune intervention rapide peut être indiquée si l’hyper-tension artérielle paraît menaçante. L’ intensité dusyndrome inflammatoire serait un facteur de mau-vais pronostic selon Nakao [6] mais un traitementanti-inflammatoire intense et précoce semble amé-liorer le pronostic [8].

La réparation artérielle rénale a été le traitementde choix chez nos opérés. Elle a fait appel auxtechniques réparatrices classiques mais la com-plexité des lésions vasculaires a nécessité une répa-ration extra-corporelle dans neuf cas sur 32 (28 %).La longueur des sténoses des artères rénales néces-site habituellement l’utilisation d’un matériau desubstitution (si possible, une autogreffe artérielle) ;les cas de réimplantation directe ont été l’abouche-ment de l’artère rénale distale dans une prothèseaortique voisine. La dissection des vaisseaux est

Maladie de Takayasu 273

souvent difficile, ceux-ci étant entourés d’unefibrose très vasculaire.

La réparation artérielle rénale a été associée septfois à un pontage aortique. Nombre de lésionsaortiques n’ayant aucun retentissement hémodyna-mique d’aval, ce geste a été réservé aux lésions trèsmutilantes du vaisseau (figure 3) ; de plus, nousavons récusé pour un pontage aortique tous lesenfants âgés de moins de dix ans (n = 5) en raison del’aléa d’un changement éventuel de prothèse aprèsla croissance.

Quatre fois, une revascularisation de l’artèremésentérique supérieure a été associée à la répara-tion artérielle rénale.

Les résultats sur l’équilibre tensionnel sont trèsfavorables. En effet, tous ces patients avaient uneischémie rénale intense responsable d’une hyperten-sion rénovasculaire sévère qui a été l’ indicationmajeure du traitement chirurgical. Le rétablissementd’une vascularisation rénale normale influence defaçon décisive l’évolution de la tension artérielle.

Figure 3. Maladie de Takayasu à localisation rénoaortique chezune jeune fille de 19 ans. A : avant intervention, sténose étendue del’aorte abdominale, sténose de l’artère rénale gauche (flèche),arcade de Riolan (flèche mince) témoignant d’une sténose cœlio-mésentérique. L’artère rénale droite naît du segment rétréci del’aorte mais n’est pas sténosée ; B : résultat après pontage aorto-aortique et réimplantation de l’artère rénale gauche dans laprothèse (flèche). Guérison de l’hypertension artérielle. L’arcadede Riolan est opacifiée en totalité et supplée la sténose des troncsartériels digestifs.A

B

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L’évolution de la maladie constitue un aléa pourle devenir de ces patients. Les séries de Lagneau etcoll. [15], de Takagi et al. [16] font état d’unemortalité de 13 %, celle de Ishikawa [17] d’unemortalitéde 16 %. Il s’agit de formes très évolutivesavec syndrome inflammatoire actif et atteintes arté-rielles multiples mais la précocité de mise en œuvredu traitement corticoïde améliore le pronostic vital.Chez les patients hypertendus, l’hypertension arté-rielle est directement responsable de la plupart desdécès par complication neurologique ou insuffisancecardiaque [9, 18].

L’évolution lésionnelle peut se produire au niveauaorticorénal, responsable de sténoses itératives et derécidive de l’hypertension artérielle après chirurgiereconstructrice [19]. Lorsque la resténose est trèsserrée, une réintervention s’ impose mais le risque derécidive est majoré. L’évolution peut aussi se pro-duire dans d’autres territoires artériels : troncs supra-aortiques (trois patients de notre série), artèrescoronaires (un patient), chacune de ces atteintespouvant nécessiter un geste chirurgical pour sonpropre compte.

Enfin, chez la femme, la maladie de Takayasu necontre-indique pas formellement la grossesse sousréserve d’une surveillance étroite et d’un contrôlestrict de la pression artérielle. Une de nos patientesa accouché normalement six ans après une revascu-larisation rénale bilatérale et malgré une réinterven-tion, à un an, pour sténose artérielle rénale itérative.La série de Takagi et al. [16] fait état de sixaccouchements normaux sur 28 femmes opérées.

CONCLUSION

Le traitement chirurgical des lésions réno-aortiquesde la maladie de Takayasu est indiqué lorsqu’ ilexiste une hypertension artérielle sévère non contrô-lée par un traitement médical lourd. L’évolutionspontanée chez les patients hypertendus est, en effet,grevée d’une mortalité non négligeable. Le rétablis-sement de la vascularisation rénale normale est letraitement de choix L’avenir de ces opérés est grevépar l’évolution de la maladie soit localement soit àdistance, ce qui peut nécessiter des interventionsmultiples et successives. Les indications chirurgica-les doivent donc être soigneusement pesées. La

fréquence des dégradations tardives et l’atteintepossible d’autres territoires justifient un suivi trèsprolongé des patients.

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