l'enfant oubliÉ

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PROTECTION DE L’ENFANCE: L’ENFANT OUBLIÉ TEMPS D’ ARRÊT LECTURES Maurice Berger Emmanuelle Bonneville Temps d’ Arrêt: Une collection de textes courts dans le domaine du développement de l’ enfant et de l’ adolescent au sein de sa famille et dans la société. Une invitation à marquer une pause dans la course du quotidien, à partager des lectures en équipe, à pro- longer la réflexion par d’ autres textes. Coordination de l’ aide aux victimes de maltraitance Secrétariat général Ministère de la Communauté française Bd Léopold II, 44 – 1080 Bruxelles [email protected] Dans ce plaidoyer qui s’étaye sur une longue expérience clinique, Maurice Berger et Emmanuelle Bonneville interrogent les défauts du dispositif de protection et d’aide à l’enfance. L’idéologie du lien familial peut aboutir au maintien de l’enfant dans son milieu naturel même si ce dernier est grave- ment inadéquat ou, pire, à des retours anticipés et répétés, après des échecs successifs. L’absence de protocole d’évaluation, le turn over des professionnels, la discontinuité des mesures et des décisions aboutissent souvent à des enfants carencés, déficients, violents… Les auteurs interpellent les professionnels afin que ceux-ci agissent chaque fois avec une implication renouvelée partant d’une évaluation précise de l’état de l’enfant et de sa famille. Pour grandir, l’enfant a besoin de sécurité et d’adultes porteurs d’un projet d’avenir pour lui. Seuls des liens stables et protecteurs lui assurent un sentiment de sécurité et de confiance lui permettant de se construire progressivement.

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Page 1: L'ENFANT OUBLIÉ

PROTECTION DE L’ENFANCE: L’ENFANT OUBLIÉ

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Emmanuelle Bonneville

Temps d’ Arrêt :

Une collection de textes courts dans le domaine du développement de l’ enfant et

de l’ adolescent au sein de sa famille et dans la société. Une invitation à marquer

une pause dans la course du quotidien, à partager des lectures en équipe, à pro-

longer la réflexion par d’ autres textes.

Coordination de l’ aide aux victimes de maltraitanceSecrétariat général

Ministère de la Communauté françaiseBd Léopold II, 44 – 1080 Bruxelles

[email protected]

Dans ce plaidoyer qui s’étaye sur une longue expérience clinique, Maurice

Berger et Emmanuelle Bonneville interrogent les défauts du dispositif de

protection et d’aide à l’enfance. L’idéologie du lien familial peut aboutir au

maintien de l’enfant dans son milieu naturel même si ce dernier est grave-

ment inadéquat ou, pire, à des retours anticipés et répétés, après des

échecs successifs. L’absence de protocole d’évaluation, le turn over des

professionnels, la discontinuité des mesures et des décisions aboutissent

souvent à des enfants carencés, déficients, violents…

Les auteurs interpellent les professionnels afin que ceux-ci agissent

chaque fois avec une implication renouvelée partant d’une évaluation

précise de l’état de l’enfant et de sa famille.

Pour grandir, l’enfant a besoin de sécurité et d’adultes porteurs d’un

projet d’avenir pour lui. Seuls des liens stables et protecteurs lui assurent

un sentiment de sécurité et de confiance lui permettant de se construire

progressivement.

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Protection de l’enfance: l’enfant oublié

Maurice Berger Emmanuelle Bonneville

Page 3: L'ENFANT OUBLIÉ

Sommaire

L’état des lieux: « le quinté perdant» . . . . . . . . . . . . . . . 7

• La déficience intellectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7• Les troubles de l’attachement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

- Un exemple de trouble de l’attachement précocement fixé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

• La violence pathologique extrême . . . . . . . . . . . . . . . . 16• Les troubles psychiatriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20• L’instabilité psychomotrice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21• Caractéristiques communes de ces troubles . . . . . 22

Le traumatisme psychique chronique . . . . . . . . . . . . 23

Pourquoi cette situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

• L’idéologie du lien familial à tout prix . . . . . . . . . . . . . 27• Un dispositif de protection de l’enfance

sans buts clairs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29• L’absence d’outil d’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32• L’idéologie de la précarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34• Le mauvais usage de l’aide à la parentalité . . . . . . 35• L’absence de suivi relationnel spécifique

en cas de séparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39• Une mauvaise utilisation des visites médiatisées 44

- Rappel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44- Un dispositif mal compris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45- Des visites médiatisées pour qui et pour quoi? . 47- Le déroulement des visites médiatisées . . . . . . . . . 48

• L’absence de continuité des intervenants . . . . . . . . . 50• L’absence de protocole spécifique . . . . . . . . . . . . . . . . 52• L’absence d’évaluation budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . 53• L’absence de recherches structurées . . . . . . . . . . . . . 54• L’absence de dispositif spécifique de prise

en charge des situations de violence de la part des parents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

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Temps d’Arrêt :

Une collection de textes courts dans le domaine dela petite enfance. Une invitation à marquer unepause dans la course du quotidien, à partager deslectures en équipe, à prolonger la réflexion pard’autres textes…

Psychiatre et psychanalyste, Maurice Berger est responsabled’un service de pédopsychiatrie du CHU de Saint-Etienne. Il estl’auteur de nombreux ouvrages dont L’échec de la protection del’enfance (Dunod 2005), Les troubles du développement cognitif(Dunod 2006). Emmanuelle Bonneville est psychologue cliniciennedans ce même service

Fruit de la collaboration entre plusieurs administrations(Administration générale de l’enseignement et de la recherchescientifique, Direction générale de l’aide à la jeunesse, Directiongénérale de la santé et ONE), la collection Temps d’Arrêt est édi-tée par la Coordination de l’Aide aux Victimes de Maltraitance.Chaque livret est édité à 11.000 exemplaires et diffusé gratuite-ment auprès des institutions de la Communauté française activesdans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. Les textes sontégalement disponibles sur le site Internet www.yapaka.be

Comité de pilotage :Jacqueline Bourdouxhe, Françoise Dubois, Nathalie Ferrard,Gérard Hansen, Françoise Hoornaert, Perrine Humblet, RogerLonfils, Philippe Renard, Reine Vander Linden, Jean-PierreWattier, Dominique Werbrouck.

Coordination : Vincent Magos assisté de Laurie Estienne, Diane Huppert,Philippe Jadin et Claire-Anne Sevrin.

Avec le soutien de la Ministre de la Santé, del’Enfance et de l’Aide à la jeunesse de la Commu-nauté française.

Éditeur responsable: Henry Ingberg – Ministère de la Communauté fran-çaise – 44, boulevard Léopold II – 1080 Bruxelles. Mai 2007

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Les propos qui suivent reposent sur lalongue expérience d’une équipe de pédo-psychiatrie au CHU de Saint Etienne qui,depuis 1979, s’est pour partie spécialiséedans les soins au long cours d’enfantsconfiés par le dispositif de protection del’enfance. Ces enfants sont reçus en consul-tations, ou en hôpital de jour, ou en unitéd’hospitalisation à temps plein, ou dans uneunité de placement familial spécialisé.L’équipe a effectué elle-même des milliersde visites médiatisées1. Des recherches sesont mises en place depuis cette date dontune grande partie s’est poursuivie dans lecadre de la Faculté de Psychologie del’Université Lyon 2. Par ailleurs, l’un de nousest le vice-président actif d’un réseau deprise en charge des difficultés de parentalitéante, peri, et post-natales.

On peut parler de la protection de l’enfanceen évoquant de grands et beaux principes.La réalité est autre et montre que la cohé-rence des prises en charge proposées seheurte à des problèmes humains et finan-ciers. D’une manière générale, on peut direque l’étape du signalement d’un enfant ensituation de danger ou de risque est assez

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Quelles ameliorations possibles? . . . . . . . . . . . . . . . . 56

• Un changement de loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 • Introduire une responsabilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58• Le développement de plans de formation

communs aux acteurs de terrain et aux décisionnaires de chaque niveau de l’intervention sociale et judiciaire . . . . . . . . . . . . . . 59

1 En Belgique, les termes de visites «encadrées», davantage utilisés et devisites «médiatisées» recouvrent des pratiques très diverses. (NdE)

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L’état des lieux: « le quinté perdant»

Les troubles consécutifs à un traumatisme psy-chique chronique constituent ce que nous nom-mons le «quinté perdant» qui se détaille ainsi.

La déficience intellectuelle

Elle est fréquente. Les quelques évaluations dontnous disposons nous apprennent par exempleque seuls 32% des enfants placés en familled’accueil à l’Aide Sociale à l’Enfance avaientatteint un niveau CAP (Certificat d’AptitudeProfessionnel, diplôme le plus bas) à l’âge adulte,condition souhaitable pour avoir une autonomiesuffisante dans la vie (Mouhot, 2001).

La constitution progressive de cette déficiencepeut être repérée précocement par la mesured’un éventuel retard de développement grâce autest de Brunet Lézine utilisable dès l’âge de troismois, ou grâce à l’échelle de Denver pour lepédiatre. En protection de l’enfance, il est impos-sible d’évaluer si un enfant de moins de trentemois a un développement normal sans utiliser cetest d’un maniement simple, dont il est nécessai-re qu’il soit couplé à une connaissance suffisan-te de la symptomatologie psychosomatique dunourrisson (hyper ou hypotonie, évitement duregard, etc.). Cette évaluation nécessite des pas-sations successives qui peuvent avoir lieu tousles mois.

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bien organisée. 22% de ces signalements2

concernent des dangers «visibles», c’est-à-dire des maltraitances physiques, sexuelleset des graves défauts de soins comme lamalnutrition ; les enfants concernés sontensuite assez bien protégés, d’autant plusqu’en France la responsabilité pénale desprofessionnels est directement engagée.78% des signalements se rapportent à ceque nous nommons les traumatismes psy-chiques chroniques, c’est-à-dire des atti-tudes parentales répétitivement très inadé-quates. Lorsqu’on évalue le devenir desenfants qui y sont soumis, il se révèle êtreparticulièrement médiocre, ce qui constitueun des grands points aveugles de notresociété. Etant donné le nombre d’enfantsimpliqués, le coût financier de leur prise encharge, le retentissement sur la société deleurs comportements tout au long de leurvie, ce problème concerne tous les citoyens.

Nous allons détailler quels sont les troublescaractéristiques provoqués par ce type detraumatisme, les processus psychiques enjeu, et enfin les obstacles majeurs qui empê-chent l’amélioration de cet état de fait.

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2 Dans cet ouvrage, nous utiliserons les chiffres français qui sont prochesdes chiffres belges.

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L’insuffisance du terme de carence peut êtredémontrée cliniquement dans les circonstancessuivantes. Il est fréquent qu’un nourrisson dont le quotient de développement est tombé jusqu’à65 récupère progressivement un niveau à 80 lors-qu’il est placé dans une famille d’accueil qui luifournit un maternage adéquat, chaleureux, avecdes rythmes réguliers et prévisibles. Mais sesprogrès stagnent ensuite et l’enfant présente descomportements d’opposition, de rage qui corres-pondent aux affects vécus pendant les premiersmois de sa vie et qui nécessitent souvent un trai-tement spécifique. Ceci montre qu’un tel retardn’est pas dû uniquement à une carence qui pour-rait être « réparée» ou compensée par desapports adéquats ultérieurs, et que l’on sous-estime en permanence la complexité de la viepsychique des enfants soumis à des défaillanceséducatives parentales importantes.

La défaillance intellectuelle a donc plusieursautres origines. L’attachement désorganisé-désorienté empêche l’enfant d’explorer le monde(cf. infra). La violence parentale paralyse la pen-sée: les enfants concernés cessent de réfléchircar penser sur ce qui se passe est trop angois-sant pour eux. L’instabilité psychomotrice fré-quente entraîne une rupture constante des pro-cessus de pensée, l’enfant lâchant en permanenceune pensée pour passer à une autre.

Un autre facteur constamment sous-estimé estl’atteinte du schéma corporel : très souvent, lesenfants ont été soumis dès petits à des soinspauvres ou incohérents, à l’origine de troubles dela constitution de l’image du corps qui peuventêtre évalués par un bilan psychomoteur, et à par-tir de six ans par le test de la Figure de Rey quiconsiste à reproduire une figure géométrique enla copiant puis de mémoire.

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Nous considérons comme inquiétant un Quotientde Développement (QD) inférieur à 85 (normal90-110), l’expérience montrant qu’en dessous, ilpeut s’avérer difficile pour l’enfant de récupérerensuite un niveau normal, ainsi qu’une dyna-mique de développement harmonieuse et conti-nue. Le chiffrage du QD est d’autant plus inté-ressant qu’il permet d’évaluer les effets de laprise en charge proposée. Un QD qui stagne oucontinue à diminuer signifie que le cadre de priseen charge est inadéquat, au contraire d’un QDqui progresse régulièrement. À partir de trentemois, c’est la mesure du QI qui doit être effec-tuée, le plus souvent grâce au test de WPPSI. Ilest fréquent que des enfants soient adressés ànotre service de soin à l’âge de cinq ou six anssans avoir été testés auparavant ; la mesure deleur QI effectuée alors montre un niveau très bas,entre 54 et 60, baisse qui s’est constituée pro-gressivement.

On ne peut que s’interroger sur l’indifférence oule fatalisme de certains professionnels face àcette dégradation chez des enfants nés avec despotentialités intellectuelles normales.

Cette déficience est trop facilement attribuée à lacarence, c’est-à-dire à une absence de stimula-tion de la part des parents. Mais un enfant n’estjamais «seulement» carencé. Il a en même tempssubi des rythmes incohérents qui l’ont empêchéde pouvoir prévoir ce qui va se produire dans sonenvironnement ou quel va être l’effet de sesgestes et des signaux qu’il émet. Or la possibilitéd’anticiper est un des fondements indispen-sables de la construction de la pensée. Demême, l’acquisition des notions de permanenceet d’immuabilité autorise l’accès au principe de«règles»: règles de grammaire ou règles de vie.

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de sécurité sans être forcément son parent bio-logique.

Les nourrissons nouent des relations d’attache-ment même avec les parents les plus négligentset les plus maltraitants. Mais l’enfant s’attachealors sur un mode très pathologique, « insécuredésorganisé-désorienté», qui montre qu’il esteffrayé, confus, incapable d’utiliser des modali-tés de contact cohérentes. Cela se manifeste parson refus de dépendre de l’adulte même lorsqu’ilest anxieux, une incapacité de conserver lesbons moments sans les détruire, une réactionpersécutée et agressive à toute attente ou exi-gence sans capacité d’admettre ses torts, unétat de rage constant, des troubles de l’appren-tissage, et même, lors d’un changement decadre de vie, par une angoisse d’allure psycho-tique: c’est quand le monde extérieur changeque le sujet réalise qu’il n’y a rien de solide, depermanent à l’intérieur de lui.

Cyrulnik précise qu’un enfant qui présente unattachement désorienté-désorganisé ne peut pasdevenir résilient, et que seule l’expérience préco-ce d’un attachement sécurisant permet la consti-tution de la résilience. On ne peut donc pasconsidérer un enfant comme pouvant être rési-lient a priori. La question à se poser est de savoirsi les conditions sont réunies pour qu’il puissedevenir résilient.

Le plus important est l’aspect pronostique: dufait de ses troubles, l’enfant devient lui-même unobstacle à l’élaboration d’un projet de vie dansun environnement plus favorable, comme un pla-cement familial si cela s’avère nécessaire. Le trai-tement de ces troubles est souvent très difficile3,

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Ainsi au cours d’un bain thérapeutique, il appa-raît qu’un enfant âgé de cinq ans ne sent pasqu’il a un dos. Sa mère l’a laissé dans son ber-ceau pendant des mois, et nous savons qu’unbébé ne prend conscience des différentes partiesde son corps que si elles sont investies dans unesérie d’échanges qui procurent du plaisir à cha-cun. On comprend que cet enfant ne parviendrapas à repérer dans les apprentissages ce qui estdevant et derrière, ne pourra pas distinguer leslettres «b» et «d», la différence étant que ledemi-cercle se situe devant ou derrière la barreverticale (en dehors de toute dyslexie).

Les troubles de l’attachement

Décrits dès 1958 par Bowlby en Angleterre, ilsont fait l’objet de travaux constants jusqu’à nosjours. La théorie et la clinique de l’attachementconstituent le fondement des dispositifs de pro-tection de l’enfance cohérents. Les processusd’attachement portent sur la constitution du sen-timent de sécurité (A. et N. Guedeney, 2002).

De manière simplifiée, on peut dire que pour sedévelopper normalement, un enfant a, dès sespremiers mois, besoin d’établir un lien sélectifavec un adulte qui soit une figure d’attachementstable, fiable, prévisible, accessible, capable decomprendre ses besoins et d’apaiser ses ten-sions, et qui lui permette de se sentir en sécuritéchaque fois qu’il est en situation de détresse etde grande inquiétude. Lorsque l’enfant a intério-risé, entre l’âge de six et neuf mois, une imagematernelle sécurisante, il développe un senti-ment de confiance en lui et dans les autres qui luipermet de s’éloigner pour explorer le monde. Un adulte peut procurer à un enfant ce sentiment

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3 Voir À chaque enfant son projet de vie permanent (2004), p. 50-52.

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Un exemple de trouble de l’attachement précocement fixé

Ce matin, Mme B. assistante maternelle, nousmontre sur son téléphone portable une scènequ’elle a filmée «sur le vif» pendant trois minutes.Avant cette scène, Amandine, neuf ans, filletteplacée chez elle depuis l’âge d’un an, vient derefuser de faire ses devoirs d’école avec elle ets’apprêtait à aller s’amuser dans le jardin.L’assistante maternelle lui avait alors dit d’allerdans sa chambre puisqu’elle refusait de faire sontravail. Sur le film, Amandine est sur le seuil de sachambre et crie de rage et de désespoir avecintensité, en faisant des gestes d’attaque de lamain, comme des coups de griffes, qui se trans-forment en gestes d’appel. Cette scène impres-sionnante a duré une heure dans la réalité. Elleest fréquente.

Amandine est née d’une mère psychotique trèsinadéquate, angoissée et angoissante, qui s’estoccupée seule d’elle pendant les quatre premiersmois de sa vie. Puis, elle a été placée pendanthuit mois en pouponnière où elle a été confrontéeà une succession de visages d’auxiliaires de pué-riculture.

Dès qu’elle a été accueillie par Madame B., elle amanifesté un refus des contacts corporels s’ac-compagnant d’une demande tyrannique d’exclu-sivité : elle empêchait l’assistante maternelle detéléphoner à des amies, d’être en relation avecson fils âgé alors de dix ans. Mais même mainte-nant, elle ne fait « rien» de ces moments d’exclu-sivité, il n’y a pas de plaisir partagé.

On retrouve chez elle le comportement décrit parM. Main (1998), celui d’un enfant pris entre la ter-reur du rejet et la terreur du contact. Petite,

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voire impossible, et un travail psychothérapiqueindividuel classique s’avère peu efficace. Et onconstate à quel point, à l’âge adulte, ces sujetssont incapables d’avoir des relations stables ettranquilles avec autrui.

Une étude récente montre qu’entre 28% et 40%des SDF (selon leur tranche d’âge), ont fait l’ob-jet de placements répétés pendant leur enfance.Fonctionner sans référence à la clinique de l’atta-chement, c’est se priver d’une boussole essen-tielle dans nos décisions. Mais si on la prend encompte, il apparaît que de nombreuses décisionsjudiciaires et certains aspects de nos dispositifséducatifs sont inadéquats parce qu’ils ne pren-nent en compte que l’aspect visible et immédiatdu danger auquel peut être exposé un enfant.

L’autre danger, tout aussi important, est de nepas fournir à un enfant séparé de parents mal-traitants un lien stable et fiable avec un adulte deréférence. Ceci signifie que les longs séjours enpouponnière au-delà de six mois peuvent pré-senter une nocivité si l’enfant ne bénéficie pasd’une relation privilégiée avec une auxiliaire depuériculture.

Comme l’indiquent les directeurs de la protectionde la jeunesse québécoise, un enfant n’est pasun appareil vidéo, il ne peut pas être mis sur«pause» en attendant une décision des adultesconcernant son devenir. Il est tout aussi dange-reux d’interrompre le lien d’attachement sécuri-sant qu’un enfant a pu nouer avec sa familled’accueil, ce qui n’est pas rare lors de tentativesde réintégration chez ses parents, alors queceux-ci n’ont pas réellement progressé sur leplan éducatif et affectif.

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Les devoirs sont effectués par des enseignantshors de la maison.

Mais ces aménagements échouent et nousallons probablement devoir envisager un place-ment pendant la semaine dans un petit lieu de vieoù Amandine ne sera «exposée» ni au risque dedépendre d’un seul adulte ni au risque de nerecevoir aucun investissement personnalisé dufait d’un nombre trop important d’éducateurs.Nous espérons pouvoir maintenir en mêmetemps le lien avec la famille d’accueil pendant lesweek-ends car une rupture de ce lien serait dra-matique pour cette enfant.

Par ailleurs, il est prouvé depuis 1989 que lesmaltraitances et les négligences parentales ontun impact sur le développement du cerveau dunourrisson. Dans une revue récente de la biblio-graphie mondiale, C. Bonnier (2005), neuropé-diatre, confirme l’aspect toxique de l’élévationchronique du cortisol sanguin due à une situationde stress permanent.

L’hippocampe, partie du cerveau droit qui possè-de la plus importante densité de récepteurs aucortisol, est le plus atteint ; or c’est dans cettezone que s’organisent la mémoire affective, l’intégration des émotions, les comportementsd’attachement, et la mémoire des apprentissages.

Chez les nourrissons vivant dans des milieux fami-liaux très inadéquats sur le plan éducatif, les IRMen trois dimensions montrent une baisse du nombrede neurones de 16% par rapport à l’hippocampede nourrissons témoins vivant dans des milieuxfamiliaux «suffisamment sécurisants». D’autreszones cérébrales sont aussi touchées. Le stressprécoce et continu atteint donc le cerveau endéveloppement d’une manière qui peut être défini-

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Amandine n’a pas eu d’autre solution que de sol-liciter du réconfort auprès de la personne adultesource de la détresse. On mesure la confusionqui accompagne cette forme d’attachementdésorganisé-désorienté.

Il est frappant de constater qu’en même temps,Amandine se comporte normalement à l’école etqu’il en a été de même lors d’une expertise psy-chiatrique, à tel point que l’expert a conclu qu’ellene présentait pas de trouble de la personnalité.Comment comprendre cela? On peut penser queles troubles d’Amandine n’apparaissent quedans un lien affectivement significatif pour elle,qui l’amène à éprouver un sentiment de dépen-dance dont elle se défend, processus décrit par P.D Steinhauer (cité in M. Saint Antoine, S. Rainville, 2004). Avec les autres adultes, cettefillette a établi une relation superficielle, en faux-self, qui semble adaptée au premier abord.

Une prise en charge quotidienne en hôpital dejour commence à porter ses fruits au sens oùAmandine, après avoir joué seule devant sonéducatrice pendant un an en faisant bouger elle-même tous les personnages, parvient maintenantà mettre en scène des jeux symboliques aveccette soignante.

Mais la famille d’accueil est épuisée, lassée, lesrelations se sont figées entre tous les protago-nistes et l’assistante maternelle et son mari ontfini par développer une attitude d’intolérance etde rejet. Nous essayons des aménagementspour tenter de proposer une distance relationnel-le moins insatisfaisante. Ainsi nous suggéronsqu’Amandine, qui gâche tous les repas pris enfamille, puisse manger à la cuisine et ne venir à latable commune que lorsqu’elle en ressent lebesoin quitte à en repartir s’il elle s’y sent mal.

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tive, ce qui devrait inciter à une meilleure préven-tion de ces dégâts. En France, ces travaux ne sontpas pris en compte par de nombreux profession-nels qui travaillent en protection de l’enfance,comme si la connaissance venait attaquer leurscroyances.

La violence pathologique extrême4

Beaucoup d’intervenants ne saisissent pas lanature de ce trouble et le confondent avecl’agressivité, laquelle est dirigée vers un interlo-cuteur précis (un parent ou un autre enfant puînépar exemple), est accessible à la parole, et s’ac-compagne d’une certaine culpabilité.

De plus en plus d’enfants présentent cette formede violence qui se caractérise de la manière sui-vante. Elle apparaît précocement puisque cesenfants frappent dès 15-16 mois, c’est-à-diredès que la marche libère leurs mains, ce qui leurpermet d’attaquer. Leur violence est indifféren-ciée quant au but et à l’objet visé. Omniprésente,elle est dirigée autant contre les objets quecontre les personnes, et n’est pas spécialementdestinée aux figures parentales ou d’autorité etde loi. Elle peut s’accompagner de cruauté àl’égard des animaux (mammifères, oiseaux), sansaucun sentiment de culpabilité, l’enfant étantindifférent à la douleur d’autrui. Une fois «enclen-chée», l’attaque violente ne peut être interrom-pue et se déroule jusqu’à son «terme naturel».L’enfant, irraisonnable, est insensible à toute pro-position de compromis ou à la sanction, dénie lagravité de l’acte et efface ses conséquences: on

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ne parvient pas à en reparler avec lui, pour lui«c’est terminé».

Par ailleurs, ces enfants présentent des troublesde la sensibilité corporelle (non-perception decertaines zones), qui sont habituellement peuexplorés par les professionnels. Ils recherchentparfois des perceptions douloureuses pour sesentir «vivants». Ces troubles se fixent rapidement, souvent dèsl’âge de dix-huit mois-deux ans.

On comprend pourquoi parler de la violence des« jeunes» est souvent une inexactitude: cette vio-lence n’a pas d’âge chronologique, simplementces enfants deviennent plus forts physiquement.Il devient donc impossible de continuer à sous-estimer l’aspect très pathologique de leursattaques.

Ces enfants ne délirent pas, mais leurs accès deviolence sont des équivalents hallucinatoires. Lesujet subit la reviviscence, le re-surgissement enlui de sensations et de sentiments qu’il a éprou-vés dans le passé, le plus souvent à la périodepréverbale, dans des circonstances où il se trou-vait impuissant, débordé, terrifié, et dans la soli-tude la plus totale car sans adulte avec lequelpartager ce qu’il ressentait. Ces sensations-images resurgissent telles quelles parfois sansaucune raison; ou lorsque le sujet se trouve ensituation groupale, la proximité du corps des autresenfants étant ressentie comme une menace ; ou à l’occasion d’une exigence minime quidéclenche un sentiment de persécution et uneforte manifestation de résistance, l’enfant n’étantsensible qu’à la dimension de contrainte subie (E. Bonneville, 2006) ; ou dans d’autres circons-tances qui évoquent le passé.

4 Berger, 2005 -2007

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gnification de l’ensemble des signaux corporels :dès les premiers jours de sa vie, le sujet a vécuune désignification des signes qu’il a adressés àl’autre, une déformation ou une annulation deleur sens. L’accès à la symbolisation devient dif-ficile, voire impossible pour celui qui n’a pu fairel’expérience que ses signes avaient un sens.

Et en conséquence, tout mouvement d’autrui àl’égard de l’enfant peut être vécu par lui commedésignifiant. Ceci s’est accompagné d’un échecde la séduction primaire au sens où la mèren’éprouvait pas d’attirance pour le corps de sonenfant, ne le trouvait pas séduisant, pas mignon.Le rapport de ces parents au corps de leur enfantest très particulier, comme s’ils avaient une mau-vaise perception de ses caractéristiques physiques:la taille, le poids, la résistance à la pression,…

Ainsi la mère d’un bébé n’avait aucune idée de lataille du récipient qu’elle devait utiliser pour lebain. Jusqu’à la sortie de la maternité, elle pen-sait lâcher son enfant dans la baignoire pouradulte remplie d’eau. Quand la puéricultrice,inquiète, va ensuite la voir à domicile et luidemande si elle n’a pas quelque chose de plusadapté, elle sort de son placard un plat à gratinqui est trop petit pour le corps d’un nourrisson.

Les effets sur l’organisation psychosomatique del’enfant sont considérables. Ces enfants ne peu-vent prendre conscience des caractéristiquesphysiques de leur corps que lorsqu’ils constatentla trace réelle qu’ils laissent dans le corps del’autre par les coups, morsures, griffures,empreintes laissées sur l’environnement qui varenseigner le sujet sur ses propres propriétés (« jene pensais pas pouvoir taper aussi fort»).

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Contrairement à une idée souvent avancée, untel enfant n’est pas dans la « toute-puissance». Iln’a pas eu d’autre choix que de mettre «en lui»l’image terrifiante d’un parent sadique et violent,dans une sorte d’« incorporation» globale (une« identification incorporative introjective» entermes psychanalytiques). En fait, cet enfant estimpuissant face au surgissement hallucinatoirede l’image de son père (ou de sa mère) violent enlui, et l’on constate comment dès le début del’attaque, ces enfants se métamorphosent, leurregard se durcit, leur voix devient grave, leursinsultes sont celles d’adultes. La réponse d’unenfant de cinq ans, qui déclare «C’est papa enmoi qui me fait agir ainsi», quand on lui deman-de pourquoi il essaie sans cesse d’étrangler lesautres enfants, montre la force de ce processus. Dans l’histoire de ces enfants, on retrouve le plussouvent les éléments suivants.

- Leurs parents sont fréquemment psychotiques,paranoïaques, psychopathes, incohérents,négligents, délaissants, conséquences de l’en-fance désastreuse qu’ils ont eux-mêmes subie.

- Lorsqu’ils étaient nourrissons, ces enfants ontété maltraités physiquement et/ou psychique-ment (soumis à une grande violence verbale).Ou dès leur plus jeune âge, ils ont été soumisau spectacle de scènes de violences conju-gales sans avoir jamais été frappés, à uneépoque où ils ne se sentaient pas complète-ment différenciés du monde extérieur. Un bébédont la mère est frappée quand elle le portedans les bras se vit comme un bébé tapé, maisaussi, et c’est le seul moyen dont il disposepour ne pas sombrer dans l’angoisse la plustotale, comme l’agresseur tout-puissant.

Un autre type d’interaction pathologique a étédécrit par C. Rigaud (2001). Il s’agit de la dési-

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à des traumatismes psychiques chroniques pré-coces. Ce chiffre est tellement étonnant qu’unenouvelle étude est en cours de réalisation pourvérifier sa validité.

L’instabilité psychomotrice6

Elle est très fréquente, et concerne jusqu’à 80%des nourrissons qui ont passé plus de huit moisen pouponnière ou qui ont vécu dans un environ-nement familial chaotique et imprévisible. Elle estsouvent méconnue par les professionnels quiconsidèrent que l’enfant en question est «éveillé,joueur, vif», confondant un éveil précoce avec,dans ce cas, de l’hyperkinésie.

Cette instabilité est le signe d’une discontinuitépathologique permanente dans le processus depenser : le sujet passe sans cesse d’une penséequ’il laisse tomber, à une autre, d’une activité àune autre, ce qui l’empêche de construire lemoindre jeu élaboré et le moindre scénario.L’instabilité est un véritable poison pour l’avenirde l’enfant, car son agitation permanente et sonimpulsivité sont épuisantes pour la famille biolo-gique, ainsi que pour une éventuelle famille d’ac-cueil. De plus, les difficultés majeures de concen-tration empêchent ces enfants de réaliser desapprentissages, et leur scolarité ne peut le plussouvent se dérouler que grâce à la prise réguliè-re de méthylphénidate (Ritaline).

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Beaucoup de ces enfants commettront plus tarddes viols et des actes de violence gravissimes.Guy Georges, violeur et tueur en série, a présentéce type de violence dans sa petite enfance. Laquasi totalité des jeunes détenus en prison cen-trale pour des actes graves a fait l’objet d’un suivipar les services de protection de la jeunessependant leur enfance ou leur préadolescence.Aider de tels sujets à penser sur ce qui se passeen eux est toujours ardu, prend de nombreusesannées, nécessite une équipe spécialisée, et lerésultat est aléatoire.

Les troubles psychiatriques

Il s’agit essentiellement de troubles psycho-tiques, de dépression chronique, de comporte-ments psychopathiques. Une étude de Mouhot(2003) montre la rapidité de fixité de ces troubles.Dans des situations d’inadéquation parentaleimportante, si les enfants sont séparés avantl’âge d’un an, 15% présentent des troubles ducomportement à l’adolescence dont 5% unepathologie grave. S’ils sont séparés entre un ettrois ans, 52% présentent des troubles à l’ado-lescence dont 21% une pathologie grave.

Une enquête réalisée en Avril 2004 montre que65% des 52 patients adultes pris en charge dansl’hôpital de jour d’un service de psychiatrie ontété des enfants insuffisamment ou non protégésde maltraitance physique ou psychique impor-tante5. Les services de pédopsychiatrie sontactuellement débordés par ces pathologies liées

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5 Dr Buclier, Hôpital du Vinatier, 2004, travail non publié. 6 Il existe plusieurs autres causes à l’instabilité psychomotrice.

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Le traumatisme psychique chronique

Nous allons décrire maintenant les processuspsychiques en jeu dans ces contextes éducatifset relationnels.

On parle de traumatisme psychique lorsque lescapacités de défense d’un enfant face à un évè-nement sont débordées, et ne peuvent plus faireface à un afflux de stimuli désorganisateurs tropimportants en quantité et en qualité, donc angois-sants, effrayants, douloureux, prématurément éro-gènes, etc. Pour tenter de «gérer» cela, le psy-chisme immature de l’enfant ne peut qu’investirtoute son énergie dans des défenses rigides, fina-lement pathogènes, au détriment des fonctionsd’organisation, de construction et de création.

- Il n’existe pas une seule, mais différentes sortesde traumatismes répétitifs, la violence, l’abussexuel, les négligences graves, l’imprévisibilité,le délaissement parental, l’exposition au spec-tacle de violences familiales, l’implication dansla folie parentale ou des relations perverses,une séduction narcissique (qui consiste parexemple de la part d’une mère à faire sentir àson enfant qu’il est tout pour elle et qu’elle doitdonc être tout pour lui, en lui interdisant ainsid’investir d’autres liens tout en l’investissantlui-même très peu), etc.

- Chaque traumatisme provoque des angoisses,des troubles, des mécanismes de défense spé-cifiques et nécessite des dispositifs thérapeu-tiques eux aussi spécifiques, même s’ils ontdes points communs.

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Caractéristiques communes de ces troubles

Tous ces troubles se fixent précocement, sou-vent dès l’âge de 2 ans. Leur nature est mécon-nue par de nombreux professionnels et leur fré-quence est sous estimée. Ils sont difficilementréversibles, et constituent en eux-mêmes unobstacle à leur traitement, dans la mesure oùtoute proposition de relation peut être vécue parces enfants comme angoissante et intrusive.

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- Toute situation traumatique importante répétéeentraîne chez l’enfant un multi-clivage danslequel une partie de lui s’identifie à l’agresseur,une autre partie est angoissée, voire terrorisée,une autre partie encore dénie la gravité de lasituation et idéalise le parent car il serait tropinquiétant de reconnaître que l’on dépendd’adultes aussi inadaptés, etc. L’identité del’enfant est ainsi «atomisée».

- Tout traumatisme intense peut dépasser lescapacités de pensée de l’enfant, et s’inscrirealors dans son psychisme sous la forme desensations corporelles ou d’images à l’étatbrut, sans que l’enfant puisse faire la différenceentre ce qu’il pense et la réalité. Par la suite, lerisque existe en permanence que ces sensa-tions et images ne ressurgissent sous uneforme hallucinatoire. Il n’y a pas d’écart entre leprésent et le passé; de tels enfants déclarent :«puisque j’y pense, c’est encore du présent».

- L’enfant vit les sentiments d’angoisse et de ter-reurs face au vide, à l’abandon ou à la violencedans la solitude la plus totale car il n’a à sa dis-position aucun adulte capable de s’identifier àce qu’il ressent.

- On peut résumer ainsi les principales modalitésd’indifférenciation qui se fixent dans le psy-chisme de l’enfant soumis à une importanteinadéquation éducative parentale:

- «Je ne sais pas ce qui est moi et pas moi, enparticulier lorsqu’une image de mon parent vio-lent surgit en moi».

- «Je ne sais pas où est la cause, si ce qui va malvient de moi ou de l’extérieur».

- «Je ne sais pas ce qui est bon et mauvais, etj’ai du plaisir à reproduire des situations danslesquelles je souffre».

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- Lorsqu’un traumatisme est précoce, le sujet neparvient pas à situer l’origine de ce qui ne «vapas», ne perçoit pas si cela vient de lui ou dumonde extérieur. Ceci entraîne une «culpabilitéprimaire», c’est-à-dire le sentiment très ancréque si ses parents sont inadaptés, c’est à causede lui. Et son corollaire, la pensée sacrificielle :l’enfant peut en arriver à penser qu’il parvien-drait à améliorer la situation en se suicidant ouen consacrant sa vie à soigner la folie de sesparents au dépend de ses propres progrès psy-chiques.

- Tout traumatisme entraîne une sidération de lapensée, d’où, comme décrit ci-dessus, l’impor-tance des tests permettant d’évaluer le niveaude développement et le niveau intellectuel, carils sont un bon indicateur du niveau de souf-france psychique du sujet.

- Tout traumatisme peut entraîner chez l’enfantune tentative pour le maîtriser, en le provoquantactivement. Afin de ne plus être passif, le sujetinitie lui-même la situation traumatique. On saità quel point certains enfants peuvent ainsitransformer des familles d’accueil normales enfamilles maltraitantes. De plus, tout traumatis-me psychique grave auquel l’enfant a survécupeut entraîner un comportement «addictif»,dans lequel l’enfant éprouve une grande excita-tion, voire même de la jouissance à recréer lasituation angoissante à laquelle il a survécu.

- Tout traumatisme psychique peut provoquerune sorte de syndrome de Stockholm, l’enfantétant à la fois très angoissé par ses parents, etn’ayant en même temps pas d’autre choix quede chercher du réconfort auprès d’eux.

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Pourquoi cette situation

L’idéologie du lien familial à tout prix

Beaucoup de professionnels qui s’intéressent àla protection de l’enfance commencent à tra-vailler dans ce domaine avec le désir de protégerles enfants. Au contact de la complexité dessituations, des paroles et des comportementsdes parents, un certain nombre s’éloigne de leursintentions originelles. Ils sont alors pris dans ceque nous avons nommé, en 1992, «l’idéologie dulien familial» (Berger, 1992).

Il s’agit d’une théorie toute personnelle et d’uneposition de principe selon laquelle le maintien dulien physique réel entre l’enfant et ses parents aune valeur absolue et intouchable. Or la valeurd’un lien n’existe pas en soi. Il existe des lienspositifs, qui fournissent un étayage indispen-sable au développement psychique de l’enfant etqui lui permettent d’organiser son monde interne.Il existe des liens négatifs traumatiques qui sontsource d’excitation violente, douloureuse, brusque,prématurée, angoissante, des liens gravementdésorganisateurs, qui ne permettent que l’éta-blissement de processus pathologiques d’atta-chement, d’identification.

Nous avons montré que l’idéologie du lien fami-lial ne repose sur aucun concept théorique solideet ne rencontre aucune confirmation dans la cli-nique. Ce qu’une telle idéologie tente d’élimineren fait, c’est l’ambivalence que chacun doit gérer

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- «Je ne fais pas la différence entre les images dupassé et le présent».

- Le traumatisme psychique chronique est doncà l’origine d’une indifférenciation entre la pen-sée de l’enfant et celle de ses parents. Du faitde cette indifférenciation, une séparationparent-enfant, lorsqu’elle est inévitable, ne faitsouvent que protéger l’enfant à un niveau phy-sique, mais n’entraîne pas de progrès psy-chique suffisant. Le sujet a pu par exempletotalement intérioriser la violence parentale.Cette indifférenciation explique aussi que cer-tains enfants aillent mal pendant plusieurs joursou semaine après une rencontre d’une heureavec leurs parents, car cela réveille en eux destraces angoissantes du passé. Ceci se repro-duira tant que ces dernières n’auront pas ététraitées.

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Ce n’est que dans 5% des situations d’enfantsplacés qu’il est nécessaire de suspendre toutcontact entre parents et enfant. Ceci concernedes parents qui ont commis des actes extrême-ment graves sur leur enfant (strangulation,empoisonnement, etc.), et ce dernier est telle-ment terrorisé qu’il refuse totalement de rencon-trer leur père ou leur mère.

L’idéologie du lien amène aussi à proposer l’ac-cueil de l’enfant dans sa famille élargie lorsqu’unplacement s’impose. On constate que cetaccueil est souvent fait habituellement sans leminimum de précautions nécessaires concernantles capacités éducatives de cette famille élargieet les relations qu’elle entretient avec les parentsbiologiques, ce qui fait de cette circonstance unesituation à hauts risques (M. Berger, 2005).

L’idéologie du lien familial à tout prix a de nom-breuses conséquences: une absence de butsclairs, une législation inadéquate, la non-utilisa-tion d’outils d’évaluation précis, la mise en avantde la précarité pour expliquer des défaillancesparentales importantes, une mauvaise utilisationde l’aide à la parentalité et des visites médiati-sées, l’absence de prise en charge cohérente, lanon-intégration de la théorie et de la clinique del’attachement.

Un dispositif de protection de l’enfance sans buts clairs

Les lois belges et françaises ne se fixent pascomme objectif prioritaire la protection du déve-loppement physique, affectif, intellectuel, etsocial de l’enfant. Elles sont imprégnées par

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en soi-même, le tiraillement interne entre l’identi-fication à l’enfant et l’identification au parent.L’idéologie du lien familial l’emporte lorsque seproduit une identification massive de l’intervenantà la souffrance des parents au détriment de l’iden-tification à la souffrance et à la terreur ressentiespar l’enfant. Seule est alors envisagée, parexemple, la violence que constitue une séparationpour les parents, au détriment de la violence res-sentie par l’enfant dans certaines situations.

Nous sommes tous soumis à un tel tiraillement,car dans les représentations du lien parents-enfant qui sont alors mobilisées, nous sommesconcernés personnellement dans la mesure oùnous sommes tous des enfants de parents, et,pour beaucoup, des parents d’enfants.

L’idéologie du lien familial à tout prix entraîne uneconfusion entre maintien des liens physiques etmaintien des liens psychiques, entre le maintiendes liens avec la famille et le maintien dans lafamille. D’une manière générale, ce dont unenfant petit a besoin prioritairement pour sondéveloppement, c’est de pouvoir établir un liensélectif avec un adulte figure d’attachementsécurisante et il est toujours plus simple pour sonorganisation psychique que cet adulte soit un (ouses) parent(s) biologique(s).

Mais en cas de dysfonctionnement parentalimportant, ce besoin vital au niveau psychiquedoit être assumé par une autre personne. Enmême temps, la clinique montre que lorsqu’on adû se résoudre à placer un enfant, il se développemieux si des liens réguliers peuvent être mainte-nus avec ses parents, ce qui lui évite d’êtreconfronté à des angoisses d’abandon et de mettreen place un processus d’idéalisation irréaliste.

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puisque c’est le même texte qui est cité commefondement des lois québécoises et italiennes quisont beaucoup plus protectrices pour le devenirdes enfants.

Nous avons déjà indiqué une des conséquencesde ces lois : si les signalements sont faits d’unemanière adaptée et parfois précoce par diversprofessionnels, les décisions qui s’en suiventsont souvent inadéquates et insuffisamment pro-tectrices.

L’absence de but clair se rencontre aussi lors-qu’est émis l’argument suivant : il faut trouver unéquilibre entre les droits de l’enfant et les droitsdes parents. Mais la loi ne donne pas aux parentsde «droits» en soi. Le Code Civil français (article371-1) indique clairement que « l’autorité paren-tale est un ensemble de droits et de devoirsayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. La respon-sabilité première des parents est celle de proté-ger l’enfant dans sa sécurité, sa santé, sa mora-lité et son développement, pour assurer son édu-cation et permettre son développement dans lerespect dû à sa personne». Il s’agit d’un droit-fonction qui n’est justifié que par son but et quine peut être exercé que dans ce but, c’est-à-diredans l’intérêt d’un tiers, l’enfant, autre que le titu-laire du droit, le parent. C’est un droit qui estdonc une somme d’obligations et de responsabi-lités. Quant aux droits des enfants, ils leur sontconsentis en fonction de leur vulnérabilité.

On peut aussi répondre à cette volonté d’équi-libre entre les droits de l’enfant et des parents,qu’il n’y a pas de symétrie possible. L’enfant petitest immature, sa personnalité est en développe-ment, il est vulnérable, totalement dépendant deson environnement pour la satisfaction de sesbesoins, à la différence de ses parents il n’a pas

l’idéologie du lien familial et leur but est essen-tiellement le maintien de l’enfant dans sa famille,ou son retour s’il a dû en être séparé.

La pratique quotidienne montre qu’elles ne sontpas porteuses d’un projet cohérent et au longterme pour l’enfant. Si certains enfants parvien-nent néanmoins à bénéficier d’un tel projet, c’estparce que certains professionnels se sont battusavec une ténacité remarquable pour obtenir saréalisation.

La lecture des textes de références internatio-naux est elle-même prise dans cette torsion.Ainsi le texte le plus souvent cité est laConvention Internationale des Droits de l’Enfant(CIDE) qui considère certes que l’intérêt de l’en-fant est primordial, mais qui n’est que peu utili-sable car destinée essentiellement aux Etats, enparticulier aux Etats totalitaires: elle porte sur ledroit de l’enfant à la vie, le droit de garder sonnom et sa nationalité, le fait de ne pas enrôlerd’enfants comme soldats au-dessous de 15 ans,etc. La CIDE n’est donc pas valable au niveauintrafamilial.

La Déclaration des droits de l’enfant votée àl’unanimité par l’ONU en 1959, sur laquelle laCIDE repose, est escamotée, alors qu’elle stipu-le dans son Principe 2 que « l’enfant doit bénéfi-cier d’une protection spéciale et se voir accorderdes possibilités et des facilités par l’effet de la loiet par d’autres moyens, afin d’être en mesure dese développer d’une façon saine et normale surle plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et dedignité» (ceci inclut le développement affectif).

On constate à quel point la lecture faite enFrance et en Belgique de la CIDE est idéologique

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domestication des mouvements pulsionnels etqui ne soient donc pas excitants ; des jeux quiintroduisent du faire-semblant ; et qui sont parta-gés, c’est-à-dire dans lesquels il y ait non seule-ment l’alternance «à toi», «à moi», mais aussil’acceptation que l’autre modifie le cours du jeu.

Il s’agit là d’un des indicateurs les plus précis dela qualité de la parentalité au sens où le jeu estessentiel pour le développement psychique del’enfant dès les premiers mois de sa vie, commel’indique le Children Act (M. Berger; 2004).

Il faut souligner que fréquemment, lorsqu’unenfant est placé en internat pendant la semaineet séjourne chez ses parents pendant le week-end, aucun travailleur social ne va observer lanature des échanges à domicile le samedi et ledimanche. Les professionnels ne disposent doncplus de certains éléments essentiels à connaîtrepour prendre les décisions ultérieures.

Plusieurs outils d’évaluation sont à notre disposi-tion: jalons de l’hôpital Bellevue, Berger, 2004;Guide d’évaluation des capacités parentale7, Àchaque enfant son projet de vie permanent 8.

Il est à noter que le but de la formation du dispo-sitif de protection de l’enfance au Québec estclair : éviter qu’à l’âge adulte, les enfants concer-nés ne soient en situation de déficience intellec-tuelle, d’exclusion sociale, d’errance, d’interne-ment psychiatrique, ou de violence.

ou il a peu la parole pour exprimer ce qu’il res-sent et émouvoir les professionnels, et il n’estreprésenté par aucun groupe. Les questionsprioritaires devraient être : «Comment va l’enfantréel?», et «Comment protéger son développe-ment en fonction de ce que nos connaissancesles plus récentes nous permettent d’affirmer?»

L’absence d’outil d’évaluation

Étant donnée l’absence de définition d’un butclair, la France et la Belgique ne disposent d’au-cun outil d’évaluation reconnu au niveau national.C’est pourquoi l’état de l’enfant réel et la naturedes troubles psychiques des parents ne sontsouvent pas évalués de manière adéquate.

Pourtant d’autres pays disposent de tels guides.Ainsi au Québec, le guide d’évaluation des com-pétences parentales en est à sa troisième versiondepuis 1995. Quel que soit l’outil utilisé, et ensachant qu’une part de subjectivité persisteratoujours, il faut que cette évaluation soit perti-nente, étant donnée la rapidité avec laquelle lestroubles décrits ci-dessus peuvent se fixer.

Pour cela, l’évaluation doit porter :- sur le développement cognitif et affectif de l’en-

fant, - sur le fonctionnement mental des parents et

leur capacité de changement,- sur l’observation de l’interaction de chaque

parent avec l’enfant.

En particulier, un élément fondamental d’évalua-tion est la capacité pour un parent de jouer avecson enfant à des jeux de teneur transitionnelle,c’est-à-dire des jeux créatifs impliquant une

7 Lien : http://www.centrejeunessedemontreal.qc.ca/evaluation/pdf/guide_ competences_parentales.pdf,

8 Lien : http://www.mtl.centresjeunesse.qc.ca/pdf/programme_projet_vie.pdf

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Les enfants sont dans un état de carence ali-mentaire important, le dernier ne pesant quequatre kilos à dix-huit mois. Un juge des enfantsinterviewé explique qu’il s’agit d’un problème deprécarité. Pourtant le père avait un salaire régu-lier et avait acheté un téléviseur à écran plat unesemaine avant l’intervention des forces del’ordre. Il est évident qu’une telle façon de vivreest due à des troubles psychiques.

Et même lorsqu’une situation de précarité existe,il reste à en déterminer l’origine. Ainsi dans uneétude portant sur trente suivis d’enfants petitsplacés au long cours parce que leurs parentssont malades mentaux, il est apparu que la plu-part de ces parents étaient en situation de pré-carité du fait de leur incapacité à gérer la réalitéau sens le plus matériel du terme (H. Rottman,2001).

Le mauvais usage de l’aide à la parentalité

La conséquence directe de l’absence de but clairest le mauvais usage de l’aide à la parentalité. Enparticulier, beaucoup «d’aides éducatives admi-nistratives» mises en place sans qu’un signale-ment soit effectué auprès du juge des enfantssont décidées dans une optique idéologique, afind’éviter une « judiciarisation» considérée commestigmatisante pour les parents.

À tel point que la baisse du pourcentage desituations judiciarisées est considérée dans cer-tains départements comme un indicateur de labonne qualité du travail accompli, alors que desindicateurs précis concernant l’état des enfantsseraient plus pertinents. Or, il apparaît clairement

Pour cela, il est considéré que tout enfant a ledroit d’avoir un projet de vie, avec des parents oudes substituts. Le terme «projet de vie» est défi-ni comme le fait pour un enfant de pouvoir vivredans une situation stable et permanente, enayant à sa disposition un lieu d’appartenance etune personne significative afin qu’il puisseacquérir la capacité de créer une relation d’inti-mité saine avec autrui (M. Berger, E. Bonneville,2007).

L’idéologie de la précarité

Cette idéologie empêche de prendre en compteles causes réelles des dysfonctionnementsparentaux. Certes, la précarité peut aggraver lesdifficultés éducatives des parents, et dans denombreuses circonstances elle nécessite quesoit mise en place une aide à la parentalité édu-cative, psychologique, financière, adaptée etcohérente, et non pas une séparation parent-enfant prolongée. Oui, ce problème doit fairel’objet de recherches spécifiques.

Mais le concept de «précarité» est souvent utili-sé de manière idéologique pour éviter de recon-naître les troubles psychiques réels de nombreuxparents.

Ainsi donc, en juillet 2004, à Drancy, en banlieueparisienne, une gardienne d’immeuble effectuantun remplacement d’été signale la présence dansla rue d’un enfant très mal habillé et l’air mal enpoint. La police intervient à son domicile etdécouvre que ses parents ne tirent pas la chassed’eau et ne jettent aucun détritus depuis de nom-breux mois ; il y a quinze centimètres d’excré-ments et d’immondices dans tout l’appartement.

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ment correct de l’enfant, car on constate leplus souvent dans ces contextes que la diffé-rence de décalage temporel d’évolution entreparents et bébé ne peut être comblée.

1. Une telle aide, qui peut s’accompagner d’unplacement relais, doit être suffisamment inten-se, et surtout elle doit s’étayer sur des prin-cipes de travail précis, par exemple commentaider un parent à se voir et à percevoir lesbesoins de son enfant, alors que les conceptsutilisés actuellement sont souvent très flous(Berger M., Bonneville E., 2007). Cette aides’accompagne d’entretiens familiaux au coursdesquels on tente d’aborder l’histoire person-nelle des parents, car leurs difficultés éduca-tives sont le plus souvent liées à leur propreenfance désastreuse.

1. Enfin il est nécessaire que la pathologie per-sonnelle des parents soit soigneusement éva-luée, comme le souligne Martine Lamour. Ilfaut donc se demander pourquoi l’aide à laparentalité est-elle souvent mise en place sys-tématiquement, sans reposer sur une indica-tion précise?

2. Ensuite, si cette aide échoue, ou si les parentsdénient avoir les moindres difficultés éduca-tives, une autre possibilité est un projet de viepermanent pour les enfants de certains parentsmalades psychiatriques chroniques, ou psycho-pathes en errance perpétuelle, ou toxicomanes,etc., qui ne pourront développer que des com-pétences partielles. Ils aiment et investissentleur enfant, mais d’une manière très inadéquatedu fait de leur pathologie personnelle.

1. Myriam David (2004) indique que la plupartdes parents dont les enfants doivent être pla-

que parmi les situations où les enfants sont endanger physique et psychique sévère, dans denombreux cas, si elle ne s’accompagne pasd’une évaluation précise l’aide éducative admi-nistrative a eu pour effet de retarder le momentdu signalement et la prise de décisions difficilesmais nécessaires. Les enfants sont alors adres-sés en soin tardivement, dans un état quasimentirrécupérable.

Prenons le problème à partir de la finalité recher-chée, ce qui permet de replacer la place de l’aideà la parentalité dans un projet global pour l’enfant.On peut considérer que le développement affectifet intellectuel d’un enfant est à peu près protégé siles objectifs suivants sont atteints :

- que l’enfant sache lire, écrire, compter et qu’ilait un minimum de curiosité et d’envie d’ap-prendre, condition nécessaire pour avoir unmétier et être autonome,

- qu’il soit capable de ne pas taper les autres etde ne pas se faire violenter par eux,

- qu’il soit capable de vivre en groupe, conditionpour pouvoir participer à la vie sociale,

- qu’il puisse se sentir bien à certains momentslorsqu’il est en contact avec ses parents, sinonil sera pris à vie dans un cycle d’idéalisation-aspiration/déception-rejet.

Ces objectifs peuvent être atteints principale-ment grâce à trois dispositifs :

1. Tout d’abord, une aide à la parentalité peutêtre envisagée, à condition que les parentsacceptent cette aide, reconnaissent leur res-ponsabilité dans les difficultés présentes, quel’état de l’enfant ne soit pas encore trop dégra-dé, et qu’on puisse espérer un changementdans un délai compatible avec un développe-

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dommage, et tout sera plus compliqué car uneséparation ne traite pas les dégâts psychiquesantérieurs, lesquels vont nécessiter la mise enplace d’un dispositif thérapeutique souvent com-plexe.

La séparation nécessite aussi un accompagne-ment soigneux de l’enfant confronté à une pro-blématique de double attachement. Enfin, elledoit s’accompagner d’une évaluation précisesdes effets des contacts entre parents et enfants,une médiatisation insuffisante des rencontrespouvant dans certains cas annuler la protectionprocurée par la séparation (cf. infra).

L’abscence de suivi relationnelspécifique en cas de séparation

Myriam David (2000) et H. Rottman, insistent surla nécessité d’un suivi relationnel des enfantslorsqu’une séparation a dû être mise en place.L’expérience montre que lorsqu’un enfant pré-sente les troubles décrits dans le quinté perdant,les psychothérapies individuelles échouent fré-quemment à l’aider car, du fait de leur rythmesouvent hebdomadaire, le thérapeute ne parvientpas à être une personne signifiante dans l’exis-tence de l’enfant.

Nous sommes arrivés à la conclusion que seul undispositif d’écoute spécifique permettait d’entrerdans la vie psychique très complexe de cesenfants, qui ont à faire «un travail de séparation»,différent de ce qu’on appelle habituellement untravail de deuil au sens où la personne dont onest séparé garde une réalité plus importante quesi elle est décédée. Les sentiments de jalousie,d’abandon, peuvent alors être très présents : que

cés ont peu de possibilités de «changer» et serévèlent insensibles aux diverses formes detraitements psychothérapiques individuels eten groupe que nous pouvons leur proposer.

Une séparation avec tous les degrés possiblesde distanciation, depuis un retour au domicileun week-end par mois jusqu’à des visitesmédiatisées, est alors la seule solution, àcondition qu’un lien stable soit proposé à l’en-fant hors de sa famille biologique.

1. C’est parce que ces enfants peuvent seconstruire une pensée personnelle bien diffé-renciée de celle de leurs parents qu’ils peuventéprouver des moments où ils se sentent bienen présence de ces derniers, sans être enva-his par l’angoisse. La question ici n’est pas defaire «plus» de séparations, mais de séparerau moins mauvais moment.

3. Enfin, dans les situations de délaissement,c’est l’abandon suivi de possibilité d’adoptionqui est le plus adéquat.

Donc la séparation n’est pas notre problème ausens où cette question n’apparaît qu’en troisiè-me ou quatrième position dans notre raisonne-ment qui se situe dans une logique clinique deprotection de l’enfant.

Le problème premier concerne les effets de ladysparentalité sur le corps de l’enfant, et sur sescapacités de nouer des liens et d’accéder à lapensée et à la réalité ; ces effets sont aussi reliésà la durée d’exposition du nourrisson à la dyspa-rentalité.

Si une séparation n’est pas nécessaire, tantmieux, c’est toujours plus simple. Sinon, c’est

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au rythme de deux fois par semaine, unesupervision étant alors souhaitable.

3. Ce type de lien s’accompagne d’une curiositésaine et respectueuse concernant la vie psy-chique de l’enfant. Pendant le temps de laprise en charge, le but est d’aider l’enfant às’approprier et à identifier ce qu’il ressent, enparticulier à rendre moins confus ses senti-ments et ses perceptions corporelles, sanscraindre de lui nommer les sentiments extrê-mement intenses qu’il peut éprouver.

1. Ainsi lorsqu’une fillette de douze ans déclare«mes parents m’aiment trop», l’éducatrice nese contente pas de cette formulation etdemande: «que veux-tu dire par “trop”?» Lafillette explique alors qu’elle trouve que sesparents acceptent trop facilement, «pour sonbien», qu’elle aille en famille d’accueil et qu’il y ait des visites médiatisées: ceci signifie lefaible amour qu’ils ont pour elle. Elle ajouteraplus tard: « je suis excédée de faire semblantd’aimer ma mère et d’être aimée par elle».

1. C’est cette possibilité de parler à une person-ne, présente de plus dans la vie quotidiennede l’enfant, qui lui permet de se construire unepensée personnelle. L’adulte prend aussi uneplace de «témoin impliqué» avec lequel, pourla première fois, l’enfant peut partager dessentiments qu’il a vécus jusqu’alors dans unesolitude totale.

1. C’est souvent seulement parce qu’il bénéficiede ce type de lien qu’un enfant parvient peu àpeu à penser que ce qui se passe dans safamille, tant au niveau de la négligence que dela sexualisation des relations, n’est pas adé-quat. Sans cet étayage spécifique, comme la

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fait l’autre séparé? Quelles sont ses nouvellesrencontres? Avec qui noue-t-il d’autres liens? La séparation est différente du deuil car elle n’apparaît pas comme définitive et irréversible(J.C. Arfouilloux, 1990). La perte n’a pas la mêmeréalité massive. La survie de l’objet séparé entre-tient l’espoir de retrouvailles, de reconquêtes.Elle s’accompagne d’une idéalisation du passé,d’une nostalgie d’un paradis perdu qui en fait n’ajamais existé. La surprise est que derrière l’im-possibilité de renoncer à l’image idéalisée desparents, on constate fréquemment la présenced’éléments dépressifs mélancoliques (M. Berger,1997, M. Berger, C. Rigaud, 2001).

Il est alors nécessaire de mettre en place un dis-positif d’écoute spécifique dont nous n’indique-rons ici que les principes généraux.

1. Il faut un temps très long pour mobiliser lapensée d’un enfant dans de telles circons-tances. Ceci nécessite donc qu’il y ait un pro-fessionnel fixe pour s’occuper de la situationpendant plusieurs années. Pour cela, nousproposons dans notre service une prise encharge individuelle qui présente les caractéris-tiques suivantes.

2. Le professionnel, éducateur (trice), infirmier(e),met à la disposition de l’enfant un lien fréquentavec un engagement personnel : il accepte deprendre une place relationnelle importantepour lui.

1. Le moment de prise en charge avec un éduca-teur référent n’a pas forcément besoin d’avoirune fréquence quotidienne. Ceci est souhai-table à l’hôpital où nous recevons des enfantsqui vont très mal, mais nous avons constatéque ce type de travail est efficace en internat

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de choses graves. Pour cela, nous prêtonsattention aux points suivants.

1. Tout d’abord, parler avec un enfant ne signifiepas être gentil avec lui ou le protéger d’élé-ments traumatiques. Ainsi, lorsqu’un parent nevient pas aux visites médiatisées, certainsintervenants disent que c’est peut-être parceque le parent est malade ou parce qu’il tra-vaille. Ceci empêche l’enfant de laisser venir àson esprit des sentiments de déception,d’abandon et de colère. Il est préférable dedemander à l’enfant ce qu’il en pense, sinon,en l’empêchant de critiquer l’attitude de sesparents, on ne lui permet pas de s’appropriersa pensée.

1. Laisser l’enfant trop longtemps dans un pro-cessus répétitif est délétère pour lui. Il ne suf-fit donc pas d’écouter un enfant, il faut aussilui parler de ce qu’il ressent, de ce dont il sedéfend, et si besoin ne plus permettre la répé-tition de jeux non créatifs.

1. La compréhension du matériel amené par l’en-fant ne peut souvent se faire qu’après avoirrepéré dans quel mouvement transférentiel ilest produit.

1. Ainsi au cours d’un entretien, un enfant de dixans hurle contre le psychiatre présent d’unemanière inarrêtable, et ceci dure pendant toutl’entretien. Il s’agit de cris inarticulés, et le thé-rapeute ne sais pas comment intervenir. Cen’est qu’en reprenant les éléments de l’histoi-re de cet enfant avec les professionnels quil’ont connu antérieurement que ce médecinapprendra qu’il a été soumis au spectacle descènes de disputes conjugales violentes quiduraient pendant des heures sans s’arrêter. Le

plupart des enfants dans de tels contextes, ilconsidère cela comme normal.

1. Ainsi Marie, six ans et demi, demande au boutd’un an de prise en charge quelle langue parlesa mère? Elle a compris, par comparaisonavec le mode de communication qu’elle aavec l’éducatrice, que sa mère est psycho-tique et utilise un langage sans logique et quin’est pas approprié pour un enfant.

1. Soulignons qu’habituellement, l’éducatrice nepeut nommer l’inadéquation parentale, ceciest inutile ou met l’enfant en situation detiraillement entre l’affection qu’il éprouve àl’égard de son éducatrice et à l’égard de sesparents. Il faut attendre que l’enfant soit prêt àse formuler les failles importantes dans lafonction parentale de ses père et mère pour enparler avec lui.

1. Il est nécessaire, dans ces circonstances, quece soient les mêmes personnes qui écoutentl’enfant, participent aux entretiens familiaux etaux visites médiatisées, et reprennent leurcontenu avec lui. Sinon il est très compliqué,voire impossible, de comprendre ce que l’en-fant amène comme matériel en prise en charge.

1. Ainsi au cours d’une visite médiatisée, Mariedéclare à sa mère qu’elle a un bébé dans sonventre. Sa mère, psychotique, répond endemandant à l’éducatrice que l’on fasse unexamen gynécologique pour vérifier si sa filleest enceinte. Cela souligne l’indifférenciationmajeure qui règne entre cette mère et sonenfant, cette mère pouvant imaginer que safille de six ans et demi peut être enceintecomme elle-même l’a été.

4. Comment écouter un enfant ?1. Il n’est pas naturel d’écouter un enfant parler

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parents ait des effets nocifs sur son fonctionne-ment psychique ou psychosomatique, pour lesraisons suivantes.

Le comportement des parents est toujours forte-ment nocif ; l’enfant, lors des rencontres, risqued’être soumis de plein fouet à leur pathologie :folie, confusion, perversion, séduction malsaine,menaces, dépression profonde, etc., ce qui l’an-goisse et le désorganise durablement. Ou bien larencontre réveille chez l’enfant des tracesangoissantes du passé, sous forme de revivis-cences hallucinatoires.

Il est alors nécessaire que la rencontre ait lieu enprésence d’un ou deux professionnels. Il fautremarquer que le terme «médiatisé» ne doit pasêtre confondu avec celui de «médiation», utilisédans d’autres contextes, comme les situationsde divorce. Ici le professionnel n’est pas unmédiateur, au sens où il n’a pas une position deneutralité à l’égard des différentes personnesprésentes9; au contraire nous le constaterons, ildoit tenir une indispensable position de protec-tion du psychisme de l’enfant.

Un dispositif mal comprisPourquoi ce dispositif est-il si difficile à intégrerpar les professionnels? On peut dire que pen-dant la période où des rencontres médiatiséessont nécessaires, l’intérêt des parents et l’intérêtde l’enfant divergent totalement, et que ce dis-positif est celui qui porte le plus atteinte à lareprésentation que nous avons de la fonctionparentale, en même temps que c’est celui quiprotège le plus l’enfant. Aussi cette pratique est-

seul moyen qu’il a d’évoquer ces momentstraumatiques, angoissants, auxquels il a étésoumis de manière répétitive dès bébé est deles mettre en scène avec le thérapeute. C’està partir de là qu’on pourra mettre des mots surce qu’il reproduit.

1. Il est nécessaire d’accepter l’indifférenciationentre l’enfant et soi à certains moments, ce quisignifie qu’on ne sait plus ce qu’on représentepour l’enfant. Ceci souligne la nécessité pourles professionnels qui s’engagent ainsi d’avoirun lieu où être écoutés eux-mêmes.

Une mauvaise utilisation des visites médiatisées

L’outil «visites médiatisées» est souvent soit inuti-lisé dans des situations où il serait nécessaire, soitmis en place d’une manière qui en dénature com-plètement le sens et le rend inefficace. C’est undes points faibles des dispositifs de protectionde l’enfance. Il est fréquent que des placementsd’enfants se révèlent non protecteurs parcequ’ils ne s’accompagnent pas de visites médiati-sées. Nous avons même constaté à de nom-breuses reprises comment des enfants placésdès la naissance parce que leurs parents présen-taient des troubles psychotiques majeurs ontévolué vers le quinté perdant décrit ci-dessus dufait de la suppression de la médiatisation desrencontres à plusieurs reprises au cours de leurhistoire.

RappelDans certaines situations, loin d’être rares, aprèsune ordonnance judiciaire de séparation, il arriveque le moindre contact de l’enfant avec ses

9 Il n’est pas une «médiatrice» qui couperait un angle en deux partieségales, comme le fait remarquer J. Aymard (mémoire de DU, 2005,Faculté de Médecine de Saint-Étienne).

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professionnels de parler aux parents et à l’enfantdu mode de relation qu’ils observent entre eux, etde demander ce que cela peut faire à l’enfant. Siun jeu est proposé par l’enfant ou le profession-nel, il apparaît que le parent a souvent beaucoupde difficulté à jouer avec un support, ce qui estdistinct des échanges excitants corporellementdécrits ci-dessus. Pourtant, le jeu n’est-il pas undes modes de communication les plus naturelsentre un parent et son enfant ?

Des visites médiatisées pour qui et pour quoi?Nous touchons là un problème important. Depuisqu’il a été créé par Myriam David en 1960 pourpermettre les relations entre des mères psycho-tiques et leur nourrisson, ce dispositif a été claire-ment défini comme ayant pour but de permettredes contacts entre parents et enfant en protégeantl’enfant de la pathologie parentale10. Les visitesmédiatisées sont faites pour les enfants, noncontre les parents. C’est ce qu’on a trouvé de«moins mal» pour permettre ces contacts.

Dans ce cadre sécurisant, l’enfant peut ainsi ren-contrer son parent sans être soumis à des exci-tations extrêmes et traumatiques. Ceci lui per-met, dans un second temps, de se différencier dece parent ; grâce au dispositif protecteur, il estmoins en proie à des moments de terreur plus oumoins hallucinatoire en présence du parent, et ilcommence à voir ce dernier comme il est, ni pire,ni meilleur, sans se laisser envahir par la patholo-gie parentale ou par des images du passé. Il peutcommencer à sortir de son monde imaginaire : ilcompare l’image qu’il a de ses parents, angois-sante ou idéalisée, souvent fixée dès sa petite

elle celle qui heurte le plus l’idéologie du lien fami-lial, beaucoup plus que le placement, car elle signi-fie que ce n’est plus seulement vivre ensemble,mais passer un moment ensemble qui a uneinfluence désorganisatrice, nocive sur l’enfant.

Les parents, blessés dans leur amour propre, lut-tent contre ce dispositif, qui est un des princi-paux motifs d’appel en justice, en disant qu’ils nepeuvent pas être naturels lors de ces rencontres.Mais en réalité, lorsque la nécessité de ren-contres médiatisées est évoquée, c’est parceque les parents n’ont aucun autre mode decontact avec leur enfant qu’une relation de colla-ge complet avec une séduction malsaine, parfoisincestuelle ; ou un besoin massif d’emprise sur lecorps et/ou la pensée de l’enfant ; ou une excita-tion corporelle sous la forme de chatouilles ou debaisers sur tout le corps; ou des phrases desti-nées à rendre l’enfant envieux; ou des messagestordus et contradictoires qui embrouillent sonesprit; ou même des propos menaçants ou uneviolence physique. Ou encore, le parent attribueen permanence à l’enfant ses propres pensées etsentiments. Ou le vide relationnel est tel que leparent passe la visite à nourrir son enfant, jusqu’àl’indigestion lorsqu’il s’agit d’un nourrisson, sanspouvoir lui proposer d’autre forme d’échange.

Quand on freine les excès de ce genre de rela-tion, oui, le parent n’est pas «naturel» au sens oùil est incapable de proposer un mode de relationdifférent, dans lequel son enfant soit pris encompte comme sujet différencié pouvant expri-mer des désirs personnels.

En même temps, dans les visites médiatisées, uncertain «calme» s’installe qui permet à l’enfant, si on le soutient, de poser des questions impor-tantes pour lui concernant son histoire, ou aux

10 Et dans le cas des mères schizophrènes, pour les protéger elles-mêmes de leurs propres réactions lorsqu’elles se trouvent en présencede leur nourrisson.

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nécessité même de mettre en place ces visitessignifie un dysfonctionnement parental importantqui s’accompagne d’effets désorganisateursmajeurs sur l’enfant.

De nombreux professionnels n’ont pas intégré leprincipe suivant : ce n’est pas le cadre des visitesmédiatisées en lui-même qui permet à l’enfant dese sentir en sécurité et de pouvoir penser plustranquillement en présence de ses parents, maisla manière dont la rencontre est gérée.

Il faut être conscient qu’il existe deux sortes deprotection. La première est physique, et acomme seul but d’éviter qu’un enfant ne soitfrappé, attouché sexuellement, ou enlevé aucours d’une rencontre avec ses parents. C’estinsuffisant dans la plupart des situations. Ladeuxième sorte est psychique et a pour butd’éviter que l’enfant ne soit désorganisé par lesattitudes et les paroles de ses parents.

Ceci nécessite :

- que les professionnels présents soient toujoursles mêmes, et que la visite soit annulée oureportée s’ils sont absents,

- que la médiatisation soit effective de la premiè-re à la dernière minute de la rencontre, car c’estsouvent à la fin, dans le couloir où il est le plusdifficile de contrôler la situation, que le parentdit les paroles qui déstabilisent l’enfant,

- que toutes les paroles échangées puissent êtreentendues des professionnels, et si besoininterrompues parce qu’elles sont inquiétantespour l’enfant, puis reprises avec lui après la ren-contre.

Donc les visites médiatisées doivent avoir lieudans un lieu clos, et ne pas se dérouler en plein

enfance, avec le parent réel et actuel. Et ceci luipermet de remanier ces images en fonction duprésent. Grâce à cela, il ose peu à peu exposersa manière personnelle de penser, et maintenirson point de vue face à son père ou à sa mère,en s’opposant s’il le faut.

On constate que le deuxième objectif des ren-contres médiatisées n’est donc pas de traiter larelation parents-enfant, ni de permettre le retourde l’enfant chez ses parents, ce qui est illusoiredans la plupart des placements précoces, maisde favoriser le développement affectif de l’enfant.De plus, les visites médiatisées, par-delà leuraspect contraignant, permettent à un certainnombre de parents d’avoir des moments rela-tionnels agréables et authentiques avec leurenfant, ce qui ne s’était jamais produit, et lesparents seront aussi gagnants11.

Le déroulement des visites médiatisées12

Rappelons que le rythme et la durée des visitesmédiatisées dépendent essentiellement de l’étatde l’enfant avant et après la visite13. Des ren-contres trop longues et/ou trop rapprochéesannulent totalement leur effet protecteur.

D’une manière générale, le rythme moyen dequarante-cinq minutes à une heure par mois,parfois tous les deux mois, est suffisant, car la

11 Il en est de même dans le contexte particulier suivant : une femme quia de réelles capacités maternelles, est sous l’emprise d’un compa-gnon violent qu’elle aime ou qui la terrorise au point qu’elle n’ose pasle quitter. Face à la dangerosité de cet homme à son égard ou à l’égardde l’enfant, il ne reste parfois pas d’autre solution qu’un placementaccompagné de visites médiatisées qui, elles seules, permettent à lamère d’avoir un moment de relation tranquille avec son enfant.Inversement, il existe des hommes sous emprise.

12 Berger M., 200513 Lien : Cf. www.mtl.centresjeunesse.qc.ca/pdf/programme_projet

_vie.pdf, À chaque enfant son projet de vie permanent, p. 59-70:«Encadrer les contacts parents-enfant».

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Un principe général est qu’on ne peut obtenir destabilité des professionnels que s’ils éprouventdu plaisir dans leur travail et que si ce dernier aun sens cohérent pour eux, ce qui n’est malheu-reusement pas toujours le cas.

Les services de protection de l’enfance fournis-sent à l’enfant un confort matériel adéquat, maisqu’en est-il de son bien-être psychique?14 Dansbeaucoup de situations, l’enfant est «abandon-né» par les professionnels et laissé seul face àdes parents inquiétants, ou face à un vide rela-tionnel, ou face à une absence d’intérêt et decuriosité concernant son état et son avenir.

Penser l’enfant comme étant la possession deses parents permet d’éviter l’engagement desprofessionnels. J. Cartry (2004) cite la théoriequ’il a entendue fréquemment, selon laquelleplus un enfant connaît d’adultes, plus il fait d’ex-périences relationnelles, alors qu’en réalité, seulela relation avec un ou deux adultes prévisibles,suffisamment présents, s’impliquant de manièrestable dans la préoccupation de l’enfant, permetde tirer profit de la multiplicité des relations sui-vantes. J. Cartry souligne aussi que de nombreuxéducateurs ne veulent plus s’engager personnel-lement et n’ont plus dans leur psychisme d’es-pace d’accueil de l’enfant. Souvent, ils enjoi-gnent à des enfants placés en internat d’êtreautonomes au-delà de leurs possibilités, enoubliant que normalement, cette capacité sedéveloppe grâce à un fond de continuité relation-nelle procuré par les parents ou d’autres adultes,ce qui n’est précisément pas le cas.

air, ou au domicile des parents, ou dans un lieucollectif, comme cela arrive dans les points ren-contres qui reçoivent aussi des parents et enfantsdans des situations de divorce compliqué.

Il est évident que lorsqu’un parent déclare à sonenfant, et c’est très souvent la première chosequ’il dit dès qu’un professionnel s’éloigne, qu’ilva faire en sorte que cet enfant revienne dormir àla maison, ce dernier croit ce parent, et c’est laparole du juge qui est ainsi balayée et ne fait plustiers entre parents et enfant. Voilà pourquoi lescourriers et les échanges téléphoniques doiventeux aussi être médiatisés, et on ne doit pasaccepter qu’un parent offre un téléphone por-table à son enfant, car nous avons constaté quec’était presque toujours dans le but bien précisde transgresser la médiatisation.

Enfin certaines visites médiatisées doivent êtreindividualisées. Ainsi est-il le plus souvent préfé-rable que chaque enfant soit reçu séparémentavec ses parents, car un parent qui n’est pas par-venu auparavant à avoir une attitude éducativeadéquate avec un enfant est plus débordé enco-re lorsqu’il est en présence d’une fratrie.

L’absence de continuité des intervenants

Souvent, le turn-over des professionnels est telque les enfants ne parviennent pas à bénéficierd’une figure d’attachement stable, alors que lesservices sociaux anglais doivent, comme premierobjectif, «s’assurer que les enfants sont attachésà un adulte capable de leur offrir des soins effi-caces et la sécurité tout au long de leur enfance». 14 De même que certains juges prennent en compte l’aspect physique

de la maltraitance, mais plus difficilement son aspect psychique.

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Pour ce genre d’expertise, il est nécessaire queles conditions suivantes soient réunies pouréclairer la justice. Il ne suffit pas que parents etenfants soient reçus séparément, il faut que l’ob-servation de l’interaction de l’enfant avec chaqueparent soit effectuée. L’expert doit avoir prisconnaissance des principaux rapports éducatifseffectués au fil des années et des solutions déjàtentées. Il doit rencontrer un membre de l’équipeéducative qui s’occupe actuellement de la situa-tion, ce qui lui évitera d’être induit en erreur parun parent qui parvient à contenir sa pathologiependant le moment ponctuel de l’expertise. Ildoit savoir évaluer précisément le développe-ment cognitif d’un bébé et d’un enfant plusgrand, car l’angoisse, les troubles de l’attache-ment, les troubles du schéma corporel touchentprioritairement les capacités de penser et lacuriosité.

Une expertise qui ne remplit pas ces conditionsest critiquable.

L’absence d’évaluation budgétaire

Le coût réel de la protection de l’enfance n’estvolontairement pas chiffré de manière longitudi-nale. On est habituellement capable d’indiquerquel est le coût du dispositif de protection del’enfance lui-même. Mais la médiocrité des résul-tats a des conséquences beaucoup plus impor-tantes pendant toute la vie d’adulte du sujet. Iln’est pas rare que des professionnels aientessentiellement pour objectif de «gérer» dessituations jusqu’à ce que l’enfant atteigne 18 ans,âge au-delà duquel il ne se trouve alors plus sousleur responsabilité.

L’engagement est une valeur perdue et beau-coup de professionnels (travailleurs sociaux,éducateurs, administrateurs, psychologues,pédopsychiatres, juges) ne sont pas prêts à fairel’effort de s’identifier aux sentiments difficiles queressentent les enfants. C’est dommage, cargrâce aux vingt-huit ans de recul de notre servi-ce, nous avons constaté que le fait que le mêmeintervenant investisse un enfant sur une longuedurée permet à ce dernier de se construire demanière beaucoup plus solide, d’amortir l’inten-sité des fréquentes turbulences qui surviennent àl’adolescence et de mieux en comprendre lesens.

Ainsi, souvent, un enfant qui subit des dysfonc-tionnements parentaux majeurs « n’appartient » àpersonne. Ses parents l’investissent d’unemanière inadéquate, et ils ont une représentationtellement irréaliste de ses besoins qu’ils sontincapables d’exiger un projet de soins et de viecohérent pour lui de la part des professionnels.En même temps, il est fréquemment peu investien qualité et en durée par les intervenants, aucund’eux ne se sentant vraiment responsable lors-qu’il évolue de manière péjorative. Cela n’em-pêche pas que cet enfant soit l’objet d’enjeux depouvoir entre institutions.

L’absence de protocole spécifique

Nous sommes là confrontés au grave danger,suivant l’expression d’André Carel, que peutreprésenter l’expertise psychiatrique dans cessituations, si elle est réalisée par des collèguesn’ayant jamais effectué la prise en charge globa-le et prolongée d’une seule de ces situations.

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L’absence de dispositif spécifiquede prise en charge des situationsde violence de la part des parents

On constate quotidiennement comment lesenfants soumis aux parents les plus violents res-tent exposés à ces derniers à cause de la peurque ressentent les travailleurs sociaux et mêmeles juges face à ces parents.

La non-reconnaissance de cette crainte empêchede mettre en place des protocoles spécifiquespour les parents violents.

La déficience intellectuelle sera alors prise encharge par l’Éducation Nationale, les troublespsychiatriques par le Ministère de la Santé, laviolence par la justice et le système pénitentiaire,et l’absence d’autonomie du sujet pendant touteson existence dépendront des Ministères char-gés de fournir des allocations d’État.

Les comparaisons effectuées en janvier 2005montrent que le coût jusqu’à 60 ans d’un trajetde vie pour un enfant placé en famille d’accueilstable de l’âge de un an à vingt ans est de445 000 euros (en France) alors qu’il peut monterà 920 000 euros si le sujet a été exposé de zéroà deux ans à des interactions familiales grave-ment défectueuses (Berger M., 2005) et placé àpartir de l’âge de quatre ans.

L’absence de recherches structurées

Nous constatons régulièrement la difficulté, voirel’impossibilité, de mettre en place des recher-ches concernant l’évaluation du devenir desenfants en fonction des décisions prises. Eneffet, ces recherches ne sont pas entendues parles structures officielles comme une évaluationde l’état de l’enfant, mais comme une évaluationde leur fonctionnement.

Nous avons constaté en France les obstaclesmajeurs qui ont été mis pour entraver la réalisa-tion de ces travaux. Or aucun dispositif ne peutprogresser s’il ne commence pas par reconnaîtreces échecs.

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- La loi n’a pas pour objectif la satisfaction detous les besoins d’un enfant, mais vise la satis-faction minimale des besoins essentiels, sanslaquelle son développement est considérécomme compromis. Un tel principe nécessiteque les besoins minimum d’un enfant en fonc-tion de son âge soient précisés clairement :physiques, intellectuels, sociaux et affectifs,incluant le besoin de sécurité émotionnel et lapossibilité de s’attacher de manière stable à unadulte attentif.

- Le but de toute intervention auprès d’un enfantet de ses parents est de mettre fin à la situationpréjudiciable à la sécurité ou au développementde l’enfant, et d’éviter qu’elle ne se reproduise.17

- Six sortes de risques doivent être pris en comp-te et nécessitent chacun une évaluation spéci-fique: l’abandon, la négligence, la maltraitancepsychique, la maltraitance physique, les abussexuels, et l’existence de troubles importantsdu comportement, ce dernier point signifiantque la clinique peut être déterminante pour lejudiciaire.

Chaque fois que cela sera possible, on amènerales parents à assumer différemment la responsa-bilité de leur enfant en maintenant ce dernierdans son milieu familial.

-Si cela se révèle impossible dans un délai raison-nable, on mettra en place avec diligence un pro-jet de vie extérieur à la famille assurant des liensaffectifs stables si besoin jusqu’à la majorité. Lanouvelle loi québécoise (2006) précise ces délais:

Quelles améliorationspossibles?

Un changement de loi

Tant qu’un changement de loi n’aura pas lieu,aucun autre changement ne sera possible. Uneloi cohérente devrait être construite selon lalogique suivante15.

- L’intérêt de l’enfant est le principe premier quidoit sous-tendre toutes les décisions et lesinterventions. Ce principe a préséance sur tousles autres. Cet intérêt risque d’être compromisou est considéré comme compromis lorsquel’enfant est en situation de danger, ou ne reçoitpas ce qui est essentiel pour répondre à sesbesoins fondamentaux16.

15 Nous nous référons, entre autres, à la version 1994 de la loi québécoisesur la protection de la jeunesse.

16 Il faut mentionner ici que le 10/01/2007, à l’Assemblée Nationale, l’en-semble des partis politiques se sont opposés au Ministre de la Famille(qui représentait la position des organes officiels et judiciaires) et ontfait voter un amendement essentiel dans la future loi sur la protectionde l’enfance: «L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoinsfondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux, et affectifs, ainsi quele respect de ses droits, doivent guider toutes décisions le concer-nant». Deux autres amendements visent à améliorer la stabilité du pro-jet de vie de l’enfant. «On doit veiller à ce que les liens d’attachementnoués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soientmaintenus, voire développés dans son intérêt supérieur», ce qui estdestiné à éviter les ruptures intempestives de lien avec une familled’accueil bien investie. Et «Lorsque les parents présentent des difficul-tés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluéescomme telles dans l’état actuel des connaissances, affectant durable-ment leurs compétences dans l’exercice de leur responsabilité paren-tale, une mesure d’accueil exercée par un service ou une institutionpeut être ordonnée pour une durée supérieure à deux ans, afin de per-mettre à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective etgéographique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adapté à sesbesoins immédiats et à venir. Un rapport concernant la situation del’enfant doit être transmis annuellement au juge des enfants». Reste àvoir de quelle manière les tenants de l’idéologie du lien familial à toutprix vont tenter de les contourner ou de les vider de leur sens.

17 Alors que dans le dispositif français, l’enfant est fréquemment réex-posé à la situation de risque lors des tentatives de retour dans safamille.

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Le développement de plans de formation communs aux acteurs de terrain et aux décisionnaires de chaque niveau de l’interventionsociale et judiciaire.

De telles propositions sont parfois qualifiées de«révolutionnaires». En réalité, elles ne représen-tent qu’une mise à niveau adaptée aux connais-sances actuelles.

En l’absence de dispositif cohérent centré sur ledevenir de l’enfant, on constate que certains pro-fessionnels réussissent cependant à obtenir desrésultats appréciables pour les enfants dont ilss’occupent, mais ceci souvent au prix d’effortsanormalement importants et d’oppositions àleurs propres institutions. Une motivation à touteépreuve est nécessaire.

Les autres enfants évoluent vers les graves diffi-cultés indiquées ci-dessus. Dans aucun autredomaine n’existe un tel hiatus entre nos connais-sances et les pratiques. Un certain nombre depolitiques, d’administrateurs et de professionnelssur le terrain fonctionnent avec l’arrogance tran-quille de l’ignorance assumée.

Les manques majeurs que présentent les loisbelge et française sur la protection de l’enfance (ycompris malheureusement la future loi française)amènent à penser qu’il n’y a actuellement aucuneraison pour que cet état de fait change dans lesvingt ans à venir. Sans la mise en place des troisaméliorations sus-citées, seule l’augmentationinévitable et inexorable du nombre de sujets pré-sentant une violence pathologique extrême et les

la durée d’un placement ne doit pas dépasser 12mois pour un enfant de moins de deux ans, 18mois pour un enfant âgé de 2 et 5 ans, et 24 moisaprès 6 ans, incluant la durée du placement avantla décision judiciaire. Au-delà, un projet de viestable doit être mis en place. Un abandon suivid’adoption doit être envisagé dans les cas denégligences graves et d’abandon de fait au-delàde six mois ou d’un an selon les États.

Introduire une responsabilisation

Personne n’est vraiment responsable lorsque lesenfants dont il est question ici évoluent demanière péjorative. L’état psychique de cessujets ne leur permet ni de se formuler qu’ils ontété privés de possibilité d’évoluer autrement auniveau de leurs capacités affectives et intellec-tuelles, ni de mener une action en justice pourdemander réparation. Ainsi aucun retour ne peutdiminuer les dysfonctionnements actuels.

Face à cette situation, certaines associations deprotection de l’enfance pourraient représenterl’enfant au civil et au pénal lorsque des bilans trèsinsuffisants ou des décisions inadéquates l’ontprivé d’un développement intellectuel et affectif àpeu près correct, en portant plainte pour préjudi-ce subi contre les professionnels concernés,magistrats (l’État) et psychiatres inclus.

La nature humaine est ainsi faite que tant que lesprofessionnels, à tous les niveaux, n’auront pas decomptes à rendre concernant les décisions qu’ilsprennent ou ne prennent pas, rien ne changera.

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perturbations qu’ils provoqueront dans notre viequotidienne amèneront peut-être à réévaluer cettequestion plus rapidement, et encore, pas forcé-ment dans le sens du soin et de la protection.

«Pourquoi la vérité s’avance-t-elle toujours siseule et si fragile?» Bartholomé De Las Casas18

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Bibliographie

- Arfouilloux J.C., Dépendances et ruptures en institutionde soins, Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adoles-cence, 38, 4-5, p. 270-272., 1990

- Berger M., Les séparations parents-enfant à but théra-peutique, Paris, Dunod, 1992.

- Berger M., L’enfant et la souffrance de la séparation:divorce, adoption, placement, Paris, Dunod, 1997.

- Berger M., L’échec de la protection de l’enfance, 2004.Les jalons d’évaluations des défaillances parentales (cha-pitre 7) sont repris en intégralité dans le «Guide d’évalua-tion des compétences parentales du Québec», 2004.

- Berger M., a, L’enfant instable. Approche clinique et thé-rapeutique, Paris, Dunod, 2005.

- Berger M., b, Ces enfants qu’on sacrifie… au nom de laprotection de l’enfance, Paris, Dunod, 2005.

- Berger M., Rigaud C., «Différence entre travail de deuil ettravail de séparation», Prisme (Canada), 36, p. 44-52,2001.

- Berger M., Manic Y., Pastrana H., «L’accompagnementdes mouvements émotionnels et psychiques de l’enfant,confronté à la séparation», in livre collectif «La protectionde l’enfance: maintien, rupture et soins des liens», p. 153-168, Fleurus, 2005.

- Berger M., Bonneville E., André P., Rigaud C., «L’enfanttrès violent : origine, devenir, prise en charge», en coursde parution dans la Revue de Neuropsychiatrie del’Enfance et de l’Adolescence, 2007.

- Berger M., Bonneville E., «Théorie de l’attachement etprotection de l’enfance au Québec», en cours de parutiondans la revue Dialogue, 2007.

- Bonneville E., «À la rencontre du traumatisme des lienschez l’enfant placé». DEA, Faculté de Psychologie,Université Lyon-2, 2003.

- Bonneville E., «Une solitude extrême, hors du temps».Accueil n°3, Enfance et Familles d’adoption, 1-4, 2006.

- Carty J., Cahier du soir d’un éducateur. Paris, Dunod,2004.

- David M., Enfants, parents, famille d’accueil. RamonvilleSaint-Agne, Eres, 2000.

- David M., Le Placement familial, De la pratique à la théo-rie, Paris, Dunod, 2004

- Mouhot F., «Le devenir des enfants de l’Aide Sociale àl’Enfance», Devenir, vol. 13, 1, p. 31-66, 2001.

18 in «La controverse de Valladolid», J.C. Carrière, Acte Sud, 1999.

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- Mouhot F., «Séparation parents-enfant : impact de l’âgedes enfants sur leur évolution», Psychiatrie de l’enfant,XLVI, 2, 2003, p. 609-630, 2003.

- Rigaud C., «Violence et contention: la fonction phoriquedu soin». Diplôme d’études approfondies de Psychopa-thologie et Psychologie Clinique (DEA), UniversitéLumière Lyon II, 2001.

- Rottman H., «L’Enfant face à la maladie mentale de sesparents. Place des rencontres médiatisées dans le place-ment familial», Revue de neuropsychiatrie de l’enfance etde l’adolescence, 49, p. 178-185, 2001.

- Saint Antoine M., Rainville S., «Les troubles d’attache-ment en regard de certains profils cliniques et leur pro-nostic», Prisme, 44, p. 184-201, 2004.

Prenons le temps de travailler ensemble.La prévention de la maltraitance est essentiellement menée auquotidien par les intervenants. En appui, la Cellule de coordina-tion de l’aide aux victimes de maltraitance a pour mission desoutenir ce travail à deux niveaux. D’une part, un programme àl’attention des professionnels propose des publications, confé-rences, séminaires et formations pluridisciplinaires. D’autre part,des actions de sensibilisation visent le grand public (spots tv etradio, livres pour enfants, ados et parents, blog, autocollants,cartes postales,…).

L’ensemble de ce programme de prévention de la maltraitanceest le fruit de la collaboration entre plusieurs administrations(Administration générale de l’enseignement et de la recherchescientifique, Direction Générale de l’Aide à la jeunesse, Directiongénérale de la santé et ONE). Diverses associations (Ligue desfamilles, services de santé mentale, plannings familiaux…) y par-ticipent également pour l’un ou l’autre aspect.

Se refusant aux messages d’exclusion, toute la ligne du pro-gramme veut envisager la maltraitance comme issue de situa-tions de souffrance et de difficulté plutôt que de malveillance oude perversion… Dès lors, elle poursuit comme objectifs deredonner confiance aux parents, les encourager, les inviter às’appuyer sur la famille, les amis… et leur rappeler que, si néces-saire, des professionnels sont à leur disposition pour les écouter,les aider dans leur rôle de parents.

Les parents sont également invités à appréhender le décalagequ’il peut exister entre leur monde et celui de leurs enfants. Enprendre conscience, marquer un temps d’arrêt, trouver desmanières de prendre du recul et de partager ses questions estdéjà une première étape pour éviter de basculer vers une situa-tion de maltraitance.

La thématique est à chaque fois reprise dans son contexte et s’ap-puie sur la confiance dans les intervenants et dans les adulteschargés du bien-être de l’enfant. Plutôt que de se focaliser sur lamaltraitance, il s’agit de promouvoir la « bienveillance », laconstruction du lien au sein de la famille et dans l’espace social :tissage permanent où chacun – parent, professionnel ou citoyen –a un rôle à jouer.

Ce livre ainsi que tous les documents du programme sont disponibles sur le site Internet :

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Temps d’Arrêt :

Une collection de textes courts dans le domaine dela petite enfance. Une invitation à marquer unepause dans la course du quotidien, à partager deslectures en équipe, à prolonger la réflexion pard’autres textes…

Déjà paru- L’aide aux enfants victimes de maltraitance – Guide à l’usage des

intervenants auprès des enfants et adolescents. Collectif.- Avatars et désarrois de l’enfant-roi. Laurence Gavarini, Jean-

Pierre Lebrun et Françoise Petitot.*- Confidentialité et secret professionnel: enjeux pour une société

démocratique. Edwige Barthélemi, Claire Meersseman et Jean-François Servais.*

- Prévenir les troubles de la relation autour de la naissance. ReineVander Linden et Luc Roegiers.*

- Procès Dutroux; Penser l’émotion. Vincent Magos (dir).- Handicap et maltraitance. Nadine Clerebaut, Véronique Poncelet

et Violaine Van Cutsem.*- Malaise dans la protection de l’enfance: La violence des interve-

nants. Catherine Marneffe.*- Maltraitance et cultures. Ali Aouattah, Georges Devereux,

Christian Dubois, Kouakou Kouassi, Patrick Lurquin, VincentMagos, Marie-Rose Moro.

- Le délinquant sexuel – enjeux cliniques et sociétaux. FrancisMartens, André Ciavaldini, Roland Coutanceau, Loïc Wacqant.

- Ces désirs qui nous font honte. Désirer, souhaiter, agir : le risquede la confusion. Serge Tisseron.*

- Engagement, décision et acte dans le travail avec les familles.Yves Cartuyvels, Françoise Collin, Jean-Pierre Lebrun, Jean DeMunck, Jean-Paul Mugnier, Marie-Jean Sauret.

- Le professionnel, les parents et l’enfant face au remue-ménagede la séparation conjugale. Geneviève Monnoye avec la parti-cipation de Bénédicte Gennart, Philippe Kinoo Patricia Laloire,Françoise Mulkay, Gaëlle Renault.*

- L’enfant face aux médias. Quelle responsabilité sociale et familiale?Dominique Ottavi, Dany-Robert Dufour.*

- Voyage à travers la honte. Serge Tisseron.*- L’avenir de la haine. Jean-Pierre Lebrun.*- Des dinosaures au pays du Net. Pascale Gustin.*- L’enfant hyperactif, son développement et la prédiction de la

délinquance: qu’en penser aujourd’hui? Pierre Delion.* - Choux, cigognes, «zizi sexuel», sexe des anges… Parler sexe avec

les enfants? Martine Gayda, Monique Meyfroet, Reine VanderLinden, Francis Martens – avant-propos de Catherine Marneffe.*

- Le traumatisme Psychique. François Lebigot.*- Pour une éthique clinique dans le cadre judiciaire. Danièle Epstein*- À l'écoute des fantômes. Claude Nachin

*Épuisés mais disponibles sur www.yapaka.be